Rapport de conjoncture 2019

Section 09 Mécanique des solides. Matériaux et structures. Biomécanique. Acoustique

Composition de la Section

Brigitte Bacroix (présidente de Section) ; Régis Cottereau (secrétaire scientifique) ; Fédérica Daghia, Stéphanie Deboeuf, Julie Diani, Amadou Diop, Claudia Fritz, Anthony Gravouil, Sandra Guerard, Françoise Krazucki, Didier Lassaque, Arnaud Lejeune, Éric Maire, Olivier Millet, Mariette Nivard, Sylvain Patinet, Aurélien Saulot, Vincent Tournat, Nicolas Tryantafyllidis, Jérôme Vasseur, Elsa Vennat.

Résumé

Les thématiques de recherche majeures, traitées actuellement dans les laboratoires de la section 9, sont décrites ci-dessous ; ces thématiques sont pour la plupart très pluridisciplinaires et en lien direct avec les grands enejux industriels ou sociétux actuels (énergie, transport, santé, écologie). Elles couvrent par ailleurs un large sprectre des aspects les plus fondamentaux à de nombreuses applications.

Introduction

Depuis plus de 10 ans maintenant, les rapports de conjoncture successifs ré-affirment que les disciplines représentées dans la section 9 sont à la fois des disciplines de savoir et des disciplines de l’ingénierie. Nous ne dérogerons pas à la règle et commencerons par constater que c’est toujours le cas.

Mais, alors que le paysage de la recherche se complexifie énormément – et notamment les sources de financement possible – ce qui modifie en profondeur le métier de chercheur, trop souvent contraint désormais de passer d’une thématique à l’autre, sans logique scientifique ou sociétale évidente, il est illusoire de prétendre dresser un panorama exhaustif des thématiques en développement ou en déclin. Nous avons donc simplement recensé, sur la base des rapports de conjoncture précédents et des rapports que nous avons pu faire depuis 3 ans sur les laboratoires, les chercheurs et les projets présentés aux concours, ce que sont, de notre point de vue, les grandes thématiques importantes qui occupent actuellement une place de plus en plus grande dans les laboratoires associés à la section 9.

Ces laboratoires comptent aujourd’hui 242 chercheurs en activité, auxquels il convient d’ajouter une douzaine de directeurs de recherche émérites, 270 personnels ITA CNRS environ et plus de 2 500 enseignants-chercheurs, chercheurs et ITA d’autres établissements. Ils sont principalement implantés dans des écoles d’ingénieur, dans lesquelles l’évolution récente des technologies a vu croître de façon importante le nombre d’EC dans les 20 dernières années (la section 60 du CNU a par exemple doublé en 20 ans, mais stagne désormais), contrairement au nombre de chercheurs CNRS qui, après avoir augmenté légèrement jusqu’en 2013 est plutôt stable depuis.

Malgré une stagnation des effectifs globaux d’enseignants-chercheurs et de chercheurs (associée à une baisse des effectifs IT dans les laboratoires), la communauté française de mécanique et d’acoustique possède toujours un fort rayonnement à l’international, comme en atteste notamment la représentation notable de nos laboratoires dans les principales revues du domaine de la mécanique et de l’acoustique dans lesquelles la France apparaît le plus souvent en 3e position derrière les USA et la Chine, ou encore les médailles récentes décernées par les principales sociétés savantes internationales à plusieurs chercheurs français (par exemple, 4 enseignants – chercheurs ont été ainsi récompensés en 2018 par l’International Association of Computational Mechanics).

Si les thèmes développés vont de la recherche fondamentale aux applications, les thématiques traditionnelles (mécanique, biomécanique, acoustique) de la section 9 sont toujours en lien avec les grands enjeux sociétaux actuels principalement dans les domaines de la santé (diagnostics plus performants et réparation plus efficace), de l’énergie et des transports (matériaux et structures plus performants) et de l’écologie (matériaux, structures et procédés plus durables).

Le « toujours plus » exigé dans ces trois domaines majeurs traduit le fait que les matériaux, les structures, et même les corps doivent pouvoir être soumis à des conditions d’utilisation de plus en plus sévères : c’est évidemment le cas pour les matériaux de structure que l’on veut pouvoir utiliser le plus longtemps possible dans des domaines de sollicitation plus larges (température, vitesse de déformation, déformation, contrainte) ou soumettre à des environnements plus hostiles (très hautes températures, chimie…), mais également pour les matériaux dits fonctionnels et même les matériaux du vivant (chocs, sport…).

Cela oblige ainsi à (i) développer des outils de diagnostic et de caractérisation de plus en plus performants, (ii) inventer de nouveaux matériaux multifonctionnels résistants mécaniquement et les procédés nécessaires à leur élaboration, (iii) réaliser des simulations multi-échelles, multi-physiques plus performantes en tenant compte de tous les phénomènes de couplage possible, (iv) sans jamais négliger la durée de vie. Sur chacun de ces 4 objectifs, la section 9 joue un rôle majeur, voire de leader sur certains aspects comme nous le verrons plus bas. Elle a de plus réussi à s’emparer de deux grandes révolutions technologiques actuelles que constituent le numérique (et la question du big data) et les nouveaux procédés d’élaboration (fabrication additive), comme en attestent quelques-uns des recrutements récents en section 9.

Pour répondre aux grands enjeux listés plus haut, les efforts ont porté sur des simulations plus performantes, rapides et prédictives (section 2), sur la poursuite du développement d’outils de caractérisation et d’observation in situ en 3 dimensions (section 3), l’étude de phénomènes couplés (sections 4, 6 et 7), et la prise en compte d’interactions de plus en plus importantes avec l’environnement et l’humain (sections 4, 5 et 8, conditions de vie, de transport, de travail…), sans oublier le maintien d’une recherche solide portant sur les fondements de nos disciplines (section 1).

De ce fait, les recherches entreprises se doivent d’être de plus en plus multidisciplinaires et les mécaniciens et les acousticiens ont su s’associer à des biologistes, des physiciens, des chimistes, des automaticiens, des spécialistes de génie des procédés et même des médecins et des psychologues afin de s’atteler à des questions scientifiques de plus en plus complexes. Ces associations se traduisent d’ailleurs assez naturellement par le partage de certains mots –clés de notre section, puisque l’on retrouve par exemple les matériaux dans les sections 4, 5, 8, 10, 11,12, 15 18 et 28, la propagation d’ondes dans les sections 4 et 5, la biomécanique dans les sections 10 et 28, la mécanique en section 28 et la robotique en section 7. Cela s’est traduit également par la création de nombreux GDR pluridisciplinaires auxquels la section 9 est fortement associée (sur les 33 GDR concernant la section 9, 1/3 d’entre eux est rattaché principalement à une autre section, essentiellement parmi les sections 5, 8, 10, 15 et 28), ainsi que par l’accueil dans la section de chercheurs formés dans d’autres communautés (par exemple, presque 30 % des recrutements effectués depuis 2014 concernent ce type de profil), ce qui n’est pas sans risque sur le long terme (voir analyse SWOT en fin de rapport). Du point de vue scientifique, ces associations se sont traduites essentiellement par une part croissante des simulations aux petites échelles, de la prise en compte d’aspects multiphysiques, de recherches de plus en plus orientées vers le vivant, et d’une place grandissante à l’étude des matériaux architecturés au sens large (incluant les métamatériaux). Les grandes sociétés savantes françaises du domaine (mécanique, biomécanique, matériaux et acoustique) ont d’ailleurs également intégré ces aspects dans leurs groupes de travail (mécanique et incertain, matériaux numériques, fabrication additive…), tout en maintenant des aspects plus anciens mais toujours d’importance majeure pour l’industrie du futur (comme le soudage, ou le développement des matériaux composites). Au sein des établissements d’enseignement supérieur associés aux laboratoires, cela se traduit par ailleurs par le développement (au caractère parfois anarchique) de formations pluridisciplinaires, censées être plus attractives pour les étudiants, et qui pour certaines ont balayé des formations plus spécialisées et parfois mieux adaptées aux besoins de l’industrie. Les grands industriels de l’énergie et du transport soulignent régulièrement par exemple le besoin de recruter plus de docteurs en mécanique des matériaux. En ce sens, la formation doctorale assurée par nos laboratoires ainsi que les écoles de formation soutenues par le CNRS constituent une bonne réponse.

I. Socle théorique commun

La Mécanique théorique des Solides ou plus généralement la Mécanique des Milieux Continus, a permis dans un passé récent une unification du langage et l’émergence d’un socle commun de connaissance. L’École Française, soutenue en particulier par le CNRS, a joué un grand rôle dans l’émergence et le développement des outils fondamentaux de modélisation. Tout cela a été possible grâce à un certain modèle de fonctionnement de la recherche, permettant aux chercheurs d’avoir du temps pour réfléchir, mûrir leurs connaissances, explorer de nouvelles pistes. Cette recherche fondamentale de haut niveau, ne donnant pas nécessairement des résultats immédiatement exploitables, doit être poursuivie et encouragée par nos instances. Pour cela, il est important d’en garder le caractère unitaire, d’investir dans le long terme et d’être vigilant à la formation initiale ou continue à travers notamment des actions de formation, comme les écoles d’été spécifiques (on peut citer les écoles de Mécanique Théorique de Quiberon qui ont lieu chaque année sur des thématiques différentes), ou encore des GDRs spécifiques. On ne peut que renouveler le souhait du rapport de conjoncture précédent de pouvoir bénéficier de financements récurrents, et de recrutements réguliers, conditions nécessaires à ce que les savoirs et les compétences ne se perdent pas.

La Mécanique des Solides est une discipline vivante en constante évolution, ce qui entraîne un renouvellement de son cadre conceptuel en l’élargissant, afin de relever les défis qui lui sont posés par les applications de plus en plus nombreuses et variées. On peut citer pour les prochaines années, sans prétendre être exhaustif, plusieurs défis d’importance.

Il est de première importance de construire, en étant relié avec l’utilisation et/ou la fabrication de nouveaux matériaux et de nouvelles structures, une mécanique des Milieux Continus Généralisés, explorant des échelles plus fines, intégrant des gradients d’ordre supérieur, des énergies de surface ainsi que des couplages multiphysiques, et ceci autant pour des grandes transformations que des transformations finies.

En ce qui concerne le calcul de structures, il est nécessaire de sortir du cadre linéaire convexe. Cela impose de travailler dans un cadre mathématique difficile, où l’on devra progresser dans la prise en compte de la non-unicité, des instabilités, des localisations et pertes de régularité, ainsi que des problèmes de micro-structurations. Pour cela, il faudra construire de nouvelles lois de comportement, et bien sûr de nouveaux algorithmes numériques, associés à de nouvelles expériences à caractère fondamental.

Parmi les développements permettant entre autres la construction de modélisations pour les grandes transformations en mécanique des Milieux Continus Généralisés et la construction de schémas numériques plus performants sur des grands intervalles de temps et d’espace, ceux issus de la reformulation des lois et des grands principes de la mécanique avec des outils de géométrie différentielle modernes (variétés différentielles, Géométrie de Poisson…) sont fondamentaux.

Les disciplines « mécanique », « géométrie » et « mathématiques » ont des liens historiques très forts. Toutefois le développement des méthodes numériques a affaibli les liens qui existaient entre la « mécanique » et la « géométrie ». Le renouvellement des liens et des collaborations entre ces deux communautés doivent impérativement se poursuivre et se renforcer, en cohérence avec les actions de l’INSIS pour renforcer les liens avec l’INSMI (c’est déjà le cas avec la création en 2019 du GDR GDM Géométrie Différentielle et Mécanique).

Pérenniser une culture à la fois théorique, numérique et expérimentale contribuera à répondre aux nouveaux défis industriels posés par la conception et la fabrication de nouveaux matériaux et de structures aux propriétés ciblées (contrôlabilité, performance, effet des imperfections, durée de vie, recyclabilité…) et à l’étude des métamatériaux (conversion d’ondes, résonateur d’Helmholtz…), faisant collaborer ainsi les mécaniciens et les acousticiens de la section 9.

II. Modélisation et Simulation Numérique

Du point de vue des enjeux en modélisation et simulation numérique, plusieurs aspects complémentaires et transversaux des différentes disciplines et thématiques de la section (acoustique, mécanique de la rupture, mécanique des matériaux et des structures, procédés) peuvent également être précisés.

Les outils numériques sont utilisés de plus en plus massivement pour le traitement des données. Les méthodes de réduction de modèle en particulier permettent des progrès notables sur la modélisation en temps réel pour l’aide à la décision (en lien avec le contrôle actif) ou la co-simulation. Ces aspects sont en plein essor et semblent pouvoir se développer encore, mais des questions apparaissent autour de la gestion des données elles-mêmes (stockage, archivage, standardisation et accès des données numériques mais également expérimentales). En revanche, la taille des bases de données utilisées par exemple en biomécanique, en science des matériaux, en psycho-acoustique ne semble actuellement que marginalement permettre le développement de l’intelligence artificielle au sens entendu dans d’autres communautés (pour la reconnaissance d’images par exemple).

La communauté de la mécanique des solides est moins utilisatrice des ressources de calcul haute performance (HPC) que d’autres disciplines (en particulier la mécanique des fluides), ce qui est au moins en partie dû à des modèles physiques moins naturellement parallélisables à grande échelle (schéma implicite par exemple). En revanche, la communauté française est très bien reconnue pour le développement des méthodes numériques (cf. prix mentionnés plus haut). Les nouvelles architectures de calcul ouvrent de nouvelles possibilités, qui devront s’appuyer sur le développement d’algorithmes adaptés d’une part à ces architectures, mais également aux modèles physiques utilisés dans la communauté de la mécanique des solides. Ce point concerne les architectures GPU, déjà largement accessibles à la communauté mais encore peu utilisées, mais également les ordinateurs quantiques, dont le potentiel est plus lointain.

De nouvelles méthodes numériques continuent d’être développées pour des modèles de plus en plus complexes (couplage multi-physique, multi-échelles, coarse-graining, algorithmes de résolution basés sur la Transformée de Fourier Rapide, voir également la section 6). Le développement de ces modèles multi-échelles renforce ou crée de nouveaux ponts entre disciplines et communautés comme la mécanique des matériaux, la physique des petites échelles, ou la dynamique moléculaire. La résolution de problèmes couplant véritablement des échelles à la fois spatiales et temporelles sur plusieurs ordres de grandeur apparaît, malgré ces développements, toujours difficile. Des progrès semblent nécessaires, au moins autant en termes de modélisation qu’en termes purement numériques (modélisation probabiliste, ou basée plus fortement sur les données, par exemple), et pour ce faire, les chercheurs de la section 9 peuvent jouer un rôle majeur.

D’autre part, le domaine de la vérification et validation, consistant à proposer en plus des résultats de calcul des indicateurs de validité de ces résultats, font partie des axes forts de la communauté française de mécanique des solides numérique. L’enjeu pour les aspects de vérification (estimation d’erreur numérique) est principalement de percoler jusqu’aux outils industriels et d’être adaptés aux nouveaux algorithmes. Les aspects de validation (estimation d’erreur par rapport aux données) sont à réinventer en phase avec l’utilisation de plus en plus massive des données expérimentales, notamment due à l’imagerie (voir section 3). L’objectif majeur étant de réaliser des simulations précises, rapides et robustes, avec notamment une prise en compte de plus en plus physique des mécanismes élémentaires de plasticité, d’endommagement et de rupture aux échelles fines. L’enjeu de taille associé est en effet la sécurité des installations et engins de transport. Enfin, un regain d’intérêt pour les méthodes numériques d’optimisation de paramètres, de forme ou topologique (de l’échelle de la structure à la microstructure) est déjà observé avec la mise à disposition large d’appareils de fabrication additive pour la communauté de mécanique des solides, qui permettent de réaliser effectivement des structures beaucoup moins contraintes que par le passé.

III. Mécanique expérimentale

Les sciences expérimentales, qui jouent un rôle majeur à l’INSIS, sont une des clefs de voûte de la section 9. La mécanique expérimentale ne fait pas exception et les laboratoires de la section ont été très actifs, novateurs et donc très visibles dans ce secteur sur la récente période. Si la caractérisation expérimentale (les essais mécaniques standards notamment) a connu peu d’avancées notoires et continue avec efficacité à se développer de manière incrémentale dans les laboratoires, c’est l’instrumentation de ces essais qui a énormément progressé. On résume très souvent ces progrès par le terme « imagerie ». De manière plus précise, nous pouvons noter que la période récente a vu une progression spectaculaire de l’utilisation quantitative de l’imagerie en mécanique des matériaux et des structures.

Les essais dans les laboratoires sont aujourd’hui quasiment systématiquement instrumentés avec des méthodes optiques (voire plus, avec parfois l’ajout de caméras thermiques) mais aussi, ils sont aujourd’hui couplés lors d’essais dits « in situ » à des observations par microscopie électronique, neutronique, en champ proche, rayons X voire ultrasons. Dans toutes ces méthodes, les améliorations récentes ont porté sur la résolution spatiale et la résolution temporelle, qui sont deux clefs de la réussite de ces essais. Ainsi en imagerie optique, l’avènement de caméras ultra résolues et rapides permet des avancées dans la caractérisation mécanique associée y compris dans le domaine dynamique. Une autre tendance est que cette imagerie devient de plus en plus en 3D. Depuis longtemps, les laboratoires de la section ont été pionniers dans l’utilisation couplée de la tomographie aux rayons X sous sollicitation mécanique (en géoscience puis en science des matériaux) mais les cinq dernières années ont vu une explosion du nombre d’appareils permettant ces observations dans les laboratoires. Cette imagerie 3D peut aujourd’hui être réalisée rapidement malgré le nombre important de radiographies à acquérir (20 à 200 scans de tomographie par seconde) et des chercheurs de la section sont même récemment parvenus à reconstruire un volume 3D avec une seule radio ce qui nous amène à des acquisitions ultra rapides, à l’échelle temporelle de la radiographie.

Tous ces progrès qualitatifs s’accompagnent systématiquement aujourd’hui d’une utilisation quantitative de ces images, avec l’analyse d’images 3D d’abord. Les mesures tirées de cette analyse alimentent les modèles analytiques développés dans la section et sont des données irréfutables pour comparer avec les prévisions et ainsi valider les modèles. Les mesures de champs et le calcul direct à partir des images (2D mais surtout 3D) sont aussi systématiquement utilisés, et sur ces deux techniques les laboratoires de mécanique de la section 9 ont une contribution internationalement reconnue. Cette utilisation quantitative systématique d’images 3D a permis de revisiter un grand nombre de problèmes classiques de la mécanique et de les aborder avec un œil nouveau (rupture dynamique, déformation des matériaux cellulaires ou des biomatériaux, endommagement fragile et ductile, solidification et comportement mécanique des nouveaux matériaux issus de la fabrication additive…), améliorant ainsi dans de nombreux cas, le caractère prédictif des modèles en question.

Associé à ces développements, apparaît également un aspect numérique important : le volume de données obtenues dans les laboratoires explose et des stratégies sont à mettre en œuvre face à cette explosion, qui est actuellement gérée grâce au positionnement intéressant de la section dans l’institut, en contact direct avec des spécialistes des problèmes numériques. Quelques propositions intéressantes d’utilisation de techniques d’intelligence artificielle pour faire face à nos « big data » commencent à émerger dans la communauté et sont à explorer rapidement.

IV. Ondes acoustiques et vibrations

L’étude des phénomènes ayant trait aux vibrations de la matière et à leur propagation sous forme d’ondes (acoustiques et élastiques), constituent une thématique de recherche importante de la section 9. Elle implique en France environ 70 chercheurs CNRS et près de 300 enseignants-chercheurs répartis dans une dizaine de laboratoires. Cependant, il est clair que l’acoustique est aussi utilisée beaucoup plus largement comme moyen de caractérisation, ou d’imagerie complémentaire à d’autres méthodes par de nombreux collègues et laboratoires (émission acoustique en mécanique et science des matériaux, imagerie acoustique, microscopie acoustique, sollicitation dynamique…). Les phénomènes acoustiques et leurs applications couvrent un très large spectre de sujets de recherche allant d’aspects fondamentaux de contrôle d’ondes par des métamatériaux aux dispositifs d’imagerie et de thérapie médicales en passant par l’électro-acoustique, la vibro-acoustique, l’aéro-acoustique, la bio-acoustique, l’acoustique sous-marine, jusqu’à la perception auditive, la production sonore ainsi que l’acoustique des instruments de musique, par exemple. Ce très large champ d’investigation implique que cette thématique soit transverse, ce qui induit de nombreux recoupements avec les activités d’autres sections du Comité National (5, 7, 8, 10, 18, 30…). Parmi ce champ thématique large, le contrôle des ondes mécaniques par les métamatériaux ou milieux architecturés ainsi que les problématiques d’imagerie et de caractérisation par ultrasons sont plus particulièrement développés ci-dessous, compte tenu de la place prise actuellement par ces sujets.

A. Métamatériaux et milieux structurés pour le contrôle des ondes

Le contrôle de la propagation des ondes acoustiques et élastiques par des matériaux artificiels anime une grande partie de la communauté scientifique française et internationale en acoustique (Chine, Europe, USA, notamment). Ces structures composites artificielles peuvent en effet présenter de nombreuses propriétés originales (bandes interdites fréquentielles, modes à dispersion négative, modes localisés, guidés, unidirectionnels…) inexistantes dans la plupart des milieux naturels. Si les travaux menés jusqu’à récemment se limitaient à des études assez fondamentales donnant lieu à très peu de réalisations concrètes et industrialisables, ces dernières années ont vu la création de plusieurs start-ups (dont Metacoustic au Mans et Metabsorber à Besançon…) ayant pour objectif de proposer aux industriels des solutions efficaces à leurs problématiques, en particulier dans le domaine de l’isolation acoustique, basées sur les métamatériaux. Ces nouveaux isolants soniques, intéressant aussi de grands groupes comme la SNCF, Safran…, ont la particularité de présenter des épaisseurs très inférieures à la longueur d’onde et donc un encombrement et une masse bien plus faibles que les solutions proposées actuellement. Cependant la réalisation d’isolants soniques très basses fréquences (environ 100 Hz), larges bandes et peu encombrants restent encore un défi à fort impact sociétal. L’effort devra aussi porter sur le design de structures constituées de matériaux à faible impact environnemental. C’est ainsi que le GDR META a été créé en 2017 afin de fédérer la communauté française des métamatériaux acoustiques et de favoriser les interactions entre le monde industriel et le monde académique. La réalisation à plus grande échelle de ces structures (matériaux, coût…) devrait aussi bénéficier des développements récents des techniques d’impression 3D et de fabrication additive et donc d’une collaboration plus étroite entre mécaniciens et acousticiens (voir section 6).

La richesse des phénomènes étudiés dans ce contexte est aussi largement inspirée par d’autres communautés (optique, électro-magnétisme, physique non linéaire, physique du solide, géophysique…) avec qui la communauté de l’acoustique échange régulièrement : isolants topologiques (en lien avec le prix Nobel 2016), propagation en systèmes non-Hermitiens avec gains et pertes localisés, non-réciprocité dans les systèmes non linéaires, biaisés ou modulés en temps (exemple de la « diode » acoustique), ondes lentes, indices de propagation nuls, lentilles acoustiques à réfraction négative ou à base de métamatériaux, barrières sismiques à base de résonateurs… Les développements conceptuels récents incluent par exemple des recherches sur la brisure de la réciprocité de milieux de propagation (effet de diode acoustique), la mise en œuvre et la modélisation de métasurfaces (homogénéisation dynamique), l’étude et la mise en évidence des modes de bord topologiques…

B. Ultrasons pour l’imagerie médicale, la thérapie et la caractérisation des matériaux

La thématique de l’acoustique médicale a connu de nombreux développements technologiques ces dernières années ce qui permet in fine de proposer aux médecins des moyens de prévention, de diagnostic et de thérapie de plus en plus performants (élastographie impulsionnelle, échographie ultra-rapide, thérapie par faisceaux ultrasonores focalisés de forte intensité, tomographie ultrasonore…). Les équipes françaises contribuent de manière essentielle à ces avancées notamment liées aux nouveautés matérielles et logicielles, mais aussi, dans une moindre mesure, aux développements des concepts de propagation des ultrasons dans les milieux complexes (thématique bien ancrée dans la section 9). Il s’ensuit une forte activité de valorisation comme en témoigne la création de plusieurs start-ups durant les dernières années, donnant ainsi accès à des dispositifs directement utilisables dans le monde médical. Il s’agit aussi d’une thématique qui s’inscrit dans une forte coopération avec certaines équipes de l’INSERM et le milieu hospitalier. Les techniques d’imagerie ultrasonores ont montré leur complémentarité avec d’autres techniques d’imagerie (RX, IRM…) et des travaux importants, et à poursuivre, sont menés pour proposer des dispositifs combinant plusieurs de ces méthodes. Cette thématique se retrouve aussi dans les sections 28 et 54, les activités concernant la section 9 étant plus orientées vers la modélisation du rayonnement et de la propagation ultrasonore ou de l’interaction onde-matière. Elles rejoignent sur certains aspects de développement méthodologiques, les recherches sur la caractérisation des matériaux, ou le contrôle non destructif par ultrasons (méthodes non linéaires en particulier). On peut mentionner par exemple les ultrasons laser, ensemble de techniques en développement permettant de générer et détecter sans contact des ultrasons de quelques kHz aux hyperfréquences (GHz) et ainsi de réaliser des tests acoustiques aux échelles micro- voire nanométriques, pour la caractérisation et l’imagerie de cellules biologiques ou de microstructures par exemple. Ainsi on constate que les échelles en jeu en acoustique vont du nanomètre au kilomètre typiquement.

D’autres thématiques prometteuses ou bénéficiant d’une bonne visibilité, mais qui mériteraient de se structurer dans les années qui viennent, portent sur la pression de radiation acoustique (pince acoustique par exemple), les ondes de chocs, l’acousto-fluidique, l’acoustique des mousses et des systèmes bulleux, le contrôle des champs audio 3D et la virtualisation…

V. Biomécanique et Mécanobiologie

La biomécanique se définit comme l’application de la mécanique à des « entités » biologiques. Nous avons assisté ces dernières années à un essor important des thématiques portant sur la « Mécanique du vivant », en particulier en raison des enjeux sociétaux liés à la santé et au vieillissement de la population. La communauté de la section 9 a été partie prenante de cette évolution et de nombreuses équipes travaillent dans ce domaine interdisciplinaire, souvent à la frontière d’autres sections, en particulier les sections 10, 28, 5 et 11, 20 à 26. Les interactions sont également très fortes avec les CID 51 et 54. Enfin, l’implication des praticiens et les liens avec le milieu clinique, indispensables à la réalisation de ces travaux, se sont également largement développés.

Depuis l’étude classique en section 9 du comportement mécanique des matériaux et des structures portant principalement sur des matériaux durs (squelette, os, prothèses…), les travaux menés dans les laboratoires de la section 9 se sont très largement diversifiés. Ils se sont orientés vers l’étude de matériaux mous (peau, organes, tissus biologiques…), ou ont concerné des conditions de plus en plus sévères (chocs, sport par exemple). En parallèle, les liens avec la robotique et l’acoustique se sont également développés dans les domaines de la conception d’endoprothèses par exemple ou du développement d’outils de diagnostic (voir section 4). Dans le domaine de la santé, comme dans celui des transports ou de l’énergie, on assiste également au développement de nouveaux matériaux multifonctionnels, biomimétiques, pour lesquels l’étude du comportement mécanique reste indispensable, ce qui donne lieu là également à des développements de méthodes de caractérisation dédiées, et au développement d’études à des échelles de plus en plus fines.

Tous ces travaux peuvent en effet être développés in vivo ou in-vitro et se situer à différentes échelles : l’échelle du sujet entier (souvent l’être humain) ou d’une partie du corps ; l’échelle des organes ; l’échelle des tissus ; l’échelle des cellules et enfin l’échelle sub-cellulaire. Les applications sont nombreuses et variées : biomécanique ostéo-articulaire, dentaire, cardio-vasculaire, respiratoire, accidentologie, robotique humanoïde, ergonomie, biomécanique des plantes et du bois… et sont nécessairement traitées par des équipes pluridisciplinaires.

À l’échelle du sujet, sont menés de nombreux travaux concernant la cinématique et la dynamique de l’ensemble articulé qu’est l’être humain en les couplant à des aspects de fonctionnement musculaire et de contrôle moteur. Dans le domaine sportif, ces études permettent de mieux comprendre le comportement du sportif afin d’améliorer les techniques et les équipements. Dans le domaine de l’orthopédie et des troubles neuromoteurs, ils contribuent à une meilleure corrélation entre pathologie et comportement mécanique, et donc à une meilleure conception des prothèses et une meilleure prise en charge thérapeutique des patients in fine. L’une des difficultés majeures de ces études demeure encore dans la réalisation (délicate) de mesures in-vivo fiables permettant d’alimenter des modèles réalistes ; le dialogue entre mesures et modèles reste encore ici trop limité, et doit donc être encouragé.

À l’échelle de l’organe, des organes artificiels voient le jour : pour mieux comprendre le fonctionnement de ceux-ci, pour que le chirurgien puisse s’entraîner avant une opération sur l’organe du patient reproduit le plus fidèlement possible (grâce par exemple aux progrès de la fabrication additive) ou aussi pour envisager le remplacement de l’organe. Dans ce domaine, plusieurs équipes de la section 9 sont particulièrement actives, notamment dans le développement de mannequins d’apprentissage du soin ou de modélisation utiles aux chirurgiens, afin d’améliorer l’efficacité des soins et traitements.

À l’échelle des tissus, c’est l’arrivée des nouvelles techniques d’imagerie 3D qui aujourd’hui bouleverse les connaissances. Le rôle des biomécaniciens est notamment, comme déjà mentionné dans la section 2, de veiller à la quantification découlant des images obtenues qui servira à des modélisations et des prévisions (cruciales en médecine). Une des difficultés liées à l’étude des tissus biologiques est leur état hydraté, perfusé et en évolution avec différentes échelles de temps.

La bioingénierie tissulaire et le développement de biomatériaux de substitution constitue un domaine prometteur, comme en atteste la publication de plusieurs brevets récents. Si les mécaniciens ne sont pas nécessairement leaders dans ce domaine, ils ont cependant toute leur place pour en étudier et modéliser le comportement mécanique en interaction avec le vivant. Il existe en effet un lien fort entre biologie et mécanique. Nos cellules sont capables de ressentir des contraintes mécaniques et, en fonction de leur niveau, de déclencher des processus biologiques complexes comme par exemple le remodelage osseux (c’est la mécano-transduction). Si c’est au niveau macroscopique que ces phénomènes ont été découverts, c’est maintenant au niveau de la cellule qu’ils ont besoin d’être compris. Quel environnement mécanique est favorable à telle ou telle application (notamment en ingénierie tissulaire) ? Les mécaniciens ont leur rôle à jouer dans l’exploration de ces phénomènes, notamment par une description et une modélisation fine des états de contraintes et de leur dynamique. Les avancées se feront par un dialogue avec les biologistes, la mise en place d’un vocabulaire commun et l’intégration effective de phénomènes biologiques dans les modèles. L’importance de la prise en compte des aspects « fluides », des interactions fluide-structure est à souligner et les approches multi-physiques pourront également y contribuer. Un tel constat a d’ailleurs déjà donné lieu à la création de plusieurs GDR très pluridisciplinaires, comme le GDR « Réparer l’humain », centré sur le thème de la médecine réparatrice, mais également le GDR MecaBio, qui se concentre plus particulièrement sur les problèmes fondamentaux de (i) modélisation et caractérisation de fluides biologiques en interaction et de (ii) modélisation et caractérisation de matériaux du et pour le vivant ainsi que de leur évolution dynamique. Il est important de souligner que les chercheurs biomécaniciens de la section 9 sont particulièrement actifs dans l’organisation d’écoles d’été dans le cadre de ce GDR.

VI. Matériaux et structures optimisés

Comme déjà évoqué plus haut, nous assistons actuellement au développement de procédés innovants tels que la fabrication additive, la lithographie de métaux à l’échelle nanométrique, la mise en œuvre de nano-multicouches polymères, la stéréolithographie de céramiques… Ces procédés permettent d’architecturer les matériaux en trois dimensions et ainsi d’obtenir des propriétés mécaniques ou multi-physiques optimisées ou nouvelles.

La recherche de propriétés mécaniques améliorées conduit également à un regain d’intérêt pour d’autres matériaux comme par exemple les verres métalliques à limite d’élasticité élevée ou les alliages à haute entropie et acier twip présentant une grande ductilité, et tous matériaux présentant une bonne tenue en conditions extrêmes de température ou de chocs par exemple.

Tous ces matériaux nécessitent des études expérimentales de caractérisation microstructurale in-situ. L’objectif est une analyse toujours plus fine des microstructures et de leurs évolutions sous chargement, afin de nourrir une modélisation descriptive mais aussi prédictive du comportement mécanique des matériaux. Dans ce sens, la modélisation multi-échelle basée sur la résolution des équations de Lippmann-Swinger par transformation de Fourier rapide d’une microstructure hétérogène décrite par un milieu périodique, introduite dans un laboratoire du CNRS il y a une vingtaine d’années, devrait continuer à se développer grâce à deux atouts : la simplicité de mise en œuvre et l’application directe aux microstructures voxelisées enregistrées par les techniques d’imagerie in-situ.

Par ailleurs, le développement des outils de modélisation aux échelles fines (cf. section 2) comme les calculs atomistiques, la dynamique de dislocations, les méthodes de type champs de phases… donnent accès à une meilleure compréhension des relations entre la microstructure et les propriétés mécaniques. Cependant, la définition de liens quantitatifs entre les échelles constitue encore une difficulté majeure pour atteindre une modélisation multi-échelle.

Les couplages mécanique / multi-physiques ou chimiques restent encore largement à explorer aussi bien d’un point de vue expérimental que d’un point de vue modélisation. Ce champ ouvre l’étude de problèmes en sciences des matériaux, physique, électronique… avec des applications récentes dans le domaine des matériaux intelligents, plus verts, autoréparants, films photovoltaïques… où le couplage entre les propriétés électromagnétiques, électroniques et thermo-mécaniques est la raison de leur intérêt. La résolution des problèmes mécaniques, électroniques, électromagnétiques, chimiques, etc. de façon indépendante et sans tenir compte des couplages n’est plus suffisante dans de nombreux cas comme celui de l’optimisation des moteurs électriques ou du développement de microsystèmes électromécaniques de tailles toujours plus petites.

Un autre champ d’intérêt se développant rapidement concerne les métamatériaux, et plus précisément ici, l’étude de leur comportement mécanique, parfois de manière indépendante de celle de l’optimisation de leurs propriétés fonctionnelles (voir section 4). Les premiers travaux ont consisté à l’optimisation topologique de structures périodiques dans le cadre de l’élasticité linéaire. Un large arsenal d’outils mathématiques a été développé dans ce cadre, le plus récent utilisant des méthodes de type level-set. Cependant, il a été observé que ces microstructures pouvaient présenter des parties élancées favorables au flambement, ou des non-linéarités géométriques induisant des changements de motifs même aux petites déformations. Afin de prévoir les possibles changements de configuration lors d’un chargement macroscopique, de nouveaux outils ont émergé basés sur la théorie des groupes qui permet de restreindre l’ensemble des solutions aux sous-espaces appropriés.

Enfin, comme il vient d’être mentionné, l’optimisation topologique de matériaux ou structure s’est largement développée avec succès dans le cadre théorique de l’élasticité linéaire. L’intérêt maintenant se tourne vers la viscoélasticité linéaire pour des applications d’amortissement ou de chargement dynamique, et l’élasticité non-linéaire pour les applications aux matériaux élastomères par exemple.

VII. Surfaces et interfaces

Les surfaces et les interfaces représentent les conditions limites des solides, tant avec leur milieu environnant qu’entre eux. Elles sont le lieu central de transmission des actions mécaniques à l’origine de la fiabilité de nombreux systèmes complexes incluant l’être humain. Comprendre leur évolution et, in fine, maîtriser leur comportement spatial et temporel continue de représenter un challenge majeur dont l’enjeu sociétal est indéniable (minimisation de la déperdition énergétique par frottement, amélioration de la durée de vie des mécanismes, diminution de la production de particules (ultra-)fines tribogénérées, amélioration de la bio-tribo-compatibilité des surfaces de prothèses…).

Surfaces et interfaces sont le lieu de phénomènes multi-physiques et multi-échelles qui nécessitent une approche interdisciplinaire forte au carrefour, tout particulièrement, de la mécanique, de la physique, de la chimie, de l’optique, de la biologie ainsi que de la science des matériaux. Les laboratoires de la section 9 jouent un rôle véritablement central dans le développement de cette transdisciplinarité avec, par exemple, la création et/ou le renouvellement de plusieurs structures telles que des Labex (ex : IMust, Manutech-SISE…), des écoles universitaires de recherche (SLEIGHT…), des GDR (TACT, SurfTOPO, APPAMAT…), des laboratoires internationaux associés (ElytLab…), etc… qui croisent les compétences de plusieurs communautés scientifiques autour des thématiques de surface et/ou d’interface. D’autres thématiques scientifiques (et GDR associés) relevant plus généralement de la science des matériaux, comme par exemple celles traitant de microstructures en évolution (recristallisation, transformations de phases…) sont également en partie traitées par les mécaniciens, notamment dans le domaine de la modélisation (avec le développement d’approches de type level-set et la confrontation de modélisations développées à différentes échelles) et de la prévision des évolutions microstructurales, reposant en grande partie sur la mobilité des interfaces (en l’occurrence les joints de grains) sous sollicitations thermiques, chimiques et mécaniques.

Cette thématique des surfaces et interfaces bénéficie ainsi d’avancées importantes tant dans les moyens de caractérisation mécanique, physique, chimique, électrique et acoustique que dans les moyens de simulations numériques continus et/ou discrets. Par exemple, il est actuellement possible de réaliser des essais de micro ou nano-caractérisation de couches minces en surface d’un solide, celles-ci étant issues d’un revêtement déposé ou résultant d’une sollicitation tribologique (couche de 3e corps ou tribofilm). Grâces aux techniques récentes de micro-usinage FIB ou de laser Femto, ces couches peuvent ainsi être formatées (micro-pilier, poutre…) puis testées via, entre autres, la nano-indentation ou la microscopie de force atomique afin de remonter à leurs propriétés mécaniques, électriques ou encore physico-chimiques. Ces données acquises expérimentalement sont de plus en plus quantitatives et servent désormais d’entrées à des modèles multi-physiques (mécanique, thermique, chimique, électrique…) et multi-échelles (modèles FEM-DEM, FEM-MD…) de plus en plus prédictifs. Les temps de calculs de ces derniers sont de plus en plus optimisés grâce au travail remarquable des numériciens.

À l’échelle des surfaces, la communauté continue de relever de nombreux défis tels que celui de la normalisation multi-échelle des caractéristiques des reliefs d’un matériau solide (GDR SurfTOPO) ou encore celui de la maîtrise du comportement tribologique, mécanique et physico-chimique des surfaces texturées par laser ultracourt (type femto-seconde, EquipeX Manutech-USD) en vue d’en améliorer, par exemple, leur bio-tribo-compatibilité.

Accéder aux propriétés in vivo, c’est-à-dire in situ et dynamiquement, d’une interface fluide ou solide sans la perturber constitue un véritable Graal pour les mécaniciens des interfaces. Récemment, grâce au travail conjoint de laboratoires d’optique et de mécanique, des techniques de mesures opto-mécaniques pour les interfaces fluides et solides ont été développées avec succès. Ces techniques permettent par exemple de mesurer la pression hydrostatique et la température locale d’une interface lubrifiée en introduisant et en suivant la réponse de nano-sondes mécano-thermo-sensibles dans un fluide interfacial. En sus de ces mesures de propriétés locales de l’interface, des travaux ont été menés afin d’améliorer, et parfois de redéfinir, les lois rhéologiques des lubrifiants fluides, solides ou mixtes fluides/solides dans des conditions extrêmes de pression, cisaillement et température en prenant en compte l’impact de leur pollution.

Surfaces et interfaces sont intimement liées et nécessitent des approches désormais conjointes. Actuellement, des approches de type mécanique de la rupture sont développées, et validées expérimentalement, afin d’appréhender les phénomènes à l’origine de l’ouverture d’un contact entre deux solides.

Plus globalement encore, le lien entre les surfaces et les interfaces peut être décrit au travers d’un bilan énergétique complet qui permet d’appréhender les mécanismes de transfert d’énergie réciproque entre l’interface et la surface mais aussi en leur sein. In fine, cette approche globale permettra d’évaluer les conséquences de ces transferts d’énergie sur l’évolution physico – chimique et microstructurale des matériaux mis en jeux et donc de leur durée de vie.

VIII. L’homme et son environnement

Comme expliqué à plusieurs reprises, les travaux de recherche menés dans les laboratoires de la section 9 ont pour objectif de faire avancer le front de la connaissance dans les disciplines de base des sciences de l’ingénierie et de les mettre en synergie pour s’attaquer aux grands enjeux de société. Dans un monde régenté par une course folle aux innovations numériques et technologiques, il apparaît primordial de ne pas oublier l’humain. En conséquence, l’étude de l’homme en interaction avec son environnement s’avère fondamentale. Les travaux qui en découlent doivent par nature être très interdisciplinaires, et cette interdisciplinarité, bien que vivement souhaitée par le CNRS sur le papier, pose en pratique des problèmes au niveau du recrutement – car le très faible nombre de postes incite à recruter des chercheurs dont le projet est plus ancré « au cœur » de la section – ainsi que de l’évaluation et la progression de carrière de ces chercheurs.

L’interaction de l’homme avec son environnement peut se faire à différents niveaux et dans différentes modalités de sorte que les études qui s’y rapportent couvrent un spectre de thématiques très larges, et sont de caractère fondamental aussi bien que très appliqué. Sans prétendre être exhaustif, et sans vouloir être réducteur, nous pouvons catégoriser les différentes recherches menées sur ce thème suivant trois axes actuellement très actifs (les disciplines associées relevant de la section 9 sont notées entre parenthèses) :

– Comment l’homme perçoit et réagit à son environnement sonore et tactile : audition, paysages sonores, perception de la parole, perception de la musique, perception tactile et vibro-tacile… [psycho-acoustique, acoustique musicale, science des matériaux, robotique…]

– Comment l’homme interagit avec des machines : exosquelettes, robots, instruments de musique, retour haptique, troubles musculosquelettiques… [robotique, bio-mécanique, acoustique musicale…]

– Comment l’homme vit dans son environnement : les mouvements humains, et tout ce qui est relatif aux matériaux du vivant (de la réparation à l’imagerie en passant par leur endommagement)… [bio-mécanique, acoustique, robotique…].

Tous ces axes de développement font appel aux disciplines majeures développées plus haut, et à la robotique, également présente dans quelques laboratoires relevant de la section 9 (représentant 20 % environ des unités actives au sein du GDR Robotique). Également très transverse et multi-sections, la robotique est sollicitée aujourd’hui pour la conception de robots légers, rapides, fortement intégrés ou reconfigurables, robustes et fiables. Parmi les thématiques d’excellence de la France au niveau mondial, nous pouvons citer, sans exhaustivité, la robotique humanoïde, la commande des robots, la conception et l’analyse de robots complexes (robots à câbles ou en tenségrité, robots continus de faibles dimensions pour les applications médicales), la robotique d’interaction, la microrobotique, la planification du mouvement, etc. De nouveaux défis émergent également, comme notamment la robotique complaisante et le biomimétisme, qui peut contribuer significativement à une plus grande acceptabilité des robots dans notre quotidien, ou encore une conception plus durable (en termes d’efficacité énergétique mais également de frugalité en ressources et de recyclabilité). Pour relever ces défis, la section 9 peut jouer un rôle majeur dans des recherches concernant la conception mécanique, la dynamique des systèmes ou encore le développement de composants technologiques innovants et la mise en œuvre de nouveaux matériaux plus légers, plus souples, plus actifs notamment. Cependant, du fait que la robotique soit également devenue un axe de développement important pour de nombreux domaines industriels (production logistique, technologies pour la santé et les services à la personne, l’exploitation des ressources naturelles…), on note que les jeunes chercheurs intéressés sont plus naturellement attirés vers le monde industriel que par celui de la recherche, et l’on a pu constater en quelques années un déficit de projets en la matière.

Conclusion

Dans les sections précédentes, le caractère pluridisciplinaire des recherches en cours a été maintes fois souligné. En travaillant sur les grands enjeux sociétaux listés dans l’introduction, les thématiques dites « cœur de section » que sont la mécanique (appliquée principalement aux structures et matériaux associés) et l’acoustique (étude de la propagation des ondes) se sont en effet développées assez largement dans les 5 dernières années aux interfaces avec d’autres sections (principalement la 5 et la 28).

En ce qui concerne les recrutements réalisés depuis le dernier rapport de conjoncture, toutes les sections listées plus haut ont pu bénéficier d’au moins un nouveau recrutement, même si la plus grande partie de ces recrutements a concerné soit la modélisation et la simulation numérique (7/27) soit la thématique ondes et acoustiques (6/27). L’ouverture vers d’autres sections a pu être réalisée soit en attirant dans les laboratoires de la section des chercheurs formés dans d’autres communautés (essentiellement des physiciens), soit également en permettant à des chercheurs formés dans les laboratoires de la section de développer des thématiques très pluridisciplinaires (parfois hors INSIS). De ce fait, les chercheurs en section 9 sont aujourd’hui assez dispersés géographiquement et thématiquement. En effet, même si la section contient quelques laboratoires (4 ou 5) comptant plus de 10 chercheurs de la section 9 dans leurs effectifs, ces laboratoires sont tous très pluridisciplinaires et couvrent presque de fait l’ensemble des thématiques de la section.

Cette dispersion géographique et thématique, associée de fait à une absence de culture de base partagée n’est pas sans risque pour le maintien de compétences fortes dans les disciplines « cœur de section », et le maintien du rayonnement de la communauté. Les projets aux interfaces peuvent à l’inverse être plus attractifs pour de jeunes chercheurs et permettre ainsi d’attirer toujours plus de talents. Ces projets peuvent permettre également de renouveler en partie les partenaires industriels traditionnels de la section 9. En effet, si les enjeux liés aux domaines de l’énergie et des transports se traitent le plus souvent en lien avec les grands groupes industriels, les enjeux liés à la santé et l’écologie se développent assez souvent avec des PME et sont source de création de nombreuses start-ups.

Tableau 1 : Analyse SWOT.

Forces
– Fort rayonnement de la communauté nationale (présence dans les revus, prix internationaux).

– Continuum recherche fondamentale – recherche appliquée très attractif.

– Recherche en lien direct avec les grands enjeux sociétaux.

– Participation à de nombreux réseaux (GDR, structures internationales, associations)

Faiblesses
– Fort rayonnement mais dans une communauté internationale restreinte (faible IF des grandes revues).

– Image austère de la mécanique notamment

– Relations Recherche – Industrie souvent difficiles notamment en raison d’un nombre trop important de modalités de collaborations

Menaces
– Nombre de recrutements en baisse et taille modeste de la section 9.

– Faible attractivité du statut et concurrence forte de l’industrie et de l’international.

– Grande diversité de thématiques → risque de dispersion et absence de culture de base commune.

Opportunités
– Les révolutions actuelles (fabrication additive et intelligence artificielle) permettent de revisiter les thématiques fondamentales avec de nouveaux outils.

– Un lien fort avec les grands enjeux de société qui sont attractifs auprès des jeunes (santé, environnement, énergie).

– Grande diversité de thématiques à traiter → grande liberté de choix.

ANNEXE 1

Signification des sigles et des abréviations
APPAMAT : Apparence des Matériaux
CID : Commission InterDisciplinaire
CNRS : Centre National de la Recherche Scientifique
CNU : Conseil National Universitaire
DEM : Discrete Element Method
EC : Enseignant – Chercheur
ElytLab : Engineering Science and Engineering Lyon Tohoku Laboratory
EquipeX : Équipement d’Excellence
FEM : Finite Element Method
FIB : Focused Ion Beam
GDM : Géométrie Différentielle et Mécanique
GDR : Groupement de Recherche
GPU : Graphics Processing Unit
HPC : High Performance Computer
IMust : Institute of MUltiscale Science and Technology
INSERM : Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale
INSIS : Institut des Sciences de l’Ingénierie et des Systèmes
INSMI : Institut National des sciences mathématiques et de leurs interactions
IRM : Imagerie par Résonance Magnétique
ITA : Ingénieurs, Techniciens, Administratifs
MANUTECH : Manufacture & Technologie
MANUTECH-SISE : Surface and Interface SciencE
MANUTECH-USD : Ultra Surface Design
MD : Molecular Dynamics
META : Matériaux Acoustiques pour l’Ingénierie
PME : Petites et Moyennes Entreprises
RX : Rayons X
SLEIGHT : Surfaces Light EngineerinG Health and SocieTy
SNCF : Société Nationale des Chemins de fer Français
SURFTOPO : Surface Topography
TACT : Le Toucher : Analyse, Connaissance, simulaTion