Rapport de conjoncture 2019

Section 05 Matière condensée : organisation et dynamique

Composition de la Section

Philippe Claudin (président de Section) ; Cécile Leduc (secrétaire scientifique) ; François Baudelet ; Thomas Bickel ; Caroline Bonafos ; Simona Cocco ; Thomas Walter Cornelius ; François Debontridder ; Damien Faurie ; Valentina Giordano ; Mathieu Kociak ; Claire Levelut ; Fabrice Mortessagne ; Pierre Muller ; Laurence Navailles ; Franck Para ; Evelyne Prevots ; David Rodney ; A. Marco Saitta ; Sergei Skipetrov ; Héléna Zapolsky.

Résumé

Nous donnons dans ce rapport un aperçu des questions actuelles traitées en section 05, sur la structure et la dynamique de la matière condensée. Elles concernent les propriétés de l’état solide, depuis les matériaux massifs jusqu’aux nano-objets et les surfaces ou interfaces, ainsi que la physique des systèmes complexes et biologiques. Nous soulignons la grande diversité et les évolutions des problématiques explorées, qui mobilisent des approches expérimentales et théoriques variées et qui bénéficient souvent d’une interdisciplinarité féconde. Cette diversité trouve son unité dans l’approche physique des problèmes, et en particulier à travers l’identification des processus sous-jacents et la compréhension des liens entre les différentes échelles spatio-temporelles associées.

Introduction

La section 05 regroupe environ 300 chercheurs dont les travaux abordent des aspects variés de la structure et la dynamique de la matière condensée. Pour en décrire la répartition des différentes thématiques à grands traits, on peut dire qu’environ 2/3 s’intéressent aux propriétés de l’état solide, depuis les nano-objets jusqu’aux matériaux massifs, en passant par les surfaces et interfaces, cependant que le 1/3 restant étudie la physique des systèmes complexes et biologiques.

Ce rapport de conjoncture a pour but de donner une image aussi fidèle que possible des questions actuelles abordées par les communautés formées par ces chercheurs, en tâchant de souligner les problématiques en essor ou en recul. Il est structuré autour de quatre thématiques principales : (1) Structure et dynamique de l’état solide, (2) Physique des surfaces et nano-objets, (3) Matière molle et systèmes complexes et (4) Physique des systèmes biologiques, au sein desquelles on peut ranger l’essentiel des activités de la section. Cependant, afin de refléter également des aspects transverses ou transdisciplinaires importants, nous abordons dans les parties suivantes (5) l’utilisation des grandes infrastructures de recherches (synchrotrons et sources de neutrons) ainsi que des plateformes de microscopie électronique, (6) les développements théoriques et numériques, et (7) la propagation des ondes en milieux complexes. Enfin, dans la dernière partie (8), on présente une brève analyse des derniers concours de la 05, qui donne un éclairage sur les sujets et tendances actuels par le prisme des candidatures.

Une difficulté de cet exercice de conjoncture réside dans le choix de la résolution à laquelle on construit cette image. Sans tenir à ce que chaque chercheur de la section y trouve le passage qui lui correspond, nous avons tenté d’ajuster le texte pour le rendre accessible à l’ensemble de la communauté scientifique que représente la 05, ainsi que pour en faire une référence utile pour les instances où se discutent choix et politique scientifiques (instituts, conseils scientifiques, laboratoires, etc.). Enfin, pour une lecture minimaliste, nous en avons résumé quelques éléments saillants dans la conclusion.

I. Structure et dynamique de l’état solide

Une part de l’activité de recherche relevant de la Section 05 concerne la structure et la dynamique de l’état solide. Cette activité regroupe la caractérisation expérimentale, théorique et numérique des liens entre structure, et propriétés statiques et dynamiques de systèmes allant de nanoparticules aux matériaux massifs. Les caractérisations expérimentales s’appuient sur des instruments disponibles à l’échelle d’un laboratoire (par exemple diffraction des rayons X, spectroscopies) ou au travers de groupements locaux (plateformes de microscopie), d’une part. L’exploration de la structure fine et de la dynamique microscopique de la matière a d’autre part motivé la construction de grands instruments à l’échelle nationale (sources de neutrons, de rayonnement synchrotron et laser à électrons libres). La modélisation quant à elle s’appuie sur des approches théoriques et numériques à différentes échelles de temps et d’espace : descriptions théoriques de la structure et dynamique de milieux désordonnés ou cristallins, modélisation à l’échelle de la structure électronique, calcul des structures stables, de la dynamique de réseau, des propriétés de transport, simulations par dynamique moléculaire, modèles Monte Carlo, champ de phases, mais aussi modèles mésoscopiques et continus des milieux cristallins et amorphes.

La communauté scientifique liée à cette thématique est très large, à cause à la fois du nombre important de classes de matériaux différents et de la diversité des propriétés à étudier. La communauté est ainsi organisée autour d’un nombre très important de réseaux, fédérations et GdR dont les tailles et fonctionnements peuvent varier. Pour n’en citer que quelques-uns, on retrouve plusieurs GdR et IRN : le GdR ModMat (pour les aspects de modélisation), le GdR Nanothermique, le GdR Meeticc (Matériaux, Etats ElecTroniques, Interactions et Couplages non-Conventionnels), et l’IRN Mecano, ainsi que les anciens GdR Thermoélectricite (aujourd’hui évolué en GIS) et Verres. On trouve aussi le réseau technologique des Hautes Pressions et, au niveau de la recherche sur Très Grands Instruments (TGI), la Fédération de Neutrons de France, l’Association Française des Utilisateurs de Rayonnement Synchrotron et le GDRI XFEL-Science.

Ces dernières années ont vu des avancées notables dans plusieurs domaines. Notamment, les approches de modélisation multi-échelles ont beaucoup progressé et incorporent des informations allant de l’échelle électronique des liaisons atomiques aux calculs de structures, en passant par l’échelle mésoscopique des microstructures de défauts (dislocations dans les métaux, zones de cisaillement dans les verres). Les techniques expérimentales résolues en temps, comme les méthodes pompe-sonde par laser et rayons X ou la sonde atomique à laser ultra-bref, ont aussi beaucoup progressé et permettent d’accéder à des dynamiques en temps réel et des phénomènes ultra-rapides comme des transitions de phase, des réactions chimiques, et l’effet de l’interaction lumière-matière.

Parmi les thèmes de recherche en plein essor, on peut citer l’émergence de l’intelligence artificielle comme outil d’optimisation du traitement de données à haut débit, avec des applications variées : développement de nouveaux alliages, de nouvelles architectures, de potentiels interatomiques réalistes, identifications de structures récurrentes dans les systèmes complexes comme les milieux amorphes. Les aspects de calcul intensif ont aussi très rapidement progressé avec une utilisation accrue des architectures GPU. Pour les aspects expérimentaux, il faut noter que les caractérisations s’appuient désormais de plus en plus souvent sur des techniques corrélatives qui consistent à combiner plusieurs techniques complémentaires, parfois au sein d’un même outil. Un exemple est la combinaison de microscopie électronique en transmission et à balayage, associées à la production d’échantillons par Focused Ion Beam (FIB) sous forme de microarchitectures (MEMS) optimisées permettant des observations in situ aux petites échelles. Aussi, l’association de la sonde atomique tomographique à de la microscopie électronique en transmission, ou de la microscopie ionique à effet de champ ou encore à de la spectroscopie de micro-photoluminescence permet d’extraire la structure chimique et électronique d’échantillons à 3 dimensions avec une résolution atomique. Les aspects de physique sous haute pression, notamment pour les verres, sont aussi en croissance rapide. Côté applications, les matériaux bio-inspirés se développent rapidement afin de concevoir des matériaux plus miniaturisés, recyclables et économes en énergie. Ainsi, ont été développés de nouveaux matériaux mésoporeux, des matériaux oxydes hybrides et des nanocomposites obtenus pour certains par auto-assemblage de nanoparticules. Des matériaux nouveaux nanostructurés sont aussi développés dans le domaine de la production, reconversion et stockage de l’énergie. Cette thématique nouvelle nécessite le rapprochement de compétences variées, incluant la mécanique, la microfluidique, l’électronique et la chimie, afin d’optimiser de nouveaux matériaux multifonctionnels, avec – parfois – la coexistence de propriétés incompatibles au sein d’un seul matériau.

À l’inverse, plusieurs thématiques marquent un certain recul. Ainsi, la recherche en métallurgie s’est fortement orientée vers les systèmes de dimensions réduites (par ex. couches minces, micro- et nanopiliers) au détriment des études plus traditionnelles, mais encore nécessaires, d’élaboration et de caractérisation de matériaux massifs, comme les monocristaux. De même, de nouvelles méthodes de caractérisation sont apparues, comme la diffraction cohérente, mais les compétences dans les techniques plus traditionnelles, comme la microscopie électronique pour l’étude des structures, connaissent globalement un recul. Pour les verres, on note en outre un fort accroissement des études théoriques et une diminution concomitante des caractérisations expérimentales. Un autre point délicat, décrit dans la partie 6, qui affecte particulièrement l’étude de l’état solide est la fermeture du réacteur Orphée du Laboratoire Léon Brillouin, seule source française pour la diffraction neutronique.

Notons finalement que plusieurs activités actuellement en croissance rapide sont à l’intersection avec d’autres sections du CNRS. Ainsi, la fabrication additive qui permet de produire des architectures 3D complexes en polymères, céramiques ou métaux est une technique à l’intersection avec les sections 09 et 15 ouvrant un champ entier d’études pour l’optimisation des propriétés des matériaux architecturés. De même, l’approche biomimétique de la science des matériaux ou la conception bio-inspirée de matériaux ont émergé récemment comme une stratégie globale faisant le lien avec les sections 11 et 15. Finalement, l’étude de nouveaux matériaux couplant plusieurs propriétés fonctionnelles voire mécaniques (transport de la chaleur et de l’électricité, résistance mécanique et transport/magnétisme ou propriétés catalytiques et optiques), fait appel aux compétences des communautés des sections 03 (transport électronique et magnétisme), 10 (transfert thermique) et 05, mais aussi 09 (mécanique) et 15 (synthèse chimique, catalyse).

II. Physique des surfaces et nano-objets

Une partie de l’activité relevant de la section 05 concerne la physique de la matière aux dimensions réduites incluant la physique des surfaces, la synthèse des nano-objets (2D, 1D et 0D) et l’étude tant théorique qu’expérimentale de leurs propriétés.

Les méthodes d’élaboration utilisées vont de la synthèse chimique (chimie colloïdale, chimie de surface) à l’épitaxie moléculaire en passant par l’implantation. Du point de vue instrumental, de nombreuses microscopies sont utilisées ou développées telles les microscopies optiques : microscopie à effet tunnel (STM), microscopie électronique à transmission (MET), sonde atomique tomographique (SAT). Celles-ci sont souvent couplées à des techniques macroscopiques (par opposition aux techniques résolues spatialement) de laboratoire (diffraction et spectroscopie de rayons X) ou relevant des grands instruments (synchrotrons, neutrons). De multiples avancées en microscopie ont été réalisées permettant par exemple de visualiser la croissance de nanostructures en temps réel et à l’échelle atomique et de mesurer les propriétés optiques de molécules uniques. Du point de vue théorique, l’accent est mis sur l’étude de l’effet du confinement nanométrique sur les excitations élémentaires ou collectives (techniques ab initio adaptées aux forts effets excitoniques, analyse des interactions électrons-trous ou électrons-électrons dans les structures de basse dimensionnalité) et sur la description des mécanismes de croissance et stabilité des nanostructures.

Les études sur les surfaces et les interfaces constituent un domaine de recherche traditionnel de la section 05 renouvelé par le développement des nanosciences. D’importants progrès ont été réalisés dans le domaine des films moléculaires sur surface et en particulier des assemblages hétéromoléculaires pour créer des réseaux covalents. L’enjeu principal vise à dépasser les études de croissance et de caractérisation pour analyser les relations structures/propriétés depuis la molécule unique jusqu’à la monocouche. Plusieurs procédés de fonctionnalisation de surface ont ainsi été développés pour des applications diverses (électronique moléculaire, photovoltaïque hybride). L’étude des films ultra-minces est liée à la possibilité d’utiliser des mécanismes d’instabilité pour fabriquer des nanostructures. Du point de vue théorique, l’étude des conditions d’instabilité des films contraints élastiquement a progressé, les structures résultantes pouvant conduire à la fabrication de boîtes quantiques. Il en est de même de l’étude des mécanismes de démouillage à l’état solide qui peuvent maintenant être maîtrisés pour produire des distributions d’objets tridimensionnels contrôlées en taille et position et utilisables, par exemple comme diffuseurs de Mie. Les nouvelles recherches sur le mouvement spontané de particules sur une surface s’intéressent à l’origine des déplacements ainsi qu’à de potentielles applications basées sur la possibilité d’influencer voire de contrôler les forces motrices (effet Marangoni, électromigration, évaporation non congruente, gradient de mouillabilité, réactivité chimique locale) en structurant la surface ou en utilisant ses propriétés d’anisotropie.

Les études sur les nano-objets 1D, 2D ou 3D concernent essentiellement leur croissance et l’analyse de leurs propriétés individuelles ou collectives. Au-delà des efforts pour obtenir des matériaux 2D analogues du graphène à base d’éléments du groupe IV (silicène, germanène, stanène, plombène) ou autres (hBN, BCN), apparaissent certaines études sur des oxydes 2D utilisables comme diélectriques ultimes en microélectronique. D’importantes avancées sur les systèmes 1D ont été effectuées grâce aux développements en MET qui ont rendu possible l’observation de la croissance in situ de nanofils semiconducteurs ou de nanotubes de carbone. On note aussi l’utilisation de nanotubes comme châssis pour l’insertion de molécules. Ces nanosondes multifonctionnelles (magnétique, optique, etc.) ont de nombreuses applications en biologie et médecine et posent également des questions fondamentales liées aux phénomènes de confinement. Il existe de nombreux cas où la croissance a lieu dans des milieux nano-confinés. C’est le cas des ciments, de certains biomatériaux ou encore de matériaux poreux complexes dans lesquels se posent des problèmes de transport liés à la topographie des pores. L’étude de la nucléation en milieu confiné permet de maîtriser les processus de germination pour mieux analyser les lois classiques de la nucléation et leur déviation. Enfin, si l’implantation et l’irradiation des nanomatériaux, activités historiques de la section 05, semblent marquer le pas, l’étude des phénomènes atomiques lors de l’implantation d’H ou d’He dans les semi-conducteurs ou dans les matériaux pour le nucléaire reste dynamique. Cette thématique peut être élargie à la synthèse ionique de nanoparticules en matrice, au contrôle de leur forme ou de leur dopage, et au bombardement ionique en incidence rasante pour la nanostructuration de surfaces, futurs gabarits pour l’auto-organisation de nanoparticules métalliques.

Un nombre important d’études porte sur les propriétés optiques de nano-objets tels que les molécules uniques, les points et puits quantiques, les matériaux 2D et les hétérostructures 2D. Les systèmes photoniques analysés concernent les particules plasmoniques, les métamatériaux et les métasurfaces pour localiser les champs électromagnétiques à l’échelle de quelques nanomètres et contrôler certaines propriétés optiques. Le comportement mécanique et la plasticité des nano-objets (nanopiliers, nanofils, nano-îlots) métalliques et semi-conducteurs sont également étudiés afin, en particulier, de mieux comprendre la transition fragile/ductile des semi-conducteurs à petite échelle.

Cette activité possède un recouvrement avec différentes sections, notamment la section 03 pour l’étude des propriétés électronique et optique de nanostructures ou la section 11 pour la synthèse et l’auto-assemblage. L’augmentation du nombre de sujets relevant de la biophysique (imagerie, matière active) résulte du fait que la thématique « nano » a développé des outils et des nano-sondes spécifiques. La métallurgie et la mécanique sont partagées par la section 09, les mécanismes atomiques relevant davantage de la section 05.

L’ensemble des thématiques de la physique de la matière aux dimensions réduites de la section 05 se retrouve autour de plusieurs GdR (et IRN) de l’INP, et reflètent les deux grandes communautés, surface et nano, de ce thème : les matériaux nanométriques au propriétés remarquables – Graphène and Co, Nanocristaux dans des Diélectriques pour l’Electronique et pour l’Optique (NACRE), l’or nanométrique (Or-nano), Mécaniques de nano-objets (Mecano), la croissance de nouveaux matériaux : Processus Ultimes en Epitaxie des Semiconducteurs (PULSE) ainsi que les nouvelles méthodes d’observation : Structure et dynamique des matériaux dans leur environnement « réel » (NanOperando).

III. Matière molle et systèmes complexes

La matière molle désigne l’étude d’objets dont les états ne sont pas aussi bien définis que pour les solides et liquides. Si les polymères et les cristaux liquides ont été historiquement parmi les premiers objets mous étudiés par les physiciens, on trouve aujourd’hui dans cette thématique les systèmes complexes et hors-équilibre (dissipatifs), tels que les verres, les colloïdes, les mousses, les gouttes, les suspensions, les gels, les granulaires, les films, les membranes, etc. La description de leur dynamique souvent requiert, pour faire le lien avec les propriétés de leurs constituants microscopiques, la combinaison de la physique statistique avec l’hydrodynamique et la mécanique du solide (élasticité, plasticité, frottement).

Ces dernières années, se sont particulièrement développées les études sur les systèmes actifs, dont les éléments possèdent une source d’énergie propre leur permettant par exemple de se mouvoir. De nombreuses configurations ont été explorées, à la fois de manière expérimentale et numérique, associées à des mécanismes de mobilité très divers (processus phorétiques, nage d’organismes vivants, propulsion motorisée) et à des tailles très variées (du mètre à la fraction de micron), montrant des propriétés d’organisation spatio-temporelle, d’interaction ou d’auto-assemblage remarquables. Dans le cas de particules au sein d’un fluide, cette « activité » peut se coupler à l’écoulement et engendrer une rétroaction sur le système, par exemple sur sa rhéologie. Le couplage entre solide et liquide est d’ailleurs un autre thème sur lequel ont été déclinées de nombreuses études, portant notamment sur des effets élasto-capillaires, de mouillage ou de séchage, conduisant à des mécanismes dynamiques originaux, à des phénomènes d’instabilité, ou de formation de motifs. De manière similaire, on note un intérêt croissant pour les objets anisotropes, voire élancés tels que les fibres, les fils, les plis et les coques, avec lesquels ont été mis en évidence des effets d’organisation spécifiques. Une autre tendance actuelle est la descente dans les échelles pour aller sonder des systèmes de plus en plus confinés (par des parois, ou bien au sein d’une interface ou d’un milieu poreux), et tester l’effet de ce confinement sur les interactions entre éléments, les changements de phases, les propriétés d’organisation ou d’écoulement. Enfin, les études sur matériaux plus traditionnels (par ex. cristaux liquides, granulaires) se renouvellent aujourd’hui via des travaux à l’interface avec d’autres disciplines (biologie, géophysique), et au travers de problématiques plus appliquées pour lesquelles des paramètres supplémentaires doivent être explorés (par ex. effets de forme ou de surface des particules). Ces matériaux sont encore utilisés comme outils ou analogues pour des questions plus générales (dans le cas des systèmes actifs ou biologiques en particulier).

Avec sa manière de construire des questions de physique sur ou inspirées par des objets qui appartiennent à d’autres champs, la matière molle est par essence une science très interdisciplinaire. La communauté scientifique associée à cette branche de la physique est ainsi assez diverse et trouve son unité davantage dans les approches utilisées que les sujets abordés. Elle se rassemble au sein de plusieurs GdR (par exemple le GdR Liquides aux interfaces, le GdR Mécanique et Physique des systèmes complexes, le GdR Solliciter LA Matière Molle ou encore le GdR Biophysique et biomécanique des plantes). Le spectre des techniques expérimentales utilisées est également assez large, depuis les grands instruments (rayons X, neutrons) pour sonder les échelles les plus petites, jusqu’aux montages à l’instrumentation légère (les fameuses expériences « de coin de table ») pour tester de manière épurée un mécanisme spécifique. De manière similaire, les descriptions théoriques varient des prédictions quantitatives, issues de descriptions assez détaillées, jusqu’aux approches en loi d’échelles déduites de l’analyse dimensionnelle des processus physiques en jeu. Les simulations numériques sont aussi souvent développées pour étudier, à partir de règles simples sur les constituants microscopiques, l’émergence de propriétés à plus grande échelle. Cette approche des problèmes confère ainsi aux chercheurs en matière molle la capacité d’être mobiles et réactifs vis-à-vis des sujets émergents. Enfin, le fait que nombre de ses sujets portent sur des objets macroscopiques, ou bien sont en lien avec des phénomènes du quotidien dont le grand public peut se saisir assez facilement, la matière molle se prête bien à la vulgarisation scientifique.

Cette interdisciplinarité met de fait la matière molle à cheval sur plusieurs sections et instituts du CNRS, et dans ce domaine les interfaces de la 05 avec les autres sections sont nombreuses et assez larges. Les aspects les plus physico-chimiques se traitent principalement en section 11 ; les problématiques impliquant la mécanique du solide ou des fluides sont également abordées en 09 et 10. Enfin, au sein même de la section 05, la séparation entre matières molle et dure n’est pas si tranchée : les études portant sur la physique des ondes peuvent concerner à la fois des objets mous et des matériaux plus traditionnels ; certains aspects de la plasticité en métallurgie physique ont leur pendant pour les écoulements de certains fluides complexes ; les effets de confinements mentionnés plus haut font écho à la physique des nanomatériaux et des surfaces. Pour finir, certaines questions abordées en matière active se connectent fortement avec la biophysique des cellules, des tissus ou des bactéries.

IV. Physique des systèmes biologiques

La physique des systèmes biologiques est une thématique en pleine expansion au sein de la section 05. Dépassant progressivement le développement instrumental appliqué à la structure de protéines, membranes ou de molécules d’ADN, les physiciens se sont appropriés les objets biologiques au point d’être aujourd’hui en mesure d’aborder et construire des problématiques physiques essentielles à la compréhension de mécanismes clés de la biologie, créant ainsi une nouvelle génération de chercheurs interdisciplinaires. Signe d’une grande vitalité, les sujets abordés s’ouvrent à l’ensemble des domaines des sciences du vivant : biologie structurale, immunologie, biologie cellulaire et du développement, cancérologie, neurologie, microbiologie, etc. Dans la diversité de ces thèmes, l’unité réside dans la façon d’aborder les problèmes avec notamment une approche réductionniste, où la quantification des effets, le contrôle des paramètres et la modélisation théorique jouent un rôle primordial.

Un des enjeux majeurs actuels de la discipline est de faire le lien entre les différentes échelles : c’est en effet l’interaction entre constituants à l’échelle moléculaire (sub-nanométrique) qui détermine les propriétés des assemblages moléculaires (~ 10 nm) jusqu’aux propriétés des cellules (~ 10 μm) et des tissus (~ 1 mm). En outre, le comportement des matériaux biologiques complexes ne résulte pas de la simple juxtaposition des propriétés des constituants individuels, et les phénomènes à l’échelle moléculaire n’expliquent pas directement ce qui se passe à l’échelle d’une ou plusieurs cellules, où des effets collectifs entrent en jeu. Les physiciens sont bien armés pour comprendre les propriétés multi-échelles émergentes des systèmes biologiques, notamment grâce aux outils de la physique statistique et de la mécanique des fluides. De plus, avec le développement des techniques de mesure des systèmes biologiques à haut débit qui a entraîné l’accumulation massive de données, de nombreux théoriciens s’attellent également à développer de nouveaux outils d’analyses fondés sur des techniques d’inférence et d’intelligence artificielle, en collaboration avec les bioinformaticiens.

D’un point de vue expérimental, une thématique qui a pris beaucoup d’ampleur ces derniers temps est l’étude du lien entre mécanique cellulaire et signalisation (c’est-à-dire les réactions chimiques responables de la communication intra-cellulaire), domaine appelé mécanotransduction. Le but est de pouvoir mesurer ou appliquer des forces in situ (dans des bactéries, cellules ou organismes) avec une précision moléculaire, et les associées à des mesures meso ou macroscopiques, de façon à faire ce lien multi-échelles. Le développement d’outils de micromanipulation et de manipulation d’activités moléculaires par la lumière (optogénétique, biosenseurs fluorescents) a permis de faire de grandes avancées dans cette direction. Plus généralement, les études de mécanobiologie et de mouvements collectifs (cellulaires, tissulaires, embryogenèse, biofilms, plantes, etc.) sont en plein essor et bénéficient d’avancées technologiques récentes en termes de micro- et nano-fabrication et en microfluidique. Une autre thématique forte, en France et surtout au niveau international (par exemple avec l’initiative européenne « Synthetic Cell »), concerne la construction d’une cellule artificielle à partir de constituants reconstitués in vitro (par ex. membrane et cytosquelette). Enfin, on peut également noter le fort développement des méthodes d’ingénierie tissulaire issues, pour certaines, de recherches en science des matériaux. Ces méthodes suscitent un vif intérêt étant donné l’ampleur et l’importance des applications médicales sous-jacentes.

La communauté des chercheurs travaillant sur ces sujets est large et répartie au sein de structures variées. Seul GdR rattaché principalement à l’INP et la section 05, le GdR Physique de la cellule au tissu (CellTiss) a pris fin en 2018. Gérés par l’INSIS, on peut noter les GdR Biophysique et biomécanique des plantes (PhyP) et GdR Micro et nanofluidique, qui recouvrent une partie des thématiques présentes à la section 05. Rattachés à l’INP mais pas à la section 05, le GdR ADN est dédié à l’architecture et la dynamique du noyau cellulaire, et le GdR Implémentations matérielles du calcul naturel (BioComp) est centré sur la réalisation de matériaux bio-inspirés. Bien que non rattaché à la 05 et l’INP, le GdR Mécanique des matériaux et fluides biologiques (MecaBio), qui a pour but de fédérer les domaines de la mécanique des fluides et des matériaux biologiques au sein d’INSIS et l’INSB, regroupe plusieurs laboratoires (LIPHY, CINAM, Inst. Langevin, etc.) et équipes qui relèvent de la section 05. De la même façon, le GdR Imagerie et microscopie en biologie (IMABIO) fédère des équipes de disciplines différentes, dont plusieurs appartiennent à la 05, autour des aspects liés à la microscopie du vivant.

La physique des systèmes biologiques a bien-sûr des recouvrements avec les autres thématiques de la section 05. La synthèse et la compréhension des propriétés des nano-objets sont importantes pour le développement de sondes nanométriques fonctionnalisées et biocompatibles. L’utilisation des matériaux biologiques comme substrats et le développement de matériaux bio-inspirés pour des recherches en matière condensée sont en plein essor. Enfin, certaines activités de la matière molle (fluides complexes, matière active) se recoupent avec l’étude de la dynamique de systèmes biologiques que ce soit à l’échelle du biopolymère, des cellules (bactéries, nageurs) ou, à plus grande échelle, sur des animaux ou des plantes.

Ces thématiques de physique des systèmes biologiques sont également traitées en section 11, et la frontière entre les deux sections sur ces sujets n’est pas toujours bien définie. Par ailleurs, en fonction du domaine de spécialité de la biologie qui est ciblé, les recherches faites en 05 peuvent se recouper avec celles des différentes sections de l’INSB, en particulier la 22 (biologie cellulaire et développement) pour les aspects de mécanobiologie. Les thématiques connexes de biomécanique sont représentées en sections 09 et 10, avec l’étude de la mécanique des biomatériaux, la bioingénierie et les écoulements de fluides biologiques. Les projets pour lesquels le développement expérimental (par exemple systèmes « on chip », imagerie) est une composante importante, font le lien avec la section 8 et l’INSIS. Enfin, deux sections interdisciplinaires auxquelles contribue en partie l’INP, la CID 51 pour les aspects théoriques et la CID 54 pour les aspects expérimentaux, rassemblent évidemment différentes approches dans ce domaine. Cette diversité et le très fort développement, tant fondamental qu’appliqué, de ces thématiques, posent naturellement la question de l’opportunité de la création d’une nouvelle section de « biophysique » à part entière. La réponse n’est cependant pas évidente, car il est certain qu’une des forces de ces recherches est précisément leur développement au sein de la physique et la mécanique, qui leur impriment leurs approches. En outre, il faut garder en tête que les thématiques à l’interface physique-biologie mobilisent un spectre large de compétences et connaissances qui souvent impliquent un travail en équipe avec des chercheurs de disciplines différentes. Le degré d’implication des chercheurs physiciens dans la discipline « biologie » est ainsi extrêmement variable et tous ne sont pas prêts à quitter leur discipline d’origine.

V. Grands instruments et plateformes

Les très grandes infrastructures de recherche (TGIR) et les infrastructures de recherche (IR) traditionnellement liées aux thématiques de la section 05 comprennent les synchrotrons et les sources de neutrons et dans une moindre mesure les sources d’ions lourds et les champs intenses. D’autre part, avec l’augmentation constante des coûts des équipements et des contrats de maintenance, une tendance actuelle est de fédérer et rationaliser l’achat et l’accès aux microscopes électroniques (TEM) que cela soit au niveau local ou au niveau national. On peut citer par exemple le réseau national METSA, qui regroupe en sus l’accès à des équipements de sonde atomique, ou le réseau ESTEEM à l’échelle européenne.

Une grande part des champs thématiques scientifiques de la section 05 fait appel à ces instruments, pour leur capacité à fournir des informations essentielles. Ils se montrent pertients dans des sujets intéressant la matière molle, la métallurgie physique, les nanosciences, le magnétisme, les matériaux fonctionnels, les semi-conducteurs, les surfaces et interfaces, pour n’en citer que quelques-uns. Ces instruments sont d’ailleurs impliqués dans de nombreux GdR, couvrant le champ large de la section 05 : NanOperando, IMABIO, SYMBIOSE, SCINEE, MEETICC, UP, PULSE, et Médyna. La communauté se regroupe également au sein de la Fédération de Neutrons de France, l’Association Française des Utilisateurs de Rayonnement Synchrotron et le GdRI XFEL-Science.

Ces infrastructures de recherche reposent sur un investissement humain conséquent en termes d’accueil, ce qui n’est pas toujours facile à faire reconnaître, et sur un développement continu des méthodes et techniques, avec ces dernières années la montée en puissance de nombre d’entre elles, telles que les méthodes d’imagerie fondées sur la reconstruction de phase (pychtographie) ou les expériences mettant en jeu des processus ultra-rapides. Ces développements sont d’une importance cruciale et doivent être reconnus à leur juste valeur. Leur évaluation, et notamment lors des les recrutements et des promotions, est d’ailleurs difficile car les retombées de ces développements sont essentiellement collectives et se manifestent dans la durée. Par ailleurs, un fait notable est la forte convergence des techniques et méthodes d’imagerie et de spectroscopie dans le domaine des synchrotrons et des TEM, ce qui induit des efforts louables de rapprochement entre les deux communautés. Ces instruments sont usuellement combinés à des environnements permettant de varier les conditions thermodynamiques dans de très larges plages. On peut citer en particulier le développement des techniques résolues en temps, la généralisation des techniques d’observation d’échantillons étudiés dans des environnements variés (liquide, gazeux), sujets à des contraintes extérieures (tensions électriques, contraintes mécaniques) afin de se rapprocher des conditions réelles de systèmes complexes.

On note également pour l’ensemble de ces infrastructures un accroissement très important de la quantité de données acquises. Ceci induit des besoins similaires, mais non fédérés, en termes de transfert et stockage de données. Surtout, l’analyse de ces données est devenu un champ de recherche à part entière avec des développements théoriques récents (tel que l’application de l’apprentissage automatique) qui devra correctemnt être prise en compte par les sections dans le futur.

Si l’on entre dans les détails de l’utilisation des TGIR, deux sources nationales de rayonnement synchrotrons et de neutrons apparaissent majoritairement en section 05 : le synchrotron de troisième génération SOLEIL et le réacteur ORPHEE de même que deux TGIR européens : l’ESRF, synchrotron de troisième génération, bénéficiant en 2019 d’une mise à niveau importante, et le réacteur Institut Laue-Langevin (ILL). On note également une participation au XFEL européen de Hambourg qui vient de démarrer.

VI. Développements théoriques et numériques

La recherche théorique constitue une partie importante des activités menées par les chercheurs de la section 05. Les activités de modélisation occupent néanmoins une place variable selon les sous-thématiques de la section. On peut en effet distinguer des approches analytiques, semi-analytiques ou des simulations numériques qui ne demandent pas une puissance de calcul très importante, et des approches purement numériques qui visent à modéliser de la façon la plus réaliste possible des systèmes complexes. Ces dernières font appel à des méthodes et des algorithmes sophistiqués, dont le développement constitue en soi une tâche scientifique non triviale. Elles sont caractéristiques de la physique du solide et des modélisations les plus microscopiques, mais c’est également un point de vue adopté aujourd’hui par une partie des biophysiciens théoriciens, notamment pour décrire des processus cellulaires. Les approches (semi-) analytiques et simulations légères sont plutôt associées aux grandes échelles spatio-temporelles, et sont typiques des modélisations en matière molle.

En général, la modélisation des systèmes complexes en matière molle et biologie passe par l’identification des mécanismes à l’œuvre dans le problème considéré, et dont on peut tirer des lois simples (comme des lois d’échelles) reliant les observables aux paramètres de contrôle. Ces mécanismes sont typiquement analysés au sein de simulations numériques dédiées qui n’ont pas vocation à décrire toute la complexité du système. Ces dernières années ont été notamment abordés des problèmes d’écoulements dans les fluides complexes ou biologiques (description des gels actifs, rhéologie des suspensions granulaires ou sanguines), des phénomènes stochastiques ou hors d’équilibre (problèmes de premier passage et de recherche d’une cible, problèmes d’optimisation appliqués aux systèmes biologiques), ainsi que des études sur les systèmes autopropulsés (micro-nageurs, dynamique de foules). Ces analyses (semi-) analytiques se prêtent particulièrement bien à une compréhension multi-échelles des phénomènes (frottement solide et fluide, mécanismes géophysiques).

Les calculs et méthodes numériques utilisés pour s’attaquer aux problèmes de la physique du solide et de la science des matériaux couvrent des échelles différentes. Une partie importante de cette communauté s’intéresse à l’échelle atomique, qui permet une description « bottom-up » à travers la description explicite des atomes. Ces approches sont traditionnellement regroupées dans les familles de simulations « ab initio » et « classiques », où la distinction est sur la prise en compte explicite des degrés de liberté électroniques ou bien de leur modélisation empirique. Les résultats trouvent des applications dans les études des propriétés structurales, thermodynamiques, dynamiques, vibrationnelles, mécaniques des matériaux complexes (cristaux massifs, systèmes à dimensionnalité réduite, hétérostructures, nanostructures, verres, amorphes, liquides). Ces méthodes permettent également d’accéder aux propriétés électroniques, aux interactions électron-phonon, et aux effets excitoniques dans les semi-conducteurs.

Diverses approches sont employées pour les calculs ab initio : la théorie de la fonctionnelle de la densité (DFT) et sa variante dépendante du temps (TDDFT), la théorie dynamique du champ moyen (DMFT), la théorie de perturbation à N corps (MBPT), les approches « fonctions de Green » (GW). Les chercheurs de la section 05 participent également au développement des algorithmes et des codes de calcul (par exemple, Quantum Expresso ou Abinit). A un niveau de description moins approfondie, on trouve les méthodes type simulations atomistiques Monte-Carlo, dynamique moléculaire, etc., plus adaptées à décrire les systèmes désordonnés, les défauts, les surfaces et interfaces.

Une tendance forte au niveau international, et qui commence à prendre de l’ampleur en France également, est celle de combiner les avantages de ces deux échelles par l’utilisation de méthodes « machine learning ». Ces approches consistent en l’utilisation de trajectoires ab initio comme « données à exploiter », pour ajuster des potentiels d’interaction capables de retenir le niveau quantique des données d’origines, mais de l’utiliser sur des systèmes plus grands et sur des durées plus importantes. Cette tendance à intégrer les différentes échelles ne se développe pas uniquement entre le niveau électronique (ab initio) et le niveau atomique (simulations classiques), mais aussi entre les approches atomistiques et les échelles supérieures, vers le mésoscopique et le macroscopique (typiquement au-delà du micron), ce qui est généralement indiquée par la locution « modélisation multi-échelles des matériaux ». Ces dernières années ont vu l’émergence notamment d’approches dites « enhanced sampling » (par exemple, la métadynamique), pour traiter par exemple les transformations dans les matériaux aux échelles de temps supérieures à celles couvertes par les simulations ab initio ou classiques, ainsi que le développement d’approches « Monte-Carlo cinétique » et « champs de phase » pour les échelles supérieures.

Ces méthodes numériques sont discutées en particulier au sein du GdR MODMAT, qui fédère un nombre important de théoriciens et numériciens de la section. Cette communauté est également structurée au sein des GdR REST et NBODY, en lien avec les chercheurs des sections 03 et 13 travaillant dans différents domaines des propriétés électroniques (chimie quantique, physique de la matière condensée, physique nucléaire, mathématiques). Dans le domaine de la matière molle, les aspects méthodologiques sont moins marqués, et les théoriciens – en partie également expérimentateurs ou très proches des expériences – restent attachés à leur communauté thématique via les GdR dédiés. Enfin, de par le large spectre thématique de la section 02, il existe un fort recouvrement avec les questions théoriques abordées par les chercheurs de la section 05.

VII. Propagation des ondes en milieux complexes

Les processus ondulatoires sont importants dans plusieurs champs d’expertise de la 05 car ils décrivent la propagation d’électrons, de phonons, et de photons. L’étude des phénomènes communs à tous ces types d’ondes dans des environnements complexes (désordre, symétrie brisée, etc.) fait partie du périmètre de la section. Ce sujet est interdisciplinaire par sa nature et dépasse le cadre de la matière condensée au sens strict en faisant un lien entre des domaines de la physique aussi éloignés que la géophysique, l’acoustique, la physique des micro-ondes, la photonique, et la physique des atomes froids.

Si la thématique de la propagation des ondes en milieux complexes tient son impulsion initiale de la physique de la matière condensée, elle a formidablement crû, s’est ramifiée et recouvre maintenant des domaines très autonomes. On peut par exemple relever le dynamisme actuel du développement des méthodes de contrôle et d’imagerie des ondes en milieux complexes. Toutefois, les activités qui demeurent dans le giron de la section 05 concernent essentiellement les phénomènes ondulatoires ayant des analogues en matière condensée, ce qui constitue leur spécificité par rapport aux recherches sur les ondes menées au sein d’autres sections du CoNRS (notamment la section 04) et instituts du CNRS (par exemple l’INSIS).

Un exemple, forcément partiel mais représentatif d’un sujet de recherche d’actualité est à puiser dans la quête toujours vivace d’une compréhension complète du phénomène de « localisation d’Anderson ». Son observation dans les systèmes de différentes dimensionnalités, sa description théorique et ses applications potentielles alimentent une très riche activité de recherche. Une autre direction de recherche en pleine expansion est l’étude des phénomènes topologiques en physique des ondes. Les ondes classiques permettent de modéliser des phénomènes physiques ayant lieu dans des matériaux d’intérêt contemporain (notamment les nouveaux matériaux bidimensionnels dont le graphène est le paradigme) à même d’atteindre des régimes qui ne sont pas réalisables dans le matériau modélisé. De plus, beaucoup de phénomènes quantiques trouvent des analogues ondulatoires et peuvent ainsi être étudiés à température ambiante et avec des échantillons de taille « humaine ». Ces études sont très prometteuses en vue d’applications possibles dans des technologies de futur, notamment dans le contexte de l’information quantique.

Ainsi, l’avenir de cette thématique au sein de la section 05 se dessine dans la préservation de son esprit interdisciplinaire et de son ouverture vers différents domaines de la physique. Cette démarche scientifique a été et continue à être portée par plusieurs GdRs (dont l’actuel GdR COMPLEXE), dans l’animation desquelles les chercheurs de la section 05 jouent un rôle important.

VIII. Analyse des concours : évolutions thématiques et sociologiques

Pour finir, on présente dans cette partie une analyse succincte des concours des trois dernières années (l’analyse complète et quantitative fera l’objet du rapport de mandature, en 2021), afin d’illustrer les thématiques actuelles portées par les candidats. Ces données permettent également de discuter les questions de parité et d’interdisciplinarité.

Le recrutement CR en section 05 est un concours difficile, avec une forte pression au niveau des candidatures : entre 120 et 130 jeunes chercheurs se sont présentés pour un nombre de postes ouverts qui est passé de 6 à 4 entre 2017 et 2019. La proportion de candidates a été légèrement au-dessous du quart, et une à deux femmes ont été effectivement admises chaque année. Pour le concours DR2, c’est une cinquantaine de candidats qui se sont présentés chaque année, pour 6 postes. Là encore, la proportion de candidates a été de l’ordre du quart, mais celle des chargées de recherche ayant l’ancienneté pour être `promouvables’ est plutôt de l’ordre du tiers, et c’est dans les faits deux à trois femmes qui ont été retenues chaque année par le comité. Ces taux, qui sont sans aucun doute encore trop faibles, sont cependant parmi les meilleurs en physique, et ne semblent pas particulièrement associés aux sous-thématiques de matière molle et biologie, traditionnellement plus mixtes.

La question de la parité est un sujet important, auquel la section 05 est très attachée. De nombreux biais de genre persistent, par exemple la sous-représentation des femmes parmi les orateurs invités aux conférences ou bien au sein de comités de direction, éditoriaux ou d’instances organisationnelles, réduisant une forme de visibilité pour les chercheuses. Nous accordons à ces biais une attention particulière lors de l’examen des dossiers d’évaluation ou d’avancement, afin de permettre une comparaison des candidatures plus équitable. La tendance à l’autocensure est un autre aspect toujours actuel des candidatures féminines, avec seulement entre 10 et 20 % de candidates à la promotion DR1. Le constat pour le passage DRCE est le même – fondé sur des échantillons plus petits, qui ne permettent pas d’avancer des nombres très fiables.

Les projets présentés par les candidats aux concours donnent une bonne image des sujets d’intérêt du moment de la communauté scientifique que représente la section 05. Pour les CR, c’est environ 3/5 des dossiers qui portaient sur des thématiques de matière condensée, dont presque la moitié sur des sujets associés à la physique des systèmes nanométriques ou confinés. La proportion complémentaire 2/5 correspondait à des dossiers de matière molle au sens large, dont environ une petite moitié portant sur des questions à l’interface entre physique et biologie. Pour le concours DR2, les proportions ressemblent davantage à celles de la répartition thématique de la section dans son ensemble, c’est-à-dire avec seulement un 1/3 de candidats aux profils de chercheurs en matière molle ou biophysique.

Un autre indicateur intéressant est le nombre de candidatures multi-sections. Sans entrer dans le détail, ces candidatures sont particulièrement nombreuses avec la section 11, sur des sujets de matière molle, ainsi qu’à l’interface entre physique et biologie, et, pour ces dernières, davantage que celles avec les CID 51 et 54. Elles se retrouvent également avec la section 03 (transport électronique et magnétisme), la 02 (physique théorique, notamment physique statistique hors équilibre), la 15 (synthèse et caractérisation des matériaux, hétérostructures), la 09 (mécanique du solide, ondes et bio-mécanique) et la 10 (fluides complexes, interaction fluide-structure). De telles candidatures soulignent à nouveau l’interdisciplinarité des profils et des approches des jeunes chercheurs, qui leur permet de proposer des sujets originaux. Elles ne sont cependant pas toujours faciles à évaluer et à comparer à celles thématiquement plus au centre de la section 05.

On constate ainsi une grande diversité des thématiques abordées en section 05 dont les chercheurs ont su, au cours des années, considérablement étendre l’assise initiale pour développer par exemple la physique d’objets biologiques ou de systèmes complexes, et pour faire évoluer la matière condensée vers la conquête de nouveaux matériaux. Ce foisonnement se reflète naturellement dans le grand nombre de candidats qui postulent au concours CR en 05. L’évolution, l’élargissement du champ d’action, et l’interdisciplinarité qui en résulte, sont assurément d’admirables signes d’une bonne santé scientifique. Mais il est important de souligner que celle-ci est demain mise en danger par une baisse du recrutement bien en-deçà du raisonnable, baisse dont les conséquences probables sont le cloisonnement thématique, la hausse de l’âge d’embauche et la baisse de la proportion de candidatures féminines.

Conclusion

L’activité des chercheurs de la section 05 est remarquablement diverse et dynamique, associée à un grand spectre de thématiques abordées et une large gamme d’échelles spatio-temporelles explorées. Parmi les orientations actuelles, il faut noter une forte poussée des travaux sur les nano-matériaux et les nano-objets de toutes sortes, et une tendance très marquée à descendre dans les échelles en général. L’autre développement important est celui des recherches à l’interface entre physique et biologie, ce qui pose la question de l’opportunité de créer une section de biophysique à part entière – n’excluant pas un recouvrement non-nul avec les chercheurs s’intéressant à la physique des systèmes biologiques au sein de la 05 pour autant.

Si la section 05 se caractérise par son interdisciplinarité, avec de nombreuses interfaces internes entre ses sous-thématiques comme externes avec les autres sections, elle trouve son unité dans les méthodes et les approches employées. C’est en particulier la compréhension des liens entre les différentes échelles qui permet d’associer l’organisation et la structure des matériaux et systèmes à leur dynamique.

La diversité de talents et de points de vue des chercheurs de la 05 est une grande richesse de la section, qui seule peut permettre des percées conceptuelles et des innovations technologiques significatives. Celle-ci est aujourd’hui mise en danger par la baisse progressive et continue du recrutement depuis une dizaine d’années. Or le nombre de postes mis au concours ne doit pas se déduire d’une simple analyse quantitative des flux sortants, correspondants aux embauches d’il y a quarante ans. Au contraire, les jeunes chercheurs d’aujourd’hui doivent répondre aux nombreux enjeux, questions, et difficultés actuels. L’effort de recherche, celui du CNRS pour ce qui nous concerne, doit assurément être à la hauteur de ces enjeux.

ANNEXE 1

BCN : bore carbone azote
DFT : théorie de la fonctionnelle de la densité
DMFT : théorie dynamique du champ moyen
FIB : Focused Ion Beam
GdR : groupement de recherche
GIS : groupement d’intérêt scientifique
GPU : processeur graphique
GW : fonction de Green
hBN : nitrure de bore hexagonal
IRN : réseau de recherche international
MBPT : théorie de perturbation à N corps
MEMS : systèmes microélectromécaniques
MET : microscopie électronique à transmission
SAT : sonde atomique tomographique
STM : microscopie à effet tunnel
TDDFT : théorie de la fonctionnelle de la densité dépendante du temps
TGI : très grands instruments
XFEL : X-ray free-electron laser