Rapport de conjoncture 2019

Section 23 Biologie végétale intégrative

Composition de la Section

Éric Maréchal (président de Section) ; Catherine Boyen (secrétaire scientifique) ; Matthieu Arlat ; Cécile Bousquet-Antonelli ; Yohann Boutte ; Christel Carles ; Sylvie Coursol ; Alexis de Angeli ; Philippe Giege ; Kamel Hammani ; Michael Hodges ; Françoise Immel ; Gwyneth Ingram ; Corinne Keichinger ; Laurent Laplaze ; Anja Liszkay ; Antoine Martin ; Laurent Nussaume ; Anne-Catherine Schmit ; Sébastien Staerck.

Résumé

La crise environnementale actuelle est marquée par une érosion de la biodiversité sans précédent, qui suscite des inquiétudes, un besoin de compréhension et la nécessité de proposer des solutions durables. Les organismes photosynthétiques, plantes et algues, sont au cœur de ces questionnements. Leur biomasse est à la base de la majorité des réseaux trophiques et ils jouent de ce fait un rôle critique dans la stabilité des écosystèmes. Les recherches fondamentales menées sur ces organismes par le CNRS permettent de générer les connaissances nécessaires pour faire face à des enjeux sociétaux majeurs, incluant la sécurité alimentaire, la transition énergétique, et de nombreuses applications allant de la santé à la chimie verte et au développement de nouveaux matériaux. Les efforts se sont focalisés sur quelques modèles d’études, qui constituent des pivots unificateurs de la biologie végétale, seuls moyens de développer les connaissances suffisantes pour des thématiques aussi complexes que la biologie des génomes, le développement, la physiologie et les mécanismes de signalisation. Toutefois, l’évolution étonnamment sophistiquée des organismes photosynthétiques et les différents types de relations entretenues avec le microbiote environnant ont conduit à élargir le champ d’investigation à de nouveaux systèmes modèles. Ce rapport réaffirme donc l’importance de la recherche fondamentale sur la diversité des organismes photosynthétiques et des microorganismes qui leur sont associés. Les méthodologies multi-échelles, aux interfaces des niveaux moléculaires et écosystémiques, et les approches intégratives sont également présentées. Enfin, plusieurs actions de politique scientifique sont proposées pour renforcer la dynamique de la recherche nationale en biologie des organismes photosynthétiques.

Introduction

Ce document a été rédigé par les membres de la section 23 du CoNRS, en se basant sur une enquête réalisée auprès des directeurs d’unités dont les activités relèvent de la Biologie végétale intégrative. À ce titre, nous estimons qu’il reflète pour une grande part une position consensuelle de notre communauté.

Le contexte actuel est celui d’une crise environnementale sans précédent liée aux changements climatiques et aux activités anthropiques. La société a pris conscience de l’érosion brutale de la biodiversité. Elle exprime un besoin de compréhension, de solutions, avec une inquiétude légitime sur notre capacité à maîtriser, à défaut d’inverser, la dégradation des écosystèmes, à assurer la sécurité alimentaire et à opérer une transition énergétique radicale. À ces inquiétudes s’ajoutent celles des mutations qui touchent l’espace international, et a fortiori national, de la recherche, dans une situation budgétaire dégradée. Dans ce contexte, la recherche dans toutes ses dimensions, fondamentales, finalisées et appliquées, devrait être mobilisée. Les scientifiques consultés sont unanimes sur l’effort à fournir, mais expriment leur désarroi face aux limites budgétaires. Pour répondre aux urgences qui se multiplient sur de nombreux fronts, les priorisations semblent trop focalisées sur les demandes sociétales (programmation des appels à projets de la Commission Européenne et de l’ANR) alors que notre niveau de connaissance de base est encore insuffisant pour rationaliser une action efficace. Les appels d’offre de l’ANR ne permettent clairement pas de soutenir les efforts nécessaires de recherche fondamentale sur les organismes photosynthétiques et les microorganismes qui leur sont associés.

Les plantes et les algues (procaryotes et eucaryotes) sont la porte par laquelle le carbone entre dans la biosphère grâce au processus de photosynthèse. Toute la matière vivante est issue de cette capture du CO2 ; la majeure partie du vivant sur la planète est directement ou indirectement tributaire de cette production primaire. Un métabolisme énergétique et carboné unique, une exposition plus importante que les autres organismes aux paramètres fluctuants de l’environnement, des cycles de vie, des modes de reproduction, de croissance et de développement avec la contrainte d’une vie essentiellement immobile (organismes sessiles), sont autant de processus uniques au monde végétal.

Notre compréhension repose sur des modèles `historiques’, tels que la plante Arabidopsis thaliana ou l’algue verte Chlamydomonas reinhardtii, avec une richesse inégalée de données génétiques et phénotypiques, et pour lesquels les outils sont disponibles pour une étude fonctionnelle de l’ensemble de leurs gènes. Les techniques de manipulation et d’édition des génomes permettant de développer des approches fonctionnelles potentiellement sur toutes les cellules transformables, notre champ d’investigation s’est élargi à de nouveaux modèles.

Les mécanismes fondamentaux du vivant sont toutefois encore trop méconnus et trop peu conservés dans l’évolution pour permettre de comprendre, prédire et agir sur tous les types d’organismes photosynthétiques, et s’éloigner des modèles d’études `historiques’, en `tournant la page’. Il ne faut pas négliger les travaux sur des modèles partagés par la communauté internationale. Ils constituent des pivots unificateurs de la biologie végétale, seuls moyens de développer les connaissances suffisantes pour des thématiques aussi complexes que la biologie des génomes, le développement, la physiologie et les mécanismes de signalisation.

Comme cela était anticipé dans le rapport précédent, la majorité des formes cellulaires de l’arbre du vivant s’est révélée complexe et très éloignée des schémas d’organisation d’Arabidopsis ou de Chlamydomonas, simples représentants de la `lignée verte’. Les études métagénomiques de la biodiversité terrestre mais surtout marine ont mis en évidence que les deux tiers de la biodiversité des eucaryotes étaient issus de branches méconnues de l’évolution des organismes photosynthétiques. Les `nuages de mots’ correspondant aux modèles d’études des unités de la section 23 (voir Annexe 2), illustrent de façon frappante l’équilibre entre `plantes’ et `algues’, alors que le précédent rapport montrait que la communauté étudiait majoritairement les plantes terrestres. Le monde végétal étudié par les unités de la section 23 a donc élargi son assise. En combinant le besoin d’approfondir nos connaissances sur les modèles établis, et face au défi de déchiffrer des mécanismes fondamentaux inconnus dans des organismes dont on commence juste à aborder l’organisation, un des premiers objectifs de ce rapport est de réaffirmer la nécessité d’avancer au front des connaissances, guidés par la curiosité, mission du CNRS.

Le précédent rapport soulignait aussi à quel point les avancées technologiques avaient permis d’augmenter le flux d’expérimentations, d’analyses et de production de données, à toutes les échelles d’organisation. Aujourd’hui, grâce aux plateformes mises en place avec l’aide du Programme Investissement d’Avenir (PIA) et la structuration du GIS Infrastructures en Biologie Santé et Agronomie (IBiSA), les études peuvent viser l’intégration des informations diverses de type `omiques’, ainsi que l’établissement de liens entre ces données et des traits phénotypiques. Bien sûr, les efforts pour développer les plateformes analytiques correspondantes, mutualiser les moyens, harmoniser le fonctionnement en réseau et les ouvrir au plus grand nombre sont à poursuivre, comme pour toutes les sections de l’INSB. L’action de recherche menée au sein de la section 23 est particulièrement marquée par l’usage de stratégies multi-échelles, permettant de révéler les liens structuraux et fonctionnels des organismes (voir Annexe 2) : elle est donc sensible à la vitalité de ces plateformes. Nous soulignons ici le risque de vieillissement des moyens déployés, en absence de maintenance, conjugué au besoin de développer et accéder aux nouvelles technologies de pointe en séquençage, analytique, imagerie, etc.

Nous rapportons aussi que l’approche intégrative a atteint de nouvelles dimensions, permettant de relier les niveaux cellulaires et organismiques au niveau des populations, des communautés et des écosystèmes. Une articulation est donc naturelle entre la section 23 et la section 20/INSB (Biologie moléculaire et structurale, biochimie) pour l’échelle moléculaire et avec la section 29/INEE (Biodiversité, évolution et adaptations biologiques : des macromolécules aux communautés) pour l’échelle écosystémique et évolutive. Une interaction avec la section 21/INSB (Organisation, expression, évolution des génomes. Bioinformatique et biologie des systèmes) est aussi à souligner concernant les approches intégratives et multi-omiques.

Parmi les éléments de contexte introductifs, les années récentes ont été marquées par un bouleversement du paysage universitaire et des organismes nationaux. Un mouvement profond de concentration vise à former des sites d’excellence de dimensions nationales voire internationales. Les chercheurs de la section 23 sont majoritairement membres d’UMR (~ 40), de quelques UMS, et de peu d’UPR, ERL ou de structures non CNRS. Quatre régions concentrent de grands contingents de chercheurs CNRS relevant de la section 23, en Île-de-France, Occitanie, Grand Est et Auvergne Rhône Alpes. Les recrutements opérés ces dernières années ont permis d’irriguer les unités dans des sites de petite taille, sur la base de l’excellence scientifique. Alors que le CNRS annonce une chute historique et durable des recrutements, une inquiétude s’exprime sur ce sujet d’hétérogénéité des sites universitaires, pour un organisme distribué sur le territoire national, et sur sa capacité à assurer la vitalité de toutes ses unités.

Les autres tutelles opèrent aussi des mutations qui impactent la recherche. Côté universitaire, la création des laboratoires d’excellence (Labex), souvent multi-sites, des initiatives d’excellence (IDEX) et des universités intégrées de rang mondial sont autant d’opportunités, avec des succès visibles, qui ne vont toutefois pas sans risques. La construction de très grandes UMR peut engendrer une dilution ou une perte d’identité thématique, où la nouvelle position d’équipes autrefois très performantes et visibles a conduit à une déstructuration dommageable. Ces effets parfois négatifs touchent bien sûr toute la biologie. Le bilan global est cependant encourageant, si on considère par exemple le nombre d’équipes lauréates de l’ERC (depuis 2014, 5 ERC Starting et 4 ERC Advanced grants, soit presque 2 par an) et la qualité de production scientifique des équipes relevant de la section 23. En plus des universités, de nombreuses UMR de la section impliquent des organismes eux même en mutation. L’INRA va fusionner en 2020 avec l’IRSTEA, formant l’INRAE (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement). Cette évolution élargit le champ thématique partagé avec le CNRS, non seulement sur le sujet de l’agriculture, mais aussi sur l’environnement. Le CEA, autre tutelle majeure très visible sur les recherches menées sur la photosynthèse, opère un recentrage sur des axes, tels que la fermeture du cycle du carbone et les énergies décarbonées, thématiques qui peuvent aussi être structurantes pour la section 23. Enfin, l’intensification des recherches sur les micro-algues souligne des convergences possibles avec l’IFREMER et la montée en puissance des modèles biologiques marins.

Concernant la valorisation et le rôle des unités relevant de la section 23 face aux défis sociétaux, les recherches touchent de façon de plus en plus évidente la partie la plus sensible des écosystèmes, les organismes qui jouent le rôle de producteurs primaires conditionnant la vie sur notre planète. Les interactions abiotiques et biotiques (intra et interspécifiques, incluant virus, microbiotes, symbiotes et pathogènes) sont autant de sujets pour aborder la place des végétaux dans les écosystèmes naturels ou cultivés. La valorisation des travaux est un enjeu non seulement pour l’agriculture, souvent citée, mais pour d’autres formes de valeur, incluant les services écosystémiques (mode de valorisation aussi souligné par la section 29/INEE), ou le potentiel de ces organismes pour capturer le CO2 et développer des solutions durables pour la nutrition, la santé, la chimie verte ou les bioénergies. Il est intéressant de noter que de plus en plus, les projets de recherche développés dans les unités de la section intègrent ces enjeux, illustrant à quel point le CNRS se révèle un acteur incontournable de l’articulation de la recherche fondamentale avec ces différents modes de valorisations.

Dans la suite de ce document, nous nous efforçons d’analyser le rôle joué par la Biologie végétale intégrative du CNRS dans le dispositif national de recherche. Nous ferons ensuite des recommandations susceptibles de renforcer la dynamique nationale dans ce secteur.

I. La place du CNRS dans l’avancée des recherches sur les organismes photosynthétiques

A. Diversité évolutive des organismes photosynthétiques : un champ d’exploration encore vaste et un enjeu majeur face aux défis sociétaux et climatiques

1. Comprendre la diversité évolutive, structurale et fonctionnelle de la photosynthèse et l’exploiter pour des approches à l’interface de la chimie et de l’agriculture

La photosynthèse est apparue il y a plus de 3,5 milliards d’années, façonnant l’atmosphère, le climat et la vie. L’étude de la récupération de la lumière, de la conversion de l’énergie et des réactions de transfert électron/proton sont d’excellents exemples du succès de la recherche interdisciplinaire : biologie, biochimie, physique, spectroscopie avancée, nouveaux développements en microscopie et biologie structurale. Bien que les principaux complexes protéines/pigments soient communs à tous les organismes effectuant la photosynthèse oxygénique, des différences dans la régulation de la récupération de la lumière et du flux d’électrons nécessitent un effort important de recherche. Notre compréhension du transport photosynthétique des électrons permet d’aborder ces questions fondamentales à un niveau moléculaire très profond, inaccessible dans d’autres systèmes biologiques.

La façon dont les organismes photosynthétiques s’acclimateront et s’adapteront aux changements environnementaux anticipés constituera un axe de recherche majeur au cours de la prochaine décennie. Les organismes photosynthétiques sont plus exposés au stress oxydatif que tous les autres. Les chlorophylles permettent de convertir la lumière en énergie chimique, mais aussi, de créer de l’oxygène, une molécule très oxydante et potentiellement toxique. Différents mécanismes de protection restent à élucider. Les organismes photosynthétiques sont équipés d’un système antioxydant hautement efficace, et les mécanismes de protection et les protéines participant à des voies alternatives de transport d’électrons se sont diversifiés au cours de l’évolution, diversité qui commence à peine à être comprise chez les plantes supérieures mais aussi dans divers groupes d’algues. Pour ces modèles, les scientifiques du CNRS ont un leadership reconnu.

Des recherches multi-échelles doivent être menées pour obtenir une vision intégrée de différents aspects de la photosynthèse, y compris la complexité des interactions métaboliques, telles que l’action des métabolites photo-respiratoires sur les activités photosynthétiques. La différenciation des plastes non-photosynthétiques en chloroplastes, et inversement, reste mal comprise. La relation entre la photosynthèse, et l’autre grand mécanisme bioénergétique, commun cette fois ci à l’ensemble des eucaryotes, à savoir la respiration, est aussi une question captivante à élucider. Les bases moléculaires de l’autotrophie, de l’hétérotrophie et de leur combinaison sous forme de mixotrophie, commencent juste à être déchiffrées. Enfin, plusieurs avancées récentes sont encourageantes pour comprendre les bases moléculaires de la signalisation rétrograde du chloroplaste vers le noyau, essentielle pour les réponses d’acclimatation. Nos connaissances sur tous ces sujets bénéficient d’avancées majeures de scientifiques du CNRS en partenariat fort avec le CEA.

Outre ces mécanismes fascinants qui inspirent la recherche fondamentale, la photosynthèse est devenue l’axe principal de programmes de recherche internationaux sur l’amélioration des rendements agricoles, grâce aux récents succès obtenus en manipulant les cycles photo-respiratoire et de Calvin ou les voies de photo-protection. Les scientifiques du CNRS sont très actifs dans ce domaine. Dans le cadre de la recherche de solutions pour développer des énergies renouvelables, les recherches sur les modules de conversion énergétique de la lumière dans des systèmes biomimétiques (photosynthèse artificielle), représentent un enjeu à l’interface entre la section 23 pour l’INSB et les sections 11, 12, 14, 15 et 16 de l’INC. Reconnus pour leur excellence, le CNRS et le CEA participent à des initiatives européennes telles que le programme SUNRISE, visant à trouver des solutions permettant la conversion d’énergie lumineuse en énergie chimique avec une efficacité supérieure à celle des organismes photosynthétiques. Dans le cadre d’une autre initiative, CROPBOOSTER-P, le CNRS et l’INRA participent à la préparation des projets européens pour l’amélioration des rendements des cultures, la séquestration du carbone et l’utilisation rationnelle de l’eau. Ces initiatives ne sont, à ce jour, pas encore mûres, mais elles permettent d’identifier un besoin de structuration dans un avenir proche.

2. Approfondir la connaissance des modèles établis d’organismes photosynthétiques, consolider les modèles émergents et identifier de nouveaux modèles pertinents

Les modèles d’études dominants cités plus haut, ont été choisis il y a plusieurs décennies comme des objets d’études manipulables, avec des génomes séquencés, des informations, des outils et des ressources partagées. Notre connaissance y est profonde et permet de poser des questions sur la complexité et le raffinement de processus biologiques. Les approches intégratives et multi-échelles y trouvent leur expression la plus aboutie.

Côté plantes, quelques autres modèles populaires permettent de poser certaines questions particulières, liées par exemple au développement floral, avec Antirrhinum ou le pétunia, à la phytonutrition et au développement en lien avec des performances agricoles, avec le blé, le riz, le colza, le maïs et la tomate. Certains modèles sont des couples entre espèces, permettant de poser la question des associations symbiotiques, telles que Medicago avec Sinorhizobium meliloti (bactéries fixatrices d’azote) ou avec Rhizophagus irregularis (champignon mycorhizien à arbuscules), ou encore des pathosystèmes, tels qu’Arabidopsis avec des bactéries pathogènes comme Ralstonia solanacearum ou Xanthomonas campestris. Quelques modèles non-angiospermes ont été introduits, par exemple la mousse Physcomitrella patens étudiée dans quelques unités, permettant d’interroger la conservation ou la spécificité de mécanismes fondamentaux chez les plantes non vasculaires.

Les années récentes ayant attiré l’attention sur des pans méconnus de la biodiversité ou grâce à la possibilité de travailler directement sur toutes les plantes d’intérêt, nous avons observé la chute des financements correspondants aux modèles historiques. La situation est critique pour Arabidopsis, en période de doute sur la transférabilité des connaissances aux modèles agricoles, en particulier par des approches OGM. Le développement de collections de plusieurs centaines d’accessions d’Arabidopsis (variants génomiques), associé à des approches de génétique quantitative, a revitalisé les études sur ce grand modèle, qui reste actuellement le mieux connu en Biologie Végétale, et sur lequel il sera important d’affirmer le besoin de poursuivre notre déchiffrage approfondi.

Côté algues, il est important de rappeler la place de la France dans l’émergence et la popularisation de modèles marins, tels que l’algue verte Ostreococcus taurii, l’algue rouge Chondrus crispus, les algues brunes Ectocarpus siliculosus et Saccharina latissima, et la diatomée Phaeodactylum tricornutum. Chacun de ces modèles permet de poser des questions fondamentales représentatives de grands clades de l’arbre de la vie. Un nombre croissant d’unités de la section 23 a développé ou s’est emparé de ces modèles, donnant une forte visibilité de la science française sur les thématiques correspondantes.

L’exploration de la biodiversité conjuguée aux avancées des méthodes de séquençage, de transformation et d’édition génomique ouvrent le champ des investigations. Il est possible de poser des questions autrefois inabordables du fait de l’allopolyploïdie du blé, du colza ou de la caméline. Certains modèles sont issus de l’intérêt que leur porte l’industrie, telle l’algue Nannochloropsis pour les biocarburants, ou encore de leur pathogénicité pour l’humain, tels les parasites apicomplexes conservant des plastes non-photosynthétiques, Plasmodium ou Toxoplasma. Il est aussi important de réaffirmer l’intérêt de développer des études sur certains modèles bactériens ou fungiques en lien avec des processus spécifiques des végétaux.

Enfin, il convient de mentionner l’apparition de systèmes modèles plus complexes, pour les thématiques posant les questions des associations inter-espèces plus larges, en particulier les holobiontes. Le recul n’est actuellement pas suffisant, mais il s’agira d’une thématique pour la communauté scientifique dans un futur proche. Les questions posées s’ouvrent notamment à la coévolution, la sélection naturelle. Des collections de variants naturels sont développées, par exemple sur la tomate, et seront à encourager, permettant d’offrir des outils manquants pour l’agriculture et pour aborder les questions nécessaires aux développements de l’agroécologie.

Il est ambitieux d’afficher ce besoin de maintenir à la fois un effort de recherche pour une connaissance plus approfondie des modèles établis, et la nécessité de soutenir l’émergence de nouveaux modèles. Les unités de la section rapportent cette diversification de leurs modèles d’études (voir Annexe 2). L’évolution des technologies de séquençage, multi-omiques, d’imagerie à haute résolution, d’édition de génomes, de Tilling, de génération de populations non-OGM, etc, peuvent aider à mener cet effort. Il apparaît qu’un point important résidera dans la faculté à consolider des réseaux et des communautés scientifiques sur ces nouveaux modèles, et que ceci sera probablement un enjeu d’avenir.

3. Développer les approches évo-dévo

Bénéficiant de cette possibilité d’explorer virtuellement tout le vivant, un enjeu d’avenir sera de construire des modèles prédictifs, s’inspirant de stratégies évo-dévo. Certains rôles ou modes de fonctionnement de composants essentiels des systèmes biologiques peuvent en effet se révéler par l’étude de leurs origines, leur phylogénie, l’évolution de leurs fonctions, des réseaux qu’ils contrôlent et de leurs propriétés biochimiques. Des études génomiques et bioinformatiques créatives, innovantes, seront en ce sens indispensables pour décoder et manipuler les informations cis et trans cryptées dans les génomes. Le CNRS est très bien positionné sur ces thématiques.

B. Plasticité génotypique et phénotypique : une caractéristique essentielle des organismes photosynthétiques

1. Élucider les relations entre organisations, architectures, dynamiques et régulations des génomes, en lien avec la plasticité des réponses phénotypiques

L’étude du contrôle de l’expression des génomes, incluant les régulations épigénétiques, (épi) transcriptionnelles, post-transcriptionnelles, et traductionnelles, permet de comprendre une partie de la plasticité génotypique et phénotypique remarquable des organismes photosynthétiques. Ces processus sont coordonnés au niveau de trois génomes : nucléaire, mitochondrial et chloroplastique. Les machineries moléculaires impliquées ont une composition et un mode d’action dont la caractérisation ne fait que commencer.

Les génomes nucléaires des organismes photosynthétiques présentent une très grande diversité intra et interspécifique de taille, sous l’effet d’expansions et de contractions d’éléments transposables. Les mécanismes précis par lesquels ces éléments transposables, ainsi que les introns, agissent sur la biologie, la taille et l’évolution des génomes, restent à élucider. Les équipes du CNRS abordent ces questions, souvent en partenariat avec l’INRA, grâce à des approches originales comparant espèces sauvages et domestiquées ou des polyploïdes naturels ou synthétiques. Des études interdisciplinaires impliquant prospections, approches théoriques et expérimentales, et exploitation massive des données de séquençage, sont et seront déterminantes pour déchiffrer le rôle des transferts et duplications de gènes, dans l’émergence et l’évolution de traits phénotypiques, en lien avec certaines contraintes biotiques et abiotiques.

Les plantes présentent par ailleurs des processus de régulation de la chromatine utilisés à un degré inégalé parmi les eucaryotes. Il est important de rappeler que plusieurs mécanismes épigénétiques fondamentaux ont été initialement révélés chez les végétaux, notamment par des équipes françaises, et que nombre de ces mécanismes sont uniques aux organismes photosynthétiques. Ces processus modulent les propriétés physicochimiques et l’accessibilité de l’ADN, impactant l’expression par des événements de régulation multi-échelles. Les avancées récentes concernent les niveaux d’observation, de l’architecture du noyau à la topologie du génome en passant par la réorganisation de domaines au sein de l’espace nucléaire et la composition de la chromatine. Un premier enjeu est de prendre en compte les échelles spatiotemporelles, et développer des approches épigénomiques en cellule unique. Un second enjeu, au-delà des plantes modèles, est de développer des projets translationnels visant à découvrir des variants épigénétiques chez les plantes d’intérêt agronomique et en milieu naturel. Enfin, l’édition des épigénomes promet d’être déterminante pour établir des liens de causalité entre marques épigénétiques et expression de gènes. Jusque-là surtout développée sur cellules animales, elle devra être appliquée sur végétaux entiers. L’ensemble de ces enjeux est pris en compte au sein du GDR EPIPLANT.

Parmi les acteurs des régulations transcriptionnelles et post-transcriptionnelles, de nouvelles familles de gènes nucléaires codant des protéines de liaison à l’ARN à architecture modulaire se sont récemment révélées essentielles, en particulier dans les mitochondries et les chloroplastes. Des études biochimiques et structurales révèlent une analogie fonctionnelle remarquable avec des petits ARNs régulateurs bactériens. Ceci ouvre la voie à l’ingénierie de nouvelles protéines permettant de réguler à façon l’expression de gènes in vivo. Il sera donc essentiel d’étudier les voies de signalisation régulant leur activité.

L’étude des régulations épi-transcriptomiques constitue un domaine émergent majeur sur lequel le CNRS doit se positionner. Les patrons des modifications chimiques des ARN qui contrôlent l’expression des gènes sont cruciaux dans les processus de développement et de survie aux contraintes environnementales chez l’ensemble des eucaryotes. Le catalogue des modifications et de leurs patrons dynamiques ainsi que leurs rôles moléculaires et physiologiques restent à découvrir chez les organismes photosynthétiques. Déterminer la variation de ces patrons en réponse à divers stimuli, ce qui constitue un niveau de plasticité supplémentaire de la régulation de l’expression génétique, est aujourd’hui un enjeu majeur. Il sera crucial d’investir rapidement dans ce nouveau domaine au regard de l’intense compétition internationale qui s’impose d’ores et déjà.

La dernière étape de l’expression génétique, la traduction, reste la plus méconnue chez les plantes et les algues. Une des premières réponses au stress consiste à réduire globalement la traduction tout en favorisant celle de transcrits de survie et d’acclimatation. Les questions visant à identifier la nature et la diversité des appareils traductionnels, la régulation de la traduction et la co-régulation d’ARNm codant des facteurs impliqués dans un même processus relèvent de la recherche fondamentale et représentent des défis d’avenir à mener d’abord chez les plantes modèles, mais aussi dans des espèces cultivées, afin de mieux appréhender les mécanismes de réponse aux stress. Chez les organismes photosynthétiques marins, ces problématiques sont d’autant plus importantes que notre connaissance de la traduction y est quasiment nulle.

2. Comprendre les modes de reproductions, des mécanismes moléculaires aux cycles de vie et aux flux de gènes

Les stratégies de reproduction ont une diversité et une complexité de mécanismes qui font partie des spécificités les plus spectaculaires du monde végétal (double fécondation des plantes à fleurs, reproduction asexuée par graine -apomixie-, multiplication végétative d’explants totipotents variés, cycles de vie sexué ou asexué, toute la gamme d’alternances générationnelles possibles haplodiplophasiques chez les algues). Concernant les mécanismes moléculaires, plusieurs unités de la section 23 déchiffrent les mécanismes fondamentaux communs à l’ensemble des eucaryotes. Dans le cadre de la reproduction sexuée, la méiose est un moteur de biodiversité et d’évolution. Cependant, la compréhension moléculaire sous-jacente à cette dynamique éco-évolutive est encore peu connue. Les approches cellulaires et moléculaires ont permis d’aborder sur divers modèles dont Arabidopsis, la mécanistique d’appariement des homologues, la fonction des complexes synaptonémaux et les processus de régulation des échanges chromosomiques qui restent pourtant fort obscurs. La mise au point récente d’un protocole de préservation tridimensionnelle des méiocytes mâles donne par exemple accès à l’organisation tridimensionnelle du génome et à sa dynamique. Ces aspects moléculaires s’intègrent aussi dans une nouvelle vision de la reproduction allant du gène vers l’écosystème et l’évolution des génomes à l’échelle des populations. En effet, les duplications et remaniements des copies géniques ainsi que les flux de gènes d’une population à une autre, impactent la biodiversité et la compétition au sein des populations et façonnent la structure, le cycle de vie et la dynamique des communautés végétales de génération en génération. Concernant plus spécifiquement les plantes, entre autres cultivées, les avancées futures bénéficieront d’approches à grande échelle comme le Genome Wide Association (GWA) mapping, et les progrès en mutagenèse dirigée et cribles génétiques associés, et sont transposables à d’autres organismes photosynthétiques. Concernant les modèles d’algues, le champ d’exploration est actuellement grand ouvert, avec des questions sur le déterminisme des cycles générationnels, de l’acquisition de la sexualité et de ses traits phénotypiques, qui restent à déchiffrer, des aspects moléculaires aux aspects évolutifs et écologiques. L’ensemble de ces questions bénéficie de la contribution d’équipes de forte visibilité internationale de l’INSB.

3. Déchiffrer la plasticité cellulaire et développementale, des mécanismes moléculaires à la morphogenèse cellulaire et à la formation des organes

L’architecture des organes et tissus dépend de la différenciation des structures cellulaires et subcellulaires à partir de cellules souches contenues dans les méristèmes. Contrairement aux animaux, l’organogenèse des végétaux prend place tout le long de la vie. Les étapes précoces (embryogenèse) conduisent à la définition des grands axes de l’organisme et la mise en place des méristèmes. La plasticité développementale s’illustre par un processus de différenciation cellulaire réversible (totipotence), peu sensible au lignage. Les variations environnementales peuvent ainsi façonner la physiologie et le développement. Entre autres, la lumière module la mise en place de l’appareil photosynthétique, modifie l’élongation cellulaire, contrôle le phototropisme négatif de la racine, et déclenche la floraison. La relation à la lumière est donc un sujet unificateur et structurant, au-delà de l’étude de la photosynthèse et de sa régulation.

L’origine de la plasticité développementale des plantes repose sur la structuration de réseaux de gènes complexes. L’étude et l’inférence de la dynamique des réseaux régulateurs génétiques et épigénétiques est une clé pour comprendre les propriétés émergentes qui en découlent. Des équipes pluridisciplinaires associant biologie, mathématiques, sciences de l’information, physique et chimie devraient pouvoir être consolidées, sur ce sujet, au sein du CNRS.

La plasticité développementale est aussi à chercher dans les échanges cellulaires, impliquant hormones, peptides signaux et récepteurs. La compréhension des mécanismes moléculaires de biosynthèse, perception et transport des signaux hormonaux est un domaine de recherche très dynamique au CNRS. Les interactions entre signalisations multi-hormonales et homéostasie de nutriments, commencent à être déchiffrées. Certains transporteurs jouent un rôle direct dans la signalisation des substrats transportés car ils sont aussi des récepteurs (`transcepteurs’), ou indirect lorsqu’ils transportent de façon compétitive une hormone végétale ou un ion.

L’échange d’information par le mouvement de (poly)peptides permet par ailleurs l’intégration de la physiologie et du développement en relation avec les signaux environnementaux. Caractériser les vecteurs de cette information et la régulation (moléculaire, cellulaire, physique) de leur trafic, élucider les cascades moléculaires en aval de leur perception, et comprendre les nœuds d’intégration et la priorisation des informations reçues sont donc des enjeux importants.

L’environnement physique des cellules végétales est marqué par la présence d’une paroi lignocellulosique et l’exercice d’une pression de turgescence forte. Sa perception et son interprétation par les cellules pour orienter croissance et morphogenèse restent mal comprises. Un aspect très important et novateur dans ce domaine est la mécano-perception qui lie paroi, membrane plasmique et événements en aval de la signalisation. Obtenir une vision dynamique et intégrée de ces paramètres physiques, comprendre leur influence sur le continuum paroi-membrane-cytosquelette-noyau et élucider les mécanismes de mécano-perception des végétaux représentent des défis clés. La différenciation des membranes intracellulaires et l’aiguillage du trafic des protéines vers des domaines polarisés de la cellule conditionnent la direction des axes de croissance. La membrane plasmique intègre les signaux environnementaux et mécaniques en cascades de signalisation qui débouchent sur le contrôle de la différentiation et l’acquisition ou le remodelage de la polarité cellulaire.

Les communications inter et intra-cellulaires reposent aussi sur l’interaction entre protéines et lipides membranaires et requièrent des approches interdisciplinaires pour les comprendre. La composition des membranes est basée sur l’immense diversité des lipides et leur dynamique d’interaction. Nous savons aujourd’hui que de nombreux lipides et dérivés, jouent un rôle prépondérant dans la dynamique et la signalisation membranaire. Il devient essentiel de comprendre les assemblages de tous ces composants, et les unités de la section 23 sont dans une position forte pour aborder ce niveau de complexité systémique.

Pour toutes ces questions, l’association de l’imagerie in cyto super-résolution (`single molecule’), du suivi multidimensionnel de la distribution des hormones de croissance au sein d’un organe (`4D live imaging’), le développement de nano-senseurs (hormonaux, métaboliques, mécaniques) et la micro-fluidique devraient permettre d’obtenir une vision dynamique et quantitative des architectures végétales.

Une thématique combinant quasiment toutes les approches citées plus haut, portée par quelques unités très visibles de l’INSB, concerne la différenciation d’organes à partir de structures méristématiques et la formation de la fleur. L’approche multi-échelle trouve ici une puissance particulière, allant du déchiffrage moléculaire au rôle des fleurs dans le succès évolutif des plantes terrestres. On note que les aspects développementaux sur le modèle ‘arbre’, bien qu’importants, ne sont pas couverts à l’INSB, ce qui peut représenter une limite dans les interactions avec la section 29.

Enfin, un grand défi reste la prédiction des phénotypes. Une trans-disciplinarité (biologie, écologie, physique, chimie, mathématiques) devrait être instrumentale pour transiter vers une modélisation génotype x épigénotype x environnement. Ces approches devront être déployées sur des systèmes reposant sur une connaissance et une masse critique suffisante.

C. Relations avec l’environnement : les organismes photosynthétiques en première ligne face aux changements climatiques

1. Interactions avec les facteurs abiotiques : vers une compréhension intégrée de la perception, de la nutrition et des stress

Les contextes environnementaux auxquels les végétaux font face peuvent varier de façon graduelle ou brutale au cours des journées, des saisons et des années. Dans tous les cas, le végétal (plantes ou algue) ne se déplace pas pour s’y soustraire. Pour les organismes terrestres, l’environnement aérien présente les plus fortes variations de lumière, température, humidité, auxquelles s’ajoute la grande disparité rencontrée au niveau du sol (disponibilité des nutriments, ressources hydriques, pH, polluants). L’environnement aquatique présente une gamme semblable de variations, avec des chocs thermiques ou salins, une acidification liée au réchauffement climatique, des charges anormales en nutriments issus des pratiques agricoles et l’exposition à toute une variété d’émissions anthropiques (métaux, perturbateurs endocriniens, polluants). Dans tous ces systèmes, quelques nutriments semblent plus critiques et sont l’objet d’étude de plusieurs unités de l’INSB : l’azote, le phosphore et le fer.

Face à ces contraintes, les organismes photosynthétiques montrent une remarquable capacité d’adaptation, par des mécanismes moléculaires très divers et complexes. La vision actuelle, à laquelle plusieurs unités de la section 23 ont contribué, est celle de la combinaison de mécanismes généraux spécifiques des grands groupes végétaux, au moins terrestres, et une diversification de mécanismes plus spécifiques. Beaucoup de fonctions adaptatives ont été inventoriées en relation avec l’environnement abiotique, par exemple la perception de la lumière, de la gravité, l’ouverture des stomates et la régulation des transporteurs d’ions. La réponse aux stress lumineux, par divers systèmes de photo-protection, est liée à l’étude de la photosynthèse, détaillée plus haut. En revanche, nos connaissances sur la plupart des voies de signalisation associées restent parcellaires et de nombreux acteurs restent à identifier et à caractériser.

Il est frappant de constater que la diversité des contextes environnementaux peut être mise en parallèle avec la multiplication des acteurs impliqués dans les réponses à ces changements. C’est le cas par exemple, pour les gènes codant certaines familles de transporteurs (d’ions ou d’eau), de récepteurs membranaires, de facteurs de transcription et de nombreux autres acteurs des cascades de régulation : ils sont clairement plus nombreux et divers chez les organismes photosynthétiques que chez les autres organismes. La complexité des réponses est à mettre en parallèle avec certaines spécificités au niveau d’organes, de tissus, de cellules et de compartiments cellulaires. Le développement d’outils permettant d’analyser la perception des différents signaux abiotiques (et biotiques) au niveaux cellulaire (voir intracellulaire) a permis de grands progrès qu’il faut amplifier pour obtenir une réponse intégrée à la plante entière.

Enfin, les processus impliqués dans les interactions avec l’environnement abiotique ne sont pas cloisonnés et de nombreuses études récentes ont montré l’importance de prendre en compte les coordinations entre voies de signalisation. Les capacités de nombreux transporteurs à prendre en charge de façon compétitive des substrats aussi distincts que des ions ou des hormones illustre la nécessité de considérer des mécanismes impliquant des acteurs moléculaires de natures différentes.

Les études multi-stress sont cruciales si l’on souhaite prendre en compte la complexité de l’environnement, mais elles doivent être soigneusement sélectionnées sur la base de l’impact physiologique pour éviter une dispersion de moyens. Dans ce cadre les plateformes de phénotypage qui permettent de se rapprocher de conditions réelles et d’étudier l’ensemble de l’organisme (la racine a ainsi été souvent négligée par le passé car peu accessible visuellement), devront être développées, consolidées et/ou exploitées plus largement.

2. Interactions biotiques : explorer et comprendre la diversité des relations intra et interspécifiques impliquant les organismes photosynthétiques

Les organismes photosynthétiques vivent en association stable ou variable avec une grande diversité de microorganismes (virus, bactéries, archées, champignons, etc.) dans des environnements fluctuants. Il est aujourd’hui clair que l’hôte et son microbiote forment une entité fonctionnelle appelée `holobionte’.

Jusqu’à présent, les études portant sur les interactions entre plantes et microorganismes, pathogènes ou mutualistes, se sont appuyées sur des systèmes modèles simplifiés dans des conditions favorables au développement des interactions et donc assez loin des conditions naturelles et ne tenant que très peu compte de l’holobionte. Ces études conjuguant génétique, épigénétique, génomique, biologie moléculaire, biochimie, physiologie et cytologie ont néanmoins permis d’identifier des mécanismes moléculaires fondamentaux gouvernant les interactions, que ce soit au niveau cellulaire, tissulaire ou à celui de la plante entière. Elles ont notamment permis d’établir la notion d’une immunité végétale à deux niveaux, avec une `PAMP Triggered Immunity’ intervenant dans la perception des PAMPS/MAMPS (Pathogen Associated Molecular Pattern/Microbial Associated Molecular Pattern) et une `Effector Triggered Immunity’ impliquée dans la reconnaissance des effecteurs produits par les pathogènes. Ces travaux ont permis de dégager les modèles de `garde’, de `leurre’ ou plus récemment de `leurre intégré’ et la notion de `résistosome’. Plusieurs unités du CNRS en collaboration avec l’INRA, l’IRD et le CIRAD, ont largement contribué au développement de ces avancées conceptuelles. Un défi majeur consiste maintenant à déterminer comment s’intègrent les différentes voies de signalisation liées à la susceptibilité ou à la résistance et en étudier le caractère universel sur des modèles plus complexes prenant en compte l’holobionte. Il est également important de mieux caractériser les nœuds de régulation permettant d’équilibrer la réponse des plantes soumises à la fois à des stress biotiques et abiotiques. La spécificité d’hôte ou de tissu demeure aussi une question clé.

Dans le cadre des interactions mutualistes, les signaux des symbiotes, leur perception et leur transduction par l’hôte ont été caractérisés de manière très détaillée. Ces études ont ainsi permis de mieux caractériser les bases fonctionnelles de ces interactions et leur rôle dans la `fitness’ des plantes. Les études comparatives ont permis de caractériser les spécificités et les caractéristiques partagées entre symbioses fixatrices d’azote et mycorhiziennes et d’en retracer l’évolution. L’avènement de la génomique a permis de mieux appréhender la complexité des systèmes sur lesquels reposent les concepts développés sur les systèmes modèles. Ces approches génomiques ont permis de les étendre à des interactions qu’il était plus difficile d’étudier jusqu’alors par des analyses classiques. La génomique comparative et les études d’association pangénomique représentent des leviers extraordinaires pour étudier l’évolution des interactions plantes-microorganismes et la coévolution des partenaires. Les études d’évolutions expérimentales sont également des approches intéressantes pour étudier cette co-évolution. Il est donc aujourd’hui possible d’avoir une vision beaucoup plus intégrée et réaliste en élargissant le panel des populations ou des interactions étudiées. Plusieurs unités de l’INSB sont en pointe sur ces approches. Il reste néanmoins nécessaire de poursuivre et d’amplifier les études mécanistiques de manière coordonnée et ciblée sur les différents partenaires d’une interaction (hôte et microorganismes) et d’appuyer ces travaux par des approches de modélisations in silico. Il est en particulier nécessaire de mieux caractériser les échanges métaboliques qui sous-tendent ces interactions en renforçant les approches de métabolomique. De même, ces interactions doivent être abordées avec le souci de développer des approches de biologie des systèmes pour intégrer les différents niveaux d’interactions, de la molécule à l’holobionte, et en tenant compte des fluctuations environnementales. Le but étant finalement de comprendre comment l’holobionte répond à ces variations et de déterminer ainsi l’impact du microbiote sur la santé et le développement des organismes photosynthétiques.

Les approches de métagénomique permettent d’avoir des informations précises sur la composition des communautés microbiennes associées aux organismes photosynthétiques (endosphère, phyllosphère, rhizosphère pour les plantes terrestres) et d’en étudier les variations ou spécificités en fonction de paramètres liés à l’hôte ou aux conditions environnementales. La métagénomique, qui permet aussi de caractériser les viromes ou les microbiomes, doit cependant passer de la phase encore très descriptive à une phase plus fonctionnelle et écologique pour aider à élucider les mécanismes régissant la formation du microbiote et évaluer son impact sur l’hôte. Cela passera vraisemblablement par le développement de systèmes modèles robustes, l’utilisation de communautés synthétiques (SynComs) et l’étude de mutants ciblés ou le lancement de programmes de mutagenèse par Tn-seq. Des analyses méta-fonctionnelles devraient permettre à terme d’identifier des microorganismes ou des communautés microbiennes permettant aux végétaux de mieux résister aux infections et/ou aux stress abiotiques, un défi majeur pour le développement de l’agroécologie dans le contexte des changements climatiques.

D. Analyser, comprendre, modéliser, prédire : produire les connaissances pour la maîtrise des ressources algo- et agrosourcées présentes et futures

1. Algues et plantes : sources d’inspiration pour des solutions durables et innovantes

À la base de tous les systèmes alimentaires les organismes photosynthétiques sont au cœur de la question de la sécurité alimentaire. En amont d’études souvent menées de façon coordonnée avec l’INRA, une meilleure compréhension de leur biologie est nécessaire pour sécuriser la production face à l’augmentation des risques climatiques tout en diminuant l’impact environnemental et sanitaire de l’agriculture. L’ensemble des travaux menés sur la biologie des plantes, en lien avec l’environnement, trouve naturellement ici un champ de valorisations mutuelles, car certaines questions posées sur les pratiques agricoles inspirent des questionnements très fondamentaux. De nombreuses thématiques concernant par exemple le métabolisme carboné peuvent inspirer des stratégies pour améliorer la valeur nutritionnelle des productions végétales. Le CNRS est impliqué dans ce dialogue entre recherche fondamentale et appliquée, et celui-ci devra bien entendu être poursuivi, mêlant continuité et innovation.

Les algues et les plantes sont par ailleurs de fantastiques usines vivantes qui produisent à partir de l’énergie du soleil une grande variété de molécules, que les autres organismes ne peuvent produire. Certaines sont exploitées depuis longtemps pour élaborer des matériaux (bois, papier, coton) ou fournir de l’énergie. Leur potentiel reste cependant sous-exploité et devrait donner lieu à des applications par exemple en chimie (chimie verte et bleue), et dans le domaine de l’énergie (biocarburant, bioinspiration pour la photosynthèse artificielle, génération d’hydrogène). Ces thématiques constituent un enjeu autant économique qu’environnemental et nécessitent un investissement important en biologie des organismes photosynthétiques. Les partenaires du CNRS dans ce domaine sont multiples, dont le CEA, l’INRA et l’IFREMER.

Les macro-algues constituent une source d’alimentation humaine en Asie mais leur développement en Occident est plutôt envisagé en tant qu’aliments fonctionnels ou pour l’apports de protéines. La diversité chimique originale de leurs composants pariétaux, en particulier les polysaccharides et les composés phénoliques, permet déjà d’envisager des applications dans le domaine des nouveaux biomatériaux, résines et adhésifs pour développer des substituants aux produits de la pétrochimie ou pour des applications biomédicales. Comme pour les micro-algues, la problématique de la valorisation et de l’exploitation industrielle des macro-algues est étroitement corrélée à l’accès à la biomasse et donc au développement de systèmes de culture en mer ou à terre. Pour le moment les systèmes de production en France et en Europe sont peu performants et leur amélioration passera par le déploiement d’ambitieux programmes de sélection variétale. Il s’agit d’un domaine scientifique en pleine évolution où de nombreux verrous sont à lever, tels que le développement d’outils et de ressources génétiques et la maîtrise des cycles de vie.

Il est également indispensable de développer, maintenir et protéger des collections de souches d’algues (vivantes ou cryo-préservées) issues de la diversité naturelle ou de programmes de sélection variétale. La communauté de la recherche française occupe une position de leader international dans ce secteur qui devient très compétitif.

2. Métabolisme carboné : une diversité moléculaire à explorer et comprendre

Les organismes photosynthétiques synthétisent la plus importante diversité connue de polysaccharides, lipides et autres métabolites primaires, dont certains sont de très haute valeur pour les applications listées précédemment. La maîtrise de la quantité et de la diversité de ces métabolites nécessite la compréhension fine de leur synthèse, de leur dynamique de distribution et de leur rôle physiologique dans la cellule.

Une spécificité végétale examinée par plusieurs unités de la section est la formation d’une paroi pecto-cellulosique, apposée à la membrane plasmique, en relation avec un ensemble de structures lipidiques (cuticule, vésicules, gouttelettes) dont l’hétérogénéité va de pair avec la variété des fonctions biologiques effectuées. Certaines algues ont une paroi minéralisée, silicifiée, calcifiée. Ces barrières d’échanges hébergent des récepteurs de signaux chimiques et mécaniques, et façonnent des complexes réactionnels en microdomaines dont la spécificité fonctionnelle reste mal connue.

Plusieurs unités de la section 23 sont aussi leaders internationaux dans l’étude des lipides, leur diversité chimique (acyl lipides, dérivés d’acides gras, alcanes, alcènes, stérols, etc.), leurs propriétés biophysiques, leurs interactions avec d’autres lipides et protéines avoisinantes, permettant de comprendre comment leurs flux participent à la régulation de multiples fonctions biologiques essentielles comme la biogenèse des compartiments membranaires, la polarité cellulaire, le trafic vésiculaire et l’autophagie. Les enzymes de synthèse et de modification des lipides sont bien connues chez les plantes au contraire du trafic lipidique ou des systèmes de tri, défi pour l’avenir. Concernant les algues, le socle de connaissances est faible. Les micro-algues ont une forte capacité à synthétiser les acides gras et à les accumuler sous forme de réserves en huile, ce qui a ouvert un champ important de recherche. Il est enfin à noter une montée en puissance dans plusieurs unités de la section 23 de travaux sur les glycérolipides, stimulés d’une part par l’exploitation des huiles composées de triglycérides, pour des applications biotechnologiques, et d’autre part du fait du rôle majeur des phosphoinositides dans les processus cellulaires du développement.

En ce qui concerne la qualité nutritionnelle des graines et des fruits, il est nécessaire de mieux comprendre la régulation et la distribution des flux entre voies métaboliques. Dans le cadre du métabolisme de l’amidon et de sa régulation, plusieurs points primordiaux restent à éclaircir, tels que les mécanismes liés à l’initiation de la formation du grain d’amidon puis le contrôle génétique de leur nombre et de leur taille. Une meilleure connaissance des mécanismes précis de formation de l’amylopectine est un préalable indispensable à une modification raisonnée et contrôlée de sa structure in planta en vue des différentes applications industrielles potentielles.

Les métabolites secondaires (spécialisés) sont des molécules présentant une diversité moléculaire encore plus grande (composés phénoliques, terpènes, alcaloïdes, oxylipines, etc.) à large spectre fonctionnel, qui exercent une action déterminante sur l’adaptation incessante des organismes photosynthétiques à leur environnement. Ils interviennent dans la communication, la signalisation, la défense, la réponse aux stress, etc, et ont également une valeur inestimable pour l’homme par leurs propriétés nutritionnelles, pharmaceutiques ou industrielles. Leur identification est loin d’être complète alors qu’ils impactent entre autres la santé des consommateurs. Une meilleure connaissance des plantes et des algues dans leur diversité et des enzymes à l’œuvre dans leurs voies métaboliques est à la base de la transition vers une bio-économie dépendant moins des ressources actuellement utilisées. La production de métabolites spécialisés d’intérêt économique nécessite donc de compléter les approches actuelles par des connaissances spatiotemporelles de leurs voies de synthèse.

Au-delà de l’intérêt accru pour certaines branches du métabolisme primaire et/ou secondaire, une avancée récente revitalise l’ensemble des études des voies de biosynthèse. Il s’agit de la mise en évidence de l’assemblage transitoire de protéines, dont des enzymes, et de constituants membranaires pour canaliser ces synthèses, optimisant les réactions qui se succèdent entre un métabolite initial et un produit final. Ces `métabolons’ ont une architecture dynamique et contrôlent la biodiversité des métabolites produits. Il s’agit sans aucun doute d’un virage conceptuel qui devrait conduire à une mutation des stratégies biochimiques, permettant de mieux structurer l’articulation de la métabolomique dans les études intégratives et multi-échelles.

3. Importance stratégique des ressources algo- et agrosourcées : nécessité d’instrumentations analytiques, de réseaux de recherches inter-organismes et de partenariats

Le développement de filières algo-et agro-sourcées en France et en Europe est étroitement dépendant de l’élargissement du socle des connaissances et de l’amélioration du flux des innovations sur les plantes et les algues et doit reposer sur des réseaux de recherche inter-organismes et des partenariats robustes. La production de données à grande échelle au travers des approches dites `omiques’ a considérablement impacté les activités de recherche de la biologie végétale comme de la biologie en général et est indissociable d’un accès facilité à des plateformes technologiques analytiques à moyen ou haut débit, performantes, innovantes et mutualisées. La métabolomique ou la biologie structurale sont de bonnes illustrations de l’importance capitale pour la communauté scientifique d’accéder à des équipements performants, à des compétences et de l’expertise scientifique et technologique de haut niveau ainsi qu’à de la formation afin de produire de la connaissance fondamentale et faire émerger des innovations de rupture.

Le paysage de la recherche française en biologie végétale a été considérablement transformé par les PIA (projets investissements d’avenir) qui ont structuré et établi des réseaux de R&D, des infrastructures nationales et des démonstrateurs. Les projets sélectionnés dans le cadre de l’action `Biotechnologies-Bioressources’ du PIA 1 ont permis de soutenir sur une durée de près de 10 ans, des consortia réunissant des partenaires académiques et privés afin de développer une agriculture durable, capable de s’adapter au changement climatique en sélectionnant de nouvelles variétés de plantes cultivées aux performances améliorées : AKER (betterave), AMAIZING (maïs), BFF (sorgho, miscanthus, maïs), BREEDWHEAT (blé), PeaMUST (pois), RAPSODYN (colza), et SUNRISE (tournesol, à ne pas confondre avec l’initiative européenne SUNRISE mentionnée plus haut). Les projets IDEALG (macroalgues) et OCEANOMICS (plancton) ont conduit au développement d’outils et de ressources destinés à valoriser les ressources végétales marines de façon durable tout en veillant à respecter la biodiversité. Une inquiétude est aujourd’hui liée au devenir incertain de ces initiatives.

II. Recommandations pour renforcer le positionnement et la dynamique de la recherche nationale sur les organismes photosynthétiques

A. Thématiques et infrastructures nécessitant une vigilance dans un contexte budgétaire contraint

1. La crainte du déclassement

Unanimement, les DU ont exprimé la crainte de ne pouvoir maintenir des thématiques sur lesquelles leurs unités sont reconnues internationalement. Cette crainte est liée à la chute durable des recrutements par le CNRS et les autres tutelles, et au vieillissement des équipements. Personne ne met en doute qu’il soit nécessaire d’accompagner le décroissement de certaines activités, mais lorsque celles-ci sont en plein développement, avec une production scientifique de premier plan, l’absence conjuguée de financements et la baisse brutale de recrutements créent un sentiment d’impuissance et de détresse. Cette crainte s’exprime aussi au niveau des infrastructures financées par les premières vagues du PIA. Il est important de signaler cette situation dans ce rapport.

2. Réussir à poursuivre l’approfondissement de thématiques matures et importantes sur des modèles d’organismes `historiques’ tout en abordant des thématiques nouvelles, inspirées par les découvertes et les ruptures

Il y a plusieurs décennies, les Sciences Naturelles dont l’étendue des curiosités était ouverte à l’ensemble du vivant, avaient dû `laisser la place’ au déchiffrage méthodique des mécanismes moléculaires fondamentaux du vivant sur quelques modèles d’études. Les progrès technologiques et méthodologiques récents guident de nouveau notre curiosité sur la biodiversité, avec cette fois-ci la nécessité, puisque cela est possible, d’en déchiffrer les mécanismes moléculaires et les architectures. Deux grands moteurs assez différents alimentent ce mouvement profond, d’une part le besoin de transférer les connaissances aux plantes cultivées, sur lesquelles il est maintenant possible de travailler `sans passer’ systématiquement par Arabidopsis, et d’autre part la prise de conscience que la majeure partie de la biodiversité des organismes photosynthétiques eucaryotes est encore méconnue. Ce dernier point correspond à un renouveau des Sciences Naturelles, mais avec des questions posées par des molécularistes et des biologistes cellulaires, dans le contexte de la crise environnementale qui requiert de disposer de telles connaissances. Les laboratoires français, grâce à leurs historiques, leurs cultures, leurs masses critiques, et grâce à l’excellence de leurs chercheurs, peuvent se positionner parmi les leaders internationaux sur tous ces champs thématiques, à condition de bien gérer la transition. En termes de périmètre scientifique, la section voit donc son assise évoluer pour embrasser plus globalement l’ensemble des organismes photosynthétiques, marins et terrestres (Annexe 2).

Comme rapporté plus haut, il reste primordial de poursuivre l’approfondissement des connaissances sur nos modèles les mieux connus, malgré la difficulté à les financer par les agences de financements focalisées sur les systèmes en rupture. Le CNRS devrait pouvoir jouer un rôle dans le soutien de ces thématiques traitées par plusieurs unités de l’INSB, qui ont réussi à atteindre un niveau très élevé dans la compréhension multi-échelle et intégrée de processus fondamentaux. Parmi les thématiques que les DU jugent important de maintenir et consolider, sans être exhaustifs on compte : la photosynthèse en lien avec le développement et le métabolisme ; le contrôle de l’expression des gènes aux niveaux génomique, épigénomique, transcriptionnel et post-transcriptionnel ; le développement des méristèmes en lien avec l’organogenèse de la racine, des organes végétatifs et de la fleur, la phytonutrition en lien avec le développement et les stress abiotiques ; le métabolisme carboné en lien avec les métabolismes énergétiques et les interactions biotiques et abiotiques. À ceci s’ajoutent les études des relations symbiotiques et des relations hôtes-pathogènes sur différents systèmes modèles. Enfin, plusieurs unités de l’INSB ont été parmi les premières à identifier des organismes d’études, que l’on peut considérer comme émergents, en particulier de micro- et de macro-algues, à en caractériser les cycles de vie, en séquencer les génomes, y développer des outils moléculaires. Un point de vigilance concerne les thématiques liées aux interactions entre organismes photosynthétiques et virus, malgré les rôles que ces derniers jouent sur la biologie et l’évolution de leurs hôtes. Les études multi-échelles et intégratives listées ici forment un socle de connaissances critique pour aborder les nouveaux modèles d’études. Une vigilance particulière de l’INSB est donc sollicitée sur la pérennité de ces sujets.

Les années récentes ont été marquées par une certaine naïveté à transférer des schémas métaboliques ou des réseaux de régulations déchiffrés sur quelques organismes modèles à tout végétal au génome séquencé et annoté. Certains DU soulignent le besoin de poursuivre l’annotation des génomes, voire de réviser de façon profonde certaines annotations erronées, qui forment toutefois le socle d’études futures. Indépendamment de ce besoin de disposer de données fiables sur les organismes de référence, il est clair par ailleurs qu’on ne peut faire l’économie d’expérimentations, par voie de génomique fonctionnelle, mais aussi de biochimie, électrophysiologie, physiologie, etc, pour avancer sur l’analyse des nouveaux modèles d’organismes. À l’instar de ce qui est mentionné plus haut sur un `retour’ aux Sciences Naturelles par des biologistes moléculaires intrigués par des données de génomique comparative, trois disciplines sont remobilisées pour mener ces études : la biologie cellulaire, la biochimie, et la génétique. Un exemple illustrant que la génomique comparative ne peut suffire est celui de l’étude de la photosynthèse et des mécanismes de régulation par la lumière chez les diatomées qui suffit à montrer qu’il existe des mécanismes fondamentaux très divergents, qui peuvent remettre en cause certains postulats établis sur la lignée verte. Les unités de l’INSB permettent de rassembler ces pionniers des nouveaux modèles au plus près des biologistes étudiant les organismes classiques, et cet assemblage devrait être maintenu, car c’est une force, reconnue internationalement pour avancer avec un bénéfice mutuel.

3. Poursuivre la consolidation et l’ouverture des plateformes analytiques, des infrastructures partagées et des services d’analyse des données

La qualité des travaux menés par les unités relevant de la section 23 repose sur des approches intégratives multi-omiques et des analyses multi-échelles. Ce rapport réaffirme ce besoin, et souligne que de nombreuses études initiées en particulier par de jeunes chercheurs, CRCN récemment recrutés, reposent sur de telles études qu’il semble très souvent impossible à financer. Il n’est pas rare de voir la première année des CRCN recrutés consommée par la recherche de financements. Des données de base peuvent être utiles à tous les chercheurs, juniors et séniors, pour répondre aux appels à projets. Comment financer le séquençage de quelques génomes, l’évaluation d’un profil de marques épigénétiques sur un nombre décent d’échantillons, l’analyse de profils transcriptomiques, l’aide d’un service permettant d’annoter ou d’analyser ces résultats par des méthodes `classiques’ de bioinformatique, ou encore le développement de quelques anticorps ? Les méthodes de séquençage progressent (PacBio, nanopore) permettant un accès toujours plus rapide et précis aux données génomiques. Ces données, bien que critiques dans le contexte de la concurrence internationale, sont difficiles à obtenir au quotidien dans un laboratoire, et chronophages à analyser quand le temps des chercheurs est absorbé par des activités rédactionnelles. Une possibilité serait dans la mesure du possible de développer un fonds spécifique permettant de financer de telles études, sur une base régulière.

B. Enjeux d’avenir, thématiques et technologies émergentes

1. Accompagner la révolution de l’édition génomique dans toutes ses dimensions et développer les approches de biologie synthétique

L’ingénierie moléculaire permettant d’explorer fonctionnellement les organismes photosynthétiques, est entrée dans une `ère des possibles’, grâce aux évolutions technologiques en particulier des méthodes d’édition. Il est indispensable de soutenir et démocratiser les recherches sur, et exploitant, le système CRISPR/Cas9, pour l’édition des (épi)génomes ainsi que pour le développement de sondes moléculaires. Le développement de systèmes agiles pour l’ingénierie génétique des procaryotes et eucaryotes, permettant l’expression multicistronique eucaryote (e.g. le système 2A), et/ou l’expression de gènes synthétiques, ouvre en grand la créativité à la fois pour la biologie fondamentale et pour la recherche appliquée (dont les thématiques reposant sur la biologie synthétique, développées par plusieurs unités de la section 23). La mise en place de ressources, idéalement libres d’accès, de vecteurs conçus pour les végétaux (algues et plantes) par les chercheurs du CNRS, ou l’accès à des plateformes robotisées de biologie moléculaire, sont des pistes possibles, qui pourraient avoir une ambition proche de celle qui avait motivé la mise en place des collections de mutants il y a deux décennies. Il serait de même important de promouvoir la mise en place de workshops et de réseaux sur ces méthodologies en progrès permanent. Cet effort pourrait être mené avec d’autres tutelles.

2. Pousser les limites analytiques et coupler ces méthodes avec l’imagerie

Les plateformes analytiques ont engagé une structuration à l’échelle nationale. Il faut poursuivre cet effort, en incluant dans le schéma de développement le besoin d’analyser le plus grand nombre d’échantillons, en particulier végétaux, avec une plus grande sensibilité. Un objectif intéressant est de promouvoir une convergence avec les méthodologies d’analyse de la cellule unique (voir ci-dessous). Concernant les organismes photosynthétiques, les plateaux et plateformes doivent permettre l’analyse de molécules absentes des cellules animales (la majorité des plateformes n’ont pas les standards correspondant aux métabolites majeurs de végétaux) et en appréhender la diversité moléculaire. Il faut donc par exemple associer spectrométrie de masse pour les résolutions structurales, chimiques, avec les méthodes couplant chromatographie liquide et spectrométrie de masse en tandem pour le profilage systématique de métabolites. Il est aussi important d’avancer dans l’étude de la diversité des modifications post-traductionnelles du protéome, en particulier le phosphoprotéome, le N-terminome, l’inventaire des protéines ubiquitinées. L’approfondissement de notre connaissance sur les modifications des histones est à considérer avec l’ensemble des modifications des nucléotides. Le couplage avec l’imagerie à haute-résolution doit se poursuivre et se populariser, pour aborder les questions de flux d’ions, de métabolites, d’hormones ou de nucléotides aux échelles cellulaires.

3. Analyser l’architecture et la dynamique des assemblages protéines-protéines, protéines et ADN, ARN, lipides, pigments, métabolites, hormones et tout autre ligand (complexes, machines moléculaires, métabolons, nanodomaines)

Un enjeu du déchiffrement des mécanismes moléculaires, suivant les approches déterministes, est de comprendre l’élaboration d’assemblages transitoires de protéines, lipides, ADN, ARN, etc, et la dynamique de ces assemblages. Plusieurs processus dynamiques cellulaires (biologie des polynucléotides, cytosquelette, trafic vésiculaire, processus biogénétiques) nécessitent la dissection de machines moléculaires, de métabolons, de nanodomaines fonctionnels, autant d’associations transitoires et labiles. Il est essentiel de soutenir la dissection biochimique de complexes mixtes entre protéines et autres ligands, et de développer les méthodes permettant un compréhension in situ de ces associations. Dans le même esprit, les méthodes de séparations d’organites de façon très résolutive, tels que des noyaux étiquetés pour leur appartenance à un type cellulaire par la méthode INTACT, seront sources d’information plus fines et déterminantes. Il semble pertinent de soutenir les approches biophysiques (RMN, microscopie force atomique, spectrométrie des neutrons, rayons X, etc.) et la modélisation moléculaire et dynamique des systèmes L’intégration de l’ensemble à l’échelle cellulaire, ce qui demande le développement et l’application de nouveaux modèles mathématiques, est un enjeu clair pour certaines thématiques, dont la mécanobiologie, particulièrement importante pour le développement des organismes photosynthétiques.

4. Développer l’imagerie de la cellule unique à l’organisme pluricellulaire

L’imagerie est une clé pour comprendre le lien entre les assemblages dynamiques de protéines et macromolécules et leur(s) fonction(s) au niveau d’organisation supérieur, pour des questions aussi diverses que la différenciation cellulaire, la biogenèse de compartimentations subcellulaires complexes chez les endosymbiontes secondaires, les processus infectieux, les coopérations entre organites par des contacts intermembranaires, ou encore la formation de complexes entre protéines et d’autres molécules, de nanodomaines à la membrane plasmique, etc. Les avancées futures, sources de découvertes, dépendront de l’accès aux technologies nouvelles d’imagerie, permettant la visualisation dynamique de molécules uniques, l’organisation tridimensionnelle de cellules par tomographie électronique (par exemple par microscopie électronique à balayage à faisceau d’ions focalisé), la corrélation entre détection de sondes fluorescentes et microscopie électronique, etc. Les techniques de tri cellulaire sont associées à ces approches générales, ainsi que la microfluidique pour poser les questions relatives aux types cellulaires isolés. La microscopie en feuillet de lumière peut permettre le lien à l’échelle pluricellulaire. Enfin, la possibilité de suivre les phénotypes dans le temps à ce niveau de résolution (approches dites `4D’) permettront de pousser les frontières des connaissances à un niveau structural et fonctionnel inégalé.

5. Développer les systèmes expérimentaux multi-organismes pour les études de relations avec l’environnement abiotique et biotique

L’articulation entre l’organisme et son environnement passe aujourd’hui par l’élaboration de systèmes expérimentaux permettant d’appréhender les relations intra- et interspécifiques, dans des environnements aux variables maîtrisées. Les `standardized fabricated ecosystems’ ou EcoFAB sont peu développés en France, alors qu’ils représentent un enjeu d’échelle international pour l’étude des microbiotes associés, et d’une façon plus large, des holobiontes. Il sera donc pertinent de soutenir le développement d’écosystèmes expérimentaux pour toutes les thématiques relevant de l’interface avec l’environnement, l’étude de contraintes multiples, multistress, etc. En corollaire, il est essentiel de pouvoir mesurer de façon automatisée, fiable et au plus haut débit possible le phénotype des végétaux. En interface avec la section 29/INEE, les études articulant écophysiologie, expérimentations et observations dans les Ecotrons, Zones Ateliers, Friches Industrielles et Jardins Expérimentaux seront à encourager.

C. Orientations stratégiques propices à dynamiser la recherche sur les organismes photosynthétiques

Plusieurs enjeux fondamentaux motivent les recherches menées dans la section 23. Sur le front des connaissances, le déchiffrage des mécanismes fondamentaux du vivant, par des approches multi-échelles et multi-omiques peuvent atteindre des niveaux inégalés sur les modèles d’organismes les mieux connus. La biodiversité peut enfin être explorée avec les outils moléculaires, pour aborder la question de l’évolution des organisations fonctionnelles. Du fait que les organismes photosynthétiques représentent les deux tiers de la biodiversité, ils sont aussi la Terra incognita la plus vaste. Au-delà d’éveiller notre curiosité pour avancer au front des connaissances, les organismes photosynthétiques sont aussi au cœur de la crise environnementale et la part du Vivant sur laquelle se concentrer pour poser les questions de la sécurité alimentaire, des innovations biotechnologiques et du développement de bioénergies durables.

Dans ce contexte, les pistes suivantes sont à considérer pour soutenir les orientations stratégiques futures :

– favoriser des programmes visant à combler nos déficits de connaissances dans le domaine du vivant photosynthétique ;

– promouvoir les recherches à différents niveaux d’organisation, du moléculaire à la biosphère, intégrant plusieurs disciplines ;

– promouvoir les interactions avec la physique, la biophysique, la biologie structurale (section 20), les sciences de l’évolution et l’écologie (section 29), les mathématiques, etc. ;

– articuler recherche guidée par la curiosité avec recherche guidée par les avancées technologiques, qui peuvent faire naître des approches créatives et sources de ruptures ;

– renforcer la coordination des recherches sur les organismes photosynthétiques avec en particulier l’INRAE, le CEA, l’IRD, le CIRAD, l’IFREMER, L’INRIA et les Universités.

Dans le cas des universités, il sera important de promouvoir l’enseignement spécifique de la biologie végétale, car le CNRS est un des seuls organismes qui dispose d’une vision nationale de cette ampleur quand les universités peuvent céder à la tentation de se spécialiser au détriment de certaines disciplines fondamentales. L’initiative de soutenir le financement de thèses dans le cadre du programme 80prime a été menée avec un certain niveau d’impréparation. Il serait utile si cette opération devait être pérennisée d’identifier des thématiques, avec une réflexion suffisamment mûrie, pour identifier et soutenir des secteurs stratégiques, parce qu’ils sont importants dans la durée, comme action de recherche rayonnante du CNRS, et/ou parce qu’ils sont porteurs d’innovation en soutien à l’émergence, à la rupture, à la découverte. Un équilibre entre les deux devrait être recherché.

Par l’enjeu sociétal, l’articulation amont-aval doit impliquer le CNRS, qui semble parfois moins moteur que l’INRA ou le CEA, alors que de nombreuses applications sont issues de travaux de ses chercheurs. Il est donc essentiel d’affirmer la volonté d’articuler recherches fondamentales, finalisées et appliquées, en s’appuyant sur un système transparent, cohérent et décent de financement de la recherche nationale.

Il semble, sur ces deux derniers points, important de consolider et développer la place de la recherche menée au CNRS sur les organismes photosynthétiques, et les organismes qui leurs sont intimement associés, aux interfaces de la formation (côté université) et du transfert vers les acteurs industriels (avec les autres tutelles disposant déjà d’accords-cadres avec des acteurs majeurs de l’industrie). Il s’agira certainement d’une question pour l’avenir, à mener en considérant l’élargissement du socle thématique de la section 23, à l’ensemble des organismes photosynthétiques marins et terrestres, organismes modèles et non-modèles, pertinents pour poser les questions depuis l’élucidation de mécanismes fondamentaux inconnus du vivant, à l’impact de la crise environnementale sur le socle des écosystèmes et l’exploration du potentiel de ces organismes pour l’agriculture, l’agroécologie, les chimies vertes et bleues et les bioénergies.

ANNEXE 1

ANR : Agence nationale de la recherche
CEA : Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives
CIRAD : Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement
DU : Directeur d’unité
ERC : European Research Council
GDR : Groupement de Recherche
GIS : Groupement d’intérêt scientifique
GWA : Genome Wide Association
IBiSA : Infrastructures en Biologie Santé et Agronomie
IFREMER : Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer
INRA : Institut national de la recherche agronomique
INRAE : Institut national de la recherche en agriculture, alimentation et environnement
INRIA : Institut national de recherche en informatique et en automatique
IRD : Institut de recherche pour le développement
IRSTEA : Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture
PIA : Programme Investissement d’Avenir
RMN : Résonnance magnétique nucléaire
UMR : Unité mixte de recherche

ANNEXE 2

Remarque sur la méthodologie pour la préparation de ce rapport : ce chapitre a été rédigé après consultation des directeurs d’unités (DU) et des directeurs de groupements de recherche, relevant de la section 23 en section principale. Vingt-deux DU et responsables de structures ont précisé leurs modèles d’études et thématiques les plus fortes dans leurs unités, qui contribuent du rayonnement national en recherche fondamentale sur les organismes photosynthétiques. Les DU ont aussi partagé leurs visions sur les thématiques et technologies émergentes à développer et consolider.

1. Modèles d’étude utilisés par les unités de la section 23

Établi à l’aide de 207 mots-clés issus des unités, ce nuage de mot illustre la force de la recherche nationale menée sur le modèle de plante Arabidopsis et la croissance récente des recherches menées sur les algues. Il apparaît donc que la section est unifiée par l’étude des algues et des plantes, de façon équilibrée.

2. Thèmes abordés par les unités de la section 23

À l’aide de 385 mots-clés, il apparaît que les processus de signalisation et d’interactions avec l’environnement restent des thématiques majeures, déjà soulignée en 2014, mais plus clairement liées à la question du changement climatique. Le métabolisme (associé à la photosynthèse et à la phytonutrition) semble une thématique unificatrice, des processus propres aux organismes photosynthétiques aux travaux visant à explorer et exploiter les bioressources algo- et agrosourcées.

3. Approches et méthodologies employées par les unités de la section 23

Il ressort sur 185 mots-clés que la génomique reste une approche unificatrice de la section, à la base des études intégratives avec les autres omiques, et multi-échelles, avec une montée en puissance de l’imagerie (haute résolution, corrélative, tomographie, 4D). De façon cohérente avec les thématiques de recherche citées plus haut, la métabolomique s’est installée durablement en lien avec la physiologie. L’édition des génomes s’est démocratisée par rapport à la précédente enquête. L’augmentation des études écophysiologiques reflète une mise en perspective des organismes étudiés au sein de l’environnement. Les méthodologies en lien avec l’ingénierie des organismes et la biologie synthétique se sont développées, illustrant une articulation croissante avec les biotechnologies.