Rapport de conjoncture 2019

Section 41 Mathématiques et interactions des mathématiques

Composition de la Section

Didier Bresch (président de Section) ; Mikael De La Salle (secrétaire scientifique) ; Grégoire Allaire ; Anne-Marie Aubert ; Jonathan Baur ; Isabelle Bellier ; Christian Bonatti ; Mireille Bousquet-Mélou ; Frédéric Chapoton ; François Charles ; Gilles Courtois ; Julie Delon ; Adrien Dubouloz ; Nathanaël Enriquez ; Aurélie Fischer ; Olivier Frécon ; Véronique Gayrard ; Danela Oana Ivanovici ; Christian Lemerdy ; Anne Philippe ; Jean-Marc Sac-epee.

Résumé

La section 41, dédiée aux mathématiques et à leurs interactions, est l’unique section de son Institut, l’INSMI. La qualité de l’école mathématique française est reconnue au niveau international avec une interaction de plus en plus féconde entre différents domaines des mathématiques entre eux ou avec d’autres domaines de recherche. L’articulation entre les disciplines mathématiques, rendue possible grâce aux actions de l’INSMI, qu’elles soient en sciences fondamentales ou en sciences plus appliquées permet cette richesse et cette aptitude à dépasser les frontières. Plus que jamais, les mathématiques jouent un rôle essentiel dans la modélisation et l’analyse des systèmes complexes.

I. Introduction

Un des rôles du mathématicien ou de la mathématicienne est d’observer le monde et d’essayer de créer des outils conceptuels permettant de le comprendre un peu mieux. Toute la puissance des mathématiques réside dans ce double jeu : tantôt elles formalisent des problèmes concrets, ce qui permet – parfois – de les résoudre, tantôt elles explorent les conséquences de ce formalisme, jusqu’à développer des concepts très abstraits et généraux, a priori déconnectés du réel, mais qui – parfois – ont des retombées concrètes et inattendues. Des théories les plus abstraites aux analyses de méthodes les plus concrètes, il n’y a pas une mathématique mais plusieurs ! Et elles sont toutes essentielles et entremêlées. On a entendu beaucoup de choses sur la rigueur de la discipline mais peu de gens savent que le mathématicien et la mathématicienne sont, en même temps, élastiques, ouverts et créatifs ! En effet, ils-elles étendent et déforment chacun de leurs objets et ils-elles s’enrichissent des liens, tissés entre différents chercheur.e.s en mathématiques ou dans d’autres disciplines (en France et à l’international). Des liens qui leur permettent de résoudre de nouveaux problèmes mathématiques en interne ou tournés vers d’autres disciplines ou d’autres champs d’applications. Néanmoins, vouloir restreindre les mathématiques à une activité de service reviendrait à les faire disparaître. À l’opposé, ne privilégier que l’axiomatisation, l’étude des structures et la dynamique interne de la discipline conduirait à réduire l’enrichissement des mathématiques elles-mêmes.

Avoir une articulation unique sans frontière entre les mathématiques est une richesse indéniable de la seule section 41 du comité national de la recherche scientifique (CoNRS) en étroite collaboration avec l’INSMI (Institut National des Sciences Mathématiques et de leurs Interactions). Cela lui permet d’être un lien unique entre les différentes sociétés savantes SFdS (Société de Statistiques), SMF (Société de Mathématiques Française), SMAI (Société Mathématiques Appliquées) et les 2 Comités Nationaux Universitaires (CNU25 et CNU26). Sur ces 4 années de mandat, la section 41 a mis l’excellence scientifique comme premier critère tout en tendant à refléter au maximum sur ses propositions de recrutement tout le spectre des mathématiques. Le concours CRCN s’organise autour d’un concours général, d’un concours avec des postes en interaction avec d’autres disciplines et de concours liés à des postes croisés avec d’autres Instituts du CNRS. Cet éventail pluri-formes est important pour assurer cette diversité. Le concours DR2 concerne chaque années plusieurs postes en essayant de balayer au maximum le spectre des mathématiques sur un mandat du comité national.

L’excellence Française en recherche autour des mathématiques n’est plus à démontrer. On peut encore la mesurer ces quatres dernières années au regard des multiples conférences invitées pleinières ou dans les panels de congrès internationaux phares comme l’ICM2018, l’ICIAM2019, l’ICMP2018 ou dans d’autres grosses conférences internationales plus spécialisées. Le nombre de prix internationaux est également pléthorique avec par exemple sur ces quatre dernières années : A. Figalli (Médaille Fields 2018), Y. Meyer (Prix Abel 2017), C. Voisin (Prix Shaw 2017, Prix l’Oréal-Unesco 2019), C. Bardos (Prix ICIAM Maxwell 2019), Y. Maday (Prix ICIAM Pioneer 2019), S. Gouëzel (Prix Michael Brin 2019), M. Talagrand (Prix Shaw 2019), J.F. Le Gall (Prix Wolf 2019), V. Lafforgue (Prix Breakthrough 2019), J.-M. Coron (Prix W. T. et Idalia Reid 2017)…

II. Exemples de progrès récents en mathématiques

Nous essaierons de donner dans cette section quelques idées de productions mathématiques et d’enjeux importants en mathématiques. Il est bien évidemment impossible de prétendre à l’exhaustivité mais nous espérons par ces choix montrer la richesse et la diversité en couvrant un large spectre thématique.

A. Géométrie algébrique et théorie des nombres

En mars 2018, le mathématicien canadien Robert P. Langlands a reçu le prix Abel pour ses travaux et son programme, initié en 1967 : un vaste tissu de conjectures qui jette des ponts entre de nombreux champs de recherche, notamment la théorie des représentations des groupes réductifs et la théorie des nombres.

Le programme de Langlands se décline aujourd’hui dans plusieurs versions qui posent des questions différentes. Le cas des groupes réductifs p-adiques classiques a été démontré par Arthur et complété par un travail monumental de Moeglin-Waldspurger. Le cas des coefficients de caractéristique positive a connu de nombreux développements. La correspondance de Langlands géométrique relie le programme initial à la géométrie algébrique, la théorie des faisceaux pervers, des espaces de modules et des systèmes intégrables. Yun et Zhang ont récemment prouvé une généralisation des formules obtenues par Gross-Zagier, pour des dérivées supérieures de certaines fonctions L pour le groupe PGL2 sur un corps de fonctions. Ils ont en particulier construit des fonctions L globales ayant des ordres d’annulation impairs.

Les travaux révolutionnaires de Scholze (Médaille Fields en 2018) qui l’ont conduit à définir les espaces perfectoïdes en 2012, ont diffusé largement au-delà des premières applications à la théorie de Hodge p-adique. Il a repris et donné une vitalité renouvelée à plusieurs thèmes de topologie algébrique qui sont maintenant intégrés au vocabulaire de nombreu.x.ses théoricien.ne.s des nombres. La théorie des catégories supérieures et la géométrie algébrique dérivée font partie des outils communs à de nouvelles générations. L’apparition de ces concepts ne se limite pas à la théorie des nombres, ils sont fondamentaux pour de larges pans de la géométrie algébriques comme la géométrie enumérative, la théorie géométrique des représentations…

Par ailleurs, les méthodes perfectoïdes ont permis à André et Bhatt de réaliser des progrès spectaculaires sur d’anciennes questions d’algèbre commutative qui apparaissaient bloquées, résolvant ainsi un écheveau de conjectures d’Hochster formulées dans les années 1960.

Un autre rapprochement spectaculaire entre thématiques est celui de l’o-minimalité et de la géométrie algébrique et arithmétique. La notion de langage o-minimal, introduite en théorie des modèles il y a plusieurs années, est un élément décisif de la preuve de la conjecture d’André-Oort. De manière surprenante, la théorie des modèles permet d’exprimer une propriété profonde de la fonction exponentielle usuelle avec des conséquences arithmétiques remarquables. Ces techniques o-minimales ouvrent également de nouvelles perspectives sur des questions classiques de géométrie algébrique complexe et de théorie de Hodge, et ont permis la résolution d’une conjecture d’algébricité de Griffiths.

Les dernières années ont vu d’importants progrès sur la question – très ancienne – de la rationalité des variétés algébriques, combinant des approches très différentes. Claire Voisin (Médaille d’or du CNRS 2016) a importé dans le sujet une méthode de la théorie des cycles algébriques, la décomposition de la diagonale, qui a permis à elle et à de nombreu.x.ses mathématicien.ne.s d’établir l’irrationalité de familles de variétés algébriques. Par ailleurs, le progrès constant dans le programme du modèle minimal a permis des percées importantes dans la compréhension de la géométrie de familles spéciales de variétés – valant en particulier la médaille Fields à Birkar pour sa preuve de la finitude des familles de variétés de Fano de dimension fixée. Ce travail a permis en particulier de mieux comprendre les transformations des variétés rationnelles.

L’avancée du programme du modèle minimal va de pair avec l’élaboration d’une version analytique complexe de ce programme qui en réalise certains aspects du point de vue de l’étude du flot de Ricci sur les variétés kähleriennes. Ce sujet se situe à la frontière de l’analyse sur les variétés, de la géométrie métrique, de la théorie du pluripotentiel et de la géométrie algébrique. Les progrès récents sur des questions d’hyperbolicité des hypersurfaces algébriques illustrent de manière semblable la convergence et la complémentarité des méthodes analytiques et algébriques. Il faudra veiller à ce que ce sujet en pleine expansion continue à être représenté au plus haut niveau en France.

B. Théorie des représentations et algèbre

La théorie des algèbres amassées, introduite par Fomin et Zelevinsky vers l’an 2000 en relation avec les bases canoniques des groupes quantiques, a eu un impact majeur en théorie des représentations mais aussi dans des domaines plus géométriques comme la théorie de Teichmüller supérieure. Elle continue de susciter des développements nouveaux : l’introduction récente par Gross, Hacking, Keel et Kontsevich de la notion de « diagramme de diffusion » a permis de démontrer en toute généralité une conjecture centrale du domaine. Il est assez remarquable que ce progrès soit venu d’une direction très géométrique, en relation avec la symétrie miroir et les variétés de log-Calabi-Yau.

Dans une autre direction, une activité importante concerne les représentations des groupes algébriques réductifs en caractéristique positive p. Une célèbre conjecture de Lusztig proposait une description des modules simples lorsque p n’est pas trop petit, qui ne vaut en fait que pour p très grand. On peut espérer des progrès majeurs dans les années à venir, sur des questions notoirement difficiles.

De manière générale, l’idée de catégorification continue de jouer un rôle central dans de nombreux travaux récents en algèbre et aux interfaces avec d’autres domaines. Outre la catégorification des algèbres amassées déjà évoquée, on peut notamment citer les théories homologiques des noeuds, où se rencontrent un point de vue provenant des représentations des groupes quantiques, éventuellement sous forme combinatoire, et des constructions beaucoup plus géométriques, en particulier symplectiques.

Dans une direction plus algébrique, une connexion nouvelle et déjà fructueuse est apparue entre d’une part la théorie de Hairer sur les structures de régularité pour les équations différentielles stochastiques et certaines algèbres de Hopf ou opérades, proches des structures apparues auparavant en relation avec les travaux de Connes et Kreimer sur la renormalisation des théories des champs, ou encore en analyse numérique.

Dans le domaine de la combinatoire algébrique, un important progrès structurel dans la théorie des matroïdes a été accompli par Adiprasito, Huh et Katz, qui ont montré le théorème de Lefschetz difficile et les relations de Hodge-Riemann pour un anneau commutatif associé à un matroïde arbitraire. Comme pour les travaux précédents de Elias et Williamson sur la catégorification des algèbres de Hecke, il s’agit d’étendre, bien au delà de la géométrie algébrique, les propriétés structurelles profondes de l’anneau de cohomologie d’une variété algébrique projective.

Au niveau des fondations, un problème historique de la théorie des ensembles a été résolu ces dernières années : il concerne l’égalité de deux cardinaux p et t. Contre toute attente, Malliaris et Shelah ont démontré que les axiomes ZFC de la théorie des ensembles impliquent l’égalité p = t. Leur démonstration, basée sur l’utilisation de la topologie générale en théorie des modèles, résout en même temps un autre problème portant sur l’« ordre de Keisler ».

Notons que la théorie des modèles, une partie de la logique mathématique, a depuis une trentaine d’années de nombreuses interactions avec le reste des mathématiques : à titre d’exemples, la théorie des modèles des corps valués a eu des applications majeures en intégration motivique et aux espaces de Berkovich. Certains liens entre l’o-minimalité et la géométrie algébrique ont été évoqués à la section précédente.

C. Géométrie

Nous présenterons dans cette partie un choix très arbitraire n’incluant pas de nombreux autres résultats très importants dans le domaine, dont la résolution en 2018 d’une conjecture de Yau par Marquez, Neves, Irie et Song sur l’existence d’une infinité d’hypersurfaces surfaces minimales plongés dans toute variété riemannienne compacte de dimension comprise entre 3 et 7, la résolution en 2016 de la conjecture de Zimmer par Brown, Fisher et Hurtado pour les réseau co-compacts, ou les progrès récents sur les représentations
d’Anosov et la théorie de Teichmuller en dimension supérieure avec les travaux de Kassel, Guéritaud, Guichard, Kobayashi, et Wienhard.

1. Flot de Ricci et Topologie

Le flot de Ricci introduit par Hamilton en 1980 est un flot sur l’espace des métriques d’une variété qui évolue vers des métriques « optimale ». C’est un outil puissant, permettant d’établir un lien entre des questions de nature topologique et géométriques. Il a été à l’origine de nombreux résultats spectaculaires ces dernières années comme la résolution par Perelman, en 2002, des conjectures de Poincaré et de géométrisation de Thurston. Après ce tour de force, on pouvait s’attendre à d’autres applications. Récemment, Bamler et Kleiner ont illustré encore la force de cette approche en montrant la conjecture de Smale généralisée portant sur la topologie des variétés de dimension 3 : « sur une 3-variété compacte X de courbure constante égale à + 1 ou – 1, l’inclusion du groupe des isométries dans le groupe des difféomorphismes de X est une équivalence d’homotopie », ce qui équivaut à ce que l’ensemble des métriques à courbure constante sur X soit contractile, propriété que Bamler et Kleiner ont établie en montrant une forme d’unicité du flot de Ricci « traversant les singularités ».

2. Espaces localement symétriques et théories des nombres

Le mathématicien Venkatesh (Médaille Fields 2018) a établi des liens entre différents domaines des mathématiques, « fonctions L » et géométrie hyperbolique, formes automorphes et dynamique et plus récemment entre cohomologie des réseaux artihmétiques et théorie Langlands. Par exemple, Bergeron, Sengün et Venkatesh ont formulé une conjecture stipulant que l’homologie de degré 2 des variétés hyperboliques arithmétiques de dimension 3 est engendrée par des surfaces de petit genre (controlé par le volume de la variété hyperbolique) ; ils établissent cette conjecture pour certaines familles variétés arithmétiques. Cette conjecture entretient des liens profonds avec la croissance de l’homologie de torsion des suites de revêtements finis d’une variété arithmétique : si la conjecture est vraie, le taux de croissance exponentielle du cardinal de l’homologie de torsion de degré 1 par rapport au volume du revêtement est égal à 1/6π.

3. Géométrie synthétique et analyse

La propriété CAT(k) est une version pour les espaces métriques de la notion, « courbure sectionnelle majorée », classique pour les variétés riemanniennes. De même, pour les espaces métriques mesurés, des versions provenant de la théorie du « transport optimal » de la notion
« courbure de Ricci minorée » ont été introduites par Sturm, Lott-Villani. Un exemple typique d’espace métrique mesuré où cette notion s’applique est constitué des limites au sens de Gromov-Hausdorff des suites de variétés riemanniennes à courbure de Ricci minorée mais il y en a bien d’autres. Cela ouvre tout un champ de recherche dans ce cadre. Par exemple, Mondino et Cavalletti ont montré en 2018 une inégalité isopérimétrique « presque euclidienne » dans ce cadre qui étend aux variétés riemanniennes à courbure de Ricci minorée. L’existence d’une notion synthétique de courbure scalaire majorée pour les espaces métriques est largement ouverte.

D. Systèmes dynamiques

En systèmes dynamiques la dernière décade voit le renouveau de la thématique « action de groupes en basse dimension » en particulier action de groupes discrets sur le cercle. Un exemple typique classique d’une telle action est l’action projective d’un groupe de surface sur le cercle. Ce renouveau passe par une grande variété d’approches, approfondissant en particulier les liens avec la géométrie des groupes. On peut citer Katrin Mann pour ses travaux sur les composantes connexes des représentations des groupes de surfaces dans les homéomorphismes du cercles. Dans un tout autre esprit on peut citer le travail de Kim et Koberda qui montrent (version « faible » de leur résultat) que pour tout réel a > 1 il existe des groupes finiment engendrés admettant des actions sur le cercle qui sont de classe C a mais qui n’en admettent aucune qui soit de classe C b pour tout b supérieur à a. Ce renouveau amène de nouvelles réflexions sur la notion de moyennabilité des groupes (Le Boudec Matte Bon) et sur les groupes ordonnables, en particulier avec de nouvelles approches de l’étude des groupes de type Thompson (citons Hyde-Lodha).

Un lien plus étonnant se dessine avec l’étude des mapping class groupes des surfaces de type infini (par exemple, les travaux de Bavard, ou de Calegari) à travers l’action sur des graphes hyperboliques au sens de Gromov.

En dynamique holomorphe on voit des avancées importantes en dimension > 1. Ce domaine, jusque là entièrement dominé par l’approche de la géométrie complexe (pluripotentiel, courants) intégre de plus en plus d’outils et d’approches issues de la dynamique différentiable réelle : cela a permis à Dujardin (2017), Biebler ou Taflin de construire et de comprendre des ouverts dans l’espace des paramètres où la dynamique est robustement instable.

En dynamique réelle, on connaît depuis les années 60 (Abraham-Smale ou Newhouse) de tels ouverts dans l’espace des difféomorphismes, où tout difféomorphisme est instable : pour contourner cette difficulté, Palis a proposé dans les années 2000 une conjecture où les dynamiques « typiques » (au sens de Kolmogorov) seraient décrites à l’aide d’un nombre fini de mesures d’équilibres attractantes. Cette conjecture a été en grande partie mise a mal par les travaux de Berger : il montre que la coexistence, pour un même système dynamique, d’une infinité d’orbites périodiques attractantes peut-être « typique », au sens de Kolmogorov.

E. Analyse

L’étude des opérateurs d’intégrales singulières, qui est une partie centrale de l’analyse harmonique, a connu des avancées de premier ordre. D’une part, sur les intégrales à plusieurs paramètres, avec notamment des caractérisations des commutateurs itérés relatifs à des opérateurs de Journé ou à des opérateurs de Calderon-Zygmund à plusieurs paramètres. D’autre part, sur les inégalités à poids dans de nouveaux cadres (poids multivariés, poids matriciels, etc.). Ces avancées dessinent une tendance forte de l’analyse harmonique à se développer dans un cadre dans lequel l’analyse de Fourier n’est plus incontournable. La théorie du potentiel et l’analyse géométrique ont connu de grandes avancées grâce aux travaux récents de Logunov-Malinnikova. Grâce à des arguments combinatoires particulièrement novateurs, ceux-ci ont fait évoluer de manière spectaculaire l’étude des ensembles nodaux des fonctions propres d’équations elliptiques (conjectures de Nadirashvilli et Yau). Parmi les conséquences spectaculaires : la mesure de Hausdorff d’une fonction harmonique non constante sur ℛ3 est infinie.

La théorie des algèbres d’opérateurs et plus généralement toute l’analyse non commutative interagit avec la théorie des groupes, ceux-ci fournissant des exemples naturels d’objets d’étude. Les résultats spectaculaires de Tikuisis-White-Winter sur la classification des C*-algèbres nucléaires (programme d’Elliott) sont venus illustrer ce point. Mentionnons aussi les résultats importants sur la simplicité des C*-algèbres de groupes. Le programme de Ribe, qui vise à caractériser les propriétés locales des espaces de Banach par des propriétés des structures uniformes des espaces métriques, a connu des avancées spectaculaires. Ces avancés génèrent des applications inattendues de la géométrie des espaces de Banach à différents domaines : géométrie, théorie des graphes, informatique théorique. Citons également la résolution du problème de Kadison-Singer, un problème d’algèbre d’opérateurs issu dans les années 50 des fondements de la mécanique quantique et démontré par une équipe d’informaticiens théoriciens avec des méthodes de mathématiques discrètes.

F. Équations aux dérivées partielles

L’école française est particulièrement active et reconnue dans ce domaine comme en témoigne le nombre d’invités à l’ICM2018, à l’ICIAM2019 ainsi qu’à l’ICMP2018. Établir des ponts entre plusieurs grandes familles des équations aux dérivées partielles et aussi avec d’autres branches des mathématiques engendre souvent de réelles percées mathématiques et nous avons pu assister à un nombre impressionnant de résultats en ce sens.

Citons par exemple les travaux sur la régularité paraboliques pour les équations cinétiques (équations de Landau et de Botzmann) exploitant des techniques de régularité elliptiques et paraboliques introduites par De Giorgi, Nash et Moser, puis développées par DiBenedetto, Caffarelli etc. avec au centre la preuve d’une inégalité de type Harnack pour la solution couplée à des techniques d’hypoellipticité introduites par exemple par Kolmogorov ou Hörmander.

En ce qui concerne les EDPs pour la mécanique des fluides, un grand nombre de résultats importants ont été obtenus autour de phénomènes de surface libre, d’équations dispersives, de modèles mixtes incompressibles-compressibles, de perturbations singulières…. Nous ne citerons ici que deux exemples parus chacun dans Annals of Maths concernant les solutions faibles à la Leray : Un résultat récent montre que les solutions faibles de Navier-Stokes incompressibles ne sont pas uniques dans la classe des solutions faibles à énergie cinétique finie pour des données initiales d’énergie cinétique finie. Une nouvelle méthode d’estimations quantitatives de régularité très faible pour les équations de continuité est introduite et a déjà permis d’apporter une réponse à deux problèmes ouverts sur les équations de Navier-Stokes compressibles étendant ainsi considérablement les résultats de P.-L. Lions et E. Feireisl et al.

Quantifier une perte de symétrie dans les systèmes d’équations aux dérivées partielles est important pour mieux décrire des phénomènes comme la transition de phase, l’instabilité, l’auto-organisation, par exemple. Récemment un travail a permis de caractériser complétement la région optimale de brisure de symétrie dans les inégalités de Caffarelli-Kohn-Nirenberg critiques, par une nouvelle méthode basée sur des fonctionnelles d’entropie et l’évolution sous l’action du flot associé à une diffusion non linéaire.

L’analyse des systèmes de particules est à la croisée des chemins de différentes branches des mathématiques (analyse, équations aux dérivées partielles, probabilités, théorie des nombres, géométrie). Les systèmes à grand nombre de particules exhibent un comportement macroscopique qui peut être compris grâce à la théorie des champs moyens. Le comportement microscopique est lui obtenu comme fluctuation autour de la limite de champ moyen. Plusieurs avancées remarquables ont été obtenues sur ce sujet ces quatre dernières années et nous n’en citerons que quelques-unes : la limite champ moyen pour les gaz de Coulomb, la convergence et son estimations quantitative de la méthode vortex vers Navier-Stokes, la convergence et son estimation quantitative pour des noyaux attractifs du type Patlak-Keller-Segel, la convergence de systèmes de particules satisfaisant les lois de Newton avec collision élastique vers les équations de Boltzmann ou le fait de montrer que le mouvement brownien peut être obtenu comme la trajectoire limite d’une particule marquée dans un système déterministe de sphères dures avec un choix d’échelles de temps et d’espace convenables.

G. Probabilités

La théorie de la gravité quantique de Liouville, née en physique théorique dans les années 1980, est aujourd’hui au centre d’une grande activité en probabilités. Il s’agit d’une géométrie naturellement associée à une mesure aléatoire très irrégulière – typiquement l’exponentielle du champ libre gaussien – sur une surface de Riemann. Différentes approches de régularisation ont été développées pour définir la mesure associée : l’une basée sur le chaos multiplicatif gaussien et l’autre associée à la théorie conforme des champs dite de Liouville. Il est désormais établi que les deux approches coïncident sur la sphère de Riemann. Cette théorie a connu très récemment de nombreuses avancées mathématiques : justification des formules physiques de Knizhnik-Polyakov-Zamolodchikov, dites KPZ, relation fondamentale entre gravité quantique de Liouville et évolution de Schramm-Loewner (Sheffield (2016), Duplantier, Miller, Sheffield (2019) ou encore des formules dites DOZZ (Kupiainen, Rhodes, Vargas 2019). Des avancées particulièrement remarquables portent sur la conjecture reliant la gravité quantique de Liouville aux limites d’échelle des cartes planaires aléatoires, éventuellement pondérées par des modèles de physique statistique. Notamment, une série de travaux récents (Miller, Sheffield 2019) montrent que la gravité quantique de Liouville de paramètre √8/3 peut être munie d’une métrique qui la rend équivalente à l’espace métrique de la carte brownienne, limite en loi universelle des cartes aléatoires uniformes (Le Gall 2013, Miermont 2013). Cette équivalence se généralise au cas de cartes portant un modèle d’amas aléatoires dit de Fortuin-Kasteleyn (FK).

L’étude des modèles critiques sur réseaux a connu une avancée importante sur la transition de phase du modèle de FK – un modèle unifiant divers modèles de physique statistique en dimension 2, dont la percolation. Une nouvelle méthode de preuve utilisant une généralisation de l’inégalité dite OSSS sur des arbres de décision, se révèle incroyablement efficace pour montrer que la transition de phase est abrupte. Elle permet de traiter le cadre général de graphes transitifs, là où les résultats qui existaient n’étaient prouvés que pour des réseaux planaires très particuliers (Duminil-Copin, Raoufi, Tassion 2019). On peut voir là un développement d’une interaction fructueuse entre informatique théorique et mécanique statistique. Enfin une nouvelle interprétation des fonctions de corrélation de bord du modèle d’Ising critique à interaction à courte portée est donnée via la représentation dite en « random currents » (Aizenman, Duminil-Copin, Tassion, Warzel 2019). Cela éclaire le caractère universellement pfaffien de ces corrélations et l’émergence de structures fermioniques au-delà des cas résolubles.

H. Statistiques et imagerie

1. Statistique

La statistique est en plein essor, et occupe une place essentielle dans le paysage mathématique actuel. La situation présente de la discipline se caractérise par un accès inédit à des bases de données ouvertes relatives à tous les domaines. En parallèle, l’augmentation des capacités de calcul suscite un intérêt renouvelé pour l’étude théorique de différents algorithmes et offre des possibilités pour en développer d’autres. La communauté a su prendre le tournant des grands défis de l’apprentissage et de l’intelligence artificielle et joue pleinement son rôle, aux côtés d’une branche de l’informatique, dans l’exploration de ces thèmes nouveaux. Point très positif, ces sujets issus de la statistique moderne sont extrêmement attractifs pour d’excellents étudiants. Des avancées théoriques significatives ont eu lieu notamment sur le thème des forêts aléatoires, de la statistique computationnelle ou encore de la sélection de modèle. La diversité des applications et des interactions avec les autres disciplines et dans l’industrie a explosé ces dernières années. Les apports de travaux en statistique dans différents champs d’application sont nombreux, et généralement les collègues des autres disciplines identifient mieux leurs besoins en statistique. Les interactions sont toujours très fortes en biologie, notamment en génomique, dans le domaine de la santé, en particulier en neurosciences, et en économie, mais elles se développent également dans le domaine de l’environnement, du marketing, de la justice, du sport, en sciences sociales, notamment en psychologie, archéologie, linguistique… Les collaborations sur ces sujets motivent l’introduction de nouvelles procédures et de développements mathématiques originaux, sans pour autant occulter les méthodes classiques, qui dans certains cas se révèlent efficaces avec une appréciable interprétabilité. Les liens avec les autres branches des mathématiques se développent de plus en plus, notamment autour de l’analyse topologique des données, nouveau sujet ayant émergé depuis quelques années à partir de travaux en topologie algébrique appliquée et géométrie algorithmique. Etant donné des observations qui se présentent sous la forme de nuages de points dans un espace euclidien ou plus général, la topologie et la géométrie permettent d’extraire de l’information pertinente sur la structure de ces données en fournissant des approches efficaces en inférence robuste, en particulier grâce à la notion de distance à la mesure, version robuste au bruit de la distance à un ensemble compact. L’étude des aspects géométriques dans les données comprend de nombreuses directions de recherche, qui soulèvent des problèmes difficiles faisant appel à l’ensemble du champ des mathématiques.

2. Imagerie

Les enjeux et les défis des mathématiques liés au domaine de l’imagerie numérique sont de plusieurs types. D’une part, il est nécessaire de développer un cadre théorique pour traiter et analyser les images. D’autre part, l’imagerie est étroitement liée aux applications et au développement d’algorithmes efficaces. Dans le domaine des problèmes inverses en imagerie, de nombreux progrès ont été possibles ces dernières années grâce aux avancées en optimisation (convexe ou non convexe, lisse ou non lisse) et en échantillonnage comprimé. Parallèlement, les progrès très récents en échantillonnage bayésien permettent de quantifier l’incertitude des résultats de ces approches d’optimisation. Toujours dans le domaine des problèmes inverses, les approches dites de co-conception connaissent un essor important : ces approches consistent à modéliser et à optimiser simultanément les paramètres des instruments de mesure et les traitements numériques qui seront appliqués aux données.

3. Enjeux communs

Une tendance très forte de ces dernières années réside dans l’importance croissante de l’apprentissage statistique profond dans ces domaines. Ces approches ont permis des progrès particulièrement impressionnants, d’abord en vision par ordinateur, puis en restauration d’images, mais également dans la création de modèles génératifs d’images, même si ce dernier domaine reste par ailleurs toujours très lié à la géométrie aléatoire. Les aspects théoriques des modèles par réseaux de neurones suscitent un intérêt grandissant dans la communauté mathématique. Les questions qui surgissent sont variées et posent un vrai défi : garanties de convergence, capacité de généralisation, etc. Citons également les récents progrès en transport optimal, notamment algorithmiques, qui expliquent le succès des métriques de Wasserstein dans de nombreux domaines comme les GAN (réseaux génératifs adversaires), l’adaptation de domaine, le metric learning et la classification multi-labels. Enfin, dans un contexte de concurrence internationale et dans un monde où les entreprises privées liées à l’intelligence artificielle sont extrêmement actives pour attirer les meilleurs chercheurs du monde académique, un enjeu scientifique majeur est de garder une recherche publique forte dans ces domaines, non seulement pour en comprendre les propriétés fondamentales et les limitations, mais aussi pour en garantir une utilisation raisonnée et éthique.

I. Optimisation

L’optimisation est un domaine très riche qui interagit avec l’ensemble des mathématiques et qui est utilisé dans de très nombreuses applications. Ses liens avec le calcul des variations, le contrôle, le traitement d’image, les problèmes inverses et la théorie des jeux sont anciens et toujours très actifs. C’est devenu un outil indispensable en apprentissage et traitement des données, grâce à de nouveaux algorithme prenant en compte une contrainte de parcimonie qui permettent de caler des données avec un minimum de paramètres explicatifs. Les algorithmes d’optimisation ont aussi évolués pour s’adapter aux très grandes dimensions que l’on rencontre, soit en traitement des données massives, soit en optimisation de systèmes modélisés par des équations aux dérivées partielles. Les applications de ces techniques d’optimisation vont de l’assimilation de données pour les modèles météorologique ou climatologiques, à l’optimisation topologique de structures mécaniques construites par des imprimantes 3-d. La prise en compte d’incertitudes, modélisées par des variables aléatoires, a entrainé le développement de nouveaux algorithmes d’optimisation. Cela permet d’obtenir des optima plus robustes ce qui est, par exemple, nécessaire dans les prévisions de production d’énergie pour tenir compte des sources intermittentes (comme l’éolien ou le solaire) ainsi que des aléas climatiques. Les avancées théoriques récentes en transport optimal ont permis l’émergence de nouveaux algorithmes d’optimisation, utilisant par exemple la distance de Wasserstein, afin de mitiger la non-convexité de certains problèmes inverses durs, comme en imagerie sismique.

J. Calcul scientifique

Le calcul scientifique et l’analyse numérique forment un immense champ à l’intersection des mathématiques, de l’informatique et de toutes les disciplines, scientifiques ou technologiques, qui ont recours à la simulation sur ordinateurs. Les progrès récents de ces derniers années nécessitent de repenser bon nombre d’algorithmes. En effet, la croissance du nombre de coeurs de calcul, l’apparition de processeurs spécialisés (par exemple graphiques) font que la performance n’est plus limitée par la vitesse d’exécution des opérations mais par celle des échanges de données entre les coeurs de calcul. De nouveaux algorithmes apparaissent comme, par exemple, les préconditionneurs multi-niveaux en décomposition de domaines. Un autre moteur de développement est la volonté de simuler des systèmes couplés, mélangeant plusieurs physiques ou plusieurs échelles. Cela génère l’apparition de nouvelles méthodes numériques aux propriétés hybrides s’adaptant ainsi à plusieurs modèles mathématiques. On pense ainsi aux schémas numériques, adaptés à des maillages très généraux, qui ressemblent à la fois à des méthodes d’éléments finis et de volumes finis : par exemple, les méthodes de Galerkin discontinu d’ordre élevé, la méthode des éléments virtuels, les schémas mimétiques et leurs nombreuses variantes. Ces calculs couplés font souvent appel à des schémas itératifs et des progrès importants ont été réalisés dans l’adaptation automatique du niveau de convergence suffisant dans un enchainement de boucles d’itérations, ce qui permet des gains importants en temps de calcul. Dans le même esprit de rendre abordable des calculs extrêmement complexes, des contributions importantes ont été apportées à la création de modèles ou de bases réduites, ouvrant des perspectives intéressantes sur l’apprentissage, la condensation de données ou la notion de jumeau numérique qui se développe fortement en ingénierie.

III. Articulation CNRS et monde universitaire

Assurer un flux régulier et aussi grand que possible de jeunes chercheur.e.s et Maîtres et Maîtresses de conférences en mathématiques (section 25 et section 26) sur tout le spectre des mathématiques est vital pour continuer à perpétuer l’excellence de l’école Française et à faire face aux nombreux défis scientifiques et sociétaux qui se dressent devant nous.

La situation en terme de proposition d’emplois permanents dans les universités Française en mathématiques (section 25 et section 26) est particulièrement alarmante et le transfert de connaissances, l’innovation scientifique et la place de la France sur l’échiquier international en grand danger. Heureusement, le CNRS par le biais de l’INSMI a préservé le nombre d’emplois et de promotions au sein de la section 41 ce qui a permis de retarder un étouffement complet du système. La section 41 s’inquiéte de la situation du nombre de postes et des promotions dans le monde universitaire qui pourrait engendrer un trou générationnel en recherche mais également en enseignement. En effet il s’agit là d’une situation très préoccupante au regard des besoins de plus en plus croissants en formation mathématique, notamment en ce qui concerne l’IA et la science des donnéss qui attirent de plus en plus d’étudiant.e.s et d’ingénieur.e.s.

En terme de recrutement, le mandat actuel de la section 41 qui s’étend sur plusieurs années lui permet d’avoir une vision globale de l’évaluation des dossiers sur la durée d’exercice, mettant l’excellence scientifique comme premier critère, et tendant à refléter au maximum le spectre des mathématiques. Ceci a permis de couvrir un large éventail des mathématiques avec des recrutements excellents de candidat.e.s issu.e.s du système Français et de l’étranger. La force des mathématiques au CNRS réside dans la concertation et l’échange continu entre la section 41, l’Insmi et les DU comme cela a été confirmé lors d’une réunion tri-partite en juillet 2018. Cette spécificité, qu’il faut préserver, coûte que coûte, assure un travail en profondeur au service de l’excellence des mathématiques françaises dans toute sa diversité du fondamental à l’appliqué.

IV. Synthèse et analyses transversales

A. Thématiques inter-sections et inter-disciplines

La section 41 du CoNRS gère chaque année quelques postes fléchés mathématiques et interactions avec d’autres disciplines et assez régulièrement un poste croisé avec d’autres instituts. Sur ces 3 dernières années les recrutements ont été sur des thèmes en lien par exemple avec l’INS2I, l’INSU, l’INSB, L’INP, l’INEE, l’INSHS. Ce type de postes s’articule très bien avec les postes du concours général permettant ainsi de balayer le spectre large des mathématiques. Donnons ci-dessous deux exemples d’interactions fortes des mathématiques avec d’autres disciplines sachant que d’autres interactions ont été décrites dans la troisème partie.

1. Mathématiques et planète terre

Les mathématiques sont une discipline fondamentale qui est au coeur d’enjeux importants liés à la complexité de la Terre, et plus particulièrement à l’environnement. Appréhender tant des problèmes de recherche que des problèmes de gestion durable sur ce sujet requiert l’adaptation de techniques mathématiques en interaction avec d’autres disciplines qui ont des liens notamment avec les fluides, le vivant et l’humain. A l’inverse, les questions environnementales peuvent également permettre le développement de nouvelles théories mathématiques qui, à leur tour, peuvent apporter une meilleure compréhension de la complexité des phénomènes étudiés pour une aide à la décision. Suite à une recommandation du CSI, l’INSMI soutient la création d’un institut mathématiques de la planète terre, structure sans mur, animé par la fédération de recherche de la région Auvergne-Rhône-Alpes. A. Guillin a été nommé chargé de mission au sein de l’INSMI pour la mise en place de cette outil collectif. Les objectifs sont -1- la création et animation d’un portail web permettant de mettre en relation des mathématiciens avec des chercheurs d’autres disciplines -2- sructurer la recherche dans le domaine mathématique de la planète terre -3- promouvoir le transfert de connaissances et méthodes entre disciplines -4- financer des équipes de recherche pluridisciplinaire sur une problématique donnée relevant des thèmes math. planète terre. Cette thématique touche bien évidemment plusieurs instituts du CNRS autre que l’INSMI comme l’INSU, l’INP, l’INB, l’INEE, l’INS2I, l’INSHS par exemple. On peut citer des collaborations déjà existantes sur la sélection naturelle et évolution des écosystèmes entre chercheur.e.s de l’INEE et de l’INSMI, sur les ondes internes entre chercheur.e.s de l’INP et de l’INSMI, sur les interactions surface libre et objets flottants entre chercheur.e.s de l’INSU et l’INSMI, sur l’évolution des méthodologies utilisées en sciences de la Terre pour l’imagerie du sous-sol entre chercheur.e.s de l’INSU et de l’INSMI, sur les écoulements granulaires secs ou humides entre chercheur.e.s de l’INSU et de l’INSMI.

2. Mathématiques et mécanique

L’interaction entre mathématiques et mécanique est ancienne mais toujours très vivace comme en témoignent les développements récents sur les modèles à champs de phase en mécanique de la rupture. La très ancienne théorie énergétique de Griffith pour la propapagation de fissures a été revisité par Francfort et Marigo d’un point de vue variationnel avec des outils d’analyse, comme l’espace des fonctions spéciales à variation bornée, déjà utilisé pour étudier le modèle de Mumford-Shah de segmentation d’images. Cela a donné lieu à de très nombreux résultats théoriques sur ce modèle mais aussi à une nouvelle méthode numérique, dite à champ de phase, qui s’est imposée aussi bien dans les milieux académiques que chez les industriels par sa capacité à prédire le chemin de fissuration et les possibles branchements de fissure. L’idée de cette méthode est issue d’une approche par Gamma-convergence, due à Ambrosio-Tortorelli, qui permet d’approcher la discontinuité (la fissure) par un nouveau champ qui peut s’interpréter comme une variable d’endommagement. Les résultats numériques sont spectaculaires et reproduisent avec une précision étonnante les constatations expérimentales. Cette très riche interaction est manifestement bien vivante comme le démontre le fait qu’en 2018 les sections 41 et 09 (Mécanique des solides. Matériaux et structures. Biomécanique. Acoustique) ont proposé toutes les deux le recrutement comme CRCN de la même personne !

B. Parité dans les carrières des chercheur.e.s du CNRS

Dans un texte publié dans la gazette des mathématiques : « Parité, la pente est forte et la route sinueuse », I. Chatterji, J. Le Rousseau et B. Rémy font un bilan de la journée du 10 juillet 2019 à l’Institut Henir-Poincaré. On y trouve un constat sans appel : « Sur les vingts dernières années, la part des femmes en mathématiques (sections 25 et 26 confondues) reste à 21 % avec une baisse en section 25 et une légère hausse en section 26. » « Quand au CNRS, avec 19 % des femmes parmi les mathématiciens la situation n’y est guère plus réjouissante. » La section 41 du comité national est composée de 9 femmes et de 12 hommes. L’équilibre hommes/femmes, avec au centre des décisions l’excellence scientifique, fait partie des points d’attention de la section. Donnons quelques chiffres qui corroborent le constat fait dans le texte mentionné ci-dessus :

Sur les 1 216 candidatures CR de la période 2017-2019, on compte 220 candidatures féminines, soit 18 %. La section 41 du comité national a tenu à rester vigilante sur la part de candidatures féminines à toutes les étapes du processus de recrutement. Ainsi, sur les 237 candidat.e.s auditionné.e.s, 22 % ont été des femmes, pour finalement 23 % de recrutement féminins. Sur 195 candidatures à la promotion au grade de DR, 28 étaient des femmes soit 14 %. Cette situation a mené à la promotion de 4 femmes sur un total de 19 promotions, soit 21 %. Il est notable que la parité au niveau des recrutements CR soit largement portée par les postes en interaction. Sur les 28 recrutements CRCN sans fléchage, seules 5 candidatures féminines ont été retenues, soit 18 %. La faiblesse de ces nombres montre le caractère préoccupant de la situation et risque d’avoir des conséquences sur le long terme.

La section 41 n’a pas procédé à une approche simplement comptable des questions de parité : les discussions du comité ont pris en compte, autant que possible, les biais de genre dans l’évaluation et la comparaison des candidatures. Par exemple, un certain nombre de lettres de recommandation fortement genrées n’ont délibérément pas été prises en compte. La section 41 a par ailleurs toujours tenu à garder la question de l’excellence scientifique à la première place des débats.

Cette situation déséquilibrée ne doit néanmoins pas occulter que l’on ne peut pas faire porter au comité national la responsabilité de la faible présence féminine dans les candidatures, et donc parmi les lauréat.e.s (ce phénomène s’inscrit dans des mécanismes complexes apparaissant dès le lycée et mettant en compte des comportements psycho-sociaux complexes qu’il nous faut combattre à tous les niveaux) et la section 41 s’engage dans ce travail à son niveau. Certains choses doivent être réellement prise en amont. On trouve par exemple dans le même texte publié dans la gazette des mathématiques, une étude concernant la sous-représentation des filles en sciences dans les écoles normales supérieures. Comme mentionné dans le texte, “l’étude menée par Rozenn Texier-Picard (Maîtresse de conférences à l’ENS) s’intéressent aux différences entre le taux de filles parmi les candidat.e.s au concours et ce même taux parmi les admissibles et les classés. Les effectifs des admis, bien trop faibles pour être statistiquement significatifs, sont moins considérés. De 2014 à 2017, pour 17 % de candidates, on ne compte que 9 % de filles admissibles, avec un même chiffre pour les classées. Il serait utile de s’interroger sur les compétences validées par le concours. Il faudrait également sensibiliser en amont les enseignant.e.s du secondaire ainsi que les inspecteurs et inspectrices. La section 41 encourage les candidatures femmes sur les postes mis au concours de chercheur.e.s CNRS que ce soit chargé.e de recherche ou Directeur.trice de recherche et assure une bienveillance sur la base d’excellence scientifique.

C. Développement de la science ouverte

La question de l’accès sans entraves aux publications est depuis longtemps un sujet de préoccupation important pour les mathématicien.ne.s. La forte dépendance envers une poignée de grands éditeurs commerciaux, qui possèdent de nombreuses revues mathématiques dont certaines des plus prestigieuses, semble impliquer des dépenses sans cesse croissantes sans rapport avec la qualité des services rendus. Après une longue période sans grands changements, la situation semble évoluer rapidement et plusieurs réactions envers cette situation se sont produites durant les dernières années.

Les dépots de pré-publications en accès libre, essentiellement arXiv et Hal, sont depuis longtemps largement utilisés par la communauté mathématique, qui a été l’une des premières à s’en emparer. Leur utilisation systématique fait actuellement l’objet de fortes incitations, dans le cadre d’une volonté politique affirmée de pousser vers l’accès ouvert. Ils permettent d’assurer de facto une indépendance forte vis-à-vis des éditeurs commerciaux.

Par ailleurs, la situation change rapidement en ce qui concerne les revues, avec l’émergence de plus en plus de journaux libres et gratuits. Plusieurs revues existantes ont décidé de passer à un accès ouvert complet, dont Acta Mathematica. En France, une excellente initiative du CNRS, la création du centre Mersenne vise à faciliter la transition des revues qui le souhaitent vers ce modèle de publication. C’est notamment le cas des Annales de l’Institut Fourier (depuis 2015), et d’autres revues devraient bientôt suivre. C’est aussi dans ce cadre que la revue « Algebraic Combinatorics » a été lancée avec succès, pour remplacer une revue payante. Plusieurs nouveaux journaux en accès ouvert ont été lancés : on peut citer la re-création du Journal de l’École Polytechnique, les annales Henri Lebesgue, les revues Epiga, Discrete Analysis et Advances in Combinatorics.

Un autre modèle de publication est aussi proposé par les éditeurs commerciaux : le modèle auteur-payeur, où les articles sont en accès libre, mais des frais sont demandés à l’auteur. Plusieurs journaux de ce type ont été lancés récemment sous l’impulsion de mathématiciens, comme Forum of Mathematics. Ce mode de fonctionnement reste très controversé en mathématiques, alors que d’autres disciplines y sont habituées. Plusieurs aspects potentiellement délétères de ce modèle auteur-payeur doivent pousser à une grande vigilance.

Le paysage de la documentation mathématique est donc en plein changement. De nombreux mathématiciens sont impliqués dans les initiatives en faveur de l’accès ouvert, et la communauté est globalement attentive à l’évolution du système de publications.