Rapport de conjoncture 2019

Section 01 Interactions, particules, noyaux, du laboratoire au cosmos

Composition de la Section

Raphaël Granier de Cassagnac (président de Section), Anne-Catherine Le Bihan (secrétaire scientifique), Réza Ansari, Olivier Bourrion, Jaime Dawson, Aldo Deandrea, Mohamed El Khaldi, Beatriz Jurado Apruzzese, Élias Khan, Thierry Lamy, Frédérique Marion, Iolanda Matea, Elsa Merle, Guillaume Pignol, Olivier Sorlin, Vincent Tisserand, Antonio Uras, Benoît Viaud, Isabelle Wingerter-Seez, Piera Ghia.

Résumé

La section 01 s’intéresse à la physique de l’infiniment petit, en deça de l’échelle atomique. Elle englobe ainsi la physique nucléaire, l’étude des nucléons (et autres hadrons), la caractérisation des constituants les plus élémentaires de la matière (quarks, leptons, neutrinos) et l’étude de leurs interactions (électromagnétique, faible et forte). Le modèle standard des particules et de leurs interactions s’est vu admirablement complété par la découverte de sa clef de voûte, le boson de Higgs, en 2012. Le champ de la section 01 s’étend naturellement vers l’infiniment grand par deux liens essentiels. Primo, le scénario cosmologique du big bang relie l’Univers aujourd’hui observable aux plasmas de particules élémentaires qu’il était aux origines, et dans lequel la gravitation, quatrième interaction fondamentale, joua un rôle essentiel. Secundo, diverses particules (chargées, photons, neutrinos…) nous parviennent de l’espace et nous renseignent sur les objets astrophysiques qui les créent. Sur ce front, la découverte en 2015 des ondes gravitationnelles, à laquelle plusieurs chercheurs de la section ont contribué, représente une avancée majeure. Elle élargit le champ de l’astrophysique multi-messagère, à la frontière des sections 01, 02 et 17, et donc des instituts IN2P3, INP et INSU. La section 01 couvre également une partie des applications sociétales envisageables à la physique des particules, essentiellement vers la santé et l’énergie.

Introduction

La section 01 est la plus grande division du Comité national, avec 436 chercheurs au bilan social du CNRS de 2016. Leur champ thématique est extrêmement vaste, allant de la physique nucléaire à la cosmologie, en passant par la physique des particules élémentaires et des astroparticules. Le cœur de leur métier est la physique fondamentale et expérimentale, mais le spectre des approches suivies s’ouvre sur les applications de la physique des particules dans la société, ainsi que sur des travaux plus théoriques. Ces ouvertures thématiques et méthodologiques font que la section 01 couvre une très grande variété de profils et d’activités. Au-delà du CNRS, ces recherches sont également pratiquées dans les universités ou grandes écoles au sein d’unités mixtes de recherche, ainsi qu’au CEA.

La section 01 admet des frontières naturelles avec les sections 02 et 17, comme le souligne le nombre important de candidatures communes aux concours. Si l’essentiel des développements théoriques afférents à nos disciplines est conduit par des chercheurs de la 02, une vingtaine de théoriciens émargent à la section 01, en particulier la quasi-totalité des physiciens nucléaires du CNRS. Une vingtaine de chercheurs théoriciens de la section 02 travaillent également dans des laboratoires à dominante expérimentale de l’IN2P3.

Par ailleurs, les programmes de cosmologie et d’astroparticules ont vu de nombreux chercheurs des sections 01 et 17 collaborer sur des programmes expérimentaux (Planck, HESS, Euclid, CTA, SVOM…), apportant leurs expertises variées et complémentaires. L’émergence d’une astronomie multi-messagère, renforcée par la récente découverte des ondes gravitationnelles, intensifiera encore ces collaborations. Il paraîtrait opportun, dans ce contexte, que l’IN2P3, l’INP et l’INSU parlent d’une seule voix, et la création d’une CID « astroparticules et cosmologie » serait bénéfique à l’avenir de ces disciplines.

Une interface naturelle existe également avec la radiochimie, avec une vingtaine de chercheurs de la section 13 présents dans des laboratoires de l’IN2P3.

Sur le plan de l’emploi, il est à noter que le mandat actuel voit une baisse drastique du nombre de recrutements, due à plusieurs facteurs (dont le nombre de départs en retraite ne saurait être la seule justification), avec un minimum absolu de sept recrutements en 2019, contre une moyenne supérieure à douze sur les années 2009-17. Dans le même temps, le vivier de candidats ne semble pas avoir baissé. Cette chute n’a malheureusement pas été compensée par des recrutements dans les universités ou au CEA, loin s’en faut.

Dans ce contexte de disette, la section s’est élevée contre le coloriage à la fois thématique et géographique de la quasi-totalité de ces postes, qui lui semble nuire à la diversité des recrutements, écarter de facto d’excellents candidats, et laisser peu de place aux profils résolument originaux qui font la force à long terme d’un système de recherche.

Dans la suite, les activités de la section sont décrites en trois grandes parties, dans l’esprit du découpage actuel de l’institut en directions adjointes thématiques, et par ordre d’apparition historique : physique nucléaire, physique des particules, cosmologie et astroparticules. Cette division ne doit pas occulter les nombreux ponts qui existent entre les différentes disciplines : rôle des réactions nucléaires dans les phénomènes astrophysiques, variété des particules messagères du cosmos, physique hadronique à la frontière du nucléaire et des hautes énergies…

Nombre des chercheurs de la section 01 travaillent sur de très grands instruments, et la dernière partie de ce rapport évoque rapidement les recherches et développements nécessaires à l’avancement de nos thématiques, en particulier sur les accélérateurs et le numérique.

I. Physique nucléaire

La physique nucléaire ambitionne de comprendre la structure et la dynamique de la matière dans ses états subatomiques denses, principalement les noyaux mais également les astres extrêmes que sont les étoiles à neutrons. L’expertise qui en découle l’amène à jouer un rôle important dans les questions à forts enjeux sociétaux que sont l’énergie nucléaire et les applications pour la santé.

A. Structure et dynamique nucléaires

Les physiciens nucléaires cherchent à comprendre l’organisation des protons et des neutrons dans les noyaux atomiques. Au niveau fondamental, l’interaction forte est responsable de la cohésion de ces nucléons dans les noyaux, dans lesquels les interactions électromagnétique et faible autorisent aussi des recombinaisons radioactives. L’interaction gravitationnelle joue aussi un rôle dans l’étude des étoiles à neutrons. Le noyau atomique est ainsi un système dans lequel un nombre fini de composants interagit par au moins trois des quatre interactions fondamentales. Il en résulte une vaste et fascinante phénoménologie nucléaire (vibration ou rotation quantique, superfluidité, compression ou excitations dipolaires, transitions de formes ou de phases, agrégats nucléaires, noyaux à halo…) et c’est un immense défi pour les approches théoriques que d’en faire une description complète, a fortiori avec précision.

L’essor des recherches modernes en physique nucléaire expérimentale repose principalement sur deux axes : les nouveaux faisceaux radioactifs ou stables de haute intensité, couvrant un large spectre en énergie (de quelques keV au GeV par nucléon), en masse, et en rapport N/Z, et les détecteurs de plus en plus performants et compacts, éventuellement utilisés en combinaison avec des spectromètres.

Le dynamisme dans le domaine des accélérateurs pour la physique nucléaire est mondial et une nouvelle génération d’installations se prépare avec en France SPIRAL2 (Phase 1) et ALTO-RIB, en Europe avec FAIR (Allemagne), SPES et FRIBs (Italie), HIE-ISOLDE (CERN), ELI-NP (Roumanie), et hors de l’Europe avec RIBF (Japon), DRIBs (Russie), ARIEL (Canada), FRIB (États-Unis), ainsi que RAON-RISP (Corée du Sud), HIAF (Chine) et IThemba-Labs (Afrique du Sud). Certaines de ces installations sont déjà en fonctionnement et les équipes françaises y sont présentes.

Parmi les détecteurs, l’IN2P3 est à la pointe de la technologie avec notamment le détecteur gamma AGATA composé de cristaux de germanium segmentés qui permettent une excellente résolution en énergie et un tracking des photons, le détecteur gamma PARIS avec une résolution temporelle excellente et une efficacité inégalée à haute énergie, la cible active ACTAR-TPC combinée à une chambre à projection temporelle, le détecteur de particules chargées INDRA et son évolution vers FAZIA, ainsi que MUST2 et son évolution vers GRIT.

Les approches théoriques en physique nucléaire sont quant à elles entrées dans une nouvelle ère avec le développement de forces dérivées directement de la chromodynamique quantique (QCD) et de méthodes avancées permettant de résoudre le problème à n corps, tout en gardant un contrôle sur les incertitudes théoriques. Ce cadre ouvre la voie à une profonde compréhension des interactions nucléaires (par exemple du terme à trois corps), de leur rôle, et des liens avec les étoiles à neutrons. Ainsi les méthodes dites ab initio ont récemment décrit avec succès les noyaux ouverts, situés en milieu de couches, ce qui constitue une avancée considérable en matière d’universalité. Les physiciens français ont largement contribué à ces avancées.

Les deux autres approches principales en théorie nucléaire sont le modèle en couches et les théories de la fonctionnelle de densité. Des progrès importants ont été obtenus dans cette dernière voie pour décrire de manière unifiée et précise une très grande variété de phénomènes impliquant des noyaux légers (comme les clusters) et des noyaux lourds (comme les spectres rotationnels ou la fission). Par ailleurs, les calculs de modèle en couches sont désormais accessibles à grande échelle, permettant une description très précise des noyaux, y compris ceux éloignés de la magicité.

Ces trois grandes classes d’approches en théorie nucléaire deviennent de plus en plus perméables entre elles, ouvrant des perspectives vers une théorie nucléaire unifiée.

Enfin, la physique nucléaire est également liée à de nombreuses disciplines puisqu’elle partage des concepts théoriques avec la matière condensée, la physique atomique et la chimie quantique.

Parmi les événements majeurs, la récente découverte de la fusion de deux étoiles à neutrons par l’émission afférente d’ondes gravitationnelles a démontré, de par le rayonnement de la kilonova associée et son décalage vers le rouge en fonction du temps, que des noyaux du processus r (en particulier les lanthanides) y sont produits en très grande quantité. Le rôle de la physique nucléaire pour décrire finement le phénomène est multiple : comprendre la nucléosynthèse par capture de neutrons, ce qui implique des mesures de masses, de temps de vie, de sections efficaces de captures de neutrons pour des noyaux très exotiques, l’évolution de la structure en couches des noyaux, ainsi que leurs propriétés de fission. Des équipes de l’IN2P3 sont impliquées dans des expériences dédiées aux mesures de masses, de durées de vies et d’évolution de structure nucléaire loin de la stabilité auprès d’ISOLDE/CERN, de RIKEN, ainsi que dans des projets de compréhension et modélisation de la fission avant et après la scission, grâce aux installations LICORNE et VAMOS en France et Cryring et R3B à FAIR.

Les propriétés des noyaux atomiques sont également essentielles pour comprendre comment les éléments sont synthétisés au cœur d’étoiles de combustion lente ou explosive. On peut citer la mesure directe de la réaction 12C+12C avec STELLA, l’étude de la réaction 15O(a,g)19Ne à l’aide de MUGAST-AGATA-VAMOS qui permet aux sursauts X de se développer, et des mesures utilisant les faisceaux stables d’ALTO liées à l’étude de la nucléosynthèse dans les étoiles massives ou dans les novae.

L’équation d’état de la matière nucléaire influe sur des observables accessibles via la détection des ondes gravitationnelles ainsi que sur la masse et le rayon des étoiles à neutrons. Des études théoriques et expérimentales sont menées dans différents laboratoires de l’IN2P3 à ce sujet. Les équipes sont notamment fortement impliquées dans l’évolution du détecteur INDRA vers FAZIA, dédié en particulier à des campagnes d’expériences menées au Grand accélérateur national d’ions lourds (GANIL).

Une des questions encore sans réponse en physique nucléaire porte sur les limites de stabilité des noyaux par rapport à l’interaction forte, quand ils se comportent comme un système quantique ouvert, couplé aux états du continuum. Il en résulte la formation de halos de neutrons ou d’états géants tels que les états Effimov en cours d’étude dans le 18B à RIKEN, ou la formation d’agrégats de nucléons. Les isotopes de Be riches en neutrons en sont un exemple et peuvent être décrits comme des quasi-molécules formées de deux noyaux de 4He autour desquels orbitent les neutrons en excès. L’étude de la brisure de symétrie miroir dans des systèmes comme 36S-36Ca ou 16N-16F au GANIL permet d’avancer sur la compréhension de la violation de la symétrie de charges par la force nucléaire.

Enfin, l’étude des noyaux « superlourds » par des équipes de l’IN2P3 vise à comprendre comment synthétiser des éléments à très grand nombre de nucléons sans qu’ils fissionnent spontanément, à étudier leurs propriétés et ainsi mieux modéliser le rôle des fermetures de couches nucléaires dans leur stabilisation. Les recherches à l’IN2P3 ont lieu auprès des installations de Dubna, d’Argonne et prochainement de S3 au GANIL avec la spectroscopie des isotopes Z = 102-105 par conversion électronique, décroissance gamma et par spectroscopie laser pour en déterminer le moment magnétique et le rayon de charge.

Parmi les chercheurs de la 01, la section recense plus de 70 expérimentateurs et une petite dizaine de théoriciens travaillent sur ces aspects fondamentaux de physique nucléaire.

B. Énergie nucléaire

La France, avec ses 80 % d’énergie électrique d’origine nucléaire, reste une exception. Dans la continuité des lois Bataille (1991 et 2006), un rapport rendu au gouvernement en 2015 par le CEA, en collaboration avec le CNRS, l’IRSN et les industriels, traite des systèmes nucléaires et du cycle du combustible (amont et aval) et donne les orientations prioritaires pour « la gestion durable des matières nucléaires » et la sûreté nucléaire des installations.

Pour répondre à ces priorités, le CNRS est un acteur majeur du programme « nucléaire, énergie, environnement, déchets, société » (NEEDS). Les axes de recherches portés par les physiciens de l’IN2P3 se situent dans les systèmes nucléaires et leur déploiement. Les réacteurs de quatrième génération envisagés sont les réacteurs rapides refroidis au sodium (RNR-Na), les réacteurs rapides à sels fondus (MSFR), et les réacteurs pilotés par accélérateur (ADS).

Comme les bases de données nucléaires concernant les spectres neutroniques rapides sont incomplètes, les mesures de sections efficaces et de production de particules auprès d’installations nucléaires (IRMN, SPIRAL-II/NFS, Licorne, GSI, CERN nTOF, ILL) sont indispensables pour simuler avec des incertitudes de plus en plus réduites les paramètres de fonctionnement des cœurs nucléaires et conduire les analyses de sûreté (puissance résiduelle…). Ces mesures permettent aussi d’améliorer l’évaluation des inventaires des combustibles usés afin d’en optimiser la gestion.

Concernant la gestion des déchets, les efforts concernant les ADS, dans un cadre européen (projets GUINEVERE et FREYA puis projets MYRTE et MYRACL), à la fois en physique expérimentale des réacteurs sous-critiques et en physique des accélérateurs de haute intensité, devraient voir leur aboutissement dans la décennie à venir, par la construction du démonstrateur MYRRHA (Multi-purpose HYbrid Research Reactor for High-tech Applications). Parallèlement, des équipes du CNRS (à l’INC) travaillent sur la séparation des actinides en vue de leur transmutation ou de leur stockage ainsi que sur la problématique du retraitement et des matériaux pour les sels fondus.

Pour les systèmes de génération IV, les MSFR, réacteurs à combustible liquide très innovants quant à la gestion du combustible (cycle Th/U en fluorures et U/Pu en chlorures), constituent un des axes de développement dont le CNRS est leader en Europe (projets SAMOFAR puis SAMOSAFER). Les études portent sur la sûreté de ces systèmes avec le développement d’outils de simulation adaptés, les possibilités d’incinération des actinides des réacteurs actuels et les capacités de suivi de charge, en adéquation avec les énergies renouvelables intermittentes.

Pour la stratégie globale de renouvellement, d’extension ou d’arrêt du parc électronucléaire, des équipes de l’IN2P3 travaillent indépendamment des industriels (développement des codes MURE, CLASS) sur des scénarios énergétiques de déploiement, de développement ou d’arrêt de filières en prenant en compte les ressources en matières premières ainsi que les impacts sociétaux et économiques.

Une dizaine de chercheurs de la 01 travaillent exclusivement sur ces aspects d’énergie nucléaire.

C. Nucléaire et santé

Le CNRS est très impliqué dans les recherches en lien avec la santé. L’IN2P3 contribue significativement à cet effort avec 11 laboratoires et environ 120 équivalents temps plein impliqués en 2018, dont 17 chercheurs de la 01.

Les équipes mènent des activités très variées ayant comme point commun l’utilisation des rayonnements ionisants afin d’observer et de comprendre le vivant, ou dans une perspective de thérapie, par exemple pour la lutte contre le cancer. Ces activités s’appuient sur des compétences uniques héritées des recherches sur les processus élémentaires : modélisation des interactions fondamentales entre constituants de la matière et milieu biologique, production de faisceaux et de radionucléides, et instrumentation associée pour la détection (imagerie) et le contrôle des irradiations (dosimétrie). Plusieurs équipes de biologistes ont récemment rejoint des laboratoires de l’IN2P3 (CENBG à Bordeaux, IP2I à Lyon, LPC à Clermont…) et renforcent l’expertise disponible pour mener des recherches pertinentes en lien avec la santé.

Ces expertises ont permis de contribuer au développement de codes de simulation de référence, depuis la simulation mécaniste des interactions élémentaires physiques, physico-chimiques et chimiques avec le vivant (comme le code ouvert Geant4-DNA intégré à Geant4, ou encore NaNox) jusqu’à la planification de traitement (code ouvert GATE) dans plusieurs centres de radio/hadronthérapie en Europe. En parallèle, les équipes et services de l’IN2P3 sont impliqués dans le développement de plateformes d’irradiation représentant une offre unique en France notamment pour l’irradiation d’échantillons biologiques et/ou la production de radionucléides (citons AIFIRA et ANAFIRE à basse énergie pour la radiobiologie, ARRONAX et CYRCé aux énergies intermédiaires jusqu’aux études pré-cliniques, GANIL aux plus hautes énergies et le futur cyclotron d’ARCHADE pour la hadronthérapie). Les équipes et services sont également impliqués dans l’imagerie, depuis l’imagerie élémentaire chimique par faisceaux d’ions (par exemple pour l’étude des bio-verres ou encore l’étude des maladies neuro-dégénératives) jusqu’à l’imagerie multi-modale (CT, SPECT, PET…) et à haute sensibilité (par exemple à trois gammas) pré-clinique et clinique (par exemple lors de l’extraction des tumeurs). Cette expertise instrumentale se retrouve également pour le contrôle des faisceaux (de photons, de protons…) et de la dose délivrée lors des traitements (notamment pour l’étude des nouveaux modes de fractionnement de dose spatiaux ou temporels).

Au vu de la variété des activités menées, l’IN2P3 doit aujourd’hui renforcer ses liens de collaboration avec les autres instituts du CNRS autour de la santé. Ce renforcement lui permettra de contribuer à la structuration de la recherche à l’échelle nationale en lien avec les autres organismes acteurs du domaine. Ce positionnement devrait alors permettre de répondre conjointement et avec pertinence aux futures sollicitations et appels à projets qui permettront d’assurer visibilité et pérennité aux activités des équipes et services en lien avec la santé.

II. Physique des particules

À près de cinquante ans, le modèle standard (MS) de la physique des particules est une théorie bien établie, étayée par de nombreux tests expérimentaux. Pour autant, il ne permet pas de rendre compte de pans majeurs de la réalité physique, comme la nature de la matière noire ou l’asymétrie entre matière et antimatière observées dans l’Univers. Les efforts de la discipline se concentrent donc sur la recherche d’indices pour dépasser le MS, sur plusieurs fronts. Les expériences à la frontière de l’énergie permettent de mesurer directement les propriétés du boson de Higgs et de rechercher de nouvelles particules, tandis que celles à la frontière de l’intensité permettent des mesures de précision, l’étude des processus rares. Par ailleurs, mieux comprendre l’interaction forte et le secteur des neutrinos sont deux enjeux majeurs pour l’assise du MS.

Les années qui viennent verront l’exploitation d’équipements récents cohabiter avec la conception des prochains instruments. Pour maintenir la place importante tenue dans ce domaine par la France, un soutien à la R&D, quelle que soit l’échelle des projets, est plus que jamais capital.

Pour exposer cette recherche, les paragraphes suivants empruntent leur titre aux quatre GDR de la discipline.

A. Chromodynamique quantique

À l’échelle subnucléaire, la chromo-dynamique quantique, QCD, décrit l’interaction des quarks et des gluons. Cette théorie quantique des champs est la formulation la plus élémentaire de l’interaction forte qui assure la cohésion des noyaux. Selon les énergies, les distances ou les densités mises en jeu, la QCD conduit à une grande variété de phénomènes, plus ou moins prédictibles.

À basse énergie et à longue distance, quarks et gluons sont confinés dans des hadrons, dont les plus communs sont les protons et les neutrons. L’étude de leur structure est une activité intense, essentiellement menée au Jefferson laboratory, aux USA. L’enjeu essentiel ici est de comprendre comment leurs constituants confèrent leur propriété aux nucléons, grâce aux fonctions de distribution de partons généralisées, qui intègrent les corrélations entre position et impulsion des constituants. Avec la récente montée en puissance de l’accélérateur, de 6 à 12 GeV, des résultats importants émergent, tels que : l’augmentation du rayon du proton avec la diminution de l’impulsion des quarks (les quarks de valence sont plutôt concentrés au centre du nucléon), de premières extractions du moment orbital, et l’estimation de forces de pression colossales au sein du nucléon. Deux équipes sont très impliquées sur ce programme, une à l’IPN d’Orsay, une au DPhN du CEA.

Dans ces deux laboratoires, deux autres équipes contribuent à des programmes complémentaires de physique hadronique, au CEA sur COMPASS (CERN) et à Orsay sur HADES (GSI). Ce dernier se penche sur le comportement de la matière hadronique à température modérée (50-100 MeV), dont l’étude se poursuivra auprès du futur laboratoire FAIR (Facility for Antiproton and Ion Research, au GSI). La participation d’équipes françaises aux différentes expériences qui seront déployées à FAIR, en particulier PANDA et CBM, n’est pas actée.

À haute énergie et courte distance, les hadrons ne sont plus confinés et se dissolvent en un plasma de quarks et de gluons. Cet état de la matière, essentiellement découvert au Relativistic Heavy Ion Collider (RHIC, Brookhaven, USA) dans les années 2000, est aujourd’hui étudié au LHC. La montée en énergie d’un facteur quinze a permis d’utiliser de nouvelles sondes et d’observer de nouveaux phénomènes. Elle a surtout révélé, dès les premiers jours du LHC, que les collisions proton-proton les plus violentes revêtaient des caractères similaires (collectivité, étrangeté…) à ceux observés dans les collisions d’ions lourds. Dès lors, la question de l’émergence de la complexité, des collisions les plus élémentaires aux plus complexes est devenue centrale. La France est très impliquée dans ALICE, l’expérience dédiée à l’étude du plasma de quarks et de gluons, avec 24 physiciens CNRS qui s’intéressent, entre autres, à la coalescence du charme et à l’augmentation de l’étrange (en particulier dans les collisions proton-proton violentes). Deux petits groupes sont aussi extrêmement visibles dans les expériences CMS et LHCb et y étudient des sondes difficiles d’accès pour l’expérience ALICE (jets, bosons électro-faibles, bottomonia pour CMS, descente en énergie en mode cible fixe pour LHCb).

Le programme de physique accessible aux collisions d’ions lourds au LHC est démontré à l’horizon de 2030 (run 4). Au-delà, l’avenir de la discipline et des physiciens est une question ouverte, avec des intérêts exprimés pour un futur collisionneur électron-ion aux USA (EIC), un futur collisionneur au CERN (FCC)… À plus court terme ou plus basse énergie, la participation à d’autres programmes n’est pas exclue (NA60+, J-PARC, AFTER…).

B. Frontière en énergie

Quelques années après la découverte du boson de Higgs par les collaborations ATLAS et CMS en 2012, l’enjeu de la discipline est de caractériser en détail ce boson, seule particule élémentaire scalaire découverte à ce jour. L’objectif est de déterminer s’il s’agit du boson de Higgs prédit par le MS, d’un boson de Higgs composite ou d’un boson faisant partie d’un secteur étendu, comme prédit en supersymétrie par exemple.

Après la brisure spontanée de symétrie amenée par le champ de Higgs, les couplages du boson sont de deux natures : couplage proportionnel au carré de la masse des bosons vecteurs, et couplage de Yukawa avec les fermions (quarks et leptons) proportionnel à leur masse. Après sa découverte dans des modes bosoniques, ses couplages aux leptons tau, quarks top et quarks bottom viennent d’être observés au cours du run 2 du LHC, en 2018 et 2019. Son couplage à la troisième famille de constituants élémentaires est ainsi confirmé, tandis que celui à la deuxième famille doit encore être établi. L’observation de sa désintégration en muons est attendue dans les prochaines années, tandis que celle en paires de quarks charm est plus délicate. L’ensemble des mesures offre pour le moment un panorama très cohérent. La meilleure précision est obtenue sur le couplage dans le canal ZZ et atteint 10 %. Au terme du projet de haute luminosité du LHC (HL-LHC), vers mi-2030, il est attendu que les précisions atteindront des valeurs de 2 à 5 %.

La recherche de modes de désintégration rares, vers des mésons ou des particules invisibles, est nécessaire pour déceler des signes directs de nouvelle physique. Le boson de Higgs pourrait en effet se coupler à de la matière noire (désintégrations vers des candidats WIMP, production associée de type mono-Higgs), ou jouer un rôle dans des mécanismes de génération de masse des neutrinos. De façon complémentaire, les distributions cinématiques de ses produits de désintégrations doivent être étudiées, ainsi que celles de ses modes de production, toujours dans l’optique de déceler des déviations aux prédictions du MS. Ces recherches gagneront en ampleur au cours du run 3 du LHC, prévu de 2021 à 2023.

Si l’étude de ses désintégrations en bosons de jauge électrofaibles a permis d’exclure qu’il soit de nature purement pseudoscalaire, JP = 0–, il n’est pas exclu que des termes violant la symétrie charge-parité (CP) apparaissent dans ses couplages fermioniques, et qu’il soit un mélange d’états CP pair et impair, JCP = 0++ et JCP = 0–+. Une telle découverte signerait la présence d’un nouveau type de violation de CP, diagonale en saveur, ne faisant pas appel au traditionnel mélange. La violation de CP apparaîtrait dans les termes généralisés des couplages de Yukawa des fermions et ne dépendrait pas d’un modèle de nouvelle physique donné.

La nature quantique et relativiste du potentiel de Higgs doit être confirmée ; son auto-couplage doit être mis en évidence. Des événements di-Higgs dus au couplage trilinéaire sont d’ores et déjà recherchés et la limite supérieure obtenue sur la section efficace combinée se rapproche d’une valeur dix fois supérieure à la valeur prédite, laissant présager une observation au HL-LHC.

Enfin, la cohérence globale avec le MS doit continuer à être étudiée. Son lien privilégié avec le quark top, particule la plus lourde du MS, doit être scruté. La mesure de sa masse, mise en regard de celle du top, permet de contraindre la métastabilité du vide électrofaible. L’unitarité de la diffusion des bosons vecteurs, polarisés longitudinalement car massifs, doit être vérifiée. La non-divergence de ces sections efficaces dépend du boson de Higgs.

Un très vaste espace des paramètres super-symétriques a d’ores et déjà été balayé, allant parfois jusqu’à exclure des masses de squarks stops dites naturelles. Afin de ne laisser échapper aucun indice, les recherches gagnent en complexité et s’attachent à caractériser des scénarios de plus en plus divers. Les recherches s’orientent ainsi vers la recherche de particules à très long temps de vie, ou encore caractérisées par des signatures atypiques : apparition de jets émergents, photons retardataires, traces évanescentes, etc. Ces signatures sont par exemple attendues lorsque le gravitino est la particule super-symétrique la plus légère ou lorsque les masses des particules super-symétriques se désintégrant sont très proches (scénarios dits compressés).

Avec respectivement 65 et 28 chercheurs de la section, les équipes françaises des deux expériences ATLAS et CMS continuent à être fortement impliquées dans ces recherches de premier plan et contribuent activement à la mise à niveau des détecteurs pour la phase de haute luminosité du LHC. À plus long terme, des projets tels que l’ILC, CLIC et FCC envisagent de caractériser le boson de Higgs avec des précisions accrues, notamment de mesurer sa largeur totale indépendamment de ses modes de désintégration, ainsi que de poursuivre la recherche de signes de nouvelle physique.

C. Frontière en intensité

Les expériences à la frontière de l’intensité de la physique des particules visent à découvrir des effets nouveaux, au-delà du MS, soit en mesurant très précisément certains processus, espérant trouver une petite déviation par rapport à la prédiction du MS, soit en détectant des événements très rares qui violeraient explicitement une symétrie du MS. Dans ce domaine, plusieurs anomalies pressantes et récemment observées dans les désintégrations rares des hadrons beaux et dans la mesure du moment magnétique du muon et du rayon du proton attendent une explication. Les théoriciens, en particulier français, contribuent de façon essentielle à ce programme par des calculs de précision du MS et par l’étude des signatures de théories au-delà du MS.

La communauté expérimentale française se déploie sur deux approches complémentaires. La première exploite des grands équipements, en premier lieu le collisionneur LHC mais aussi Super-KEKB et des expériences sur cible fixe. Ces grandes expériences collectent des lots de données colossaux qui sont exploités pour étudier différents aspects de la physique de la saveur, c’est-à-dire les processus impliquant les quarks de 2e et 3e générations. La seconde approche construit et exploite des expériences dédiées à des mesures très spécifiques, particulièrement sensibles à la nouvelle physique, en particulier les moments dipolaires électrique et magnétique des particules, et les processus violant la conservation de la saveur leptonique (LFV).

Les principales expériences sur collisionneur sont LHCb au CERN, depuis 2011 avec un premier upgrade en 2019-2020, et Belle II au Japon, dans laquelle l’IN2P3 est engagée officiellement depuis l’été 2017, avec une poignée de chercheurs de la 01, pour 24 sur LHCb. Ces derniers étudient le lot sans précédent de hadrons beaux et charmés produits (dans toute leur diversité) au LHC, alors que ceux de Belle II bénéficient de l’environnement relativement peu bruyant des collisions e+e– de Super-KEKB. Ils permettront de clarifier la nature des anomalies intrigantes observées dans certaines désintégrations rares des hadrons beaux via des mesures indépendantes. C’est une priorité unanime pour la communauté de la physique des saveurs dans les cinq à dix prochaines années. Au-delà de 2030, après un second upgrade, LHCb aura une position unique pour exploiter le potentiel du HL-LHC. Notons que la communauté française, faute de ressources, est absente de certains projets : g-2 à FNAL (Chicago) ; NA62 et KLEVER au CERN, KOTO au Japon et KLOE en Italie, pour la recherche de désintégrations rares de kaons (entièrement négligées jusqu’ici) ; BES III en Chine pour l’étude des mésons charmés. Par ailleurs, des physiciens de l’IN2P3 s’intéressent à la préparation d’expériences basées sur les collisionneurs (CODEX-b au LHC) et également de faisceaux sur cibles fixes (SHIP au SPS du CERN) pour la recherche de nouvelles particules à longue durée de vie. En complément des recherches d’événements rares menées auprès des collisionneurs de particules, certaines expériences très spécifiques, réalisant des tests de grande précision des interactions fondamentales, ont un haut potentiel de découverte de phénomènes nouveaux. En particulier, la recherche française est motrice dans la mesure du dipôle électrique du neutron avec une participation importante dans le projet n2EDM au PSI (Suisse). Il s’agit d’un test de précision de l’invariance par renversement du sens du temps, puisque l’existence d’un dipôle électrique non nul révélerait une violation de cette symétrie. La France est aussi engagée dans le projet COMET au Japon pour rechercher le processus de LFV : muon en électron mais elle est absente des expériences Mue2 du FNAL et MEG et Mu3e, au PSI. Enfin, la France est impliquée dans des mesures de précision des désintégrations bêta au GANIL.

Les stratégies françaises à long terme, auprès des grands collisionneurs, devraient impliquer le collisionneur linéaire international (ILC), et/ou le futur collisionneur circulaire (FCC). La mesure améliorée des paramètres électrofaibles pourrait d’abord être fournie par l’ILC au début des années 2030. Le projet FCC prévoit un nouvel accélérateur de 100 km de circonférence au CERN à l’horizon 2035, après l’exploitation du LHC. Dans une première phase, ce serait un collisionneur e+e– à haute luminosité pour poursuivre l’étude approfondie de l’échelle électrofaible aux quatre seuils en énergie : pic du Z, paires de bosons W, de H et de quarks top. Notons que la communauté chinoise présente un projet similaire, le CEPC, qui pourrait voir le jour d’ici dix à quinze ans.

D. Neutrinos

En vingt ans, l’étude intensive des oscillations de neutrinos a établi solidement le modèle à trois saveurs, en mesurant à quelques pour cent près les écarts entre les carrés de leurs masses et tous les angles de mélange (θ12, θ23 et θ13) de la matrice UPMNS qui relie les états de masse et les états de saveur des leptons, et décrit l’oscillation des neutrinos. Ni le schéma de mélange des saveurs ainsi apparu ni la faiblesse des masses des neutrinos ne sont pour autant compris. De nombreuses expériences de précision se préparent pour répondre à plusieurs interrogations. Les leptons fournissent-ils une nouvelle source de violation de CP ? Les neutrinos sont-ils des fermions de Dirac ou de Majorana ? Quelle est la hiérarchie de masse (HM) ? Y a-t-il d’autres leptons neutres ? Une grande variété d’approches expérimentales est nécessaire, avec une forte contribution française dans tous les secteurs.

Une grande précision peut être atteinte sur plusieurs paramètres en mesurant à longue distance l’oscillation de neutrinos produits par des accélérateurs. Entre autres, l’octant de θ13, la HM ou δCP (phase de UPMNS pouvant violer CP) pourraient être déterminés pour la première fois. Deux expériences sont en cours : T2K (Japon) à laquelle la France participe, et Nova (États-Unis). Leurs données suggèrent une HM normale et une violation de CP de grande ampleur. Si cette tendance est confirmée, la prochaine jouvence de T2K (de 2021 à 2026) devrait permettre une détermination à mieux que trois écarts-types.

À plus long terme, ces recherches seront dominées par deux nouvelles expériences : HyperK au Japon et DUNE aux États-Unis. La France participe aux deux. L’immense volume cible de leurs détecteurs lointains leur assure une place de choix dans d’autres domaines, comme pour l’étude des désintégrations de nucléons ou des neutrinos astrophysiques. Pour gagner encore en précision, des groupes français étudient la possibilité d’un faisceau ultra intense issu de la European Spallation Source (Suède).

La compréhension des interactions neutrino-noyau limite les précisions atteignables. Entre autres, elle complique la détermination des flux initiaux. En plus du développement de détecteurs proches, NA61/SHINE (au SPS du CERN) et ENUBET qui mise sur l’instrumentation du tunnel où sont produits les neutrinos d’accélérateurs, sont deux approches suivies en France face à ce problème.

Comme pour ces expériences sur accélérateurs, les effets touchant les neutrinos lors d’un long parcours dans la matière permettront au télescope sous-marin ORCA de rechercher la HM, en mesurant des neutrinos atmosphériques. La France participe actuellement à sa construction.

L’expertise acquise sur les neutrinos issus de centrales nucléaires grâce au succès de Double Chooz permet à la France une contribution conséquente à JUNO, une expérience de grande taille qui exploitera des antineutrinos de réacteur à 50 km. Elle permet une approche indépendante des effets de matière pour mesurer la HM et vise une sensibilité meilleure que trois écarts-types vers 2028.

Les expériences d’oscillation citées ci-dessus permettront aussi de contraindre l’unitarité de UPMNS via un grand panel d’observables. Notons que ORCA et DUNE poursuivront les travaux pionniers d’OPERA, désormais achevés, sur l’apparition νμ → ντ.

L’hypothèse d’un neutrino stérile d’environ 1 eV, motivée par des anomalies observationnelles persistantes, pourrait être tranchée très prochainement. Parmi les nombreuses expériences cherchant une oscillation nouvelle, STEREO et SoLid déploient depuis 2018 deux technologies différentes (scintillateur liquide pour l’une, plastique pour l’autre) à quelques mètres de réacteurs expérimentaux.

La première observation par COHERENT de la diffusion élastique cohérente neutrino-noyau (2017) fournit une nouvelle observable sensible à la nouvelle physique à basse énergie (Eν ≲ 1 MeV) et une nouvelle façon de détecter des neutrinos. Les projets à venir emploient souvent des techniques cryogéniques, tels RICOCHET, NU-CLEUS ou BASKET, attendus à l’ILL ou à Chooz.

Pour observer la double décroissance β sans émission de neutrinos et tester l’hypothèse que ces derniers soient des fermions de Majorana, les groupes français travaillent sur deux technologies. La trajecto-calorimétrie de NEMO est à nouveau à l’œuvre dans le démonstrateur SuperNEMO, en cours de mise en route. Le potentiel de la bolométrie cryogénique, qui maximise résolution en énergie et réjection des bruits de fond, a été confirmé par l’expérience CUORE, ouvrant la voie à CUPID. Elle doit compter parmi les expériences les plus sensibles de la prochaine décennie, à la suite des résultats prometteurs des premiers prototypes.

Une nouvelle fenêtre d’observation unique s’est ouverte sur les neutrinos d’origine astrophysique. Ceux produits lors de supernovae seront recherchés par toutes les expériences de grande taille citées ci-dessus. Le projet KM3NeT, dans la continuité de l’expérience ANTARES, recherchera quant à lui des neutrinos de très haute énergie dans le ciel de l’hémisphère sud. La France participe à la construction de son détecteur dédié ARCA, dont une première version à 24 lignes devrait être opérationnelle d’ici environ deux ans. Le détecteur complet (230 lignes) verra le jour en milieu de décennie et sera l’un des outils de l’astrophysique multi-messagère. Par ailleurs, nos connaissances sur le fonctionnement du Soleil pourraient être complétées très prochainement par l’expérience Borexino. En prise de données jusqu’en 2020, elle cherchera à détecter les neutrinos produits par le cycle carbone-azote-oxygène, après être parvenue depuis 2007 à mesurer ceux des autres cycles dans toute leur gamme d’énergie pour confirmer le scénario d’oscillation MSW-LMA en mesurant la transition vide-matière.

Les expériences de physique des neutrinos requièrent des détecteurs très performants. Gagner en précision est un défi permanent. Les groupes français se doivent de répondre par de nombreux projets de R&D détecteurs, grâce au soutien de nos instituts. Dans le périmètre de la 01, une trentaine de chercheurs se dévouent à cette physique, souvent impliqués dans plusieurs projets d’échéances variées.

Nous soulignons enfin l’importance des travaux théoriques menés en France, tant sur la physique du neutrino en elle-même que pour la détermination d’informations indispensables aux mesures (par exemple, le flux avant oscillation).

III. Cosmologie et astroparticules

La cosmologie s’attache à rendre compte de la genèse, du contenu et de l’évolution de l’Univers. Elle s’appuie sur un modèle standard, dit ΛCDM, qui s’est affiné ces vingt dernières années avec l’analyse de données observationnelles variées. Il recèle cependant trois énigmes majeures de la physique contemporaine : la nature de la phase d’inflation prévalant dans l’Univers primordial, la nature de la matière noire, cinq fois plus abondante que la matière ordinaire mais ne se manifestant qu’à travers ses effets gravitationnels, et la nature de l’énergie noire, composante responsable de l’expansion accélérée de l’Univers. Un vaste programme expérimental et théorique dans lequel l’IN2P3 est très impliqué s’efforce de lever le voile sur ces énigmes.

En parallèle, le domaine de la physique des astroparticules vise à exploiter différents messagers cosmiques pour faire progresser à la fois la physique fondamentale et notre compréhension de l’Univers. L’IN2P3 participe ardemment à un ensemble d’expériences de détection de rayons gamma, rayons cosmiques chargés, neutrinos de haute énergie, ondes gravitationnelles. Séparément et conjointement, ces messagers permettent d’explorer les phénomènes les plus violents et les conditions les plus extrêmes de l’Univers. Émergeant il y a quelques décennies, ce domaine s’est imposé comme une branche de la discipline incontournable pour compléter les expériences en laboratoire.

Environ 45 et 70 chercheurs de la 01 dédient leur recherche à la cosmologie (y compris la recherche de matière noire) et aux astroparticules, respectivement.

A. Matière noire

L’estimation de la masse dynamique des galaxies (interagissant gravitationnellement), déduite par exemple des mesures des courbes de rotation, est près d’une dizaine de fois supérieure à la masse visible, celle des étoiles et du gaz. Il faut faire appel à une matière exotique, dominant largement la densité de matière ordinaire, pour rendre compte des observations cosmologiques. Cette matière interagirait avec la matière ordinaire presque exclusivement à travers la gravitation, rendant sa détection extrêmement difficile. Rappelons également que de nombreuses théories au-delà du MS prédisent l’existence de nouvelles particules qui pourraient constituer la matière noire cosmologique. C’est le cas en particulier des théories super-symétriques, avec de bons candidats dans la catégorie des WIMPs (weakly interacting massive particles).

Les physiciens poursuivent activement la recherche de ces particules, soit à travers leur production dans des collisions à la frontière en intensité ou en énergie (cf. II.B et II.C), auprès du LHC par exemple, soit à travers la détection de l’interaction de ces particules nouvelles qui pourraient constituer le halo sombre de notre galaxie. L’existence des WIMPs peut en effet se révéler par le dépôt d’énergie laissé par ces particules lors de collisions élastiques avec des détecteurs à très haute sensibilité. On parle alors de détection directe, abordée dans ce paragraphe, à distinguer de la détection indirecte, où des particules ou des photons de haute énergie provenant de l’annihilation par paires de WIMPs sont recherchés dans les rayons cosmiques (cf. III.C et III.D).

La communauté française a longtemps poursuivi le développement de détecteurs cryogéniques pour la détection de WIMPs, avec l’expérience EDELWEISS où des cristaux bolométriques massifs sont utilisés pour mesurer l’augmentation de la température due au dépôt d’énergie lors de la collision d’un WIMP avec un atome du cristal. Une nouvelle technologie, celle d’une chambre à dérive remplie de liquide noble (Xe, Ar), capable de mesurer le signal d’ionisation et de scintillation, a été développée durant la dernière décennie et permet d’atteindre une bien plus grande sensibilité en termes de section efficace d’interaction de WIMPs. Ce gain est obtenu principalement grâce à une masse de cible beaucoup plus élevée, comparée aux détecteurs cryogéniques. La communauté française est désormais impliquée dans le développement de cette nouvelle technologie, à travers le projet Xenon1T en particulier.

La recherche de particules de matière noire lourdes, avec une masse autour d’une centaine de GeV, candidat naturel dans la majorité des modèles explorés, s’est pour le moment révélée infructueuse. Plus récemment, l’imagination fertile des théoriciens et des phénoménologues a donné naissance à de nombreux modèles mettant en jeu des particules de matière noire bien plus légères, ou parfois plus lourdes, et des mécanismes de production non thermiques. Le spectre de masse des candidats à la matière noire s’étend désormais sur un grand nombre d’ordres de grandeur, depuis une fraction d’eV pour les axions jusqu’à des dizaines de masses solaires si on y inclut des objets compacts et des trous noirs. Des efforts sont donc déployés pour abaisser les seuils de détection en énergie des détecteurs bolométriques ou à liquide noble jusqu’au GeV, et d’autres technologies de détecteurs sont explorées, comme dans le cas du projet DAMIC, pour rechercher des particules de matière noires avec des masses autour de l’électron-volt (eV).

Notons également que l’observation des ondes gravitationnelles par les détecteurs LIGO et Virgo durant les dernières années a ravivé l’intérêt pour des objets compacts qui pourraient constituer une partie de la matière noire. En effet, bon nombre d’événements détectés seraient dus à des coalescences de trous noirs massifs, de plusieurs dizaines de masses solaires. L’effet de micro-lentille gravitationnelle, utilisé par le passé pour rechercher des objets compacts dans le halo galactique, permettrait de rechercher efficacement ces trous noirs massifs.

B. Cosmologie

Dans le domaine de la cosmologie, l’effort de la communauté française et celui de l’IN2P3 en particulier s’organise selon deux grands axes, qui peuvent être qualifiés comme la physique de l’inflation d’une part, et celle de l’énergie noire d’autre part.

Les fluctuations quantiques du champ scalaire responsable de l’inflation primordiale ont laissé leurs empreintes dans la distribution de matière et d’énergie dans l’Univers. On distingue les perturbations scalaires et tensorielles, en fonction de leur structure spatio-temporelle, les modèles inflationnaires prédisant l’existence de perturbations tensorielles. Leur présence pourrait être révélée par l’observation de structures particulières dans les anisotropies de polarisation du fond diffus cosmologique (CMB), appelées les modes B de polarisation. Pour avoir une chance d’observer ces modes, qui sont une signature de la phase d’inflation, il faut des mesures de polarisation deux à trois ordres de grandeur plus sensibles que celles de Planck.

Une importante communauté de cosmologistes spécialistes du CMB s’est constituée en France grâce à la mission Planck. Elle est aujourd’hui face au défi de se projeter dans l’avenir en l’absence de projet majeur dans le domaine en France. Une partie de la communauté française envisage de proposer une contribution majeure à la mission spatiale LiteBIRD, avec les partenaires européens et le concours des agences spatiales, le CNES et l’ESA. La mission LiteBIRD, sélectionnée par la JAXA, l’agence spatiale japonaise, pour un lancement en 2027, est dédiée à la mesure de la polarisation du CMB. Le plan focal de l’instrument serait équipé de 5 000 senseurs bolométriques de type TES (transition edge sensor), et couvrirait une quinzaine de bandes de fréquence, entre 30 et 500 GHz. Des réflexions sont également en cours pour une participation aux instruments d’observation depuis le sol (Simmons Observatory, Stage IV…), conçus et construits principalement par des laboratoires américains.

Les efforts pour mieux caractériser l’énergie noire se traduisent actuellement par la conception et la construction d’instruments pour des relevés dans le domaine optique, photométriques ou spectroscopiques. Ceux-ci ont pour objectif la cartographie de la distribution de matière, l’observation et la mesure de chandelles standard (SNIa…) et de règles standard (BAOs…) à des distances de plus en plus grandes, afin d’étendre la reconstitution de l’histoire de l’expansion cosmique jusqu’aux grands décalages vers le rouge (z < 3).

La communauté française est fortement impliquée dans les relevés photométriques LSST et la mission spatiale Euclid ; elle contribue également au relevé spectroscopique DESI. L’observation de l’Univers lointain avec ces nouveaux instruments annonce une décennie passionnante pour la cosmologie et l’étude de l’énergie noire et de la matière noire. En effet, le lancement de la mission Euclid, dédiée principalement à l’étude des grandes structures à travers l’effet de cisaillement gravitationnel, est prévu en 2022. Le relevé photométrique LSST devra également démarrer en 2022, pour une durée de dix ans, permettant l’exploration de l’Univers de plus en plus lointain, avec les supernovae, le cisaillement gravitationnel, les grandes structures et pléthore d’autres sondes cosmologiques.

D’autres fenêtres d’observation commencent également à s’ouvrir, dans le domaine radio en particulier, de 100 MHz jusqu’au GHz, à travers lesquelles on peut obtenir des cartes tridimensionnelles de l’Univers grâce à la raie à 21 cm de l’hydrogène atomique. La première phase du radiotélescope géant SKA (Square Kilometer Array) devrait être opérationnelle au milieu de la prochaine décennie, et la cartographie d’intensité, à 21 cm et avec d’autres raies, devrait apporter des informations précieuses et complémentaires aux relevés optiques.

C. Astronomie gamma

Les rayonnements électromagnétiques de haute énergie offrent une possibilité d’étudier des phénomènes parmi les plus violents de l’Univers et des environnements extrêmes. L’IN2P3 est impliqué de longue date dans des détecteurs couvrant une large gamme en énergie allant du MeV à la centaine de TeV et œuvre à faire advenir la prochaine génération d’instruments. Aujourd’hui, 28 chercheurs de la 01 travaillent sur l’astronomie gamma.

La partie basse de la gamme d’énergie est couverte par les activités de physiciens français au sein des missions spatiales INTEGRAL et son successeur Fermi, qui est actuellement le télescope gamma le plus sensible. Son instrument Fermi-LAT a détecté plus de 5 000 sources, dont plus de mille nouvelles : les catalogues LAT, qui se sont succédé au fil des années, comprennent des vestiges de supernova, des nébuleuses de vent de pulsar, des pulsars, des systèmes binaires, plusieurs classes de galaxies et un grand nombre de sources non identifiées. Tout aussi remarquable a été l’étude de l’émission diffuse gamma dans notre galaxie et notamment la caractérisation des « bulles de Fermi », des structures au-dessus et au-dessous du centre galactique s’étendant sur 50 000 années-lumière environ.

À plus haute énergie, HESS a atteint ces dernières années sa pleine maturité avec la publication de quinze années d’observations réalisées avec l’instrument dans sa configuration initiale (HESS I), la menée à bien d’une opération de jouvence des caméras des quatre premiers télescopes, et l’exploitation scientifique de la seconde phase de l’expérience après l’ajout du plus grand télescope d’imagerie Cerenkov atmosphérique jamais construit (HESS II).

L’héritage de HESS I publié en 2018 inclut un relevé en rayons gamma du plan galactique, des études de population portant sur les nébuleuses de vent de pulsar et les vestiges de supernova, des études détaillées de sources individuelles, parmi lesquelles des sources extragalactiques, dont des galaxies actives, ainsi que la recherche de nouvelles classes de sources de rayonnement gamma de très haute énergie. La publication des premiers résultats obtenus avec HESS II est venue couronner un travail d’analyse ardu. Ces efforts préfigurent les défis qui se profilent pour CTA en vue de l’exploitation d’un réseau hybride de télescopes.

Avec huit laboratoires impliqués, l’IN2P3 s’est fortement investi dans la préparation du projet CTA (Cerenkov Telescope Array) et dans la phase de construction initiale qui a permis au premier télescope de grande taille de voir le jour sur le site nord du réseau. Cette réalisation est une étape importante vers la mise en œuvre à terme d’une centaine de télescopes de taille variable sur deux sites (nord et sud), configuration qui apportera un gain en sensibilité d’un ordre de grandeur par rapport aux instruments actuels, dans la gamme d’énergie allant de 10 GeV à 100 TeV.

Les performances de CTA permettront de mener un riche programme de physique visant à comprendre l’origine et le rôle des rayons cosmiques relativistes, à sonder les environnements extrêmes (par exemple au voisinage des trous noirs et des étoiles à neutrons) et à explorer les frontières de la physique (notamment la nature de la matière noire). CTA exploitera les synergies avec les ondes gravitationnelles, les observatoires de neutrinos et de rayons cosmiques, ainsi que les satellites gamma à plus basse énergie. Parmi ces derniers, l’IN2P3 contribue fortement au projet sino-français SVOM dédié à l’étude approfondie des sursauts gamma, avec un lancement prévu en 2021.

D. Rayons cosmiques chargés

La loi de puissance apparemment régulière qui décrit le spectre d’énergie des rayons cosmiques (RC) cache en fait de faibles variations, nous donnant des indices sur la propagation et l’origine des RCs. L’étude détaillée de structures aussi subtiles a nécessité des données de plus en plus nombreuses et de plus en plus précises. L’expérience AMS-02 à bord de la Station spatiale internationale (ISS) et l’observatoire Pierre Auger en Argentine, conçus dans les années 1990 pour étudier les rayons cosmiques de haute énergie, ont répondu à cette nécessité avec une riche récolte de données et de résultats offrant un cadre sans précédent pour sonder leur origine et leur transport dans le milieu interstellaire. Les scientifiques français ont joué un rôle clef dans les deux projets, de la conception des instruments à la production des résultats de physique.

Sur l’ISS, AMS-02 est un spectromètre magnétique conçu pour mesurer les flux des différents noyaux aux énergies entre le GeV et le TeV. Lancé en 2011 et opérationnel jusqu’en 2024, il a déjà détecté plus de 140 milliards de rayons cosmiques galactiques. Grâce à la statistique élevée et à la haute précision des mesures, des avancées majeures ont été possibles, notamment avec la découverte de ruptures dans le spectre en énergie de tous les noyaux, suggérant un changement de régime dans la propagation des rayons cosmiques. Le spectre des électrons et des positrons a également été étudié de manière très précise, ainsi que la fraction de positrons. Cette dernière, croissante avec l’énergie, ainsi que le rapport quasi constant entre protons et antiprotons, ont potentiellement des implications considérables pour les théories de l’origine des RCs, y compris des interprétations en termes de nouvelles sources astrophysiques ou de matière noire.

En Argentine, l’observatoire Pierre Auger, avec ses 3 000 km2, est le plus grand détecteur au monde de gerbes atmosphériques, conçu pour étudier les rayons cosmiques aux plus hautes énergies, au-dessus de 1 EeV. Opérationnel depuis 2004, ses mesures ont bouleversé la vision traditionnelle des rayons cosmiques à ultra haute énergie (RCUHE). La découverte d’une anisotropie dipolaire pointant en dehors de notre galaxie démontre que leur origine est extragalactique. D’autre part, la découverte de nouvelles structures dans le spectre d’énergie, l’indication d’une tendance de la masse primaire vers des noyaux lourds et l’indication d’une corrélation avec des sources astrophysiques proches à des échelles angulaires assez grandes remettent en cause l’hypothèse que les RCUHEs soient principalement des protons. Une amélioration de l’observatoire, soutenue par l’IN2P3, est en construction, et sera exploitée au moins jusqu’en 2025, pour améliorer la sensibilité à la composition en masse autour de la fin du spectre énergétique.

Les contributions des scientifiques français aux deux instruments ont été bien soutenues par l’IN2P3, en termes de financements et de ressources humaines, bien que ces dernières se soient concentrées surtout dans les premières phases des deux expériences. Le nombre de physiciens de la 01 aujourd’hui impliqués sur ces sujets est de l’ordre d’une dizaine. Il reste à définir comment progresser à long terme, car la simple augmentation de leurs dimensions ne permettrait pas un accroissement assez significatif du nombre d’événements ni une amélioration significative des résolutions. Une partie de la communauté française s’intéresse à de nouvelles voies, notamment les réseaux gigantesques d’antennes radio au sol (projet GRAND) et la détection des RCUHEs depuis l’espace (projet POEMMA). Le premier consistera en un réseau d’antennes radio couvrant une surface de 200 000 km2 en Chine : la France participe au prototype GRANDProto300. POEMMA, avec ses deux photomètres sur deux satellites pour l’observation en fluorescence et en radiation Cerenkov, représente d’autre part l’évolution des travaux précédents sur le projet JEM-EUSO, auquel des scientifiques français ont participé dans la conception et l’opération de différents prototypes.

E. Ondes gravitationnelles

Last but not least, l’éclosion spectaculaire de l’astronomie des ondes gravitationnelles (OG) est sans doute le fait le plus marquant de la période couverte par le présent rapport. Le succès est venu avec l’avènement des instruments de deuxième génération, qui ont apporté un gain en sensibilité décisif par rapport aux détecteurs LIGO et Virgo initiaux. Les laboratoires de l’IN2P3 sont de longue date impliqués dans la construction et la mise en œuvre de Virgo et ont contribué de façon importante à toutes ses évolutions, dont la phase actuelle Advanced Virgo. Bien que de sensibilité moindre que celle des deux détecteurs LIGO, Virgo est un élément crucial du réseau d’antennes OG, un troisième instrument permettant alors d’effectuer un pointage des sources dans le ciel. Les équipes de l’IN2P3 ont également une grande visibilité dans l’exploitation scientifique des données, menée conjointement au sein de la collaboration LIGO-Virgo qui représente un modèle original de coopération scientifique entre projets.

Des premiers signaux détectés par LIGO aux premières sources observées à la fois avec LIGO et Virgo, dont le premier événement multi-messagers impliquant des OG, c’est un nouveau champ disciplinaire qui s’est ouvert. Citons notamment les découvertes emblématiques qui ont marqué cette période : première observation d’une coalescence de trous noirs (GW150914) et première observation d’une coalescence d’étoiles à neutrons (GW170817), cette dernière étant également observée dans l’ensemble du spectre électromagnétique. Au total, la détection d’une douzaine de sources de 2015 à 2017 a permis la publication d’un premier catalogue de sources transitoires d’OG, et le nombre de candidats a déjà plus que doublé avec les observations de 2019.

Ces détections représentent le prélude de l’exploitation des OG pour faire progresser l’astrophysique, la physique fondamentale et la cosmologie, qui se décline sur plusieurs fronts : caractérisation de la population de sources, tests de la relativité générale pour rechercher des signes de nouvelle physique, spectroscopie des trous noirs, exploration de la structure des étoiles à neutrons pour élucider l’équation d’état de la matière ultra-dense, mesure indépendante de la constante de Hubble, approfondissement du lien entre coalescences de binaires et sursauts gamma, kilonovae, production des éléments les plus lourds de l’Univers…

Ces dernières années ont par ailleurs vu des avancées importantes dans la préparation de futurs projets. D’une part, dans la perspective du projet LISA d’interféromètre spatial explorant la bande de fréquence autour du mHz, le démonstrateur de vol LISA Pathfinder, dans lequel une équipe de l’IN2P3 a joué un rôle important, a démontré la possibilité de placer deux masses test en chute libre avec une accélération relative inférieure au femto-g, ce qui a permis la sélection de LISA par l’ESA en tant que mission L3. D’autre part, le succès des interféromètres terrestres a ravivé l’activité en vue d’une troisième génération d’instruments. Les chercheurs de l’IN2P3 ont été nombreux à s’associer à la lettre d’intention parue en 2018 en faveur du projet européen Einstein Telescope (ET). Aujourd’hui, une vingtaine de chercheurs de la 01 travaillent sur les ondes gravitationnelles.

Les enjeux associés à l’évolution de cette thématique sont à la mesure de son potentiel scientifique : croissance du réseau de détecteurs (amorcée avec la mise en service du détecteur KAGRA), essor des collaborations (amorcé avec le renfort de nouveaux groupes), financement des améliorations instrumentales dans les infrastructures existantes, financement et préparation en Europe de deux projets majeurs au calendrier comparable (LISA et ET), exploitation optimale du potentiel multi-messager. Sur ce dernier point, soulignons la nécessité d’une bonne coordination entre l’IN2P3 et l’INSU pour assurer la complémentarité des moyens d’observation et un fort impact des chercheurs français, dans un contexte délicat où s’accroît la pression pour réduire les données propriétaires et leur durée.

IV. R&D

Les recherches décrites dans ce rapport nécessitent des instruments à la technologie pointue, spécifiquement conçus pour répondre aux exigences des différents programmes scientifiques, qu’il s’agisse des accélérateurs ou des détecteurs mis en jeu. L’IN2P3 est partie prenante et souvent leader dans leur développement, qui s’accomplit le plus souvent au sein de collaborations internationales. L’institut intervient dans toutes les phases des projets : R&D en amont, conception, construction, installation, mise au point, opération, maintenance, jouvence.
Ces développements doivent répondre à des défis variés portant notamment sur la sensibilité, la dynamique, la granularité, la résolution, la vitesse, la tolérance aux radiations des instruments. Pour y faire face, l’institut s’appuie à la fois sur ses chercheurs et sur ses IT, dont le nombre est en rapport avec l’ampleur des développements instrumentaux (le rapport IT/chercheurs est de 1,5 à l’IN2P3, enseignants-chercheurs compris), faisant valoir des compétences dans de multiples domaines : électronique (analogique, numérique, micro-électronique), mécanique, informatique, optique, automatique, instrumentation…

Les sections suivantes détaillent davantage deux domaines qui font l’objet d’un pilotage spécifique de l’institut, avec des DAS dédiés : les activités pour le développement d’accélérateurs et celles autour des enjeux numériques.

A. Accélérateurs

Les accélérateurs de particules sont des équipements de haute technologie nécessitant des développements pluridisciplinaires. Leur conception, leur construction, ainsi que leur exploitation nécessitent l’investissement de ressources humaines de toutes catégories et de métiers extrêmement divers, incluant de l’ingénierie de pointe mais aussi le résultat de recherches fondamentales, parfois identifiées sous le terme générique de « physique des accélérateurs ». Ces machines sont mises au service de la recherche, qu’elle soit fondamentale ou appliquée, ont des applications concrètes dans de nombreux domaines, mais représentent aussi un domaine de recherche à part entière.

En France, les acteurs du secteur sont très principalement au CNRS-IN2P3, au CEA-IRFU, ainsi que dans les deux sociétés civiles en charge des synchrotrons ESRF et SOLEIL. Les personnels des laboratoires rattachés à l’IN2P3 (~310 ETP, dont une dizaine de chercheurs de la 01) exercent leurs activités principales au sein de projets regroupés par thématiques ou au sein de plateformes, suivis par un DAS « Accélérateurs et Technologies ». Cette structuration, initiée par la nouvelle direction de l’IN2P3 à partir de 2016, améliore la visibilité des actions de l’institut dans le domaine et favorise l’interaction entre les différentes équipes de recherche ; elle devrait aussi permettre de mieux cibler les actions de R&D vers les exigences de la physique. La création récente d’un réseau « instrumentation faisceau » va dans le même sens. L’IN2P3 a aussi mis en place la labellisation de ses plateformes afin d’harmoniser leur gouvernance, leur mode de fonctionnement, ainsi que leur visibilité.

Dans ce paysage, notons la spécificité du GANIL qui regroupe environ deux cents personnels techniques, pour moitié CNRS et pour moitié CEA, ainsi que plus de trente personnes sous contrat à durée déterminée. Cette plateforme de recherche à vocation internationale est à l’aube d’une nouvelle ère, suite à la construction de l’accélérateur linéaire supraconducteur d’ions stables haute intensité de SPIRAL2 et à l’autorisation toute récente (juillet 2019) de l’Autorité de sûreté nucléaire pour la mise en service de l’installation. Cette dernière est donc maintenant entrée dans sa phase de qualification initiale, avec les objectifs de qualifier l’installation « Neutrons For Science » en 2020 et d’y mener la première expérience de physique en 2021. Concernant la production d’ions exotiques, qui est un domaine en plein essor au niveau international, la France y participe activement avec ses installations au GANIL, ainsi qu’avec l’Accélérateur linéaire et tandem à Orsay (ALTO). L’upgrade de SPIRAL a été mis en service courant 2018, grâce à un booster de charge ECR. Il a produit ses premiers faisceaux d’ions exotiques condensables dont la disponibilité va permettre d’étendre considérablement les domaines de recherche abordés. Quant à SPIRAL2, dont il convient de terminer la phase 1 et de préparer le futur avec un injecteur de haute intensité, il est devenu en 2016 un « landmark » de l’European Strategy Forum on Research Infrastructures (ESFRI). Par ailleurs, l’IN2P3 contribue de manière significative à la construction de grands projets internationaux, tels que l’ESS en Suède, FAIR en Allemagne, MYRRHA 100 MeV en Belgique. Pour la description des domaines stratégiques d’excellence de l’institut on se reportera au très complet rapport de prospectives du conseil scientifique de l’IN2P3 de décembre 2018.

Dans un avenir proche, la structuration des équipes du domaine va être profondément modifiée du fait de la fusion des laboratoires de la vallée d’Orsay. En effet à l’issue du processus, 80 % des effectifs IT du domaine des accélérateurs seront concentrés dans deux laboratoires (50 % dans le laboratoire d’Orsay, 30 % au GANIL), les 20 % restants étant partagés entre sept laboratoires. Il conviendra de suivre avec attention cette évolution et d’en mesurer les possibles impacts sur la politique stratégique de l’institut dans le domaine des accélérateurs.

B. Numérique

La nécessité de traiter les importants volumes de données générées par les détecteurs complexes développés et utilisés par les chercheurs de l’institut les a amenés à développer une expertise dans le domaine de l’analyse et de la gestion de grandes masses de données. La communauté a également développé des méthodes avancées de caractérisation et de discrimination statistique, applicables à ces données. De plus en plus d’algorithmes fondés sur l’apprentissage automatique (machine learning) et plus généralement sur l’intelligence artificielle (IA) sont développés et inclus dans les chaînes d’analyse, après une évaluation rigoureuse et quantitative de leur performance.

L’utilisation des outils issus de l’IA se répand rapidement dans de nombreux domaines d’activité, sensibles pour certains comme le diagnostic médical. Le savoir-faire des chercheurs de la section dans l’évaluation rigoureuse des performances des méthodes d’analyse et de classification automatique est un atout dans ce contexte. En effet, l’association de chercheurs spécialisés dans le domaine de l’IA et de chercheurs de l’IN2P3 permettrait une qualification rigoureuse des nouveaux algorithmes.

Le centre de calcul de l’IN2P3 (CC-IN2P3), installé sur le campus de Villeurbanne à Lyon en 1986, est une unité de service et de recherche du CNRS offrant des ressources de stockage et des services de calcul haut débit (high throughput), complémentaires aux services offerts par les autres centres de calcul du CNRS, l’IDRIS en particulier, plutôt orienté vers le calcul haute performance (parallélisme massif). Il constitue également un centre de compétences et ses services sont désormais ouverts à des projets de recherche au-delà de l’IN2P3.

Conclusion

De nombreux résultats ont été obtenus ces dernières années dans le champ des deux infinis, du monde subatomique au cosmos. Ils sont le fruit d’une collaboration constante de chercheurs, d’ingénieurs et de techniciens du monde entier, alimentés par des moyens importants et récurrents. La plus emblématique découverte de ces cinq dernières années est sans doute celle des ondes gravitationnelles, prédites près d’un siècle auparavant. Elles ouvrent une nouvelle fenêtre sur l’Univers, et des perspectives fascinantes d’astrophysique multi-messagère.

Ce genre d’avancées repose sur la confiance et l’évaluation a posteriori, et elles nécessitent un flux d’embauches soutenu, ainsi qu’un investissement pérenne dans de très grands équipements de recherche.

ANNEXE 1

Science ouverte

L’époque s’anime d’un débat sur la science ouverte. La section 01 ne peut qu’adhérer à cette philosophie. La très grande majorité de ses chercheurs publient leurs résultats depuis des décennies sur des archives ouvertes (spires, inspire-hep, arxiv…) en même temps qu’ils les envoient aux journaux traditionnels pour validation par leurs pairs. Il convient néanmoins que la science ouverte ne s’accompagne pas d’une prolifération des bases de données que les chercheurs devraient alimenter.

Parité

Les statistiques de la section 01 en termes de parité sont portées dans le tableau suivant pour les années 2016 (bilan social du CNRS) et 2019 (analyse de la section). Si la proportion globale n’évolue pas, l’équi-répartition dans les grades s’améliore.

Tableau 1 : Pour chaque grade, nombre de chercheuses et de chercheurs en section 01 (F : H) suivi du pourcentage de chercheuses, en 2016 (bilan social du CNRS) et 2019 (analyse de la section).

Grade 2016 2019
DRCE 0 : 10 0 3 : 13 18 %
DR1 9 : 53 14 % 11 : 74 13 %
DR2 26 : 103 20 % 34 : 95 26 %
Total DR 35 : 158 17 % 48 : 182 21 %
CR1 / HC 56 : 134 29 % 3 : 12 20 %
CR2 / CN 11 : 34 24 % 53 : 151 26 %
Total CR 67 : 168 28 % 56 : 163 26 %
Total 102 : 334 23 % 104 : 345 23 %