Rapport de conjoncture 2019

CID 54 Méthodes expérimentales, concepts et instrumentation en sciences de la matière et en ingénierie pour le vivant

Composition de la Commission

Anne-Marie Haghiri (présidente de la Commission) ; Florian Lesage (président de commission) ; Emmanuelle Marie-Begue (secrétaire scientifique) ; Lavinia Balan ; Vincent Balter ; Patrice Camy ; Jean-Luc Coll ; Valentina Emiliani ; David Gremillet ; Anne-Marie Haghiri ; Didier Lassaque ; Sophie Lecomte ; Ludovic Leconte ; Franck Para ; Thierry Perez ; Jean-Paul Rieu ; Serge Simoens ; Emmanuelle Trevisiol.

Résumé

Les recherches interdisciplinaires mêlant sciences de la matière et sciences du vivant constituent un enjeu majeur. En effet de nombreux concepts et technologies issus de la recherche en physique et en chimie sont à l’origine de ruptures en biologie et en médecine. Inversement, la pression de sélection qui opère au sein du vivant a généré des systèmes hautement optimisés dont la description fournit aux non biologistes une source d’inspiration originale pour la mise au point de nouveaux procédés et de nouveaux systèmes. Ce document met en relief certains des enjeux actuels des interactions entre sciences du vivant et sciences de la matière : biophysique, imagerie du vivant, micro et nanotechnologies, objets fonctionnalisés en interaction avec le vivant, systèmes biomimétiques et bioinspirés.

Introduction

En France, les recherches inter- disciplinaires en sciences de la matière et du vivant constituent un champ dynamique qui a dépassé le statut de l’émergence et se déploie de façon pérenne sur une communauté dotée d’une excellente visibilité internationale. Porteur d’innovations majeures, ce domaine est en constante évolution. Quasiment tous les secteurs des sciences dites dures sont concernés. Une trentaine de sections du comité national peuvent potentiellement contribuer à ce domaine.

Au-delà des progrès initiaux obtenus en santé publique (imagerie médicale, radiothérapie), ce domaine de recherche s’établit aujourd’hui autour d’une démarche bien plus globale : appréhender à l’aide d’outils conceptuels et matériels physiques ou chimiques les questionnements de la biologie, et en retour, intégrer les fondements fonctionnels et structurels de la matière vivante dans les outils de la physique, de la chimie et de l’ingénierie afin de générer de nouveaux concepts et de nouveaux outils.

Un corolaire plus récent à ces approches est de mimer le monde du vivant, dans tous ses niveaux d’organisation, par des approches non biologiques afin d’imaginer de nouvelles architectures fonctionnelles et de réexaminer, à la lumière de ces acquis, les modes d’organisation et de fonctionnement du vivant. Par l’optimisation acquise au cours de l’évolution, le vivant se révèle également une remarquable source d’inspiration pour répondre de manière originale aux nouveaux enjeux sociétaux concernant notamment la production d’énergie, la sobriété et la durabilité.

Ce document met en relief des domaines essentiels de la recherche en concepts et instrumentation en sciences de la matière et en ingénierie pour le vivant. Ces domaines constituent des enjeux majeurs pour progresser dans la compréhension du vivant, pour développer les futurs outils de diagnostic, de suivi thérapeutique ou d’observation environnementale, et pour favoriser les évolutions technologiques majeures que constituent les approches bioinspirées.

I. Biophysique et biomécanique

A. Un vaste domaine de recherche

La biophysique et la biomécanique sont représentées dans plusieurs sections du comité national : sections 5 (INP) et 11 (INC) pour l’interface physique-biologie ; sections 9 et 10 (INSIS) pour la mécanique des systèmes vivants, section 22 (INSB) pour la biophysique cellulaire, le développement et la morphogénèse ; et section 28 (INSB/INSIS) pour l’ingénierie pour la santé.

Si ces thématiques ont pris de l’importance dans ces sections (nous renvoyons le lecteur aux chapitres correspondants), elles n’en sont généralement pas le cœur, car les questions scientifiques abordées, les démarches et les chercheurs impliqués sont souvent marqués par l’attachement disciplinaire propre à chaque section. Les travaux de biophysique et biomécanique que soutient la CID 54 impliquent des objets ou des systèmes biologiques de complexité croissante et de taille variable (cellules hautement spécialisées, populations cellulaires organisées, tissus ou organismes vivants, sains ou pathologiques, incluant systèmes sensoriels, musculo-squelettique, encéphalique), ce qui nécessite une interaction étroite entre un nombre croissant de disciplines. Un challenge fréquent est de réussir le couplage des techniques complémentaires, intrusives ou non, pour des diagnostics et des études plus intégrées. Quelques exemples sont présentés dans le paragraphe suivant.

Si plusieurs pôles de recherche interdisciplinaire adossés au CNRS (UMRs) se sont constitués, notamment en région parisienne, de nombreuses équipes oeuvrent dans des unités centrées sur d’autres disciplines. Le besoin de structuration est manifeste et s’appuie sur deux GDRs : pour la biophysique, en lien fort avec la communauté des physiciens de la matière condensée et de la matière molle, le GDR 3070 Physique de la cellule aux tissus (CellTiss), rattaché à l’INP, l’INC et à l’INSB ; pour la biomécanique, en lien fort avec la communauté de la mécanique et de l’ingénierie, le GDR 3570 Mécanique des matériaux et fluides biologiques (MECABIO) rattaché à l’INSIS et à l’INSB. Par ailleurs, d’autres GDRs, rattachés à l’INP et/ou l’INSIS, participent de cette dynamique, en particulier le GDR MicroNanoFluidique et le GDR 3588 Mécanique et physique des systèmes complexes (MéPHY).

Cette dynamique de recherche a conduit à la formation de chercheurs de qualité, maîtrisant le langage, les concepts et les outils de champs disciplinaires différents et parfois capables de combiner expérimentation et modélisation numérique de pointe. Ce niveau d’interdisciplinarité est souvent le résultat de parcours atypiques, parfois relativement longs, associant des expériences successives de recherche dans des environnements variés (équipes à dominante sciences de la matière puis à dominante sciences de la vie et vice versa, équipes ayant développé une forte culture interdisciplinaire). Cette dynamique a entraîné l’émergence de formations originales au niveau master mêlant la physique, la biologie et même les mathématiques. Tout cela a conduit à constituer un vivier d’excellents candidats au CNRS, vivier dont la taille est en constante augmentation depuis quelques années.

B. Quelques exemples typiques

L’évolution du domaine amène aujourd’hui à aborder des problématiques complexes tant dans la diversité des objets biologiques que par les techniques d’études, les sollicitations mécaniques, les conditions physico-chimiques et/ou l’interaction entre un nombre croissant de disciplines. Les recherches concernent les cellules souches, les cellules spécialisées ou réactives (ovocytes, cellules immunes, neurones, cellules ciliées) mais aussi les populations cellulaires organisées, telles que les biofilms, les agrégats, les sphéroïdes, les tissus in vivo et in vitro, et les organismes vivants ou les groupes d’animaux. Les techniques expérimentales d’exploration et d’observation sont dans la majorité des cas associées à des approches théoriques de modélisation et de simulation numérique. Très souvent dans ce domaine, la CID 54 et la CID 51 sont intimement associées.

Il est difficile de décrire cette dynamique de façon exhaustive mais une liste réduite à quelques sujets de recherche récents présentés à la section permet d’appréhender la richesse des thèmes abordés :

– contrôle de la différenciation cellulaire dans des assemblées de cellules par la libération localisée de drogues grâce à la microfluidique ;

– étude de la motilité cellulaire dans diverses géométries plus réalistes que la culture en 2D sur boite de Petri (gels 3D, canaux 1D…), avec contrôle des gradients de chimioattractants ou de la rigidité du milieu, sur des types cellulaires variés (cellules mésenchymateuses, immunitaires ou invasives) ;

– étude des mouvements morphogénétiques par suivi des mouvements cellulaires (tracking) couplé à la mesure locale des contraintes mécaniques, pour évaluer les rôles respectifs des morphogènes et de la mécanique dans l’embryogenèse ou le cancer, que ce soit en systèmes 3D (organoïdes, explants, embryons) ou 2D (monocouches épithéliales ou endothéliales) ;

– étude des mouvements collectifs dans un biofilm, une monocouche ou un tissu, éventuellement couplé à du machine learning, afin d’en estimer le caractère normal ou pathologique. La convergence des outils expérimentaux et de modélisation issus de la matière active (physique hors d’équilibre) peut ici s’avérer très fructueuse ;

– mesure des forces impliquées durant la division cellulaire symétrique ou asymétrique, dans les phénomènes de fusion membranaire entre deux gamètes pour améliorer la connaissance de la fécondation à l’échelle moléculaire ;

– identification des composants minimaux de processus cellulaires basiques tels que motilité, fusion ou fission membranaire par des approches biomimétiques faisant intervenir matière molle (systèmes auto-assemblés), biochimie (purification), optique (microscopies innovantes), microtechnologies (pinces, microfluidique…) et modélisation ;

– observation simultanée des signaux issus de l’activité d’un grand nombre de neurones à l’aide d’une grille de capteurs montés sur des supports organiques transparents, couplée à des techniques d’imagerie multiphotonique pour une meilleure observation corticale.

II. Imager le vivant

La France est dotée d’une recherche de pointe performante en imagerie, de réputation internationale. La thématique la plus développée est l’imagerie du vivant, que ce soit pour décrypter ses mécanismes ou pour améliorer la santé. Elle mobilise des moyens importants à la croisée de nombreuses disciplines dont les sciences physiques, chimiques, biologiques, médicales, l’ingénierie et les sciences du numérique, offrant ainsi un bel exemple d’une interdisciplinarité féconde en découvertes et en transferts de technologies.

La recherche nationale s’appuie sur une communauté relativement bien développée et structurée autour des infrastructures de recherche (France Life Imaging et France Bio-Imaging, FBI) qui permettent de regrouper les laboratoires en nœuds régionaux et transverses de qualité scientifique et technologique reconnue. De plus FBI est le nœud français de Euro Bio Imaging. Il existe également le domaine d’intérêt majeur Technologies Innovantes pour les Sciences de la Vie d’Île de France (DIM ELICIT) et deux GDR, Imagerie et Microscopie en Biologie et Imageries in vivo, pour l’imagerie biomédicale préclinique et clinique, qui regroupent autour de projets transverses une large communauté de biologistes, physiciens, mathématiciens, chimistes… Ces regroupements permettent de fédérer au-delà du CNRS des laboratoires universitaires, Inserm, CEA, INRIA, INRA.

L’imagerie optique, très largement utilisée en biologie, est aujourd’hui mise au défi de surpasser ses performances. Elle doit notamment permettre de quantifier des phénomènes et des objets physiques, chimiques et biologiques intriqués et complexes, avec une haute résolution temporelle et spatiale, et à de multiples échelles, de la molécule unique à l’organisme entier. Cela a conduit à l’émergence de nouvelles techniques de microscopie de pointe, pour lesquelles les laboratoires français ont produit des contributions de premier plan. Ces avancées technologiques génèrent des quantités massives de données (bigdata), ce qui pose le problème du stockage des données mais aussi de leur analyse pour l’imagerie 5D.

L’imagerie médicale qui est traitée spécifiquement par la section 28 n’est pas décrite ici.

A. Instrumentation et innovations technologiques

La microscopie non linéaire à deux photons a ouvert la voie de l’imagerie en profondeur dans les tissus. La technique a récemment été étendue à trois photons ouvrant l’accès à des profondeurs plus importantes qui permettent d’envisager à court terme l’imagerie du cerveau à travers la boite crânienne. Pour atteindre des profondeurs encore plus importantes (de l’ordre de plusieurs millimètres), les développements récents s’articulent autour de l’ingénierie de front d’onde qui permet de focaliser en profondeur la lumière diffusée, et la microendoscopie pour la focalisation en profondeur dans les tissus grâce aux micro-objectifs. Les défis majeurs concernent le développement de sondes de taille de plus en plus réduite pour diminuer le caractère invasif et dommageable des implants. Une direction prometteuse est l’utilisation de fibres multimodes couplées aux techniques de contrôle de front d’onde afin de s’affranchir des micro-objectifs et d’évoluer vers une endoscopie sans lentille.

Outre sa capacité à imager en profondeur, la microscopie non linéaire permet de combiner la détection de plusieurs signaux pour visualiser sans marquage des structures dans un tissu intact. La génération de seconde harmonique (SHG) permet de détecter les zones denses et non centro-symétriques (collagène fibrillaire, filaments de myosine…). La génération de troisième harmonique (THG) quant à elle détecte les hétérogénéités optiques à l’échelle de la centaine de nanomètres (interfaces intra/intercellulaires, structures lipidiques ou pigmentées…). Les contrastes Raman cohérents (SRS, CARS, etc.) présentent une spécificité chimique (lipides, eau, protéines, etc.). Ces techniques ont un grand avantage, elles permettent de se passer de marquage. On peut de surcroit combiner ces méthodes à des approches polarimétriques pour sonder l’orientation des structures détectées à l’échelle du volume d’excitation.

L’acquisition d’image peut être accélérée de deux à trois ordres de grandeur par rapport à l’approche usuelle point-à-point en utilisant la microscopie à feuille de lumière (light-sheet microscopy). Elle peut aussi être couplée à la super résolution ou à l’excitation multiphotons. Cette approche suscite un grand intérêt en biologie pour l’imagerie in vivo et in toto d’embryons (poisson zèbre, nématode, drosophile…) ou combinée à la nouvelle technique pour rendre transparents (technique dite de « transparisation ») des échantillons épais, tels que les cerveaux de mammifères intacts.

Pour les échelles encore plus petites (submicrométrique), ces dernières années ont été marquées par des avancées majeures en microscopie optique super résolue qui permet de franchir la limite de diffraction et d’atteindre des résolutions nanométriques. Plusieurs techniques complémentaires le permettent aujourd’hui, par exemple les microscopies STED, PALM, SIM et STORM. Les principales applications ont été réalisées en biologie cellulaire, en particulier sur des systèmes cellulaires isolés. Très récemment, cette approche a été utilisée in vivo.

L’utilisation de la lumière en biologie ne se limite pas à l’imagerie des tissus. Un nouveau domaine appelé optogénétique est en train d’en élargir les contours. Cette méthode permet de contrôler par la lumière l’activité de neurones génétiquement modifiés produisant des protéines photo-activables (les opsines). Cette approche a révolutionné le champ des neurosciences, et combinée à l’utilisation d’indicateurs d’activité neuronale (sondes calciques ou de potentiel) elle a ouvert la voie à la manipulation optique des circuits neuronaux afin d’étudier leur rôle dans la détection sensorielle, la perception et les fonctions cognitives. Les développements dans ce domaine sont relatifs à l’amélioration de la résolution spatiale et temporelle pour contrôler individuellement des centaines de cellules sur une échelle temporelle de la milliseconde et dans des volumes millimétriques. Cela implique la combinaison de méthodes d’illumination fondées sur la modulation du front d’onde, l’excitation multiphotons mais aussi le développement de nouvelles opsines et des lasers IR puissants.

La microscopie corrélative cherche elle à fusionner les informations obtenues par différentes modalités d’imagerie sur un même échantillon (par exemple microscopie électronique et photonique). Cette modalité permet de situer des mécanismes moléculaires observés en microscopie de fluorescence puis localisés au niveau structural par la microscopie électronique.

Le développement de nouvelles méthodes optiques pour la biologie et plus particulièrement pour les neurosciences, est aujourd’hui un domaine en très forte expansion. Le modèle de la BRAIN Initiative américaine, dont s’inspirent aujourd’hui d’autres pays comme le Japon, l’Australie ou la Corée a permis la création aux États-Unis d’une large communauté interdisciplinaire regroupant des compétences complémentaires en photonique, nanoscience, biologie moléculaire, chimie, et neurosciences. Plusieurs équipes françaises sont aujourd’hui parmi les leaders mondiaux dans ces différents domaines mais les interactions entre elles restent limitées, ce qui empêche la formation d’une vraie communauté interdisciplinaire en France et donc de rester compétitifs au niveau international.

B. Thérapies guidées par l’imagerie, thérapies assistées par agents d’imagerie

L’utilisation des ondes en thérapie est prometteuse : ablation des tissus par hyperthermie ultrasonore (adénome de la prostate, fibrome utérin, nodules mammaires…) ou par radiofréquence (troubles du rythme cardiaque), sonoporation pour le transport transmembranaire d’un principe actif ou pour la thérapie génique, ouverture de la barrière hémato-méningée, activation d’une molécule par la lumière (photothérapie dynamique), manipulation par champs magnétiques de cellules chargées par un agent magnétique (thérapie cellulaire), activation de particules thermosensibles… Le contrôle de la thérapie par l’imagerie suscite des méthodes originales par couplage multi-ondes, comme par exemple les ultrasons focalisés contrôlés par IRM (MRI-guided FUS) où les ultrasons chauffent les tissus et l’IRM contrôle l’élévation de température. Plusieurs entreprises françaises sont à la pointe de ces développements sur un marché très prometteur.

Les techniques de focalisation adaptative, notamment fondées sur le principe du retournement temporel, permettent de focaliser les ondes ultrasonores à travers des structures osseuses avec une précision millimétrique. Cela ouvre l’accès à la résection transcrânienne de zones tumorales cérébrales ou de zones épileptogènes, ou encore au rétablissement du fonctionnement de circuits de neurones défectueux par la méthode de stimulation des structures cérébrales profondes (épilepsie, tremblements essentiels…).

La lumière peut aussi être utilisée pour l’imagerie profonde non-invasive, en particulier chez le petit animal. Ces méthodes sont en plein essor chez l’homme. Des longueurs d’ondes dans l’infrarouge (Near-Infrared (NIR), Short Wave Infrared (SWIR) ou Mid-Infra red (MIR)) sont utilisées soit en mode réflexion, soit en transmission, et peuvent être couplées à la spectroscopie. En complément de méthodes telles que l’OCT (optical coherence tomography) ou le Raman, ces nouvelles méthodes permettent d’améliorer le diagnostic et la thérapie de pathologies chroniques dont le cancer. Des développements récents permettent de cartographier des tissus de façon non-invasive sur la base des contrastes endogènes, ou d’améliorer la qualité des gestes chirurgicaux. De plus, l’absorption de l’énergie lumineuse par les tissus traversés peut aussi induire la production d’ultrasons détectables en échographie, définissant le domaine de l’imagerie photoacoustique (ou opto-acoustique).

III. Micro et nanosystèmes pour la biologie et le vivant

Les micro/nanodispositifs bioanalytiques sont destinés à identifier l’analyte cible au sein d’un liquide biologique complexe (concentration, purification, immobilisation, tri, culture…) avec des seuils de détection ultra-sensibles, c’est-à-dire bien en deça du femtomolaire. Les futurs systèmes seront multifonctionnels, plus complexes, plus intégrés et plus intelligents ; ils offriront à terme des solutions très performantes pour le diagnostic et le suivi thérapeutique ou de l’environnement, répondant ainsi à des attentes sociétales majeures. Pour cela, les défis scientifiques actuels consistent à trouver les bons matériaux pour les incorporer au sein des capteurs, à les fonctionnaliser de manière optimale, tout en développant des outils de traitement rapide des données multiplexées avec transfert sans fil. Les développements technologiques permettent déjà un passage de l’in vitro à l’in vivo, grâce à l’utilisation de matériaux biocompatibles et à des architectures moins invasives. L’ensemble de ces approches constitueront à terme un accélérateur de la recherche médicale, tout en proposant une meilleure compréhension des mécanismes fondamentaux à l’échelle cellulaire ou moléculaire.

A. Biocapteurs

Il s’agit d’un secteur typiquement interdisciplinaire où la chimie de surface se combine à la physique (optique, microélectronique), à la biologie, à la bio-informatique et au biomédical. Au cours des deux dernières décennies, le développement de capteurs fondés sur des phénomènes optiques (résonance plasmonique de surface, interférométrie), électriques et mécaniques a grandement contribué à l’amélioration de leur sensibilité et spécificité, à la baisse de leur coût, en facilitant le criblage haut débit. Le développement de prototypes portables est en pleine explosion. Le défi est de réaliser des dispositifs compacts, autonomes et automatiques capables d’analyser avec fiabilité des échantillons environnementaux, cliniques, vétérinaires, pathologiques ou médicaux dans des conditions difficiles, sur le terrain, en continu (temps réel) et dans les milieux ambiants (l’air, les fluides corporels, la nourriture…), peu coûteux, rapides, stérilisables et réutilisables.

B. Laboratoires sur puce

Le domaine des laboratoires sur puce constitue, depuis son origine, un domaine d’application très important de la microfluidique. Construits avec pour objectif ultime l’intégration complète de la chaîne analytique, ils contribuent à répondre à un besoin grandissant d’analyse automatique, reproductible, rapide et à bas coût. Le potentiel de miniaturisation de ces systèmes et leur richesse fonctionnelle favorisent le rapprochement des sites d’analyse et de prélèvement ouvrant ainsi un champ d’utilisation extrêmement vaste (chez le praticien, au lit du patient, en environnement isolé ou défavorisé…). L’inflexion récente des demandes pour des dispositifs souples a suscité une transition importante, consistant à introduire de façon massive la matière organique, voire biologique, dans les filières micro et nanotechnologiques : couches moléculaires auto-assemblées, copolymères à blocs, substrats à dureté variable façonnée, matériel génétique auto-organisé en origami ou organisé par assemblage spécifique (ADN / aptamères-protéines), vésicules (hydrogels, polymères, lipides…), nanoparticules multifonctionnelles. Ce sont autant d’outils qui alimenteront la recherche dans les années à venir.

C. Cellules/organes sur puces

Un des champs d’application particulièrement actif porte sur la possibilité de créer des microenvironnements adaptés à la culture cellulaire. Conçus à l’origine en 2D, ces dispositifs microfluidiques évoluent vers la 3D permettant ainsi de coupler chambres de culture cellulaire et chambres d’alimentation du milieu, intégrant (ou non) des capteurs pour un suivi en temps réel (de la teneur en oxygène par exemple…). Sur le plan technologique, on note une émergence des techniques de lithographie 3D et de bioimpression qui permettent de créer des microstructures 3D dans des biopolymères (microenvironnements originaux) facilement intégrables dans des puces fluidiques. Augmenter le niveau d’intégration permettra de satisfaire à de nouvelles exigences fonctionnelles. Par exemple, il devient possible de suivre le caractère invasif d’un cancer primitif en observant comment l’environnement peut affecter le développement d’un sphéroïde de cellules tumorales. Moduler le microenvironnement par différentes méthodes (ajouts de molécules chimiques, irradiation localisée…) autour d’amas cellulaires ouvre la voie à une meilleure compréhension des mécanismes au niveau cellulaire, comme par exemple les mécanismes de différentiation de cellules souches. En neurosciences, la possibilité de cultiver des neurones dans des environnements avec une topographie contrôlée permet d’étudier à la fois des mécanismes de propagation (en virologie, en thérapeutique) mais aussi d’étudier la connectivité et la plasticité neuronale. Ces dispositifs microfluidiques, qui permettent de manipuler de manière contrôlée des assemblées de cellules, sont communément appelés organs-on-chip. Ils ouvrent un nouveau domaine de recherche fondamentale pour la compréhension de la biologie à l’échelle cellulaire, qui aura des retombées majeures, par exemple dans le domaine de la médecine régénérative qui vise à générer des organes et des tissus spécifiques à partir de cellules souches. Comme pour toute nouvelle technologie, il sera nécessaire de mettre au point, tester, optimiser et valider scientifiquement et réglementairement ces dispositifs pour en faire des outils au bénéfice du patient.

IV. Molécules et objets fonctionnels en interaction avec le vivant

Ce chapitre présente un aperçu non exhaustif des outils chimiques et écologiques développés pour sonder le vivant à l’échelle de la cellule, de l’organisme ou d’une population. Dans certains cas, la sonde est un simple rapporteur des phénomènes observés ; dans d’autres cas, elle est conçue pour agir sur son environnement, à des fins de compréhension ou curatives, ou encore au service de la biologie synthétique.

A. Molécules en interaction avec le vivant

Parmi les molécules utilisées en imagerie in vivo, nous pouvons distinguer les sondes directement détectables des agents de contraste, qui augmentent artificiellement le contraste entre une structure anatomique (un organe ou une tumeur) et les tissus voisins. Dans les deux cas, les travaux menés par les chimistes visent à améliorer la solubilité ou la dispersion du composé dans les milieux biologiques, sa stabilité et son innocuité in vivo ainsi que son efficacité en tant qu’agent pour l’imagerie. L’utilisation de méthodes de synthèse plus propres permet de limiter la concentration en solvant ou en catalyseur résiduel, ces composés ayant souvent un impact négatif sur le vivant. Par ailleurs, un ciblage efficace des composés sonde par le biais d’anticorps, de ligands, ou de peptides de reconnaissance, est souvent recherché.

Les recherches portent notamment sur le développement de molécules fluorescentes photo-stables et absorbant à une longueur d’onde dans l’infrarouge pour l’imagerie optique, et sur la synthèse de chélateurs performants permettant d’éviter une trans-métallation (échange de métaux) ou une trans-chélation (échange de ligands) in vivo. Dans le domaine de l’IRM, par exemple, les métaux concernés sont le gadolinium et le manganèse d’une part, et les lanthanides d’autre part (agents CEST et PARACEST). Les chimistes s’intéressent également au marquage de biomolécules par des radionucléides à temps de demi-vie court (typiquement 11C ou 18F) pour la tomographie par émission de positrons.

La tendance actuelle est d’aller vers des constructions plus complexes, permettant de conjuguer sur un polymère ou une biomolécule une molécule de reconnaissance et un ou plusieurs agents de détection pour permettre une analyse multimodale et ciblée in vivo. Ces travaux sont rendus possibles par une expertise forte des laboratoires français en méthodes de couplage orthogonales rapides et sélectives.

Un dernier point concerne l’élaboration de molécules sondes capables de réagir in situ à des événements biologiques spécifiques (réaction enzymatique, variations de pH ou de température, présence d’espèces oxydantes…) en induisant l’apparition ou la disparition d’un signal par exemple par quenching de fluorescence, ou libération d’une molécule sonde. L’objet chimique peut également être conçu pour libérer une molécule active qui va interférer avec le processus biologique à des fins de compréhension ou curatives (approche « prodrug ») ; la libération peut se faire par action enzymatique ou par une activation physique telle que la lumière, les rayons X ou les ultrasons focalisés. Il est aussi possible de définir des objets capables d’interagir chimiquement in vivo afin de générer une nouvelle activité (chimie click, hybridation…).

B. Objets colloïdaux pour l’imagerie et le théranostic

Les objets colloïdaux particulaires sont utilisés en tant que plate-forme de diagnostic in vitro. L’enjeu actuel est de réaliser des analyses à grande échelle, en parallèle, le plus rapidement possible (high throughput) et de détecter des quantités toujours plus réduites. Par exemple, l’utilisation de particules magnétiques fonctionnelles, interagissant de manière très spécifique avec certaines biomolécules, combinée à des approches de type microfluidique, permet de réaliser un tri magnétique de cellules. Dans tous les cas, le contrôle de leur état de surface est crucial pour garantir leur stabilité in vivo et permettre une interaction spécifique entre la sonde et sa cible. Le devenir de ces objets nanométriques et des composés issus de leur dégradation dans l’organisme reste le sujet de nombreux travaux, notamment pour évaluer leur toxicité. Dans ces objets la proportion entre nombre d’atomes exposés en surface et nombre total d’atomes augmente quand leur taille diminue. Cette propriété confère une réactivité forte aux nanomatériaux.

Les nanotechnologies ont également largement participé à l’essor de la nano-médecine qui exploite des nano-assemblages pour imager des processus biologiques ou physiopathologiques et/ou pour transporter un médicament (siRNA, molécules anticancéreuses…) du site d’administration au site cible. Cette approche vise : 1/ l’augmentation de la sensibilité des méthodes d’imagerie (agent de contraste), 2/ l’accès à une information de nature métabolique ou moléculaire (marquage), 3/ l’amélioration de la biodistribution du principe actif en favorisant son accumulation sur le site cible au détriment du reste de l’organisme (contrôle de la délivrance du principe actif). Ceci a pour effet de réduire les effets secondaires des traitements appliqués par voie systémique. Pour l’in vivo, le challenge est d’arriver à atteindre une cible de façon spécifique, sans que le système immunitaire n’ait phagocyté l’objet. Le contrôle de ses caractéristiques physico-chimiques (taille, nature et polarité de la surface, nature des ligands) permet de limiter fortement la capture par le système immunitaire et d’augmenter ainsi l’efficacité du ciblage.

La co-encapsulation d’une molécule active et d’un agent de contraste d’imagerie permet de suivre in situ la distribution des vecteurs dans l’organisme et leur éventuelle accumulation sur le site cible. Ces vecteurs agents d’imagerie sont appelés agents théranostiques. Plusieurs modalités d’imagerie peuvent être utilisées pour révéler la distribution des médicaments (IRM, ultrasons, imagerie optique…) au voisinage de la cible thérapeutique et l’effet thérapeutique correspondant. Enfin, certains objets sont conçus pour être activables, c’est-à-dire capables de délivrer leur contenu sous l’action d’un stimulus extérieur.

La communauté des chimistes travaillant à l’interface chimie – imagerie – biologie s’est structurée notamment autour de France Bio Imaging et France Life Imaging. Si le développement de ces outils chimiques est généralement bien accueilli au sein des sections disciplinaires correspondantes, les études plaçant la question biologique en avant trouvent leur place au sein de la CID 54. De telles études, mêlant chimie, techniques d’imagerie et questionnement biologique, sont par nature fortement interdisciplinaires. Toutefois l’accessibilité pour les biologistes à des composés développés par les chimistes reste une des difficultés de ce type d’approche. Dans un contexte de marché en pleine croissance, on peut également regretter le faible nombre de vecteurs actuellement mis sur le marché. La difficulté vient essentiellement de la procédure longue et coûteuse pour valider une formulation médicamenteuse.

C. Sondes pour l’environnement

Les animaux équipés d’appareils enregistreurs ou transmetteurs agissent à la manière de sondes environnementales car ils réagissent et ajustent leurs paramètres comportementaux et physiologiques en fonction de stimuli provenant de l’environnement. Ils nous renseignent non seulement sur l’état de l’environnement dans lequel il évolue – à des échelles spatiales et temporelles immédiates et donc pertinentes pour comprendre la biologie de l’organisme vivant étudié – mais aussi sur la plasticité de réaction de l’organisme en interaction avec son environnement. Cette approche, retrouvée dans la littérature sous les dénominations de biotélémétrie (transmission d’information) et bio-logging (enregistrement d’information in situ), est interdisciplinaire par essence car elle concerne la biomédecine, la physiologie, l’écologie comportementale, l’écophysiologie, mais aussi les sciences de l’univers tels que l’océanographie, la météorologie, et la géographie. Au niveau français, les laboratoires qui s’intéressent à ce type d’approche sont également à la pointe du développement dans un domaine connexe d’instrumentation en écologie : l’identification automatisée des organismes en conditions naturelles. Cette approche repose sur l’implantation de puces RFID (Radio-Frequency Identification) porteuses d’un numéro d’identification unique. Le numéro d’identification de ces puces sera ensuite lu à distance par des antennes portables ou fixes qui permettront ainsi de reconstruire une partie des allées et venues des organismes marqués et de les relier aux variations des caractéristiques biotiques et abiotiques de l’environnement. Si le suivi RFID présente un découplage spatio-temporel entre l’identification de l’organisme et les conditions environnementales par rapport aux approches de type biotélémétrie et biologging, il permet toutefois de réaliser des suivis d’un grand nombre d’individus, s’approchant presque du niveau des populations.

Enfin, il convient d’intégrer à ce chapitre les sondes écologiques qui prennent la forme de molécules chimiques émises par les organismes dans leur environnement. Ces molécules, souvent appelées « métabolites secondaires » sont impliquées dans les interactions entre les organismes et leur environnement car elles représentent les vecteurs principaux dans les processus de communication chimique et sont également impliquées dans la réponse des organismes aux changements environnementaux. Les métabolites secondaires contribuent donc significativement à la structuration de la biodiversité et au fonctionnement des écosystèmes. Dans ce cadre, la métabolomique possède de nombreuses applications en écophysiologie, en écotoxicologie et en écologie chimique pour identifier des composés bioactifs impliqués dans les interactions écologiques. Dans le paysage scientifique français, les plateformes et plateaux techniques de métabolomique couvrent ainsi un champ d’investigation large mais qui est naturellement dominé par les applications médicales, toxicologiques, agroalimentaires et agronomiques. Toutefois, et au vu de l’important essor que connaît la métabolomique environnementale, il apparaît capital de développer ce type de plateaux techniques au sein de laboratoires d’écologie.

V. Systèmes bioniques, biomimétiques et bioinsipirés

La bionique et la biomimétique concernaient à l’origine la conception de systèmes artificiels reproduisant des caractéristiques propres aux systèmes biologiques tels que les biomatériaux, les processus de synthèse, la détection sensorielle, le traitement de l’information, les comportements animaux, ceux des écosystèmes. Si cette définition est toujours valable pour la biomimétique, la bionique se situe maintenant à l’interface entre des systèmes artificiels (implants, électrodes…) et les tissus biologiques excitables pour le pilotage, par exemple, de prothèses robotisées ou d’exosquelettes. Ces approches ont un double objectif : une meilleure compréhension du vivant et le développement de nouvelles technologies, souvent non-intuitives, issues de données ou de modèles obtenus à partir d’expériences menées en biologie. Ces approches biomimétiques se déclinent de l’échelle de la molécule unique à celle de l’organisme entier. Quelques exemples en sont donnés ci-dessous.

A. Échelle moléculaire

À l’échelle subcellulaire, les pores nucléaires constituent l’unique porte d’entrée et de sortie du noyau des cellules. Ils forment un passage sélectif aux acides nucléiques et aux protéines échangées entre le noyau et le cytoplasme. Grâce aux interactions avec des protéines spécifiques, ils sont responsables du contrôle qualité des ARN messagers exportés et donc des protéines produites. Des nanopores biomimétiques ont été développés et associés à des membranes afin d’étudier la dynamique de leur fonctionnement. La compréhension du fonctionnement de ces pores modélisés permettra d’aborder l’étude de leurs rôles et ainsi de mieux caractériser l’étiologie des pathologies associées à une mauvaise élimination d’ARN messagers non conformes. Une autre voie est la préparation de récepteurs couplés à des canaux ioniques pour la détection et la quantification ultrarapide d’une large variété de composés. À la frontière entre l’échelle moléculaire et les biomatériaux, la compréhension et la capacité à reproduire et contrôler des processus comme la biominéralisation produiront des pistes novatrices dans notre capacité à comprendre et résoudre les problèmes de santé liés à la dégradation des tissus osseux.

B. Échelle cellulaire

La cellule vivante est un système complexe qu’un grand nombre d’équipes cherchent à comprendre grâce à des approches biomimétiques. Un liposome artificiel contenant actine et composants cytosoliques minimaux forme un système reconstitué qui permet de mimer le cytosquelette. L’addition de moteurs moléculaires permet de reproduire le mouvement cellulaire et d’étudier, en conditions contrôlées, les mécanismes physiques et biochimiques qui le gouvernent. Ces connaissances serviront à terme pour actionner des robots micrométriques. La bioingénierie est un domaine également fondé sur la biomimétique. L’ingénierie tissulaire, par exemple, représente une alternative à la transplantation pour le remplacement de tissus endommagés. Elle implique l’association de biomatériaux susceptibles d’assurer les fonctions mécaniques du tissu artificiel avec des cellules capables d’en assurer les fonctions biologiques spécifiques. Ceci suppose la connaissance des mécanismes d’interaction des cellules avec leur environnement extracellulaire et leur reproduction au sein du tissu artificiel. De nombreux travaux s’attachent par exemple au contrôle des propriétés chimiques, topographiques et mécaniques des biomatériaux afin de favoriser leur interaction avec les cellules et même de les stimuler.

C. Biomimétisme neuronal et tissulaire

Au niveau neuronal, des puces électroniques dites neuromorphiques reproduisent sous forme de circuits micro-électroniques des traitements du signal dits neuronaux. Par exemple, une meilleure compréhension de la vision des vertébrés et des invertébrés a permis le développement de technologies neuromorphiques remarquables telles que des caméras rapides inspirées de la rétine de l’homme ou encore des capteurs optiques reproduisant fidèlement la vision panoramique de l’insecte pour des applications robotiques. Les sonars naturels rencontrés chez les mammifères (chiroptères, cétacés) sont aussi une source d’inspiration intéressante pour l’ingénierie acoustique.

D. Comportement/Locomotion

À l’échelle du comportement, la locomotion, qu’elle soit aquatique, terrestre ou aérienne, a donné lieu à de nombreuses études de modélisation associées souvent à des réalisations robotiques remarquables telles que des robots poissons, des robots humanoïdes et des robots reproduisant un vol battu. Mais le mouvement ne peut se dissocier de la perception, qui a donné lieu à de nombreux modèles mathématiques issus notamment de travaux de neuroéthologie tels que l’étude de la navigation chez l’abeille ou encore de la stabilisation de la tête chez la guêpe. La modélisation du sens du toucher chez l’homme, de l’audition chez la chauve-souris, de l’olfaction chez le papillon de nuit mais aussi du sens électrique chez le poisson sont autant d’exemples se situant à l’interface entre sciences du vivant et sciences de l’ingénieur.

E. Écosystèmes

Les écotrons s’attachent à recréer un écosystème dans sa complexité. La possibilité de travailler en conditions contrôlées à l’échelle d’un écosystème offre de nombreux avantages dont celui de pouvoir faire varier un ou plusieurs paramètres physiques et/ou chimiques et de suivre les répercussions de ces changements sur les paramètres abiotiques et biotiques de l’écosystème étudié. Le développement et l’utilisation de ces systèmes sont à la pointe de l’instrumentation et jouent un rôle majeur dans l’évaluation des risques de modifications des écosystèmes naturels en réponse à des modifications anthropiques (pollution, organismes génétiquement modifiés, perturbations physiques de l’habitat, etc.) et/ou liées aux modifications attendues des conditions environnementales dans un contexte de changements climatiques globaux (réchauffement, sécheresse, augmentation des rayonnements ultra-violets, etc.).

Conclusion

La diversité des approches exposées dans ce document constitue une réelle opportunité de progrès dans de nombreux domaines. Toutefois l’interdisciplinarité est associée à des difficultés spécifiques, ce qui suscite deux commentaires déjà présents dans le rapport de conjoncture précédent. Le premier concerne le parcours professionnel des chercheurs. L’ouverture interdisciplinaire nécessite un cheminement long et un investissement important, ce qui peut conduire à des recrutements tardifs. La spécificité des projets de recherche et des parcours, à la frontière des disciplines, nécessite donc une évaluation spécifique afin de ne pas fragiliser les individus et les stratégies de recherche. Le second commentaire concerne le financement de la recherche. Les activités réellement en rupture, donc en dehors des stratégies bien établies, peinent parfois à être financées. Bien que parfaitement identifiée et de plus en plus mise en exergue, l’interdisciplinarité est plus difficilement reconnue quand il s’agit de dégager et de mettre en œuvre les moyens requis.

L’interdisciplinarité, moteur de recherche et d’innovation, doit donc être appréhendée dans sa complexité et doit être protégée. La question de la pérennisation de la CID 54 se pose. Au-delà de la cohérence stratégique que cela représenterait, cette pérennisation garantirait une solution sereine pour le recrutement et l’évaluation des chercheurs. Dans le cadre de cette pérennisation, une ouverture de la CID 54 pourrait être effectuée en direction de la bioinspiration, dans une acception bien plus large que celle décrite dans le paragraphe précédent. Il ne s’agirait plus seulement de considérer des systèmes bioinspirés destinés à comprendre ou manipuler des systèmes biologiques, mais de favoriser la conception de nouveaux procédés et objets directement inspirés de la biologie. Cette approche a déjà contribué à des développements aussi variées que l’intelligence artificielle, les matériaux composites, la robotique, la chimie verte, les nanotechnologies, avec des applications dans des domaines aussi variés que l’informatique, le bâtiment, l’aéronautique et la marine. Cette approche innovante pourrait permettre de répondre aux nouveaux défis sociétaux que sont la production et la gestion d’énergie, la sobriété et la durabilité, favorisant ainsi une transition vers une société plus respectueuse de la nature. Ces recherches interdisciplinaires mériteraient aujourd’hui de disposer d’un socle conceptuel clairement identifié au sein de la recherche publique.