Rapport de conjoncture 2019

Section 15 Chimie des matériaux, nanomatériaux et procédés

Composition de la Section

Antoine Maignan (président de Section) ; Doïna-Margareta Gordin (secrétaire scientifique) ; Jean-Luc Adam ; Silvère Akamatsu ; Florence Babonneau ; Catherine Bessada ; Thierry Chartier ; Marie-Vanessa Coulet ; Bernard Dussoubs ; Philippe Falque ; Corinne Gerardin ; Marie Guignard ; Abel Haidoux ; Olivier Joubert ; Houria Kabbour ; Mario Maglione ; Carlo Massobrio ; Philippe Miele ; Dominique Poquillon ; Olivier Toulemonde ; Claudia Zlotea.

Résumé

Pluridisciplinarité, adaptabilité et engagement sociétal constituent sans aucun doute les points forts les plus remarquables de l’ensemble des thématiques de la section 15 qui vont de la synthèse à l’objet en passant par le procédé, la caractérisation avancée et la modélisation des matériaux. Dans le présent rapport de conjoncture, nous analysons ces différents thèmes et leurs évolutions récentes. En particulier, nous insistons sur le besoin d’une recherche exploratoire de nouveaux matériaux de pointe, étape indispensable vers l’innovation, comme par exemple la découverte de matériaux pour l’énergie, point fort de la section, avec les matériaux pour le stockage électrochimique, pour la filière hydrogène ou pour la réduction du bilan CO2. La multifonctionnalité souhaitée pour tous ces nouveaux matériaux repose sur des compétences uniques en chimie du solide, chimie des matériaux hybrides, métallurgie et thermodynamique. Cette science des matériaux inorganiques s’appuie sur ses interfaces avec la physique du solide et l’ingénierie, et également de plus en plus fréquemment avec la chimie moléculaire, les polymères, la matière molle et la biochimie. En termes d’évolution, la synthèse de matériaux en films minces par chimie combinatoire (« pulsed laser deposition » et « atomic layer deposition ») prend un essor important de même que les procédés de fabrication additive – métalliques ou céramiques – ce qui fédère des communautés toujours plus larges.

De même, les performances des techniques de caractérisation des matériaux in situ voire operando offrent toujours plus de possibilités pour comprendre la formation des matériaux et leurs propriétés structurales et fonctionnelles en conditions opérationnelles. Toutes ces recherches s’appuient ou sont guidées par la modélisation et le « machine learning » est appelé à prendre de plus en plus de poids au sein de notre communauté.

Ces recherches exploratoires menées par les 315 chercheurs et chercheuses de la section (effectif 2019), principalement dans les laboratoires de l’INC mais aussi de l’INP (49 chercheurs) et de l’INSIS (12 chercheurs) s’inscrivent dans les enjeux sociétaux définis dans le programme Horizon Europe comme « climat, énergie et mobilité ». Les grandes infrastructures de recherches et réseaux européens sont essentiels quant à leur réalisation – synchrotrons, sources de neutrons, RMN, MET, centres de calculs… La fermeture du réacteur Orphée (diffusion et diffraction de neutrons) constitue donc une menace pour notre communauté.

Pour l’avenir, cette recherche doit être re-dynamisée pour être rendue plus attrayante aux yeux des futurs chercheurs grâce à des soutiens plus forts en termes de formation, via les moyens alloués aux laboratoires et aussi par des taux de succès plus importants aux appels à projets. De ce point de vue, la baisse de l’emploi scientifique constitue un risque majeur de disparition des aspects exploratoires au profit d’une recherche plus appliquée, pilotée uniquement par les ressources financières. Dans un contexte de compétitivité mondiale exacerbée, comme par exemple dans les matériaux quantiques nécessaires à la montée en puissance des calculateurs quantiques ou encore dans l’intelligence artificielle et le « deep learning » pour prédire et/ou identifier des matériaux toujours plus performants, les orientations en termes de recherche en « science des matériaux » devront faire l’objet de concertations plus larges que celles menées dans la section et au sein de l’INC.

Introduction

Les activités de la section 15 « Chimie des Matériaux, Nanomatériaux et Procédés » trouvent leur fondement dans la chimie du solide et de la matière condensée, la thermodynamique, pour synthétiser des matériaux inorganiques. Ce socle commun permet l’étude expérimentale, théorique et numérique de matériaux d’une grande diversité tant par leur nature (alliages métalliques, oxydes, non-oxydes, architectures hybrides, biomatériaux), que par leur structure (ordonnée ou désordonnée), par leurs propriétés (optiques, électroniques, ioniques, magnétiques, mécaniques, thermiques) et par leur forme (massif, film mince, nanostructuré, divisé). La section 15 est de ce fait très réactive à l’émergence de thématiques basées sur de nouveaux matériaux et en lien avec des enjeux sociétaux forts tels que l’énergie durable, la santé, l’environnement ainsi que les technologies de l’information et de la communication.

Les compétences des membres de la section 15, qui s’étendent de la synthèse à l’objet en passant par le procédé, la caractérisation et la modélisation, sont synonymes d’innovation. La première source d’innovation réside dans la recherche exploratoire de matériaux dont la conception passe par des méthodes de synthèse et d’élaboration originales, la mise à profit de données existantes, et la modélisation à toutes les échelles qui sert de guide à cette recherche. La seconde source d’innovation se trouve dans les méthodes de caractérisation structurale ainsi que dans la compréhension des propriétés physiques. Ces travaux s’appuient sur des techniques de pointe en imagerie, en diffraction et en spectroscopies. Les chercheurs de la section sont ainsi fortement impliqués dans le développement instrumental tant au niveau du laboratoire qu’au travers de réseaux nationaux ou de très grandes infrastructures de recherche. Enfin, l’optimisation des matériaux et des procédés, en vue d’applications industrielles, est une précieuse source d’inspiration et de motivation.

La recherche menée au sein de la section 15 est donc éminemment pluridisciplinaire et transversale ce qui la place en position d’excellence pour l’émergence de nouvelles thématiques (matériaux quantiques, alliages à haute entropie, composites thermo-structuraux bio-sourcés, matériaux bio-inspirés…) et de nouveaux procédés (techniques à base de poudres, procédés numériques, dépôts de films minces).

Nous avons choisi dans le présent rapport de tout d’abord présenter la partition thématique des activités de la section suivie, dans le chapitre 2, d’une description des évolutions thématiques récentes. La répartition géographique et l’évolution récente des effectifs sont discutées dans le chapitre 3 avec un focus particulier sur la place des femmes. Une recherche exploratoire forte, inscrite dans les gènes de la section 15, est la condition préalable à toutes les grandes découvertes récentes liées aux matériaux ; l’importance de cette recherche, qui assure l’innovation par le transfert technologique est exposée dans le chapitre 4. Le chapitre 5 démontre que cette recherche exploratoire est par essence même pluridisciplinaire dès lors que des fonctionnalités spécifiques sont visées (propriétés physiques remarquables ou applications en biologie par exemple). Le contexte international et compétitif dans lequel se placent les activités de la section est décrit dans le chapitre 6. Le manque d’attractivité de certains sujets de recherche, pouvant amener jusqu’à des difficultés à recruter des jeunes chercheurs talentueux, met certaines sous-disciplines en danger ; nous en discuterons dans le chapitre 7. À partir de cette analyse du paysage de la section 15, un certain nombre de recommandations sont formulées dans le chapitre 8 et suivies de conclusions générales.

I. Partition thématique en 2019

Comme évoqué dans l’introduction, la spécificité principale des activités des laboratoires de la section 15 est de contrôler toutes les étapes de synthèse, de mise en forme et de caractérisations (structurales et fonctionnelles) de toute une variété de matériaux inorganiques. Il en résulte que les laboratoires de la section sont à même de :

• mener une approche intégrée « synthèse-structure-propriétés »,

• concevoir, synthétiser et caractériser de nouveaux composés,

• optimiser des matériaux pour maîtriser de nouvelles propriétés à des fins d’études fondamentales,

• élaborer des architectures spécifiques, des nano- micro-structures, des films minces en mettant en œuvre des procédés,

• intégrer des matériaux inorganiques dans des systèmes complexes (technologies de l’information, environnement, santé).

La dernière décennie a été marquée par une tendance forte à la mise en œuvre de matériaux nanométriques afin d’atteindre des fonctionnalités que des composés volumiques classiques ne possèdent pas. Par exemple, dans le domaine de l’énergie, le stockage électrochimique (batteries lithium, super-condensateurs) et la conversion (piles à combustible, électrolyseurs) atteignent le niveau de la production grâce à la mise en œuvre contrôlée de matériaux à grande surface spécifique ou nanostructurés. En métallurgie, la cristallisation locale de verres métalliques ou l’utilisation de composites carbone/métal permet de combiner des propriétés réputées incompatibles : rigidité et facilité de mise en forme, forte conductivité électrique et faible conduction thermique, conductivité électronique et propriétés magnétiques préservées dans les métaux nanométriques. En optique, la cristallisation de verres d’oxydes ou la synthèse de vitrocéramiques rend possible la production de composants optiques de grande taille possédant des propriétés inégalées : indices optiques linéaires et non-linéaires modulables ; absorption, émission et scintillation homogènes sur de grands volumes ; préformes structurées pour la réalisation de fibres complexes. La coexistence et le couplage de propriétés (magnétique / électrique, élastique / magnétique, thermique / électrique) dans les matériaux multi-fonctionnels ont été grandement facilités par la création de composites bi- ou tridimensionnels comme, par exemple, les multiferroïques. Dans certains cas, des propriétés impossibles à obtenir en phase solide massive peuvent être créées dans des matériaux micro- ou nanostructurés : indice optique négatif dans les métamatériaux, supraconductivité bidimensionnelle aux interfaces, etc. La contribution principale des laboratoires de la section 15 dans ce processus de structuration des matériaux multi-échelles est d’intégrer des composés complexes, en partant de preuves de concept basées sur les matériaux simples : oxydes, nitrures, fluorures, carbures, binaires ou ternaires, solutions solides doubles ou triples, alliages, hybrides organiques-inorganiques, etc.

Parallèlement à cette évolution multidisciplinaire dans laquelle la chimie des matériaux est impliquée, il est nécessaire de réaffirmer la place prépondérante de la chimie exploratoire. En s’appuyant sur les concepts de base de la liaison chimique, des polyèdres de coordination et de la cristallochimie, il est vital de renforcer la synthèse de composés nouveaux qui fait la force et l’originalité de notre discipline. Plusieurs initiatives ont été lancées récemment par les laboratoires et l’INC pour réaffirmer cette nécessité : action nationale pour une chimie du solide exploratoire, structuration nationale de la métallurgie, etc. Les différentes thématiques s’intégrant dans cette dynamique sont :

– la métallurgie et la thermodynamique avec entre autres : le contrôle local de la structure et de la stœchiométrie au sein d’alliages complexes et des défauts bidimensionnels (joints de grains et hétérointerfaces), la métallurgie prédictive pour le développement de nouveaux alliages et combinant calculs abinitio et thermodynamiques ; les alliages à haute entropie ; la thermodynamique des nano-objets et des films minces ; les surfaces et interfaces de verres ; les cristaux à grande maille et les quasi-cristaux métalliques ; l’application des concepts, procédés et modélisation de la métallurgie aux solides non-métalliques ; l’extension des technologies additives aux solides non-métalliques ; le développement de nouveaux alliages et de procédés de substitution à des matériaux ou procédés classiques ne respectant plus les normes environnementales.

– la chimie du solide pour laquelle nous pouvons citer le renforcement des voies de synthèse classiques de la chimie inorganique (cristallogenèse, voie solide, chimie douce), l’extension de l’applicabilité des voies de synthèse en solution à des compositions non-oxydes, et si possible de taille nanométrique, l’utilisation de méthodes d’élaboration avancées (couches minces, frittage basses températures, utilisation des paramètres pression/champ électromagnétique, synthèse en milieu fluide supercritique, milli- et micro-fluidique), la coexistence et le couplage de propriétés dans les matériaux multifonctionnels intrinsèques (multiferroïques, magnéto-caloriques), la synthèse raisonnée de nouveaux composés s’appuyant sur les modélisations ab initio et allant au-delà d’une stratégie de substitution au sein de familles structurales données, la cristallochimie quantitative en lien avec les calculs de type DFT. Il est à noter que l’intégration poussée des technologies d’intelligence artificielle couplée à la chimie combinatoire en chimie du solide reste un défi qu’il faudra relever à très court terme.

– les nanomatériaux et hybrides avec l’élaboration de matériaux de plus en plus complexes en termes de composition, de structuration multi-échelle, de fonctionnalités passives et actives, très souvent inspirés par le vivant ; le développement de matériaux bioinspirés en particulier dans le domaine des biomatériaux et de l’ingéniérie tissulaire.

En se basant sur cette démarche exploratoire, les laboratoires de la section 15 sont parfaitement placés pour s’impliquer à toutes les étapes du cycle de vie des matériaux et pour répondre à différents enjeux sociétaux :

– au niveau de la synthèse par le choix des précurseurs et des procédés permettant de diminuer l’impact environnemental et de prendre en compte la disponibilité des ressources,

– au niveau de l’élaboration en développant des procédés à faible impact énergétique et bilan carbone,

– au niveau du développement par l’intégration de matériaux performants dans les systèmes pour accroître leur durée de vie tout en diminuant leur consommation énergétique,

– au niveau du recyclage grâce à la mise en œuvre de matériaux pertinents aux étapes de synthèse et de développement et permettant d’anticiper et de faciliter la séparation des éléments chimiques et leur re-conditionnement.

Nos laboratoires sont donc au cœur des évolutions actuelles autour de la chimie verte et durable.

La chimie des matériaux développée en section 15 s’appuie sur des compétences propres, mais aussi sur des interactions fortes avec les autres domaines de la chimie ainsi qu’avec les disciplines complémentaires que sont la physique, les sciences de l’ingénieur, la biologie et la médecine. Il en résulte une fertilisation croisée qui a fortement diversifié les domaines d’interventions des laboratoires de la section 15 et généré des avancées majeures au cours des dernières années dont certaines sont décrites brièvement ci-après.

L’interaction naturelle avec les autres sous-disciplines de la chimie a fait évoluer la synthèse des matériaux : la fonctionnalisation de surface et l’auto-organisation de matériaux inorganiques divisés nécessitent des compétences en chimie moléculaire et en matière molle. Les très récents travaux sur le stockage électrochimique de l’énergie montrent l’importance des interactions entre chimistes du solide inorganique et polyméristes. Un autre exemple est l’utilisation par quasiment tous les laboratoires de chimie des matériaux de calculs de structure électronique de type DFT comme outils de simulation, de prédiction de nouvelles phases, voire de modélisation de propriétés fonctionnelles.

Les échanges constants avec la physique ont quant à eux considérablement amélioré la compréhension des matériaux solides. Ainsi la synthèse de matériaux la plus parfaitement contrôlée permet de réaliser des études de pointe et des modélisations physiques s’appuyant sur des bases solides et reproductibles. L’utilisation optimale des grandes infrastructures de recherche dépend largement de cette synergie. Cela s’illustre par exemple avec les évolutions récentes dans les méthodes de diffraction et le développement d’analyses structurales via la fonction de distribution de paires (PDF) ou encore par les développements méthodologiques en microscopie électronique très haute résolution ou en imagerie RMN qui irriguent progressivement les laboratoires de chimie. Au-delà des semi-conducteurs et métaux simples, le contrôle de la composition chimique et de la microstructure de composés poly-atomiques nécessite une contribution permanente des chimistes du solide. Les ruptures récentes dans le domaine des systèmes à électrons corrélés, des nouveaux supraconducteurs, peuvent également être mentionnées. Enfin, les imageries et modélisations multi-échelles sont passées du statut d’objets d’étude dans les laboratoires de physique à celui d’outils incontournables dans les équipes de recherche de la section 15.

La nécessaire mise en œuvre de nos matériaux pour des développements technologiques fait également progresser leur connaissance. En effet, dans le processus de mise en forme et d’intégration des matériaux, la reproductibilité et la fiabilisation imposent une expertise fondamentale de la physico-chimie des solides. En retour, la disponibilité de nombreux composants reproductibles et fiables permet de mener des études comparatives et ainsi de faire avancer la compréhension des matériaux. À titre d’exemple, on peut citer les verres et cristaux pour l’optique, les thermoélectriques, les conducteurs ioniques ou mixtes, les oxydes en couches minces, les nanomatériaux magnétiques, la substitution des métaux nobles en électronique, ou encore les composites thermo-structuraux.

Les interactions avec les domaines de la santé et de l’environnement apparaissent clairement comme une source d’innovation dans la synthèse des (nano)-matériaux. En vue d’applications en médecine ou biologie, nos laboratoires optimisent en permanence les matériaux : biomatériaux à porosité multi-échelle contrôlée, nanoparticules hybrides pour l’imagerie et la délivrance ciblée de médicaments… Notre savoir-faire se développe aussi autour de l’incorporation de micro-organismes comme des bactéries, au sein de réseaux inorganiques, ce qui permet d’entrevoir des applications en bio-remédiation.

Du point de vue organisationnel, ces différentes interactions interdisciplinaires peuvent être résumées par la figure 1 qui schématise l’implication relative des différents domaines scientifiques avec la section 15, déterminée par les rattachements secondaires des laboratoires de cette section. Par rapport au même schéma présenté dans le rapport de conjoncture 2014, l’évolution principale concerne le rattachement secondaire à des sections rattachées à l’INSB qui est devenu équivalent aux rattachements à l’INP et à l’INSIS.

Figure 1 : Schéma représentant le poids relatif des disciplines affichées par toutes les unités de recherche de la section 15. L’aire des disques est proportionnelle au nombre de chercheurs rattachés aux sections secondaires des laboratoires dont la section principale est la section 15.

II. Évolution thématique depuis le précédent rapport

Ces dernières années, la demande sociétale toujours croissante en matériaux fonctionnels de plus en plus performants s’est traduite par une recherche d’innovation forte tant dans les méthodes de synthèse et de mise en forme que dans les techniques de caractérisation. Les évolutions majeures récentes et les tendances actuelles peuvent être illustrées par les exemples suivants qui ne sont pas exhaustifs :

– Les méthodes de synthèse à partir de précurseurs moléculaires ou en voie colloïdale se sont diversifiées et sont maintenant étendues à des compositions chimiques très variées non classiquement couvertes par la chimie sol-gel, en élargissant la gamme de température (sels fondus), en utilisant des voies de synthèse sous sollicitations (hautes pressions, mécano-synthèse…) ou des techniques de dépôts comme l’ALD (Atomic Layer Deposition).

– Les procédés d’élaboration couplant formulation et mise en forme dont certains initialement développés dans le domaine des polymères, ont été largement étendus à la chimie inorganique : impression 3D et procédés assimilés, extrusion électro-assistée, extrusion réactive, etc. L’activité autour des procédés de fabrication additive est en pleine explosion. Ils sont en train de devenir de réels outils de production industrielle de pièces fonctionnelles (polymères, métalliques, céramiques et hybrides) et offrent des perspectives intéressantes parmi lesquelles, la réalisation de pièces complexes (e.g. issues de la modélisation pour optimiser une performance), non réalisables par procédé conventionnel, ou l’intégration de nouvelles fonctions au sein d’une pièce hybride céramique/métal par exemple. Enfin, il faut souligner que les notions d’éco-conception sont de plus en plus intégrées dans les diverses étapes d’élaboration d’un matériau et tout au long de son cycle de vie.

– Les méthodes de caractérisation in situ pour suivre la formation des matériaux, voire même operando pour se placer en conditions opérationnelles y compris sous pression et en température (piles ou batteries…) sont de plus en plus développées grâce aux progrès récents importants dans le domaine de l’imagerie, des spectroscopies, et des techniques de diffraction et de diffusion.

Tous ces récents développements sous-entendent que les compétences nécessaires pour permettre ces avancées sont multiples et multidisciplinaires. Les exemples suivants non exhaustifs illustrent des avancées récentes dans le domaine des matériaux fonctionnels.

Dans le domaine de l’hydrogène et des piles à combustible, les travaux se concentrent dans les laboratoires de chimie (50 % des chercheurs), avec une forte contribution des chimistes du solide de la section 15. Les dispositifs actuels montrant déjà une certaine maturité, les travaux visent la rupture technologique, en développant les matériaux de la prochaine génération tout en conservant des approches incrémentales.

Concernant le stockage électro-chimique de l’énergie, des avancées récentes importantes ont été réalisées dans le domaine des matériaux d’électrodes positives pour accumulateurs lithium-ion à plus haute densité énergie et pour accumulateurs sodium-ion à bas coût et forte puissance. Dans le futur, il faudra développer des matériaux plus efficaces et fiables pour ces applications en réduisant leur empreinte environnementale, en minimisant la teneur en éléments de ressources rares et critiques et en intégrant les aspects de recyclage.

Dans le domaine des couches minces, la réalisation de mémoires résistives (oxydes, chalcogénures) ouvre des perspectives très intéressantes dans le domaine du stockage de l’information. L’apport des chimistes du solide est déterminant pour la synthèse et la mise en forme des matériaux : frittage basse température de céramiques, dépôt contrôlé de couches fonctionnelles, fabrication additive.

Pour ce qui concerne les matériaux à fonctions optiques, la recherche de nouvelles formulations chimiques et la mise en œuvre de nouveaux procédés de fabrication, incluant la structuration à diverses échelles, sous-tendent cette thématique. Les matériaux étudiés (oxydes, fluorures, chalcogénures) possèdent différents types d’organisation structurale allant des verres aux monocristaux en passant par les vitrocéramiques et les céramiques. La maîtrise de la cristallisation à l’échelle nanométrique dans les verres pour la réalisation de vitrocéramiques à propriétés contrôlées constitue un enjeu important. De même, des travaux majeurs sont entrepris dans un contexte de forte concurrence internationale sur les céramiques polycristallines, étudiées pour leurs propriétés de transparence dans le visible et/ou l’infrarouge, ou pour des applications dans le domaine des lasers de puissance. La fabrication de verres non-oxydes par synthèse additive commence à apparaître.

La détermination de nouvelles compositions au cœur des activités du chimiste de la section 15 s’appuie aujourd’hui de plus en plus sur la modélisation et l’intelligence artificielle (deep learning, data mining, etc.). La simulation multi-échelle, qui est un problème plus complexe, se développe également en particulier dans le domaine de la métallurgie.

III. Répartition géographique en 2019 et évolution récente des populations

La section 15 est forte de 308 chercheurs (Ch) affectés dans 68 unités de recherche (chiffres 2018, sans les agents hors structures CNRS). Leur répartition est inhomogène avec 26 unités ne comptant qu’un seul chercheur et 4 unités comptabilisant plus de 15 chercheurs (ICMCB-Bordeaux, SIMAP-Grenoble, IJL-Nancy, IMN-Nantes). La moyenne se situe à 4,5 agents par unité. Si l’on se réfère aux précédents rapports de conjoncture, le nombre de chercheurs de la section est en diminution régulière (– 8 %) depuis une dizaine d’années. Le niveau de recrutement de 6,5 Chargé(e)s de Recherche (CR) par an en moyenne n’a pas permis de compenser les départs.

En termes de sites (figure 2), la section 15 est très présente à Grenoble, Paris-centre et Bordeaux, (≥ 25 Ch). Viennent ensuite Toulouse, Montpellier, Caen, Nantes, Nancy, Lyon (16 à 19 Ch), suivis de Orsay-Gif-Palaiseau, Marseille, Rennes, Thiais, Orléans, Lille, Strasbourg, Limoges (10 à 14 Ch). La région Ile-de-France concentre au total 56 Chercheurs.

Figure 2 : Répartition géographique des chercheurs (Ch) de la section 15 par site.

La figure 3, où les effectifs de chercheurs (E) sont comptabilisés par délégation régionale (DR), apporte un éclairage un peu différent. Ainsi, la DR17 (Bretagne-Pays de la Loire) peut se comparer aux DR11 (Alpes) et DR15 (Aquitaine), en regroupant les forces de trois sites (Nantes, Rennes, le Mans). La situation est similaire pour la DR08 (Centre-Limousin-Poitou-Charente) qui, en nombre de chercheurs, rivalise avec la DR02 (Paris-Centre) et la DR07 (Rhône-Auvergne), grâce à l’addition des effectifs d’Orléans et de Limoges.

La figure 3 montre également le nombre de chercheurs recrutés (R) sur les concours CR 2014-2019, par délégation régionale. La pondération par l’effectif total (E) conduit au taux de recrutement (T) dans une zone géographique donnée. Ces chiffres ne sont en aucune manière le reflet d’un solde positif des populations de chercheurs puisque les départs ne sont pas intégrés dans la réflexion. Les entrées/départs par mutation ne sont pas non plus pris en compte.

Figure 3 : Histogrammes des effectifs chercheurs (E) et des chercheurs recrutés (R) entre 2014 et 2019 pour la section 15, par délégation régionale. Le taux de recrutement est défini comme le ratio recrutés-effectif.

Les DR02 (Paris-Centre) et DR12 (Provence-Corse) présentent le taux de recrutement le plus élevé avec un ratio de 27 %, la moyenne nationale se situant à 12 %. Viennent ensuite, les DR07 (Rhône-Auvergne) et DR18 (Nord-Picardie), à égalité à 20 %. La comparaison avec le rapport de conjoncture de 2014 montre que les recrutements CR ont fortement progressé en DR12, T passant de 7 à 27 %. L’Ile-de-France, toutes DR confondues, a également vu son niveau de recrutement croître de 10 % en 2014 à 16 % en 2019. Par ailleurs, la forte capacité à recruter des unités en DR07 et DR18 se confirme (28 % et 15 %, respectivement en 2014). Les DR06 (Centre-Est), DR10 (Alsace) et DR15 (Aquitaine) présentent aussi un taux de recrutement supérieur à la moyenne nationale, tiré par les grosses unités que sont l’IJL-Nancy, l’IPCMS-Strasbourg et l’ICMCB-Bordeaux.

Les niveaux de recrutement les plus faibles (0 à 6 %) sont observés dans les DR14 (Occitanie-Ouest), DR11 (Alpes), et DR13 (Occitanie-Est), à comparer à 5 %, 14 %, et 19 % respectivement en 2014.

Il est également important de discuter de la parité au sein de la section 15.

Le tableau 1 donne la représentation des femmes au sein de la section pour les Chargé(e)s de recherche (CR) et Directeurs(rices) de recherche (DR2). Sur les 11 dernières années, 31 % des DR2 recrutés ont été des femmes, ce qui est bien supérieur aux 24 % qu’elles représentent aujourd’hui dans la section.

Tableau 1 : % de femmes recrutées parmi les chercheur(e)s de la section 15.

Recrutements (%) Effectif total (%)
2009-2019 2015-2019 2018
CR Femmes 36 34 37
DR2 Femmes 31 24 24

Ce constat, très positif dans un contexte où le CNRS souhaite améliorer la parité chez les chercheur(e)s, est cependant atténué par le taux de recrutement de ces 4 dernières années, retombé à 24 %. Dans la catégorie des CR, les femmes représentent aujourd’hui 37 % des effectifs. Les dernières campagnes de recrutement CR ont légèrement tiré ce ratio vers le bas, avec 36 % de femmes recrutées sur les 11 dernières années, et 34 % sur 4 ans. Ce constat brut doit cependant être analysé au regard de la proportion de candidates admises à concourir qui est de seulement 27 % sur le concours CR et de 19 % sur le concours DR2, en moyenne sur la période 2015-2019. Au bilan, la part des femmes recrutées en section 15 est donc supérieure à leur représentativité dans les deux concours CR et DR2.

IV. De la nécessité d’une recherche exploratoire de qualité

La recherche amont est primordiale pour assurer l’avenir d’un grand pays industriel. La France, qui se veut un compétiteur économique fort dans le monde, doit renforcer cet aspect de la recherche scientifique. Notre société exploite aujourd’hui les résultats de travaux exploratoires menés durant les dernières décennies. Les matériaux de demain, que la section 15 s’intéresse à prédire, leur synthèse, leur mise en forme et leur intégration dans des systèmes, ne pourront pas être obtenus par simple extrapolation des connaissances actuelles. Ceci vaut pour toutes les familles de matériaux, des matériaux fonctionnels aux matériaux de structure.

La recherche exploratoire a pour ambition principale d’accroître et d’élargir les connaissances. Les grandes avancées scientifiques et techniques n’ont généralement pas été programmées. Ni le succès d’un projet ni le temps nécessaire pour y accéder ne peuvent en général être prédits. La recherche exploratoire a l’ambition de répondre à des besoins vitaux pour la société humaine en s’attaquant à des problèmes théoriques ou fondamentaux, en forte résonance avec les besoins à long terme. En fait, la plupart des ruptures technologiques sont généralement le résultat de recherches amont. Nous pouvons rappeler l’exemple des premiers travaux, datant des années 90 et sans visée applicative identifiée à cette époque, ayant conduit au développement des technologies additives. Ces procédés connaissent depuis 2013 (une vingtaine d’années plus tard !) un fort engouement pour la fabrication de pièces métalliques ou céramiques fonctionnelles, car ces dernières présentent des propriétés qui restent hors d’atteinte par la mise en œuvre de procédés conventionnels. Elles trouvent aujourd’hui des applications nouvelles et nombreuses dans les grands secteurs de la santé, de l’énergie, des transports et des TIC, et ces technologies font partie intégrante de l’usine du futur.

On distingue souvent, et par commodité, le rôle de la science portée par la curiosité de celui de la recherche visant à répondre à l’expression des grands besoins industriels. En réalité, ces deux volets de la recherche sont tout à fait complémentaires et s’alimentent mutuellement. La recherche finalisée prend appui sur les acquis de la recherche fondamentale pour répondre à de grands défis qui conditionnent l’avenir de notre société, comme la production, le stockage et la transformation de l’énergie, le stockage et le traitement de l’information, l’élaboration de matériaux de biosuppléance, etc. En chimie des matériaux, des nanomatériaux et des procédés (section 15), la recherche amont est donc, en d’autres termes, indispensable pour apporter les connaissances fondamentales nécessaires à l’innovation qui constitue l’aboutissement logique de la démarche (bottom-up). Elle peut également se saisir de problématiques liées à l’application pour, par exemple, lever un verrou nécessaire à l’exploitation d’un nouveau matériau sur des bases pertinentes de la chimie du solide, de l’acquisition des données thermodynamiques ou de la maîtrise des transformations de la matière, inhérentes au procédé de mise en œuvre, tout ceci étant étayé par des outils de modélisation performants.

Une brève analyse efface donc la frontière artificielle posée entre recherche exploratoire, qui laisse la liberté au chercheur de définir sa recherche en prenant appui sur sa créativité, et recherche finalisée qui vise à répondre à court ou moyen terme à un besoin spécifique de la société et conduire à des applications immédiates. Les deux approches se distinguent néanmoins par leurs échelles de temps caractéristiques, le long terme pour la recherche exploratoire, et le court terme pour la recherche ciblée. Néanmoins, « comprendre pour prévoir le futur » constitue le meilleur investissement qui soit, au niveau national, pour permettre une recherche réactive en situation compétitive.

Cette complémentarité entre recherche fondamentale et recherche appliquée impose de conserver un équilibre entre les modes de financements, ce qui n’est pas encouragé, voire difficile à réaliser, dans le cadre de la politique actuelle de la recherche. Le financement de la recherche amont a fortement évolué au cours de ces 10 dernières années, avec la baisse progressive des fonds récurrents des laboratoires et l’accroissement des budgets dédiés aux appels d’offres, que ces derniers soient lancés par l’ANR, par les Régions, par l’Europe… Cette évolution tend à orienter les thématiques de recherche de manière à satisfaire des attentes sociétales définies à court ou moyen terme, et a contribué à détourner le chercheur de sa capacité à exploiter sa propre créativité et à développer une recherche amont exploratoire, normalement associée à une prise de risques. Dans ce contexte, il est important de redynamiser, au profit des chimistes de la section 15, leur culture exploratrice de la recherche de nouvelles phases et de nouveaux composés, présentant des propriétés physiques exacerbées ou nouvelles, ainsi que des procédés associés. L’une des missions des plus fondamentales des chercheurs de la section 15 doit en effet consister à « alimenter » en nouvelles compositions les communautés scientifiques et techniques concernées par l’élaboration, la mise en forme, la structuration de nouveaux matériaux, que ce soit sous forme de cristaux, de couches minces ou de matériaux massifs. Cette recherche exploratoire doit rester libre, c’est-à-dire orientée selon des critères de curiosité et d’intuition scientifiques définis par les chercheurs eux-mêmes. Un certain goût de l’aventure doit par conséquent être (re)-valorisé en chimie du solide.

La recherche de financement est par ailleurs une tâche chronophage. Le temps consacré au montage de projets pour répondre aux appels d’offre, dont le taux de succès reste très faible, ainsi que le temps consacré à la gestion administrative et financière des projets, réduit d’autant la part précédemment réservée à l’activité scientifique, à l’encadrement et à la formation. À ceci s’ajoute la prolifération aussi polymorphe qu’incontrôlée des expertises engendrées par l’exploitation des dossiers soumis en réponse aux appels d’offres. Ces contraintes imposées par les modes de financement mis en place depuis une décennie deviennent antinomiques avec cette conception de la recherche exploratoire basée sur une formation solide dans le cadre conceptuel et disciplinaire de la section 15.

V. De la nécessité d’une recherche exploratoire pluridisciplinaire

Les chapitres précédents nous ont appris que la recherche, dans le périmètre de la section 15, s’adresse à une grande variété de systèmes et de propriétés physico-chimiques. Nous avons également vu que cette recherche, à fort caractère exploratoire, se laisse guider par des intérêts et des méthodologies différentes, en synergie les uns avec les autres, allant du développement de produits et de procédés compétitifs en contexte industriel à la recherche en laboratoire à visée fondamentale, inventive et disruptive. De la production d’énergie à la métallurgie d’élaboration en passant par la photonique, la multiferroïcité, les matériaux micro- et nano-composites hautes performances ou le recyclage, toutes ces problématiques livrent leur lot de contributions fondamentales et de transferts technologiques. Ces recherches s’appuient sur des concepts théoriques élémentaires, ceux qui fondent les premiers éléments d’une science, et peuvent suivre des chemins nouveaux vers des champs d’exploration vierges, en inventant des outils théoriques, expérimentaux et numériques à la pointe de l’état de l’art.

Cette puissance d’invention requiert une expertise pluridisciplinaire assise sur des collaborations nouées sur le long terme, au niveau mondial. Les activités de recherche des équipes de la section 15 sont, de ce point de vue, tout-à-fait exemplaires. On peut en mentionner quelques exemples, sans souci d’exhaustivité ni de hiérarchie : une Mott-tronique à base de matériaux dans lesquels une transition isolant-métal peut être contrôlée par de subtils effets thermo-mécaniques, et à fort potentiel pour le stockage de l’information à faible coût énergétique ; les matériaux de type MOFs, fascinantes architectures moléculaires poreuses, dont on espère une utilisation pour le stockage réversible de gaz ; les couches minces de matériaux magnétiques à architectures complexes pour des applications de transfert énergétique ; les nouveaux matériaux céramiques, métalliques et composites qui peuvent être déclinés à l’échelle nanométrique ; la fabrication d’architectures complexes, issues de la simulation, par technologie additive incluant toute une chaine numérique ; les verres pour l’optique et le stockage des données et les vitroceramiques ; la prédiction de structures et propriétés par simulations numériques ab initio ou multi-échelles.

L’exploration des grands thèmes de la section permet d’obtenir des résultats solides et fiables. Le benchmarking, les changements d’échelle et la confrontation numérique-expérimental sont aussi cruciaux. L’investigation de nouvelles pistes – chimie biomimétique ou bio-inspirée, nanotechnologies, métallurgie numérique, etc. – parfois risquée, à court terme, en termes de résultats publiables, est enrichissante au plus haut niveau sur le plan intellectuel car elle promeut l’esprit scientifique et l’initiative. Ceci nécessite aussi un grand savoir-faire, dont la transmission aux jeunes chercheurs est un vrai enjeu. Cela demande également un effort de pluridisciplinairité active, de la mécanique quantique à la mécanique des milieux continus, en passant par la physique du solide et la chimie de synthèse. Comme décrit dans le chapitre 2, de nombreux laboratoires de la section 15 sont liés à d’autres sections de l’INC, de l’INP, de l’INSIS et de l’INSB. Le champ d’investigation en est d’autant plus vaste et crédité d’un sérieux scientifique garanti par des interactions constantes entre différents spécialistes.

Le paysage de la recherche en science chimique des matériaux, stimulée par la mixité thématique et méthodologique, est modifié par les nouveaux défis sociétaux du xxie siècle. La chimie du solide, qui a parfois trop misé sur des activités de « screening », doit participer à un développement rationnel de l’« artificial intelligency ». Les préoccupations environnementales orientent et remettent en question les moyens de production et de stockage de l’énergie, que ce soit le nucléaire pour l’électricité, les batteries, la production et le stockage de l’hydrogène, ou pour les matériaux allégés dans l’industrie aéronautique et spatiale… Certains paradigmes sont renversés par le développement des moyens de calcul (big data, simulations quantitatives à différentes échelles) et d’investigation par imagerie et spectroscopies in situ et operando. Les enjeux de la recherche expérimentale doivent être redéfinis, mais aussi affirmés avec force et conviction.

Le CNRS est l’un des seuls organismes de recherche capable à la fois de promouvoir la veille et la percée technologiques, soutenues en priorité par les industries concernées, et de cultiver avec constance une recherche de fond dont le caractère exploratoire et pluridisciplinaire augmente la portée. Il faut recruter des experts, des théoriciens et des expérimentateurs, des spécialistes du numérique et de l’instrumentation. Sur ce dernier point – l’instrumentation – il faut savoir garder un équilibre entre le développement de moyens légers et originaux en laboratoire, et le recours aux très grands instruments (synchrotrons, sources de neutrons, accélérateurs, spectromètres et microscopes électroniques haute résolution…). Les personnels de soutien à la recherche ont toujours un rôle majeur à jouer. Il faut aussi garder un maillage académique du territoire français, embaucher et soutenir de jeunes chercheurs sans pour autant exiger de leur part une planification artificiellement et exagérément détaillée. Des initiatives ont germé, notamment par le biais de GDR et de Fédérations de Recherche, dont l’effet structurant et fertilisant est une des clés les plus vertueuses de l’action du CNRS. Des réflexions en cours concernent la métallurgie (cf. les Journées prospectives Nouveaux alliages métalliques, 2018), la chimie numérique… Il faut encourager ces actions tant dans les disciplines de taille critique que dans celles au développement explosif.

Pour conclure, les unités de recherche de la section 15 s’attachent à résoudre des problèmes scientifiques posés à la planète par certains grands défis liés à l’énergie, l’environnement et la santé, et par les enjeux technologiques du calcul numérique et de la communication. L’exploration par l’expérimentation et la modélisation basée sur les principes élémentaires régissant les principales disciplines de la science moderne sont la clé de découvertes et inventions importantes.

VI. Contexte européen et international

S’appuyant sur les réalisations et les succès des précédents programmes comme Horizon 2020, un plan ambitieux de financement de l’Union Européenne vient d’être lancé. Horizon Europe vise à promouvoir la coopération et l’excellence scientifique à l’échelle européenne sur la période 2021-2027 avec ou sans le Royaume Uni. L’accent sera mis sur des priorités stratégiques, telles que l’accord de Paris sur le changement climatique. À travers plusieurs piliers, ce programme propose de soutenir la recherche exploratoire et les échanges entre chercheurs autour de problématiques sociétales et de la compétitivité industrielle. Dans ce contexte, les matériaux et les procédés avancés jouent un rôle majeur pour répondre aux problématiques des pôles « Numérique et Industrie » et « Climat, énergie et mobilité » du pilier « Problématiques mondiales et compétitivité industrielle ». Les (nano)matériaux innovants et les procédés associés seront donc incontournables pour adresser les enjeux liés au renouveau industriel (techniques de fabrication, matériaux avancés, industrie propre et à faible émission de carbone…) et à l’énergie (production, transformation, stockage d’énergie propre, mobilité intelligente…). De nombreux moyens sont déjà déployés en faveur des technologies du stockage électrochimique de l’énergie et de l’hydrogène (Fuel Cells and Hydrogen Joint Undertaking) tant au niveau des matériaux que des systèmes pilotes.

De plus, la promotion d’une science ouverte va s’accentuer avec de nouvelles pratiques qui imposeront à terme, le libre accès aux publications et aux données, et ce dans le but d’améliorer la diffusion et l’exploitation des résultats de la recherche publique.

Au niveau international, les matériaux avancés sont également au cœur des recherches stratégiques, telles que le programme prioritaire de l’Allemagne dans le domaine de la métallurgie (alliages à haute entropie, alliages à composition complexe, superalliages…) ou de l’énergie (batteries…). Aux USA, la National Science Foundation, affirme dans son plan stratégique (Strategic Goal 1 : Expand knowledge in science, engineering, and learning) son soutien à la recherche fondamentale et à risque, considérée comme « un investissement capital pour la nation », dont les produits et procédés novateurs ne sont pleinement appréciés qu’après des décennies. Elle promeut également l’accès libre aux données et l’interdisciplinarité.

Au niveau international, le CNRS a sa propre vision qui vise la coopération aux bénéfices des équipes et son implication dans des infrastructures de recherche et des opérations scientifiques internationales. Ainsi, sa participation aux grands instruments de recherche (ILL, ESRF, SOLEIL, RMN, MET, IDRIS, futur ESS…) permet aux chercheurs de la section 15 l’accès aux équipements les plus performants dans un environnement scientifique stimulant et international. Parmi les Unités Mixtes Internationales du CNRS, la section 15 porte le laboratoire LINK (Laboratory for Innovative Key Materials and Structures) au Japon sur des thématiques autour de nanocomposites fonctionnels pour des applications optiques et énergétiques. De plus, une nouvelle structuration des collaborations internationales est proposée sur une base simplifiée afin de mener des actions exploratoires (International Emerging Actions), de consolidation (International Research Networks, International Research Programs), de structuration (International Research Laboratories) et d’intégration (International Research Centers). Au niveau de la section 15, des réseaux internationaux de type IRN (ex-GDRI) existent déjà et portent sur les nanomatériaux multifonctionnels contrôlés (GDRI franco-canadien NMC), les nanoalliages (IRN franco-italien Nanoalloys) ou encore le stockage et la conversion d’énergie (IRN franco-australien FACES).

VII. Les disciplines en danger (enseignement et recherche)

Des modifications substantielles des programmes des baccalauréats généralistes scientifiques ont été mises en œuvre depuis le précédent rapport de conjoncture (2014) et vont continuer à être appliquées dans les prochaines années (nouveau baccalauréat dès 2020). Ceci impacte, entre autres, le type et le niveau des connaissances de base des étudiants en physique, en chimie mais aussi en mathématiques. Parallèlement, le pic démographique de la génération millenium, et le développement de l’apprentissage en particulier ont induit une augmentation des effectifs des étudiants dans l’enseignement supérieur et un élargissement de leurs profils. Il en résulte que les disciplines réputées difficiles et/ou nécessitant un temps d’apprentissage important, tels que la cristallographie et la thermodynamique notamment, attirent moins les étudiants. Bien que le recours aux pédagogies innovantes via les cours en ligne, l’utilisation d’outils numériques pour aider la prédiction de diagrammes de phases et/ou la visualisation de structures cristallines, se développe, l’appétence des étudiants pour ces matières est en nette baisse. Par conséquent, les temps consacrés à l’enseignement de la thermodynamique et de la cristallographie se sont paradoxalement considérablement réduits dans les universités et écoles d’ingénieurs françaises. La situation de la thermodynamique est particulièrement critique. Elle vient souvent compléter d’autres disciplines plus classiques de la physique et la chimie. Le problème est identifié de longue date dans l’enseignement supérieur, et de nombreux efforts ont été réalisés pour y remédier. Cependant, le lien théorie / applications, essentiel pour faciliter la compréhension des étudiants, est beaucoup moins simple et intuitif en thermodynamique que dans d’autres disciplines. La section 15 est convaincue de la nécessité de maintenir les compétences et expertises, en particulier en ce qui concerne la thermodynamique des interfaces et des matériaux à haute température. Elle est consciente de sa faiblesse numérique et de sa dissémination sur l’ensemble du territoire. Le GDR TherMatHT joue un rôle important et fédère une communauté active. Il faut aussi noter la progression de la modélisation multi-échelle en thermodynamique. Cependant, l’expertise expérimentale reste indispensable pour obtenir les données fiables. Celles-ci sont nécessaires et recherchées pour les nouveaux procédés comme la fabrication additive mais aussi pour la durabilité des matériaux (succès de l’école thématique 2018 M2Cor). Le même constat peut être étendu au niveau européen. Comme souligné dans le précédent rapport, les enseignements et les formations en thermodynamique et en cristallographie demeurent indispensables pour mener les activités scientifiques de la section 15 et de ce fait, ces disciplines et les thématiques associées sont toujours en danger. Plus généralement, on peut considérer que l’enseignement de la chimie du solide, en tant que discipline fondamentale et parfaitement complémentaire à celui en sciences des matériaux, est globalement en danger. Une nette réduction du volume d’enseignement en chimie du solide est observée depuis quelques années liée à un glissement continu vers un enseignement plus directement en lien avec les objectifs appliqués de la recherche. S’il est compréhensible que d’un point de vue sociétal, un enseignement de la science des matériaux directement basé sur les enjeux actuels soit soutenu, il est discutable que cela soit fait au détriment de l’enseignement des bases fondamentales de la chimie du solide. Lors de récentes actions nationales autour de la chimie du solide et de la cristallogénèse (ANF ChimSol Caen 2015, réseau Cristech) est même apparu le terme « chimie du solide exploratoire » soulignant la perte de vitesse de la chimie du solide française, discipline fondamentale qui fut une place forte au niveau mondial. Cependant, créer de nouveaux solides, par exemple par des stratégies d’inter-croissances en imaginant une structuration à l’échelle atomique, puis structurer ces nouveaux solides à une échelle donnée en mettant en œuvre un procédé, prédire certaines de leurs propriétés et/ou leur modification par des opérations de mise en forme, demeurent des défis majeurs. Leurs résolutions nécessitent de pouvoir calculer la stabilité des édifices, de caractériser l’organisation de la matière sur une large gamme d’échelle, en distinguant les propriétés en volume, en surface et aux interfaces, etc. en continuant à faire largement appel aux connaissances fondamentales de la chimie du solide.

Ainsi, le défi consiste à former des étudiants (souvent en grand nombre) capables de traiter des problèmes plus complexes, car à différentes échelles, et ce malgré un bagage scientifique plus léger, étant en partie la conséquence d’un volume horaire réduit. Dans ce contexte contraint, des opportunités existent malgré tout, résultant de la baisse constante du prix des équipements de caractérisation devenant accessibles pour la formation doctorale et la formation en stage, dès le niveau L2 jusqu’au niveau M2. Ces possibilités compensent en partie la diminution du volume d’enseignement pratique, devenu une variable d’ajustement lors des dernières accréditations universitaires afin de limiter les suppressions de cours magistraux et/ou TD. Naturellement, des pédagogies déductives, plus adaptées aux étudiants actuels, et en vogue peuvent être mises en place pour combler les manques, mais cela doit être soutenu financièrement, au niveau des moyens et par un volume horaire d’enseignement clairement dédié.

Concernant les moyens de caractérisation, plusieurs problèmes se dessinent. Pour poursuivre le développement de recherches de haut niveau en cristallochimie notamment liées aux développements instrumentaux récents, comme la montée en puissance des analyses 3D (sonde atomique, tomographie X) et de l’in situ / operando, il est vital de préserver l’accès au réseau tels que METSA, aux Infrastructures de Recherche (IR) et aux Très Grandes Infrastructures de Recherche (TGIR). De même, la fermeture fin 2019 du réacteur Orphée (diffusion et diffraction de neutrons) associé au Laboratoire Léon Brillouin entraîne un risque de perte d’expertise en neutronique, domaine où la France est encore bien identifiée, mais aura aussi pour conséquence, faute de temps d’accès, la difficulté de résoudre dans des délais satisfaisants les nombreux problèmes de diffusion élastique et inélastique émanant des laboratoires. La fermeture d’Orphée va également créer un grand vide dans la formation des étudiants et des jeunes doctorants des laboratoires Français. D’autre part et à un degré moindre, la jouvence de l’ESRF risque de provisoirement handicaper la communauté mais offrira ensuite des sources de rayonnement X permettant des performances accrues en caractérisation structurale par exemple.

Il est donc souhaitable que les chercheurs qui s’investissent fortement dans les développements expérimentaux associés aux domaines moins « en vogue » que sont la thermodynamique, la cristallographie et la chimie du solide ne soient pas pénalisés tant dans leur carrière, que dans leur taux de réussite aux différents appels d’offres. Ce dernier point est essentiel pour financer et former les doctorants, experts de demain, mais aussi pour maintenir et améliorer les parcs instrumentaux et les outils numériques associés au bénéfice de l’ensemble de la communauté scientifique. En parallèle et en direction des futures générations, il est crucial que les chercheurs de la section 15 et les enseignants chercheurs associés s’impliquent dans le montage ou l’habilitation de masters, en particulier internationaux, ainsi que dans les AAP « École Universitaire de Recherche » ou « Structuration de la Formation par la Recherche dans les Initiatives d’excellence » afin d’intégrer l’apprentissage de toutes ces disciplines de la manière la plus pertinente, en rendant plus attractives les formations associées.

VIII. Recommandations

Les activités de la section 15, déclinées selon les axes synthèse-caractérisation-propriétés, s’enrichissent par les apports des communautés « historiques » du découpage institutionnel CNRS (chimie, physique, sciences du vivant, sciences de l’ingénieur). Ce constat leur confère un caractère éminemment pluridisciplinaire, en faisant du périmètre statutairement défini comme « chimie des matériaux, des nanomatériaux et des procédés » le pilote scientifique qui alimente au mieux le développement et l’exploitation de la science des matériaux sur le territoire national. Cet aspect pluridisciplinaire doit être poursuivi et renforcé, en accroissant le rôle fédérateur à partir des contacts déjà établis ou à constituer avec les communautés en demande d’outils « matériaux » de plus en plus performants et fonctionnels (par exemple, les matériaux pour l’énergie, pour le bio-médical, pour l’aéronautique, pour l’optique, etc.). Ce pilotage s’appuie sur les savoirs de la section 15 : l’élaboration des nouvelles pistes pour la mise au point de matériaux innovants, la compréhension conceptuelle de la liaison chimique sous-jacente, la concrétisation en laboratoire, puis, quand il y a lieu, le transfert vers le monde socio-économique. Admettre qu’au sein des unités de recherche de la section 15, l’on retrouve un très grand recouvrement entre le périmètre scientifique historique au CNRS (chimie des matériaux/ métallurgie/ procédés) et le domaine (internationalement reconnu) de la science des matériaux, doit aussi stimuler une réflexion en amont sur l’adéquation des contours des instituts et des sections de l’institution CNRS toute entière. Cela permettrait de mettre au point une organisation en disciplines plus moderne et efficace, en se conformant à ce qui est largement adopté dans des pays tout aussi performants (sinon plus) que la France tant en recherche fondamentale qu’appliquée.

Par rapport à l’organisation thématique interne de la section, on observe par moments (recrutements, promotions, définition des grands axes prospectifs de recherche), un découpage et un manque de cohésion entre chimie du solide et métallurgie. Cette dichotomie est réaliste si l’on considère les différences thématiques et l’organisation en unités de recherche mais elle va au détriment d’une synergie optimale au sein de la communauté « matériaux » selon les lignes fondatrices esquissées précédemment. Étant donné que les missions et la philosophie de travail de ces deux sous-disciplines sont pratiquement identiques (synthèse-caractérisation-propriétés), il est souhaitable que l’ensemble des matériaux traités au sein de la section 15 soit considéré comme une seule et même entité homogène évitant ainsi que la nature différente de la liaison chimique puisse être prétexte à un cloisonnement artificiel en sous-disciplines.

La forte augmentation du caractère pluridisciplinaire des activités conduites au sein de la section 15 a été soulignée à plusieurs reprises tout au long de ce rapport, en insistant sur la force motrice des activités en chimie des matériaux (ou, plus généralement, en « science des matériaux ») capables d’associer des disciplines avoisinantes (physique, biologie, ingénierie). Ce constat doit aider à fixer les lignes directrices définissant le profil du « scientifique des matériaux du troisième millénaire », à recruter et/ou à former au sein des unités de recherche. Il s’agit de chercheur(e)s capables d’opérer au niveau d’une ou de plusieurs facettes du triptyque fondateur de la discipline (synthèse-caractérisation-propriétés) mais autant que possible en liaison avec d’autres domaines scientifiques qui font la demande de matériaux performants et parfaitement élaborés, compris et optimisés. Le recrutement récent de plusieurs scientifiques ayant fait la première partie de leur carrière à l’étranger montre que le pouvoir d’attraction de la section est en croissance constante, car, encore une fois, le réservoir potentiel est très large si l’on considère les unités de recherche de la section 15 comme le choix naturel pour tout jeune chercheur avec un profil à fort caractère « science des matériaux ». Cette tendance est à consolider dans les années à venir. Il serait à ce titre souhaitable que les unités de recherche bénéficient de financements récurrents suffisants des organismes et, que l’ANR dédie la moitié de ses financements à de vrais appels blancs, avec un taux de réussite significatif (i.e. 20 à 30 %).

L’importance de la modélisation quantitative à tous les niveaux d’études des matériaux est soulignée à plusieurs reprises dans ce rapport. Il s’agit de faire correspondre, à chaque étape de la trilogie synthèse-caractérisation-propriétés, des études théoriques qui s’appuient sur des modèles énergétiques rigoureux et fiables (souvent basés sur la théorie de la fonctionnelle de la densité (DFT)), et qui peuvent être couplés à des calculs de mécanique statistique (Dynamique Moléculaire classique ou « ab-initio » ou Monte-Carlo). Si les calculs basés sur la DFT présentent un caractère prédictif affirmé, ils sont également nécessaires au développement de champs de force capables d’accéder à des échelles de taille et de temps supérieures. Ces derniers outils sont nécessaires si l’on vise l’étude d’effets multi-échelle.

Les dernières années ont été le théâtre d’un essor sans précédent d’utilisation et applications de la modélisation à l’ordinateur au sein des unités de la section 15. En guise de recommandation, il est souhaitable que la modélisation ne soit pas considérée et/ou utilisée comme un simple outil de support capable de sortir des « chiffres » des codes de calcul « clés en main » accessibles en ligne, mais qu’elle devienne encore plus un instrument stimulant la compréhension des matériaux (éventuellement contribuant à en prédire de nouveaux) en partant de la connaissance de leur liaison chimique.

L’approche « machine learning » (exploitation de bases de données quantitatives pour prédire les propriétés de nouveaux matériaux à l’aide d’algorithmes inspirés par l’intelligence artificielle) fait ses premières apparitions dans la communauté « matériaux » française avec quelques années de retard par rapport à d’autres pays européens et d’outre- atlantique. Le défi est immense, aussi bien dans le domaine matériel (des machines bien spécifiques sont nécessaires pour mener à bien le projet), numérique (les algorithmes ne sont pas encore tout à fait disponibles pour un usage étendu à toute la communauté), scientifique (les interactions multidisciplinaires entre spécialistes des matériaux, de la chimie, de l’informatique, de l’algorithmique, du numérique, etc. sont indispensables). Dans ce contexte, il est nécessaire d’insister sur la priorité à donner aux modélisations quantitatives capables de se confronter à la réalité expérimentale de la manière la plus réaliste possible tout en faisant appel aux schémas théoriques les plus performants. Ce sont les ingrédients indispensables pour profiter à plein de la puissance attendue de l’approche « machine learning » dans tous les domaines couverts par la section 15 et, plus généralement, dans tous les domaines attenants à la science des matériaux.

Conclusion

La chimie des matériaux, les procédés et les nanomatériaux se trouvent au centre d’enjeux sociétaux importants tels que les nouvelles technologies qui sont plus économes en énergies fossiles ; l’intelligence artificielle qui s’appuie sur des puissances de calcul toujours accrues nécessitant la mise en œuvre de matériaux quantiques ; les procédés innovants comme la fabrication additive céramique, métallique et demain hybride, plus économes en matière et énergie ; la santé avec la vectorisation via des matériaux hybrides ou l’utilisation de capteurs toujours plus performants basés sur des matériaux multi-fonctionnels, etc.

La conception des matériaux du futur repose sur la connaissance de la liaison chimique et est guidée par différentes approches complémentaires : « screening », biomimétisme et théorie, ce dernier outil venant en support ou même en mode prédictif. Cette compétence doit rester le cœur de métier de la section 15 avec son triptyque « synthèse, structure, propriété » pour lequel les nouveaux entrants doivent être formés.

Dans un contexte très compétitif vis-à-vis des enjeux, avec une politique très incitative des grandes nations (USA, Chine, Allemagne…), notre science ne peut se concevoir qu’à l’échelle européenne. Les chercheurs de la 15 doivent donc profiter de leurs collaborations internationales et nombreuses relations industrielles pour le montage de réseaux européens. À cet effet, les structurations nationales (GDR, outils du PIA..) pourraient servir d’organes de réflexion sur la stratégie européenne.

En termes d’efficacité, le fait de retrouver des matériaux ou de la science des matériaux à l’INC, l’INP, l’INSIS, l’INSU, l’INSB et l’INEE montre bien que le cloisonnement en sections pourrait être vu comme une faiblesse. C’est pourquoi, dans un contexte de diminution de l’emploi scientifique, il est impératif d’optimiser la complémentarité des profils de postes entre Instituts, la section 15 s’interrogeant d’ailleurs sur la pertinence des sections interdisciplinaires.