Rapport de conjoncture 2019

Section 37 Économie et gestion

Composition de la Section

Claude Diebolt (président de Section), Vincent Merlin (secrétaire scientifique), Luc Arrondel, Catherine Bobtcheff, Ai-Thu Dang, Sébastien David, Nicolas Debarsy, Nathalie Etchart Vincent, Alban Fournier, Cecilia Garcia-Penalosa, Raphaël Giraud, Fanny Henriet, Oliver L’Haridon, Yves Levant, Jonathan Maurice, Mai-Anh Ngo, Béatrice Parguel, Béatrice Rey-Fournier, Antoine Terracol, Dominque Torre.

Résumé

Le rapport de conjoncture de la Section 37 – Économie et Gestion – du CNRS est le fruit d’une enquête réalisée auprès des Unités de Recherche relevant de son périmètre scientifique. Ce choix n’est pas anodin. Il vise à proposer un regard éclairé, nourri des expériences et des intuitions propres à notre communauté scientifique. Nécessairement synthétique et réducteur, ce rapport tient compte des contingences du passé (institutionnelles, financières et humaines), déjà pointées dans plusieurs rapports de conjoncture précédents. Il porte sur les UMR, ces organes vitaux en charge de la production de la connaissance en France. Ce faisant, il traite des principales thématiques de recherche et retranscrit la perception des UMR quant au rôle du CNRS dans le paysage de la recherche internationale en économie et en gestion. Il vise à suggérer des pistes de réflexion sur l’évolution de la recherche en économie-gestion au niveau hexagonal et mondial pour les prochaines années. Il met en lumière les forces et les faiblesses de la recherche publique française dans ce contexte, les principaux enjeux et les moyens d’y faire face. Les thématiques montantes, descendantes, orphelines et émergentes en économie-gestion, positionnées selon les orientations stratégiques affichées par l’Institut des Sciences Humaines et Sociales (InSHS) du CNRS y sont également analysées : modélisation/quantification, internationalisation, genre et études aréales.

Introduction

L’année 2019 marque le 80e anniversaire du CNRS. Ce rapport de conjoncture s’inscrit dans cette dynamique.

Au cours des décennies passées, la recherche en économie et en gestion au CNRS a connu de nombreuses transformations, une mutation pour certains, un changement de paradigme pour d’autres, une internationalisation, une professionnalisation et une entrée revendiquée dans l’interdisciplinarité en tout état de cause. Ce rapport fait le constat que cette lame de fond a eu des répercussions majeures, plus ou moins bénéfiques, pour la recherche et les unités de recherche relevant de la Section 37 du CNRS.

La démographie de la Section 37, par exemple, se caractérise par une baisse régulière du nombre de ses chercheurs. Le Bilan Social 2017 du CNRS dénombre ainsi 168 chercheurs permanents, contre 207 au début des années 2000, ce qui représente une baisse de 19 % de son effectif sur la période considérée. En termes de parité, l’effectif de chercheurs affiche 31,5 % de femmes en 2017, avec une proportion de 41 % en Chargés de Recherche et 22,9 % en Directeurs de Recherche. L’âge moyen des chercheurs est de 46,6 ans. 22 % des chercheurs ont plus de 55 ans.

Malgré une démographie peu rassurante, l’économie et la gestion au CNRS ont su pérenniser une véritable trajectoire internationale de leur activité. Au niveau des productions scientifiques tout d’abord, mais également au niveau du marché du travail. En ce qui concerne les productions scientifiques, les travaux de recherche français sont généralement (mais pas exclusivement) rédigés en langue anglaise et à ce titre font désormais partie intégrante de l’espace de la production internationale en économie et en gestion, et ce tant au niveau européen qu’à l’échelle mondiale. Les séjours à l’étranger, la participation à des colloques ou encore les co-publications témoignent également, à leur manière, d’une dynamique internationale de premier plan.

À l’instar des productions scientifiques, le marché du travail français de la recherche en économie et en gestion poursuit son parcours vers une internationalisation croissante. Qui plus est, de nombreux chercheurs français optent désormais pour des mobilités plus ou moins longues à l’étranger, voire pour des carrières dans des universités ou des organismes scientifiques étrangers. Pour ce qui est des doctorants, il apparaît que, en économie au moins, un séjour postdoctoral à l’étranger s’impose telle une norme avant toute candidature sur un emploi stable en France et/ou à l’étranger. De même, la fréquentation des « jobs markets » internationaux en économie devient également un « must » pour intégrer durablement la discipline. De façon symétrique, les laboratoires français accueillent de plus en plus de post-doctorants étrangers, mais aussi des professeurs et des chercheurs invités. La Section 37 note par ailleurs un nombre de plus en plus important (de l’ordre d’un tiers) de candidatures étrangères et de recrutements de jeunes chercheurs étrangers sur les postes de chargés de recherche mis au concours.

Sur le plan institutionnel, l’économie et la gestion au CNRS demeurent tributaires des choix et des contraintes budgétaires du passé. Si ces derniers ne sont pas spécifiques à l’économie ou à la gestion, ils contribuent toutefois à modifier en profondeur le paysage de la recherche. Ces choix participent, à leur manière, à l’asymétrie qui caractérise le paysage national de la recherche en économie-gestion et au phénomène, déjà soulevé par la mandature précédente, des « UMR en péril démographique » de chercheurs CNRS.

Par voie de conséquence, le marché du travail est désormais particulièrement concurrentiel et ceci tant sur le plan international que sur le plan national. Outre la mise en place de partenariats public-privé, la capacité à « attirer » et « garder » les meilleurs potentiels est devenue le mot d’ordre dans les laboratoires relevant de la Section 37. Cette concurrence s’accompagne de plus en plus souvent de la nécessité de proposer des conditions salariales qui soient compétitives au regard de celles qui ont notamment cours dans les universités anglo-saxonnes. Elle s’exprime également chez les chercheurs et enseignants-chercheurs en poste, chez qui elle justifie la recherche de plus en plus courante de compléments de revenus face à un risque évoqué de fuite des cerveaux. Ces cumuls de revenus peuvent relever d’une démarche individuelle, via l’affiliation complémentaire à une école de commerce, la prise de poste dans une université étrangère ou une activité de consulting notamment. Ils peuvent aussi prendre une forme plus institutionnalisée, comme l’attribution de compléments salariaux systématiques dans certains grands pôles de recherche, notamment ceux adossés aux grandes écoles de commerce ou d’ingénieurs.

Les sciences de gestion participent, avec les sciences économiques, au secteur disciplinaire de la section 37 du CNRS, alors qu’elles relèvent d’une section CNU distincte. Plus que jamais sans doute, une réflexion quant à la place des sciences de gestion au CNRS s’impose, au vu de la faible proportion de gestionnaires, candidats et recrutés, parmi les chargés de recherche CNRS au cours des dernières années (une seule gestionnaire recrutée lors de la mandature en cours, trois sur les six derniers concours). Comme l’économie, les sciences de gestion rassemblent des travaux relatifs à des thématiques variées, fondés sur une pluralité d’approches et de méthodes, aux finalités et aux implications multiples (théoriques, sociétales, managériales, méthodologiques). Tout comme pour les approches non-standard en économie, il paraît difficile d’évaluer de la même manière l’ensemble de ces approches, sans pour autant n’en pénaliser aucune. Enfin, les travaux de gestion conduits dans les UMR CNRS présentent des spécificités par rapport à ceux menés dans les écoles de commerce : parce qu’elles sont davantage tributaires des classements internationaux, ces dernières sont également davantage susceptibles de privilégier des travaux à publication rapide, au détriment de démarches de plus long terme telles que celles fondées sur des enquêtes de terrain approfondies, la construction de bases de données originales, le recours à des méthodes qualitatives, la pratique d’une interdisciplinarité intégrant les autres humaines et sciences sociales et/ou les sciences exactes.

Conscients de cette diversité de contextes et d’approches au sein de la section 37, il nous a paru essentiel de prendre appui sur ces acteurs majeurs de la recherche française en économie et en gestion que sont les Unités Mixtes de Recherche (UMR) pour construire le présent rapport de conjoncture. Nous avons ainsi élaboré et adressé un questionnaire aux 31 UMR relevant à titre principal et secondaire de la Section 37. Nous en avons réceptionné 21. Notons ici que les spécificités historiques, géographiques, institutionnelles et thématiques propres à chaque UMR ont rendu le travail de généralisation et de synthèse certes stimulant, mais également délicat. Ainsi, ce rapport de conjoncture présente les principales thématiques de recherche et retranscrit la perception qu’ont les UMR du rôle du CNRS dans le paysage de la recherche internationale en économie et en gestion. Il vise à suggérer des pistes de réflexion sur l’évolution du paysage de la recherche en économie-gestion au niveau national et mondial pour les prochaines années, les forces et les faiblesses de la recherche publique française dans ce contexte, les principaux enjeux et moyens d’y faire face, et enfin les thématiques montantes, descendantes, orphelines et émergentes en économie-gestion.

I. Les Unités Mixtes de Recherche

Notre échantillon révèle que le nombre de chercheurs CNRS (Chargés de Recherche et Directeurs de Recherche, émérites inclus) par unité varie de 0 à 15, avec une moyenne légèrement supérieure à 5. Huit UMR ont moins de 5 chercheurs CNRS. Une seule unité n’a pas de chercheur CNRS. La concentration des chercheurs en région parisienne et l’attractivité des unités de recherche franciliennes demeurent importantes mais, à ce jour, ne met pas (encore) en péril la présence de laboratoires de renom en province (Bordeaux, Lyon, Marseille, Rennes, Strasbourg, Toulouse…). Quant au ratio « effectif total des chercheurs CNRS rapporté à l’effectif total des chercheurs et enseignants-chercheurs », il est inférieur à 2 % dans notre échantillon. Il culmine cependant autour de 17-18 % dans les 3 unités qui totalisent le plus de chercheurs CNRS dans leur effectif.

Dans notre échantillon, le nombre d’ITA CNRS est quant à lui fortement corrélé au nombre de chercheurs CNRS présents. La moyenne est de 4 ITA par unité, mais ce chiffre varie entre 1 et 10 selon les unités. Enfin, le nombre de doctorants par unité varie de 19 à 122, avec une moyenne de 71 (calculée uniquement à partir des informations fournies par les 17 unités qui ont renseigné cet item). Au sein de notre échantillon, 14 UMR couvrent des thématiques relevant uniquement du champ de l’économie, tandis que les autres UMR développent des activités dans les deux champs de spécialité (économie et gestion) et que certaines y associent également des thématiques relevant du droit, de la sociologie, des sciences politiques, de la philosophie ou encore des sciences de l’information. En somme, il est frappant de constater à quel point les UMR soutenues par le CNRS en économie-gestion se trouvent dans des situations contrastées. Il n’existe pas un seul modèle d’UMR, ni même un nombre réduit de modèles d’UMR : c’est la singularité qui domine, conséquence de l’histoire spécifique de chacune d’entre elles et/ou d’un environnement géographique et institutionnel propre.

Au-delà de leurs spécificités, les UMR de la section 37 ont pour caractéristique commune d’être organisées scientifiquement autour d’axes de recherche. Partant de ces axes, nous avons cherché à identifier les principaux mots-clefs qui y sont associés, puis nous avons procédé à des regroupements qui ont abouti à la caractérisation de 8 grands champs thématiques. Ces thématiques sont les suivantes (par ordre alphabétique) : Comportements et Décision ; Économie Publique ; Environnement, Espace et Développement Durable ; Histoire et Philosophie ; Innovation ; Macroéconomie, Économie Internationale et Économie du Développement ; Monnaie, Banque et Finance ; Organisations. Chacune de ces thématiques rassemble des approches plurielles et des méthodes qui vont des plus quantitatives et formalisées (modélisation, économétrie) aux plus qualitatives (enquêtes, entretiens, archives), en passant par des approches expérimentales, institutionnalistes ou computationnelles.

A. Comportement et Décision

L’économie comportementale et la théorie de la décision constituent une thématique très importante de notre échantillon d’UMR. Elles figurent parmi les axes principaux depuis l’origine et continuent à être bien représentées grâce à une politique scientifique de recrutement conséquente dans ces laboratoires. L’analyse des comportements et des décisions entretient des liens privilégiés avec différents domaines en économie – non seulement avec l’économie expérimentale (via les expériences de laboratoire et de terrain), mais aussi avec l’économie publique (en lien avec les politiques environnementales notamment) et la théorie des jeux et du choix social. En outre, on peut souligner le rôle, transversal à l’ensemble de ces travaux, joué par la modélisation mathématique et la reconnaissance de formes élargies de rationalité. On notera également des liens naturels avec la gestion (et, plus particulièrement, avec l’étude du comportement du consommateur en marketing et la recherche opérationnelle), la psychologie, la psychophysiologie, la sociologie, les neurosciences ou encore les sciences politiques.

Dans le domaine de l’économie expérimentale, les thèmes abordés relèvent, entre autres et sans exhaustivité, de l’économie du travail (genre et concurrence, incitations et effets de pairs, favoritisme), de la finance (comportements spéculatifs), de l’économie de la santé (préférences des patients, prise de décision, impact de la fatigue), de l’étude du design de marchés et de mécanismes (enchères, tarification, mécanismes d’appariement), de la neuro-économie (comportements pro- et anti-sociaux, émotions et apprentissage), de l’économie publique et du bien-être (fraude fiscale, tricherie, genèse des normes sociales), de l’étude des réseaux sociaux (transmission d’informations, influence) ou encore du marketing (promotion de modes de consommation durables). On soulignera ici que plusieurs UMR sont reconnues comme faisant partie des laboratoires initiateurs de l’économie expérimentale en France et qu’elles disposent d’une véritable reconnaissance internationale.

Dans le domaine de la décision, les travaux menés en théorie de la décision proprement dite articulent contributions théoriques et empiriques (expérimentales notamment), tandis que d’autres travaux se consacrent aux applications de la décision à l’économie, à la finance et aux sciences sociales. Notons que plusieurs laboratoires du CNRS ont une réputation internationale incontestable dans ce champ.

Un autre domaine d’étude, connexe à la théorie de la décision et présent de manière importante dans plusieurs UMR, est celui de la théorie des jeux (coopératifs et stratégiques), des interactions et des réseaux. Ici encore, on trouve une grande variété de thèmes abordés, qui vont de l’analyse du rôle joué par l’information et la communication à la modélisation des comportements et des interactions économiques entre les agents, en passant par l’étude de la dynamique et de l’impact des réseaux économiques et sociaux sur les performances économiques. Là encore, les travaux théoriques s’articulent à des approches empiriques, en particulier expérimentales.

Fortement reliée à la théorie du choix social, l’analyse des comportements et de la décision a également pour objectifs le développement et l’application des résultats obtenus en théorie des jeux, en théorie des choix collectifs et en théorie du bien-être aux domaines de la santé et de l’organisation industrielle. De même, de nouvelles thématiques émergent en économie publique et en marketing, en lien avec des questions sociétales actuelles telles que les inégalités et les discriminations, l’environnement, la consommation, l’éducation et l’emploi, la santé.

Enfin, on soulignera le développement des outils algorithmiques liés à la décision : théorie algorithmique des jeux, théorie algorithmique de la décision et choix social computationnel. Ces nouvelles thématiques sont au croisement de l’informatique, de l’économie et de la gestion. Elles témoignent, à leur manière, de l’interdisciplinarité croissante de la recherche en économie.

B. Économie Publique

L’économie publique développée au sein des UMR de notre échantillon se caractérise par son rapprochement avec ce que les anglo-saxons nomment Political Economy et qui consiste en une meilleure intégration des problématiques institutionnelles aux domaines d’études traditionnels tels que la fiscalité, la santé, l’éducation, les transports, les politiques urbaines, etc. L’économie publique moderne touche ainsi à la science politique, à l’histoire, au droit et elle est désormais marquée par une ouverture méthodologique croissante. Cette tendance s’est notamment matérialisée dans l’explosion au cours de la dernière décennie des travaux consacrés à l’évaluation des politiques publiques. Cette évolution engendre une réorientation des intérêts du champ vers des travaux de nature plus empirique, et crée également une interface forte entre la recherche académique et la décision publique. L’intérêt croissant pour les travaux de cette nature conduit, par ailleurs, à un renouvellement profond des méthodes d’investigation empirique elles-mêmes, à travers notamment la réalisation d’expériences de terrain. L’émergence des travaux d’évaluation des politiques publiques est une donnée forte et structurante de l’évolution de la recherche dans les laboratoires CNRS. Les UMR interrogées considèrent que la tradition française « quantitative et formalisée » constitue un avantage comparatif, pour peu qu’elle soit aussi mise au service de l’analyse empirique. Dans la mesure où il s’agit d’un domaine de plus en plus en prise avec l’actualité, l’accent mis depuis plusieurs années sur la recherche fondamentale dans les recrutements opérés par le CNRS est cité par les directeurs d’unité comme un élément de souplesse des programmes de recherche développés, favorable à l’adaptation de ce champ de recherche aux évolutions sociétales.

C. Environnement, Espace et Développement Durable

Toutes les UMR relevant de la section 37 mènent des travaux sur ces thèmes, ce qui confirme la tendance évoquée dans les rapports de conjoncture passés. Plusieurs UMR placent un ou plusieurs de ces thèmes au centre de leur activité. Pour d’autres, ces thèmes (ou l’un d’entre eux) constituent un axe ou un sous-axe affiché. En économie, certaines UMR mènent depuis longtemps des recherches importantes en environnement, tandis que pour d’autres, en particulier les UMR de gestion, il s’agit de thèmes relativement nouveaux. Les approches sont très diverses : modèles mathématiques micro ou macroéconomiques, formels ou numériques, économétrie, modèles multi-agents appliqués à l’environnement, études de cas. Il en est de même des questions traitées : changement climatique (impacts, adaptation et atténuation) ; écosystèmes et biodiversité ; ressources renouvelables (eau, forêts, poissons…). Le même constat prévaut quant aux domaines géographiques abordés, qui vont du niveau mondial à celui du pays. Plusieurs UMR souhaitent investir davantage les thèmes de l’environnement et du développement durable, notamment dans le cadre de travaux interdisciplinaires menés conjointement avec des chercheurs en sciences de la nature, ainsi qu’en informatique, algorithmique ou mathématique appliquée, et/ou avec des chercheurs issus d’autres sciences humaines et sociales. Les unités travaillant sur la dimension spatiale soulignent leur volonté de s’intéresser davantage encore aux enjeux de la mobilité et des processus migratoires, et suggèrent elles aussi l’utilité d’un renforcement des projets interdisciplinaires dans leurs thématiques. À l’échelle internationale, le CNRS est placé de manière unique pour soutenir ces travaux interdisciplinaires, de par la qualité de sa recherche et sa couverture globale des disciplines.

D. Histoire et Philosophie

Cette thématique couvre des recherches à l’intersection entre les sciences économiques, les sciences de gestion et d’autres disciplines en sciences humaines et sociales. On peut distinguer trois sous-ensembles qui se recoupent : l’histoire économique et la business history (HE), l’histoire de la pensée économique et de gestion (HPE), et la philosophie économique (PE).

Du fait de leurs interactions à la fois avec la philosophie et l’histoire, l’histoire économique et l’histoire de la pensée économique sont au cœur de ce champ. Elles se caractérisent par la convergence et l’enrichissement croisé de deux formes de recherches. Les premières développent l’édition scientifique d’auteurs de référence. Les secondes mobilisent l’HPE pour situer et comprendre l’origine des travaux théoriques actuels et pour mieux penser leur ancrage historique et leurs présupposés. Quant à la philosophie économique, elle recouvre à la fois des interrogations de type épistémologique portant sur la méthodologie des sciences économiques (que ce soit en questionnant la nature et le rôle des modèles ou en discutant d’autres méthodes non exclusivement déductives et d’autres critères de validité par exemple) et des questionnements en lien avec les théories de la justice. En HPE, nous remarquons que le type de recherches menées en France dans les centres de recherche en économie relève, dans d’autres pays européens et nord-américains, plutôt des départements de philosophie ou de sciences politiques. En HE, la recherche en sciences économiques est désormais cliométrique, associant l’histoire, la théorie économique et les statistiques/l’économétrie. En science de gestion, l’HE est souvent proche de la business history avec un ancrage théorique et quantitatif moins prononcé. Ces thèmes de recherche sont présents de façon plus ou moins explicite dans la plupart des unités rattachées à la section 37. Ils le sont en tant qu’axe de recherche dans plus du tiers des unités analysées, parfois en lien étroit avec les questions de théorie économique.

E. Innovations

Quelles que soient leur taille, leur localisation, leur discipline de rattachement (économie ou gestion), toutes les UMR de notre échantillon utilisent dans la description de leurs axes structurants le terme innovation. Les laboratoires mettent en avant le fait qu’un renouvellement des problématiques a été rendu possible grâce à des investissements de nature méthodologique dans divers outils : théorie des jeux, théorie des réseaux, micro-économétrie sur données de firmes et de brevets, économie expérimentale, économie comportementale, économie de la complexité, etc.

La séparation entre des approches formalisées et normatives, plutôt positionnées sur des problématiques de concurrence imparfaite, et une économie industrielle « à la française » plus ancienne, descriptive et inductive, semble appartenir au passé. Au fil des ans, les fondements d’une économie industrielle moderne se sont enrichis, à la fois de nouvelles approches théoriques (néo-institutionnalisme, théorie des organisations, approches spatiales, externalités, réseaux, théorie de la connaissance, approches interactionnistes…) et de nouveaux outils méthodologiques (économétrie et économétrie spatiale, théorie des jeux, approches évolutionnistes, modèles multi-agents…). Ce sont désormais les acquis d’une communauté scientifique fortement internationalisée dans laquelle les chercheurs français sont de mieux en mieux intégrés. Par ailleurs, la recherche sur le thème apparaît transversale à l’économie et à la gestion (notamment en ce qui concerne la gouvernance d’entreprise et l’entrepreneuriat) ; c’est un domaine de recherche « ouvert » qui fait se confronter des approches différentes et qui s’enrichit de cette différence. Elle est bien aujourd’hui à l’interface d’un grand nombre de champs, tels que l’environnement, les comportements et décisions, les organisations et institutions, l’économie et le droit, l’économie géographique, les politiques économiques. Elle utilise des méthodes diverses mais complémentaires, qui permettent de faire avancer la connaissance. Certains développements du champ (systèmes complexes, éconophysique) requièrent également une pluridisciplinarité, voire une interdisciplinarité, inter-Instituts (physique, informatique, écologie), donc au-delà des SHS.

F. Macroéconomie, Économie Internationnale et du Développement

Les travaux en macroéconomie et économie internationale demeurent au cœur des travaux de nombreuses UMR. Le recours à des méthodes très diverses, comme l’économétrie (séries temporelles, données de panel, structurelles, spatiales), la modélisation, les techniques de simulation, la théorie des jeux, la modélisation dite DSGE (Dynamic Stochastic General Equilibrium Models) avec l’incorporation récente du secteur bancaire, l’utilisation croissante des modèles à base d’agents ou encore, notamment en économie du développement, les approches expérimentales et d’analyse d’impact, témoignent de la dynamique de ces champs thématiques.

Dans le domaine de l’analyse des fluctuations et de la croissance, les travaux intègrent de plus en plus les interdépendances macroéconomiques et financières afin de mieux comprendre les cycles économiques et financiers et d’étudier la transmission des cycles au sein des économies ouvertes et financiarisées. Une part croissante des recherches porte sur les impacts macroéconomiques des fluctuations des prix des matières premières et de l’énergie ; l’objectif étant de parvenir à une meilleure compréhension des mécanismes de transmission entre les différents déséquilibres macroéconomiques afin d’en déduire des recommandations en termes de politique économique. S’insérant dans une optique d’analyse des équilibres de long terme, des travaux se sont récemment orientés vers les questions de développement durable et de macroéconomie sous contrainte environnementale, ainsi que vers les enjeux environnementaux des questions commerciales. Des approches pluridisciplinaires et interdisciplinaires sont ici fréquemment retenues, au travers de collaborations avec des biologistes, climatologues, mathématiciens, physiciens, psychologues et sociologues. Les travaux plus traditionnels en macroéconomie théorique sont naturellement poursuivis et approfondis, avec le souci accru de rendre la théorie plus réaliste en introduisant divers éléments comme les générations d’agents, les hétérogénéités entre agents, les contraintes de crédit, l’incomplétude des marchés ou encore les rigidités nominales. Les travaux dans le domaine de l’économie géographique et du commerce international occupent également une place centrale. Concernant l’économie géographique, les recherches ont trait à la localisation des activités économiques, à l’évaluation des effets d’agglomération et à celle des coûts de transport notamment. S’agissant du commerce international et de la mondialisation, les travaux portent sur des thèmes divers relatifs aussi bien à l’intégration des marchés et de la production, aux politiques commerciales (non tarifaires) et aux accords commerciaux régionaux ou globaux qu’aux liens entre commerce et sécurité internationale ou à la cohérence des politiques d’aide. Les recherches en économie du développement se caractérisent de plus en plus par une double dimension, macroéconomique et microéconomique à la fois. Les thèmes traités portent ainsi, notamment, sur la dynamique des inégalités, les migrations internationales et les questions associées (transferts de fonds des migrants et mobilité du travail par exemple), l’économie politique des institutions et du développement, les nouvelles formes d’intégration internationale des PED.

G. Monnaie, Banque, Finance

Ces thématiques de recherche sont traditionnellement très présentes au sein des UMR du CNRS. Les méthodologies à l’œuvre vont de l’économie mathématique et de l’économétrie appliquée (dans le champ de la finance de marché notamment), à des approches plus institutionnelles, singulièrement en économie bancaire et en macroéconomie financière. La finance d’entreprise fait appel à ces mêmes compétences, mais elle recourt aussi aux méthodologies de l’analyse et de la gestion comptable et financière. L’économie expérimentale et la simulation numérique sont désormais de plus en plus sollicitées. Le champ de la finance de marché est celui où la présence des publications issues de laboratoires du CNRS reste la plus forte au niveau international. Les préoccupations classiques de la finance théorique (détermination des prix d’actifs, choix de portefeuille, information, incertitude, pricing des produits dérivés, innovations financières…) sont toujours fortement représentées. Sollicités par l’actualité de la dernière décennie, des objets nouveaux apparaissent aussi davantage tournés vers les propriétés du marché ou de certains de ses segments (l’analyse des contextes d’illiquidité, du changement des microstructures, de la découverte des prix, des processus de contagion financière…). Le domaine de recherche relatif à l’économie bancaire connaît, lui aussi, une vigueur nouvelle liée aux crises récentes. Il se développe souvent dans des unités auparavant davantage tournées vers la macroéconomie financière ou l’analyse de la politique monétaire. Le risque de crédit, la titrisation, les régulations micro et macro-prudentielles en sont désormais les thèmes principaux, ce qui n’exclut pas le développement de travaux autour des enjeux de la liquidité bancaire et de la contagion des crises bancaires. Les recherches en finance d’entreprise, quant à elles, s’intéressent à la gouvernance d’entreprise comme aux financements non-bancaires. En outre, en écho aux crises financières récentes, la structure de la dette continue de faire l’objet de nombreux travaux. Le champ de la macroéconomie financière, enfin, articule les différents éléments de l’activité monétaire et financière dans une analyse des composantes financières de la globalisation des économies. Les interdépendances entre marchés et institutions, entre économies nationales, entre sphères financière et réelle font ainsi l’objet d’une attention particulière. Enfin, les chercheurs s’efforcent également de mieux comprendre l’origine et la propagation des crises financières sur un plan macroéconomique et international.

H. Organisations

Cette thématique couvre l’ensemble des recherches en sciences de gestion, à l’exception de certaines spécificités propres à la finance et au marketing. Développées dans plusieurs UMR, ces recherches prennent différentes formes. Elles sont conduites au sein d’axes thématiques classiques tels que les ressources humaines, la comptabilité ou les systèmes d’information. En grande majorité, les unités pensent leurs travaux en termes d’axes transversaux : bien-être et santé au travail, management de l’innovation, gestion des connaissances et compétences collectives, dynamique des organisations et nouveaux modes de management, créativité organisationnelle et sociétale, gouvernance des nouvelles formes d’organisation, etc. Ces axes affichent souvent l’ambition d’un impact sociétal, à l’image du management de l’innovation (qui concerne notamment les usages d’Internet), des nouvelles formes organisationnelles (telles que les réseaux et l’entrepreneuriat), des nouvelles formes de relations marchés-organisations (qui soulèvent par exemple la question du type d’informations financières divulguées) ou de la gestion des risques. L’ensemble de ces axes affichent une forte interdisciplinarité, avec la sociologie et/ou la psychologie par exemple.

II. Le rôle du CNRS vu par les UMR

Les UMR rattachées à la section 37 considèrent que, dans le domaine des sciences économiques et des sciences de gestion, le CNRS joue un rôle essentiel dans l’animation et la production de la recherche en France. C’est d’abord la qualité de ses chercheurs qui est plébiscitée. Leur capacité d’animation des UMR dont ils constituent un élément moteur est soulignée par l’ensemble des équipes, ne serait-ce que pour regretter leur faible nombre quand il s’agit d’équipes de petite taille ou aux effectifs déséquilibrés. Ces chercheurs constituent une véritable force de frappe de la recherche française : même si certains laboratoires regrettent de ne pas pouvoir participer de plus près à « leur » recrutement, personne ne conteste que le recrutement centralisé et de haut niveau dont ils font l’objet contribue à la haute qualité moyenne de leur effectif. Certains laboratoires déplorent des niveaux de rémunération insuffisants par rapport aux standards internationaux et susceptibles de conduire au départ de certains chercheurs. Ils estiment également que le temps passé en démarches administratives est trop important, qualifiant même certaines tâches (RIBAC, documents demandés pour les évaluations à vague et mi vague notamment) d’inutiles. Les possibilités de passages CR-DR2, puis DR2-DR1, et enfin DR1-DRCE sont quant à elles bien trop limitées, ce qui se traduit par un ratio DR/CR très défavorable, notamment relativement au ratio Prof/MCF. Une telle situation a pour conséquence à la fois de limiter l’attrait des carrières au CNRS et d’inciter des CR à basculer vers l’université comme professeur plutôt que de demander une promotion DR. Ceci représente donc une perte potentielle des meilleurs chercheurs pour le CNRS. Relativement à d’autres centres européens d’excellence, le CNRS est ainsi perçu comme insuffisamment attractif. Nombre de directeurs d’UMR soulignent l’existence d’un vivier (alimenté par les principales universités et grandes écoles françaises) de jeunes chercheurs très bien formés et, dès lors, regrettent le nombre bien trop faible de postes de recherche à plein temps offerts par le CNRS, organisme de recherche de pointe pourtant (assez) unique au monde.

Les ITA CNRS sont très appréciés dans les UMR, qui soulignent leurs compétences et leur professionnalisme. Dans de nombreux cas aussi, les laboratoires trouvent leur nombre insuffisant et se sentent handicapés par le non-remplacement systématique des collègues faisant valoir leurs droits à la retraite. Ces moyens en diminution compliquent l’organisation des tâches et la gestion des ressources humaines au sein des unités. Aggravées par la lenteur démotivante des évolutions de carrière, ces fontes d’effectifs se soldent souvent par la perte de compétences essentielles dans les domaines de l’administration de la recherche et du soutien aux chercheurs.

L’aide financière du CNRS est appréciée comme complément à d’autres sources de financement, mais elle n’est pas toujours considérée comme essentielle : elle est parfois perçue comme modeste, voire dérisoire au regard des ressources totales et surtout des dépenses des équipes. Le label apporté par le CNRS est davantage apprécié, surtout en province, mais aussi chaque fois qu’une unité se trouve confrontée à la recherche de moyens complémentaires, candidate à des appels d’offres ou participe à d’autres confrontations avec des partenaires non labellisés. Ce label semble avoir moins d’importance sur le plan international où d’autres logiques priment.

La politique scientifique du CNRS n’est quasiment pas citée : quand elle l’est, c’est plutôt négativement. Si chacun semble s’accorder pour constater la faiblesse des orientations scientifiques données par le CNRS, il n’y a pas vraiment de consensus sur la forme que devrait prendre cette politique si elle s’affirmait plus clairement. Plusieurs thèmes ressortent, portés par des équipes aux caractéristiques différentes. Citons par exemple le souhait de voir le CNRS défendre davantage l’interdisciplinarité. Il pourrait s’agir par exemple de réunir en certains lieux des compétences différentes autour d’un objet, plutôt que de privilégier des configurations de laboratoires associant des compétences voisines, dans la recherche d’un renforcement des domaines de spécialisation. Certaines unités – parfois les mêmes – souhaiteraient voir le CNRS donner plus de moyens aux sciences de gestion. Dans d’autres cas, les laboratoires peuvent souhaiter une aide plus sélective aux unités susceptibles d’occuper les premiers rangs dans leur champ sur le plan européen et international. Les uns plaident pour davantage de sélectivité (teintée d’élitisme) voire d’incitations financières, les autres pour moins de cloisonnement disciplinaire et davantage de pluralisme méthodologique.

Soulignée plus haut dans ce rapport, l’hétérogénéité des UMR a une incidence sur la perception du CNRS par les équipes. Les plus grosses unités trouvent souvent le CNRS trop centralisé ou bureaucratique dans ses procédures ; certaines voudraient choisir leurs chercheurs, maîtriser leur promotion et le niveau de leurs incitations. Les plus grosses unités regrettent parfois le saupoudrage des moyens quand les plus petites pointent au contraire du doigt la concentration de ces mêmes moyens dans un petit nombre d’équipes localisées dans de grands pôles de recherche parisiens ou provinciaux. Les provinciaux trouvent généralement que Paris draine l’essentiel des moyens, mais en réalité l’hétérogénéité existe autant entre UMR de Province qu’entre UMR franciliennes.

De manière générale, beaucoup d’UMR perçoivent le CNRS comme une agence de moyens plutôt que comme un opérateur de recherche. Quoi qu’il en soit, nombre de directeurs ou de directrices d’UMR considèrent que, via le CNRS, la recherche française s’est développée en qualité et en visibilité. Si les pratiques d’évaluation ont stimulé ce développement, elles ont aussi engendré des dérives : prime à certains types de travaux avec risque d’uniformisation, prime à la complexité, surenchère quantitative à la publication (duplication sans véritable innovation). En outre, la formation à la recherche souffre de véritables inégalités liées aux différences de moyens selon les laboratoires, en même temps que de déséquilibres thématiques. Depuis plusieurs années, on observe par exemple un « déficit » en docteurs spécialistes d’économétrie (théorique tout particulièrement). Par ailleurs une partie de la recherche française pâtit, soit de l’absence de données dans certains domaines, soit du manque de fiabilité des données existantes, soit enfin du désintérêt des supports de publication les plus prestigieux pour des recherches menées sur données françaises. Enfin, à un niveau plus systémique, la recherche française souffre d’une absence de reconnaissance dans les débats publics, et d’une faible audience auprès des décideurs politiques.

III. Quel avenir pour la recherche en économie et gestion au CNRS ?

Les directrices et directeurs d’UMR ont été interrogés sur leur vision de l’avenir de la recherche hexagonale en économie et en gestion. Leurs réponses sont étonnement unanimes compte tenu de la diversité thématique et institutionnelle de leurs unités.

Sur le plan institutionnel, tous s’accordent sur le fait que la recherche va poursuivre son mouvement d’internationalisation avec, à la clé, une mise en concurrence accrue des institutions aux niveaux national et international. Ils expriment leur inquiétude quant aux moyens dont disposeront à l’avenir les UMR pour rester compétitives. L’inquiétude porte également sur les conditions matérielles de la recherche en général : ampleur des charges administratives et d’enseignement des enseignants-chercheurs, complexité et lourdeur de l’administration de la recherche, réduction du nombre de postes de chercheurs, d’enseignants-chercheurs et d’ITA, niveau insuffisant des salaires et maigres perspectives d’évolution de carrière.

Sur le plan scientifique, deux défis se dégagent clairement. Le premier concerne la remise en cause du modèle classique de rationalité, avec la prise en compte des dimensions psychologiques, sociales et culturelles des acteurs, en économie comme en gestion. Le second concerne la nécessité de répondre à une demande sociale. Pour ce faire, la quasi-totalité des directrices et directeurs de laboratoires mettent en avant la nécessité d’une recherche interdisciplinaire, si ce n’est multidisciplinaire. Ils ne perçoivent pas de champ a priori régressif, c’est-à-dire de thématique descendante, voire orpheline, mais uniquement une nécessité de renouvellement général des différents compartiments de la discipline. Ce faisant, l’idée de sciences économiques ou de gestion isolées semble, plus que jamais, devoir s’effacer au profit d’une ouverture sur les autres sciences humaines et sociales et exactes. L’évolution vers un renforcement systématique des approches empiriques/expérimentales semble ainsi être vouée à se poursuivre de manière forte. Le recours aux apports d’autres disciplines va lui aussi continuer à se développer. La question de la relation homme-nature va également prendre plus d’importance, avec des questionnements autour de l’économie de l’environnement, de la gestion des ressources naturelles, des liens entre environnement et développement, des questions climatiques.

La question des enjeux liés à l’internationalisation des activités économiques, qu’il s’agisse de leur impact au niveau local ou des enjeux de la montée des inégalités et de la redistribution, paraît également de plus en plus prégnante. L’arrivée en masse de grands pays comme la Chine et l’Inde nécessitera également de renouveler les stratégies de recherches aréales.

L’ouverture de la microéconomie aux autres sciences humaines et sociales est également un gage de renouveau. Irrigués par les apports de l’organisation industrielle, les travaux en économie et finance internationale se renouvellent. La macroéconomie et l’histoire économique cliométrique font l’objet d’un rebond important suite à l’intérêt et aux questionnements suscités par la crise de 2007 et ses prolongements. De manière générale, l’histoire retrouve une place de choix au sein de l’économie et de la gestion.

Le management des organisations et des hommes est également perçu comme une thématique toujours actuelle, tandis que l’intelligence artificielle et l’informatique cognitive sont vues comme des thématiques montantes. Toujours en gestion, les questions relatives à la responsabilité sociale des entreprises sont en forte croissance. La quantification prend également une place de plus en plus importante : pensons par exemple au marketing quantitatif, aux big data, à la recherche opérationnelle, qui emboîtent le pas de la finance.

Dans la perspective des orientations stratégiques affichées par l’InSHS, la modélisation/quantification englobe nombre de thématiques montantes. Parmi celles-ci, l’économétrie, et notamment l’économétrie financière, est amenée à se développer, en lien avec le développement des big data et de la « science ouverte ». Un point important à souligner à ce sujet est la question de la « réplicabilité » des travaux. Cette tendance est très positive, notamment parce qu’elle permet de donner toute leur crédibilité aux travaux quantitatifs effectués.

S’agissant de l’internationalisation, le champ de l’économie internationale (au sens large) est incontestablement amené à se développer, du fait notamment de l’intégration croissante des économies, des mutations à l’œuvre au niveau mondial et de leurs enjeux commerciaux, énergétiques, migratoires et financiers. De multiples domaines sont ainsi concernés, comme la macroéconomie internationale et la finance internationale (dont relèvent les phénomènes de contagion entre économies, générateurs de déséquilibres globaux), l’économie géographique (avec notamment la question des migrations et les tentations de retour aux frontières), le commerce international (face aux tentations protectionnistes notamment), l’économie de l’énergie et de l’environnement (dont relève la question de la transition énergétique par exemple), l’économie du droit et l’économie de la concurrence (dans un contexte de forte concurrence internationale à tous les niveaux), l’économie de la santé (concernée du fait des risques sanitaires notamment).

Enfin, en ce qui concerne la priorité donnée par le CNRS aux études de genre, le sujet est indéniablement une thématique importante et montante, à la fois en économie et en gestion, en particulier à travers les questions relatives aux inégalités et aux discriminations.

Les directrices et directeurs d’UMR notent, dans leur grande majorité, que répondre à l’ensemble de ces défis est rendu difficile par un manque de coordination entre les acteurs. La quasi-totalité des responsables d’UMR soulignent le rôle essentiel que peut et doit jouer le CNRS, en particulier dans la promotion de l’interdisciplinarité. Loin de devoir se réduire à une agence de moyens, le CNRS est appelé à jouer un rôle structurant dans l’élaboration et la mise en œuvre d’une politique scientifique de long terme en collaboration avec les universités.

Conclusion

Ce rapport de conjoncture témoigne du dynamisme international de la recherche en économie-gestion en France, même si certaines difficultés relatives au recrutement, à la rémunération, à la gestion des carrières et au renouvellement des personnels, ainsi qu’aux financements et à la coordination des institutions, viennent parfois entraver l’énergie déployée par ses acteurs.

Les UMR sont les lieux privilégiés de la recherche en économie et en gestion. La remise en question de certains fondements de nos disciplines et la nécessité de pouvoir développer des programmes de recherche audacieux et innovants impose de recourir à des approches différentes (et complémentaires), voire à des méthodes issues d’autres champs disciplinaires. Le cloisonnement de nos disciplines selon des thématiques plus ou moins étanches est, pour l’essentiel, révolu. Même si le mode de fonctionnement actuel du milieu de la recherche et son environnement concurrentiel conduisent encore largement à des logiques d’hyper-spécialisation sur des questions pointues et en général très techniques, l’avenir plaide en faveur de l’ouverture intellectuelle. L’organisation encore très traditionnelle de la plupart des laboratoires en axes thématiques se double d’interactions de plus en plus fortes entre ces axes. La tendance qui se dessine peu à peu est celle d’une vision transversale aux disciplines, car fondée sur des objets de recherche, voire sur des outils. Les sciences économiques et de gestion retrouvent, ou du moins renforcent, leur identité de sciences sociales, dans le sens où elles sont appelées à trouver une nouvelle légitimité dans leur capacité à apporter des réponses à des problèmes de société. La capacité future de l’économie et de la gestion à relever ce défi avec succès dépend de leur capacité à dialoguer avec les autres sciences humaines et sociales aussi bien qu’avec les sciences exactes, et à se nourrir de ce dialogue.

Une vision moderne de l’organisation de la recherche se doit de placer l’interdisciplinarité au cœur de sa démarche, au sein des sciences humaines et sociales et au-delà vers les sciences exactes. Dans cette optique, l’interdisciplinarité ne peut pas seulement être déléguée à une poignée de CID, elle doit être portée par la section économie-gestion elle-même comme étant une stratégie majeure de régénération des cadres traditionnels de la pensée. Nombreux sont les travaux qui vont dans ce sens et il nous semble important de ne pas abandonner cette orientation aux aléas des initiatives locales. C’est le rôle du CNRS que de porter une vraie politique scientifique nationale délivrée des contraintes de sites et de contribuer à insuffler des initiatives ambitieuses aux frontières de la connaissance. C’est pourquoi nous pensons que le CNRS a un rôle important à jouer dans le secteur de l’économie-gestion, et que, contrairement à ce que sous-entendent certaines prises de position récurrentes, ce rôle ne doit certainement pas se résumer pour le CNRS à devenir une simple agence de moyens.

Si la mise en œuvre de l’interdisciplinarité est jugée prioritaire car souhaitable pour le progrès des connaissances, elle demeure peu rentable au niveau individuel (et même à celui des laboratoires). Dès lors, une refonte du système d’incitations et du fonctionnement institutionnel serait sans doute bienvenue au sein du CNRS (et de la recherche publique en général) pour opérer cette réorientation des pratiques de production scientifique. Cela suppose en particulier de redonner au CNRS son rôle de planificateur dans le domaine de la recherche publique, capable de contrecarrer les effets pervers de la concurrence internationale – et notamment l’hyperspécialisation – en offrant aux chercheurs des incitations fortes à l’interdisciplinarité.

Claude Diebolt
pour la Section 37 du CoNRS
Strasbourg, le 29 septembre 2019