Rapport de conjoncture 2019

Section 28 Pharmacologie-ingénierie et technologies pour la santé – Imagerie biomédicale

Composition de la Section

Monique Bernard (présidente de Section) ; Emmanuelle Trevisiol (secrétaire scientifique) ; Pascal Bigey ; Catherine Botanch ; Emmanuel Brouillet ; Christine Chappard ; Gisèle Clofent-Sanchez ; Stéphane Dedieu ; Nathalie Doncescu ; Monique Dontenwill ; Jean-Yves Jouzeau ; Nadjia Kachenoura ; Brigitte Kerfelec ; Florian Lesage ; Nicolas Marie ; Dominique Massotte ; Tangui Maurice ; Cécile Perrio ; Michel Riviere.

Résumé

La recherche de nouvelles cibles thérapeutiques, de thérapies innovantes et de nouveaux outils diagnostiques et pronostiques est au cœur des travaux des chercheurs rattachés à la section 28. La découverte de médicaments innovants, complémentaires ou alternatifs aux traitements actuels, enjeu constant dans de nombreuses pathologies, conduit à de nouvelles approches en pharmacologie, visant à identifier des molécules plus sélectives ou à développer des ligands multi-cibles dans le cas de pathologies complexes ou encore à repositionner des molécules déjà connues. En parallèle, de nouvelles cibles thérapeutiques sont explorées pour tenir compte du rôle des régulations épigénétiques, du métabolisme, du micro-environnement et/ou pour faire face aux résistances aux traitements. Par ailleurs, les biothérapies se développent fortement dans l’arsenal thérapeutique de différentes pathologies. Ainsi, les progrès récents en thérapies génique et cellulaire et en régénération tissulaire dessinent de nouvelles perspectives à fort potentiel qui demandent de poursuivre les efforts de recherche et de développement. Il en est de même pour l’immunothérapie, en plein essor, ainsi que pour le développement de nano-objets et de molécules théranostiques permettant à la fois de diagnostiquer et de traiter, notamment dans le domaine du cancer. D’autre part, les avancées en biologie synthétique ouvrent des perspectives prometteuses sur la conception de bactéries génétiquement programmées pour des applications diagnostiques ou thérapeutiques.

Dans l’ensemble des approches, il est indispensable d’avoir les modèles expérimentaux les mieux adaptés à l’étude de la physiopathologie et des thérapies. Ainsi de nouveaux modèles tels que les organoïdes et organes-sur-puce émergent. Ils reposent sur des méthodes innovantes en bio-ingénierie telles que la microfluidique et la bio-impression, mais de nombreux défis restent à relever, ce domaine prometteur soulevant encore beaucoup de questionnements. De ce fait les modèles animaux conservent encore une place importante, notamment pour prendre en compte les relations entre les organes et les études comportementales ou de genre.

Les innovations technologiques irriguent les domaines thérapeutiques et diagnostiques. L’utilisation de sondes implantables se développe pour la détection et l’enregistrement d’informations locales ou la délivrance thérapeutique ciblée. Par ailleurs, l’imagerie biologique et médicale évolue constamment dans toutes les modalités vers de plus hautes résolution et sensibilité pour des explorations précliniques et cliniques de plus en plus performantes.

Dans ces différents domaines, les recherches conduisent à la définition de nouveaux biomarqueurs issus de la biologie et de l’imagerie permettant de comprendre et de suivre le plus précocement possible et avec précision l’évolution de la maladie, ou bien la réponse à un traitement en tenant compte de la variabilité individuelle. Ces développements ont un fort potentiel socio-économique dans le contexte du développement de la médecine de précision. Comme dans d’autres domaines, l’explosion des sciences des données et de l’intelligence artificielle bouleverse les paradigmes et ouvre de nouvelles perspectives.

Introduction

La section 28 du Comité National est tournée vers l’innovation en thérapie et diagnostic couvrant ainsi des domaines allant de l’identification de cibles thérapeutiques et la pharmacologie à la bio-ingénierie et aux technologies pour la santé. La section relève principalement de l’institut des sciences biologiques (INSB) et de l’institut des sciences de l’ingénieur (INSIS) du CNRS mais couvre également des domaines d’interfaces avec d’autres instituts, notamment la chimie (INC), les sciences des données (INS2I) ou la physique (INP). Associant nouveaux concepts et outils, elle couvre ainsi de nombreux domaines disciplinaires. Les développements thérapeutiques et diagnostiques s’appuient d’une part sur des mécanismes fondamentaux en biologie cellulaire et moléculaire et d’autre part sur les techniques innovantes de la bio-ingénierie telles que la biologie synthétique et l’ingénierie tissulaire ou les développements technologiques en imagerie.

Ce document expose les avancées les plus remarquables et les thèmes émergents dans les domaines de compétence de la section 28 ainsi que les enjeux et défis à relever et leur positionnement en France et au CNRS. Nous distinguons des avancées conceptuelles et d’autres technologiques, néanmoins celles-ci sont étroitement associées à l’instar des différents domaines qui sont organisés ci-après en grandes thématiques englobant les mots clés de la section 28.

I. Pharmacologie/ nouvelles cibles/ thérapies

A. Signalisation, ligands biaisés et agents multi-cibles

Les concepts en pharmacologie évoluent rapidement et l’accumulation des connaissances autour des processus génétiques, moléculaires et physio-pathologiques des maladies amène à complexifier et diversifier les approches conceptuelles nécessaires à la découverte de nouveaux médicaments véritablement innovants. Une première stratégie consiste à affiner l’action du candidat médicament pour gagner un niveau de sélectivité dans son action pharmacologique. Cet axe privilégie des molécules qui activent sélectivement une voie de signalisation de leur récepteur cible. Il est largement exploré au niveau préclinique, notamment dans le domaine des antidouleurs opiacés, où trouver des alternatives médicamenteuses est absolument nécessaire. En effet, à côté de la voie de signalisation canonique dépendant de l’activation des protéines G, une voie de signalisation dépendant des beta-arrestines a été décrite et associée aux effets indésirables des opiacés. Dans ce cas, des « ligands biaisés » qui activeraient exclusivement la voie des protéines G ne présenteraient pas les effets secondaires liés à la voie des béta-arrestines. Par ailleurs, le concept d’un rôle fonctionnel des hétéromères formés par l’association de deux récepteurs de types différents gagne en importance et appelle la conception d’un nouveau type de ligands qui les ciblent de façon sélective et sont, cette fois, biaisés en termes de spécificité du récepteur cible. Ainsi, les ligands biaisés, qu’ils agissent comme agonistes, antagonistes ou agonistes inverses, présentent une super-sélectivité, qui redéfinit leur profil pharmacodynamique et peut affecter la dynamique de leur récepteur cible, en termes de voies de signalisation, de trafic intracellulaire et de distribution subcellulaire, d’oligomérisation, de stœchiométrie et/ou de de temps d’action, ce qui module in fine leur activité thérapeutique.

Une seconde stratégie, qui peut être vue comme antinomique de la première, consiste à s’affranchir du concept « une maladie, une cible, une molécule » qui a régi la philosophie du développement de nouveaux médicaments pendant des dizaines d’années. Dans le cas de pathologies complexes, comme la schizophrénie ou encore les maladies neurodégénératives (Alzheimer, Parkinson, Huntington…), différents types cellulaires, différentes voies neuronales et différents systèmes de neurotransmission sont touchés par le processus pathologique et une molécule sélective montre vite ses limites. Les thérapies combinées, qui reposent sur un ciblage multiple utilisant une combinaison de médicaments agissant indépendamment sur différentes cibles étiologiques d’une maladie, sont déjà utilisées en clinique depuis plusieurs années. Cependant, une combinaison pharmaceutique de plusieurs molécules médicamenteuses soulève de nombreux défis, notamment les complexités associées à des degrés de biodisponibilité, de pharmaco-cinétique et de métabolisme potentiellement différents, en particulier chez les patients âgés. Des molécules innovantes qui portent dans leur squelette moléculaire les éléments leur permettant d’être vues par au moins deux récepteurs différents comme des molécules mixtes sont aujourd’hui développées. On parle ici de « ligands dirigés vers plusieurs cibles » (MTDL). Ces ligands peuvent incorporer une grande variété de substances telles que des petites molécules, des polypeptides ou des acides nucléiques. Les thérapies combinées ou les MTDL pourront moduler simultanément plusieurs cibles, avec des affinités élevées et des profils d’efficacité et de sécurité supérieurs. Agir de manière synergique sur différentes cibles impliquées ou interférant avec l’étiologie multifactorielle en réseau de la maladie, qu’elle soit séquentielle ou non, devrait entraîner une amélioration clinique réelle.

Une troisième approche consiste à considérer l’organisme en conditions pathologiques pour la conception de nouveaux médicaments. De nos jours, les molécules sont le plus souvent testées exclusivement sur des systèmes cellulaires dans des conditions correspondant à celles d’un organisme sain, et ce, bien que de nombreux paramètres puissent être modifiés en conditions pathologiques. L’affinité des ligands peut par conséquent s’en trouver grandement modifiée et même largement diminuée, avec une perte d’efficacité de l’approche. Une meilleure définition de la condition pathologique s’avère donc indispensable dans l’évaluation des molécules et représente l’un des défis à venir.

Finalement, on observe depuis peu un effort important sur le repositionnement de molécules déjà approuvées par l’autorité de santé pour de nouvelles indications thérapeutiques en raison de la longueur et de la difficulté de générer et de valider de nouvelles molécules mais aussi parce que les effets indésirables sont déjà connus et l’étape d’autorisation de mise sur le marché acquise. Cette nouvelle vision va sans nul doute également influer sur les recherches précliniques.

B. Nouvelles cibles thérapeutiques

1. Épigénétique

Les recherches fondamentales de cette dernière décennie ont souligné la complexité des mécanismes multiples qui régulent le génome. En particulier, à la complexité de la machinerie moléculaire contrôlant finement la transcription des ARN, s’ajoutent des mécanismes encore mal compris qui modifient l’organisation tridimensionnelle de la chromatine et l’accessibilité au code génétique. Ces phénomènes physiologiques, dits « épigénétiques » incluent notamment la régulation complexe des modifications post-traductionnelles des histones (acétylation, méthylation, ubiquitination…), les modifications de la molécule d’ADN (e.g. methylation), et l’intervention d’ARN non-codant (ARN longs non codants, ARN circulaires, etc.). La machinerie moléculaire de réparation de l’ADN est étroitement liée aux régulations épigénétiques. Les dérégulations des systèmes épigénétiques sont mises en évidence dans de nombreuses maladies, notamment dans les maladies du système nerveux (neurodégénératives, l’addiction, la dépression…), les atteintes du métabolisme (diabète), le cancer et bien d’autres, surtout dans les pathologies pour lesquelles les cellules souches interviennent. Des résultats pionniers ont été obtenus démontrant la faisabilité d’agir sur ces systèmes pour modifier la pathologie dans des modèles animaux, soulignant le potentiel thérapeutique que l’étude de l’épigénétique représente, outre l’intérêt en termes de connaissance fondamentale.

2. Métabolisme énergétique

Le métabolisme énergétique reste depuis de nombreuses années au cœur des recherches en physiopathologie. Les exemples les plus frappants sont le ciblage du métabolisme anormal de nombreux types de tumeurs cancéreuses, les anomalies précoces des boucles métaboliques dans le diabète ou les modifications majeures du métabolisme cérébral (et parfois périphérique) dans les atteintes neurologiques comme dans le cas d’épilepsies focales intraitables ou la maladie d’Alzheimer. Si l’on pensait dans les années 1990 connaître la majeure partie des mécanismes moléculaires et enzymatiques du métabolisme, un grand nombre de travaux récents ont mis en évidence l’importance de voies métaboliques encore peu explorées, voire inconnues jusqu’alors, qui pourraient constituer une base de connaissances cruciales pour optimiser des thérapies déjà existantes, en cancérologie notamment, ou proposer de nouvelles stratégies thérapeutiques.

3. Microenvironnement et cancer

En cancérologie, en plus de l’intégration des données sur l’épigénétique et le métabolisme, spécifiques des cellules tumorales, les connaissances sur le microenvironnement et les niches de la croissance tumorale vont mener à la définition de nouvelles cibles thérapeutiques. Le rôle important joué par les cellules “normales” (fibroblastes associés au cancer ou CAFs par exemple) dans la progression tumorale et la résistance aux thérapies se précise et apporte de nouvelles propositions thérapeutiques modulant les effets de l’environnement plutôt que de la tumeur elle-même. L’étude des niches métastasiques et la compréhension des mécanismes induits par les cellules tumorales circulantes et le tissu hôte vont également ouvrir de nouvelles perspectives/cibles thérapeutiques. La découverte relativement récente de l’existence de cellules souches tumorales, potentiellement plus résistantes que leurs descendants plus différenciés mais également la mise en évidence d’une grande plasticité entre ces deux types de cellules a complexifié le schéma initial. Les recherches en cours dans le domaine devraient aboutir à la confirmation de cibles multiples qu’il faudra inactiver de façon concomitante ou séquentielle pour espérer éradiquer une tumeur.

4. Repliement anormal des protéines et maladies neurodégénératives

Le repliement anormal de protéines et leur agrégation sont au cœur de recherches actuelles sur la physiopathologie de quasiment toutes les maladies neurodégénératives. La compréhension de ces mécanismes physio-pathologiques est un enjeu actuel majeur pour imaginer interférer avec ces protéines pathologiques et ralentir l’évolution inexorable de ces maladies neurologiques.

5. Pathologies infectieuses

Un des défis sanitaires majeurs du xxie siècle est l’émergence continue de pathogènes infectieux résistants à l’arsenal thérapeutique actuel. Cette menace a conduit à un changement de paradigme autour de deux concepts prioritaires pour la recherche de nouvelles cibles et stratégies thérapeutiques anti-infectieuses : 1) les thérapies anti-facteurs de virulence du pathogène et 2) les thérapies dirigées vers l’hôte.

Le ciblage des facteurs de virulence vise à rendre l’agent infectieux inoffensif en le « désarmant » de ses capacités offensives sans pour autant entraîner d’altérations des processus métaboliques essentiels. De telles approches, en limitant la pression de sélection pour la survie, ne favoriseraient pas l’émergence de résistance et auraient pour autre avantage d’être « pathogène-spécifiques » et sans effet indésirable sur le microbiote commensal, contrairement aux antibiothérapies conventionnelles. Toutefois, la recherche et le développement de composés « anti-facteurs de virulence » à haut potentiel thérapeutique exige le renforcement de l’innovation technologique en microbiologie, notamment en lien avec la biologie de synthèse et les nanotechnologies pour la conception de tests de criblages phénotypiques de cibles moléculaires pertinentes non essentielles dans des modèles complexes d’infection (cellules, tissus, organoïdes, organismes…).

À l’opposé, les approches thérapeutiques dirigées vers l’hôte ont pour objectif de moduler la réponse à l’infection soit en exploitant les voies de défenses naturelles de l’hôte (immunothérapie prophylactique et vaccin thérapeutique), soit de façon plus innovante en modulant la réponse physiopathologique délétère associée à l’infection. Ces stratégies basées sur le corpus de connaissances de la physiologie humaine sont particulièrement favorables au repositionnement de médicaments ou de substances actives non exploitées en s’appuyant sur les avancées récentes de la biologie intégrative, de la chémogénomique et de la pharmacologie computationnelle. Ainsi les méthodes in-silico d’IA offrent des opportunités sans précédent d’analyser et exploiter la masse considérable d’informations hétérogènes issues d’approches diverses (ciblées ou globales (« omiques »)) accumulées dans des bases de données relationnelles pour en extraire des signatures complexes (altérations de l’expression de réseaux de gènes, de protéines et/ou de métabolites) de la pathologie infectieuse ou de l’effet de substances actives. L’analyse et la comparaison de ces signatures conduiront à la découverte de nouvelles cibles et au développement de stratégies thérapeutiques innovantes basées sur le repositionnement de composés susceptibles d’inverser la signature pathologique.

Devant le désengagement patent de la R&D de l’industrie pharmaceutique dans le secteur économiquement peu rentable des anti-infectieux, le soutien fort de la puissance publique pour la recherche de nouvelles approches technologiques couplées aux développements de la pharmacologie intégrative constitue un enjeu essentiel pour faire face à la menace critique de l’émergence de pandémies infectieuses pharmaco-résistantes.

6. Pathologies cardiovasculaires

Le même phénomène est à noter dans le domaine cardiovasculaire, domaine intéressant peu d’industries pharmaceutiques et peu mis en exergue dans les appels à projet, alors même que ces pathologies représentent la première cause de mortalité en France, avec leur fardeau de co-morbidités et d’impact socio-économique. Une cartographie de biomarqueurs s’inscrivant dans les technologies « omiques », de criblage haut débit (criblages de ligands dans des milieux complexes, voire in vivo dans des modèles animaux) et de réseaux biologiques reste à développer. Ce champ de recherche rejoint de fait toute la problématique de la modélisation et des analyses de données complexes (« big data ») et permettrait d’ouvrir les perspectives thérapeutiques au delà de celles largement explorées visant à réduire les hyper-cholestérolémies (statines et anticorps anti-PCSK9).

C. Biothérapies

1. Thérapie génique

La thérapie génique au sens large, ou utilisation d’un acide nucléique, ADN ou ARN, en tant que médicament, concept datant d’une quarantaine d’années, a suscité des attentes très importantes mais les résultats des premiers essais cliniques à la fin du xxe siècle n’ont pas eu l’impact attendu. Il s’en est suivi une période de méfiance et de désengagement des institutions et de l’industrie pharmaceutique, privant le domaine d’une bonne partie de ses moyens. La thérapie génique dépend de deux points clés avec d’une part la mise au point d’outils efficaces de transfert d’acides nucléiques, et d’autre part, la connaissance fine des mécanismes pathologiques au niveau génétique et transcriptionnel. Les récents progrès technologiques dans ces deux domaines permettent maintenant les premières applications cliniques industrielles comme en atteste la mise sur le marché de six produits de thérapie génique depuis août 2018. Cela donne un nouvel attrait au domaine, dont le potentiel est énorme, et de nombreux développements sont à prévoir sous réserve de renforcer la recherche, notamment sur la chimie des acides nucléiques, les vecteurs d’administration et la compréhension des mécanismes impliqués.

Les acides nucléiques médicaments peuvent être des gènes entiers, des molécules d’ARN ou des oligonucléotides de type ADN ou ARN. La recherche en chimie doit développer des nucléotides modifiés et des ligands permettant la synthèse d’acides nucléiques actifs au niveau cellulaire, reconnus par les processus enzymatiques, moins toxiques et moins sensibles à la dégradation. Cela permettrait, entre autres, le développement de siRNA stables, d’oligonucléotides permettant des réparations d’ARN messager par trans-épissage, d’oligonucléotides antisens à toxicité réduite et la synthèse in vitro d’ARN messagers à longue durée de vie. Ce domaine est actuellement très en pointe et développé principalement par des entreprises anglo-saxones, avec des applications en vaccination génétique et en immunothérapie des cancers (des essais cliniques sont en cours). Des oligonucléotides ARN courts de type microRNA capables d’agir sur les mécanismes épigénétiques impliqués dans certaines pathologies sont également une piste intéressante.

Les vecteurs d’administration doivent être améliorés, ceux de la famille des virus AAV sont actuellement les plus prometteurs et les seuls à être commercialisés, mais leur immunogénicité les rend difficiles à ré-administrer. Le développement de vecteurs viraux « furtifs » ou non immunogènes serait un progrès considérable, permettant des administrations répétées et un élargissement des domaines d’applications. Les vecteurs non viraux, utilisés principalement pour les oligonucléotides, sont surtout nanoparticulaires et doivent devenir plus performants en termes de ciblage tissulaire, de durée de vie et d’efficacité de transfection.

Enfin, un point crucial est un effort soutenu de la recherche fondamentale pour une compréhension fine des mécanismes biologiques impliqués, sans laquelle aucune stratégie de thérapie génique ne peut être définie. Des outils tels que le séquençage à haut débit ou sur cellule unique ouvrent la porte à des études cas par cas, et donc à la médecine personnalisée.

2. Thérapie cellulaire

Dans le domaine de la thérapie génique et ex vivo, c’est-à-dire des cellules, autologues ou non, modifiées in vitro par des vecteurs viraux souvent de la famille des lentivirus, et réimplantées, les applications potentielles sont particulièrement importantes. Les exemples les plus connus sont ceux des cellules CAR (chimeric antigen receptor) dans l’immunothérapie des cancers, ou des cellules CD34+ dans différentes maladies génétiques. Néanmoins, ce concept repose sur la modification génétique de cellules par des lentivirus, et le développement de vecteurs sûrs et de sites d’intégration chromosomique est nécessaire. De même, la révolution de la technologie d’édition de génome CRISPR décuple les possibilités de la thérapie génique cellulaire en raison de sa simplicité d’exécution, mais pose de nombreux problèmes de sécurité (mutations chromosomiques aléatoires) qui nécessitent le développement d’outils fiables.

La thérapie cellulaire, hors thérapie génique ex vivo, reste dans bien des domaines une approche très pragmatique pour reconstruire ou pallier un organe trop altéré pour remplir sa fonction lorsqu’une greffe n’est pas réalisable. La recherche dans ce domaine doit relever deux défis majeurs :

– une très bonne compréhension des conditions de survie et de différenciation in vitro des cellules souches (natives issues d’embryons ou cellules souches pluripotentes induites (iPSC)) vers le phénotype souhaité.

– une amélioration du taux de survie de ces cellules lors de leur implantation, leur mortalité excessive étant un facteur très limitant du succès de cette stratégie, particulièrement pour les lignées non hématopoïétiques. Une des voies particulièrement intéressante est le développement de supports tridimensionnels enrichis en facteurs de croissance et cellules auxiliaires, sur lesquels sont ensemencées les cellules souches avant implantation.

3. Immunothérapie

Révolution récente mais concept ancien, l’immunothérapie est une approche thérapeutique visant à moduler la réponse immune, en la stimulant ou en la modérant selon le contexte pathologique. Véritable changement de paradigme dans le traitement des cancers grâce aux spectaculaires progrès cliniques obtenus, l’immunothérapie est devenue l’une des approches thérapeutiques les plus prometteuses. Elle a un large champ d’applications notamment dans le traitement de maladies infectieuses (HIV, tuberculose), neurodégénératives (maladie d’Alzheimer) et auto-immunes. Plus récemment, des résultats très encourageants ont été obtenus dans le domaine cardiovasculaire, notamment par le ciblage de la composante inflammatoire de l’athérosclérose afin de réduire le risque de rupture des plaques d’athérome. Les avancées dans le domaine de l’immunothérapie se concentrent sur : (i) le développement de la biologie intégrative et une compréhension accrue du système immunitaire et de sa dynamique pour mieux appréhender les interactions entre systèmes nerveux, immunitaire et vasculaire dans les pathologies. Un axe de recherche en pleine expansion concerne le lien entre microbiote intestinal et efficacité de l’immunothérapie ; (ii) l’identification de biomarqueurs dont le taux d’expression serait en lien avec un bénéfice thérapeutique estimé pour personnaliser les traitements ; (iii) une meilleure analyse et compréhension des effets indésirables, des rechutes, des résistances ; (iv) l’exploitation des avancées technologiques (méthodes haut débit, imagerie, « omiques ») pour acquérir le maximum de données biologiques et le développement de la bioinformatique pour déchiffrer, organiser et hierarchiser les données.

L’immunothérapie est basée sur différentes approches dont principalement les cellules CAR (à partir de lymphocytes T (CAR-T) ou de cellules NK (CAR-NK)) combinant thérapie génique et cellulaire, les vaccins thérapeutiques et les anticorps. Les cellules CAR-T, porteuses d’un récepteur à antigène chimérique, sont jusqu’à présent principalement utilisées pour les pathologies hématologiques malignes. De nouvelles générations de cellules CAR-T visant à améliorer leur efficacité, élargir le spectre d’applications et standardiser la production et l’utilisation (cellules CAR-T « universelles » allogéniques) sont en cours de développement. Les vaccins thérapeutiques ont encore peu de succès (1 seul vaccin en clinique) mais de nombreuses pistes sont explorées et sont prometteuses pour le développement de vaccins préventifs et curatifs. La connaissance accrue de la biologie et de la structure des anticorps a permis de mettre en évidence la capacité de ces molécules à exercer des effets immuno-modulateurs dans certaines conditions (effet de type vaccinal par exemple), ouvrant de nouvelles perspectives thérapeutiques. Les anticorps quant à eux se déclinent en différents groupes selon les cibles. Les anticorps immunomodulateurs (inhibiteurs des points de contrôle de l’immunité) font actuellement l’objet d’une recherche accélérée. Cette révolution en immunothérapie est née des progrès récents dans la compréhension de l’immunité anticancéreuse. Des efforts de recherche considérables sont en cours pour identifier de nouveaux points de contrôle du système immunitaire afin d’élargir non seulement le type de modulation (levée de l’inhibition ou activation) mais également les cibles immunitaires (cellules NK, macrophages…).

Les anticorps monoclonaux thérapeutiques capables d’induire la mort cellulaire connaissent également un essor considérable, notamment grâce aux avancées dans l’ingénierie et le développement d’anticorps bi-spécifiques autorisant des actions plus locales et le recrutement de populations spécifiques. Les anticorps anti-cytokiniques constituent des approches thérapeutiques particulièrement développées pour les maladies autoimmunes et inflammatoires chroniques. Le développement des nouveaux anticorps thérapeutiques, monoclonaux ou conçus par bio-ingénierie, continue de progresser. Il ne faut pas oublier que la France a accumulé beaucoup de retard dans le domaine des anticorps thérapeutiques alors qu’elle en est une des plus fortes consommatrices. Même s’il s’agit de technologies éprouvées, le criblage à partir de banques de fragments d’anticorps de plus en plus performantes doit se poursuivre pour l’obtention de biothérapies ciblant des biomarqueurs nouvellement identifiés. Les biomarqueurs émergeant d’études fondamentales sur des mécanismes physiologiques comme l’épigénétique ou le métabolisme énergétique (voir le chapitre sur les nouvelles cibles thérapeutiques) ou encore issus des différentes « omiques » vont certainement renforcer prochainement le champ de la médecine de précision. Des start-ups promouvant la recherche de ligands contre ces nouvelles cibles et intégrant les biotechnologies liées à l’ingénierie des anticorps ont récemment vu le jour et le paysage industriel français s’est réuni autour de cette problématique dans un consortium, MabDesign, qui se veut une aide à la protection des résultats scientifiques et à leur valorisation.

Des verrous persistent, liés aux types d’approches et outils, à la plasticité phénotypique des cellules tumorales comme immunitaires, à la variabilité individuelle et à l’apparition d’effets indésirables moins connus. Une stratification préalable en fonction d’un profil biologique permettrait d’orienter les patients vers des immunothérapies plus adaptées afin d’éviter des surcharges en biomédicament. Ceci implique de poursuivre les études permettant de comprendre la biologie et de déterminer l’état répondeur ou non-répondeur des patients. Les tests compagnons ciblant des biomarqueurs spécifiques de la pathologie sont cruciaux pour la stratification des patients, le suivi longitudinal de la pathologie et l’établissement d’une corrélation entre l’accumulation sur le site d’intérêt et la réponse thérapeutique.

De nombreux essais cliniques sont en cours sur des combinaisons de traitements associant thérapies conventionnelles (chimiothérapie, radiothérapie) et immunothérapie, susceptibles de faire évoluer les modalités de prise en charge des patients sous immunothérapie.

De nouvelles approches combinant l’immunothérapie et la nanomédecine émergent également. Les nanomédecines peuvent être utilisées pour induire la mort cellulaire immunogénique avec un ciblage plus efficace des drogues ou pour moduler le microenvironnement tumoral. Pour nombre de pathologies, ces dernières années ont vu le développement de nano-objets biocompatibles, ciblés et thérapeutiques. Ce domaine rejoint en cela l’imagerie moléculaire ciblée et le théranostic car ces nano-objets peuvent être créés pour à la fois imager et encapsuler un médicament.

En conclusion, l’immunothérapie est un champ thérapeutique en plein essor et riche en innovations. L’expertise française en immunologie et immunothérapie est particulièrement forte dans le domaine de l’oncologie mais gagnerait à être renforcée dans les autres domaines (maladies auto-immunes, vasculaires, neurologiques, infectieuses).

4. Bio-médicaments synthétiques vivants ou “engineered Live Artificial Biologics” (eLABS)

Bien que l’utilisation rationnelle des bactéries à des fins thérapeutiques remonte à plus d’un siècle, les avancées rapides et remarquables de la biologie synthétique ouvrent de nouvelles perspectives particulièrement prometteuses dans la conception de bactéries « artificielles » génétiquement programmées pour des applications diagnostiques ou thérapeutiques. Ces approches ciblent des pathologies aussi diverses que le diabète, les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin, les infections virales ou le cancer et sont illustrées notamment par l’utilisation de bactéries conçues pour (i) délivrer in situ des composés thérapeutiques autrement dégradés dans l’estomac ou le sang, (ii) réduire l’exposition systémique aux médicaments tout en conservant l’efficacité de traitement, (iii) orienter la réponse aux immunothérapies ou (iv) enregistrer in situ des signaux transitoires par des méthodes non invasives. Ces approches en rupture tirent profit des capacités intrinsèques de bactéries vivantes d’interagir avec leur environnement en captant des signaux physio(patho)logiques et de mettre en place des réponses adaptatives génétiquement programmables pour délivrer des composés thérapeutiques ou des métabolites informatifs. Malgré un nombre d’essais cliniques encore réduit et limité par des aspects de sécurité d’utilisation qu’il reste encore à évaluer, il est vraisemblable que la reprogrammation de bactéries en agents thérapeutiques ou diagnostiques vivants est appelée à se développer dans les années à venir sous l’impulsion des grands laboratoires de recherche.

D. Nouveaux modèles pour la pharmacologie

Le choix de modèles d’études appropriés est un facteur fondamental pour développer de nouvelles cibles thérapeutiques et de nouveaux médicaments. L’utilisation des modèles animaux est sujet à débat pour des questions éthiques sur l’expérimentation animale mais aussi parce que les résultats obtenus sur les modèles animaux ne sont pas toujours confirmés chez l’homme. Les modèles ex vivo permettent de comprendre le fonctionnement d’un tissu ou d’un organe sans les interactions complexes avec les autres organes et de travailler dans des conditions contrôlées et des modèles innovants sont développés pour approcher au mieux les conditions d’un tissu ou d’un organe in vivo et pour limiter l’expérimentation animale. Néanmoins l’intégration au niveau de l’organisme entier est souvent nécessaire. L’ensemble des modèles sont complémentaires au développement des approches par modélisa-tion des données biologiques qui dépassent le cadre de la section 28 et ne sont pas traitées ici.

1. Modèles ex vivo

Ces 10 dernières années ont vu l’explosion des technologies « omiques » pour caractériser des tissus ou modèles physiopathologiques et les comparer aux tissus et cellules saines. Un énorme progrès a été réalisé en particulier en oncologie pour aboutir à la définition d’entités tumorales hétérogènes et leur classification moléculaire. La complexité de l’écosystème tumoral a été mis en évidence et rend de fait plus difficile la notion de cibles thérapeutiques qui, d’universelles pour une tumeur donnée, deviennent maintenant des caractéristiques de sous populations de patients éventuellement répondeurs à des stratégies thérapeutiques plus ciblées. Les notions d’hétérogénéité intra-tumorale (études en cellule unique) et le passage de la génomique et transcriptomique à la protéomique deviennent des challenges incontournables pour comprendre et traiter les tumeurs les plus agressives et de fait les plus résistantes. La recherche translationnelle doit s’appuyer sur des équipes/collaborations multi-disciplinaires incluant des cliniciens et des bioinformaticiens pour rester au plus près de la réalité clinique et pour évaluer de façon optimale le « big data » généré par les scientifiques ou disponible sur le net. La France souffre d’un manque de formations dédiées pour attirer de vrais mathématiciens et informaticiens vers les challenges de la biologie. L’apport de la biologie des systèmes pour intégrer les données « omiques » en réseaux d’influence plutôt qu’en termes de cibles thérapeutiques isolées est également dépendant de la transversalité des expertises dans nos laboratoires. Pour répondre aux questions posées par l’hétérogénéité tumorale, l’évolution des modèles précliniques proposés est importante. De l’évaluation de thérapies sur des lignées cellulaires établies de longue date en culture monocouche dans des milieux de culture assez éloignés de la physiopathologie, on passe maintenant à de nouveaux modèles incluant des cellules (dont les cellules souches) et tumeurs dérivées de patients cultivées en 3D et intégrant le microenvironnement, support des cellules tumorales. Les organoïdes (tumoroïdes) semblent les modèles les plus appropriés, à l’heure actuelle, pour prendre en compte ces notions. Les publications dans le domaine sont passées de la démonstration de leur pertinence à leur utilisation dans la recherche de stratégies thérapeutiques. Peu de publications françaises (en position de leadership) font appel à de tels modèles ; il semble que les technologies commencent à être importées dans nos laboratoires par de jeunes chercheurs les ayant utilisées lors de postdoctorats à l’étranger. L’avenir consiste certainement à combiner ces modèles complexes avec de la microfluidique pour aboutir à des organes-sur-puce (OOAC, organ-on-a-chip), véritables plateformes de tests thérapeutiques à grande échelle. Ces tests incluent des combinaisons thérapeutiques basées sur la notion de létalité synthétique (approches génome entier grâce à CRISPR / Cas9 et aux siRNA) et/ou des adressages de molécules au bon endroit, au bon moment grâce à des nanoparticules plateformes intégrant l’imagerie, le ciblage et le médicament. La démarche multi-omiques doit donc être promue pour la pharmacologie.

2. Modèles in vivo

Parallèlement au développement actif de modèles substitutifs/complémentaires, les modèles animaux restent importants, bien évidemment en respectant les règles d’éthique. Ainsi la reconstitution d’un système immunitaire humain dans des modèles murins immunodéficients (souris humanisées) suscite beaucoup d’intérêt, notamment en immunothérapie. Les primates non humains sont incontournables pour les études comportementales. Par ailleurs, les données épidémiologiques montrent clairement que le sexe influence l’évolution des pathologies et la réponse au traitement (maladies neurodégénératives, cancer, diabète, sepsis…). Dans le cadre de la médecine de précision et des traitements individualisés, il est important de prendre en compte ce facteur et de développer des études en amont chez l’animal, notamment chez les rongeurs mâles et femelles. L’analyse systématique des différences de vulnérabilité et possiblement de réponses à des traitements thérapeutiques expérimentaux doit être développée.

3. Prise en compte des relations multi-organes dans les modèles

La nécessité de considérer chaque organe malade comme intégré dans l’ensemble du corps humain est une priorité, non seulement en médecine mais également en recherche. Les multiples relations que le cerveau entretient avec les autres organes, et réciproquement, restent à ce jour le sujet de multiples questionnements scientifiques et médicaux. Par exemple on sait, sans en connaître les mécanismes précis, que l’état de stress conduit, via la perturbation de boucles nerveuses, à des manifestations périphériques. Dans ce cadre, un aspect émergent dans certaines maladies neurologiques (Alzheimer, Parkinson, dépression…), les cancers, et bien d’autres pathologies concerne le rôle du microbiote intestinal qui semble influencer l’évolution et/ou l’occurrence des pathologies. L’association entre de grands jeux de données (définition du microbiote par des études protéomiques et transcriptomiques à large échelle) et la caractérisation préclinique de modèles (conditions environnementales ou génétique et manipulations du microbiote) ou clinique de patients (modification du microbiote suite à des traitements pharmacologiques ou à des pathologies diverses), devrait voir le jour prochainement pour mieux comprendre les éventuelles relations de cause à effet et les mécanismes sous-jacents. Cela devrait, à terme, déboucher sur de nouvelles orientations thérapeutiques possiblement « multi-organes ».

Cette approche multi-organes est également très pertinente dans les maladies métaboliques telles que le syndrome métabolique, le diabète et l’obésité. En effet, ces maladies sont souvent associées à des troubles micro-vasculaires et des processus inflammatoires systémiques induisant une fibrose tissulaire et une défaillance fonctionnelle au niveau de plusieurs organes, à savoir le système cardio-circulatoire central, le foie et le tissu adipeux. Au cours de la progression de ces processus fibro-inflammatoires, il existe des interactions hémodynamiques et métaboliques étroites entre ces organes. Pour cibler ces interactions de manière efficace, une quantification fine et précise des processus fibro-inflammatoires systémiques doit reposer sur une approche multi-organes et multi-paramétriques (imagerie et autres données omiques). Ainsi, il est crucial de mettre au point de nouveaux biomarqueurs non invasifs pour détecter et caractériser ces processus à leur stade précoce et éventuellement réversible.

II. Avancées technologiques : ingénierie pour la santé, imagerie biomédicale

A. Organes-sur-puces (OOAC)

Les OOAC (organs-on-a-chip), ou systèmes microphysiologiques (MPS), sont des systèmes miniaturisés dynamiques qui reproduisent les fonctions structurale, micro-environnementale et physiologique d’organes humains. Ils sont issus de la convergence entre microfabrication et ingénierie tissulaire. Les applications visées sont notamment la mise au point de médicaments, la pharmacocinétique, la biodistribution, la toxicité systémique ou l’étude de pathologies dans un contexte de médecine de précision.

Les OOAC sont constitués de modèles cellulaires (cellules individuelles, tissus ou plusieurs modèles cellulaires interconnectés) positionnés dans un dispositif microfluidique et disposés dans un environnement représentant au mieux les conditions (physiologiques ou pathologiques) dans lesquelles les organes fonctionnent in vivo. Ces systèmes sont des alternatives aux méthodes conventionnelles de culture cellulaire en 2D en permettant la structuration en 3D, l’inclusion d’environnements physiques (variations de rigidité, de rugosité, de flux…) et biochimiques (composition, dégradabilité…) et la communication entre cellules ou tissus. Pour que les OOAC deviennent un outil physiologiquement pertinent pour le bénéfice du patient, l’ensemble des constituants (matériaux, cellules, gestion des fluides et suivi de la viabilité en temps réel) devra être mis au point, testé, optimisé et validé.

Les OOAC devraient représenter une réelle plus-value dans les études de toxicité ciblée (foie, cœur, système nerveux), dans la reproduction des systèmes barrières (intégrité, étanchéité, transport) et dans la combinaison de plusieurs organes, en essayant de mimer un organisme de plus en plus complet (« body-on-a-chip », BOAC). Ainsi les OOAC comportant des combinaisons foie / rein, foie / intestin, foie / moelle osseuse, l’intégration d’un système vasculaire ou immunitaire constitueront, en cas de succès, les outils d’essais in vitro physiologiquement pertinents de demain.

L’utilisation des OOAC dans l’industrie médicale et pharmaceutique dépendra de la réussite de la validation des dispositifs afin de garantir que les fonctions biologiques reproduites sur la puce sont représentatives des tissus. Pour mieux répondre aux besoins et aux normes de l’industrie pharmaceutique, de nombreux systèmes d’OOAC sont en cours de développement en collaboration avec des laboratoires académiques et l’industrie pour prendre en compte dès les premières phases de développement les contraintes liées à la commercialisation et à la validation réglemen-taire des OOAC. Le succès d’un OOAC dépendra non seulement de sa validité scientifique mais également de la facilité et de l’évolutivité de son procédé de fabrication qui, s’ils ne sont pas implémentés, pourraient constituer un écueil considérable dans le processus de commercialisation. Il faudra par conséquent trouver un compromis entre complexité du dispositif et facilité et robustesse de fabrication. L’impression 3D pourrait être utilisée pour automatiser et développer la production d’OOAC permettant ainsi un gain en rendement (prototypage rapide), en reproductibilité (automatisation) et en coût de fabrication. L’évolution vers la bio-impression, c’est-à-dire l’impression directe d’un tissu cellulaire d’intérêt, est en plein essor et promet des productions robustes. L’avenir dira si cela est réalisable à grande échelle et éthiquement acceptable.

Bien que cette technologie soit très prometteuse, l’utilisation des organes sur puces dans les programmes de recherche précliniques ou cliniques est actuellement un domaine à la fois enthousiasmant et incertain. Comme dans le cas de toute nouvelle technologie, il sera nécessaire d’éprouver et de générer des données convaincantes pour gagner en pertinence et amener les OOAC à un degré de maturité tel qu’ils seront acceptés par les autorités de réglementation comme complément ou substitut des modèles animaux.

B. Ingénierie tissulaire / biomatériaux

Il existe deux grandes approches d’ingénierie pour la régénération tissulaire. La première, proche de la médecine « substitutive », consiste à développer des biomatériaux destinés à mimer les propriétés architecturales, mécaniques et, idéalement, biologiques des tissus sains. Cette stratégie vise à élaborer des constructions tridimensionnelles avec des propriétés de résistance mécanique se rapprochant de celles des tissus natifs, en combinant l’utilisation de polymères adaptés et des techniques avancées de fabrication. Les nouvelles techniques de fabrication additive ont investi le monde médical et l’impression 3D de matière (par moulage, bio-impression additive ou « puzzling »), associée à des approches d’imagerie 3D, permet la fabrication d’implants de substitution de géométrie complexe, personnalisables avec une architecture interne contrôlée.

Une des difficultés majeures des biomatériaux reste leur compatibilité avec les systèmes biologiques qui peut être améliorée de 2 façons différentes : i) l’utilisation de polymères naturels qui possèdent une bonne biocompatibilité et biodégradabilité, une faible immunogénicité et intègrent des motifs structuraux vecteurs d’activités biologiques, comme l’interaction avec la matrice extracellulaire ou les cellules du micro-environnement ; ii) l’intégration de cellules avant implantation, domaine de la bio-impression 3D, qui vise à fabriquer des tissus biologiques vivants selon des motifs et des formes 3D préalablement définis.

Les polymères naturels sont généralement composés de polysaccharides variablement sulfatés ou de gélifiants combinés à des protéines, seules ou en association. Leurs propriétés mécaniques en conditions physiologiques peuvent être améliorées par la réticulation physique de dérivés modifiés porteurs de groupements fonctionnels alkyl, ioniques ou photopolymérisables, voire par leur association avec des polymères synthétiques dans des hydrogels composites. Des nanomatériaux inorganiques, comme l’hydroxyapatite, peuvent être incorporés quand une contrainte mécanique maximale est physiologique comme, par exemple, pour le tissu osseux. Les capacités modestes d’interaction ou d’adhésion cellulaire des polysaccharides peuvent être améliorées par fixation chimique ou nanostructuration de séquences de liaison aux intégrines ou par mélange avec des dérivés collagéniques qui expriment naturellement des domaines d’adhésion cellulaire. Certains d’entre eux permettent également une versatilité de leur polymérisation, comme par exemple une gélification thermocontrôlée à partir de solutions aqueuses, ce qui améliore leur injectabilité notamment pour permettre une administration intracérébrale.

La bio-impression 3D a reçu un fort engouement, non seulement pour le développement de modèles d’organes et tissus in vitro (organoïdes complexes ou étude d’interactions entre tissus), mais également pour la fabrication de produits d’ingénierie tissulaire bio-imprimés. Si des tissus d’organisation anatomique relativement simple, comme la peau, ont pu être produits, la fabrication d’organes complexes (rein/os/cœur…) reste un challenge considérable.

Les principaux défis dans ce domaine de recherche sont de : i) découvrir ou élaborer des nouveaux polymères synthétiques biocompatibles et/ou de nouvelles combinaisons avec des polymères naturels ; ii) améliorer ou mettre au point des nouveaux procédés de fabrication des supports qui miment au plus près la complexité structurale des tissus à remplacer. Les principaux verrous technologiques sont la sélection appropriée d’encres bio-imprimables, le choix du type cellulaire et des facteurs de croissance, trophiques et de différenciation, ainsi que le procédé de fabrication qui sera le plus compatible avec le contrôle de la différenciation et la survie cellulaires. Ces procédés de fabrication devront être rapides à mettre en œuvre, permettre de contrôler le positionnement spatiotemporel des cellules dans les biomatériaux et de préserver l’intégrité cellulaire après implantation en procurant un environnement protecteur et des propriétés biomécaniques adaptées ; iii) améliorer la résolution de la bio-impression pour l’amener à la fabrication des matériaux biomimétiques avec une structuration contrôlée aux échelles micro/nanométriques ; iv) concevoir des biomatériaux supports dont la dégradation sera synchrone avec la néo-synthèse tissulaire, afin d’améliorer leur innocuité à long terme ; v) comprendre le rôle du système immunitaire dans la régénération tissulaire avec pour objectif de modifier la surface des matrices implantées (fonctionnalisation de surface), pour contrôler les réponses immuno-inflammatoires post-implantation et/ou promouvoir localement la régénération tissulaire. Cette démarche peut d’ailleurs être étendue à l’utilisation de biomatériaux à des fins vaccinales puisque, par exemple, leur fonctionnalisation de surface par des ligands de récepteurs exprimés à la surface des cellules immunitaires (notamment les cellules présentatrices d’antigènes) pourrait permettre l’élaboration de nanoplateformes utilisables par voie non injectable. Pour des applications cliniques, tous ces progrès technologiques devront, bien entendu, être compatibles avec les normes biomédicales en vigueur (normes « médicaments de thérapie innovante préparés ponctuellement », MTI-PP), qui sont très restrictives.

La seconde approche, plus conforme à une médecine « régénérative », consiste à favoriser les processus physiologiques de régénération tissulaire en apportant aux cellules un microenvironnement favorable. Le concept est de mettre à disposition des cellules résidentes, une matrice extracellulaire « artificielle » qui favorise leur croissance, prolifération et différenciation dans les sites à réparer. Contrairement à l’approche biomimétique, le matériau ne nécessite pas d’avoir des propriétés biomécaniques proches de celles du tissu à réparer puisqu’il n’a vocation qu’à créer transitoirement un micro-environnement tridimensionnel favorable. La stratégie consiste généralement à vectoriser au site lésionnel, par injection locale ou par « patch », des cellules différenciées, progénitrices ou souches mésenchymateuses encapsulées dans des hydrogels en présence des facteurs de croissance nécessaires à l’acquisition ou au maintien de leur phénotype différencié. Les potentialités des cellules souches pluripotentes induites dans cette stratégie nécessitent d’être confirmées en raison du risque potentiel de carcinogénèse. Les facteurs de croissance ou autres acteurs (miRs, antagomiRs…) peuvent être libérés de façon prolongée (ou non) à partir de microsphères, après mélange ou fixation covalente sur les polymères de la matrice artificielle ou, plus rarement, par transfert de gènes ou sous forme de vésicules extracellulaires produites par des cellules génétiquement modifiées. Dans ce domaine de recherche, les principaux défis sont de maîtriser : i) la libération contrôlée sous forme biologiquement active, au site de réparation, des facteurs de croissance/trophiques adéquats ou des régulateurs moléculaires, comme les micro-ARNs (miRs), pour reproduire le plus fidèlement possible la séquence de différenciation cellulaire ou de maintien du phénotype cellulaire différencié. Les thérapies basées sur la libération de miRs ou d’antagomiRs ont donné des succès encourageants lorsqu’ils sont libérés à partir de cellules transfectées ou transduites insérées dans une matrice avant implantation. Le défi à venir est leur libération à partir de la matrice pour pouvoir contrôler la différenciation des cellules implantées, voire des cellules réparatrices autochtones ; ii) le pré-conditionnement des cellules progénitrices pour qu’elles adaptent leur métabolisme aux conditions micro-environnementales moins favorables (troubles hormonaux ou métaboliques, inflammation, etc.) auxquelles elles seront exposées après implantation chez des patients avec des comorbidités ; iii) la vascularisation du greffon puisque la faible viabilité des cellules dans un environnement ischémique post-implantation reste un défi majeur à relever en ingénierie tissulaire ; iv) la sélection des facteurs de croissance nécessaires à la différenciation tissulaire et leur synchronisation de libération (pré-conditionnement) par rapport au processus de différenciation ; v) l’adéquation entre la mise en œuvre de systèmes dynamiques de culture cellulaire comme les bioréacteurs et les technologies avancées de fabrication pour reproduire la fonctionnalité d’organes d’épuration (foie, rein) ou l’organisation zonale stratifiée de certains tissus (cartilage, peau, vessie par exemple). Cet objectif peut également être atteint en développant des systèmes multicouches possédant des propriétés fonctionnelles différentes, à l’instar des épithéliums/endothéliums de l’organisme. Quelle que soit la méthodologie mise en œuvre, le transfert clinique pour la médecine de précision nécessite encore beaucoup de développements technologiques et la démonstration que sa balance efficacité / innocuité est favorable. En revanche, les domaines de l’ingénierie tissulaire et des organes sur puces s’auto-fertilisent.

C. Interface homme / machine pour le diagnostic et la pharmacologie

Il s’agit ici de la conception et de la mise en œuvre de systèmes implantables destinés à mesurer des paramètres biologiques in vivo, afin d’établir un diagnostic. Dans les versions les plus élaborées, ces systèmes de diagnostic peuvent en retour guider une action thérapeutique, soit par stimulation électrique soit par le relargage in situ de substances pharmacologiques. Un exemple est le développement d’électrodes implantables dans le cerveau afin de collecter des informations sur l’excitabilité neuronale puis de la contrôler, notamment dans la prévention de la crise épileptique. Le challenge majeur dans le domaine des interfaces homme-machine concerne la tolérance de l’organisme à ces dispositifs. Pour les rendre moins invasifs, il s’agit de les miniaturiser et de les rendre biocompatibles en optimisant leurs propriétés structurales et leur chimie de surface. La technologie sans fil, dans laquelle l’objet implanté communique les paramètres mesurés au travers d’ondes, s’avère une approche prometteuse pour des systèmes plus autonomes et mieux tolérés. Le développement de ces interfaces homme-machine requiert une approche inter-disciplinaire impliquant électroniciens, chimistes et biologistes.

Il est aussi à noter le développement de dispositifs bio-électroniques hybrides implantables ou absorbables, basés sur l’interfaçage de composants électroniques et de microrganismes « synthétiques » vivants conçus par ingénierie génétique pour rapporter de manière non invasive des désordres physiologiques ou/et délivrer des solutions thérapeutiques ciblées.

D. Imagerie biomédicale

Les recherches et évolutions technologiques en imagerie bio-médicale ont permis de grandes avancées offrant aujourd’hui des outils d’exploration in vivo et non invasifs incontournables en recherche préclinique et clinique. Les développements se poursuivent pour améliorer la résolution spatiale ou temporelle, ainsi que pour faire émerger de nouveaux contrastes, de nouvelles techniques d’encodage et des biomarqueurs d’une grande sensibilité. Grâce à ces avancées technologiques, les modalités d’imagerie, par leur complémentarité, sont capables désormais d’explorer finement la morphologie, la fonction, le métabolisme et l’écoulement sanguin dans les modèles animaux et chez l’homme. Elles sont ainsi utilisées en toute complémentarité afin de détecter et de caractériser les pathologies toujours plus précocement, mieux guider le diagnostic, la planification chirurgicale et le suivi thérapeutique.

Outre les méthodes classiques d’imagerie ultrasonore, des méthodes telles que l’élastographie ou les ultrasons localisés de haute intensité pour la thérapie ciblée commencent à s’imposer dans la pratique clinique. De plus, l’imagerie ultrasonore ultrarapide associée aux techniques de super-résolution permet à présent la localisation hautement résolue en profondeur, notamment du réseau vasculaire avec l’adjonction de microbulles. Ces développements évoluent actuellement vers l’imagerie préclinique et clinique notamment pour la détection d’accidents vasculaires cérébraux à l’aide d’un système portatif disponible sur le terrain. Le principal défi des années à venir concerne la mise au point des stratégies permettant de s’affranchir de l’atténuation liée à la boite crânienne. Certains développements actuels portent sur la théranostique et la chimie in situ avec l’utilisation des nano-bulles qui offrent un contraste supérieur et sont aussi utilisées comme activateur de la sonoporation. Les principales applications sont la vectorisation pour l’activation de médicaments et particulièrement les chimiothérapies pour lesquelles un franchissement de la barrière hémato-encéphalique est nécessaire. Un domaine émergent est l’obtention d’une information de type “spectroscopie ultrasonore” à l’aide d’excitation haute fréquence et l’extraction du signal rétro-diffusé qui offre une signature cellulaire des cellules cancéreuses par exemple.

De nouvelles perspectives émergent en imagerie aux rayons X pour l’imagerie des tissus mous et l’imagerie fonctionnelle ainsi que pour la réduction des taux d’irradiation et des doses de produits de contraste injectés. La tomographie spectrale à comptage de photons ou SP-CT et notamment la technique K-edge avec des agents de contraste utilisés comme biomarqueurs ou radio traceurs permettent à présent d’avoir accès à une imagerie fonctionnelle. La tomographie X par contraste de phase ouvre la voie à l’imagerie des tissus mous ou des interfaces avec une faisabilité démontrée pour l’imagerie préclinique. Des développements en termes d’instruments et de traitements de données sont nécessaires pour mener cette technique au niveau clinique. L’investigation de la micro-architecture osseuse a motivé le développement d’appareils de CT à rayons X à très haute résolution. Ces techniques sont devenues incontournables en recherche préclinique, en particulier en ingénierie tissulaire osseuse, mais ont des applications dans tous les domaines. De plus, leur développement jusqu’à des échelles nanométriques permettra de réaliser de nouvelles microscopies X 3D plein champ et non destructives.

En IRM (imagerie par résonance magnétique) l’amélioration des séquences, des antennes et des méthodologies de reconstruction des images ainsi que la montée en champ magnétique permettent de gagner toujours plus en résolutions spatiale et temporelle tout en atteignant des qualités de signal et de contraste sans précédent. Dans le domaine des ultra-hauts champs, la France est équipée de 3 imageurs à 7 Tesla et s’est dotée récemment du premier IRM à 11,7 Tesla au niveau mondial (projet YSEULT, Neurospin). L’IRM ultra-haut champ constitue un champ de développements à part entière pour le transfert vers la clinique. Un intérêt existe également pour le développement des champs faibles pour des systèmes moins complexes et coûteux et un accès plus généralisé avec des développements associés pour accroître la sensibilité. Les innovations dans la technologie des antennes de radiofréquence où la France a une bonne expertise couvrent notamment les cryosondes, les métamatériaux et les antennes en réseaux phasés, à la transmission ou la réception avec des spécificités pour les bas ou hauts champs. De nouvelles méthodes en IRM et spectroscopie de résonance magnétique sont développées pour une vision dynamique des atteintes pathologiques.

En parallèle au développement spectaculaire de l’imagerie optique pour l’imagerie cellulaire, des méthodes optiques couvertes par la section 28 sont spécifiques au domaine de la santé avec le développement de nouveaux outils diagnostiques et d’exploration notamment pour l’endoscopie digestive ou l’imagerie haute résolution de la rétine.

En imagerie TEP (tomographie par émission de positons) l’enjeu reste la sélectivité moléculaire. L’un des défis à l’heure actuelle est par exemple de trouver des marqueurs moléculaires TEP spécifiques et sélectifs des différentes formes d’agrégats (tau, Abeta, alpha-synucléine…) pour les maladies neurodégénératives pour réaliser un diagnostic différentiel et suivre des molécules thérapeutiques dont l’effet passe certainement par une diminution de l’agrégation. De nouvelles méthodes en TEP se développent pour une vision dynamique des atteintes cérébrales.

Les enjeux sont également de multiplier les informations issues de ces différentes techniques d’imagerie afin de couvrir les aspects morphologiques, fonctionnels, métaboliques et hémodynamiques de l’organe exploré ou de combiner les techniques avec le développement des imageurs hybrides tels que le TEP-IRM ou l’association TEP-ultrasons dont plusieurs équipements ou prototypes existent en France. La capacité à extraire des biomarqueurs synthétiques et sensibles des informations générées par ces imageries multimodales permettra un phénotypage riche des phénomènes physiopathologiques complexes et un diagnostic précoce et personnalisé pour le patient. Plusieurs cathéters hybrides ont été introduits en cardiologie, combinant notamment la spectroscopie proche infrarouge et l’échographie intravasculaire (NIRS-IVUS) ou plus récemment l’auto-fluorescence proche infrarouge et la tomographie en cohérence optique (NIRAF-OCT). En raison du caractère multifactoriel des lésions athéromateuses, l’un des objectifs est de fournir un seul dispositif endoscopique tri-modal qui caractérise complètement les lésions coronaires.

L’imagerie pour le guidage de thérapies ou l’imagerie interventionnelle qui est moins invasive pour le patient et moins coûteuse est en plein essor et la France y occupe une place de tout premier plan au niveau international. Parmi les techniques de guidage, les techniques non-ionisantes telles que l’IRM et les ultrasons occupent une place de choix mais nécessitent le développement de méthodes d’imagerie temps réel où la problématique du mouvement des organes doit être prise en compte.

Les progrès dans les méthodes computationnelles, en particulier en intelligence artificielle, révolutionnent le traitement d’images mais aussi l’acquisition et la reconstruction d’images, là aussi dans les différentes modalités d’imagerie. L’exploitation des méthodes d’apprentissage profond en reconstruction suscite de nombreuses perspectives, que ce soit pour la réduction de dose, en scanner X classique ou pour la formation de l’image dans les modalités émergentes d’imagerie tomographique (spectrale, phase, microscopie…) ou en IRM combinées aux techniques de sous échantillonnage avec des gains de temps considérables à l’acquisition et la reconstruction.

Le concept de radiomique a émergé avec l’extraction de données quantitatives complexes et multi-échelles à partir des images dans le but ultime de les combiner avec d’autres données « omiques » pour converger vers une médecine de précision. En effet, les biomarqueurs d’imagerie occupent une place importante dans le contexte de la médecine actuelle de précision dans les grands domaines de pathologies couvrant notamment l’oncologie, la neurodégénérescence et les maladies cardiovasculaires et métaboliques.

Les recherches en imagerie sont très bien développées en France et sont représentées par une communauté forte. Elles reposent sur des instruments souvent coûteux en termes de prix d’achat et de maintenance. La communauté a été organisée et dotée significativement en équipements dans le cadre des investissements d’avenir dont l’infrastructure “France Life Imaging”, les instituts hospitalo-universitaire “IHU”, Equipex et Labex, mais la suite de ces programmes se pose pour la pérennité des plateformes mises en place.

E. Agents pour l’imagerie / théranostiques

Au-delà des simples caractéristiques structurelles, le fait de pouvoir visualiser des processus biologiques, pertinents sur le plan clinique, permettrait de diagnostiquer de façon plus sûre une pathologie et de mieux appréhender son évolution. C’est exactement ce que les technologies d’imagerie moléculaire peuvent proposer en suivant l’accumulation de traceurs moléculaires, spécifiques de biomarqueurs, sur les sites où l’activité de la maladie est accrue. La richesse des biomarqueurs mis en exergue par la communauté scientifique ces dernières années a suscité un réel engouement pour ce type d’imagerie, à des fins purement diagnostiques ou dans l’espoir de concevoir un outil théranostique efficace.

Les applications en imagerie optique chez l’homme nécessitent le développement de sondes de fluorescence proche infrarouge (NIRF) et de cathéters, en raison d’une profondeur de pénétration de la fluorescence inférieure à 200 μm. Parce qu’elles présentent moins de risques que les méthodes d’imagerie endoscopiques et ne nécessitent pas l’hospitalisation des patients, les méthodes d’imagerie moléculaire non invasives ouvrent une évaluation systématique des risques dans des groupes de patients plus importants. La tomographie à émission de positrons (TEP) à l’aide de nanoparticules fonctionnalisées ou d’anticorps marqués à des radionucléides non conventionnels, tels que 64Cu, 68Ga, 86Y, 89Zr dont les demi-vies plus longues autorisent une clairance du signal sanguin et une imagerie plus tardive, suscite aujourd’hui un regain d’intérêt. Par ailleurs, l’échographie, la tomodensitométrie (TDM) et l’imagerie par résonance magnétique (IRM), réputées pour être des techniques de diagnostic peu sensibles, ont été réinvesties en modalités de ciblage moléculaire. Un grand nombre de nanoparticules ciblées ont été conçues pour cartographier des biomarqueurs appropriés, connus pour être surexprimés dans les pathologies associées. Divers nanomatériaux dotés de propriétés physico-chimiques ajustables et permettant une durée de vie acceptable et une élimination par les voies biologiques naturelles ont été explorés. La fonctionnalisation de nanoparticules, micelles, liposomes ou nanoémulsions est une étape critique pour un ciblage efficace. Dans les études les plus récentes, les fragments d’anticorps humanisés ou humains ou encore les anticorps de camélidés représentent une classe de ligands privilégiée, de taille relativement petite, non immunogène, présentant de fait des possibilités facilitées de transfert vers la clinique.

En cancérologie plus particulièrement, le concept de sondes théranostiques, associant thérapie et diagnostic, introduit il y a quelques années, suscite toujours un vif intérêt. Leur développement est basé sur la valorisation des médicaments et agents hautement spécifiques, l’exploitation et l’association de radioisotopes innovants (177Lu, 210At, 64/67Cu) et de couples de radioisotopes appropriés. Les développements impliquent également l’élaboration de plateformes chimiques « multi-usage » et multifonctionnelles incluant les nano-objets, les nanomatériaux et les « biologics », la mise au point de techniques de radiomarquage basées sur la chimie bio-orthogonale, les techniques de préciblage et, dans le cas spécifique de matériaux particuliers (comme ceux à base de carbone), la recherche de méthodes de vectorisation ou de fonctionnalisation jouant sur la pharmacocinétique dans le but de minimiser les risques toxiques in vivo. Ces outils chimiques sont aussi largement recherchés pour le développement d’agents d’imagerie multimodaux permettant de tirer parti de chacun des avantages et spécificités des différentes modalités (sensibilité, résolution) et d’accéder à une imagerie multi-échelle, de la cellule au système intégré.

Conclusion

Les avancées dans les domaines de la pharmacologie, la bio-ingénierie et des technologies pour la santé enrichissent les connaissances et génèrent aussi un fort potentiel de valorisation socio-économique en contribuant à répondre à des enjeux majeurs de santé publique. Ces recherches conduisent in fine vers l’amélioration de l’efficacité des traitements, le suivi des patients et ouvrent la voie à l’application de traitements personnalisés grâce à la prise en compte des variabilités individuelles de l’expression des pathologies. Identifier le biomarqueur qui permettra de comprendre et de suivre le plus précocement possible et avec précision l’évolution de la maladie, ou bien sa réponse à un traitement, est un enjeu majeur pour la médecine actuelle. Ces avancées sont sources de développement économique pour l’industrie pharmaceutique et les entreprises spécialisées dans les technologies pour la santé. De nombreuses « start-ups » émergent dans ce domaine. Cependant la rentabilité économique et la complexité des processus conduisant à la commercialisation de nouveaux médicaments ou dispositifs médicaux peuvent freiner la valorisation de ces développements innovants. La collaboration entre la recherche académique et le milieu industriel est un facteur de développement dans ce domaine.

Parmi les pathologies abordées par les unités de recherche sur les versants pharmacologique, thérapeutique ou diagnostique, le cancer occupe une place importante suivi par les maladies neurodégénératives et infectieuses. Les recherches sur les pathologies cardiovasculaires et métaboliques sont par contre moins développées dans les laboratoires du CNRS, cette thématique étant plus présente dans les unités de recherche dépendant de l’INSERM.

Au cours des dernières années des chercheurs ont été recrutés dans les différents axes de recherche analysés dans ce document. Multidisciplinaire et aux interfaces de différents domaines de recherche fondamentale ou technologique, la section 28 se caractérise par des développements in fine pour la santé. Elle développe en effet des recherches proches de la thérapeutique et du diagnostic qui la distinguent des autres sections et CIDs, bien que l’on puisse retrouver une base fondamentale en biologie, chimie ou physique traitée par d’autres sections. Certains axes de recherche présentent des synergies avec d’autres établissements, notamment l’INSERM et le CEA, donnant lieu à des laboratoires à plusieurs tutelles dans lesquelles les différents opérateurs sont complémentaires.

Ces domaines de recherche sont en constante évolution avec l’accélération des innovations technologiques et à présent le développement de l’intelligence artificielle que les chercheurs doivent s’approprier.