Rapport de conjoncture 2019

Section 24 Physiologie, vieillissement, tumorigènese

Composition de la Section

Marc Billaud (président de Section) ; Julie Gavard (secrétaire scientifique) ; Maria-Clotilde Alves-Guerra ; Oliver Bischof ; Jean-Paul Borg ; Catherine Brenner ; Anne Cantereau ; Joëlle Cohen-Tannoudji ; Jean-Luc Collomb ; Valérie Coronas ; Olivier Cuvillier ; Bérengère Fromy ; Amandine Gautier-Stein ; Malika Hemery ; Emmanuelle Huillard ; Philippe Juin ; Alain Lacampagne ; Véronique Maguer-Satta ; Arnaud Monteil ; Carole Peyssonnaux ; Richard Tomasini.

Résumé

La description des mécanismes régulant les grandes fonctions physiologiques ainsi que l’étude de leurs perturbations au cours du vieillissement et de la tumorigenèse sont au centre des investigations conduites par les scientifiques relevant de la section 24. Derrière la diversité des processus biologiques étudiés, ces recherches ont révélé la communauté des voies de signalisation et des mécanimes physiopathologiques impliqués. Ces travaux ont une dimension fondamentale et constituent aussi un enjeu majeur en santé publique puisque les maladies non transmissibles représentent la principale cause de décès dans le monde. La section rassemble les expertises complémentaires permettant de traiter ces différents champs disciplinaires, non pas comme des secteurs séparés, mais de manière intégrée. Dans le contexte actuel de la recherche publique en France, les membres de la section adhèrent aux propositions pour la recherche élaborées par le Comité National en 2019.

Introduction

La section 24 rassemble des scientifiques travaillant dans les domaines de la physiologie, du vieillissement et de la tumorigenèse. Leurs recherches se caractérisent, avant tout, par une vision intégrative des processus biologiques. Ceux-ci sont aujourd’hui conçus en termes d’échafaudage de complexes moléculaires, de formation de structures tissulaires insérées dans leur micro-environnement et de systèmes de communication coordonnant le fonctionnement des cellules et de l’organe au sein de l’organisme.

Quoique les thématiques de la section puissent apparaître hétérogènes, elles se caractérisent, en fait, par une homogénéité sous-jacente, identifiable à plusieurs niveaux : i) une communauté des approches expérimentales multi-échelles et des modèles utilisés ; ii) une similarité dans les mécanismes physiologiques et physiopathologiques décrits ; iii) une volonté partagée d’être transdisciplinaire et intégratif dans la construction des programmes de recherche.

Ainsi, en physiologie, les mécanismes régulant l’homéostasie sont aujourd’hui étudiés dans toute l’étendue de leurs dimensions spatio-temporelles. Au niveau spatial, les recherches visent à caractériser les multiples modes de dialogue interorganites et interorganes et à établir comment ces interactions concourent à la stabilisation des entités biologiques dans un système hiérarchique allant des organites cellulaires jusqu’à l’organisme. Les régulations endocrines et nerveuses gouvernent toutes les fonctions physiologiques et sont, à ce titre, des éléments clés du contrôle de l’homéostasie. Un autre domaine de recherche, en plein essor, est celui concernant les interconnexions entre métabolisme, nutrition et microbiote intestinal. Au niveau temporel, la chronologie du renouvellement des tissus à partir des cellules souches est primordiale au cours de l’histogenèse et fait l’objet de nombreuses études, tout comme l’élucidation des bases moléculaires et cellulaires de la rythmicité des processus biologiques dans le règne animal.

L’étude du vieillissement et de la tumorigenèse est abordée aujourd’hui avec la même logique intégrative. Il ne s’agit plus de séparer les phénomènes pour les décomposer en un ensemble statique de composants moléculaires mais de les analyser dans la complexité dynamique de leurs interactions et de concevoir des modèles expérimentaux ad hoc permettant de simuler ces processus afin de les modéliser. Les mécanismes du vieillissement ne peuvent plus se comprendre si on les dissocie de questions liées à l’érosion des compartiments de cellules souches, aux altérations des systèmes de régulation, au contrôle systémique du métabolisme énergétique, à l’impact de la nutrition et du microbiote. De la même manière, la tumeur ne peut plus être considérée comme une masse amorphe de cellules en division mais doit être conçue comme un « pseudo-organe » avec ses propres règles d’organisation et de fonctionnement.

Si nous entrons dans l’ère de l’integron décrite par François Jacob, néologisme par lequel il désignait ce système d’emboîtement dynamique des différents niveaux d’organisation de la cellule qui caractérise le vivant, la section est idéalement placée pour accompagner la construction de ces nouveaux savoirs.

I. Décoder les mécanismes physiologiques

A. Dialogues interorganites et interorganes

1. Les dialogues interorganites

Considérés à l’origine comme des éléments compartimentés et autonomes, spécialisés dans des fonctions définies au sein de la cellule, les organites sont des structures dynamiques dont les interconnexions influencent leurs fonctions et leur permettent d’agir de manière coopérative, voire synergique. Ce dialogue repose sur des sites de contacts membranaires qui constituent des carrefours de signalisation et de voies métaboliques en permettant l’échange d’ions, de métabolites et de protéines. Par l’intermédiaire de ces contacts membranaires, le réticulum endoplasmique module les fonctions majeures de la mitochondrie et la maturation des endosomes/lysosomes, notamment par l’intermédiaire des flux calciques. Plusieurs protéines structurales des sites de contact ont été identifiées mais les mécanismes moléculaires précis mis en jeux restent à élucider. Un autre niveau de complexité implique les ribosomes dont des travaux récents ont révélé l’hétérogénéité dans leur composition moléculaire au niveau intracellulaire ainsi que d’un type cellulaire à l’autre, hétérogénéité qui conditionne leur capacité traductive. La question de leur rôle dans la régulation des interactions entre organites et dans la différenction cellulaire est un sujet actuel d’investigation. Les modalités de dialogue entre organites sont dépendantes du type cellulaire considéré et sensibles à l’environnement extérieur de la cellule. Ces dialogues apparaissent ainsi essentiels à l’établissement d’une réponse physiologique adaptée et spécifique. Au delà de l’aspect purement fondamental, des altérations de ce dialogue ont été décrites en contexte pathologique dans des processus de neuro-dégénérescence, de tumorigenèse, de diabète ainsi que dans des pathologies rénales et cardio-vasculaires.

2. Les dialogues interorganes

Au concept de glandes endocrines, régulant chacun de grandes fonctions par l’intermédiaire d’hormones circulantes spécifiques, se superpose aujourd’hui un modèle de régulation plus complexe. La physiologie de l’organisme résulte en effet de l’intégration de nombreux signaux informatifs émanant de multiples sites de production endogènes et de l’environnement. La liste des peptides circulants (et de leurs tissus producteurs) jouant un rôle régulateur sur l’homéostasie métabolique, cellulaire ou immunitaire n’a cessé d’être complétée par les études fondamentales et épidémiologiques récentes. Modifiés par les conditions développementales, nutritionnelles ou pathologiques, ces signaux reflètent l’équilibre physiologique de chaque tissu. À ces informations tissulaires, s’ajoutent les signaux inflammatoires ou issus de l’alimentation et du microbiote, qui peuvent transiter par voie circulante ou nerveuse. Ils constituent, par ailleurs, des facteurs clés dans les processus de développement, de vieillissement ou de régénération. La capacité d’intégration de ces signaux par l’organisme, notamment par le cerveau, est un élément essentiel dans la coordination des fonctions physiologiques et dans l’adaptation aux conditions environnementales.

L’enjeu, aujourd’hui, est de mieux comprendre les bases moléculaires de ce dialogue et de sa plasticité, aux étapes clés du développement, de la vie reproductive ou selon l’état métabolique. L’identification des différents réseaux neuronaux permettant l’intégration dynamique de ces signaux circulants et nerveux sera un élément essentiel pour la compréhension des réponses adaptatives. Une meilleure compréhension des dialogues interorganes ouvrira de nouvelles pistes thérapeutiques où l’organe cible d’une pathologie donnée ne sera probablement pas la seule cible thérapeutique à atteindre.

Ces modes de communication inter et intraorganes illustrent la complexité de l’intégration des signaux, qu’elle soit réalisée à l’échelle cellulaire, tissulaire ou au niveau de l’organisme entier. Cette intégration est un élément clé dans la variation des réponses à un signal donné.

Questions prioritaires :

– Déterminer comment les différents dialogues intra et interorganes s’intègrent et se hiérarchisent pour contrôler un processus biologique donné.

– Identifier comment l’intégration de ces signaux participe à la construction des réponses adaptées à l’environnement.

B. Homéostasie ionique

Le fonctionnement des canaux ioniques est un élément majeur du dialogue interorganite et intercellulaire au sein d’un organe. La régulation et la coordination des flux ioniques font intervenir plusieurs types d’acteurs moléculaires dont les canaux ioniques, les échangeurs, les transporteurs, ainsi que des récepteurs couplés aux protéines G ou à des tyrosines kinases. Ces protéines participent au fonctionnement des cellules excitables (neurones, cellules endocrines/neuro-endocrines, cellules musculaires, etc.) mais sont également des composantes essentielles des cellules non-excitables (fibroblastes, hépatocytes, cellules immunitaires, etc.). Outre les anomalies fonctionnelles de ces protéines retrouvées dans des cellules excitables en contexte pathologique (diabète de type 2, arythmies cardiaques, dystrophies…), des modulations d’expression des protéines impliquées dans l’homéostasie ionique sont aussi présentes dans les cellules tumorales. L’expression de transporteurs et d’échangeurs aboutissant à l’extrusion de protons des cellules tumorales et donc à l’acidification du microenvironnement tumoral joue également un rôle majeur dans la formation des métastases et l’échappement au système immunitaire. Dans ce contexte, il est primordial de comprendre les mécanismes régulant l’homéostasie ionique et ses dysfonctionnements.

Questions prioritaires :

– Approfondir les techniques de mesure des flux ioniques en temps réel, notamment pour l’étude des dialogues interorganites.

– Déterminer comment la composition ionique de l’environnement tumoral participe à la tumorigenèse et aux mécanismes de résistance aux thérapies.

C. Rythmicité des processus biologiques

La rythmicité des processus biologiques est nécessaire à l’organisme pour coordonner et ajuster son fonctionnement (du tissu aux cellules) aux changements environnementaux. Dans chaque cellule, le système régissant l’horloge interne dépend de boucles de rétroaction transcriptionnelle et post-traductionnelle interconnectées. Ces boucles assurent la rythmicité et la synchronisation de l’expression génique et des processus métaboliques (principalement anaboliques et cataboliques). Régulée par le cycle nycthéméral, l’horloge interne située dans le noyau suprachiasmatique synchronise les oscillateurs périphériques, permettant l’adaptation de l’organisme aux rythmes de son environnement. La prise en compte de ces interrelations, des mécanismes de rétroaction et la caractérisation de leurs différents niveaux d’intégration sont nécessaires pour décrypter les liens existants entre altération/désynchronisation des rythmes (favorisée par les modes de vie actuels) et les pathologies endocrines, neurodégénératives, cardiovasculaires et tumorales. De telles connaissances devraient permettre également de déterminer les facteurs responsables de l’altération de l’horloge au cours du vieillissement mais aussi des conditions de vie dans nos sociétés contemporaines (travail de nuit, réduction de la durée du sommeil) et d’améliorer l’efficacité de certaines thérapies.

Questions prioritaires :

– Approfondir nos connaissances sur les mécanismes utilisés par la cellule et l’organisme pour adapter leurs rythmes biologiques à leurs environnements.

– Caractériser le rôle des dialogues intra et interorganes dans la synchronisation et le maintien des rythmes biologiques.

D. Homéostasie du renouvellement des tissus et cellules souches

L’homéostasie tissulaire, qui résulte d’un équilibre entre le renouvellement, la migration et la mort cellulaire, est nécessaire à l’établissement du tissu au cours de son développement et à son maintien chez l’adulte. Le renouvellement tissulaire (physiologique ou pathologique) nécessite un réservoir de cellules souches, qui persiste dans la plupart des tissus de l’adulte, à côté de cellules différenciées et fonctionnelles. Localisées dans des microenvironnements spécifiques, les cellules souches sont quiescentes mais peuvent être activées pour s’auto-renouveler. Ces capacités permettent leur maintien tout au long de la vie ainsi que la production continue de cellules qui vont entrer dans des processus de différenciation.

Les récentes avancées ont permis de décrypter certains des mécanismes impliqués dans la genèse et le maintien d’un état souche. À cet égard, l’avènement des cellules pluripotentes induites à partir de cellules différenciées (iPS « induced pluripotent stem cell »), a joué un rôle majeur dans la compréhension des processus impliqués dans la plasticité cellulaire. Générées en laboratoire, ces cellules ont permis d’accroître nos connaissances sur les mécanismes induisant la pluripotence et ceux régulant la différenciation cellulaire.

Un élément majeur du contrôle des cellules souches est son microenvironnement. Cette structure pluricellulaire, aussi appelée niche, joue un rôle essentiel dans le maintien de leurs fonctions. Parce qu’elles font partie d’un organisme, l’activité des cellules souches est influencée par la physiologie de l’organisme (hormones, rythme circadien, vieillissement, stress…). Ainsi, une altération des fonctions physiologiques de l’organisme peut affecter l’homéostasie tissulaire en agissant sur le compartiment des cellules souches. La compréhension des mécanismes régulant les cellules souches est donc cruciale, non seulement pour la connaissance des processus impliqués dans l’homéostasie tissulaire, mais aussi pour l’évaluation de l’impact biologique des perturbations environnementales ou internes.

Questions prioritaires :

– Décrypter l’hétérogénéité du compartiment souche et déchiffrer les mécanismes qui contrôlent la quiescence et l’activité des cellules souches.

– Déterminer l’impact fonctionnel du vieillissement intrinsèque (chronologique) ou extrinsèque (environnemental) sur ces cellules.

– Approfondir la connaissance des éléments du microenvironnement qui contrôlent l’activité des cellules souches.

E. Métabolisme cellulaire, différenciation et épigénétique

L’identité fonctionnelle de la cellule est fortement liée à son métabolisme. Les transitions métaboliques, comme par exemple le passage de la glycolyse à la phosphorylation oxydative, jouent un rôle critique dans le contrôle des processus de biosynthèse, de l’état redox de la cellule et de son statut épigénétique. Au delà de la synthèse d’ATP, ces modifications affectent la prolifération cellulaire, la différenciation, les activités enzymatiques et l’intégrité du génome. La réorientation du métabolisme intracellulaire est ainsi au centre des mécanismes de pluripotence, de spécialisation des cellules souches mais est aussi essentielle aux cellules somatiques pour adapter leurs fonctions aux modifications environnementales, comme lors d’un exercice physique ou de changements d’apport nutritionnel. Les modifications du métabolisme cellulaire se répercutent sur plusieurs boucles de régulation rendant les liens de causalité encore difficiles à établir. Le développement des analyses sur cellule unique sera un atout pour caractériser finement les mécanismes à l’origine des transitions métaboliques.

Le métabolisme intracellulaire fournit les substrats utilisés à la modification des acides nucléiques et de la chromatine qui régissent les processus de régulation génique Ainsi, l’impact des informations métaboliques sur les mécanismes d’empreinte au cours de la gamétogenèse, de l’embryogenèse et de la période périnatale, ainsi que sur la physiologie de l’individu adulte constituent des pistes majeures de recherche.

Questions prioritaires :

– Approfondir la connaissance des éléments du métabolisme et du microenvironnement qui contrôlent l’activité des cellules souches.

– Caractériser les mécanismes de transmission des modifications épigénétiques aux cellules filles et à la génération suivante.

II. Vers une relecture des processus physiopathologiques

A. Polluants environnementaux : un défi pour notre futur

Les effets délétères dus à l’accumulation des polluants environnementaux résultant de l’activité anthropique sont l’un des aspects les plus préoccupants de la dégradation de l’environnement. Le cas d’un herbicide comme le glyphosate illustre la complexité des étapes nécessaires à la mise en place d’une réglementation protégeant la santé des populations exposées, complexité liée à des questions de niveau de preuve scientifique mais aussi à des enjeux industriels et politiques. Si les effets des polluants chez l’homme commencent à être connus ces dernières années, les conséquences sur l’ensemble du règne végétal et animal restent largement sous-explorées. L’un des défis que la communauté scientifique doit relever est le développement de nouveaux outils technologiques et de méthodologies transdisciplinaires pour évaluer efficacement les conséquences sur les processus physiologiques d’expositions chroniques à de faibles doses de molécules toxiques. Pour cela la définition même de la toxicité de ces molécules sera à débattre à la lumière de nouvelles données biologiques d’exposition non plus de molécules individuelles mais de mélanges complexes pouvant présenter des effets antagonistes, additifs ou synergiques. Le défi est immense dans la mesure ou le nombre de combinaisons est quasi infini et que les effets doivent être pris en compte à l’échelle de temps de la vie d’un individu afin de déterminer les fenêtres temporelles et/ou les contextes les plus à risques, ce que les scientifiques dénomment « exposome ». Cela nécessite de concevoir de nouvelles approches expérimentales pour modéliser et identifier les risques majeurs pour le vivant. À cet égard, les progrès de l’exposomique, de l’intelligence artificielle et du “data-learning” devraient aider à relever ce défi. La classification des perturbateurs endocriniens est également à revisiter pour les œstrogeno-mimétiques tels que les bisphénols. Il sera également primordial d’identifier les outils moléculaires et cellulaires les plus pertinents (épigénétique, “omics”, etc.) pour identifier les biomarqueurs adaptés au suivi des populations. Enfin, il apparaît nécessaire que les sciences biologiques établissent des liens collaboratifs forts avec l’épidémiologie et les sciences humaines et sociales afin de mieux comprendre le déterminisme environnemental des pathologies chroniques.

Questions prioritaires :

– Définir la toxicité de mélanges complexes de contaminants environnementaux. Identifier leurs impacts sur le développement physiologique.

– Déchiffrer comment l’intégration des signaux multifactoriels et cumulatifs participe à la perturbation des réponses physiologiques à l’échelle d’une vie.

– Déterminer si et comment les différents types de stress biologiques et psychologiques contribuent de façon conjointe au développement de pathologies.

B. Le microbiote intestinal dans la nutrition et la santé

Notre corps est colonisé par des milliards de micro-organismes (bactéries, virus et champignons) dont la plus grande partie transite et réside dans notre tractus gastro-intestinal. Représentant un écosystème interne d’une diversité unique à chaque individu, ce microbiote est aujourd’hui considéré comme un organe « virtuel » de notre corps. Cette biomasse produit des milliers de molécules et métabolites ayant des effets locaux et systémiques affectant de nombreux aspects de la physiologie de l’individu. Son adaptation à nos modes de vie (comme les différences de composition du microbiote intestinal liées à la géographie, l’alimentation, les traitements médicamenteux tels que les antibiotiques mais aussi l’influence du macro-environnement dont les polluants), révèle notre interdépendance et notre coévolution. Le déséquilibre de son homéostasie (connu sous le nom de dysbiose) se traduit par une diversité microbienne réduite et / ou des modifications importantes d’espèces résidentes. Le microbiote et ses métabolites modulent notamment notre système immunitaire, et ont été corrélés à un large éventail de maladies incluant des pathologies inflammatoires, des troubles métaboliques comme l’obésité et le diabète de type 2, les maladies cardiovasculaires, le cancer, sans oublier ses effets sur la cognition.

Grâce aux progrès récents des approches métabolomiques et de séquençage à très haut débit, il est possible d’identifier tous les micro-organismes constituant le microbiote intestinal et plusieurs de leurs métabolites spécifiques. Associées à des outils bioinformatiques capables d’analyses multivariées sur de grandes quantités de données, ces approches permettent de mieux déchiffrer les profils microbiotiques globaux et spécifiques associés à diverses pathologies. Ainsi, la manipulation du microbiote par le contrôle de l’alimentation offre la perspective d’effets bénéfiques sur la santé, tant en termes de prévention, que d’approche thérapeutique personnalisée.

Questions prioritaires :

– Analyser l’impact des interactions réciproques entre antibiotiques et microbiote.

– Caractériser à l’échelle d’un individu son microbiote pour contribuer à l’évaluation diagnostique, à la stratification du risque et à la décision thérapeutique.

– Comprendre à quel point le microbiote confère une susceptibilité à certains cancers et influe sur la réponse aux traitements.

C. Nouvelles perspectives sur l’homéostasie immunitaire

Le système immunitaire a d’abord été défini comme un ensemble de mécanismes participant à la défense de l’organisme contre les agents pathogènes. La théorie du soi / non-soi a dominé l’immunologie en marquant la frontière entre les microbes infectieux et l’organisme (le soi). Plus récemment, il a été proposé que le système immunitaire n’est pas activé par le non-soi ou un danger, mais plutôt par un changement de normalité, appelée « discontinuité » : les variations quantitatives de ces changements déterminant l’amplitude de réponses effectrices. La notion de discontinuité englobe non seulement les microbes mais les polluants, les dommages de la matrice extracellulaire, les différents modes de mort cellulaire ou encore une augmentation de l’expression des protéines du soi. Cette théorie généralise la fonction de l’immunité au maintien de l’homéostasie, et non à une simple défense contre les agents pathogènes.

Le système immunitaire fait partie d’un organisme aux ressources limitées. Une mobilisation massive d’énergie est nécessaire pour une réponse efficace du système immunitaire. Ainsi, le système immunitaire dépend de la disponibilité de ressources stockées dans des cellules et des tissus spécialisés. De ce fait, des relations étroites existent entre métabolisme et immunité dans un contexte physio-pathologique, illustré dans différentes maladies systémiques comme l’obésité/ diabète, l’athérosclérose, le développement tumoral et les maladies infectieuses. L’inflammation des tissus métaboliques revêt un rôle primordial dans l’étiologie de ces maladies. Les macrophages ont longtemps été tenus comme seuls responsables de l’inflammation tissulaire mais un rôle important est maintenant attribué aux cellules de l’immunité adaptative et innée dans la pathogenèse de ces maladies. L’essor de l’immunothérapie anticancéreuse visant à cibler les inhibiteurs des lymphocytes T anti-tumoraux en est un exemple. Une meilleure connaissance des interrelations entre métabolisme et immunité est ainsi essentielle, tant au niveau fondamental qu’à celui du transfert vers les applications en santé.

Questions prioritaires :

– Mieux comprendre l’influence du système immunitaire sur le métabolisme des différents types cellulaires au sein du microenvironnement tissulaire physiologique et pathologique.

– Déterminer inversement l’influence de la reprogrammation métabolique sur le système immunitaire.

D. Le vieillissement : vers un rajeunissement de nos connaissances

Le vieillissement est la détérioration dans le temps des fonctions physiologiques nécessaires à la survie et à la fertilité, aboutissant à la mort de l’organisme. La vieillesse s’accompagne d’une augmentation de l’incidence de maladies chez l’homme qui sont rares chez les individus plus jeunes, notamment les maladies cardiovasculaires, neuro-dégénératives et le cancer. La cellule est la plus petite unité d’étude des mécanismes de vieillissement. Cependant, notre compréhension de la génétique de ce processus provient en grande partie d’organismes modèles, protozoaires et invertébrés, même si la génétique murine est en train d’apporter une contribution majeure à ce champ de la recherche.

Des enzymes agissant dans plusieurs voies de détection des nutriments, telles que celles de l’insuline / facteur de croissance analogue à l’insuline, les protéines kinases mTOR, et AMPK ainsi que les sirtuines sont impliqués dans les mécanismes du vieillissement. Des essais cliniques sont en cours chez l’homme afin d’évaluer les effets de médicaments sur des processus biologiques associés au vieillissement. L’émergence d’une nouvelle classe de médicaments, les sénolytiques, a connu un développement rapide au cours des cinq dernières années. Ces derniers améliorent la fonction des tissus en éliminant les cellules sénescentes qui induisent une inflammation chronique. À l’avenir, il sera nécessaire d’identifier l’ensemble des réseaux géniques dont l’expression accélère ou ralentit le vieillissement chez les vertébrés. Une étape cruciale sera de modéliser efficacement les « variants » génétiques identifiés, ainsi que d’autres facteurs associés au vieillissement. L’identification de biomarqueurs de vieillissement fiables fournissant des informations sur l’âge biologique sera également essentielle pour guider les approches pharmacologiques. Finalement, les modèles animaux émergents tels que le killifish africain pourraient aussi ouvrir de nouvelles pistes pour la recherche.

Questions prioritaires :

– Décrypter les horloges biologiques/épigénétiques impliquées dans le processus de vieillissement et déterminer comment les manipuler pour améliorer la santé.

– Identifier les biomarqueurs les plus appropriés pour suivre l’âge biologique de manière non invasive.

– Découvrir de nouveaux mécanismes fondamentaux du vieillissement.

III. Le cancer comme pseudo-organe : une autre logique associative

Dans un contexte où les études à l’échelle de la cellule unique permettent des avancées considérables, il est primordial de maintenir une vision globale et intégrée et de concevoir les cancers comme des organes « aphysiologiques ». Ces structures reposent sur des interactions continues et dynamiques avec les autres cellules de l’organisme. Les cellules tumorales dérivent, déroutent et reprogramment des acteurs cellulaires spécialisés jusqu’à aboutir au remodelage du tissu originel. Les fonctions primaires des cellules intra et péritumorales sont alors mises à profit par ce « pseudo-organe » dont le développement se fait au détriment du bon fonctionnement de l’organisme.

A. Micro-environnement tumoral et dialogue intercellulaire

Au cours du processus de carcinogenèse, les cellules non-tumorales et tumorales s’organisent pour former une structure tissulaire pathologique, elle-même au contact d’un environnement péri-tumoral.

Trop longtemps décrits comme des tissus de soutien aux cellules cancéreuses, les cellules du microenvironnement intratumoral, ou stroma, sont maintenant reconnues comme des acteurs majeurs de la carcinogenèse, des stades pré-néoplasiques aux stades les plus agressifs et métastatiques. La richesse et la complexité du compartiment stromal offrent autant de possibilité à la tumeur de potentialiser son activité que d’options thérapeutiques pour améliorer la prise en charge des patients. Ainsi, repousser les limites de notre compréhension du rôle des fibroblastes associées au cancer, de leur origine, de leur plasticité et des divers impacts biologiques associés à leur hétérogénéité constitue un axe majeur. De même, l’étude de la mise en place et de l’efficacité des réseaux vasculaires, lymphatiques et nerveux doit être une préoccupation prioritaire tant leur implication dans l’accessibilité thérapeutique et l’évolution de la structure tumorale est fondamentale. L’autre composante du stroma, dont la tumeur détourne la fonction primaire, est le système immunitaire qui est un élément prépondérant de l’agressivité et de la plasticité des cellules tumorales. Ainsi, déterminer l’impact des cellules immunitaires au sein du stroma et leur modulation par cet environnement permettrait d’améliorer l’efficacité des immunothérapies et de comprendre leurs effets secondaires et les résistances ou absence de réponse. Enfin, de nombreux cancers sont décrits comme des pathologies métastatiques car principalement diagnostiqués à ce stade. Ainsi, un effort particulier doit être réalisé dans notre compréhension des processus associés à l’établissement de la niche métastatique et donc dans le dialogue mis en place entre les cellules tumorales et l’environnement « sain » d’un organe métastasé.

Mais, au-delà de notre capacité à déterminer la composition cellulaire du stroma d’une tumeur et prédire son impact biologique sur le développement et l’évolution de la tumeur, dont la résistance aux traitements, c’est bien la mise en place de l’organisation multi-cellulaire et donc les connexions/communications réciproques entre ces différents types cellulaires qu’il faut appréhender. Ainsi, l’étude du mode de communication « complexe » de la cellule maligne avec son micro-environnement, allant des vésicules extracellulaires, aux cargos multiples, émerge comme un axe de recherche majeur.

Questions prioritaires :

– Identifier les mécanismes par lesquels les différentes composantes cellulaires interagissent pour façonner la construction puis l’évolution des tumeurs. Caractérisation à l’état « basal », dans les contextes thérapeutiques et de progression.

– Cartographier et phénotyper les différentes composantes cellulaires des micro-environnements intra et péritumoraux et leur corrélation avec les caractéristiques biologiques des tumeurs.

– Approfondir nos connaissances sur les modes de communication « complexe » entre cellules tumorales et micro-environnement, dont les vésicules extracellulaires, afin d’exploiter le langage de la communication cellulaire comme source d’outils thérapeutiques.

B. Détournement et exploitation des réseaux sanguins, lymphatiques et nerveux dans la tumorigenèse

Des études princeps d’anatomistes ont très tôt mis en exergue les similarités dans l’architecture, la typologie et l’organisation en réseau des systèmes vasculaires et nerveux. Les études mécanistiques ont en effet confirmé la redondance des molécules impliquées (adhérence, migration, guidage) et des modes opératoires qui sous-tendent le comportement dynamique de l’élaboration de ces réseaux, à l’échelle cellulaire, matricielle et tissulaire. Parallèlement, les mécanismes de détournement et d’adaptation des systèmes vasculaires ont rapidement été considérés comme des marques de la tumorigenèse, faisant l’objet d’un grand nombre d’études fondamentales à visée translationnelle. Dans cette thématique, les axes de recherche développés visent à mieux comprendre les mécanismes dynamiques de formation des vaisseaux sanguins, souvent définis à tort comme anarchiques et inefficaces dans la tumeur. Outre des approches anti-angiogéniques ambitionnant la destruction du réseau vasculaire tumoral, les chercheurs abordent les questions de normalisation vasculaire, de co-option, de perméabilité et de fonctionnalité des réseaux vasculaires, et les interactions avec l’ensemble des composants des vaisseaux. À ce titre, le réseau lymphatique émerge également comme une voie privilégiée d’échanges d’informations métaboliques et immunitaires, entre la tumeur et l’organisme.

Enfin, l’étude des systèmes nerveux central et périphérique dans le cancer a longtemps subi un cloisonnement paradoxal, étant donné les homologies structurelles et moléculaires entre système nerveux et vasculaires. Actuellement, l’approfondissement de notre compréhension des phénomènes d’invasion périneurale et de remodelage neural revêt un intérêt crucial pour aborder notamment notre capacité à traiter la douleur, un critère majeur de non-accès aux traitements chimio-thérapeutiques les plus efficaces.

L’ensemble de ces axes de recherche focalisés sur le détournement des réseaux vasculaires et nerveux au cours de la tumorigenèse représente une interface importante avec d’autres d’Instituts du CNRS favorisant les interactions avec la chimie pour l’élaboration de nouvelles sondes intra-vitales ou avec la physique pour la caractérisation des paramètres mécaniques (flux, cisaillement, etc.) afin d’enrichir les connaissances dans ce domaine et leurs possibles applications.

Questions prioritaires :

– Comprendre les dérégulations des systèmes vasculaires et nerveux, et prendre en compte leurs composantes mécaniques, chimiques et électriques, au cours de la tumorigenèse.

– Comprendre les liens entre la tumeur et l’organisme via les réseaux de communication et le traitement des flux d’informations entrant et sortant.

C. Niches et cellules souches tumorales

Les cellules souches cancéreuses (CSC) ou cellules initiatrices de tumeurs représentent une sous-population minoritaire de cellules de la masse tumorale qui possèdent des caractéristiques d’auto-renouvellement et de pluripotence. Généralement en quiescence, les CSC ont également la capacité de proliférer soit pour assurer leur maintien (auto-renouvellement), soit pour la genèse de cellules tumorales progénitrices ou de cellules tumorales différenciées. Résistantes à la plupart des thérapies anti-tumorales, les CSC peuvent repeupler la masse tumorale après les traitements anti-cancéreux. De ce fait, les CSC qui initient et maintiennent la tumeur, sont également considérées comme responsables de la rechute tumorale et du développement des métastases.

Malgré les avancées réalisées dans ce domaine, de nombreuses questions persistent. Ainsi, la caractérisation des CSC et l’identification des cellules à leur origine nécessitent d’être consolidées notamment au moyen d’études in situ s’appuyant sur des modèles expérimentaux permettant de suivre et de tracer individuellement des cellules malignes au sein de leur environnement natif. Essentielles pour la compréhension du développement des cancers, ces études sont complexifiées par l’existence d’une plasticité qui confère aux cellules cancéreuses non souches des propriétés de CSC. Dans ce contexte, élucider les mécanismes impliqués dans le maintien ou l’induction d’un état souche dans les cellules tumorales devient primordial. En effet, la différenciation d’une cellule tumorale n’est pas forcément irréversible et elle pourrait se reprogrammer pour acquérir des caractéristiques de cellules souches, en fonction des signaux qu’elle reçoit de l’environnement et des traitements auxquels elle est exposée. La connaissance des mécanismes contrôlant l’activité des CSC et leur état souche constituent donc un enjeu majeur. À cet égard, ces dernières années ont connu un essor de travaux portant sur l’impact du microenvironnement, sa composition ionique, ses interactions juxtacrines et paracrines, ainsi que ses propriétés biomécaniques sur les CSC, travaux qu’il convient de poursuivre afin de disposer d’une vision intégrée concernant les mécanismes responsables de la genèse, du maintien et de la plasticité des CSC. En parallèle, la compréhension du rôle des CSC dans l’établissement de la niche tumorale et notamment dans le tropisme des métastases vers un organe privilégié constitue un axe majeur d’investigation susceptible d’améliorer l’efficacité des traitements anti-cancéreux.

Questions prioritaires :

– Déterminer les mécanismes de plasticité des cellules tumorales permettant l’acquisition de caractéristiques CSC et leur impact dans l’évolution de la pathologie, notamment dans les phénomènes de récurrence et de résistances.

– Étudier l’implication des CSC dans l’établissement de la niche tumorale et leur connexion avec les cellules du microenvironnement intra et péritumoral.

D. Reprogrammation métabolique

L’effet dit Warburg mis en évidence dans les années 1930 décrit l’activation de la glycolyse en condition aérobie permettant aux cellules tumorales de stimuler les voies de biosynthèse et de contrôle du stress oxydatif nécessaires à la prolifération. Cette reprogrammation du métabolisme des cellules malignes est un phénomène général. Cependant, la caractérisation de tumeurs présentant un métabolisme oxydatif plutôt que glycolytique a largement complexifié notre compréhension des mécanismes impliqués. Les progrès des techniques de mesure de flux métaboliques ont révélé des profils bio-énergétiques très variés en fonction des types tumoraux et de leurs stades d’évolution, allant de l’addiction à la glutamine, à l’acétate ou aux acides gras. De plus, l’état métabolique de la cellule module directement l’épigénome et participe donc à la régulation de l’expression génique. En outre, les cellules tumorales produisent des métabolites ayant une activité transformante paracrine (le 2-hydroxyglutarate est un exemple de ce type d’oncométabolite) et modifient à leur profit le métabolisme des cellules de leur micro-environnement.

Plus récemment, un dialogue métabolique entre cellules tumorales et cellules immunitaires intra ou péritumorales utilisant les mêmes ressources en nutriments a été mis en évidence. Enfin, la prise en compte des interrelations hôte/microbiote est aussi primordiale. Il est avéré que le microbiote influence le micro-environnement tumoral du fait de son effet sur l’activité du système immunitaire mais également via sa capacité à influencer la physiologie de l’hôte. Ainsi, il est devenu patent que l’étude du métabolisme des cancers ne peut plus être limitée à la tumeur mais doit être intégrée dans le cadre d’une analyse concevant celle-ci comme un élément d’un écosystème métabolique évolutif dans lequel le micro-environnement et l’organisme jouent un rôle majeur.

Le ciblage du métabolisme constitue aujourd’hui une perspective tangible et prometteuse de nouvelles stratégies thérapeutiques, champ de recherche dans lequel sont engagés plusieurs laboratoires dépendants de la section.

Questions prioritaires :

– Déterminer les mécanismes de reprogrammation métabolique, leur plasticité et l’influence de ces mécanismes dans les différents types cellulaires composants les tumeurs.

– Déterminer, à l’échelle supracellulaire, les modulations métaboliques de l’hôte en corrélation avec le développement tumoral.

IV. Modèles, approches, outils

Au cours de la dernière décennie se sont développées en biologie de nouvelles approches qui ne sont plus basées stricto sensu sur un raisonnement scientifique classique de type hypothético-déductif. Ces nouvelles méthodes consistent à poser une question sans formuler une hypothèse a priori grâce à des approches descriptives à grande échelle et haut débit dites « omiques » et dont la génomique est une illustration probante. Ces approches omiques sont de plus en plus performantes, aussi de moins en moins onéreuses, et nécessitent des outils robotisés et un traitement statistique et bio-informatique de méga-données débouchant sur des modèles mathématiques prédictifs. Ces derniers doivent alors être testés dans un système biologique adéquat afin d’évaluer la pertinence des prédictions. Alternativement, les données peuvent être déposées dans des bases de données publiques dans l’attente d’analyses ultérieures (data-mining). Les études omiques sont généralement accessibles sur des plateformes et des plateaux techniques, au sein d’infrastructures nationales ou de consortiums internationaux car elles nécessitent l’acquisition de matériels coûteux et d’une main d’œuvre technique de haut niveau.

Sur le plan des technologies, la microfluidique est en plein essor, en particulier pour des analyses génomiques et transcriptomiques sur cellules uniques. En effet, les analyses « single cell » sont devenues déterminantes dans l’étude du développement, de la différenciation, des voies de signalisation et de la pathologie. Elles permettent également d’étudier l’hétérogénéité cellulaire dans un micro-environnement contrôlé.

La recherche en biologie fondamentale sur les thématiques couvertes par la section nécessite également la possibilité de manipuler l’expression de gènes in vivo et in vitro. Les progrès réalisés dans les approches permettant l’édition du génome (TALEN, ZFN mais surtout CRISPR/Cas9) ainsi que dans le développement d’outils de vectorisation permettent dorénavant la construction de nouveaux modèles expérimentaux, en particulier animaux, qui restent une priorité en biologie et en particulier dans les secteurs disciplinaires de la section. Concernant le développement de modèles animaux, les approches fondées sur le système CRISPR/Cas9 ouvrent dorénavant la possibilité d’éditer le génome « in vivo » avec une gamme variée de modifications génétiques ou la surexpression d’un gène d’intérêt. Les modifications génétiques de cellules souches embryonnaires sont en effet très grandement facilitées par ces nouvelles techniques qui s’ajoutent aux approches conventionnelles de transgenèse chez la souris et permettent d’étendre le développement de modèles animaux à des espèces plus difficilement manipulables génétiquement tels que le nématode, le poisson zèbre, le porc, les ovidés et les bovidés. De plus, le développement de stratégies pour le transfert de matériel génétique in vivo dans un organe/type cellulaire donnée via des vecteurs viraux dont le tropisme naturel a été modifié ou bien via des nanoparticules offre la possibilité de développer des modèles animaux dans lesquels la modification génétique désirée survient à des périodes bien définies et donc de s’affranchir de problèmes développementaux induits par la modification génétique considérée.

Depuis quelques années, la génération de cellules souches pluripotentes induites (iPSC) à partir, entre autres, de fibroblastes humains, a modifié considérablement notre approche de l’étude de certains processus physio-pathologiques. En effet, il est possible d’obtenir de nombreux types cellulaires à partir de cultures iPSC et d’évaluer les propriétés biologiques et moléculaires de cellules dérivées de patients présentant une altération génétique (ou epigénétique) donnée. En outre, la culture de cellules iPSC en 3D (cultures d’organoïdes, bio-printing) permet de reconstituer des mini-organes aussi appelés « organ-on-chips » qui présentent des similitudes structurales et développementales avec des organes humains et offrent la possibilité de comprendre les comportements cellulaires au sein d’un microenvironnement proche de celui trouvé in vivo. En outre, les systèmes micro-fluidiques 3D permettent d’appliquer des contraintes mécaniques ou des gradients de molécules, et sont adaptés pour l’évaluation de drogues à haut débit. Cependant, ces systèmes sont loin d’inclure tous les types cellulaires d’un tissu (notamment les constituants vasculaires et immunitaires). Pour cette raison, l’utilisation d’organismes entiers (e.g. drosophile, rat, souris, poisson, etc.) reste incontournable pour comprendre le rôle d’un gène ou d’une population cellulaire donnée au sein d’un environnement natif et pour prendre en compte les dialogues inter-organes décisifs dans les régulations physiologiques. Les expériences sur animaux, en respectant les réglementations éthiques visant à limiter le plus possible la souffrance animale, constituent toujours des modèles indispensables pour l’étude des interactions entre cellules tumorales et cellules immunitaires, ainsi que pour le test de thérapies et l’évaluation de leurs propriétés pharmacocinétiques. La combinaison de plusieurs modèles est donc essentielle.

L’ensemble de ces modèles, associés aux nouvelles techniques d’imagerie cellulaire (microscopie intravitale, procédés de transparisation des tissus, optogénétique) et d’analyses moléculaires sur cellules uniques constituent des approches puissantes permettant d’interroger l’hétérogénéité cellulaire et de comprendre les relations entre différentes populations cellulaires.

Questions prioritaires :

– Comment analyser et valoriser les données omiques sur le plan statistique et bio-informatique ? Faut-il sous-traiter la recherche à des plateformes ou infrastructures nationales ou intégrer ces compétences dans les laboratoires ?

– Comment, dans un contexte de compétition croissante, promouvoir une conduite responsable et éthique des recherches ?

– Comment former et protéger efficacement les personnels aux nouveaux risques biologiques (ex : laboratoires P3, zones blanches pour les nanoparticules, animaleries équipées d’appareils d’analyse, etc.) ?

Conclusion

En préambule de cette conclusion, nous souhaiterions insister sur le fait que ce rapport n’est ni exhaustif, ni prescriptif. Nous avons tenté de recenser les différents domaines de la recherche relevant des spécialités de la section dont nous considérons qu’ils sont émergents ou en plein essor. Cependant, la relative imprévisibilité de la portée des découvertes scientifiques et de leur assimilation dans un champ spécifique de la recherche font obstacle à la volonté totalisante d’un rapport. Il ne s’agit pas, non plus, d’encourager les chercheurs à se cantonner à des thématiques que nous jugerions prioritaires. La liberté d’explorer est consubstantielle à la recherche.

Les différents sujets que nous avons discutés dans ce rapport balisent de nouveaux territoires de la recherche. Ainsi, la perspective intégrative en physiologie qui est voisine des aspects théoriques de la biologie des systèmes est de plus en plus partagée. Elle traduit le besoin de hiérarchiser les données moléculaires massives (omiques) mais aussi celles d’imagerie et de les intégrer dans des modèles d’interactions dynamiques multi-échelles aux niveaux de la cellule et de l’organe. Les travaux sur le microbiote ainsi que ceux sur la distinction « du soi et du non soi » dans le cadre du modèle de discontinuité en immunologie remettent en cause la notion classique d’individualité biologique pour lui substituer celui de symbionte ou d’holo-symbionte qui correspond à un niveau de description plus adéquat. Le réductionnisme génétique ou épigénétique ne peut suffire, lui non plus, à comprendre la tumorigenèse et de modèles originaux concevant la tumeur comme un « pseudo-organe » interagissant avec l’organisme via de nouveaux modes associatifs sont en train d’être conceptualisés. Ces recherches contribuent donc à l’émergence de paradigmes fondateurs en biologie.

Il faut aussi insister sur les enjeux en santé publique de ces travaux. En effet, les maladies non transmissibles (cancer, diabète, pathologies cardiovasculaires, etc.) sont à l’origine de plus de deux-tiers des décès dans le monde. Les changements des modes de vie avec leurs incidences sur le rythme circadien et les dégradations de l’environnement dues à l’activité anthropique, en particulier l’essaimage des polluants, sont associés à l’étiologie de ces maladies chroniques. Enfin, l’augmentation de l’espérance de vie qui est à mettre au crédit des progrès de la médecine et de l’hygiène a un impact socio-économique fort avec l’augmentation de l’incidence des maladies liées au vieillissement. La compréhension des mécanismes morbides mis en jeu, leurs modélisations et la caractérisation de bio-marqueurs d’exposition ou la conception de nouvelles approches thérapeutiques font partie intégrante des recherches développées par les laboratoires de la section.

La section 24 réunit les expertises complémentaires pour traiter de la diversité de ces types de sujet. Les scientifiques relevant de cette section travaillent fréquemment en collaboration avec des chercheurs relevant d’autres sections de l’INSB, dont les sections 22 et 27. Cette collaboration s’étend aussi à d’autres EPST/EPIC comme l’INSERM, l’INRAE et le CEA. Ces interactions fructueuses entre disciplines vont au-delà de la biologie et impliquent non seulement d’autres instituts du CNRS comme ceux d’écologie (INEE), de chimie (INC), de physique (INP), de modélisation mathématique (INSMI), mais aussi mobilisent les savoirs des sciences humaines et sociales (INSHS). Cet interfaçage contribue à la richesse et à la vitalité de la section ainsi qu’à sa volonté de promouvoir l’interdisciplinarité.

L’évolution des approches technologiques requises pour le développement de ces recherches influe sur la composition des équipes/unités de recherche. Il est devenu, en effet nécessaire d’intégrer de nouvelles compétences en bio-informatique, et à terme, en intelligence artificielle. Ce type d’approche pose donc la question de la formation des personnels ainsi que celles relevant du stockage, de la propriété et de la sécurité des données. Un autre sujet au cœur des motifs de réflexion de la section est celui des modèles animaux. Si ceux-ci restent indispensables pour les disciplines de la section, la question des modèles de substitution pertinents doit être systématiquement posée. Cette évolution des pratiques est conforme aux nouvelles règlementations européennes sur l’expérimentation animale et la section soutient la démarche éthique dite des 3R : remplacer, réduire et améliorer l’emploi d’animaux en recherche.

Un mouvement de fond est en cours qui a pour objectif de transformer les modes de diffusion de la science. Sur le modèle des archives ouvertes largement développé en mathématiques notamment, la biologie a récemment vu émerger la pratique de publications ouvertes directement accessibles à la communauté (sur des serveurs comme BioRxiv, ASAPbio, Faculty of 1000…). Ces prépublications représentant un mode de communication des données scientifiques, pour lequel l’engouement est croissant comme en témoigne l’augmentation du nombre de dépôts, de déposants, de contributions et de citations. La prépublication est quasi instantanée, accessible, permanente, ouverte à la discussion, gratuite, protégée et identifiée par un « doi ». Il faut noter que de plus en plus de journaux et éditeurs proposent désormais un lien entre la soumission classique d’un manuscrit et son dépôt sur un serveur de prépublications. Cependant, la visée n’est pas bibliographique (il n’y a pas encore de référencement sous PubMed), les affiliations et les données ne sont ni vérifiées ni évaluées par des pairs. Il y a donc un risque en conservant des données inexactes, voire orientées par des groupes de pression, de ralentir ou influencer la recherche scientifique. Il faut donc informer et accompagner les chercheurs, et associer les institutions dans cette démarche en plein essor. La section est en faveur de la politique de prépublication qui répond à un besoin de partage rapide des informations scientifiques et qui s’affranchit du modèle économique des maisons d’édition. Cependant, elle estime aussi qu’il faut conserver toute sa place aux articles et à la visibilité des journaux dans lesquels ils sont publiés pour le recrutement, la promotion et l’évaluation.

Environ 250 chercheurs statutaires relèvent aujourd’hui de la section. Ils travaillent majoritairement dans des laboratoires situés dans les grandes villes françaises, avec par ordre décroissant en fonction du nombre de chercheurs : Paris, Lyon, Montpellier, Toulouse, Nantes, Marseille et Villejuif. La vitalité des programmes que nous avons décrits dépend, bien sûr, de l’inventivité et de la détermination des scientifiques et des personnels ITA ainsi que des conditions dans lesquelles ils sont amenés à exercer leur mission. Mais, elle est aussi directement tributaire des choix politiques visant à soutenir et promouvoir l’emploi dans la recherche publique. Or, force est de constater que la situation s’est dégradée de manière extrêmement préoccupante au cours des dernières années avec la suppression de 50 postes ouverts au concours CRCN en 2019. L’impact a été direct sur la section puisque depuis le début de notre mandature en 2016, nous avons perdu deux postes (soit une réduction de plus de 30 %) au concours CRCN. La situation est aussi alarmante pour le recrutement des ITA dans les laboratoires. À cet égard, nous tenons à réaffirmer ce qui avait déjà été souligné dans le rapport de la section de 2014, à savoir que ces personnels « jouent un rôle moteur dans la transmission des techniques, le maintien des compétences ainsi que dans la gestion des Unités », que « le non-renouvellement des postes pérennes entraîne une perte de savoir-faire », et « que la faible évolution des carrières ainsi que le nombre restreint des promotions sont un facteur important de démotivation des ITA ». Nous adhérons à ce constat qui est toujours d’actualité ainsi qu’aux recommandations qui avaient été faites pour inverser cette politique de recrutement préjudiciable au fonctionnement des Unités et pour le développement de plans de formation adaptés permettant aux personnels ITA de se former aux nouvelles technologies. Dans ce contexte où les choix politiques ont pour conséquence de saper le dynamisme de la recherche publique, dont celle développée par les laboratoires dépendants de la section, et d’affaiblir la position de la France au niveau international, les membres de la section soutiennent les propositions pour la recherche qui ont été formulées par le Comité National en 2019.