Rapport de conjoncture 2019

Section 16 Chimie et vivant

Composition de la Section

Boris Vauzeilles (président de Section) ; Carine Van Heijenoort (secrétaire scientifique) ; Claire Beauvineau ; Yves Blériot ; Ewen Bodio ; Célia Bonnet ; Corinne Buré ; Mirjam Czjzek ; Touati Douar ; Maria Duca ; Katia Duquesne ; Gilles Guichard ; Gilles Labesse ; Emeric Miclet ; Laurent Micouin ; Sandrine Ollagnier de Choudens ; Pierre-Yves Renard ; Didier Rognan ; Sylvain Routier ; Odile Schiltz ; Frédéric Schmidt ; David Touboul

Résumé

Situées à l’interface des sciences du vivant, les recherches menées dans le périmètre de la section 16 relèvent d’une chimie multifacettes, fortement intégrée avec la biologie, la physico-chimie, la biophysique et les méthodes analytiques. Elles reposent sur un décloisonnement disciplinaire unique, qui en fait à la fois la richesse et la diversité.

Ces recherches visent des applications dans tous les domaines liés au vivant, que ce soit en biologie fondamentale, ou dans les champs environnementaux ou thérapeutiques. La chémobiologie couvre une partie croissante de cette aire disciplinaire, en recouvrement partiel et en interaction constructive avec la chimie médicinale, qui de son coté explore des espaces chimiques inédits. De nouvelles approches, de nouveaux outils moléculaires et analytiques permettent d’étudier les processus du vivant et de les contrôler, ou les moduler, notamment pour des applications diagnostiques ou thérapeutiques. Les grandes familles de molécules du vivant, ainsi que les métaux présents dans le vivant, et les mécanismes biochimiques à la base du vivant, sont l’objet d’études intégrant de plus en plus des développements analytiques de pointe et des outils moléculaires originaux. Les sondes moléculaires intelligentes et la chimie de bioconjugaison se développent et s’adaptent aux conditions réactionnelles imposées par les systèmes vivants, conduisant à une chimie contrôlée in cellula, voire in vivo. Les substances naturelles, le criblage, les chimiothèques ou les collections d’extraits trouvent de nouveaux développements, en association avec les approches de modélisation, de biologie structurale intégrative, et les approches « omiques ». Enfin, l’étude des mécanismes enzymatiques ouvre vers les biotechnologies, la biocatalyse et la biologie de synthèse, disciplines dans lesquelles l’apport de la chimie est appelé à être déterminant.

Introduction

Les chercheurs de la section s’intéressent à interroger les mécanismes du vivant, en les abordant d’un point de vue, et avec un langage de chimiste. Les questions qu’ils abordent portent essentiellement sur le développement d’objets moléculaires et de méthodes analytiques pour la compréhension et la modulation de processus biologiques fondamentaux, normaux ou pathologiques, avec des applications possibles dans les domaines de la santé (humaine, animale, végétale) et de l’environnement (impact écologique du développement, mais aussi compréhension des écosystèmes et des interactions entre espèces). Seules les approches multidisciplinaires, ou transdisciplinaires, permettent d’aborder ces questions en profondeur. Les compétences de ses membres couvrent ainsi un vaste domaine, divers et hétérogène, de la chimie des substances naturelles et la chimie organique de synthèse, à des développements en chimie physique, analytique, biophysique et biologie structurale entre autres. Ce sont le décloisonnement et les différents métissages de tous ces champs disciplinaires qui forgent l’identité de la section, et en font la richesse et l’originalité. Ce positionnement est en contraste avec une formation et une structuration du champ scientifique traditionnellement disciplinaires, qui montrent ici leurs limites tant il devient fondamental dans ces domaines, pour le chimiste, d’être formé aux connaissances et savoir-faire de biologie, et pour le biologiste, d’intégrer les concepts et diverses possibilités de la chimie. Les évolutions des axes de recherches des chercheurs de la section ces dernières années révèlent la nécessité d’intégrer un langage et une culture communs. Cela a en particulier conduit la section à initier une action pour fédérer au niveau national une communauté, d’ailleurs identifiée depuis de nombreuses années dans d’autres pays, autour de la chemical biology, ou chémobiologie, qui intègre différents champs disciplinaires situés à l’interface entre la chimie et le vivant.

Le rapport présenté ci-dessous s’attache à couvrir assez largement l’essentiel de ces domaines, mais n’ambitionne bien entendu aucunement d’en atteindre une description exhaustive. De nouvelles innovations scientifiques viendront nécessairement d’interfaces qui n’ont pas encore été, ou n’ont été que partiellement, explorées.

Statistiques (16 principale)

58 structures opérationnelles de recherche

Dont

– 3 UPR, 35 UMR, 3 FRE

– 3 FR

– 6 GDR

– 1 GDS, 3 UPS, 3 UMS, 1 USR

342 chercheurs (165 CRCN, 15 CRHC, 107 DR2, 49 DR1, 5 DRCE et 1 CDI chercheur), dont 66 % hébergés dans un laboratoire dépendant principalement de l’INC, 23 % de l’INSB, 4 % de la DGDR, 4 % de l’INEE, 1 % de l’IN2P3, 1 % de l’INP et 1 % de l’INSIS, et pour une personne de l’INSMI.

I. Thématiques

A. Chémobiologie et chimie médicinale

Les évolutions de la chimie à l’interface avec le vivant voient le développement de plus en plus rapide d’un champ de recherche appelé chémobiologie (ou chemical biology), qui intègre des concepts et des outils de chimie et de biologie, pour aller sonder le vivant et éventuellement en modifier, corriger, moduler certains processus. Elle diffère de la biologie chimique, ou biochimie, mais en utilise les concepts.

Cette discipline fondamentale, qui s’intéresse à tous les règnes du vivant, aboutit aussi souvent à des applications et au transfert technologique des outils moléculaires ou analytiques développés. Elle conduit ainsi à des développements fondamentaux ou à des applications dans des domaines tels que l’environnement (agrochimie, écologie), et elle contribue de manière forte à des avancées dans le domaine de la santé (médicament, diagnostic), où elle se développe de manière parallèle et en étroite interaction avec la chimie médicinale. Le processus de découverte de substances bioactives (drug discovery) sur lequel la chimie médicinale se construit associe en effet de plus en plus des approches complémentaires de ces deux domaines qui se retrouvent désormais fortement intégrés. Notons également le développement de nouveaux outils thérapeutiques (« new modalities ») pour adresser des cibles biologiques souvent réfractaires aux approches classiques basées sur les petites molécules.

Pour mener un programme efficace de chimie médicinale, il convient de disposer d’une originalité tant en termes de cibles visées qu’au niveau des structures proposées. C’est pourquoi bon nombre de projets associent précocement de multiples compétences. Si les cliniciens et biologistes relient la pertinence de la cible à la pathologie, les biologistes mettent en place les méthodes d’évaluation de produits et les chimistes médicinaux travaillent à la synthèse orientée et guidée par la cible, en mettant en œuvre toutes les stratégies et méthodes de synthèse pour atteindre des librairies de molécules efficaces et sélectives, voire spécifiques. Parallèlement, les chémobiologistes développent des outils permettant d’accélérer le processus de découverte des futurs médicaments. Dès les phases précoces du processus, ils élaborent des stratégies d’étude du vivant qui permettront de caractériser les mécanismes impliqués, de comprendre les modes d’action, et d’identifier et caractériser la ou les cibles cellulaires d’une molécule bioactive découverte par exemple par criblage phénotypique, voire d’en moduler l’activité.

Ainsi, dans les domaines d’application thérapeutique, chémobiologie et chimie médicinale agissent de manière complémentaire, non exclusives et surtout décloisonnées pour une meilleure évolution et intégration non seulement entre elles mais aussi avec la biochimie, la biologie structurale ou encore la chimie analytique, vers des avancées majeures dans la compréhension et la manipulation des processus biologiques et pathologiques.

1. Modifier et cibler les molécules du vivant

Acides nucléiques

Les acides nucléiques, ADN et ARN, sont impliqués dans un grand nombre de fonctions cellulaires telles que la transcription, la réplication ou encore le contrôle de l’expression de gènes. L’ADN est le dépositaire de l’information génétique et les domaines de l’épigénétique et de l’épitranscriptomique ont mis en évidence un grand nombre de mécanismes de régulation qui modifient son expression. L’ARN est quant à lui désormais reconnu comme une macromolécule essentielle non seulement dans la transmission de l’information génétique, mais aussi comme possédant un rôle crucial dans le contrôle de la traduction. L’étude de l’ensemble de ces processus biologiques impliquant ADN et ARN nécessite le développement de ligands spécifiques, notamment de synthèse, comme sondes et régulateurs artificiels. Ces ligands peuvent cibler l’ADN et ses structures non canoniques, telles que les G-quadruplexes, mais aussi l’ARN qui présente des structures tridimensionnelles complexes et variées souvent propices à des interactions spécifiques.

Parallèlement, les nucléosides et les oligonucléotides représentent des outils essentiels. D’une part, les applications thérapeutiques des oligonucléotides ont pris un nouvel essor ces dernières années avec la mise sur le marché de nouveaux oligonucléotides antisens ainsi que des petits ARN interférant. Ces deux types d’acides nucléiques sont utilisés comme outils pour corriger l’épissage ou réduire les niveaux d’expressions de protéines en ciblant directement l’ARN messager. Notons également le développement spectaculairement rapide de vaccins à ARN messager, notamment contre le SARS-CoV-2. D’autre part, l’exploitation des propriétés physico-chimiques de l’ADN permet de concevoir des nanomatériaux et nanomachines qui restent cependant à optimiser pour des applications en électronique moléculaire, ou des nanostructures telles que les origamis d’ADN pour des multiples applications en nanoencapsulation et vectorisation. Les aptamères constituent également une classe d’oligonucléotides suscitant un intérêt croissant, notamment dans le domaine des biocapteurs. Les ARN catalytiques trouvent quant à eux toute leur place dans des applications biomédicales.

Les développements analytiques de séquençage, en particulier basés sur des systèmes à haut débit hautement sensibles, permettent la mise au point d’outils diagnostiques performants pour la médecine de précision.

Le chimiste reste au cœur du développement de ces nouveaux outils (« new modalities ») par la conception et la synthèse des moyens nécessaires au succès de ces nouvelles approches.

Peptides et protéines

Les peptides, considérés eux aussi comme des « new modalities », sont redevenus des molécules centrales dans le processus de découverte de médicaments, occupant un espace moléculaire unique entre les petites molécules et les biopolymères. Si ce regain d’intérêt pour les peptides trouve en partie son origine dans les avantages spécifiques de ces molécules  (une diversité moléculaire et structurale élevée, des méthodes de synthèse efficaces, une faible immunogénicité et des propriétés remarquables en termes d’interaction moléculaire), il résulte également de l’émergence de nouvelles cibles biologiques d’intérêt thérapeutiques comme les interactions protéine-protéine ou protéine-acide nucléique dont les larges surfaces d’interaction ne sont pas toujours appropriées pour une modulation par des petites molécules. Cette convergence réside également dans l’arrivée à maturité de technologies de pointe permettant d’identifier des séquences de haute affinité et sélectives pour des cibles réputées difficiles comme les surfaces de protéines. On citera notamment les techniques de sélection in vitro comme le « phage display » ou le « mRNA display » qui se sont imposées ces dernières années. Toutefois, les peptides d’intérêt, qu’ils soient d’origine endogène (ex. hormones) ou identifiés par des outils de sélection in vitro, ont généralement besoin d’être optimisés avant de pouvoir être considérés comme des candidats médicaments en raison de limitations intrinsèques (demi-vie faible dans les fluides biologiques et faible perméabilité membranaire). Des approches originales souvent couplées à des développements inédits en synthèse organique sont proposées pour relever ces défis (remplacement par des résidus non protéinogéniques, macrocylisation, modification du squelette peptidique, introduction de mimes structuraux (foldamères), lipidation, bioconjugaison…). Les stratégies visant à contraindre la conformation des peptides se sont révélées payantes. Certaines de ces modulations chimiques peuvent être aujourd’hui couplées avec les méthodes de sélection in vitro mentionnées ci-dessus grâce notamment aux avancées remarquables réalisées dans la synthèse ribosomale de peptides non standards ces dernières années. Il ne faut pas non plus négliger les approches d’optimisation basées sur la structure qui bénéficient des progrès des outils de prédiction et de l’accélération de la résolution des structures de biomacromolécules. Ces avancées, couplées à la flexibilité des méthodes de synthèse et de conjugaison bioorthogonales, rendent les peptides particulièrement adaptés à la préparation de sondes efficaces pour étudier les phénomènes biologiques et les interactions moléculaires in cellula. Les améliorations régulières apportées aux méthodes de ligation chimiosélectives de fragments peptidiques facilitent l’accès par la synthèse ou l’hémisynthèse à des protéines naturelles ou modifiées et ouvrent des perspectives intéressantes. A titre d’exemple, les protéines de synthèse contenant des modifications post-traductionnelles (méthylation, glycosylation, phosphorylation ou ubiquitinylation) sont des outils innovants pour des études mécanistiques, biostructurales, ou pour des applications de criblage pour la découverte de nouveaux ligands. En lien avec la biologie de synthèse dans sa définition la plus large et dans le contexte d’approches bottom-up, les peptides suscitent également un vif intérêt comme unités de construction élémentaires pour l’assemblage supramoléculaire de nouvelles architectures ordonnées à l’échelle nanométrique, éventuellement douées de fonctions pour des applications variées (encapsulation et libération, détection, catalyse).

Glucides

Glucides et glycoconjugués sont eux aussi impliqués dans de nombreux processus biologiques, notamment de reconnaissance ou de communication cellulaire, et leur étude contribue à la fois à des avancées d’ordre fondamental, mais également à de possibles applications (santé humaine, science des matériaux, agrochimie, environnement). Les glycosciences sont un domaine en fort développement, auquel la chimie contribue par des développements essentiels tels que l’apparition de nouvelles méthodes de glycosylation basées sur de nouvelles réactivités moléculaires, ou la caractérisation par différentes méthodes spectroscopiques d’intermédiaires réactionnels clés. La synthèse totale d’oligosaccharides est également un champ d’intérêt, qui continue à voir le développement de synthèses automatisées ou de nouvelles méthodes notamment dans le domaine de la protection efficace de monosaccharides ou d’oligosaccharides. L’utilisation de la biomasse ou de déchets industriels comme matière première ainsi que l’exploitation, en plus des approches classiques de synthèse organique, de réactions enzymatiques ou de bioconversions directes par des microorganismes, sont toujours d’actualité pour faciliter l’accès à certains motifs ou précurseurs dérivés de sucres à haute valeur ajoutée. La modification ciblée de cette matière première permet également le développement de nouveaux matériaux biodégradables, ou durables.

L’analyse structurale et les études sur la biosynthèse des glycanes des parois cellulaires (bactéries, champignons, plantes) sont à l’origine de développements essentiels et, dans ce contexte, la spectrométrie de masse a fait des progrès considérables. Combinées à des outils enzymatiques (CAZymes) actifs sur les glycanes/glycosides, les méthodes analytiques rendent désormais envisageable le séquençage des oligosaccharides. Par ailleurs, les outils de marquage métabolique de glycanes trouvent de nouvelles applications en biologie animale, végétale, et en microbiologie.

L’intérêt pour la stratégie multivalente et le développement de glycopuces ne se dément pas. Cette approche a conduit à des résultats biologiques remarquables et on commence désormais à mieux appréhender les mécanismes impliqués à l’échelle de l’atome. Ces nouvelles connaissances sur la reconnaissance et la signalisation portées par les glucides/glycoconjugués ouvrent aujourd’hui le champ au développement de bio-marqueurs à base de sucres ainsi que de nouvelles approches thérapeutiques (vaccins, stratégies anti-cancer, traitement des diabètes, etc).

Le domaine de la glycomique, qui regroupe l’étude de tous les glucides, glycanes glycoprotéines et glycolipides associés à un processus biologique, nécessite le développement d’outils analytiques miniaturisés, ainsi que la disponibilité d’oligosaccharides « standards » permettant l’identification des composants les plus rares. Dans ce contexte de nouvelles stratégies sont développées pour accéder à des glycoprotéines ou glycopeptides synthétiques parfaitement définis, des mimes d’oligo- ou polysaccharides, ou des outils chémoglycobiologiques.

Lipides

Les lipides constituent une des classes moléculaires essentielles à la vie du fait de leurs implications dans la structure des membranes (fluidité, interactions avec les protéines membranaires), leur rôle de stockage de l’énergie et de messagers cellulaires. Définis comme l’ensemble des métabolites cellulaires solubles dans les solvants organiques mais insolubles dans l’eau, les lipides sont classés en 8 catégories et représentent plus de 40 000 molécules uniques. La perturbation de la composition lipidique cellulaire peut être liée de manière directe (maladie du métabolisme) ou indirecte (maladies neurodégénératives ou cancers, par exemple) à des pathologies humaines ou animales, ce qui conduit à un regain d’intérêt significatif. La synthèse de lipides endogènes ou de leurs métabolites, pour une identification des cibles protéiques et d’analogues pour des approches thérapeutiques, leur identification et leur quantification aux niveaux tissulaire, cellulaire et sub-cellulaire, et l’étude des interactions avec leur environnement membranaire sont autant de domaines d’actualité dans ce contexte. Dans ces domaines, les développements récents d’outils de chimie analytique (spectrométrie de masse, spectroscopies RMN, Raman et associées…), de chémobiologie (chimie bioorthogonale, sondes fluorescentes…) et de chémoinformatique (réseaux moléculaires) permettront d’atteindre ces objectifs ambitieux.

Métabolites

Les métabolites sont un ensemble de molécules organiques de bas poids moléculaire, liées au métabolisme, c’est-à-dire à l’ensemble des réactions chimiques qui permettent à un être vivant de se maintenir en vie, se développer, se reproduire et interagir avec son environnement. Les métabolites primaires sont directement engagés dans les processus vitaux d’un organisme ou d’une cellule alors que les métabolites secondaires sont impliqués dans des processus plus spécialisés qui permettent, en particulier, une meilleure adaptation à l’environnement. La variété des classes moléculaires impliquées, allant de molécules polaires et ionisables jusqu’aux lipides neutres, et l’étendue des gammes de concentration, sur plusieurs décades (du nM au mM), font que l’étude du métabolome, (la métabolomique), qui s’avère une science en plein essor, fait face à des défis majeurs en termes de détection, d’identification structurale et de cibles. Alors que le métabolisme primaire est particulièrement bien décrit dans la littérature, la biosynthèse et le rôle de nombreux métabolites secondaires ou spécialisés restent encore à explorer, conduisant à un domaine particulièrement dynamique. La métabolisation d’espèces exogènes (xénobiotique), notamment par l’homme, est également un domaine de recherche très actif, à l’intersection entre la pharmacologie et la toxicologie.

2. Explorer le vivant

Sondes moléculaires, sondes pour l’imagerie

Les sondes, notamment les sondes pour l’imagerie, permettent d’explorer le vivant. Ces dernières années, l’imagerie moléculaire, qui cherche à visualiser des évènements au niveau cellulaire, a pris son essor, permettant d’envisager le développement d’une médecine plus personnalisée et surtout plus précoce, puisque ces changements moléculaires apparaissent bien avant les changements physiologiques qu’ils engendrent. Les sondes ciblées et « intelligentes » (répondant à un facteur physico-chimique ou un stimulus donné) sont devenues un domaine de recherche majeur. Afin de caractériser, ou imager simultanément plusieurs évènements, l’association de différentes techniques d’imagerie et donc le développement de sondes multimodales, devient également un enjeu important.

Parmi les différentes techniques d’imagerie, on peut citer l’imagerie optique, qui se distingue par sa grande précision spatiale et temporelle, mais est limitée par sa faible pénétration tissulaire. Cette technique se développe actuellement suivant plusieurs axes principaux : les approches basées sur les fluorophores proche-infrarouge qui ouvrent vers des fluorophores et pro-fluorophores utilisables en imagerie optique in vivo ; les stratégies innovantes d’utilisation de fluorophores auto-assemblés, ou d’amplification du signal ; le développement de nouveaux fluorophores sensibles à l’environnement plus efficaces et les nanoparticules hyperfluorescentes, qui ont permis de diminuer les limites de détection en améliorant le rapport signal/bruit, voire en s’affranchissant du signal non spécifique. Les récents développements de sondes chémiluminescentes avec de bons rendements quantiques dans l’eau autorisent des stratégies ne nécessitant pas d’excitation lumineuse. Les progrès instrumentaux permettent également le développement de microscopies de fluorescence à molécule unique et de la fluorescence ultra résolutive. Enfin, la découverte de nouvelles stratégies de bioconjugaison chimiosélectives ou bioorthogonales, y compris de ligations pro-fluorescentes, associée aux techniques d’incorporation métabolique ou génétique de sucres ou d’acides aminés non naturels, a permis le développement de sondes biologiques plus sélectives et efficaces.

L’Imagerie par Résonance Magnétique (IRM) est également une technique de choix du fait de sa très grande résolution et de la possibilité d’imager le corps dans son intégralité. Les complexes de Gd restent les sondes principales pour l’imagerie T1, largement déclinées pour permettre l’imagerie moléculaire intelligente. Les complexes de Mn sont également en plein essor du fait du caractère endogène du Mn, avec en particulier la recherche de sondes de plus en plus efficaces, combinant une bonne stabilité thermodynamique avec une inertie cinétique. Bien que produisant un contraste négatif moins lisible, les nanoparticules paramagnétiques sont utilisées pour de l’imagerie T2, et il a récemment été montré qu’il était possible d’obtenir des nanoparticules produisant un contraste positif. L’imagerie CEST (transfert de saturation par échange chimique) a également montré son importance, avec des petites molécules endogènes présentant des protons échangeables, ou des complexes paramagnétiques présentant l’avantage de se situer hors de la fenêtre de transfert d’aimantation des tissus. Ces derniers sont également utilisés comme sondes intelligentes notamment pour l’activité enzymatique ou encore la détermination de la température et du pH, et ont fait leurs preuves in vivo pour cette dernière application. Notons aussi les sondes au fluor 19, en plein développement, ainsi que les sondes au xénon polarisé, peu sensibles mais présentant l’intérêt de ne pas être perturbées par des signaux endogènes.

Le principal défi reste le transfert in vivo, avec en particulier la double nécessité d’améliorer la sensibilité et de résoudre les problèmes de quantification. Il existe néanmoins de plus en plus de sondes d’imagerie moléculaire utilisables in vivo.

Dans le domaine des autres sondes d’imagerie (radioactives, ultrasoniques…), les principaux axes de de recherche s’orientent vers le développement de méthodes chimiques rapides et efficaces pour incorporer l’agent d’imagerie au sein de la sonde, ainsi que pour sa conjugaison à des biomolécules et agents de ciblage.

Le domaine de la théranostique (thérapie couplée au diagnostic) doit permettre à terme de suivre l’efficacité d’un traitement. Les sondes utilisées sont des sondes moléculaires ou des nanoparticules, permettant de combiner au sein d’un même objet différentes techniques d’imagerie, ainsi que des molécules à activité thérapeutique.

Bioconjugaison et Chimie in vivo

Afin de pouvoir étudier les propriétés des biomolécules dans leur environnement, améliorer la biodistribution et l’activité des (bio)médicaments ou décrypter les différents phénomènes biologiques in vitro, voire in vivo, les chimistes s’attachent à développer de nouveaux outils innovants permettant de créer, ou rompre, une liaison covalente entre une biomolécule (ADN, ARN, protéine, ose, lipide, métabolite), et une autre biomolécule ou une entité synthétique (vecteur, linker, sonde, traceur, surface…) de façon chimio- et régiosélective, voire bio-orthogonale (réaction s’effectuant spécifiquement en présence de l’ensemble des fonctions chimiques susceptibles d’être présentes dans un milieu biologique complexe), sans altérer les fonctions de la biomolécule ou de l’entité synthétique. Ceci implique de travailler en milieu aqueux, dans des conditions de pH et de température imposées par la stabilité de ces biomolécules, mais aussi à de faibles concentrations, nécessitant des réactions possédant des cinétiques adaptées.

Les développements récents dans les domaines des biothérapeutiques, des technologies miniaturisées de bioanalyse, des techniques d’imagerie, et l’émergence des applications théranostiques ont mis en évidence des limites dans les systèmes de bioconjugaison existants. Une activité importante est actuellement déployée par les chimistes pour inventer de nouvelles réactions ou de nouvelles associations de réactions conduisant à :

– la formation de liaisons stables en conditions physiologiques,

– des liaisons pouvant être rompues spécifiquement suite à un stimulus interne ou externe pour libérer la biomolécule et moduler (voire masquer et dévoiler à loisir) son activité (principe des réactifs cagés),

– des conditions de marquages plus spécifiques, plus efficaces (accélération des cinétiques et des spécificités des réactions de bioconjugaison) et plus flexibles.

D’autres efforts se concentrent sur la mise en place de stratégies permettant d’accéder à des bioconjugaisons multiples ou successives via l’élaboration d’un arsenal de réactions bio-orthogonales complémentaires, et au développement de réactions de bioconjugaison enzymo-contrôlées ou photoinduites, d’agents de bioconjugaison multiples associés, voire de réactions successives mutuellement orthogonales. On peut citer aussi les exemples récents de réactions de bioconjugaison ou le développement de réactifs de réticulation (cross-link) fluorogéniques pour la protéomique.

L’intérêt pour la bioconjugaison va certainement s’amplifier dans les années à venir. Elle apparaît déjà comme un domaine clé pour l’élaboration de produits tels que les « antibody-drug conjugates » (ADC). Commencent à apparaître également les prémices de systèmes de conjugaison radicalement différents permettant par exemple le couplage de séquences spécifiques ou le détournement de voies métaboliques avec des monomères portant des fonctions bio-orthogonales utilisables pour des réactions de bioconjugaisons spécifiques et ciblées en milieu vivant (incorporation d’acides aminés non naturels dans les protéines, de nucléotides ou nucléosides non naturels compatibles avec les polymérases, de sucres voire de lipides modifiés incorporables dans des biomolécules naturelles).

De façon plus générale, une extension de cette chimie dite biosélective ou biospécifique, consiste à exploiter les spécificités biologiques pour stimuler une réaction chimique. A titre d’exemple, l’activation ciblée de prodrogues peut être déclenchée par l’acidité tumorale, par le glutathion ou les ROS en milieu hypoxique, ou par des enzymes ou des conditions physiologiques caractéristiques d’un phénomène biologique ciblé.

Dans la mouvance de cette chimie bioorthogonale et biospécifique, la chimie in vivo est un axe de recherche qui connait depuis quelques années un essor considérable. Elle porte sur l’utilisation de réactions, de réactifs et de catalyseurs synthétiques pour l’étude et la manipulation du vivant.

Parmi les réalisations emblématiques pour lesquelles ce type de chimie a été le moteur vers une rupture conceptuelle, on peut citer le marquage métabolique, l’« activity-based protein profiling » (ABPP) in vivo, l’identification de cibles, ou encore le relargage chémo-induit de molécules thérapeutiques (systèmes programmés) ou diagnostiques associées à la thérapie (théranostique) et le pré-ciblage. La chimie in vivo en est à ses balbutiements et les perspectives de développement de nouvelles technologies dans le domaine biomédical qu’elle laisse entrevoir suscitent un vif intérêt des sociétés pharmaceutiques. L’exemple des inhibiteurs covalents est emblématique de cette discipline et connait un regain d’intérêt aujourd’hui.

Le développement de cette discipline reposera sur la formation de chimistes capables à la fois de maîtriser le domaine de la réactivité chimique et de comprendre les contraintes mais aussi les opportunités liées aux milieux biologiques complexes. Elle est indéniablement l’un des moteurs du renouveau de la chimie moléculaire, et son développement représente pour les chimistes et pour les entreprises du domaine pharmaceutique ou cosmétique, un atout précieux dans le cadre de la compétition internationale. Cependant la nécessaire prise en compte des contraintes biologiques lors de la conception et de l’optimisation des réactions chimiques à impliquer, ainsi que de l’accès synthétique aux sondes afférentes, requiert idéalement une intégration parfaite des activités de chimie et de biologie au sein d’équipes réellement multidisciplinaires et requiert l’utilisation d’un large éventail de technologies en chimie, biologie, imagerie et analyse, voire physique et biophysique.

On peut remarquer que si la recherche française est relativement active sur les aspects de ligation chimique et de chimie bioorthogonale qui ne nécessitent pas une telle intégration, il y a symptomatiquement peu de réalisations dans le domaine de la chimie in vivo.

3. Soigner le vivant

Chimie thérapeutique

La Chimie médicinale (ou thérapeutique) est le domaine dans lequel s’inscrit la découverte des molécules biologiquement actives. C’est d’ailleurs dans ce champ vaste de conception d’actifs que les chimistes proposent des solutions à la demande de la médecine personnalisée ou de précision (thérapie ciblée, immunothérapies…). Ils interviennent à de nombreux stades de la découverte de molécules actives.

L’identification et la validation de la cible font maintenant partie des étapes primordiales de la recherche de substance active. Le chimiste, que ce soit par des études de chémobiologie, de biologie structurale, d’analyses « omics » ou de biophysique, participe activement à cette validation.

Les petites molécules de synthèse, notamment les composés hétérocycliques, restent les produits les plus prisés dans une démarche d’optimisation de composés actifs (modulateurs orthostériques, allostériques, covalents) pour atteindre l’efficacité et la sélectivité nécessaires pour envisager un développement comme agent thérapeutique.

Les premières séries chimiques et la découverte de molécules capables d’interagir avec une cible peuvent être issues de l’intuition ou de la sérendipité mais aussi plus rationnellement de criblage de librairies, de sélection par criblages in silico ou de données structurales de ligands endogènes avec la cible (RMN, RX…). Des développements importants autour de la notion d’espace chimique ainsi que de nouvelles approches comme la synthèse par fragments contribuent à améliorer le taux de succès de la découverte de molécules affines. Une fois les premières molécules affines, agonistes ou antagonistes, identifiées, démarrent alors les programmes d’optimisation structurale qui passent forcément par l’exploration de l’espace chimique en relation avec la cible, et la mise en place de méthodes de caractérisation de l’interaction molécule/cible et des effets cellulaires produits. Cette phase peut elle aussi être guidée par des données structurales, des modèles virtuels in silico de docking, mais aussi, lorsque ces données sont absentes, menée de façon empirique.

Les produits ayant prouvé leur efficacité lors d’études précliniques, doivent répondre in vitro à des critères de stabilité, d’efficacité, de sélectivité, et d’activité cellulaire. Il doivent également être validés in vivo (efficacité, biodisponibilité…), sans pour autant induire de toxicité trop importante. Le chimiste médicinal participera à l’optimisation de l’ensemble de ces paramètres via la modulation des structures chimiques, en forte interaction avec la biologie structurale, la pharmacologie, et la biologie entre autres.

La chimie médicinale joue ainsi un rôle fondamental dans les développements cliniques futurs, notamment dans la recherche de nouveaux antimicrobiens, dans le développement de thérapies anticancéreuses ainsi que dans la découverte de thérapies innovantes contre les maladies rares ou encore les maladies neurodégénératives. Par ailleurs, de nouvelles approches émergent, telles que la dégradation ciblée des protéines (PROTAC) et l’utilisation d’outils thérapeutiques de haut poids moléculaire, tels que les thérapies à base d’ARN, de peptides ou d’autres substances naturelles. L’utilisation d’anticorps conjugués à des médicaments (ADC) représente aussi une stratégie prometteuse. L’ensemble de ces approches originales et toujours en cours de développement ouvre la voie pour des nouvelles perspectives de recherche et d’application thérapeutique dans lesquelles la chimie thérapeutique peut être pleinement mise à profit. Dans toutes les activités dans le domaine de la chimie médicinale, la chimie de synthèse reste au cœur du processus de découverte de nouveaux médicaments.

Vectorisation et biomatériaux

Un des enjeux majeurs de la chimie médicinale consiste à augmenter la biodisponibilité de la substance active et éviter des effets secondaires toujours à craindre lorsque l’on touche des organes/cellules/compartiments non concernés par la pathologie. La vectorisation consiste à moduler et contrôler cette distribution d’un principe actif en l’associant à un vecteur synthétique ou naturel. Ce type de stratégie est de plus en plus utilisé pour optimiser le ciblage vers un organe ou une cellule, induire la pénétration intracellulaire si la cible est intracellulaire et contrôler la distribution à l’intérieur de la cellule. De surcroît, la vectorisation permet de protéger certaines molécules de la dégradation, vis-à-vis d’une activité chimique ou enzymatique, avant que la cible ne soit atteinte.

Très souvent, ce type de stratégie repose sur la construction de prodrogues ou de systèmes micellaires (liposomes, polymères, nano- ou micro-particules…) susceptibles de favoriser le passage des membranes et de libérer in vivo la substance active à l’endroit désiré. L’étape d’activation menant à la libération peut alors jouer un rôle clé et a donné lieu à des systèmes intelligents, activables par exemple par la lumière, la température, un champ magnétique, le pH, les propriétés redox, une réaction chimique, enzymatique ou non.

Les vecteurs en cours de développement sont de natures diverses, usant d’objets moléculaires de toute taille depuis une petite molécule comme l’acide folique ou le RGD (ligand ciblant les intégrines), jusqu’à des macromolécules comme les anticorps, des assemblages supramoléculaires, des nanoparticules polymériques ou non comme dans la nanomédecine, voire des virus comme par exemple dans la thérapie génique.

Les développements en cours concernent la thérapie, mais également l’imagerie, voire une combinaison des deux dans le cas des agents théranostiques. Par essence, la vectorisation demande la collaboration entre différents scientifiques : chimistes, physiciens, biologistes, galénistes et, enfin, cliniciens.

Dans le domaine médical, les biomatériaux sont de plus en plus utilisés comme agents de substitution d’organes, vasculaires ou osseux, sous forme implantable ou injectable. Leur obtention fait appel à différents types de chimies (métaux, biominéraux, biopolymères, solides hybrides cristallins, hydrogels, etc.). Ils sont conçus pour interagir en surface avec les cellules vivantes, et dans certains cas possèdent des propriétés de libération contrôlée. Construire de tels matériaux ne peut se faire sans comprendre les mécanismes sous-jacents de la réparation tissulaire, ce qui implique d’utiliser des approches intégrées, à l’interface entre la physique, la chimie et la biologie.

Chimiothèques et criblage

Au cours du développement de sondes et de molécules biologiquement actives, le criblage reste une approche essentielle et à haut potentiel dont les applications ne se limitent pas au domaine de la santé. Plusieurs types de criblages existent, tels que ceux basés sur une cible spécifique (essai biochimique, essai biophysique, essai fonctionnel sur cellules) permettant de découvrir de nouveaux pharmacophores pour cette cible ou encore ceux basés sur un changement phénotypique visant la découverte de cibles pertinentes pour les molécules actives identifiées. Les criblages virtuels ont aussi une place essentielle dans ce contexte et s’avèrent souvent complémentaires des criblages expérimentaux. Les chimiothèques de composés qui entrent dans la stratégie de criblage peuvent être généralistes (posséder une grande diversité moléculaire) ou focalisées vers un espace chimique particulier (ex: fragments, inhibiteurs d’interactions protéine-protéine) voire une famille de cibles (ex: récepteurs aux protéines G, protéines kinases). Le criblage de fragments par méthodes biophysiques est particulièrement bien adapté à l’identification de touches susceptibles d’évoluer en tête de série par assemblage ou croissance progressive. Bien que les molécules hétérocycliques de petit poids moléculaires continuent à jouer un rôle important dans la constitution de chimiothèques, il convient de ne pas oublier des chémotypes alternatifs (« new modalities » : peptides et peptidomimétiques stabilisés, molécules macrocycliques…) permettant d’étendre l’espace chimique criblé.

Notons que le criblage n’est que le début d’un travail multidisciplinaire dans lequel le chimiste médicinal joue un rôle prépondérant. A ce titre, la nouvelle infrastructure de recherche ChemBioFrance permet la conception de projets de criblages intégrés et s’appuyant sur la Chimiothèque Nationale et un réseau de plateformes de criblage, de chémoinformatique et d’études précliniques.

B. Chimie des substances naturelles et des processus biologiques

Le nombre et la diversité des processus biologiques mènent à une très grande variété de substances naturelles. Le chimiste s’intéresse à leur extraction, à leur caractérisation, et à leur synthèse. Il s’attache également à comprendre, imiter, adapter et/ou créer les voies de biosynthèse associées, afin de les rendre disponibles pour les sciences fondamentales et permettre des applications dans les domaines de la sante, de l’agronomie, etc. Une étroite collaboration entre chimistes, biochimistes, généticiens, informaticiens, modélisateurs et mathématiciens est nécessaire pour décrypter les métadonnées, reconstituer des voies métaboliques théoriques, caractériser la fonction biochimique des nouvelles enzymes ainsi que leurs produits de réaction, caractériser leur structure pour pouvoir les modifier à façon, moduler leur activité ou encore créer de novo des voies biosynthétiques. Dans ce contexte, la production de « produits naturels » par imitation ou par modification via la combinaison de méthodes biologiques et chimiques nécessite encore des développements, susceptibles de conduire à une valorisation dans de nombreux domaines.

1. Substances Naturelles : synthèse, extraction et caractérisation

Depuis des centaines de millions d’années, les organismes vivants ont su s’adapter à leur environnement en développant un arsenal chimique de défense, d’attaque et de communication de plus en plus riche et complexe. Les métabolites secondaires, ou spécialisés, qui constituent cet arsenal sont une mine inépuisable de diversité structurale et moléculaire dont les cibles spécifiques peuvent être des protéines ou des acides nucléiques, régulant des processus biologiques de l’organisme ou de son environnement. C’est ainsi que les substances naturelles ont été une des sources principales de médicaments depuis l’Antiquité. Cette approche a été un temps délaissée par les industries pharmaceutiques, en partie pour des raisons règlementaires. La mise en place du protocole de Nagoya a régulé mais aussi compliqué l’accès aux ressources naturelles rendant la valorisation de la recherche en produits naturels parfois compliquée d’un point de vue juridique.

Un retour vers les substances naturelles est actuellement opéré, en particulier dans la recherche de nouveaux antibiotiques. Ce regain d’intérêt est concomitant au développement de nouveaux outils, en particulier pour l’étude des métabolomes des micro-organismes. Le séquençage haut-débit des génomes et des protéomes et leur interprétation/manipulation pour la biosynthèse (biologie de synthèse) permet d’augmenter les rendements de production en produits naturels, sources potentielles de matières premières, et d’orienter vers la production de nouveaux métabolites potentiellement actifs par décryptage des voies de biosynthèse. La diversité chimique peut être sondée par des méthodes spectroscopiques (RMN) ou spectrométriques (MS et MS/MS) qui permettent d’acquérir des données structurales en nombre sur des mélanges complexes (données massives ou big data). Les outils chémoinformatiques incluant les approches récentes à base d’apprentissage (« machine learning »), permettent de retraiter efficacement ces grands jeux de données et mettre à jour de nouvelles structures portant potentiellement des activités biologiques encore non décrites. L’ensemble de ces outils permet d’enrichir les banques de molécules gérées au niveau national (chimiothèque et extractothèque).

2. Biocatalyse, biologie de synthèse, bioingénierie

L’enzymologie a évolué avec le temps vers la biocatalyse, qui consiste à utiliser des catalyseurs d’origine biologique, tels que les enzymes, pour permettre la transformation de composés naturels ou de précurseurs non-naturels synthétisés chimiquement (mutasynthèse). La biocatalyse est réalisée dans des conditions douces (pH neutre, température ambiante, pression atmosphérique, milieux aqueux), et les enzymes se caractérisent par une extraordinaire sélectivité, souvent associée à une énantiosélectivité et une régiosélectivité significatives. La biocatalyse, qui est une discipline fondamentale encore trop peu représentée en France, a permis, en association avec la biologie moléculaire, le développement de nouvelles biotechnologies destinées à produire/transformer des molécules d’intérêt dans de nombreux domaines (pharmacie, cosmétique, agrochimie, nutrition…) en utilisant des systèmes biologiques divers (enzymes isolées ou cellules entières). Par exemple, l’étude d’organismes et de leurs enzymes permet d’accéder à des éléments structuraux qui en association avec le développement d’approches in silico (modélisation moléculaire, bioinformatique) contribuent à orienter la modification raisonnée d’enzymes afin d’améliorer les réactions biocatalysées (voir plus bas, chimie biomimétique). Par ailleurs, l’approche génomique et métagénomique puise dans la biodiversité des microorganismes. Associée à la performance des tests de criblage à haut débit automatisables, elle permet un accès à de nombreuses activités enzymatiques, parfois insoupçonnées, que l’on peut utiliser en chimie verte (comme par exemple certaines Bayer-Villiger-monooxygenases (BVMO) avec des sélectivités jusqu’alors inconnues, ou la découverte de nouvelles enzymes comme l’amine déshydrogénase de Petrotoga mobilis)(1). La biologie de synthèse, domaine en pleine expansion depuis quelques années, permet de concevoir/construire et donc créer de novo de nouvelles voies biosynthétiques. Il est ainsi possible de bio-synthétiser des molécules d’intérêt, comme par exemple H2 chez Rhodobacter capsulatus ou des pigments chez Escherichia coli, par une approche de bio-ingénierie, en clonant les gènes de plusieurs enzymes dans un même organisme-hôte et/ou en modifiant et réorientant les voies métaboliques naturelles (reprogrammation). Les réalisations sont déjà nombreuses (dihydrocortisone, artémisinine, détecteur d’arsenic, synthèse de caoutchouc, isobutène, synthèse de biocarburants…) et les applications de demain importantes dans les domaines de la santé (médicaments, thérapies…), de l’énergie (production de butanol, éthanol, H2…), des matériaux (polycaprolactone, soie, plastiques…) et de l’environnement (biocapteurs de métaux toxiques, piégeurs de CO2).

3. Chimie biomimétique

Le biomimétisme cherche à utiliser les résultats de l’évolution en s’inspirant des systèmes naturels déjà existants. Témoin des progrès dans ce domaine, le prix Nobel de Chimie a récompensé en 2018 les chercheurs Frances Arnold, George Smith et Gregory Winter pour être parvenus à prendre le contrôle de l’évolution par le biais de mutations génétiques et de sélection naturelle. En chimie, le biomimétisme se manifeste à différents niveaux. Il intègre le développement de nouvelles méthodologies de synthèse conçues pour imiter celles à l’œuvre dans le vivant (synthèse biomimétique ou bioinspirée) mais également la conception de molécules ou matériaux capables de mimer la structure et de manière ultime les propriétés et les fonctions des biomolécules et biomatériaux. Conceptuellement, la création de systèmes biomimétiques peut être envisagée avec comme point de départ différents niveaux de complexité moléculaire et de divergence par rapport à la nature. Une approche descendante (« top-down ») consiste à travailler avec des organismes vivants et à détourner leurs machineries moléculaires afin de mettre en place de nouvelles fonctions comme par exemple la biosynthèse de dérivés de produits naturels (voir ci-dessus). Par analogie avec le milieu vivant, dans lequel repliement et assemblages hiérarchiques permettent de contrôler la forme et la taille des macromolécules biologiques et in fine leurs fonctions, une seconde approche, que l’on peut qualifier d’ascendante (bottom-up) cherchera à utiliser des unités moléculaires élémentaires, naturelles (peptides, acides nucléiques) ou non (oligomères synthétiques biotiques ou abiotiques, par exemple) pour concevoir de novo des architectures synthétiques originales combinant judicieusement repliement et assemblages. Ces architectures contrôlées aux propriétés émergentes peuvent trouver des applications en reconnaissance moléculaire, comme nouveaux matériaux, comme systèmes de délivrance de principes actifs ou pour la conception d’enzymes artificielles. Ce dernier champ d’application visant à s’inspirer des sites actifs des enzymes pour réaliser des réactions proches (réelles ou supposées) de ce que réalisent les enzymes dans leur environnement natif demeure un objectif central en chimie biomimétique. Alors que certaines approches visent à reproduire scrupuleusement le site actif comme dans le cas de la synthèse de complexes métalliques mimant la première et la seconde sphère de coordination, d’autres ciblent des assemblages de molécules qui sont assez éloignés des systèmes naturels d’origine. Par exemple, il est possible de mimer un site actif à base de nickel par un complexe de cobalt. Cette approche de chimie biomimétique est notamment illustrée dans le cadre de la recherche de catalyseurs pour la décomposition de l’eau en dioxygène et dihydrogène, candidat très attractif pour stocker et transporter l’énergie solaire et remplacer les énergies fossiles.

4. Les métaux dans le vivant

En biologie, les métaux constituent un paradoxe : ils sont à la fois toxiques, peu bio-disponibles et en même temps indispensables à la vie. En effet, certains métaux sont vitaux pour la cellule parce qu’ils sont impliqués dans des processus cellulaires clés tels que la respiration ou la synthèse de l’ADN. Le vivant a ainsi mis en place des stratégies pour importer les métaux, les transporter et les distribuer de façon très contrôlée dans chaque compartiment cellulaire. L’équilibre cellulaire (homéostasie) des cations métalliques est maintenu par des protéines (métalloprotéines) et des petites (bio)molécules (chélateurs). Chez l’homme, le dysfonctionnement dans l’homéostasie des métaux est à l’origine de pathologies telles que les maladies neurodégénératives, certains cancers, le diabète. Comprendre le rôle des métaux (structure et réactivité) dans les mécanismes du vivant constitue un axe important de la chimie bio-inorganique. Un accent particulier est actuellement porté sur l’élucidation à l’échelle moléculaire des mécanismes mis en jeu dans la biosynthèse de métallocofacteurs, l’assemblage de complexes contenant des métalloprotéines/métalloenzymes, les métallorégulateurs,  la biosynthèse de produits naturels, la modification post-traductionnelle de macromolécules, la production d’ammoniac et d’hydrogène, la réduction du CO2, l’oxydation de l’eau ou la réduction des protons en dihydrogène, la décomposition de la biomasse cellulosique ou la dégradation des plastiques. La conception/élaboration de métalloenzymes artificielles (systèmes artificiels, hybrides entre un complexe métallique et une biomolécule) capables de reproduire des réactions catalytiques rencontrées en biologie permet d’aider à la compréhension des mécanismes moléculaires de ces systèmes et parfois d’en améliorer les processus. L’approche permet aussi de développer des réactions abiotiques qui suivent les principes de l’enzymologie, participant ainsi à la biologie de synthèse. Les métaux peuvent également être utilisés pour comprendre le vivant. Ils sont très présents dans les sondes pour l’imagerie (complexes métalliques ou nanoparticules), que ce soit en imagerie nucléaire, optique (NIR par exemple) ou en IRM. La vaste majorité des métaux utilisés pour ces sondes sont des métaux exogènes (Ln, Ru, In, Os, Tc…), même si certains métaux endogènes (Fe, Mn) sont utilisés. Le développement de sondes « intelligentes » et ciblées est en plein essor. On peut citer en particulier les sondes pour la détection des métaux endogènes (Ca, Zn, Cu en particulier) in vivo. Enfin, les métaux peuvent être utilisés en thérapie et depuis peu dans le domaine de la théranostique. Il découle de toutes ces études des avancées importantes dans le domaine de la santé/médecine (antibiotiques, nouvelles thérapies, sondes d’imagerie spécifiques aux métaux endogènes), de la chimie durable (développement de systèmes bio-inspirés pour la catalyse) mais également de l’énergie (production de biofuels).

C. Chimie analytique et biologie structurale

Les révolutions technologiques récentes continuent à transformer les méthodes de chimie analytique et de biologie structurale, permettant l’analyse plus précise et plus fiable de la structure, de la dynamique et de la variabilité de systèmes macromoléculaires toujours plus complexes. Ainsi la détection des signaux permet en cryo-microscopie électronique (cryo-EM) d’atteindre des résolutions proches de celles de la diffraction des rayons X ; les rayons X diffusés se détectent sans bruit de fond ; les méthodes de fragmentation en spectrométrie de masse se diversifient ; l’augmentation des vitesses de rotation des échantillons conduisent à des résolutions, en RMN du solide, proches de celles de la RMN du liquide ; le développement des méthodes d’hyperpolarisation permet d’entrevoir la possibilité de travailler avec des biomolécules sans marquage isotopique ou en très faible quantité. Aujourd’hui, le défi à relever dans l’analyse chimique et structurale des biomolécules est de les positionner dans le contexte de leurs fonctions biologiques, dans l’espace et dans le temps. Pour ce faire, des méthodes de détection et d’analyse doivent permettre d’exploiter des quantités de plus en plus faibles, mais aussi d’intégrer la dynamique et l’évolution des macromolécules et leurs interactions dans l’espace. L’émergence de nouvelles techniques pour mesurer les interactions moléculaires d’un point de vue thermodynamique et/ou cinétique, comme la thermophorèse à micro-échelle ou la fluorescence sur molécule unique (smFRET) va conduire les chimistes à développer des sondes et marqueurs sensibles et stables, afin de caractériser, tracer et marquer les biomolécules dans leur contexte biologique, tout en respectant des contraintes écologiques et de non-toxicité.

La France a la chance de posséder des infrastructures de premier plan au niveau international en biologie structurale, telles que l’IR-RMN porté par l’Institut de Chimie du CNRS, le « European Synchrotron Radiation Facility » (ESRF) à Grenoble et le TGIR SOLEIL à St Aubin sur le plateau de Saclay. Ces deux derniers instruments se préparent à la nouvelle génération de synchrotrons, ouvrant la possibilité de développer des méthodes analytiques avec des faisceaux de plus en plus stables, focalisés et puissants, qui permettront d’aborder des problématiques résolues dans le temps, en particulier en biologie structurale (cristallographie en série ; micro-fluidiques ; SAXS). En parallèle, avec le renforcement des équipements de pointe en RMN (1.2GHz), en cryo-EM et en spectroscopies (fluorescence, RPE, etc.), ces développements permettront de renforcer la compréhension moléculaire de la dynamique des processus biologiques.

1. Spectroscopies de résonance

La RMN liquide est reconnue depuis plusieurs décennies comme outil versatile pour caractériser la dynamique des structures biomoléculaires. Cette singularité vis-à-vis des autres techniques tend à s’estomper car les développements récents en diffraction des rayons X ou en cryo-microscopie permettent maintenant d’obtenir des informations structurales précises et résolues en temps pour des protéines globulaires. Cependant, l’étude des protéines intrinsèquement désordonnées (IDP) est pour le moment réservée à la RMN liquide, les autres techniques ne permettant pas d’obtenir des informations à l’échelle atomique sur ce type de molécules hautement flexibles. Elles sont pourtant très importantes en biologie notamment pour la régulation des mécanismes de signalisation cellulaire. L’absence de structure globulaire des IDP renverse donc le paradigme structure/fonction et ouvre un large domaine d’application à la RMN liquide. Les IDP sont également à l’origine de séparation de phase liquide-liquide (LLPS) et stabilisent des gouttelettes de type gel dans l’environnement cellulaire. Ces condensats fournissent une compartimentation spatio-temporelle cruciale pour la régulation de certaines interactions biomoléculaires pouvant impliquer des acides nucléiques. Le développement des techniques RMN (mesures de RDC, diffusion, relaxometrie) associé au progrès en modélisation moléculaire permet de mieux comprendre la thermodynamique de ces assemblages.

De manière plus générale, les développements de RMN liquide récents se sont attachés à sonder quantitativement la dynamique des échanges entre plusieurs états et à caractériser, à résolution atomique, l’existence d’états transitoires pouvant être peuplés à des niveaux aussi bas que 1%. Ces états « excités » jouent un rôle clé dans la reconnaissance macromoléculaire, l’allostérie, la transduction du signal et l’assemblage macromoléculaire, comme par exemple pour le repliement des protéines ou lors des premières étapes de formation des fibres amyloïdes ou les réorganisations structurales d’ARN non-codants. Parmi ces développements, les approches CEST (« chemical exchange saturation transfer »), DEST (« dark-state exchange saturation transfer »), et les expériences à haute pression occupent une place importante. Les techniques de marquages isotopiques des biomolécules se sont diversifiées, des marquages uniformes ou spécifiques pouvant être obtenus dans des cellules de différents types ou dans des milieux acellulaires. En particulier, l’utilisation de la RMN du fluor permet d’accéder de manière élégante à des informations structurales locales, cet élément pouvant être incorporé de manière sélective dans les séquences protéiques. La qualité de ces échantillons marqués en isotopes stables permet d’étudier les propriétés structurales et dynamique de protéines ou complexes de haut poids moléculaire pouvant aujourd’hui aller jusqu’au MegaDalton.

Le déploiement du parc RMN français à très haut champ participe aux progrès importants réalisés en RMN biomoléculaire. Dans ce sens, l’installation prochaine d’un spectromètre opérant à 1.2 GHz dans la métropole lilloise doit encore renforcer la recherche française dans ce domaine. Une piste originale explorée depuis quelques années concerne les développements de RMN à champs multiples, ces développements instrumentaux et méthodologiques permettant à la fois de garder les propriétés de relaxation magnétiques favorables obtenues à bas champs et la résolution et la sensibilité importantes propres aux champs élevés.

Le domaine de la RMN du solide a été marqué par des progrès instrumentaux majeurs ces dernières années. Le développement des sondes MAS (Magic Angle Spinning) à rotation ultra rapide permet en effet de limiter considérablement l’effet des interactions anisotropes caractéristiques des solides et de détecter les protons avec une résolution s’approchant de celle obtenue en RMN liquide. L’étude de protéines membranaires, de complexes de haut poids moléculaires et de protéines amyloïdes bénéficie directement de ces avancées. La polarisation nucléaire dynamique (DNP) permet par ailleurs d’améliorer la sensibilité RMN de plusieurs ordres de grandeur. Elle est appliquée à l’étude des surfaces de matériaux et, pour ce qui concerne les sciences du vivant, elle commence à montrer son potentiel pour la caractérisation de membranes cellulaires intactes. L’hyperpolarisation obtenue à l’état solide peut être aussi utilisée à l’état liquide, en réalisant une dissolution rapide du matériel marqué en isotopes. Cette approche est appliquée à l’étude des interactions biomoléculaires ou aux suivis métaboliques en temps réel.

Les études RMN solides et liquides permettent donc aujourd’hui d’explorer des assemblages et processus biologiques complexes. Elles s’appuient sur une palette d’expériences et de méthodologies très versatiles, un grand nombre de possibilités pour le marquage isotopique des échantillons et sont soutenues par des progrès instrumentaux importants. La RMN se montre particulièrement performante pour les études de dynamiques des protéines et pour caractériser les états faiblement peuplés, en échange avec des conformations plus abondantes mais qui sont parfois moins pertinentes d’un point de vue biologique. Les informations obtenues au sein de complexes ou d’assemblages supramoléculaires peuvent alors être combinées avec d’autres approches (diffusion et diffraction des rayons X, des neutrons, cryo-microscopie, fluorescence, RPE…) pour construire des modèles tenant compte des conditions physiologiques. Des premiers résultats d’études RMN et RPE en milieu cellulaire sont apparus et seront amenés à se développer dans les prochaines années.

2. Spectrométrie de masse

La spectrométrie de masse (MS) est une technique d’analyse spécifique et sensible pour les biomolécules, couvrant une palette allant des petites molécules aux macromolécules et assemblages supramoléculaires de natures variées (i.e. métabolites, lipides, glycoconjugués, peptides, protéines). Au cours des dernières années, le couplage de la MS à différentes techniques séparatives, comme l’électrophorèse capillaire, la chromatographie d’exclusion stérique, la chromatographie supercritique, ou encore la nano-chromatographie en phase inverse, a fortement progressé pour permettre l’analyse de mélanges de plus en plus complexes, ainsi que de quantités de plus en plus faibles de matériel biologique ou issu de milieux naturels, pour des applications dans différents domaines (chimie de synthèse, biologie, santé, environnement, écologie). De plus, ces technologies évoluent très rapidement (vitesse d’acquisition, sensibilité et résolution), ouvrant ainsi régulièrement la voie vers de nouvelles perspectives d’analyses. En particulier, le développement de nouveaux modes de fragmentations par activation UV ou interaction par des faisceaux d’électrons permet d’obtenir des informations structurales complémentaires à la technique classique de dissociation induite par collision qui reste incontournable en première approche.

L’analyse de complexes protéiques et d’assemblages macromoléculaires, l’étude de leurs conformations et de leurs interactions, et la caractérisation de leurs modifications post-traductionnelles représentent toujours un réel enjeu en biologie. La MS structurale a énormément progressé ces dernières années et devient de plus en plus une approche complémentaire majeure d’autres techniques en biologie structurale et intégrative pour l’analyse d’objets de plus en plus grands et hétérogènes. La MS native, la MS top-down, la mobilité ionique, l’échange Hydrogène-Deutérium et l’utilisation d’agents pontants, constituent un arsenal de techniques pour lesquelles des progrès substantiels ont été réalisés et continueront de contribuer significativement dans ce domaine.

Les approches de spectrométrie de masse localisées, i.e. après microdissection, ou directes, par imagerie par spectrométrie de masse (LDI, MALDI, SIMS, DESI…), s’orientent vers la détection de biomolécules à l’échelle cellulaire voire subcellulaire permettant une meilleure connaissance des processus biologiques et tendent, en milieu hospitalier, à devenir des méthodes de diagnostic complémentaires aux approches traditionnelles. Actuellement, l’imagerie par spectrométrie de masse est en plein essor, que ce soit sur le plan de la préparation d’échantillon lorsqu’elle est nécessaire, ou sur le plan de l’instrumentation, et les équipes de recherche tendent à s’équiper de plus en plus au niveau national.

Pour l’ensemble de ces approches basées sur la MS, l’analyse des données produites, par des méthodes telles que des approches statistiques poussées pour la recherche de biomarqueurs ou via l’outil des réseaux moléculaires pour la déréplication de mélanges complexes, est devenue un point critique, et l’évolution de ces technologies ne pourra se faire sans un développement d’outils informatiques dédiés.

3. Diffraction, Microscopie, Imagerie

Plus que centenaires, les méthodes de diffraction évoluent encore pour permettre de travailler sur de plus petits échantillons (jusqu’à des tailles sub-micrométriques) et avec maintenant une immense gamme de résolution temporelle intéressant la chimie (de la ps à la s). Les travaux sur sources XFEL bientôt sur les sources synchrotron de 4e génération ouvrent de nouvelles possibilités pour l’étude des réactions enzymatiques ou la modification chimique des macromolécules à l’échelle atomique avec des résolutions temporelles complémentaires (respectivement ps – ms et ms – s). Simultanément, la micro-diffraction électronique prend son essor tant pour la résolution de structures de peptides ou de protéines (plutôt de taille petite ou moyenne) que de petites molécules pour en livrer la structure tridimensionnelle exacte. Ces techniques augmentent les possibilités de criblage de petites molécules directement par cristallographie. Les dispenseurs acoustiques permettent la préparation de ces complexes sans contact et en petits volumes alors que la microfluidique ouvre la voie aux mélanges rapides de (micro-)cristaux avec des solutés juste avant la diffraction et donc à l’enzymologie structurale résolue en temps (voir I.B.2). Pour les plus gros assemblages moléculaires, la cryo-microscopie électronique apporte une révolution en résolution spatiale, donnant accès à des études à l’échelle atomique d’objets biologiques très complexes (complexe ribosome-antibiotique) et souvent (très) fragiles. Elle révèle aussi des flexibilités importantes dont la modélisation fine implique le développement de nouveaux outils bioinformatiques (voir ci-dessous).

4. Biologie structurale intégrative

Les études tant expérimentales que théoriques (simulation, modélisation) gagnent en vitesse et en qualité tout en augmentant les résolutions spatiales et temporelles accessibles. La combinaison harmonieuse de ces techniques ouvre la voie à une meilleure compréhension du vivant mais implique la manipulation de nombreuses données très hétérogènes allant de la mécanique quantique à la modélisation gros grain des membranes ou la simulation atomique d’un virus coté bioinformatique, et de la fluorescence de molécules uniques, la spectrométrie de masse, les spectroscopies RMN et RPE, la diffraction (X ou électronique) et la cryo-microscopie, côté expérimental.

D’un côté, les structures de très larges assemblages macromoléculaires déterminées permettent de se rapprocher de l’échelle mésoscopique pourvue en images (sub-) cellulaires par la tomographie électronique et les microscopies super-résolutives (20 nm de résolution avec les techniques STED ou SMLM) dont la combinaison serait une ultime microscopie corrélative. De l’autre, les réactions chimiques subies ou catalysées par le vivant peuvent être décrites très finement (résolution sub-atomique) notamment grâce à l’augmentation de puissance de calcul. La modélisation simultanée des différentes données expérimentales et théoriques nécessite des pondérations propres (ex. : paradigme bayésien) et fait l’objet de nombreux développements.

Ainsi, une description atomique à de nombreuses échelles de temps des molécules du vivant et de leurs interactions se généralise avec d’importantes perspectives en chémobiologie et chimie thérapeutique (ex. : optimisation plus rationnelle des médicaments).

5. Bioinformatique, chémoinformatique et modélisation moléculaire

La disponibilité d’un volume croissant de données expérimentales (physicochimiques, omiques, pharmacologiques, cliniques) révolutionne le domaine d’applicabilité des méthodes de conception, de synthèse et d’analyse de molécules bioactives, et change significativement les paradigmes utilisés pour prédire des relations structure-propriétés, notamment avec l’utilisation de méthodes d’apprentissage (supervisées ou non) dites « d’intelligence artificielle ». Un effort significatif doit cependant être entrepris afin de concevoir à la fois les jeux de données (apprentissage et test) ainsi que les descripteurs (blocs d’assemblage, réactions chimiques, pharmacophores, fragments, graphes, réseaux) les plus pertinents, qui permettront de développer des modèles robustes. Les réseaux moléculaires en spectrométrie de masse ou la méthode DP4 en dichroïsme circulaire sont aussi en plein essor pour la déréplication de jeux de données en métabolomique et la détermination de stéréochimie de produits naturels. Dans le domaine de la chémoinformatique, la prédiction de propriétés ADMET (absorption, distribution, métabolisme, excrétion, toxicité) reste un enjeu majeur, dont la précision doit être améliorée au moyen de deux leviers : (i) la disponibilité de données expérimentales homogènes sur un large espace chimique, (ii) l’utilisation de méthodes d’apprentissages profonds. Une collaboration et un partage des ressources plus intenses entre le secteur pharmaceutique privé et le secteur académique seront une condition importante de succès.

6. Les Omiques

La spectrométrie de masse est au cœur de plusieurs approches à large échelle de type « omiques », comme la protéomique et, plus récemment, la métabolomique, la glycomique et la lipidomique. Ces approches ont pour objectif l’identification et la quantification d’un très grand nombre de biomolécules sans a priori, ou bien d’un nombre restreint de biomolécules d’intérêt de façon ciblée, dans des séries d’échantillons complexes. Elles génèrent ainsi un volume de données très conséquent, qui nécessite des outils informatiques spécifiquement adaptés à l’analyse de ces données.

La protéomique a atteint un certain degré de maturité. Elle continue néanmoins de progresser vers une protéomique fonctionnelle pour répondre à des questions biologiques et cliniques de plus en plus difficiles, comme la dynamique spatiale et temporelle des protéomes cellulaires, l’étude à large échelle des modifications post-traductionnelles des protéines, le dosage de protéines dans des fluides biologiques. Le développement de protocoles expérimentaux sophistiqués basés sur une combinaison d’approches originales de préparation d’échantillons (marquages, méthodes d’enrichissement, méthodes séparatives), d’acquisition des données par MS et de traitement bioinformatique des données (développement d’outils logiciels dédiés) a permis des avancées significatives dans la compréhension de la fonction de protéines et de leurs complexes, de processus cellulaires, ou encore de mécanismes moléculaires en lien avec des pathologies.

De même, le développement de la lipidomique, de la métabolomique et de la glycomique (caractérisation des glycanes et analyse des glycosphingolipides entre autres) permet de voir sous un autre jour des études auparavant uniquement basées sur la génomique et la protéomique et ainsi d’apporter des éléments nouveaux dans la compréhension de mécanismes mis en jeu dans certaines pathologies et de leur évolution au cours du temps. De nouvelles méthodes de traitement d’échantillon (telles que des méthodes de marquage chimique, comme la réaction de Paterno-Büchi pour la lipidomique) et d’analyse, sont mises au point afin de pouvoir caractériser un maximum de lipides dans un minimum d’échantillon. Cependant, contrairement à la protéomique, le traitement informatique en lipidomique et métabolomique reste encore à explorer.

La RMN est très bien positionnée pour les études métabolomiques, étant peu onéreuse et ne nécessitant pas de préparation élaborée de l’échantillon. Cette technique est en outre reproductible, quantitative et non destructive. Ces différentes caractéristiques permettent de conduire des études en RMN liquide directement sur les fluides biologiques et en RMN solide sur les tissus intacts et les biopsies.

Les développements RMN récents ont surtout visé à simplifier et accélérer les acquisitions de données. Pour cela, l’utilisation de méthodes « pure shift » et « ultrafast », HR-MAS à rotation ultra-rapide, ou d’expériences à deux dimensions génère des spectres mieux résolus et les techniques d’hyperpolarisation ou d’acquisition rapide permettent de réduire considérablement le temps nécessaire à la collecte de données. Ces développements sont soutenus par des progrès technologiques importants, une société commercialisant maintenant des appareils dédiés à ces analyses métabolomiques.

La spécificité de la RMN est également d’avoir accès aux signatures des métabolites à une échelle atomique. La combinaison des données isotopiques et métabolomiques permet ainsi de faire de réels progrès dans la compréhension des métabolismes grâce à l’étude des fractionnements isotopiques. Les empreintes isotopomiques enregistrées en RMN pourraient également constituer un outil diagnostique pertinent.

La communauté française est très bien positionnée au niveau international dans les disciplines « omiques » utilisant la spectrométrie de masse et en RMN métabolomique. Outre le développement d’approches robustes de plus en plus sensibles, précises et efficaces, un enjeu majeur des approches « omiques » réside également dans la maîtrise d’outils informatiques pour une exploitation performante des données engendrées et l’avancée vers l’intégration de données « multi-omiques ». Devant l’évolution rapide des technologies et la pluridisciplinarité des compétences requises, la mutualisation de moyens au travers de l’association de plateformes technologiques performantes à des structures de recherche innovantes joue un rôle clé dans ce domaine.

II. Situation actuelle de la communauté scientifique

A. Forces et faiblesses de la recherche

La communauté scientifique relevant de la Section est relativement bien répartie dans les différents domaines scientifiques évoqués ci-dessus, avec néanmoins une concentration de forces plus marquée dans certaines sous-disciplines d’importance. D’autres, telles que la biochimie, peuvent souffrir d’un manque de visibilité propre, même si celle-ci apparaît comme une discipline essentielle aux développements en biocatalyse, biologie structurale et bio-ingénierie, ou pour la chimie biomimétique, la chémobiologie ou la biologie de synthèse.

Le domaine de la chémobiologie souffre encore d’un manque de structuration alors que d’autres pays (Allemagne, Suisse, pays anglo-saxons) ont déjà largement organisé la communauté correspondante. La prise de conscience de cette situation s’est traduite par des opérations telles qu’une action de convergence portée par l’Institut de Chimie du CNRS, ou l’affichage de ce thème par les sociétés savantes. Une meilleure organisation de la communauté est ainsi en cours de construction et devrait se concrétiser avec des nouvelles actions dans un futur proche.

La recherche à l’interface entre chimie et biologie implique de développer des compétences de pointe en chimie (développement de méthodes de synthèse avancées, développements instrumentaux, application de concepts – réactivité, thermodynamique, cinétique, etc.), tout en maîtrisant de plus en plus les outils de la biologie (biochimie, biologie moléculaire et cellulaire, techniques d’imagerie cellulaire, etc.) et de l’informatique et ses développements actuels (données massives, apprentissage profond, réseaux moléculaires…). C’est bien cette complémentarité et cette diversité des compétences qui fait l’originalité et la force de ce positionnement, mais également la difficulté, en raison des nombreuses connaissances à acquérir et de la nécessité de collaborations multiples au sein de projets d’envergure. Cette situation peut impacter la visibilité individuelle de chercheurs engagés dans ces travaux intrinsèquement collaboratifs, notamment quand cette visibilité est souvent apportée par les aspects applicatifs. Par ailleurs, ces projets d’interface sont souvent longs, nécessitant un important travail avant d’être publiables, et difficiles à financer.

B. Enjeux de l’évolution de la démographie de la communauté scientifique

La communauté scientifique relevant de la section 16 a été maintenue relativement stable et équilibrée ces dernières années, tant en termes d’âge de recrutement et promotion, qu’en termes de répartition entre hommes et femmes, même après les changements majeurs qui ont eu lieu récemment. En effet, la fusion des grades CR2 et CR1 en un seul grade CRCN a conduit à un concours unique. Si ceci n’a pas vraiment impacté l’âge moyen des candidats au concours, on peut noter un léger glissement de l’âge moyen de recrutement (33,8 ans en 2019 contre 32,8 en 2017). La section s’est attachée, lors des recrutements, à garder un bon équilibre entre les différents niveaux d’expérience de recherche ainsi qu’entre les différentes thématiques dont les laboratoires d’accueil ont besoin pour progresser et innover dans les projets de recherche et la gestion de la recherche. Par ailleurs, une auto-évaluation attentive ne fait pas apparaître de biais de genre sensible au cours des recrutements ou des promotions. Ceci se traduit notamment par le maintien d’une population homogène hommes/femmes. Un effort supplémentaire pourra néanmoins être apporté afin d’encourager les candidatures féminines aux promotions ou au recrutement DR2.

III. Organisation et pratiques de la recherche

A. Relations avec le monde socio-économique

Les recherches menées à l’interface entre la chimie et la biologie peuvent assez fréquemment trouver des applications dans des domaines tels que la santé ou l’environnement, et, à cet égard, sont l’occasion de collaborations industrielles. On note cependant un désinvestissement majeur de grandes sociétés du domaine pharmaceutique, qui ont tendance à privilégier des contrats de prestation finalisés plutôt que des programmes de recherche partagés. Cette réorganisation du tissu collaboratif se fait au profit de petites entreprises, ou de valorisations technologiques susceptibles de conduire à des accords de licence ou à des créations d’entreprises innovantes. A ce titre, ces recherches peuvent être soutenues par les différentes structures d’appui à l’innovation, parmi lesquelles les SATT ont désormais pris une place prépondérante. Cette situation peut conduire paradoxalement à un glissement dans les activités de recherche des laboratoires, l’accès aux financements liés à la valorisation devenant plus aisé que ceux des structures de financement de la recherche telles que l’ANR. S’il est important de soutenir les efforts de valorisation technologique, un déséquilibre est en train de s’installer, au détriment d’une recherche plus fondamentale et risque de conduire, à court ou moyen terme, à un essoufflement de l’ensemble du système.

B. Formation et enseignement

La communauté est aussi fortement impliquée dans les enseignements disciplinaires et transdisciplinaires à tous les niveaux de formation et d’enseignement supérieur participant ainsi de manière importante non seulement à la formation des étudiants par la recherche mais aussi aux activités universitaires dans leur ensemble.

Des formations universitaires à l’interface chimie-biologie sont disponibles à tous les niveaux : BTS, IUT, Licence et Master. Les étudiants qui suivent ces parcours sont formés en chimie organique, en biologie moléculaire, en biochimie, en chimie analytique, à la biologie structurale, en chimie-physique ou en chimie supramoléculaire pour des applications en biologie et en santé humaine. Ces formations demandent un double socle de connaissances et sont donc exigeantes. Les initiatives permettant d’aller au contact des lycéens pour les sensibiliser à l’interface chimie-biologie, ou de les immerger dans les laboratoires de recherche pour des stages de courte durée semblent importantes pour leur donner l’envie d’embrasser des carrières scientifiques et maintenir un flux d’étudiants conséquent pour ces formations. Notons cependant que les réformes actuelles des études secondaires scientifiques, impliquant une spécialisation précoce, risquent de diminuer la culture générale des étudiants en biologie au profit d’une interface mathématiques/physique/chimie jugée plus rentable stratégiquement.

Si les premiers cycles universitaires technologiques sont très appréciés par les entreprises et les étudiants, l’attractivité est plus nuancée au niveau master. L’offre de formation apparaît effectivement très hétérogène en nombre et en qualité en fonction des universités ; elle repose sur des politiques pédagogiques et des moyens alloués qui sont extrêmement variables selon les territoires. De plus, les responsables de formation ont une visibilité sur la pérennité de leur formation qui dépasse rarement une ou deux années. Cela engendre une certaine démotivation quant à la mise en place de projets d’envergure et pousse certains à faire du recyclage de l’existant ou du clientélisme pour réunir le nombre critique d’étudiants pour l’ouverture d’une formation.  Ainsi, même si certains diplômes ont été entièrement conçus en fonction d’objectifs pédagogiques définis à l’interface chimie-biologie (IUT, CMI, spécialisations en école d’ingénieurs…), d’autres formations, moins cohérentes, résultent quant à elles d’un simple assemblage d’ECTS déjà proposés dans les parcours de Licence et de Master mono-disciplinaires (chimie et biologie), et dans de nombreuses universités, il n’y a pas ou peu d’initiatives visant à décloisonner réellement les disciplines (chimie et biologie) au sein d’une même formation de master. En conséquence, les candidats en thèse sont inégalement préparés pour effectuer des travaux de recherche à l’interface chimie-biologie, en particulier d’un point de vue pratique. A cet égard, les formations complémentaires proposées par les écoles doctorales sont précieuses pour compléter les connaissances des étudiants après leur master.

C. Positionnement de la discipline

Les activités relevant de la section s’enrichissent fortement d’un décloisonnement disciplinaire et de l’intégration forte entre les outils, concepts et techniques issus de la chimie et de la biologie. L’acquisition d’un langage commun, autour d’échanges fréquents entre les deux disciplines, et l’élaboration commune de projets, conduisent à des développements originaux qui autrement resteraient difficilement accessibles. Certains laboratoires, certaines équipes, se sont construits sur cette vision et permettent d’envisager une mutation vers une discipline d’interface plus intégrée. De ce point de vue, l’implication commune de l’INC et de l’INSB auprès de la section reste un symbole fort de cette volonté d’intégration inter- ou transdisciplinaire.

Notons que les travaux d’interface entre chimie et biologie conduisent également à des avancées dans les domaines liés à l’environnement (pollution, remédiation, développement durable, énergie, étude des relations entre organismes et des écosystèmes, écologie chimique). A ce titre, il semblerait opportun de repenser l’interaction entre la section 16 et l’INEE, certaines disciplines, telles que l’étude des substances naturelles, étant largement réparties entre ces deux instituts. La vision du chimiste est indispensable dans ces domaines, et on ne peut penser l’écologie sans la chimie.

Enfin, les développements actuels dans le traitement des données massives (big data) et dans les processus d’apprentissage approfondi et d’intelligence artificielle sont amenés à faire évoluer nos pratiques scientifiques. Cette interface avec la recherche informatique apparaît donc également comme un chantier dont l’importance sera capitale à très brève échéance.

Les relations avec les autres organismes passent notamment par l’interaction avec différents Instituts Thématiques Multi-Organismes d’Aviesan, tels que l’ITMO Bases Moléculaires et Structurales du Vivant, l’ITMO Maladies Infectieuses ou l’ITMO Cancer.

D. Contexte national et valorisation des résultats

Le financement de projets de recherche à l’interface demeure cependant une difficulté, qui semble même s’amplifier sur la période récente. A cela, on peut voir notamment deux causes majeures. Tout d’abord, la régionalisation croissante du financement de la recherche (Financements régionaux, Labex, SATT par exemple), s’avère un frein au développement de projets d’interface, très souvent collaboratifs au-delà des frontières régionales, ou conduisent à une vision déséquilibrée de ces projets (financements favorisant l’interaction avec un interlocuteur local). Par ailleurs, très peu de structures financent des projets d’interface entre chimie et biologie, dont les porteurs seraient des chimistes et non des biologistes. Ceci conduit à un biais majeur, favorisant le financement de projets orientés vers l’application biologique plutôt que de projets plus fondamentaux, de développement de stratégies susceptibles de trouver un impact plus large. Le repliement disciplinaire que l’on a pu observer ces dernières années, lié aux contraintes budgétaires au niveau de l’ESR, n’a pas favorisé le développement d’équipes multidisciplinaire ou la création de postes académiques ciblés aux interfaces. Alors que l’on observe chez nos principaux concurrents (Europe, Etats-Unis, Japon) un réel effort pour promouvoir une discipline telle que la chémobiologie, cette discipline est très peu identifiée dans le paysage français. Il est à ce titre important de constater que l’ANR ne présente plus de guichet pour ce type de projets, alors que c’était le cas par le passé avec les programmes Physique et Chimie du Vivant (PCV) ou Programme interdisciplinaire de recherches sur les systèmes moléculaires et cellulaires, et d’innovation biomédicale (PIRIbio). Notons dans ce cadre l’initiative heureuse, et qui mériterait d’être amplifiée, de la Fondation pour la Recherche Médicale (FRM) avec son appel Chimie pour la Médecine, dans lequel les projets doivent impérativement être portés par des chimistes. Dans les domaines d’application thérapeutique, les collaborations avec des sociétés ou capitaux privés sont essentielles pour pousser les molécules vers les phases ultérieures de développement dont l’étude de tous les paramètres ADME ou de Toxicité. En raison de la frilosité de l’industrie pharmaceutique dans ce domaine, le secteur s’est restructuré. Il profite désormais des dynamiques des territoires, des structures de type SATT ou encore Instituts Carnot, pour démarcher les sociétés de biotechnologie (biotechs) ou favoriser l’éclosion de jeunes pousses (startups) pour engager les phases précoces de développement.

Notons comme nos prédécesseurs, que le métier de chercheur n’a cessé d’évoluer depuis une quinzaine d’années, avec une part de plus en plus importante de l’activité consacrée à des tâches administratives diverses, au détriment de l’activité première de recherche. Ces tâches sont nombreuses, et conditionnent toute l’activité du chercheur, qui bien souvent passe notamment une grande partie de son temps à la recherche… de financements. Avec les taux de succès actuels, cette recherche de financements s’avère très aléatoire, conduisant à l’accumulation de sentiments de frustration et de découragement. Des projets importants et prometteurs doivent être abandonnés s’ils ne sont pas financés, ou morcelés sur les temps courts imposés par les organismes de financement. On constate également une détérioration générale des conditions de travail, faute de financement pour entretenir l’instrument de travail et le bâtiment, alors que certaines opérations de prestige contribuent à accroitre les disparités entre laboratoires. Et encore, la recherche de financement reste un moyen de réaliser une certaine forme de recherche (travail bibliographique, capitalisation sur des résultats, projection sur plusieurs années). De nombreuses autres tâches admnistratives éloignent le chercheur de sa recherche, tout en lui imposant des pressions nouvelles.

Les conditions actuelles du recrutement des jeunes chercheurs, dans un contexte de nombre de postes fortement réduit (le nombre de postes au concours CR pour la section 16 est passé de 8 à 4/5 en 6 ans) et de financement de la recherche presque exclusivement sur projets, pourraient tendre à une uniformisation des types de profils recrutés. Les attentes de visibilité individuelle, la nécessité d’apparaître de plus en plus tôt comme porteur de projet, conduisent à un isolement des chercheurs dans leur recherche quotidienne. Cette individualisation des évaluations et des financements conduit à un morcellement des équipes de recherche et à des mises en compétition pas toujours profitables à l’avancement de la recherche, ni à la bonne entente au sein des laboratoires, et en contradiction avec la nécessité de définition de projet et de stratégie scientifique d’unité. De nombreux chercheurs expriment désormais ces malaises par écrit dans leurs documents d’évaluation.

Par ailleurs, les évolutions programmées de la stratégie de publication vers des revues et données « open-source » conduiront, au moins dans un premier temps, à une forte contradiction entre ces ambitions louables de revoir tout l’écosystème de publication et d’accessibilité aux données, et une évaluation par les organismes qui reste largement basée sur le nombre de publications, les facteurs d’impact et la réussite individuelle, système poussant donc à l’individualisme, par rapport à la nécessité de collaborations et de mutualisations particulièrement fortes dans nos disciplines. A ce titre, les travaux collaboratifs entre chimie et biologie conduisent souvent à rompre l’équilibre entre les deux disciplines simplement par la nécessité de hiérarchiser les co-auteurs de publications.

E. Nouveaux outils pour la recherche

La plupart des projets d’interface chimie-biologie nécessitent la mobilisation d’appareillages et la mise en œuvre d’outils analytiques de plus en plus performants pour l’analyse de systèmes moléculaires de plus en plus complexes. Ces instrumentations multiples, qui apportent chacune des informations spécifiques (RMN, spectrométrie de masse, RPE, synchrotrons, microscopes, etc. mais aussi clusters de calculs et systèmes de stockage de données), sont très coûteuses et nécessitent des jouvences régulières. Si certains appareillages prestigieux, à la pointe de la technologie, sont aujourd’hui accessibles et bien financés au sein d’infrastructures nationales (IR-RMN, FT-ICR, RENARD financés par l’INC, plateformes financées par le ministère de la recherche et les PIA : IBISA / FRISBI / PROFI / ChemBioFrance / France BioImaging / Synchrotrons, etc.), il faut noter la difficulté accrue de maintenir et renouveler au sein des laboratoires les équipements analytiques certes moins prestigieux mais indispensables à la recherche quotidienne. Très peu de guichets sont aujourd’hui accessibles pour ces équipements qui restent coûteux, avec des sources de financements très inégales selon les régions, ce qui pourrait conduire rapidement à des déséquilibres inquiétants. Ceci, sans compter la difficulté de mettre en place un modèle économique viable (contrats de maintenance souvent exorbitants) pour faire vivre ces instruments et ces plateformes dans la durée. Une réflexion au niveau national apparaît aujourd’hui indispensable pour pérenniser, à côté d’appareillages prestigieux nécessaires pour des applications très spécifiques et pouvant être déportées des laboratoires, un réseau d’appareils analytiques de gamme « moyenne », ainsi que les réseaux de techniciens et ingénieurs indispensables au soutien et au développement des projets au quotidien dans les laboratoires de chimie à l’interface avec la biologie.

Conclusion

Dans la continuité des rapports précédents, nous sommes convaincus de l’importance du positionnement thématique de la section pour une interface forte entre chimie et biologie, dans laquelle la chimie doit pouvoir exister en tant que telle. Cela se traduit historiquement, au-delà des liens naturels avec l’INC, par des interactions étroites avec l’INSB et des recrutements dans des laboratoires affiliés à cet institut. On commence également à constater que l’INEE sollicite la section 16 pour identifier certains profils, et que des recrutements proposés par la section sont affectés dans des laboratoires de l’INEE.

Comme nous l’avons relevé plusieurs fois dans ce rapport, la structuration historique du champ scientifique autour de disciplines individualisées, en ce qui concerne à la fois la recherche, la formation, le financement et l’évaluation, rend difficile dans notre pays le développement de recherches véritablement intégrées, dépassant la notion même d’interface.

Nous l’évoquions en introduction, la section est riche de ses nombreuses communautés, de leurs interactions, de leur complémentarité. Elle veille à maintenir les équilibres entre ces différentes forces, à consolider leur visibilité, tout en accompagnant les évolutions scientifiques et l’émergence de nouvelles avancées et de positionnements originaux. Ceci passe par une bonne articulation avec les autres sections de chimie (INC), mais également des sections relevant des sciences biologiques (INSB), et des sciences de l’écologie et de l’environnement (INEE).

Annexe I

ABPP – Activity-Based Protein Profiling
ADC – Antibody-Drug Conjugate
ADMET – Absorption, Distribution, Métabolisme, Excrétion, Toxicité
ADN – Acide DéoxyriboNucléïque
ANR – Agence Nationale de la Recherche
ARN – Acide RiboNucléïque
BTS – Brevet de Technicien Supérieur
BVMO – Bayer-Villiger MonoOxygénase
CAZymes – Carbohydrate-Active Enzymes
CEST – Chemical Exchange Saturation Transfer
CMI – Cursus Master en Ingénierie
DESI – Desorption ElectroSpray Ionization
DEST – Dark-state Exchange Saturation Transfer
DNP – Dynamic Nuclear Polarization
ECTS – European Credits Transfer System
ESRF – European Synchrotron Radiation Facility
FRET – Förster Resonance Energy Transfer
FRM – Fondation pour la Recherche Médicale
HR-MAS – High-Resolution Magic-Angle Spinning
IDP – Intrinsically Disordered Protein
IR-RMN – Infrastructure de Recherche Résonance Magnétique Nucléaire, Très Hauts Champs
IRM – Imagerie par Résonance Magnétique
ITMO – Institut Thématique Multi-Organismes
IUT – Institut Universitaire de Technologie
LDI – Laser Desorption Ionization
MALDI – Matrix-Assisted Laser Desorption Ionization
MAS – Magic Angle Spinning
NIR – Near Infra-Red
PCV – Physique et Chimie du Vivant
PROTAC – Proteolysis Targeting Chimera
RDC – Residual Dipolar Coupling
RGD – Séquence péptidique Arg-Gly-Asp
RMN – Résonance Magnétique Nucléaire
ROS – Reactive Oxygen Species
RPE – Résonance Paramagnétique Electronique
RX – Rayons X
SATT – Société d’Accélération du Transfert de Technologies
SAXS – Small Angle X-rays Scattering
SIMS – Secondary-Ion Mass Spectrometry
SMLM – Single Molecule Localization Microscopy
STED – Stimulated-Emission-Depletion
TGIR – Très Grande Infrastructure de Recherche
UV – UltraViolet
XFEL – X-ray Free-Electron Laser

Note

(1) La Biocatalyse, domaine de l’interface Chimie-Biologie, est représenté en France par le réseau CBSO (Club Biocatalyse et Synthèse Organique) qui fédère une vingtaine de laboratoires académiques et industries allant de la synthèse organique à l’étude des génomes, et permet l’émergence de nouvelles réactions grâce à des approches intégratives.

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