Rapport de conjoncture 2019

Section 26 Cerveau, cognition, comportement

Composition de la Section

Pascal Barone (président de Section) ; Delphine Pins (secrétaire scientifique) ; Christine Assaiante ; Grégoire Borst ; Cédric Bouquet ; Séverine Casalis ; Frédéric Chavane ; Anne Didier ; André Didierjean ; Audrey Dussutour ; Christine Ensuque ; Nathalie George ; Rafael Laboissiere ; Denis Lancelin ; Christelle Lemoine-Lardennois ; Sophie Lumineau ; Chantal Mathis ; Jean-Christophe Sandoz ; Leila Selimbegovic ; Catherine Semal ; Angela Sirigu.

Résumé

La section 26 couvre un ensemble large de disciplines dont les interactions fortes visent à la compréhension des fonctions intégratives et cognitives, supports des comportements individuels ou collectifs, qui eux-mêmes sont le reflet des processus d’interactions avec l’environnement physique et social. Au sein de la section 26 ces approches forment un continuum décloisonné incluant de façon imbriquée l’éthologie, la psychologie et les neurosciences intégratives et computationnelles.

Introduction

Afin de mieux appréhender les processus cognitifs qui sous-tendent les interactions avec le milieu environnant, il est crucial que les différentes disciplines que sont l’éthologie, la psychologie et les neurosciences se nourrissent mutuellement et la section 26 restera vigilante à ce que cette pluridisciplinarité soit maintenue. Cette pluridisciplinarité permet de relier la compréhension de l’organisation structurelle multi-échelle du système nerveux central et le décryptage du code neural aux grandes fonctions que sont la perception, la motricité, l’attention, les processus de mémoire et d’apprentissage, le traitement des émotions, la prise de décision, le raisonnement, le langage… Ces fonctions sont abordées dans leur dimension normale ou pathologique, et dans une perspective vie entière, depuis le développement précoce, jusqu’aux processus de vieillissement.

La pluridisciplinarité de la section 26 se concrétise à travers son rattachement multi-instituts, à l’INSB en principal et à l’INSHS en secondaire. Outre le lien historique des laboratoires de psychologie avec les sciences humaines, l’implication de l’INSHS dans la section 26 trouve sa justification dans des thématiques abordées dans les unités de la section qui s’inscrivent clairement à l’interface des sciences humaines et biologiques (éducation, communication, handicap…) et basées sur des approches expérimentales. Ainsi la section 26, qui intègre tous les aspects, de la psychophysique à la psychologie sociale et la philosophie cognitive, en passant par l’étude du comportement animal et l’éthologie humaine, légitime parfaitement sa place naturelle d’interface entre sciences biologiques et sciences humaines.

De par la diversité des disciplines, des objets d’étude et approches couvertes, la section 26 présente des objectifs en partie communs avec plusieurs sections d’Instituts différents. Tout d’abord, un recouvrement naturel existe avec la section 25 de l’INSB (Neurobiologie moléculaire et cellulaire, neurophysiologie). Les avancées dans le développement d’outils issus de la génétique ont permis de développer des approches génomiques des bases du comportement, rejoignant ainsi certains aspects spécifiques de la section 25. Cela peut s’exprimer au travers des modèles transgéniques et des méthodes optogénétiques permettant d’inactiver des circuits fonctionnels spécifiques (rongeur et primate non humain) ou d’études des processus de régulation épigénétique des comportements.

La section 26 partage également des intérêts communs avec la section 34 (Sciences du Langage) dans les domaines de la psycholinguistique. Cette discipline, qui vise à comprendre les mécanismes de production et de compréhension du langage, a évolué fortement vers une approche expérimentale mais également clinique, intégrant les processus cognitifs et sociaux communs aux 2 sections.

La section 26 est représentée au sein de la CID 51 (Modélisation, et analyse des données et des systèmes biologiques). Les approches multi-échelles et la collecte d’une grande masse de données ont débouché sur la nécessité d’établir des modèles théoriques et statistiques de la complexité du système nerveux central et des comportements, et une partie des neurosciences computationnelles couvertes par la section 26 s’intègre parfaitement dans l’interface que constitue la CID51 entre la biologie, les mathématiques, l’informatique, la physique et la chimie.

La section présente aussi des liens avec les thématiques de la section 29 (Biodiversité, évolution et adaptations biologiques) centrées sur l’étude des processus d’adaptation et d’évolution des comportements de l’organisme en interaction avec l’environnement. L’identification des mécanismes sous-jacents intègre logiquement des approches de biologie comportementale, de neurobiologie et de sciences sociales.

Enfin des ponts évidents relient la section 26 à la section 7 (Sciences de l’information) de l’INS2I, notamment autour des interactions homme-machine et de la robotique. Ces liens touchent aussi tous les champs d’application du traitement du signal et des images aux neurosciences intégratives, dans le cadre de l’étude de la connectivité et de la dynamique cérébrale conduisant à une approche multimodale de l’imagerie du cerveau.

Un total de 23 laboratoires sont rattachés à la section 26 en principal, dont 2 sont des laboratoires INSHS, et 8 en secondaire, dont 3 sont INSHS et 2 INEE. À cela s’ajoutent 5 GDR, 6 IFR et 10 UMS en rattachement primaire ou secondaire. La section comprend un volant de 330 chercheurs environ, répartis pour près des 2/3 dans des laboratoires ayant la section 26 en rattachement principal. Ainsi la présence de près de 30 % de ses chercheurs dans des laboratoires hors section 26 est une preuve supplémentaire de la pluridisciplinarité de la section 26. La répartition globale homme-femme est de 61-39 %, mais celle-ci dépend du grade puisqu’elle passe à un rapport de 68-32 % lorsque l’on considère les chercheurs ayant le grade de DR où seuls 20 % des DRCE sont des femmes. La section reconnait que depuis plusieurs années, la proportion de femmes candidates aux promotions à un grade supérieur reste inférieure à celle des femmes en position d’être promues. Ces chiffres soulignent la nécessité de mettre en place une politique d’incitation des femmes à candidater aux promotions de grade et de façon générale à accéder de façon plus importante aux postes de responsabilités (responsabilité d’équipes, direction d’axes, de laboratoire…) et d’éliminer tout aspect genré de nos critères d’évaluation.

Le recrutement au sein de la section 26 résulte d’une contribution des deux instituts de rattachement, l’INSB et l’INSHS. Cette double appartenance est relativement récente (depuis 2012) et elle permet difficilement de maintenir une pluridisciplinarité de recrutement au regard d’une diminution de 40 % du nombre de postes en 5 ans. Ainsi le nombre de postes attribués à la section reste nettement insuffisant au regard d’un fort taux de pression (5-7 %) qui reflète à la fois la dynamique de la recherche couverte par la section et son caractère multidisciplinaire. Sur les 5 dernières années (2015-2019), la section a recruté 36 chercheurs au grade de chargé de recherche, dont un peu moins de 28 % sur des supports apportés par l’INSHS, ce qui se rapproche de la représentativité des laboratoires au sein de la section en termes de rattachement à cet institut. La section a pratiquement atteint une parité de recrutement avec une proportion de 47,5 % de femmes lauréates des concours. De plus, la section a su maintenir un équilibre entre les différentes disciplines couvertes, tout en respectant les critères d’excellence. Bien que les différentes disciplines représentées par la section ne soient pas cloisonnées, on peut noter que 14 % des recrutements s’inscrivaient en éthologie/neuro-éthologie, 25 % en neurosciences intégratives sur modèles animaux, 19 % en neurosciences cognitives chez l’homme, le reste se répartissant à parts égales (14 %) entre psychologie de la perception, psychologie du développement et psychologie sociale/cognitive au sens large. Historiquement, les postes INSB sont des postes « blancs », ce qui a permis d’assurer la diversité des recrutements au sein des différentes disciplines de la section, tout en maintenant une politique de recrutement fondée sur des critères d’excellence scientifique. De plus, depuis 2012 et le co-pilotage de la section, l’INSHS soutient la psychologie expérimentale en apportant des postes coloriés qui renforcent les recrutements dans ses laboratoires d’appartenance selon la politique scientifique de l’Institut et en s’appuyant sur les critères de la section. Ces coloriages sont généralement discutés afin de s’assurer de l’existence d’un vivier suffisant et d’excellence au sein de la communauté sur les axes scientifiques que souhaite soutenir l’Institut. Ainsi, sur ces coloriages, les taux de pression étaient similaires à ceux observés pour les postes non coloriés de l’INSB, ce qui atteste d’un potentiel fort de chercheurs dans ces disciplines. Nous avons ainsi pu recruter sur plusieurs vagues des chercheurs de qualité dans les domaines tels que Développement et Apprentissage, Langage et Cognition, Cognition sociale. Par contre, la thématique associant Art & Cognition, bien que soutenue par la section et les Instituts au travers du GDR Esthétique Arts & Sciences (ESARS), n’a pas montré sur plusieurs vagues un vivier suffisant pour pouvoir être soutenue. Au global, la section reconnait le rôle important de ces coloriages dans la structuration des laboratoires associés INSB/ISHS, en renforçant le continuum qu’il existe entre la Psychologie, les Neurosciences intégratives et l’Éthologie.

I. Éthologie

L’éthologie est la science dont l’objet d’étude central est le comportement animal y compris humain. L’éthologiste étudie le comportement en répondant à des objectifs complémentaires : identifier ses déterminants internes (génétiques, physiologiques, neurobiologiques) et externes (environnementaux abiotiques ou biotiques), et ses fonctions dans le cadre de l’interaction animal-milieu. Il détermine aussi les mécanismes impliqués dans le développement comportemental (comme les effets d’expérience ou d’apprentissage), ou dans l’émergence des stratégies comportementales au niveau des espèces par une approche comparative interspécifique. L’éthologie se situe donc à l’interface d’autres disciplines pour former des champs disciplinaires variés tels que la neuroéthologie, l’éco-éthologie, l’éthologie cognitive, l’éthologie sociale… De plus, les chercheurs ont intégré les concepts et méthodes de l’éthologie à l’étude du comportement humain, en étroite collaboration avec les psychologues. Ainsi, l’éthologie humaine est maintenant reconnue et en forte expansion depuis ces dernières années. En France, l’éthologie est organisée au travers de différentes structures dont la société française d’étude du comportement animal (SFECA) qui a pour objectif de promouvoir les recherches dans le domaine de la biologie du comportement et la diffusion de la discipline et le GDR-Éthologie (2004-2015) qui a permis l’émergence de collaborations de recherche et de formation.

A. Faits marquants et enjeux sociétaux de l’éthologie

Une meilleure connaissance des comportementaux animaux implique des retombées sociétales majeures. En effet, depuis 2015, l’animal est considéré comme un être vivant doué de sensibilité (loi no 2015-177), les recherches doivent continuer pour clairement identifier les émotions, les états mentaux et les processus cognitifs qui peuvent être exprimés par les animaux. Ces éléments scientifiques contribueront au vaste débat sociétal sur la conscience animale, et permettront de tout mettre en œuvre pour améliorer le bien-être des animaux de compagnie, de loisir, ou maintenus en captivité pour l’élevage, la recherche ou la conservation des espèces. En ce qui concerne ce dernier point, les recherches éthologiques sont aussi essentielles pour améliorer les connaissances des espèces en danger suite à la disparition/dégradation des habitats ou aux changements climatiques du fait des activités humaines. Il faut noter qu’il est urgent d’identifier les causes du déclin des espèces (des abeilles et des oiseaux par exemple), et trouver des solutions pérennes. Également les recherches en éthologie permettent d’optimiser les actions de réintroduction car trop souvent les individus relâchés s’avèrent maladaptés aux conditions naturelles et présentent des taux de survie et une participation à la reproduction in natura trop faibles. L’éthologie présente des applications directes en santé humaine au travers de l’étude des processus cognitifs et émotionnels de modèles animaux mais aussi car l’éthologie permet de développer de nouvelles thérapies par médiation animale (autisme…). L’éthologie humaine cherche notamment à comprendre le comportement des nouveau-nés et leur perception du milieu, pour développer des protocoles afin d’améliorer leur bien-être en contexte médicalisé en cas de prématurité. Enfin, l’éthologie humaine s’intéresse à décrire les mécanismes collectifs dans le cadre des déplacements de foule. En combinant observations en milieu naturel, expérimentations contrôlées et modélisation mathématique, les chercheurs ont pu caractériser les dynamiques collectives qui animent les foules et permettre ainsi de prédire l’efficacité des infrastructures face aux paniques collectives.

1. Bases cérébrales des comportements animaux

La neuroéthologie cherche à identifier les bases nerveuses des comportements naturels des animaux, dans un contexte multidisciplinaire alliant des approches éthologiques et neurobiologiques mais faisant également appel à des concepts issus de l’écologie et des sciences de l’évolution. La neuroéthologie s’inspire de la diversité biologique et se concentre sur le comportement naturel de l’animal et sur les adaptations de ses systèmes perceptuels, intégrateurs et moteurs à son environnement. Cette discipline découle logiquement de l’éthologie, qui par la diversité des espèces qu’elle étudie et des milieux naturels qu’elle explore, permet de découvrir des compétences comportementales et/ou cognitives qui resteraient insoupçonnées si l’on se concentrait uniquement sur les modèles expérimentaux classiques. La neuroéthologie réserve une place importante à l’étude des processus sensoriels, de l’apprentissage et de la mémoire, de la navigation et de la communication sociale. Ces études utilisent une large gamme de modèles vertébrés (oiseaux chanteurs, moutons, lapins, rongeurs, primates non-humains) et invertébrés (seiches, abeilles, fourmis, mouches). Des travaux fondateurs en neuroéthologie ont par exemple décrit les mécanismes nerveux sous-tendant la perception spatiale des sons chez la chouette effraie, l’écholocation chez les chauves-souris ou la navigation chez le papillon migrateur monarque. Chez certains modèles, comme la mouche drosophile, l’approche neuroéthologique s’est très fortement développée ces dernières années, de sorte que les chercheurs s’inspirent de plus en plus des comportements naturels de ces animaux dans leur milieu. Cette tendance forte, alliée aux très puissants outils de neurogénétique existant chez cette espèce ont permis de réaliser des progrès majeurs et de disséquer très précisément les circuits et processus de modulation physiologique et de plasticité sous-tendant les comportements naturels de ces mouches. Expérimentalement, la neuroéthologie combine des recherches sur le comportement en milieu naturel avec des investigations en laboratoire, employant diverses techniques comme des mesures automatisées de réponses comportementales (analyses vidéo de mouvements, compensateurs de locomotion) et des enregistrements électrophysiologiques (extra- et intracellulaire, patch-clamp) ou en imagerie fonctionnelle (calcique par exemple) en réponse à des stimuli artificiels mimant les stimuli naturels de ces animaux (incluant la réalité virtuelle), alliés à des marquages neuroanatomiques, des stimulations pharmacologiques, etc. Actuellement la neuroéthologie vit une révolution avec l’avènement des techniques d’édition du génome et les outils génétiques permettant d’inhiber ou activer artificiellement des voies neuronales données chez des espèces autres que les modèles neurogénétiques établis (souris, poisson zèbre ou drosophile). Ces nouveaux outils devraient permettre un essor important de la neuroéthologie dans les années qui viennent.

2. Cognition et Émotion

L’éthologie cognitive explore depuis plusieurs années comment les animaux perçoivent, traitent et répondent aux informations environnementales. Les dernières découvertes chez les espèces non vertébrées ouvrent des perspectives nouvelles. En effet, les chercheurs ont montré que les insectes sociaux sont capables de maitriser des concepts abstraits, comme la notion de quantité (y compris le concept du zéro), et de transmettre de l’information socialement. De plus, les céphalopodes maîtrisent la notion du temps et d’espace, donc présentent des mémoires quasi-épisodiques. Même des organismes unicellulaires, les myxomycètes, ont montré des capacités d’apprentissage élémentaire alors même qu’ils n’ont pas de structure neurale.

Les liens entre émotion et cognition sont de plus en plus explorés avec une démarche éthologique. En particulier, l’accumulation d’émotions négatives (suite à un stress chronique par exemple) peut induire un état affectif dit « pessimiste » qui conduit l’animal à évaluer négativement toute situation. Récemment de tels biais cognitifs ont été démontrés chez les mammifères (ovins, chevaux, primates non humains), les oiseaux (canaris), chez les poissons (cichlidés) et récemment chez les arthropodes (fourmis, abeilles). Aujourd’hui, l’étude des émotions positives, longtemps négligées, est en pleine émergence, avec l’identification d’indicateurs posturaux, comportementaux et morphologiques chez les mammifères (chevaux) comme chez les oiseaux (cailles, perroquets). Il convient maintenant d’engager des travaux sur la caractérisation des émotions positives, l’identification des contextes inducteurs et leurs conséquences sur le comportement et capacités cognitives, pour améliorer le bien-être et comprendre leurs impacts sur l’adaptation des animaux à leur milieu naturel.

Mieux comprendre la vie sociale et ses adaptations reste une des préoccupations majeures des éthologistes, compte tenu de la diversité des espèces et des modes de vie sociaux. Des travaux sur les grands mammifères, en particulier, ont montré que la coordination des activités et des déplacements de groupe fait émerger des règles de décision collective (impliquant notamment des mécanismes d’imitation), qui peuvent s’apparenter à une forme d’intelligence collective. Ces mêmes questionnements se posent aussi actuellement concernant les déplacements des foules chez l’humain, en prenant bien en compte les caractéristiques comportementales des individus qui composent le groupe.

3. Communication et échange d’informations

L’échange d’informations au sein des groupes sociaux reste encore une énigme à résoudre pour comprendre les mécanismes de transmissions culturelles. Les travaux visant à décrypter les mécanismes régulant les interactions et relations sociales, initiés depuis de nombreuses années ont permis de nouvelles avancées dans les signaux de communication.

Tout d’abord, les mécanismes perceptifs et fonctionnels de la communication chimique ont été étudiés chez les arthropodes (insectes sociaux, araignées) mais aussi chez des espèces modèles mammifères (rongeurs, lapins, ovins, caprins, canidés, pinnipèdes) pour la régulation des relations sociales, sexuelles, parentales ou interspécifiques. Chez l’homme, alors que les signaux chimiques ont longtemps été considérés comme inefficaces, relayant l’olfaction au niveau de sensorialité archaïque, il est maintenant bien établi que les odeurs sont impliquées dans la régulation des relations parents-bébé, et des travaux novateurs émergent pour comprendre leurs rôles dans la communication intersexuelle. En ce qui concerne la communication gestuelle, les chercheurs ont récemment montré que les animaux invertébrés (céphalopodes ou araignées) ou vertébrés (oiseaux, dauphins, chevaux, primates non humains et humains) présentent des comportements latéralisés lors de la perception ou production d’informations. Latéralité et socialité seraient donc étroitement liées, et des travaux sont nécessaires pour tester la théorie d’alignement populationnel de latéralité chez les espèces sociales.

Enfin, chez de nombreuses espèces, la communication se fait sur la base de signaux acoustiques, en particulier chez les oiseaux et les mammifères. Chez plusieurs espèces, il a été montré que les vocalisations pouvaient coder des informations relevant de l’individu (pinnipèdes, primates non humains), du degré d’apparentement (primates non humains), ou encore des performances sexuelles (chevaux). Les règles de communication ont évolué avec la complexification des structures sociales (oiseaux, primates non humains). De plus, les chercheurs ont trouvé que certains primates non humains (babouins) produisaient des sons comparables aux voyelles du langage, sans que la position haute de leur larynx ne les contraigne. De même, les vocalisations des singes ont montré une plasticité acoustique, alors que ces espèces sont considérées comme non apprenantes (cercopithèques). Ces mêmes questions font aujourd’hui aussi débat chez les oiseaux dits non chanteurs dont on découvre actuellement qu’ils produisent des cris plastiques sous l’influence environnementale. Certaines espèces de primates et d’oiseaux peuvent combiner des sons pour produire des messages complexes selon des règles syntaxiques de base. Ces éléments laissent bien penser que les primates non humains ont un système de communication acoustique qui serait un précurseur du langage chez l’homme. Enfin, l’éthologie humaine s’attache aussi depuis plusieurs années à aborder les mêmes questions pour étudier les vocalisations des bébés et le développement langagier des enfants. De récents travaux ont montré que les pleurs des bébés étaient évalués différemment par les adultes, avec un biais sexué, et que le développement du langage était sous l’influence du sexe de l’enfant et du discours du parent, ces facteurs impactant différemment le développement langagier selon le milieu socio-économique. Un champ d’études s’attache aussi à comprendre comment les bébés perçoivent le langage et intègrent les règles de conversations. Ces travaux extrêmement originaux sont possibles grâce aux rapprochements conceptuels et à la mutualisation des méthodes entre l’éthologie, la psychologie du développement et la sociolinguistique.

4. Plasticité comportementale, épigenèse, adaptation

Depuis plusieurs années, la pensée des biologistes est en pleine révolution scientifique quant aux mécanismes explicatifs des processus évolutifs. En effet, la variabilité phénotypique, principale source de l’évolution, ne s’explique pas seulement par des transmissions génétiques mais bien aussi par des mécanismes non génétiques. Il y a donc une réémergence des théories de l’épigenèse, révélant l’importance de l’environnement sur le développement comportemental. La transmission trans-générationnelle des comportements implique soit des modifications épigénétiques, soit des processus d’influence ou d’apprentissage social. Cette transmission sociale peut s’effectuer de manière horizontale, comme entre congénères du même groupe, ou verticalement de parents à descendants. Ainsi, les chercheurs ont identifié des styles de maternage chez les oiseaux, analogues à ceux connus jusqu’alors chez les mammifères, qui ont des conséquences sur la mise en place de la personnalité des jeunes adoptés en termes de comportement anti-prédateur, de capacités cognitives spatiales ou de compétences sociales. Les styles maternels ont même permis la transmission sociale de ces traits comportementaux. Une telle transmission non génétique s’est même vérifiée chez les drosophiles qui sont capables de transmettre leurs préférences sexuelles (en termes de choix de partenaire sexuel) à leurs congénères uniquement par l’expérience.

Les mécanismes de transmission non génétique intergénérationnelle sont des sujets de recherche à l’heure actuelle en pleine émergence, car d’une part identifier des marqueurs épigénétiques est un défi technique important, et d’autre part comprendre des processus évolutifs à courte échelle temporelle permettra de mieux identifier les processus adaptatifs des animaux en environnement changeant. Les travaux ont d’ailleurs montré qu’un stress vécu lors de la vie prénatale, ou postnatale, avait des conséquences à long terme sur la mise en place des comportements adultes chez les rongeurs, les oiseaux mais aussi des modèles peu communs comme les céphalopodes. Le stress prénatal a même eu un impact sur la personnalité des descendants de première et la seconde génération chez les oiseaux. À l’heure actuelle, les travaux sur les transmissions culturelles doivent continuer et les marqueurs épigénétiques sous-jacents doivent être identifiés, ainsi que des processus comportementaux qui pourraient remédier à des déficits comportementaux en vie postnatale.

Les interactions animal – milieu sont de plus en plus explorées pour mieux comprendre les mécanismes d’expression et d’adaptation des comportements naturels. Dans ce contexte, il a notamment été montré l’importance des odeurs environnementales sur les comportements sociaux chez les insectes, des facteurs nutritionnels sur les capacités cognitives et la longévité chez les primates. Enfin, les interactions microbiote et comportement ont été une grande découverte ces dernières années. Les chercheurs ont notamment montré que des oiseaux privés de microbiote étaient moins adaptés aux conditions de vie naturelle, car trop peu réactifs et moins tolérants socialement. La flore intestinale s’avère donc avoir un impact sur le bien-être animal et sur l’adaptation au milieu.

5. Modélisation des phénomènes comportementaux

L’éthologie computationnelle a émergé suite au besoin de comprendre les dynamiques complexes qui lie les unités d’un groupe d’animaux. En effet, l’étude des comportements collectifs nécessite une approche combinant étroitement expérience et modélisation et s’appuie sur les outils et méthodes des sciences de la complexité. Toutefois, les biologistes se sont longtemps heurtés à la difficulté d’acquisition de quantité de données suffisantes pour valider les modèles développés en collaboration avec les physiciens et les mathématiciens. Mais depuis peu, de nombreuses avancées dans ce domaine ont été faites grâce à des approches computationnelles (Machine learning, Deap learning, Machine Vision, Supervised Learning…). L’analyse automatique du comportement a permis d’augmenter non seulement la dimensionnalité du comportement mais aussi sa précision, sa cohérence, son objectivité (analyse en aveugle), et peut-être le plus important : le débit expérimental. L’analyse automatisée offre une profondeur, une portée, une rigueur de conception expérimentale et statistique. Elle permet à plus d’hypothèses d’être testées, à davantage de variables d’être explorées et autorise plus de contrôles. L’analyse automatisée facilite les expériences en boucle fermée. Par exemple, le suivi automatisé basé sur la vision artificielle (Machine Vision) d’animaux en libre mouvement offre un avantage de taille : l’analyse du comportement en temps réel. Cela a par exemple permis de comprendre comment se coordonnent les humains au sein d’une foule ou les poissons au sein d’un banc. Le tracking automatique tel que développé chez l’insecte, permet également de mesurer en ligne la position de l’animal, sa vitesse ou d’autres statistiques comportementales que l’on souhaiterait réintroduire dans un système afin de contrôler l’activité neuronale ou de modifier l’environnement afin de tester des hypothèses précises. Au-delà de la quantification de comportements précédemment identifiés, la pratique actuelle consiste à observer un comportement, puis à développer une méthode qui permet de détecter automatiquement le même comportement en accord avec l’observateur humain. L’éthologie computationnelle offre maintenant la possibilité de découvrir de nouveaux comportements et pourrait bientôt nous permettre de décrire et de mesurer, automatiquement, le répertoire comportemental complet d’un animal, diversifiant ainsi les opportunités de nouveaux axes de recherche. Cela permettrait aux chercheurs de corréler de nombreux aspects du comportement aux manipulations génétiques, pharmacologiques et neurophysiologiques, plutôt que de préjuger quels aspects du comportement devrait être mesuré. L’éthologie entre elle aussi dans l’aire du big data et le défi à venir sera alors de définir comment analyser la pertinence des données générées.

B. Domaines en régression et craintes pour l’éthologie

Ces dernières années, plusieurs grands domaines d’études en éthologie sont en régression. Tout d’abord, les études comportementales les moins intégratives, axées sur la description du comportement animal et sa variabilité sont peu valorisées, alors qu’elles restent un préalable inévitable à toutes études éthologiques, et qu’il est bien établi maintenant que la variabilité individuelle, trop souvent négligée, peut induire de nombreux biais expérimentaux. À l’inverse, les études très intégratives, allant des mécanismes aux fonctions jusqu’à l’évolution des comportements, sont de moins en moins menées par le même groupe de chercheurs compte tenu de la multiplicité des compétences et techniques à maîtriser, alors que ces études restent fondamentalement complémentaires pour comprendre l’entièreté de la complexité comportementale. De plus, concernant les études causales des comportements, les développements technologiques en neurobiologie ont entraîné un désintérêt pour les études physiologiques et génétiques des comportements. Enfin, un recul clair des études longitudinales est constaté alors qu’elles sont nécessaires pour comprendre l’ontogenèse et la phylogenèse des comportements.

Plusieurs freins à un bon épanouissement de l’éthologie en France sont clairement identifiés. D’une part, la discipline et ses enjeux restent encore mal connus, en dépit des efforts de médiatisation des chercheurs auprès du grand public. De plus, dans un cadre national, les disciplines du vivant sont souvent hyperspécialisées, alors que l’éthologie englobe un cadre de réflexion très large. En conséquence, l’éthologie est souvent mal représentée dans les instances, et mal identifiée dans les appels d’offre. Par exemple, dans le cadre de l’ANR, l’éthologie est dispersée dans plusieurs comités (neurosciences cognitives, écologie/biologie des organismes, agronomie/bien-être animal, sciences humaines/langages). De fait, le peu de financements nationaux dédiés à l’éthologie en limitent le dynamisme. Actuellement, le soutien à la recherche axé sur l’analyse du comportement en tant que tel disparait en faveur d’une recherche axée sur les circuits neuronaux. Tandis que la recherche sur les circuits neuronaux est indéniablement importante, notre capacité à poser des questions significatives sur le fonctionnement de ces circuits est irrémédiablement limitée par notre capacité à identifier et à mesurer les outputs comportementaux de l’activité de ces circuits neuronaux.

II. Psychologie

La recherche en psychologie vise au développement de modèles des processus mentaux sous-jacents aux comportements. Les indicateurs physiologiques et techniques de neuro-imagerie prennent une part grandissante dans les recherches, mais la spécificité de la discipline est d’établir des modèles des mécanismes mentaux, sans nécessairement recourir dans le langage de description au substrat biologique. L’objectif est de réaliser une description fine des différents mécanismes cognitifs, affectifs, émotionnels et sociaux à partir de nombreux indicateurs, comportementaux (temps de réaction, pourcentage de réussite…), verbaux, et physiologiques.

Les spécialités représentées dans les unités CNRS sont celles traditionnellement identifiées dans la discipline, notamment : psychologie cognitive, psychologie du développement, ergonomie, neuropsychologie et psychologie sociale. S’ajoutent la philosophie de la cognition et la psychologie économique.

Sans prétendre à une liste exhaustive, les thématiques/fonctions étudiées dans les recherches conduites au sein des unités CNRS sont principalement les suivantes : apprentissage, mémoire, perception, action, langage, prise de décision, raisonnement, cognition sociale, comportements collectifs et relations intergroupes, émotions, fonctions exécutives. Ces recherches sont conduites essentiellement chez l’homme, mais aussi chez l’animal, et elles se déclinent en études du fonctionnement normal ou pathologique, à tous les âges de la vie (psychologie du développement, vieillissement cognitif), et dans des perspectives fondamentales aussi bien qu’appliquées.

A. Faits marquants et enjeux sociétaux pour la psychologie

Les recherches en psychologie ont des implications d’intérêt majeur pour la société dans de nombreux domaines. Les travaux sur l’apprentissage et le développement apportent des contributions essentielles concernant les questions relatives aux pratiques éducatives, la pédagogie, le numérique éducatif, l’enseignement adapté, mais aussi les troubles des apprentissages et l’accompagnement des effets délétères du vieillissement. En révélant les déterminants des comportements individuels et collectifs, la recherche en psychologie apporte des connaissances cruciales pour répondre à de nouvelles problématiques liées à l’évolution de la société et aux innovations technologiques. Ainsi au niveau social, ces recherches peuvent éclairer les questions d’intégration, de discrimination, d’égalité homme-femme ou encore de radicalisation. Sur le plan des innovations technologiques et des nouveaux objets culturels, la recherche en psychologie contribue à la fois à leur développement et à répondre aux questions posées par leur utilisation, dans les domaines par exemple des interactions humain-machine, des objets connectés, des réseaux sociaux, ou encore des véhicules autonomes. La compréhension des mécanismes sous-tendant les jugements et décisions humaines ont également une portée vis à vis de problématiques actuelles telles que la transition énergétique, le développement durable, l’éthique, la résistance aux infox… Enfin, la recherche en psychologie, aussi bien fondamentale que translationnelle, répond à des enjeux de santé, en matière de prévention, diagnostic et prise en charge, avec des répercussions directes dans le domaine des pathologies mentales, des addictions, du handicap moteur et sensoriel ou encore la préservation de l’autonomie des séniors.

1. Perception

Les études de la perception contribuent d’une façon majeure à la compréhension du fonctionnement du cerveau et des mécanismes sous-tendant la perception sensorielle. Bien que peu nombreux, les chercheurs étudiant la perception sont très présents au niveau international notamment en ce qui concerne la psychophysique visuelle et auditive. Ils se sont regroupés pour fonder plusieurs GDR : GDR Vision, GRAEC (Audition), GDR O3 (Olfaction), GDR Vertige (vestibulaire), GDR ACT (toucher) ou Neuro-Musique. Un focus sur deux des modalités sensorielles étudiées, la vision et l’audition, permet de dégager plusieurs thèmes actuels majeurs. En audition, notamment en psychophysique, un intérêt particulier est porté sur l’étude de la sensibilité à l’harmonicité, à l’enveloppe temporelle et à la structure temporelle fine des sons chez des auditeurs normaux, atteints de pathologies cochléaires ou porteurs d’implant cochléaire. La modulation de la perception auditive en fonction du contexte est également une thématique porteuse. Il est à noter une augmentation des recherches fondamentales, cliniques et appliquées, abordant le rôle de la musique. Les études psychophysiques sur la perception visuelle se sont dernièrement intéressées à la plasticité du système visuel chez l’homme adulte ou encore à la modélisation de la confiance visuelle. L’étude de la pathologie a conduit à des travaux de recherche translationnelle sur la malvoyance. Les travaux portant sur la perception ont mené au développement de systèmes d’aide visuelle, auditive ou au développement de modèles neuro-computationnels. Plus globalement, l’utilisation de situations expérimentales plus écologiques (sons ou images naturelles…) autorise une meilleure évaluation et prise en compte de la qualité de vie. L’étude de l’inférence perceptive est rendue possible notamment grâce au développement de modèles bayésiens – codage prédictif, inférence circulaire… –, modèles de diffusion…

2. Mémoire

Concernant la mémoire, l’étude de la mémoire de travail, système cognitif chargé du maintien et du traitement simultané de l’information, a connu un regain d’intérêt ces dernières années, avec notamment l’émergence de nouveaux modèles. La mémoire à long terme fait également l’objet de nombreux travaux, notamment la mémoire épisodique. Les chercheurs français se focalisent sur le fonctionnement mnésique chez des adultes et sur son évolution avec le vieillissement, normal ou pathologique. Dans une part importante de ces travaux, un grand intérêt est porté aux variations inter et intra-individuelles. En parallèle, des travaux utilisant des approches multidisciplinaires et intégratives originales, à l’interface des thématiques portées par l’INSHS et l’INSB, s’orientent vers la compréhension des mécanismes du fonctionnement et des dysfonctionnements de la mémoire individuelle et collective (dans la lignée du projet « 13 novembre » sur la mémoire des attentats). En effet, la mémoire est individuelle et participe à la construction identitaire de l’individu. Mais la mémoire est aussi collective et joue un rôle social. Enfin et surtout, la mémoire est faillible. Comprendre les processus d’oubli ou de distorsion de la mémoire, qu’ils soient normaux ou pathologiques, représente un enjeu sociétal important. Ainsi, le GDR Mémoire affiche une ouverture clairement interdisciplinaire (Philosophie, Neurosciences, Psychologie, Histoire, Sciences Politiques).

3. Langage

Dans le champ de la psycholinguistique, le thème de la lecture et plus précisément de la reconnaissance de mots reste un thème fortement porté depuis plusieurs années. On note une évolution forte dans ce domaine vers un intérêt de plus en plus marqué pour l’apprentissage de la lecture (vs la lecture experte), avec à la fois l’intégration d’apports issus des neurosciences développementales et de la modélisation, et la conduite d’études « hors laboratoire ». Le thème de la dyslexie du développement reste, depuis une ou deux décennies, fortement porté et très visible internationalement, avec un intérêt croissant chez l’adulte dyslexique. Chez l’expert, la lecture reste un thème très visible internationalement, avec une activité de modélisation, basée aussi bien sur l’identification des niveaux fonctionnels mais aussi leurs substrats fonctionnels. Dans le domaine comportemental, les mégastudies se sont développées, permettant l’intégration « naturelle » des très nombreuses variables qui concourent à caractériser le matériel linguistique. Le développement des bases de données, amorcé il y a quelques années, se poursuit permettant aux chercheurs d’avoir accès à des propriétés de plus en plus larges (émotion, imageabilité, etc.).

La question de la production du langage, toujours plus en retrait que la reconnaissance/ compréhension, fait cependant l’objet d’intérêts tant au plan du lexique que du texte. Dans le champ du langage oral, la psycholinguistique développementale, c’est-à-dire l’étude du développement du langage, demeure aussi un point fort des recherches en France. Les recherches sont conduites sur l’acquisition du langage parlé afin d’identifier les indices qui sont extraits dans le signal et qui constituent les unités d’élaboration des différents « mots » de la langue. Les travaux, basés initialement sur la sensibilité aux régularités statistiques et aux propriétés rythmiques permettant d’identifier les mots, se sont élargis au développement des mécanismes reliés à la compréhension, notamment syntaxique.

Les questions reliées à la communication, incluant les questions de prédiction et d’activités conjointes et collaboratives, sont émergentes. Dans ce cadre, une évolution importante a trait à l’intégration de dimensions cognitives non purement linguistiques, telles que les émotions, l’attention, les fonctions exécutives, etc. Les questions liées au bilinguisme et à l’apprentissage des langues secondes, connaissent un certain développement – aussi via les travaux menés par les unités relevant prioritairement de la section 34 et secondairement de la section 26, bien qu’encore fortement en deçà de l’importance de ce thème au plan international.

4. Développement et apprentissage

Les chercheurs des différentes unités de recherche, en combinant des approches comportementales et de neuroimagerie de pointe chez l’enfant et l’adolescent, contribuent à l’élaboration de modèles théoriques du développement neurocognitif, affectif, moteur ou socio-émotionnel de l’enfant, de l’adolescent et du jeune adulte qui sont très largement diffusés à l’international. Les chercheurs des unités CNRS sont également à la pointe des recherches sur les compétences implicites que possède le nourrisson sur le monde et les mécanismes qui lui permettent d’acquérir de nouvelles compétences. En complément de ces recherches sur le développement neurocognitif, affectif, moteur ou socio-émotionnel de l’enfant et de l’adolescent, les chercheurs des unités CNRS ont contribué à l’émergence des travaux sur l’apprentissage implicite et ont proposé des modèles théoriques originaux qui permettent de repenser les rapports entre conscience, mémoire et apprentissage. Ces travaux, qui pour une grande part s’inscrivent dans le cadre général du statistical learning, visent à étudier la part des apprentissages qui émerge par détection des régularités statistiques et la part qui nécessite un investissement attentionnel important.

5. Cognition sociale & régulation sociale du comportement

La cognition sociale renvoie aux processus cognitifs impliqués dans les réponses aux comportements de nos congénères, et plus généralement dans le comportement social. Ce courant de recherche, qui trouve son origine dans le champ de la psychologie sociale et l’étude de la perception des objets sociaux, fait partie intégrante aujourd’hui de tous les domaines d’étude de la psychologie et des neurosciences. Dans le champ de la psychologie sociale, la cognition sociale s’est progressivement orientée vers la prise en compte des processus implicites ou automatiques, tendance qui ne cesse de se renforcer. L’étude de la cognition sociale contribue grandement à la compréhension des retombées des évolutions sociétales récentes, comme par exemple de certaines conséquences politiques des mouvements migratoires des populations, de l’adhésion aux théories du complot, ou encore de la nécessité de favoriser des changements attitudinaux et comportementaux à grande échelle afin de favoriser la préservation de l’environnement. L’essor de la technologie et de l’intelligence artificielle a par ailleurs impulsé l’étude de la cognition sociale en rapport avec des agents non-humains. On a ainsi pu voir se développer la thématique de la « robotique sociale » dans plusieurs unités.

Depuis plusieurs années, on constate un intérêt croissant pour les déterminants sociaux et psychosociaux de la cognition et du fonctionnement cérébral chez l’homme et l’animal. Dans ce cadre, des efforts particuliers ont été fournis pour aller au-delà de l’étude des situations d’observation de stimuli sociaux et s’orienter vers des situations de véritable interaction. Par ailleurs, plus spécifiquement dans le champ de la psychologie sociale, sont pris en compte des facteurs d’un niveau d’analyse relativement macroscopique, tels que l’appartenance aux différents groupes sociaux (de genre, de statut socio-économique, de groupe ethnique, entre autres), qui sont autant de sources d’influence culturelle. Ces études ont montré entre autres comment ces facteurs pouvaient impacter la façon d’appréhender certaines situations, telles que par exemple des situations d’évaluation, et par là le fonctionnement et la performance cognitive. Des recherches se sont aussi saisies des évolutions ou problématiques sociétales récentes, comme par exemple le processus de radicalisation ou encore l’objectification sexuelle (et plus largement la déshumanisation). À l’heure du numérique, des chercheurs examinent les antécédents et conséquences de l’utilisation intensive des nouvelles technologies et des réseaux sociaux (par exemple, le cyber-harcèlement, la construction des identités numériques), qui sont eux-mêmes en constante évolution. En parallèle s’élaborent des modélisations des dynamiques sociales collectives au sein de ces nouveaux espaces, qui produisent par ailleurs quotidiennement une masse de données comportementales jusqu’alors inégalée. Enfin, on a vu également se développer une psychologie sociale du vieillissement cognitif et de la santé.

6. Éducation

L’ensemble des travaux menés dans les différentes UMR a aujourd’hui un impact important pour la compréhension des mécanismes cognitifs, sociaux, émotionnels et affectifs qui sont engagés dans les apprentissages scolaires en primaire, au collège, au lycée et à l’université. Les chercheurs de ces UMRs en interaction directe et forte avec la communauté éducative mènent des recherches de pointe et d’avant-garde en psychologie des apprentissages et de l’éducation qui ont pour objectif de contribuer à l’amélioration du système éducatif en France et à l’étranger. Les travaux des chercheurs des unités ont par exemple contribué à mieux comprendre les processus neurocognitifs impliqués dans les apprentissages scolaires fondamentaux (lecture, écriture, mathématiques, raisonnement, argumentation) mais aussi dans l’acquisition de capacités exécutives, métacognitives, attentionnelles ou socio-émotionnelles (coopération, collaboration, empathie, théorie de l’esprit), mécanismes plus généraux impliqués dans tous les apprentissages scolaires. Ces recherches sont menées sur des populations d’enfants et d’adolescents neurotypiques ou présentant des troubles des apprentissages (dyslexie, dyspraxie, dyscalculie), du comportement (TDAH) ou neuro-développementaux (autisme). Ce champ de recherche contribue également via des essais contrôlés randomisés, menés dans les écoles, à très large échelle (plusieurs milliers d’enfants ou d’adolescents) à évaluer finement, comme en médecine, les effets d’interventions ciblées, sur les apprentissages d’enfants et d’adolescents avec ou sans troubles du développement et des apprentissages. Ces travaux permettent pour la première fois d’apporter des réponses concrètes à la réduction des inégalités éducatives. L’ensemble de ces travaux combinant des méthodes comportementales, de modélisation et de neuroimagerie contribuent à faire émerger au CNRS les nouvelles sciences de l’éducation ou neuroéducation à l’interface des sciences humaines et sociales (INSHS), de la biologie (INSB), et de la modélisation (INS2I).

7. Psychologie économique

Des unités et des chercheurs relevant de la section 26 sont engagés dans des recherches frontalières avec la section 37 « économie et gestion ». Ces recherches empruntent les protocoles de l’économie expérimentale (e.g. jeux économiques, marchés expérimentaux, décisions financières), tout en y associant des traitements ou des mesures issues de la psychologie expérimentale, ou en les conjuguant avec des méthodes d’imagerie cérébrale. L’objectif de ces travaux de psychologie économique ou de neuro-économie est souvent d’élucider les mécanismes cognitifs ou les substrats cérébraux qui sont postulés mais non explorés par les modèles d’économie comportementale. Il est ainsi possible, par exemple, d’évaluer la spécificité avec laquelle le cerveau évalue les récompenses financières, ou bien d’identifier les mécanismes cognitifs qui permettent l’établissement de la coopération économique entre agents humains ou non-humains. Ces recherches bénéficient souvent de la proximité spatiale avec des unités de recherche en économie déjà largement engagées dans les pratiques expérimentales.

8. Évolutions méthodologiques

À travers ces exemples d’avancées dans différentes thématiques, se dégagent des évolutions transversales importantes au niveau des outils et des méthodes. On note en premier lieu l’intensification du couplage des mesures comportementales ou psychophysiques avec des indicateurs physiologiques. Cette évolution va de pair avec l’accroissement d’approches pluridisciplinaires et le développement de plateformes d’étude du comportement. L’utilisation des technologies du numérique a amené de nouvelles approches méthodologiques et expérimentales, aussi bien dans les investigations comportementales que neurophysiologiques. Ainsi, la modélisation informatique peut se faire à très grande échelle, autorisant le recueil de gros volumes de données, dont l’enregistrement et l’analyse n’étaient pas envisageables auparavant. C’est le cas par exemple avec le recours de plus en plus fréquent à des techniques sophistiquées d’enregistrement de variables comportementales et physiologiques, telles l’oculométrie et la neuroimagerie, qui génèrent d’importantes masses de données.

En parallèle, de nouvelles approches comportementales émergent via des procédures de collecte permises par les outils numériques ou les plateformes web (ex. Mechanical Turk), pouvant être associées aussi au recueil de données massives. Des travaux en modélisation computationnelle ou intelligence artificielle se sont développés par ailleurs aujourd’hui dans plusieurs unités de recherche. On note ainsi un essor important du machine learning, qui répond notamment aux besoins de traitement des données massives. Des nouvelles approches statistiques et un raffinement des analyses tendent également à se systématiser (inférences bayésiennes, puissance statistique a priori, analyses multiniveaux…). Ces approches statistiques font écho à une sensibilisation croissante à la question de la réplication et aux « bonnes pratiques ».

L’augmentation des études longitudinales ainsi que la mise en œuvre de recherches translationnelles (autour de la pathologie ou vers l’éducation) constituent également des évolutions marquantes des dernières années. Se multiplient aussi des travaux qui visent à la conduite d’une recherche dans un cadre plus « écologique ». Ce souci d’une approche plus proche des conditions naturelles, tout en maintenant un contrôle fin des conditions expérimentales, conduit par ailleurs à un développement des recherches s’appuyant sur les dispositifs d’environnement virtuel, dont plusieurs laboratoires sont maintenant équipés.

La discipline conduit depuis quelques années un auto-examen approfondi, qui ne cesse de la faire évoluer, notamment au niveau des pratiques méthodologiques. Ces efforts ont été impulsés principalement par les chercheurs dans le champ de la psychologie sociale, qui continuent à tracer la voie dans le développement de ces pratiques qui tendent aujourd’hui à se généraliser. Une tendance forte vers davantage de transparence et des pratiques plus fiables s’affirme. Ainsi, les bonnes pratiques méthodologiques sont de plus en plus appliquées : le pré-enregistrement des protocoles d’étude et des analyses statistiques planifiées avant la récolte des données, la prise en compte de la puissance statistique et de l’importance de la réplication, le partage ouvert avec la communauté scientifique du matériel utilisé et des données récoltées, pour n’en citer que quelques-unes. Si ces nouvelles contraintes nécessitent davantage d’anticipation et de temps investi que ce qui était le cas il y a quelques années, elles garantissent en contrepartie une plus grande fiabilité des résultats observés et une plus grande transparence de la démarche scientifique.

B. Domaines en régression et contraintes

Le développement important de recherches combinant mesures comportementales et physiologiques, se traduit par un recul relatif des approches strictement psychophysiques qui demeurent cependant essentielles à une compréhension complète des processus mentaux. Par ailleurs, l’accroissement des approches transdisciplinaires conduit à une diminution des études mono-disciplinaires. Dans le même temps, on constate un recul de certaines interactions entre la psychologie et d’autres disciplines des SHS comme la sociologie et l’histoire.

On notera enfin aujourd’hui, au sein des unités relevant de la section 26, une moindre représention de la spécialité ergonomie. Cette moindre visibilité s’explique en partie par un fractionnement sur plusieurs sections et instituts (INS2I) ainsi qu’une dilution de la psychologie ergonomique dans les recherches partenariales ou portant sur l’utilisation des nouvelles technologies, qui sont menées dans les autres spécialités.

Les évolutions thématiques et méthodologiques s’accompagnent de nouvelles contraintes. Principalement, l’utilisation d’outils de plus en sophistiqués et le développement de plateaux techniques conjuguant des techniques variées posent le problème de leur maitrise et de la gestion de leur fonctionnement. Dans ce cadre, les limites en potentiel humain qualifié, techniciens ou ingénieurs, constituent un frein important à la recherche. Ceci soulève aussi la question de la formation des étudiants qui intègre encore insuffisamment l’enseignement des nouvelles techniques. L’évolution des pratiques méthodologiques et statistiques impose également aujourd’hui le recueil de données sur des échantillons de participants beaucoup plus grands. Cette évolution, bien que positive et nécessaire, vient considérablement impacter la conduite des recherches (temps d’expérimentation, occupation des espaces, recrutement, coût financier…).

III. Neurosciences

Les neurosciences sont un ensemble de disciplines de la biologie qui ont pour objet commun l’étude du système nerveux et pour objectif de comprendre les bases neuronales du comportement et de la cognition. Les recherches menées par les chercheurs de la section 26 portent traditionnellement sur les grandes fonctions cérébrales comme la mémoire et l’apprentissage, le développement, la motricité ou encore la perception sensorielle. Cette recherche est renforcée par des évolutions méthodologiques avec un raffinement des approches multi-échelles ainsi que des approches d’enregistrements multimodaux en situation naturelle ou proche des conditions de vie réelle et le renforcement des études sur la cognition sociale, la prise de décision, les émotions et leur impact sur la cognition.

A. Faits marquants et enjeux sociétaux des neurocsiences

1. Apprentissage et mémoire

L’étude de la mémoire et de l’apprentissage reste un des thèmes de prédilection de la recherche en France dans le domaine des neurosciences. Elle s’est enrichie d’approches translationnelles en imagerie et neuromodulation transcrânienne (e.g. IRMf, EEGhd, rTMS, tDCS) et de manipulations génétiques de plus en plus sophistiquées. Parmi les concepts émergents, «  l’embodied cognition » a fortement élargi le champ d’investigation du neurone vers ses interactions avec la glie, le système vasculaire et le microbiote. Il y a aussi un véritable engouement pour étudier l’influence de l’environnement notamment en ce qui concerne l’impact des expériences ou modes de vie, de la nutrition ou des relations sociales. On constate une ré-émergence importante de l’épigénétique du comportement dans des conditions physiologiques ou pathologiques (stress post-traumatique ou prénatal, maltraitance…). L’attente sociétale et la pression de valorisation de la recherche fondamentale stimulent fortement les travaux sur les déficits cognitifs les plus précoces, les processus de compensation et leurs origines physiopathologiques dans les maladies neurodégénératives (Alzheimer, Parkinson…). De façon générale, le développement de nouveaux concepts de neuropathologie et l’identification de biomarqueurs précoces au stade prodromal constituent désormais les fondements d’une démarche résolument tournée vers l’innovation et la découverte de nouvelles cibles thérapeutiques pour les affections neurologiques en mal de thérapies curatives. La recherche chez l’animal bénéficie des progrès du génie génétique pour le marquage, la modulation et le suivi de l’activité d’assemblées neuronales spécifiques, voire de neurones individuellement identifiés (manipulation génétique, optogénétique, imagerie calcique) qui permettent notamment de passer du concept d’engramme à la trace physiologique in vivo laissée par le traitement d’une information mnésique, ou de progresser enfin dans la compréhension du rôle de la neurogenèse développementale et adulte dans les processus d’apprentissage et de mémoire au cours de la vie.

2. Le développement

L’étude du développement se retrouve à la fois dans le domaine des neurosciences et de la psychologie, chez l’homme et l’animal. Les travaux chez le bébé couvrent de nombreux champs des neurosciences intégratives et cognitives depuis les couplages précoces perception-action, fondamentaux pour la construction des modèles internes et des apprentissages jusqu’à la cognition sociale avec la perception des visages, le langage et la conscience. L’attention et les fonctions exécutives restent des incontournables du développement cognitif, en lien avec l’étude des apprentissages des règles de grammaire et de calcul. Il est à noter un regain d’intérêt pour l’exploration des liens qui unissent langage et sensorimotricité, qui s’inscrit dans la progression du courant de la cognition incarnée. Les sciences développementales ont développé des paradigmes comportementaux adaptés à l’exploration cérébrale (EEG et fNIRS) pour tester les enfants tout au long de l’ontogénèse, y compris les plus jeunes, grâce à la mise en place de protocoles préverbaux au sein de babylabs implantés dans les laboratoires ou directement en maternités.

Aux études qui explorent les périodes de transition au cours de la petite enfance et de l’enfance, se sont légitimement imposées les études sur la période critique de l’adolescence. L’adolescence est caractérisée par un bouleversement hormonal à la puberté, et la maturation tardive des régions corticales impliquées dans le contrôle exécutif et la cognition sociale. Le déficit de contrôle et de rationalité, l’importante impulsivité et la sensibilité excessive aux récompenses et addictions, pourraient s’expliquer par le déséquilibre entre un système sous-cortical mature et un système cortical dont la maturation cérébrale tardive se poursuit encore après 20 ans. Les données chez le rongeur ont permis de poser ou renforcer de nombreuses hypothèses neurobiologiques de l’adolescence humaine sur les plans comportemental, hormonal et neuronal.

La recherche développementale typique en neurosciences est très étroitement associée aux modèles neuro-développementaux issus des données cliniques, épidémiologiques, génétiques et des modèles animaux. Le recours à la modélisation en intelligence artificielle et réseaux profonds pour explorer au mieux les données développementales typiques et atypiques, constitue une nouvelle avancée méthodologique. Enfin, les nouvelles tendances préconisent l’intégration épigénétique et systémique des interactions entre phases de développement et contexte environnemental. Ceci nécessite une approche multidisciplinaire à la croisée de l’INSB et de l’INSHS, et la constitution de cohortes à grande échelle, avec suivi à long terme, qui permettent à la fois les études transversales, et longitudinales, pour déterminer l’impact des anomalies développementales tout au long de l’ontogénèse, y compris à l’âge adulte et au cours du vieillissement.

3. Motricité

Comportements essentiels à l’exploration de l’environnement physique et social, dès le plus jeune âge, les comportements moteurs jouent un rôle essentiel de dialogue entre l’individu et son milieu. Directement observables et quantifiables dès la naissance, les comportements sensorimoteurs sont les résultats de nombreux processus complexes d’intégration, de représentation, de planification et d’exécution, aussi bien au niveau cérébral que spinal. L’étude des comportements moteurs inclut une diversité de modèles (oculomotricité, posture et locomotion, coordination bimanuelle, saisie) étudiés autant chez l’homme (biomécanique, bases neurales, approche naturalistique, modélisation et robotique), que chez l’animal (préparations réduites de moelle épinière, réseaux locomoteurs, approche cellulaire, modèles génétiques).

La compréhension des représentations du corps en action, autrement dit le schéma corporel, s’appuie sur des modèles variés tels que l’ontogenèse, les pathologies proprioceptives et vestibulaires et la microgravité. Une approche en milieu écologique ou « naturalistique » s’attache à démontrer l’influence du contexte social, motivationnel, émotionnel et des environnements extrêmes, sur les performances motrices humaines, les expertises et les adaptations au cours des différentes périodes de la vie ou encore lors de diverses pathologies traumatiques ou neurodégénératives. Des living lab ou street lab ont été mis en place afin de reproduire des environnements réels (petit appartement) ou virtuels pour évaluer, en conditions écologiques, les difficultés induites par une pathologie, un handicap ou le vieillissement. De façon complémentaire, des systèmes embarqués sur le sujet lui-même ou dans son environnement et des études en « Ecological Momentary Assessment » (EMA) permettent de recueillir le comportement locomoteur dans lequel l’individu évolue naturellement au quotidien et de monitorer l’état du sujet à l’aide d’outils connectés du quotidien.

La compréhension des bases neurales du contrôle moteur s’appuie également sur l’utilisation de modèles animaux plus simples (drosophile, aplysie, écrevisse, lamproie, amphibiens, rongeurs…). Ces études dissèquent l’intimité du circuit, en caractérisant la neuro-modulation, la plasticité synaptique consécutive aux apprentissages et aux processus post-lésionnels. Ces modèles permettent de comprendre les mécanismes de dynamiques des réseaux, notamment locomoteurs, qui s’appliquent à une approche comportementale de la motricité chez l’homme. Ils permettent aussi d’appréhender le rôle spécifique de chacun des éléments du réseau, ouvrant ainsi de nouvelles voies thérapeutiques pour les pathologies neurodégénératives ou post-traumatiques.

Enfin, l’étude des comportements moteurs, inspirée des approches cellulaires ou biomécaniques trouvent naturellement des applications en modélisation et en robotique, telles que l’implémentation sur des robots volants de stratégies de navigation spatiale issues de la recherche chez l’insecte ou encore le développement d’exosquelettes et d’interfaces cerveau-machine pour suppléer aux carences fonctionnelles engendrées par le handicap moteur.

4. Fonctions sensorielles

La plupart des modalités sensorielles (vision, audition, olfaction, gustation, toucher, perception vestibulaire) font l’objet d’études visant à comprendre comment le système nerveux détecte les stimuli physiques ou chimiques, les transforme en activité neuronale (transduction) et traite ces informations de bas niveau pour en extraire des informations de niveau supérieur (par exemple, reconnaissance d’objets) mais aussi combine les informations provenant de modalités sensorielles différentes pour créer des représentations multimodales.

L’étude des fonctions sensorielles met en jeu une approche multidisciplinaire alliant des mesures comportementales en réponse à des stimulations sensorielles contrôlées, des enregistrements électro- ou optophysiologiques périphériques ou centraux chez l’animal, des interventions électriques, pharmacologiques ou optogénétiques, des approches d’imagerie cérébrale chez l’homme et des approches computationnelles ou psychophysiques. L’extraordinaire développement des techniques d’enregistrement permet maintenant de mesurer simultanément, pendant de longues périodes de temps, l’activité de très nombreuses unités neuronales en électrophysiologie (multiélectrodes) ou de volumes entiers de cerveau en imagerie. Ces enregistrements massifs de l’activité neuronale rendent les approches computationnelles et la modélisation indispensables pour comprendre le fonctionnement des réseaux neuronaux impliqués dans les processus perceptifs.

La recherche sur les fonctions sensorielles implique différents niveaux d’étude : (i) la compréhension des phénomènes moléculaires de transduction, de la structure et du fonctionnement des protéines impliquées, des phénomènes de modulation périphérique ; (ii) la compréhension des règles de codage neuronal, incluant les traitements neuronaux de bas niveau par le biais des circuits récurrents locaux ; (iii) le traitement parallèle et l’intégration d’informations sensorielles acquises simultanément (différents éléments d’une scène visuelle et/ou au cours du temps perception du mouvement) à différentes échelles le long de la hiérarchie des systèmes sensoriels ; (iv) les multiples interactions entre structures cérébrales ; (v) l’intégration multisensorielle. Actuellement, la question de l’intégration multi-sensorielle est en forte expansion, que ce soit au niveau cortical ou sous cortical chez les mammifères, ou au sein des centres supérieurs du cerveau des insectes.

Les recherches sur les systèmes perceptifs s’inscrivent souvent dans une perspective comparative, du fait des importantes similitudes d’architecture neuronale des systèmes sensoriels et de leurs principes de fonctionnement observés tout au long de l’évolution. Cette approche comparative joue un rôle fondamental dans le développement des stratégies biomimétiques accompagnant le développement des robots autonomes.

Les études expérimentales du fonctionnement des systèmes perceptifs jouent un rôle majeur dans le développement des travaux visant à compenser, chez l’Homme, les déficiences sensorielles liées au handicap et au vieillissement normal ou pathologique. L’objectif est de développer des méthodes pour tenter d’activer artificiellement les circuits neuronaux sensoriels, en court-circuitant les zones pathologiques et en se rapprochant le plus de l’activation naturelle. Il s’agit aussi d’estimer les conséquences en termes de réorganisation des circuits cérébraux de la mise en place de prothèses (implants cochléaires pour l’audition, rétines artificielles pour la vision) ou de l’utilisation de dispositifs de suppléance sensorielle (visuo-tactile, visuo-auditif, etc.). Ces travaux interrogent alors les capacités de plasticités structurelle et fonctionnelle de nos systèmes perceptifs en réponse à une activation non naturelle mais également dans les interactions perception-action par le biais de systèmes de réalité virtuelle ou de réalité augmentée.

5. Prise de décision et cognition sociale

Les comportements de choix nécessitent la prise en compte de plusieurs variables décisionnelles telles que l’utilité, l’incertitude, le temps ou l’effort. Ces variables se combinent pour définir la valeur subjective de chaque option ou action considérée. Ce processus est basé sur l’apprentissage préalable d’actions antérieures, apprentissage qui permet d’estimer les récompenses (et punitions) attendues. Lorsqu’elles sont prises dans un contexte social, ces décisions peuvent impliquer une réflexion stratégique sur les intentions d’autrui et sur l’impact des comportements effectivement engagés sur la base de ces intentions. Le choix est également influencé par différentes émotions qui servent à réguler nos décisions de manière adaptative afin, par exemple, de nous protéger des prises de risque excessives, de nous tenir à l’abri du regret ou d’éviter le rejet social et les conflits interpersonnels. Un grand nombre d’observations comportementales réalisées chez l’homme ont été confirmées chez l’animal (e.g. distorsions de probabilité, maximisation des taux de récompense à long terme ou aversion à l’inégalité). En accord avec la théorie économique plusieurs travaux récents réalisés tant chez le primate non humain (PNH) que chez les patients humains ont pu disséquer les mécanismes neuronaux impliqués dans la prise de décision ainsi que ses altérations. Les études de neuroimagerie chez l’homme et les données électrophysiologiques chez l’animal, ont contribué à l’identification des réseaux cérébraux activés lors de tâches d’évaluation de récompenses escomptées et de processus de choix. Dans leur ensemble, les résultats récents indiquent que les informations de récompense servant à sélectionner les stimuli pertinents et à orienter les comportements d’approche et d’évitement sont observées au sein d’un réseau cérébral largement distribué. Ces structures corticales (cortex préfrontal, cingulaire, pariétal, inférotemporal) et sous-corticales (striatum, amygdale, colliculus supérieur) sont impliquées dans l’intégration sensorielle ou motrice de haut niveau mais reçoivent également ces signaux de récompense.

Actuellement, on assiste à un intérêt pour les mécanismes de prise de décision mis en jeu par les situations sociales. L’accès aux ressources vitales nécessite l’instauration d’un climat de confiance et de coopération entre les partenaires. L’une des fonctions de l’information sociale réside dans sa nature intrinsèquement gratifiante. Le succès retentissant des applications d’échange de photos sur smartphone et des réseaux sociaux en ligne témoigne de la grande valeur que nous accordons à l’observation et à l’apprentissage de nos congénères. Ces approches se sont développées sur des modèles primates. Lorsqu’ils ont la possibilité de fournir de la nourriture ou d’éviter des stimuli déplaisants à leurs congénères, les singes expriment des tendances sociales variables, dépendantes du partenaire, mais prennent principalement des décisions pro sociales. Ainsi les animaux réticents à l’équité montrent une activité neuronale réduite aux récompenses « partagées » tandis que les animaux à la recherche d’équité montrent une activité neuronale accrue. Parmi les structures cérébrales étudiées, l’orbitofrontal semble apte à effectuer certaines de ces opérations neuronales impliquées dans les comparaisons sociales. Bien que l’échange de produits alimentaires puisse sembler assez rudimentaire par rapport à la complexité des échanges sociaux humains, les résultats obtenus chez le primate soulignent le rôle clé joué par certaines zones corticales préfrontales dans la régulation des mécanismes de base de la coopération et de la compétition.

6. Les émotions et leur impact sur la cognition

Les études centrées sur les réponses émotionnelles ont permis de délimiter les mécanismes et substrats cérébraux des émotions en tant que réactions ou réponses à des stimuli de l’environnement ou des événements internes. Un tournant a été franchi, lorsque les régions connues pour être impliquées dans les réponses émotionnelles se sont révélées être également impliquées lors de la perception des émotions exprimées par autrui. Cette découverte s’inscrit dans la continuité des systèmes miroirs moteurs impliqués dans l’exécution comme dans l’observation de l’action. Dès lors l’étude des émotions en neurosciences a été étendue à l’étude de la perception émotionnelle et a été étroitement liée à la perception sociale. Ceci a conduit à un développement important des travaux dans le domaine des neurosciences affectives et sociales et un recouvrement important entre cerveau émotionnel (perception et réponses émotionnelles, mémorisation d’associations entre stimulus et événement positif/négatif ou récompensant/aversif) et cerveau social (perception et représentation des personnes, cognition sociale) mettant alors les émotions au centre d’une perspective incarnée de la cognition.

L’étude des émotions est centrale en psychiatrie, où de nombreuses pathologies incluent des troubles émotionnels ou de la régulation des émotions, telles que la dépression, les troubles obsessionnels compulsif, la schizophrénie. Les dysfonctionnements émotionnels impliqués dans de nombreuses neuro-pathologies sont souvent présents aux stades les plus précoces des maladies, pouvant précéder les signes cliniques cardinaux. C’est le cas par exemple de la Chorée de Huntington ou de la maladie de Parkinson, où les difficultés socio-émotionnelles pourraient constituer des marqueurs précoces, permettant ainsi de raffiner les outils diagnostiques pour une meilleure prise en charge des patients.

Aujourd’hui l’étude des processus émotionnels se poursuit en interface étroite avec l’étude des processus de motivation et englobe des modèles animaux invertébrés. Chez l’humain, elle s’étend jusqu’aux étapes cognitives d’élaboration du ressenti et de régulation émotionnelle. Elle est en outre en lien avec l’étude des processus liés au soi : représentation de soi, régulation émotionnelle du soi, et conscience de soi. Les émotions sont des processus fondamentalement dynamiques et les études s’appuient sur les techniques classiques d’imagerie (IRMf etEEG-MEG) et le développement de méthodes d’intégration multimodales combinant activités centrales (cérébrales) et périphériques (conductance électrodermale, dilatation pupillaire, activités électromyographiques, activité cardiaque, etc.) et des approches en réalité virtuelle. Ainsi, l’étude des émotions et de leur influence sur la cognition, qui relevait principalement du champ de la psychologie – cognitive, sociale et clinique – est désormais centrale des neurosciences et devient un élément essentiel dans le champ de la robotique et des interfaces homme-machine.

7. Neurosciences computationnelles et IA

Les neurosciences computationnelles constituent un champ interdisciplinaire en forte expansion qui vise à comprendre ce que fait le système nerveux (modèles descriptifs), comment il le fait (modèles mécanistiques) et pourquoi (modèles interprétatifs). Par le biais de simulations, de modélisations ou d’approches plus théoriques, les neurosciences computationnelles opèrent à travers toutes les échelles, depuis la molécule, neurones et réseaux, jusqu’au comportement et la cognition, et elles permettent de lier ces différentes échelles, de comprendre comment elles interagissent et avec quelle dynamique. Ceci s’opère par un rapprochement de plus en plus important entre les neurosciences computationnelles et expérimentales, avec une réelle intégration des approches interdisciplinaires. Les données sont directement utilisées pour raffiner les modèles, et en retour les modèles permettent d’élaborer des prédictions testables expérimentalement débouchant également dans des approches où la boucle computationnelle-experimental-computationnel est fermée en temps réel.

Un premier cadre paradigmatique permet de quantifier et de comprendre le flux d’information dans le cerveau par le biais de modèles inférentiels de type bayésien par exemple. Des approches plus phénoménologiques, cherchent aussi à modéliser les transformations opérées par les réseaux de neurones en utilisant les progrès de la théorie de l’information. Un second cadre plus mécanistique, cherche à simuler le fonctionnement neuronal avec des modèles de réseaux de neurones réalistes prenant en compte les propriétés neuronales fines (dynamique des conductances synaptiques et extra-synaptiques) dans l’intégration de l’entrée synaptique au niveau neuronal ou du réseau. Les approches computationnelles se sont étendues à la modélisation de comportements ou de pathologies, faisant émerger de nouveaux domaines tels que par exemple, la psychiatrie computationnelle.

Des méthodes récentes d’apprentissage automatique, particulièrement performantes, rassemblées sous les termes « machine learning » ou “deep learning” jouent un rôle déterminant pour le développement de modèles du fonctionnement cérébral, le diagnostic des pathologies cérébrales ou le traitement de données massives. La capacité de l’intelligence artificielle de trouver des motifs dans des données complexes, multivariées et multi-échelles en fait un outil essentiel pour extraire une information pertinente des données en neurosciences et sciences cognitives. Ces outils permettent de comprendre comment des réseaux de neurones peuvent fonctionner, par exemple en démontrant à des tailles de simulation réaliste des fonctions sensorielles ou motrices. Cependant, face à la massification grandissante des données de neurosciences, l’optimisation de ces outils repose néanmoins sur la création de bases de données correctement indexées et des infrastructures logicielles adéquates qu’il reste à développer à l’échelle nationale. Ainsi neurosciences et intelligence artificielle sont intrinsèquement liées et se doivent de renforcer leurs échanges, les neurosciences pour interroger sur le fonctionnement cérébral et l’intelligence artificielle pour développer des approches plus efficaces.

8. Neurosciences naturalistiques

Les études en neurosciences, ont longtemps privilégié des contextes expérimentaux utilisant des animaux à faible niveau de variabilité génétique, des paradigmes comportementaux, chez l’Homme et chez l’animal, simplifiant le contexte de la vie réelle en termes de richesse sensorielle, d’interactions sociales, d’espace, d’activité physique, etc. Or, l’influence de l’environnement sur les expressions comportementales et l’ancrage des capacités cognitives au corps (embodied cognition) sont tels qu’une prise de conscience s’opère en faveur de la mise en place de contextes expérimentaux, sinon naturels, du moins naturalistiques reproduisant les conditions naturelles grâce à la réalité virtuelle et aux nouvelles technologies connectées. L’approche naturalistique permet l’étude de la variabilité interindividuelle qui peut se révéler être un outil puissant pour éclairer les liens entre comportement et représentation cognitive ou neuronale là où les neurosciences ont surtout cherché jusqu’à présent à extraire les principes communs de traitement de l’information. Similairement, les études interculturelles chez l’Homme participent à cet objectif de dégager les différences de représentations perceptives, cognitives et neuronales entre différentes populations. Autre limitation souvent appliquée en neurosciences, les stimuli sensoriels utilisés pour évoquer des réponses comportementales et cérébrales sont généralement beaucoup plus élémentaires et simples que les stimuli naturels. En olfaction par exemple, on connait mal la réponse du cerveau olfactif à des odeurs naturelles, les stimuli mono moléculaires et plus rarement des mélanges très simples ayant été généralement utilisés. En vision, un nombre croissant d’études montrent que le système visuel opère dans un régime intrinsèquement différent avec un stimulus naturel (activation éparse et précise) par rapport aux stimuli élémentaires couramment utilisés (activation massive et peu précise). De plus, la plupart des sens sont dits actifs et impliquent un mouvement des récepteurs (en vision, olfaction, toucher, goût) qui changent drastiquement l’intégration et la représentation de l’information sensorielle. L’utilisation de stimuli écologiques pourrait démasquer des éléments cruciaux du code neuronal du stimulus et des comportements associés à sa perception.

B. Modèles animaux et domaines en régression

1. Quels modèles pour quelles questions ?

Avec l’essor des outils génétiques pour le contrôle et la mesure de l’activité neuronale ciblée, le modèle souris devient le modèle principal en neurosciences. Cependant ce modèle n’est pas systématiquement le modèle adéquat pour répondre à toutes les questions, en raison de ses caractéristiques éthologiques et de son éloignement phylogénétique avec l’homme. D’une manière générale, il est important d’utiliser le modèle animal adapté éthologiquement à la fonction étudiée. Par exemple, le chat et le primate non-humain ont longtemps été les deux modèles phares pour l’étude de la vision, car ces animaux car ces animaux ont la vision comme sens principal mais aussi, pour le PNH, en raison de sa proximité avec l’homme. Depuis 10 ans le modèle souris dépasse tous les autres modèles alors que la souris utilise très peu sa vision (préférant l’olfaction et le sens somato-sensoriel, notamment vibrissal) et que l’organisation de son système visuel est rudimentaire et intrinsèquement différente de celui des primates en termes de connectivité, de représentation corticale et de résolution. Le modèle rongeur sera donc un bon modèle en vision pour l’étude des petits réseaux de neurones pour l’intégration de l’information visuelle vu de manière générique, mais un mauvais modèle pour comprendre l’émergence de la fonction visuelle en tant que telle.

Des enregistrements multi unitaires de l’activité neuronale chez l’animal en comportement peuvent être désormais couplés à des modulations par opto- ou chémo-génétique de l’activité neuronales ciblées par génie génétique et/ou le traçage fin des projections de ces neurones. Ces approches, par la collecte simultanée d’informations sur l’activité et la connectivité neuronales ouvrent de nouvelles perspectives d’accès au code neuronal et renouvellent l’intérêt de l’utilisation des modèles rongeurs sur lesquels elles ont été mises au point et ont donné des résultats importants. Les méthodes d’opto/chemo-génétiques sont maintenant développées chez le primate qui reste un modèle de choix pour la recherche en neurosciences cognitives.

2. Le primate non-humain

Par leur proximité génétique, physiologique et comportementale avec l’homme, les primates non-humains constituent un modèle animal essentiel aux recherches fondamentales et translationnelles en Neurosciences. Les modèles PNH, macaque et marmouset, sont particulièrement déterminants pour la compréhension de processus complexes mettant en jeu des systèmes fonctionnels organisés de manière spécifique chez les primates tels que le contrôle moteur, les processus motivationnels, les processus sensoriels, multi-sensoriels et attentionnels, les fonctions mnésiques et exécutives, la cognition sociale et le développement cérébral. En complément direct avec l’étude du cerveau chez l’Homme par des méthodes non-invasives les modèles PNH permettent l’utilisation de techniques d’explorations fonctionnelles présentant de biens meilleurs niveaux de résolution spatiale et temporelle. En France, malgré une longue tradition de recherche, notamment en Neurosciences, la structuration de la recherche sur le modèle PNH reste récente et portée par le GDR BIOSIMA nouvellement créé qui augure d’une prise de conscience de la nécessité de développer une stratégie nationale sur la recherche PNH.

3. Domaines en régression et craintes

Il est clair que nous avons assisté à une évolution technologique massive durant ces dernières décades que ce soit dans le domaine de l’imagerie, de la neuro-ingénierie, des méthodologies de neuro-génétique ou d’analyses de données de masse qui ouvrent des perspectives d’investigation immenses. Cependant, cette évolution technologique necessite de plus en plus de moyens financiers notemment au travers d’un coût grandissant des plateformes en termes d’équipement et de moyens humains qui se doivent d’être assurés de façon pérenne.

Parmi les secteurs qui semblent marquer le pas, certaines craintes apparaissent en ce qui concerne l’anatomie fonctionnelle et les expertises en histologie mais également l’électrophysiologie sur l’animal éveillé. Ce point apparaît paradoxal dans un contexte ou l’électrophysiologie unitaire chez l’homme au travers des enregistrements intra-craniens devient une approche qui se généralise dans l’étude des fonctions sensorielles et cognitives chez l’homme en situation contextualisée.

Conclusion

Tout d’abord, nous souhaitons préciser que ce rapport ne se veut en aucun cas comme exhaustif de l’ensemble des recherches menées dans les laboratoires de la section. Nous avons voulu principalement insister sur les approches en émergence et les interactions entre les trois disciplines phares qui font de la section une véritable section interdisciplinaire.

En effet, de par son caractère résolument multidisciplinaire, la section 26 se retrouve au centre de plusieurs enjeux sociétaux. Ainsi, l’étude des dysfonctionnements des grandes fonctions cérébrales constitue actuellement un enjeu sociétal et économique majeur dans un contexte d’allongement de l’espérance de vie, mais également dans une optique de réduction de la prévalence des pathologies mentales (neurologiques et psychiatriques), y compris au cours du développement. Il s’agit là d’un défi particulièrement important à relever sachant que le coût en France des pathologies du cerveau s’élève annuellement à plus de 100 Md€. Ainsi, pour répondre à ce défi, à l’interface entre la recherche fondamentale et clinique, le développement de modèles animaux adaptés reste central aux approches développées. La section 26 est attachée à une approche non anthropocentrée de la recherche en science cognitive et du comportement. Par ailleurs, au-delà des questions de santé, les travaux conduits au sein de la section répondent à de multiples enjeux sociétaux, avec des implications dans divers domaines, tels que l’éducation, l’économie, ou encore des problématiques liées à l’évolution de la société les nouvelles technologies ou le bien-être animal. Enfin, la complexité du système nerveux central impose de nouveaux cadres conceptuels issus de synergies entre chercheurs en neurosciences intégratives, mathématiques et physique et s’appuyant sur la modélisation des processus. Les neurosciences computationnelles, combinant données expérimentales et théoriques, ouvrent de larges perspectives dans le développement de l’intelligence artificielle et des interactions homme-système centrées sur les sciences cognitives.

Pour alimenter ce rapport de conjoncture, nous avons interrogé directement les directeurs d’unités et responsables d’équipes des laboratoires de la section, sur l’état des lieux de la discipline, leur vision des évolutions à venir et leurs craintes quant à leur domaine et leur pratique de recherche. Dans les réponses obtenues, il est reconnu de façon quasiment unanime que la recherche développée en France porte en elle une spécificité et une reconnaissance internationale avérées. Cependant, outre les freins notoires liés au manque patent de moyens financiers et humains, qui sont communs à l’ensemble des laboratoires du CNRS et autres EPST et sur lesquels nous ne reviendrons pas, plusieurs entraves à la progression de l’ensemble des différentes disciplines de la section ont été identifiées de façon récurrente. En premier lieu il existe un constat unanime que les procédures liées aux réglementations d’éthique des approches expérimentales chez l’homme et chez l’animal, présentent une complexité et des délais de traitement qui impactent de façon significative l’avancée des projets de recherche. Par exemple, des contraintes entourent aujourd’hui les recherches, pourtant non-interventionnelles, utilisant des techniques de recueil avec capteurs extracorporels (EEG, EMG…) qui sont très couramment employées en psychologie. Ainsi l’ambiguïté concernant la qualification par les comités d’éthique des protocoles de recherche strictement comportementaux en psychologie est une source d’incertitude (les CER renvoient parfois vers un CPP) qui pèse sur la mise en œuvre de la recherche. Si tout le monde s’accorde sur la nécessité d’une recherche cadrée éthiquement, il devient crucial que ces contraintes administratives soient dotées d’une certaine flexibilité nécessaire à une recherche scientifique expérimentale réactive, dans un contexte de forte compétition internationale, et que, pour le moins, il y ait un renforcement des structures d’accompagnement mises en place par le CNRS et les autres EPST.

Plusieurs responsables s’inquiètent que les moyens très contraints des universités ne permettent pas de répondre de manière satisfaisante à l’ensemble des besoins de la communauté tout en relevant le rôle crucial et la mission de formation des laboratoires et des chercheurs auprès des jeunes étudiants chercheurs, dans leur spécialisation, au délà du socle donné par les masters. Il est ainsi proposé de renforcer les formations universitaires axées sur l’interdisciplinarité en favorisant l’accès à une formation en neurosciences d’étudiants formés initialement dans d’autres disciplines (ingénierie, mathématique, physique…) en tenant compte des spécificités propres à chaque site pour former les étudiants et futurs chercheurs potentiels au décloisonnement des recherches menées dans la section. On note également une inquiétude concernant l’attractivité de filières en psychologie, axées sur les approches expérimentales et cognitives, au profit de cursus perçus comme plus professionnalisant. De façon similaire, les domaines basés sur l’expérimentation animale, qui reste un sujet d’opinion sensible, éprouvent certaines difficultés à attirer des étudiants. Enfin, à ces difficultés de recrutement d’étudiants, dont l’origine peut au final s’expliquer par des perspectives professionnelles réduites, de nombreux responsables s’inquiètent d’un manque d’attractivité vis-à-vis des chercheurs post-doctorants. Une raison probable est le niveau des salaires proposés n’est pas compétitif à l’échelle internationale. Ce constat, qui s’applique probablement à d’autres sections du CoNRS, est particulièrement criant pour les chercheurs formés aux neurosciences computationnelles qui trouvent dans les groupes privés exploitant l’Intelligence Artificielle des perspectives de carrières beaucoup plus lucratives.

Enfin, la section 26 s’associe aux différentes motions déposées par le Comité National et s’inquiète de la détérioration des conditions de la recherche dans ses laboratoires. Cette dégradation concerne les moyens humains insuffisants en termes de support à la recherche et également la diminution des subventions récurrentes au profit de financements par appels d’offres qui s’avèrent insuffisants au regard du faible taux de réussite. Enfin, la section 26 dénonce la diminution dramatique du recrutement de chercheurs CRCN qui conduira à un départ de ces jeunes chercheurs vers d’autres pays ou d’autres carières et qui participera inéxorablement à l’appauvrissement de la recherche dans les domaines de l’ethologie, de la psychologie et des neurosciences.

ANNEXE 1

En complément de ce rapport il est conseillé de consulter l’ouvrage « Le Cerveau en Lumière » aux éditions Odile Jacob édité à l’initiative de l’ITMO Neurosciences, Sciences Cognitives, Neurologie, Psychiatrie (Dir B. Poulain et E. Hirsh) de l’Alliance Nationale pour les Sciences de la Vie et de la Santé (AVIESAN).