Rapport de conjoncture 2019

Section 12 Architectures moléculaires : synthèses, mécanismes et propriétés

Composition de la Section

Emmanuel Magnier (président de Section), Armelle Ouali (secrétaire scientifique), Jeanne Crassous (membre du bureau), Karinne Miqueu (membre du bureau), Jacques Lebreton (membre du bureau), Carlos Afonso, Caroline Bouvier, Laurent Chabaud, Vincent Coeffard, Gilles Dujardin, Nicolas Girard, Sébastien Goeb, Laurence Grimaud, Sami Lakhdar, Kamel Mabrouk, Estelle Metay, Guido Pintacuda, Stéphane Quideau, Frédéric Rodriguez, Christine Saluzzo, Christine Thomassigny.

Résumé

La section 12 du CoNRS intitulée « Architectures moléculaires : synthèses, mécanismes et propriétés » est rattachée à l’Institut de Chimie (INC). Notre section rassemble ainsi les chercheurs dont l’activité principale relève de l’innovation en a) synthèse moléculaire, de la méthodologie de synthèse à la synthèse de molécules complexes ; b) chimie supramoléculaire ; c) matériaux moléculaires ; sans oublier les d) outils physico-chimiques et analytiques indispensables à la caractérisation de la structure des objets moléculaires et de leurs propriétés ainsi que la modélisation moléculaire. Ces thématiques sont détaillées dans la suite de ce document.

Introduction

La section 12 est sans doute la section de cœur de l’Institut de Chimie. En effet, une très grande majorité des chercheurs de notre section sont affectés à des laboratoires de l’INC en raison de leurs thématiques centrées sur la chimie moléculaire. Néanmoins, la section ne se contente pas, loin s’en faut, de préparer de nouvelles molécules organiques mais montre avec beaucoup de succès leur utilité dans les domaines des matériaux et des sciences du vivant. Les forces de notre section trouvent leur source dans une expertise unique et précieuse dans tous les aspects moléculaires de la chimie. Les architectures organiques sont les fondations de très nombreuses chimies (bien au-delà de la section 12), ainsi que les briques essentielles à la construction d’édifices plus complexes. Les opportunités sont croissantes tant les besoins de molécules inédites augmentent, ainsi que les capacités et les compétences qui nous amènent de plus en plus vers les autres champs disciplinaires. Les faiblesses qui nuisent au travail de la section 12 sont un recrutement bien trop limité et qui est loin d’être compensé par les départs en retraite. Ces effectifs trop peu fournis sont une des menaces de notre discipline à laquelle s’ajoutent deux autres points qui accentuent notre vulnérabilité : le manque de soutien de nos partenaires industriels et une très forte compétitivité internationale notamment de la part des nombreux laboratoires qui bénéficient de crédits sans commune mesure avec les nôtres. Cette remarque met également en lumière la plus grande difficulté de nos chercheurs à répondre à des appels à projets bien (trop) souvent à caractère interdisciplinaire. Les pages suivantes de ce rapport montrent que cet aspect est loin d’être négligé dans notre communauté mais il convient aussi d’affirmer l’importance de pouvoir développer des projets centrés sur notre cœur de métier et déconnectés d’une application directe ou trop évidente.

Jamais le besoin d’innovation n’a été aussi pressant qu’il soit dans le domaine de la méthodologie et des cibles à atteindre. L’exploitation du tableau périodique conduit à toujours repousser les limites des composés que l’on peut préparer et cela dans les deux dimensions a) celle des petites molécules très fonctionnalisées pour lesquelles un vaste champ de découverte reste en friche ; ces cibles sont en réalité bien souvent de réels défis très complexes, b) celle des molécules à haut poids moléculaire dont la préparation multi-étapes doit être améliorée. Pour atteindre ces objectifs, élaborer de nouvelles structures mais aussi améliorer les procédés actuels dans un souci de respect des contraintes environnementales, la chimie moléculaire doit constamment se réinventer. Et elle se réinvente chaque jour. Qui aurait imaginé il y a peu, associer radicaux organiques et métaux, réaliser des réactions dans de petites tubulures, que l’électrosynthèse allait connaitre une nouvelle jeunesse ?

La section 12 porte la connaissance, l’expertise et l’innovation moléculaire et se place ainsi au centre de la chimie moderne.

Les principales avancées des années récentes sont résumées dans les pages suivantes.

I. Méthodologie de synthèse

A. Nouvelles réactions / nouveaux modes d’activation et de contrôle régio-, chimio-, stéréo-sélectifs

La découverte, fortuite ou raisonnée, de nouvelles réactions a rythmé l’évolution de la chimie organique tout au long de son histoire. L’enrichissement mutuel de la synthèse de molécules complexes et des recherches menées en méthodologie est un facteur indéniable d’innovation pour ces deux axes constituant le cœur de métier du chimiste de synthèse. Ainsi, le développement de nouveaux concepts étend le panel de stratégies mis à la disposition des chimistes pour planifier l’accès à des cibles complexes tandis que les potentiels échecs en synthèse totale requièrent de trouver de nouvelles méthodologies pour contourner les difficultés. Au regard de la complexité croissante des molécules visées et des nombreux paramètres à prendre en compte dans l’élaboration d’une stratégie de synthèse, la méthodologie en chimie organique reste un axe de recherche florissant au sein du paysage scientifique français. Les principales avancées dans ce domaine peuvent être abordées en prenant chacun des éléments d’une réaction : les substrats et produits, la nature des transformations et les conditions réactionnelles.

La Nature est une formidable source d’inspiration pour les chimistes de synthèse tant sur les substances naturelles produites que les stratégies qu’elle déploie pour y accéder (approche bio-inspirée ou biomimétique). La valorisation de substrats déjà fonctionnalisés issus de la biomasse en produits complexes apparait être une stratégie particulièrement pertinente, par sa parfaite adéquation avec les principes de la chimie verte et l’attente du monde industriel pour la valorisation de certains déchets. Les travaux visant à la mise au point de nouveaux réactifs revêtent également un intérêt particulier pour offrir de nouvelles opportunités aux chimistes de synthèse.

En synthèse de molécules complexes, les méthodologies doivent notamment intégrer des paramètres d’efficacité, de sélectivité (chimio-, régio- et stéréo-), de coût, et d’impact sur l’environnement. La découverte de méthodes efficaces et sélectives, notamment chimiosélectives, basées sur de la catalyse métallique, l’organocatalyse ou la biocatalyse, reste un défi permanent auquel de nombreuses équipes de recherche en France s’intéressent. Les travaux portant notamment sur l’association de différents systèmes catalytiques au sein d’un même réacteur ont permis de lever des verrous importants tant en terme de réactivité, de sélectivité, de même que l’activation sélective de liaisons C-H, C-C ou C-Hétéroatomes au sein d’architectures moléculaires. Des trésors d’ingéniosité, tant sur les cibles que sur les outils mis au point, ont été déployés pour réaliser ces transformations sur des molécules regorgeant de sites fonctionnels potentiellement activables. Ces efforts sont notamment motivés par la perspective de voir émerger de nouveaux paradigmes en synthèse organique qui révolutionneraient la discipline tant en recherche fondamentale qu’appliquée.

Concernant le contrôle de la stéréosélectivité et notamment de l’énantiosélectivité, la catalyse asymétrique reste un domaine de recherche prospère. Les travaux portent notamment sur le design de ligands chiraux permettant un meilleur transfert de chiralité lors de transformations métallocatalysées ou la conception de nouveaux systèmes organocatalytiques chiraux. Actuellement, la mise au point de procédés catalytiques asymétriques reste principalement basée sur un criblage minutieux et chronophage des conditions réactionnelles (catalyseur, solvant, température, additifs…). L’explosion de l’intelligence artificielle dans les sciences, et en particulier en chimie, devrait faciliter la mise au point de nouvelles réactions dans un futur proche.

Parmi les outils disponibles pour le développement de nouvelles méthodologies, les sources d’activation non conventionnelles – microondes, ultrasons, mécanochimie – offrent des perspectives enthousiasmantes dans l’amélioration des réactions existantes et dans l’émergence de nouvelles réactivités. Ces dernières années, la chimie en flux continu, la photochimie ou l’électrochimie ont également pris une part importante dans la mise au point de nouvelles méthodologies et les travaux aux interfaces avec d’autres disciplines (informatique, génie des procédés, biochimie…) émergent comme des solutions innovantes pour répondre aux défis futurs de la méthodologie de synthèse.

B. Catalyses

1. Organocatalyse

Depuis son grand essor à partir des années 2000, l’organocatalyse asymétrique reste l’un des grands thèmes de recherche de la synthèse organique, même si le nombre de publications annuel semble se stabiliser.

Cette méthode de catalyse par de petites molécules organiques reste très attractive de par la toxicité limitée, le faible coût et la stabilité des catalyseurs généralement utilisés (catalyse complémentaire). Elle a de plus permis de résoudre des approches énantiosélectives qui restaient complexes à obtenir de manière plus « classique ». L’étude des mécanismes d’action des organocatalyseurs, par des approches couplées expérience-théorie, a permis l’évolution des systèmes et la création de nouveaux modes de catalyse. Une classification selon le mode d’activation du substrat par le catalyseur permet de distinguer deux grands procédés dépendant de la formation d’intermédiaires covalents ou non-covalents. Ainsi, la première catégorie regroupe les réactions impliquant la formation d’énamines ou d’ions iminiums pour les plus connues, et auxquelles s’ajoutent les catalyseurs de type carbène N-hétérocycliques (NHC), phosphines, ammonium, radicalaires. Les interactions non covalentes englobent les catalyses par hydrogènes, acide de Bronsted, transfert de phase, ou encore anion chiral. Il est à noter qu’un unique catalyseur peut agir selon divers modes d’activation (catalyseur multifonctionnel).

Les catalyses par amines ou activation par liaisons hydrogènes restent encore aujourd’hui les méthodes les plus étudiées, avec des systèmes pouvant contrôler l’énantiosélectivité d’un nombre important de centres asymétriques nouvellement formés. Mais d’autres molécules se révèlent très prometteuses, à l’image des phosphines dont l’utilisation en catalyse permet l’obtention de squelettes carbo- et hétérocycliques. Cette méthode consiste en l’addition d’une phosphine nucléophile sur un substrat électrophile, généralement sous conditions douces, induisant la formation d’un intermédiaire zwittérionique réactif. En particulier, cette méthode allège les réactions traditionnellement connues pour générer des oxydes de phosphines par quantités stoechiométriques (notamment réactions de Wittig, Mitsunobu, Staudinger). L’utilisation des phosphines en version catalytique recouvre déjà un grand nombre de réactions. La découverte de nouvelles voies d’utilisation va certainement faire de ces catalyseurs l’un des procédés incontournables de l’organocatalyse. La famille des catalyseurs s’est élargie avec des structures de type catalyseurs supramoléculaires, liquides ioniques ou encore catalyseurs supportés.

L’organocatalyse est maintenant devenue un outil privilégié pour des stratégies efficaces et plus propres pour l’environnement lors de synthèse de produits naturels et pharmaceutiques. L’association plus récente avec de nouveaux modes d’activation (micro-ondes, chimie de flux, activation sous pression…) devrait fournir de nouvelles réactivités et permettre l’obtention de cibles toujours plus ambitieuses.

2. Catalyse organométallique dont métaux non nobles

La chimie organométallique continue sa marche en avant initiée au milieu du siècle dernier. Au niveau du système catalytique à proprement parler, la rationalisation de la nature des espèces organométalliques et l’utilisation de complexes organométalliques bien définis sont essentielles. À ce titre, des laboratoires de recherches français ont soit caractérisé de nouvelles espèces qu’ils ont engagées avec succès dans des transformations inédites, ou encore défini les espèces mises en jeu pour améliorer des réactions métallo-catalysées. Les développements effectués ces dernières années autour des ligands associés au métal ont connu un réel essor. La synergie entre ces deux partenaires a encore été repoussée. Le ligand ne se contente plus de jouer sa partition classique au niveau électronique et stérique, mais il devient non-innocent, hémi-labile ou encore confinant. Tous ces développements, d’une haute importance conceptuelle, devront se concrétiser par la mise au point de ligands efficaces et facilement synthétisables pour être utilisés largement.

L’incorporation de ces systèmes organométalliques dans des processus chimiques de plus en plus aboutis constitue toujours un enjeu majeur. Deux voies principales sont actuellement explorées. D’une part, la modification catalytique de liaisons peu ou très peu réactives de façon sélective au départ de substrats extrêmement simples demande l’élaboration d’édifices catalytiques bien pensés. D’autre part, la conception d’un système catalytique pouvant réagir sélectivement sur un substrat facile d’accès et hautement fonctionnalisé est également un axe privilégié. Ces deux concepts ont un objectif commun qui est l’augmentation de la complexité des structures moléculaires formées. D’autres voies comme les réactions tandem, multi-composantes ou encore domino, toutes métallo-catalysées, permettent également de l’atteindre. Ces différentes avancées sont souvent combinées au développement de systèmes catalytiques chiraux pour la synthèse de molécules à haute valeur ajoutée. De plus, des systèmes efficaces associant plusieurs catalyseurs organométalliques voient de plus en plus le jour. En effet, la catalyse dite duale ou coopérative connait un essor très important et elle devrait permettre de repousser certaines limites inhérentes à l’utilisation d’un seul métal de transition.

La prise en compte des aspects environnementaux est maintenant devenue incontournable dès l’initiation d’un nouveau projet. Bien évidemment, la recherche en chimie organométallique n’y échappe pas et se doit même d’apporter des solutions viables dans la transformation et la production de molécules d’intérêt. Ainsi, les nouveaux systèmes catalytiques sont de plus en plus efficaces (TON et TOF) et possèdent une importante stabilité ce qui permet leur utilisation avec une très faible charge catalytique. Le recyclage est également un point important à prendre en compte, surtout lors de l’utilisation de métaux non nobles, très coûteux et potentiellement toxiques. Ainsi, le développement notable, depuis ses dernières années, autour de l’utilisation de métaux non nobles pour réaliser des transformations inédites ou réservées jusqu’ici aux métaux nobles, apparait comme l’une des solutions d’avenir.

3. Biocatalyse

L’année 2018 a été l’année de la consécration d’un pan de la recherche sur la biotechnologie et la biocatalyse via le prix Nobel de chimie décerné conjointement à Frances Arnold, George Smith et Sir Gregory Winter. C’est à Frances Arnold, cinquième femme à recevoir un prix Nobel, que l’on doit les travaux sur l’évolution dirigée dite aussi évolution orientée des enzymes, permettant d’accélérer les réactions chimiques. Quant à George Smith et Sir Gregory Winter, ils ont respectivement mis au point la technique « phage display des peptides et des anticorps » (des virus infectent une bactérie, la piègent afin de la reproduire) et son association à l’évolution orientée. Ces composés qui sont des anticorps modifiés, ont donné naissance à la phagothérapie.

Habituellement mis au sein des cellules, les enzymes et les microorganismes catalysent des transformations. Ces catalyseurs issus du vivant tout comme les catalyseurs organométalliques peuvent améliorer des synthèses existantes, conduire à des transformations éventuellement peu courantes voire impossibles en chimie conventionnelle, et permettre un accès rapide et efficace à de nouveaux produits et composés d’intérêts. Néanmoins, contrairement à la chimie organométallique, la biocatalyse n’utilise pas de métaux lourds, précieux, elle est donc plus respectueuse de l’environnement ce qui en fait un outil incontournable de la chimie verte. Les avancées de la biocatalyse découlent directement de l’évolution dirigée des enzymes. Cette évolution consiste à créer une diversité génétique en sélectionnant plusieurs gènes et en accumulant les mutations avantageuses en exaltant, par exemple, une fonction minoritaire de l’enzyme de départ. Les caractéristiques de ces nouvelles espèces sont par la suite déterminées par criblage haut débit dont les tests doivent au mieux refléter les activités enzymatiques recherchées. Ces modifications permettent à ces nouvelles enzymes de les rendre plus stables, plus actives, plus sélectives donc plus efficaces. Récemment, leur champ d’action a notamment pu être élargi à des environnements inhabituels afin de les adapter au mieux aux exigences industrielles à savoir l’emploi d’un solvant organique nécessaire à la solubilisation des substrats organiques, d’un pH plus acide ou basique, de températures élevées (enzymes issues d’organismes extremophiles)

La biocatalyse est actuellement présente dans de nombreux domaines de l’industrie, tels les cosmétiques, le secteur des lessives et détergents, l’agroalimentaire, la pharmaceutique, la chimie fine, les biocarburants, le papier, le textile.

À l’heure actuelle, seuls 15 % des processus utilisent des bioconversions enzymatiques et leur utilisation ne cesse de progresser du fait des conditions plus modérées et plus « vertes » par rapport aux procédés chimiques habituellement mis en œuvre et de matières premières souvent issues de la biomasse

Bien que de nombreux progrès aient été réalisés dans le domaine de la biocatalyse, l’immobilisation sur support de l’enzyme pour des processus en continu reste l’un des défis majeurs pour une utilisation industrielle. De nombreuses méthodes d’immobilisation font l’objet de travaux mais peu d’entre elles ont été transposées pour une utilisation industrielle pour des raisons de coût du support et de mise en œuvre. Seule l’absorption d’enzymes sur des supports échangeurs d’ion fait exception. Dans une moindre mesure, l’amélioration des performances globales des systèmes biologiques est, elle aussi à considérer.

Pour conclure, les perspectives de la biocatalyse sont nombreuses et ce, dans tous les domaines. Cependant, du fait des enjeux économiques et sociétaux, ce sera sans doute dans les secteurs de l’énergie (formations de biocarburants, production d’hydrogène…), la valorisation des déchets et du dioxyde de carbone que les progrès devraient être les plus marquants

4. Catalyse de polymérisation

Si les polymères naturels, bois, fibres végétales, cuir, laine, ont été les premiers utilisés, les polymères synthétiques sont aujourd’hui très présents dans notre quotidien et leur demande est croissante. En effet, de nombreux domaines d’activités sont concernés tels que l’électronique, l’énergie, le magnétisme, la photonique, la chimie supportée et miniaturisée, l’imagerie biologique, la médecine ou le développement durable. Le développement de méthodes de synthèse de nouveaux polymères nanostructurés ou polyfonctionnels a permis l’accès à des matériaux pour de nouvelles applications ou encore pour de meilleures performances. Il est ainsi important d’être en mesure de contrôler la structure chimique, l’architecture et la localisation des groupements réactifs/fonctionnels permettant de conférer une fonction au polymère/matériau. Des avancées majeures ont été réalisées grâce à la mise au point de nouveaux catalyseurs et amorceurs, de nouvelles méthodes (polymérisation contrôlée, photopolymérisation) et de nouveaux monomères pour les différentes techniques de polymérisation. Le développement des matières plastiques d’origine synthétique et leurs exploitations intensives pour des usages courants, se sont traduits par l’accumulation dans l’environnement de déchets non biodégradables à durée de vie très longue. Afin de répondre à cette problématique, la synthèse contrôlée de polymères biodégradables est mise au point dans différentes équipes de recherche. Une autre alternative est à l’étude et consiste à incorporer des polymères naturels dans des matériaux synthétiques en utilisant un compatibilisant. Il est important de poursuivre ces innovations en tenant compte des critères de recyclabilité, de fonctionnalité, de biodégradabilité, des bio-ressources et d’un coût contrôlé, afin de répondre à la demande en matériaux polymères plus performants qui ne cesse de croître (matériaux polyfonctionnels, recyclables, auto-réparants, nano-structurés, hybrides).

5. Multicatalyse

Apparue depuis une vingtaine d’années, la catalyse duale associe différents modes de catalyse complémentaires. Elle permet de concevoir, d’observer des transformations chimiques difficiles voire impossible à réaliser selon des méthodes conventionnelles. La réduction des déchets, du temps de réaction, la possibilité de former et de contrôler des intermédiaires instables en font un outil indispensable de formation de cibles possédant une structure complexe. Elle permet de plus un excellent contrôle de la régio-, chimio- et stéréo- sélectivité en synthèse organique. Il est à noter que le concept de stéréo-divergence en catalyse duale (accès à chacun des stéréoisomères d’un composé à partir des mêmes synthons) devrait conduire à des systèmes toujours plus efficaces via une étude mécanistique poussée des processus asymétriques.

Jusqu’à une période relativement récente, la catalyse duale consistait principalement en l’utilisation de deux types de systèmes catalytiques identiques ou différents parmi la métallo-catalyse, l’organocatalyse et la biocatalyse. En ce qui concerne la biocatalyse, des réactions en cascade tendent à se développer via l’utilisation combinée de plusieurs enzymes, l’un des défis étant de mettre au point des cascades comportant plus de 3 étapes.

Depuis peu, la photocatalyse a pris une part importante dans la multi-catalyse. Ceci est dû à son mode d’action particulier, à savoir la capacité d’absorber et de convertir l’énergie d’un photon pour effectuer une réaction. Elle ne nécessite pas d’interactions fortes avec le substrat, contrairement aux autres modes de catalyse. Les divers types de mécanismes entrant en jeu en photocatalyse sont le transfert électronique, le transfert énergétique et le transfert d’hydrogène. Il est à noter qu’en catalyse duale, ils sont combinés à l’action de médiateurs rédox (photosensibilisateurs) ou de co-catalyseurs compatibles de type acide Bronsted ou Lewis, des organocatalyseurs, des catalyseurs organométalliques à base de Ni, Ru, Ir, Au, Cu pour les plus courants.

Un autre couplage plus récent est celui de la photocatalyse avec la biocatalyse. La grande diversité des enzymes redox associées avec l’excellente activité catalytique par site actifs le rendent très attrayant. Cependant, cette méthode en est encore à ses balbutiements et souffre d’un manque d’études notamment en ce qui concerne la stabilité des biocatalyseurs en synthèse photo-enzymatique. Cette stabilité pourrait être améliorée par immobilisation ou encapsulation du biocatalyseur. La résolution de ce problème primordial devrait permettre un transfert à l’échelle industrielle et laisser présager un avenir prometteur pour la catalyse photo-enzymatique.

6. Chimie radicalaire

Les réactions mettant en jeu des espèces radicalaires font partie des outils indispensables en synthèse organique. Cependant, ces processus ont longtemps souffert de l’utilisation de réactifs toxiques tels que les organostannanes, et ce malgré de nombreux efforts pour bannir leurs usages. Récemment, la chimie radicalaire a malgré tout connu un nouvel engouement, notamment via la catalyse photoredox et l’électrosynthèse. Bien que connus depuis de nombreuses années, la prise de conscience de la communauté scientifique pour les enjeux environnementaux a conduit les chercheurs à s’intéresser à ces techniques pour générer des espèces radicalaires (radical, radical-cation ou radical-anion) par des procédés plus éco-compatibles.

La catalyse photoredox exploite les propriétés photophysiques et électrochimiques de complexes organométalliques ou de colorants organiques pour in fine convertir des photons en espèce radicalaire réactive. Elle est devenue un outil important en synthèse organique et connaît de nombreuses évolutions. La synthèse de nouveaux catalyseurs permet de moduler les longueurs d’onde d’absorbance des catalyseurs et d’élargir leurs champs d’applications. Le couplage avec la synthèse en flux continu permet la montée en échelle de ces réactions. Comme indiqué précédemment dans le contexte des catalyses duales, la catalyse photoredox est souvent combinée avec d’autres modes d’activation comme la catalyse organométallique, catalyse enzymatique ou organocatalyse. Cela ouvre de nouvelles perspectives en synthèse organique pour la construction d’architectures moléculaires complexes.

Conceptuellement proche de la catalyse photorédox, l’électrosynthèse organique a également connu un regain d’intérêt. En effet, des développements technologiques récents ont permis de rendre cette technique populaire et conviviale. Elle est devenue une alternative à l’utilisation d’oxydants ou réducteurs chimiques et le contrôle du potentiel ou du courant au cours du processus permet un contrôle fin de la sélectivité de la réaction. De la même manière, elle peut être couplée à d’autres modes d’activation (catalyse organométallique par exemple) ou à des techniques comme la chimie en flux. Les conditions douces développées associées à la mise en œuvre aisée permettent d’envisager des applications en chimie pharmaceutique.

Ces outils synthétiques ont montré leurs efficacités dans de nombreuses transformations nécessitant la création de liaison carbone-carbone ou carbone-hétéroatome (azote, halogène, oxygène, bore…). Ainsi, le champ des applications est extrêmement large allant de la fonctionnalisation d’hétérocycles ou de molécules complexes (sucres…) à des réactions radicalaires de transfert d’atomes ou de fonctionnalisation sélective de liaisons C-H.

7. Biomasse

Jusqu’au xixe siècle, les matières premières renouvelables étaient largement utilisées comme par exemple les graisses et les huiles végétales dans la fabrication de peintures, de vernis, de bougies et de savons. C’est à partir de la seconde Guerre mondiale que l’industrie pétrochimique s’est développée rapidement en transformant le pétrole et le gaz en médicaments et autres produits de commodité. Depuis quelques années, une renaissance de la « xylochimie » valorisant tous les constituants du bois est observée. Le bois, composé organique, est constitué de 50 % de carbone, 44 % d’oxygène et 6 % d’hydrogène répartis en 3 constituants macromoléculaires majoritaires : la cellulose 45 %, l’hémicelluloses 25 % et la lignine 25 %. Selon les essences, des substances de faible poids moléculaire peuvent être valorisées comme par exemple les tannins du chêne, la gemme ou résine du pin maritime, le latex de l’Hévéa, le xylitol du bouleau… La fragmentation de la lignine selon les conditions (réduction, oxydation, hydrolyse…) peut également conduire à différents composés valorisables et notamment des dérivés aromatiques. De nombreuses plateformes moléculaires peuvent être synthétisées par biotransformation à partir des glucides. À titre d’exemple, l’éthanol est aujourd’hui produit industriellement par fermentation du glucose. Par transformation chimique, l’accès à de nombreuses plateformes moléculaires comme celles des dérivés furanes aromatiques ou saturés de la famille des tétrahydrofuranes est rendu possible. Les terpènes représentent une autre famille de molécules d’intérêt que l’on retrouve dans des résineux ou encore dans certaines plantes. Les produits réduits peuvent trouver des applications en tant que solvants par exemple. Parmi les autres matières premières renouvelables, les huiles végétales ont beaucoup inspiré les chercheurs ces dernières années. Des alternatives à l’utilisation des huiles végétales comme source d’énergie sont proposées. Peuvent être citées, la préparation par une coupure oxydante de monomères diacides et de l’acide pelargonique actuellement utilisés comme herbicides, la mise au point de systèmes catalytiques très performants pour effectuer la métathèse de dérivés insaturés, la synthèse de solvants, hydrotropes et surfactants à partir de glycérol et de ses dérivés. La culture des micro-algues représente une alternative à celle des plantes aériennes. Et par exemple, les déchets de micro-algues sont aujourd’hui valorisés pour la préparation de bio-bitumes. La valorisation des rejets, des déchets de l’industrie ou encore la remédiation des sols est aussi une préoccupation importante. Principal gaz à effet de serre produit par l’activité humaine, le taux de CO2 dans l’atmosphère augmente régulièrement et notamment de 30 % au cours des deux derniers siècles. Des travaux importants sont engagés pour capter et stocker le CO2. Pour compléter la filière, il est valorisé en le considérant comme une matière première source de carbone non fossile utilisable pour la production de produits à plus forte valeur ajoutée, comme les produits chimiques (acide formique, méthanol, méthane, carbonates…). La dépollution des sols à l’aide de plantes bien identifiées permet la préparation de catalyseurs enrichis en différents métaux selon la nature de la plante sélectionnée. Ces catalyseurs sont employés pour effectuer différentes transformations chimiques. La valorisation des plantes invasives est également au cœur de programmes de recherche. Ces dernières années des molécules bio-sourcées ont également été produites par biosynthèse. Quelle place va prendre ce nouvel outil dans la boite du chimiste ?

8. Activation de petites molécules (CO2, N2)

L’augmentation de la concentration en dioxyde de carbone dans l’atmosphère est une composante importante du réchauffement planétaire et responsable en grande partie des changements climatiques actuels et à venir. L’utilisation des énergies fossiles, grande productrice de ce gaz à effet de serre, doit rapidement être substituée par d’autres sources énergétiques. De plus, la raréfaction des sources d’énergie fossile rend vital ce changement de paradigme pour nos sociétés modernes très énergivores. Une des possibilités, actuellement très développée, est d’utiliser les petites molécules en tant que centre de stockage, mais également comme source abondante, d’énergie. Ainsi, divers laboratoires français sont partie prenante dans l’activation de petites molécules que ce soit électrochimiquement, par catalyse métallique ou encore par organo-catalyse. Les petites molécules organiques disponibles en grande quantité ont comme inconvénient leur très grande stabilité et sont donc difficilement transformables. Il est donc toujours utile de découvrir de nouveaux chemins réactionnels permettant d’accélérer les cinétiques de réaction.

C. Hétérochimie/Hétéroéléments (F, Si, B, P, S, Se, N…)

Cette chimie extrêmement riche et innovante pourrait faire l’objet d’une partie distincte. Elle serait alors non exhaustive (faute de place) et en forte redondance avec les autres chapitres tant les hétéroatomes sont présents dans tous les champs disciplinaires de la section. En effet, l’incorporation d’hétéroéléments permet d’accéder à des molécules très originales avec des propriétés inattendues (catalyse, nouvelles structures stables, espèces à coordinence inusuelle…) et ainsi l’innovation dans ce domaine des hétéroéléments se retrouve dans tous les autres chapitres.

D. Milieux et activation

La mise au point de procédés plus efficaces et sélectifs est un enjeu majeur en chimie organique, qui est au cœur du développement de nouveaux milieux réactionnels et méthodes d’activation. Ces recherches s’inscrivent dans une démarche de chimie éco-compatible et durable, avec comme objectifs de limiter les effluents polluants, la dangerosité des procédés et d’améliorer leur efficacité énergétique.

L’une des solutions pour répondre à ces enjeux s’appuie sur le développement d’alternatives aux solvants organiques traditionnels. Dans ce domaine, des efforts sont entrepris pour utiliser des solvants « verts » ou biosourcés (glycérol et ses dérivés, les dialkylcarbonates, la γ-valérolactone), pour réaliser des réactions dans l’eau (pure ou via des microémulsions) voire sans solvant. Par ailleurs, l’utilisation des fluides supercritiques ou les solvants eutectiques profonds permettent quant à eux la réduction de déchets et le recyclage. Leurs propriétés particulières leur confèrent également un intérêt particulier dans les techniques de séparations (SFC…). En outre, on observe un regain d’intérêt pour les solvants fluorés tels que les alcools fluoroalkyles (TFE, HFIP), dont les propriétés intrinsèques (acidité, polarité, liaison H…) permettent de réaliser des transformations sans promoteurs extérieurs, ou des réactions métallo-catalysées de façon plus efficaces et sélectives.

L’amélioration des procédés de synthèse passe aussi par le développement de technologies innovantes d’activation. Ces outils apportent des solutions aux problématiques liées à la chimie durable, mais aussi à la réactivité moléculaire. Ces techniques ont connu une croissance importante grâce à la commercialisation d’appareillages pratiques et sûrs. Parmi ces méthodes d’activation, citons les micro-ondes, les hautes pressions, les radiofréquences, la sonochimie, la photochimie ou l’électrochimie. Bien que plus spécifique, la mécanochimie permet d’accéder à des biomolécules ou de réaliser des réactions d’activation C-H, tout en limitant l’utilisation de solvants.

La technique de la synthèse en flux continu a bénéficié d’importantes avancées scientifiques. Les dispositifs microfluidiques (échelle du laboratoire de synthèse), millifluidiques (montée en échelle) ou nanofluidiques (échelle analytique) sont couramment utilisés dans les laboratoires de recherches académiques et industriels car ils permettent notamment de diminuer la dangerosité des procédés et d’optimiser les processus en batch. La chimie en flux continu voit aujourd’hui son champ d’application élargi grâce à la combinaison de cette technique à différents modes d’activation (micro-onde, photochimie, électrochimie…). Les techniques d’analyse en continu (RMN, IR…) associées au « machine learning », offrent des applications intéressantes en synthèse organique sans la nécessité d’une intervention humaine. Enfin, notons que l’impression 3D fait son apparition dans les laboratoires de recherche pour la fabrication sur mesure de micro-réacteurs.

II. Synthèse de molécules complexes

La synthèse chimique de molécules complexes et en particulier la synthèse totale de substances naturelles (très souvent bioactives) est une activité de recherche très active. Les activités connexes de méthodologies de synthèse en vue d’applications en synthèse totale/multi-étape concernent une communauté élargie. L’enrichissement mutuel de la synthèse totale de molécules complexes et des recherches menées en méthodologie est un facteur d’innovation indéniable pour ces deux axes constituant le cœur de métier du chimiste de synthèse. Ainsi, le développement de nouveaux concepts étend le panel de stratégies mis à la disposition des chimistes pour planifier l’accès à des cibles de complexité structurale croissante tandis que les potentiels échecs en synthèse totale requièrent de trouver de nouvelles méthodologies pour contourner les difficultés. Elles doivent notamment intégrer des paramètres d’efficacité, de sélectivité, d’impact sur l’environnement et de coût. La découverte de méthodes efficaces et sélectives, notamment chimiosélectives, basées sur l’activation de liaisons C–H, ou C–C, sur la catalyse métallique propre, l’organocatalyse ou la biocatalyse, voire leur association, et/ou sur des modes d’activation durables (e.g., photochimie, électrochimie) rend possible la mise en œuvre de nouvelles stratégies de synthèse. Leur choix et la mise en œuvre des tactiques méthodologiques correspondantes d’accès aux molécules ciblées peuvent aisément tirer profit de l’aide apportée par les progrès réalisés en chimie théorique. La chimie computationnelle permet de modéliser les structures géométriques, électroniques et les dynamiques intra- et intermoléculaires de systèmes organiques de plus en plus complexes ainsi que de décrire des mécanismes réactionnels. Elle permet également de rationaliser des données expérimentales telles que des régio/chimio/stéréo-sélectivités, voire même aujourd’hui de les anticiper.

Ainsi, dans l’avenir, l’analyse rétrosynthétique in silico pourra constituer un outil formidable pour la synthèse chimique de molécules complexes. L’émergence de nouveaux outils informatiques dotés des algorithmes de l’intelligence artificielle et de l’apprentissage machine (« machine learning ») serviront les (bio)chimistes organiciens dans leurs choix de molécules cibles, d’origine naturelle ou non, et dans leurs efforts de préparation de ces molécules, de leurs analogues et dérivés. Les approches modernes d’accès chimique à la diversité moléculaire (e.g., diversity-oriented synthesis, biology-oriented synthesis, fragment-based drug discovery, natural products post-fonctionalization), sont aussi autant d’outils encore à développer avec l’aide de l’intelligence artificielle pour améliorer les sélectivités d’accès (i.e., chimio-, régio- et stéréosélectivités) et, ipso facto, la valorisation des molécules issues de la synthèse et de l’hémisynthèse (bio)chimiques dans d’autres disciplines scientifiques et domaines d’intérêt pour les industries (vide infra).

En amont de ces nouvelles opportunités offertes par l’outil informatique moderne, n’oublions pas que la nature est et demeure une formidable source d’inspiration pour les chimistes de synthèse tant sur la diversité des substances naturelles produites, en termes de structures et de propriétés biophysico-chimiques, que sur les stratégies que la nature déploie pour y accéder. Par conséquent, la conception de voies de synthèse bio-inspirées ou biomimétiques continue de constituer un défi des plus louables en synthèse organique, riche d’enseignements pour la biochimie et de découvertes en synthèse organique d’avantage basées sur l’exploitation de la réactivité intrinsèque des molécules que sur le recours à la chimie de protection pour forcer leur synthèse. Aussi, la valorisation de molécules déjà fonctionnalisées issues de la biomasse en produits plus complexes et actifs apparait être une approche particulièrement pertinente, car cette approche est aussi en adéquation avec les principes de la chimie durable, dite « verte », et l’attente des industries pour la valorisation de leurs produits, et sous-produits qualifiés de déchets.

Par ailleurs et de toute évidence, la synthèse chimique de molécules complexes, et en particulier la synthèse totale de substances naturelles et de dérivés, continuent de constituer le maillon central de la formation avancée en chimie organique. Le maintien d’une recherche de haut niveau est nécessaire pour accéder par la synthèse chimique à des molécules de plus en plus complexes, aux propriétés diverses et variées.

Au-delà des aspects disciplinaires, les liens de la synthèse chimique de molécules complexes avec d’autres domaines scientifiques sont nombreux, et aussi croissants en raison des développements modernes transdisciplinaires de la recherche scientifique. Au sommet de la liste demeurent encore certainement les liens avec la chimie thérapeutique et la biologie. Un projet de synthèse totale d’une substance bioactive, en plus de la possibilité de fournir en quantité suffisante cette substance quand elle est naturellement peu abondante, peut aussi permettre l’accès à des congénères, à des analogues non naturels, ainsi qu’à des variants isotopiquement marqués. Ces derniers s’avèrent très utiles pour les études de relation entre structure et activité, d’élucidation des modes d’action, et du métabolisme moléculaire in vivo.

L’avènement récent de la chémobiologie ouvre aussi de nouvelles opportunités aux chimistes organiciens pour exploiter encore plus en avant leurs compétences en franchissant les barrières des domaines de la biologie. Ainsi, par exemple, l’élaboration de sondes moléculaires équipées des produits de la synthèse chimique conjugués à des motifs de visualisation ou capables d’interactions moléculaires particulières, offre aujourd’hui des outils indispensables à la compréhension des processus biologiques fondamentaux et à l’identification des cibles biomoléculaires d’intérêt pour l’industrie pharmaceutique.

Une synthèse totale, si elle est bio-inspirée, peut aussi permettre de confirmer ou d’infirmer des voies de biosynthèse de métabolites spécialisés. Ces éléments de compréhension de la diversité moléculaire, ainsi accessibles grâce à la synthèse chimique, sont autant d’informations vers une compréhension véritable de la biodiversité des organismes. Ces connaissances fondamentales sont cruciales pour tout développement biotechnologique de production de molécules d’intérêt par la biologie de synthèse.

La synthèse chimique constitue aussi un champ de compétences indispensables à bien d’autres domaines scientifiques liés à diverses industries comme celles de l’agroalimentaire, de la parfumerie et des cosmétiques, ou même de la parapharmacie. L’accès à certains principes actifs ou additifs naturels traditionnellement obtenus par extraction, comme certains ingrédients odorants, colorants, antioxydants, doit aujourd’hui faire face à des législations de plus en plus strictes qui contraignent à raison l’exploitation des ressources naturelles. La synthèse chimique reste donc une alternative et même un moyen efficace d’accès à des molécules dont les propriétés et l’innocuité peuvent être grandement améliorées.

Rappelons que les produits de la recherche en synthèse chimique alimentent les collections d’échantillons regroupés au sein de la Chimiothèque Nationale dont l’objectif est d’en promouvoir la valorisation scientifique via l’évaluation biologique, avec un mode d’organisation récemment renouvelé dans le cadre d’un partenariat entre le CNRS, l’industrie pharmaceutique française et les laboratoires concernés.

III. Chimie Supramoléculaire

Reposant sur des interactions faibles non covalentes, la chimie supramoléculaire a été consacrée en 1987 par l’attribution du prix Nobel à Donald J. Cram, Jean-Marie Lehn et Charles Pedersen pour leurs travaux sur la reconnaissance moléculaire. Le potentiel de cette discipline a une nouvelle fois été mis en lumière en 2016, lorsqu’un autre chimiste français, Jean-Pierre Sauvage, s’est vu attribuer le prix Nobel avec Fraser Stoddart et Bernard L. Feringa pour l’ensemble de leurs avancées sur les machines moléculaires.

La maîtrise des processus d’auto-assemblage, souvent conduits sous contrôle thermodynamique, permet d’accéder à des structures très complexes souvent inatteignables par les méthodologies développées en chimie conventionnelle. Celles-ci sont généralement obtenues par auto-organisation de briques élémentaires simples, construites grâce à la boîte à outils du chimiste organicien, en exploitant la nature réversible et auto-correctrice du processus d’association. L’étendue des possibilités synthétiques qu’offre cette approche confère à cette discipline un champ d’investigation très vaste souvent à l’interface avec la biologie, la physique, la physico-chimie et le domaine des matériaux. Elle favorise donc par ce biais les actions de recherche transversales.

La chimie supramoléculaire repose sur des fondements largement inspirés par les processus du vivant. Nous pouvons citer de manière non exhaustive le transport moléculaire et énergétique, la reconnaissance cellulaire, la catalyse, autant de domaines dans lesquels elle trouve des applications.

Un des domaines de la chimie supramoléculaire tire parti des composés biologiquement actifs pour concevoir des systèmes biomimétiques et des matériaux hybrides adaptatifs (systèmes membranaires, canaux ioniques, biocapteurs sélectifs). Les concepts de chimie combinatoire dynamique se développent également de façon continue et trouvent des applications dans les matériaux pour le stockage, le relargage de petites molécules d’intérêt, ou encore la purification de l’eau salée (sujet primordial s’il en est).

Les systèmes de type « hôte-invité » suscitent beaucoup d’attention à la fois pour le développement de concepts très fondamentaux mais aussi pour leurs applications potentielles dans des domaines aussi étendus que la vectorisation de médicaments, la dépollution, le stockage de molécules instables ou encore la catalyse en milieu confiné. Notons que les hôtes eux-mêmes peuvent être construits par auto-assemblage comme par exemple les doubles hélices de foldamères, les capsules ioniques, ou encore les cages de coordination.

Un intérêt particulier est également porté à la conception de systèmes supramoléculaires fonctionnels pour lesquels l’application d’un stimulus externe tel que la lumière, un changement de pH ou un transfert d’électron permet une modulation des propriétés. Ces transformations peuvent s’appliquer au relargage contrôlé d’invité, au métamorphisme moléculaire ou encore à la conception d’interrupteurs ou de moteurs moléculaires.

Le contrôle de l’auto-assemblage de petites molécules permet d’étendre leur organisation à l’échelle du matériau et ainsi la création de nouveaux objets supramoléculaires. Citons entre autres les architectures nanoporeuses pour la conception de capteurs ou le stockage de gaz, les polymères dotés de propriétés auto-réparantes, les organogels exploités pour leurs propriétés rhéologiques, ou encore les cristaux liquides pour leurs diverses applications dans les domaines de l’affichage ou de l’électronique moléculaire.

Globalement, les concepts de la chimie supramoléculaire permettent d’accéder à des objets dotés de propriétés nouvelles, et qui ouvrent la voie à des applications potentielles dans des domaines très variés. Les vastes contours de cette discipline lui confèrent une très grande transdisciplinarité que la communauté se doit de cultiver.

IV. Matériaux Moléculaires

La chimie des matériaux moléculaires et les nanosciences continuent leur forte progression et demeurent des champs très actifs et novateurs de la chimie organique. Les applications finales alimentent en amont une chimie créative et dictent des voies de synthèse originales. De nouveaux outils de chimie synthétique doivent sans cesse être développés, faisant appel à la chimie du carbone, la chimie des hétéroatomes et à l’ingénierie moléculaire au sens large. Ainsi, la chimie des systèmes polyaromatiques (PAHs) est en plein essor et voit le développement de nombreuses classes de composés très originaux à base de carbone (analogues de graphènes et de nanotubes de carbones, dérivés des fullerènes). De nombreuses percées scientifiques sont également attendues en chimie de l’azote, bore, fluor, phosphore, soufre, silicium, sélénium, etc… Par ailleurs, de nombreux systèmes moléculaires polyazotés à architectures spécifiques (comme les porphyrines, les bore-dipyrométhènes, les radicaux polyazotés) restent des sujets d’études et de créativité importants. D’autres chimies spécifiques comme la chimie radicalaire sont développées pour des visées synthétiques de molécules dédiées (polymères, molécules porteuses de spin…). Enfin, l’ingénierie moléculaire qui consiste à assembler des briques moléculaires possédant des propriétés bien ciblées (chromophores pour l’optique linéaire ou non linéaire, colorants organiques, systèmes donneurs ou accepteurs d’électrons, systèmes électro- et photo-rédox, systèmes chiraux…) demeure au centre de nombreux domaines de la science des matériaux. Ce développement synthétique s’effectue non seulement à l’échelle de la molécule, mais aussi dans les oligomères, les polymères, les dendrimères et les nanoparticules organiques.

En effet, la composition chimique d’un nouvel édifice ne constitue pas une condition suffisante pour l’élaboration d’un matériau efficace. Sa topologie et son organisation dans le milieu d’étude (état gazeux, liquide ou solide, milieu biologique…) doivent être bien connues, bien appréhendées et maîtrisées. Il faut donc tenir compte de motifs structuraux à interactions spécifiques (liaisons hydrogènes, halogènes, interactions π…) ou des propriétés inhérentes de la molécule (stéréochimie, chiralité), à la fois au niveau intra- et intermoléculaire. De cette façon, sont conçues des architectures sophistiquées à structure tridimensionnelle contrôlée, de type foldamères, polymères supramoléculaires, systèmes multivalents, dendrimères. Cet aspect est donc en relation forte avec le domaine de la chimie supramoléculaire. En fonction de l’application visée, ces architectures doivent aussi répondre à des contraintes environnementales, ainsi qu’à un cahier des charges précis (en termes de stabilité thermique, photochimique, innocuité…), notamment pour des visées industrielles ou médicales. Ces travaux nécessitent donc le développement d’outils de caractérisation adaptés, pour la compréhension in fine de leurs propriétés variées.

Avec ces systèmes chimiques à disposition, de nombreux domaines d’applications en plein essor seront ainsi envisagés et nous n’en citons ici que quelques exemples : les colorants pour des applications en photovoltaïque et le développement de processus encore mal connus comme la fission de singulet ou les concentrateurs solaires ; les systèmes émissifs pour des applications en optoélectronique (processus d’émission spécifiques du type TADF, annihilation triplet-triplet, ou émission polarisée dans les diodes électroluminescentes) ; les chromophores pour l’imagerie biologique, et notamment le développement de nouvelles techniques comme l’imagerie photo-acoustique ; les nanoparticules de silice et les silices mésoporeuses pour l’imagerie, la photothérapie dynamique, la libération de principes médicamenteux ; les ligands photo-actifs et/ou rédox-actifs greffés sur des matériaux supports variés comme des nanoparticules métalliques ou des électrodes, pour des applications en détection par résonance plasmon, en catalyse électroactive ou photorédox.

Ainsi, la chimie des matériaux et les nanosciences couvrent des domaines variés : (a) les microsystèmes pour l’électronique, l’optoélectronique, la spintronique, la micro-fluidique en lien avec une évolution vers la miniaturisation ; (b) les nanomatériaux intelligents et fonctionnels organiques ou hybrides ; (c) les nanomatériaux pour les sciences de la vie (biologie, thérapie ou diagnostic en médecine) : nanobiosondes pour l’imagerie, nanocargos pour des processus de vectorisation, nanoparticules pour la thérapie ; (d) les systèmes en action (commutateurs et moteurs moléculaires).

La synthèse de nouveaux matériaux moléculaires doit donc rester très créative afin de répondre aux enjeux sociétaux et environnementaux.

V. Outils physico-chimiques (pour l’analyse des molécules, la compréhension des mécanismes et des propriétés des matériaux optiques, électroniques…)

A. Spectroscopies RMN, RPE, spectrométrie MS

1. RMN

La spectroscopie RMN est un outil incontournable pour les chimistes, permettant le suivi à l’échelle atomique de toute une gamme de processus chimiques et la caractérisation des composés de différentes tailles et différents états d’agrégation, de petites molécules isolées en solution à des architectures complexes insolubles.

L’introduction de spectromètres RMN « haut champs » et « très haut champs » permettant des études en solution ou en phase solide, et utilisant (ou non) la technologie de sondes de mesure cryogéniques multi-noyaux performantes a conduit à des avancés importantes en chimie structurale et analytique (noyaux peu sensibles ou faiblement abondants) mais aussi en biologie structurale et en métabolomique. Le développement de sondes RMN du solide sous rotation ultra-rapide à l’angle magique, permettant la rotation d’échantillons à des fréquences de plus de 100 kHz, couplée à des avancées méthodologiques clés (dans les techniques de découplage et de transfert d’aimantation, de détection du proton, de séquences d’impulsions multidimensionnelles), a récemment ouvert des voies analytiques radicalement nouvelles pour la caractérisation d’assemblages biomoléculaires de grande taille (protéines membranaires, fibrilles, virus), de formulations pharmaceutiques innovantes, ou encore de matériaux fonctionnalisés complexes, notamment paramagnétiques. Dans le domaine des biomolécules, les performances analytiques de la spectroscopie RMN en phase solide s’approchent en particulier de celle en solution (détermination de la structure, de la dynamique et des interactions). De nouvelles avancées méthodologiques et instrumentales devraient voir prochainement le jour avec le développement à haut champ magnétique de prototypes de sondes tournant au-delà de 150 000 tours/seconde.

En parallèle, le développement de techniques d’hyperpolarisation a récemment modifié les contours de la RMN. Aujourd’hui des gains en sensibilité de plus de deux ordres de grandeur sont obtenus sur des substrats à l’état solide sous rotation à l’angle magique (DNP MAS), et de plus de 4 ordres de grandeur sur des composés en solution préalablement polarisés à basse température (DNP par dissolution). Ces avancées ont ouvert la voie (entre autres) à l’étude de la surface de nanomatériaux structurés ou à l’observation d’intermédiaires réactionnels. Le développement de nouveaux agents de polarisation a récemment permis d’améliorer l’efficacité de la DNP MAS à très haut champ magnétique (800 MHz). Il reste cependant des verrous majeurs à lever en termes de méthodologie et d’instrumentation pour que ces approches puissent être exploitées plus largement. Les approches pour améliorer la RMN hyperpolarisée à l’état solide sont aujourd’hui centrées sur le développement de nouvelles instrumentations et accessoires (sources de microondes pulsées, sondes MAS DNP à très haute vitesse de rotation, systèmes de refroidissement à l’hélium), de sources de polarisations plus efficaces (radicaux hybrides, paramagnétisme endogène, matrices polarisantes), de formulations innovantes. Les applications ciblent les surfaces et les interfaces complexes, la détection d’espèces diluées, la caractérisation in cellulo, in vitro ou in operando de la structure et des interactions d’assemblages multi-composants dont des assemblages biologiques multi-domaines. De façon similaire, coté RMN hyperpolarisée en solution, le défi repose sur l’amélioration de l’instrumentation (polarisation, dissolution et transfert plus efficaces), sur le développement d’outils spectroscopiques adaptés aux temps de vie courts de l’aimantation hyperpolarisée (techniques multidimensionnelles ultra-rapides), sur de nouvelles stratégies pour le transport de métabolites hyperpolarisés. Ces approches ont le potentiel pour étendre notre compréhension de la chimie (détection d’intermédiaires réactionnels ou de traces) et révolutionner l’imagerie médicale (détection de réactions métaboliques dans des tissus cancéreux).

L’introduction de matériaux supraconducteurs « haute température » (HTSC) a récemment offert de nouvelles opportunités pour le développement des aimants RMN à très hauts champs (2 spectromètres à 1,2 GHz sont actuellement en champ et plusieurs en commande). Un projet national de spectromètre RMN opérant à 1,2 GHz a été lancé en 2014, et l’installation de la machine devrait avoir lieu à Lille en 2022 (après d’autres installations en Italie, Allemagne, Suisse et Pays-Bas). En termes de sensibilité, ce nouveau type d’aimant offrira notamment de nouvelles opportunités pour la détection des isotopes peu sensibles, qui représentent presque la moitié des isotopes observables par RMN mais aussi pour la caractérisation des défauts ou interfaces dans des matériaux organiques, inorganiques ou hybrides. Par ailleurs, le gain en résolution et la sensibilité obtenue à 1,2 GHz devraient se révéler déterminant pour l’étude des systèmes biologiques complexes ou des matériaux avancés.

2. RPE

La RPE est aujourd’hui une voie essentielle pour les études de structures, propriétés et réactivités des espèces paramagnétiques. Elle permet d’accéder à des informations très détaillées non seulement sur les radicaux et les ions métalliques de transition mais également sur leur environnement de manière non-invasive. La généralisation de spectromètres variés (haut-champs, méthodes impulsionnelles, basses températures…), le développement de nouvelles sondes ainsi que les couplages avec des techniques variées (RMN, électrochimie, spectroscopie…) ont permis des avancées marquantes au cours de ces dernières années dans de très nombreux domaines de la chimie allant de la catalyse aux matériaux mais également en biologie moléculaire. La technique de RPE par spin trapping consiste en l’addition d’un radical fugace sur un piège (spin trap) diamagnétique pour former un adduit de spin paramagnétique de durée de vie suffisante pour une détection par RPE. L’analyse du spectre de l’adduit permet d’identifier un type de radical, et dans les cas les plus favorables, d’en déterminer la structure précise. En complément, l’outil théorique peut également donner des informations sur la nature du radical, en permettant la détermination de la distribution de la densité de spin, la visualisation de sa SOMO (Semi Occupied Molecular Orbital) et la simulation du spectre expérimetal. Cette technique a permis notamment des avancées dans la compréhension des mécanismes radicalaires en chimie organique et des polymères.

La spectroscopie RPE en France compte parmi les domaines particulièrement développés au niveau international, avec des appareillages avancés (RPE impulsionnelle, doubles résonances électronique-nucléaire et électronique, imagerie RPE, RPE à hauts champs et hautes fréquences) à la pointe de la technologie moderne et une expertise scientifique reconnue. L’implémentation d’appareils à très haut-champs (263 GHz) en France à l’horizon 2020 devrait permettre d’étendre encore le potentiel de cette technique et ses champs d’application.

3. Spectrométrie de masse

La spectrométrie de masse est une technique très répandue qui se caractérise par une très grande diversité instrumentale mais aussi concernant les domaines d’applications (matériaux, chimie, biologie…).

Ces dernières années, la spectrométrie de masse (MS) a connu des développements technologiques et méthodologiques importants notamment grâce à la démocratisation de la spectrométrie de masse à très haute résolution avec le développement de l’Orbitrap à haut champ et la commercialisation du couplage de la spectrométrie de mobilité ionique avec la spectrométrie de masse (IMS-MS).

Aujourd’hui la spectrométrie de masse à transformée de Fourier que ce soit avec des Orbitrap ou des spectromètres de masse à transformée de Fourier et résonance cyclotronique des ions (FTICR) permet l’analyse de mélanges de plus en plus complexes grâce à leur très haute résolution et très grande précision de mesures. Les FTICR à très haut champs associés à de nouvelles cellules harmonisées, à l’utilisation du mode absorption et à des techniques de détection quadratique, permettent d’obtenir des résolutions de plusieurs millions et des précisions de mesures de quelques dizaines de ppb. Cette résolution donne accès notamment à la structure isotopique fine pour confirmer sans ambiguïté l’attribution d’une formule brute. L’analyse rapide sans séparation de mélanges très complexes comme la matière organique (biohuiles, suies…) pouvant contenir des dizaines de milliers de formules brutes différentes est ainsi possible. Des instruments FTICR sont accessibles facilement à la communauté dans le cadre de l’infrastructure de recherche du CNRS FTICR à haut champ avec des instruments allant de 7 à 12 Teslas. Des chercheurs français se sont récemment illustrés dans le renouveau de la FTICR bidimensionnelle en adaptant des approches issues de la RMN.

La spectrométrie de mobilité ionique (IMS) est une technique relativement ancienne mais ce n’est que très récemment que des instruments commerciaux associant l’IMS avec la MS (IMS-MS) sont disponibles et que son application au domaine de la chimie a été mise en œuvre. La mobilité ionique est une méthode de séparation en phase gazeuse qui permet la détermination des sections efficaces de collision (CCS). Cette technique ne cesse de se perfectionner avec le développement de cellules IMS de plus en plus résolutives comme l’arrivée récente d’une cellule cyclique permettant d’obtenir des résolutions de plus de 600. La CCS au même titre que la masse est un descripteur intrinsèque des ions et est prédictible. L’IMS permet la distinction d’isomères que ce soit pour l’étude de conformation de biomolécules ou la distinction d’isomères de petites molécules. Des travaux récents ont montré le grand intérêt de ce couplage pour la caractérisation d’intermédiaires de synthèse de faible durée de vie.

Les travaux aux interfaces entre la chimie et de la biologie restent des domaines très actifs avec en particulier la métabolomique et la protéomique. Ces domaines voient leurs champs d’applications s’étendre de par les progrès de l’instrumentation de plus en plus sensible et rapide ainsi que le développement d’outils d’analyse informatique performants. La gestion des grandes quantités de données multidimensionnelles générés reste un défi majeur. Pour la protéomique beaucoup de chercheurs s’intéressent aujourd’hui à la caractérisation de protéines intactes dans des approches dites « top down » pour mieux appréhender les modifications post-traductionnelles. En métabolomique, et glycomique, de nombreuses études impliquant le couplage avec la mobilité ionique ouvrent la voie à des études structurales plus poussées. Avec des sources d’ionisation de surface comme le MALDI, l’imagerie par spectrométrie de masse est devenue une technique majeure pour comprendre les répartitions spatiales des métabolites sur des coupes de tissus biologiques.

4. Infrastructures de recherche

L’accès à de très grands instruments dans le cadre d’infrastructures de recherche distribuées (les IR RMN, THC, FT-ICR et RPE) est un atout remarquable pour la communauté scientifique française. Ces plateformes techniques fournissent un accès à des instruments d’exception, dont les unités de recherche ne pourraient se doter individuellement, ainsi qu’une expertise et un support technique et scientifique de très haut niveau, pour la réalisation d’expériences dans de nombreux domaines d’application. Si ces infrastructures de pointe (uniques en Europe et dont le fonctionnement exemplaire est reconnu internationalement) sont cruciales dans un contexte scientifique très compétitif, il est nécessaire qu’elles s’appuient sur une recherche nationale solide constituée d’un ensemble d’entités actives de plus petites tailles (laboratoire, équipe, groupe), et possédant une expertise locale et des thématiques de recherche propres, originales et variées.

B. Études mécanistiques et modélisation

L’aspect structural ne peut être déconnecté des aspects cinétiques qui permettent d’accéder à des données importantes pour la détermination des mécanismes de processus moléculaires. Ainsi, la compréhension des mécanismes a évolué par l’utilisation de techniques d’investigation pour étudier des étapes élémentaires comme celles précédemment citées mais aussi grâce aux spectroscopies classiques ou ultra-rapides et à l’électrochimie. Ces outils permettent la compréhension fine à l’échelle moléculaire et, de manière plus prospective, le design rationnel de nouvelles réactions. Ainsi des avancées importantes ont été réalisées dans des domaines bien établis comme la chimie organique et organométallique mais aussi dans des domaines en plein développement comme la catalyse photorédox ou l’électrosynthèse. Un grand nombre d’études décrites dans notre communauté mettent actuellement en jeu une véritable approche synergique entre synthèse et chimie computationnelle. Cette dernière permet une description détaillée du processus chimique mais contribue également à l’optimisation de réactions ou au développement de nouvelles stratégies de synthèse. Actuellement, il s’agit du domaine le plus actif au niveau des collaborations entre expérimentateurs et théoriciens. La modélisation est en effet devenue un outil standard en chimie moléculaire. Elle se nourrit des données expérimentales collectées concernant la détermination de structures d’intermédiaires ou des études cinétiques et peut inversement aider à l’identification de ces intermédiaires et permettre une description précise et détaillée de ces derniers. À l’heure actuelle, une grande majorité des études réalisées utilise principalement la théorie de la fonctionnelle de la densité (DFT) avec l’incorporation ou non de la dispersion. Des méthodes hybrides de type QM/MM ou ONIOM sont également employées. L’ensemble de ces méthodes permettent d’étudier et de décrire en détail les structures géométriques, électroniques et le comportement réactionnel des systèmes moléculaires réels (effets stériques et électroniques), en considérant en partie son environnement (solution, phase gazeuse). Le solvant, peut-être pris en compte dans les simulations soit de manière explicite soit de façon implicite. Tout ceci est bien évidemment possible grâce aux clusters de calculs de plus en plus performants localisés dans les laboratoires mais surtout dans des centres de calculs régionaux et nationaux (GENCI), ces derniers permettant d’avoir accès à un panel important de logiciels de chimie quantique. Les calculs jouent un rôle essentiel et indispensable dans la compréhension de mécanismes réactionnels à l’échelle moléculaire en précisant si une réaction est sous contrôle thermodynamique ou cinétique et en donnant accès aux barrières d’activation des étapes élémentaires, permettant ainsi de discriminer entre différentes voies possibles. De plus, cette description donne également accès à des informations sur l’origine de diverses sélectivités, telles que les chimio, régio- et stéréosélectivités. Toutefois, les conclusions obtenues ne sont pas toujours transférables d’un système à un autre et il n’est pas toujours simple d’anticiper l’impact d’un substrat, d’un solvant, d’un ligand, d’un substituant sur le processus sans avoir à le modéliser entièrement. Néanmoins, la mise au point de nouveaux systèmes moléculaires plus efficaces et sélectifs ou de catalyseurs plus performants demeure une des questions principales à laquelle la chimie computationnelle doit répondre. Dans ce contexte, l’application de « Machine Learning » trouve tout son intérêt. Cet outil, encore à ses premiers balbutiements, devrait prendre de plus en plus d’importance dans les années à venir pour résoudre des problématiques dans le domaine de la chimie organique et de la catalyse homogène, l’objectif étant d’anticiper la réactivité sans avoir à calculer l’ensemble des combinaisons catalyseurs/substrats/conditions expérimentales. Enfin, l’utilisation d’outils théoriques d’analyse de liaisons plus spécifiques, conduit également à une étude fine de la structure dans des intermédiaires réactionnels clés ou des systèmes réactifs originaux. Ils permettent une description de modes de liaisons inusuels ainsi que celles d’interactions faibles de types liaisons hydrogènes, non covalentes, interactions agostiques, qui sont primordiales dans certains processus catalytiques ou dans des systèmes protéines-membranes. Bien que moins répandu, ce type d’analyse connait à l’heure actuelle un développement croissant. Ces descripteurs sont basés sur des analyses orbitalaires, des analyses topologiques de la densité ou des méthodes d’analyse énergétiques. Souvent utilisés de manière couplée, ils sont donc particulièrement utiles pour compléter les déterminations expérimentales de paramètres structuraux tels que des longueurs de liaisons ou la distribution de la densité électronique.

C. Synthèse pour l’imagerie

L’imagerie TEP (tomographie par émission de positrons) est une technique d’imagerie médicale fonctionnelle non invasive. Elle est basée sur l’utilisation de molécules spécifiques, susceptibles de se fixer sur des cibles d’intérêts. Ces composés organiques doivent être radiomarqués avec un isotope émetteur de positons, à savoir du fluor-18 ou du carbone-11.

Afin de pouvoir proposer de nouveaux outils de diagnostic, la conception et la synthèse de nouveaux radiotraceurs est un domaine en plein développement. Néanmoins, une telle activité se décline suivant deux axes complémentaires. D’une part, la conception de nouvelles molécules sélectives et spécifiques susceptibles de se fixer sur les cibles pathologiques afin de disposer de nouveaux outils pharmacologiques pour mieux comprendre le fonctionnement de la pathologie et, à terme, disposer de nouvelles sondes pour le diagnostic.

D’autre part, cette activité de synthèse de nouveaux composés doit s’accompagner d’une étape de radiomarquage consistant à introduire le carbone-11 ou le fluor-18 sur le substrat. Du fait de la spécificité de ces deux radioisotopes (sources restreintes, demi-vie très courte), les méthodes de radiomarquage sont encore très limitées. Le défi de ces dernières années est de développer de nouvelles méthodes permettant d’introduire sélectivement ces isotopes sur des composés organiques, dans les dernières étapes de la synthèse, via des réactions très variées, très rapides et facilement automatisables. Ce développement méthodologique est important car il permet d’accéder à de nouveaux radiotraceurs difficilement accessibles avec les méthodes actuelles.

Conclusion

Ce rapport de conjoncture tente de dresser un état des lieux des recherches menées au cours des cinq dernières années par les chercheurs et enseignants-chercheurs de la section 12 du CoNRS. Nous n’avons pas pu être exhaustifs mais avons néanmoins tenté de montrer à quel point notre discipline est innovante et indispensable aux progrès des sciences des matériaux, de la chimie du vivant et de la chimie fine.

L’exploration de l’espace chimique n’en est qu’à ses débuts. Elle requiert des efforts continus et importants pour aider à l’élaboration de nouveaux objets moléculaires dans une démarche respectueuse de l’environnement.

La section attache par ailleurs une importance très forte à l’interdisciplinarité ; la science des matériaux moléculaires intègre tout particulièrement de nombreux aspects développés dans les autres sections de l’INC (chimie de coordination, chimie organométallique, biochimie, chimie des polymères, physico-chimie, spectroscopies, chimie théorique…) ; elle veillera toutefois à conserver son cœur de métier qu’est la synthèse organique.