Rapport de conjoncture 2019

Section 27 Relations hôte-pathogène, immunologie, inflammation

Composition de la Section

François Trottein (président de Section) ; Jean Davoust (secrétaire scientifique) ; Élisabeth Bernardo ; Nicolas Bidere ; Ulrich Blank ; Mattéo Bonazzi ; Christine Bourgeois ; Yves Denizot ; Patricia Doublet-Dar ; Stéphane Emiliani ; Jost Enninga ; Denis Hudrisier ; Jean-Jacques Launay ; Hugues Lelouard ; Évelyne Manet ; Ève-Isabelle Pecheur ; Bruno Pouvelle ; Olivier Silvie ; Élena Tomasello ; Abdelilah Wakkach, Kai Wengelnik.

Résumé

Les thèmes de recherche abordés par la section 27 concernent les relations hôte-pathogène, l’immunologie et l’inflammation. Le développement et l’homéostasie du système immunitaire, ainsi que sa dysrégulation, l’étude des réponses immunes dirigées contre les agents pathogènes et les tumeurs représentent des thèmes majeurs. De nouveaux mécanismes régissant le contrôle, ou au contraire l’échappement, des agents infectieux et des cellules tumorales ont été identifiés au cours de la dernière décade. Ces recherches situées à l’interface de plusieurs disciplines ont permis des avancées significatives dans le domaine de la biologie en général et ont conduit à des applications thérapeutiques concrètes dans le domaine de la vaccinologie et des traitements anti-infectieux et anti-tumoraux. Ce rapport vise à établir de façon non-exhaustive les avancées majeures dans le domaine et à cerner les défis scientifiques et enjeux de la discipline.

Introduction

L’étude des agents infectieux et des mécanismes régulant les relations hôte-pathogène est un axe majeur de la section 27. Le système immunitaire représente chez l’hôte un système de défense en interaction constante avec les micro-organismes qui nous entourent. Les mécanismes régissant ces interactions ont fait l’objet de découvertes importantes au cours des deux dernières décades. Les retombées de ces recherches pour la santé humaine et animale sont importantes. Le CNRS a pris en compte depuis longtemps les enjeux liés à cette thématique, tant sur le plan fondamental qu’appliqué.

Les pathologies associées au dysfonctionnement du système immunitaire telles que les pathologies inflammatoires, les maladies auto-immunes et allergiques, et le cancer sont en constante progression. Ces phénomènes sont intimement associés à l’allongement de la durée de vie, aux changements du mode de vie et des habitudes alimentaires, et aux bouleversements environnementaux. Les enjeux sont considérables sur le plan médical, économique et sociétal. L’objectif de ce rapport est de présenter les avancées scientifiques récentes et de cerner les grands défis qui se présentent à nous.

I. Agents infectieux : pathogénicité et interactions hôte-pathogène

L’étude des agents infectieux comprenant virus, bactéries, parasites et champignons fait partie intégrante du périmètre de la section 27. L’importance de ce champ d’étude est illustrée par plusieurs Prix Nobel récents en physiologie et médecine récompensant par exemple la découverte du rôle d’Helicobacter pylori dans les pathologies de l’estomac (Marshall et Warren, 2005), la découverte du VIH par une équipe française (Barré-Sinoussi et Montagnier, 2008), ou encore l’identification de composés antiparasitaires (Campbell, Omura et Youyou Tu, 2015). La recherche en microbiologie au sens large est primordiale à plusieurs titres. Les maladies infectieuses demeurent une cause importante de mortalité et de morbidité chez l’homme et l’animal avec un impact économique et environnemental indéniable. Comme illustré ci-après, les recherches menées sur les microorganismes, dont les agents pathogènes, et leurs interactions avec l’hôte ont conduit à des avancées scientifiques remarquables avec des applications concrètes dans plusieurs disciplines.

A. Agents infectieux, révélateurs des mécanismes fondamentaux du vivant

L’étude des mécanismes infectieux et des interactions hôte-pathogène a permis de mettre à jour des mécanismes fondamentaux sélectionnés au cours de l’évolution des organismes vivants. Les systèmes de défense intrinsèque de la cellule, tels que les récepteurs de l’immunité innée ou les facteurs de restriction, jouent un rôle clé dans la première ligne de défense cellulaire et sont déterminants dans la protection de la transmission inter-espèces d’agents pathogènes. En retour, les pathogènes intracellulaires ont co-évolué pour échapper à ces défenses, comme l’illustre la capacité des virus, bactéries et parasites à mimer et détourner les voies de signalisation cellulaires. Les virus ont également largement façonné les génomes de leurs hôtes au cours de l’évolution et favorisé l’émergence de nouvelles fonctions. Les génomes de mammifères ont en particulier accumulé des millions de séquences rétro-transposées, dont certaines constituent près de 10 % du génome humain. Pour échapper aux effets potentiellement délétères de ces séquences endo-rétrovirales, la cellule hôte a développé des mécanismes permettant de contrôler leur expression au niveau épigénétique. Il a été établi que la domestication des protéines d’enveloppe de rétrovirus endogènes a par ailleurs joué un rôle important dans la placentation chez différents mammifères. Un autre exemple est le lien étroit découvert récemment qui existe entre la fonction des senseurs d’acides nucléiques au cours des infections virales et les mécanismes de réplication et réparation de l’ADN.

Les micro-organismes constituent également de précieux modèles pour l’étude de fonctions conservées au cours de l’évolution. Par exemple, l’agent de la maladie du sommeil, Trypanosoma brucei, possède un flagelle essentiel dont la structure est similaire à celle des spermatozoïdes ou des cils des mammifères, et offre un modèle d’étude de ciliopathies humaines. De même, l’étude d’effecteurs bactériens sécrétés dans la cellule hôte a révélé récemment de nouvelles activités enzymatiques associées à des modifications post-traductionnelles inédites (AMPylation/deAMPylation, phosphocholination/dephosphocholination), qui se sont avérées être critiques pour la transduction du signal chez les eucaryotes.

L’étude fondamentale des microorganismes, dont les agents pathogènes, a permis le développement d’outils importants pour la biologie moderne. Citons-en quelques-uns. L’étude des virus a conduit au développement de vecteurs viraux (Adénovirus, Parvovirus, Rétrovirus, Lentivirus) extrêmement efficaces et largement utilisés notamment pour le transfert de gènes ou la vaccination. Les micro-organismes offrent aussi d’autres types d’outils thérapeutiques, comme les bactériophages pour faire face aux résistances bactériennes aux antibiotiques. Citons aussi le potentiel extraordinaire des bactériocines, des peptides antibactériens produits naturellement par certaines familles de bactéries. L’utilisation des virus oncolytiques dans le cadre d’une stratégie anti-cancéreuse est aussi porteuse d’espoir. Enfin, un autre exemple récent est le système CRISPR-Cas9, initialement découvert dans le cadre d’études fondamentales des réponses innées que développent les archées et les bactéries contre des virus. Celui-ci est devenu un outil puissant d’édition du génome désormais utilisé dans tous les champs de la biologie.

B. Émergence, résurgence et persistance des maladies infectieuses dans le contexte mondial actuel

Le contexte mondial actuel est marqué par la globalisation des échanges, la persistance de zones de conflit et les migrations de populations, ainsi que par des changements climatiques. Tous ces facteurs ont une répercussion directe sur les agents infectieux et la manière dont ils se disséminent. À cela s’ajoute la crainte d’un détournement d’agents infectieux à des fins de bioterrorisme.

Les virus représentent l’une des causes principales de pandémies touchant plusieurs dizaines de millions de personnes telles que l’infection par le VIH ou la grippe. Certaines maladies infectieuses résistent encore aux mesures de contrôle, comme le paludisme, qui continue de faire des ravages en Afrique, ou la tuberculose. Ces dernières années ont été marquées par une résurgence d’infections virales sous la forme d’épidémies, notamment Ebola en Afrique centrale, Chikungunya, ou encore Zika, classé depuis 2016 en urgence de santé publique internationale par l’OMS. On a aussi assisté à l’émergence de nouveaux virus causant des syndromes respiratoires aigus sévères (SARS-CoV isolé en Chine en 2002, MERS-CoV isolé au Moyen-Orient en 2012, SARS-CoV-2 isolé en Chine en 2019). On voit resurgir des pathologies comme la leishmaniose dans le sud de la France et chez les migrants originaires du Proche Orient, également touchés par la tuberculose. La généralisation des systèmes de climatisation s’accompagne d’une augmentation de la fréquence des infections transmises par voie aérienne, notamment la légionellose.

Les maladies vectorielles posent également un problème de santé majeur, notamment du fait des changements climatiques et de la mondialisation, qui, en modifiant la distribution et en facilitant l’expansion des vecteurs, ont un impact direct sur certaines maladies infectieuses. Le moustique-tigre (Aedes albopictus), vecteur de plusieurs virus (Dengue, Chikungunya, Zika), s’est très largement répandu dans le monde, y compris en France métropolitaine. On observe aussi une résurgence de maladies bactériennes comme la maladie de Lyme, transmise par des tiques infectées par Borrelia burgdorferi.

Les co-infections jouent un rôle important dans l’évolution des agents pathogènes. C’est le cas par exemple des souches invasives non typhoïdes de Salmonelles qui, étant apparues en Afrique Australe avant le VIH, ont émergé avec le développement du virus. Inversement, certaines infections bactériennes ou parasitaires induisent un terrain propice au développement de certains virus. Les cas de co-infections par le VIH et les virus de l’hépatite B ou C sont également fréquents, après transmission par voie sexuelle ou sanguine.

L’avènement de nouveaux traitements immunosuppresseurs administrés dans le cadre de maladies inflammatoires et auto-immunes, ou de greffes s’accompagne aussi d’un risque de résurgence de maladies infectieuses. Par ailleurs, la remise en cause des bénéfices de la vaccination conduit à une diminution inquiétante de la couverture vaccinale et à une résurgence des maladies infectieuses comme la rougeole ou la coqueluche, avec des conséquences sévères pour les populations à risque.

C. Réservoirs et mode de transmission des maladies infectieuses

Une question importante dans le domaine de la microbiologie est celle de l’existence de réservoirs cellulaires, tissulaires et animaux pour les pathogènes. Si l’infection par le VIH est désormais contrôlée chez une majorité de patients sous traitement antiviral, le contrôle du réservoir viral est essentiel pour envisager des approches curatives. Cela nécessite une meilleure caractérisation des populations cellulaires constituant ce réservoir et l’élucidation des mécanismes contrôlant à l’échelle cellulaire et moléculaire la formation et la réactivation des réservoirs viraux. À l’échelle tissulaire, les mécanismes de persistance de certains parasites, comme les hypnozoïtes hépatiques de Plasmodium, ou les kystes de Toxoplasma dans les muscles et le cerveau, restent très mal compris alors que ces formes jouent un rôle important dans la transmission de ces parasites. La moelle osseuse a récemment été identifiée comme un site privilégié pour le développement des formes sexuées de Plasmodium, même si les mécanismes de séquestration du parasite dans ce compartiment restent inconnus. Une meilleure compréhension des phénomènes de portage asymptomatique chez l’homme est également essentielle, car ils jouent un rôle majeur dans la transmission de certaines maladies infectieuses, comme la tuberculose, l’hépatite B, le paludisme ou les méningites bactériennes.

Les réservoirs animaux constituent également un enjeu majeur. Les modifications apportées par l’homme aux écosystèmes ont engendré de profonds changements dans les rapports entre l’homme, les vecteurs, et les animaux sauvages, avec un impact direct sur la transmission de certains pathogènes. On assiste à une augmentation importante du nombre de zoonoses, tels qu’Ebola en Afrique Centrale et la rage en Asie du Sud-Est.

Des études prédictives estiment à plusieurs centaines de milliers les différents virus qui pourraient exister chez les mammifères, notamment chez les animaux domestiques ou sauvages qui constituent des réservoirs à l’origine de transmissions inter-espèces. C’est le cas des chauves-souris qui sont le réservoir du virus Ebola à l’origine d’épidémies foudroyantes de fièvres hémorragiques chez l’homme. On peut également citer des épidémies de paludisme à Plasmodium knowlesi, un parasite de singes prévalant en Asie du Sud-Est, ou encore la transmission du MERS-CoV à partir de dromadaires au Moyen-Orient. L’avènement des techniques de séquençage à haut débit (NGS) a permis de mettre à jour la diversité du monde des virus. De nouveaux virus ont été identifiés (Mimivirus, Megavirus, Pandoravirus). La découverte récente de virus géants visibles en microscopie optique et codant pour plusieurs milliers de gènes dont un grand nombre est inconnu, est venue remettre en question la frontière qui sépare les virus du domaine du vivant. Dans le cadre de la mission Tara Océans, 200 000 nouvelles populations virales ont été identifiées dans l’eau de mer.

Les interactions entre communautés microbiennes représentent une problématique émergente, non seulement entre pathogènes mais aussi avec la flore microbienne commensale, notamment dans le contexte de biofilms associant bactéries et agents fongiques. À cet égard, si le microbiote bactérien a fait l’objet de nombreuses études ces dernières années, le mycobiote et le virome restent largement à explorer. Les conséquences de la `cohabitation’ entre agents pathogènes, voire même entre pathogènes et flores commensales (intestinales, pulmonaires, cutanées…), doivent être mieux comprises.

D’autres concepts ont émergé ces dernières années, comme la communication intercellulaire lors d’infections par des organismes unicellulaires, notamment via la formation d’exosomes. Ce mode de communication joue un rôle dans les phénomènes de régulation génique en réponse à la densité de population microbienne (quorum sensing). Les exosomes sont par ailleurs une piste intéressante pour le développement d’outils diagnostiques dans le contexte des maladies infectieuses.

D. Résistances aux traitements et nouvelles stratégies anti-infectieuses

Ces dernières années ont été marquées par une généralisation des phénomènes de résistance aux traitements, notamment chez les bactéries et les parasites. Dans le cadre des maladies nosocomiales, la transmission de souches bactériennes multi-résistantes est un réel problème pour de nombreuses bactéries (Escherichia coli, Staphylococcus aureus, Streptococcus, Pseudomonas aeruginosa, Serratia marcescens nosocomial, Klebsiella pneumoniae). La contribution des antibiotiques utilisés par l’industrie agro-alimentaire dans l’émergence de certaines résistances doit aussi être prise en compte, dans le cadre d’approches globales (One Health). C’est aussi le cas des sites de production des antibiotiques dans certains pays, où une contamination locale de l’environnement favorise l’émergence de souches microbiennes résistantes aux traitements.

La lutte contre le paludisme a également été marquée ces dernières années par l’apparition de souches de P. falciparum résistantes aux dérivés de l’artémisinine, le traitement de première ligne. Très rapidement, des approches de type NGS ont permis d’identifier un marqueur moléculaire (K13) associé à cette résistance, ouvrant de nouvelles pistes pour explorer les mécanismes d’acquisition de la résistance et développer des outils de surveillance. On peut enfin citer la résistance de certains agents pathogènes à la vaccination, comme c’est le cas pour le virus de la dengue, dont certains sérotypes échappent au vaccin pour des raisons qui restent à élucider.

Dans ce contexte, il est primordial de développer une recherche fondamentale pour comprendre les mécanismes d’apparition et de transmission des résistances, et pour développer de nouvelles stratégies anti-infectieuses. Parallèlement aux approches classiques de microbiologie visant à identifier des cibles potentielles, les approches non-biaisées à grande échelle et les criblages à haut débit de banques de molécules, naturelles ou synthétiques, permettent avec une grande efficacité d’identifier de nouveaux antimicrobiens.

E. Apports des nouvelles technologies pour l’étude des agents infectieux et de leur contrôle

Comme de nombreux autres champs de recherche, la microbiologie a très largement bénéficié du développement de nouvelles technologies. En premier lieu, le développement du NGS et d’autres approches Omiques ont permis d’explorer la biologie des agents pathogènes à une échelle sans précédent, fournissant des données sur le génome, l’épigénome, le transcriptome, le protéome et le métabolome des agents pathogènes et des cellules infectées. Les progrès récents de la spectrométrie de masse devraient s’accompagner d’une augmentation significative de la profondeur et de la sensibilité des analyses protéomiques. Les approches NGS fournissent désormais des données non seulement sur les souches de laboratoire mais aussi sur des isolats de terrain pour de nombreux pathogènes. Ces études permettent d’identifier des facteurs microbiens associés à la pathogénicité et à la virulence. Elles permettent aussi de mieux comprendre l’évolution des pathogènes, d’appréhender la diversité des souches pathogènes circulant dans différentes régions, et de comprendre comment les réponses immunitaires innées et adaptatives façonnent le polymorphisme viral, parasitaire ou bactérien au cours de l’infection. Ces recherches peuvent notamment être couplées à des approches d’évolution expérimentale, en laboratoire ou sur le terrain, par exemple pour l’observation dans des zones à faible couverture vaccinale du regain de virulence de formes virales atténuées par mutations successives. Grâce au NGS, la recherche systématique de séquences virales dans les cancers ou les réservoirs d’espèces mammifères peut désormais être envisagée.

Les progrès de l’imagerie, aussi bien photonique qu’électronique, ont conduit pour la première fois à visualiser certains processus infectieux. En particulier, la microscopie optique à haute résolution (récompensée par le prix Nobel de Chimie en 2014) permet désormais de visualiser le vivant à l’échelle nanoscopique. Des approches corrélatives combinant microscopie photonique et microscopie électronique permettent un niveau de résolution sans précédent pour étudier les interactions des pathogènes avec la cellule hôte. Des approches de microscopie intravitale, couplées aux modifications génétiques des pathogènes pour les rendre fluorescents ou bioluminescents, permettent de capturer des évènements d’invasion et de motilité, y compris chez l’animal. Le développement de la Cryo-microscopie électronique est aussi utile pour étudier la structure moléculaire de systèmes biologiques complexes, notamment la structure de protéines en solution (prix Nobel de Chimie 2017). Cette technologie a conduit à des avancées importantes dans de nombreux domaines de la biologie, y compris celui des relations hôte-pathogène.

Le système CRISPR-Cas9 est désormais une technique très largement utilisée pour l’édition de génome dans tous les champs de la biologie, y compris la microbiologie. Par exemple, le développement de CRISPR-Cas9 chez différents protozoaires (Plasmodium, Toxoplasma, Trypanosomatidés…) a conduit à de réels progrès dans le champ de la parasitologie moléculaire, permettant par des approches génétiques d’explorer les mécanismes contrôlant la survie, la virulence, la transmission des pathogènes, et les interactions avec l’hôte. Des criblages par CRISPR-Cas9 sont désormais envisageables à l’échelle de génomes entiers. Couplées à l’imagerie à haut débit, ces approches permettent d’explorer à un niveau global les processus infectieux.

Le développement d’outils puissants pour les manipulations génétiques ainsi que de nouvelles approches de biologie synthétique posent cependant des questions éthiques. Les controverses récentes sur la possibilité de reconstituer de novo de nouveaux microorganismes, potentiellement pathogènes, en sont une illustration. Enfin, les approches omiques sur cellules uniques ont connu un essor considérable ces dernières années. Ce type d’approches permet d’explorer à l’échelle de la cellule l’influence d’une infection sur les voies de signalisation ou le métabolisme cellulaire. Des études récentes sur cellule unique ont ainsi conduit à mieux comprendre comment Plasmodium, l’agent du paludisme, se différencie en formes transmissibles au moustique vecteur.

II. Développement et homéostasie du système immunitaire : régulation et dysrégulation

Le système immunitaire est un système biologique complexe faisant intervenir de nombreuses populations cellulaires ainsi que de nombreux facteurs offrant une multitude de sujets d’études et de cibles thérapeutiques potentielles. Les réponses immunitaires sont à la fois de nature innée, rapides et peu spécifiques, et de nature adaptative, plus lentes, extrêmement spécifiques et dotées d’une mémoire à long terme. Cette mémoire est à la base de l’efficacité des vaccins. Lors de toute intrusion de pathogènes ou de tout traumatisme cellulaire et tissulaire, les constituants du système immunitaire s’activent rapidement impliquant des phénomènes de prolifération cellulaire doublés de mécanismes de contrôle très précis. Des études approfondies portant sur la régulation des réponses immunitaires ont permis des avancées spectaculaires dans les domaines de l’immunothérapie anti-tumorale, de la vaccinologie et des pathologies inflammatoires et auto-immunes.

A. Origine et développement du système immunitaire

Au cours de la dernière décade, les études du développement et de l’homéostasie du système immunitaire ont conduit à des découvertes importantes dont les applications potentielles dépassent le simple cadre des maladies infectieuses, des maladies inflammatoires chroniques et du cancer. Le système immunitaire assure en effet le maintien de l’intégrité de l’ensemble de l’organisme tout au long de l’existence, se traduisant par un essor remarquable de la discipline à l’interface avec les neurosciences, la nutrition, le métabolisme, la physiologie et la microbiologie. Le système immunitaire possède de multiples mécanismes de défense différemment sollicités selon la nature des éléments perturbateurs rencontrés tels que les agents infectieux, cellules tumorales et tissus transplantés. Il est également impliqué dans les désordres inflammatoires, auto-immuns et allergiques ainsi que dans les pathologies cardiovasculaires et neurologiques. Le développement et l’homéostasie du système immunitaire dépendent de la colonisation des muqueuses (appareil digestif, poumon) par le microbiote. La perturbation de l’environnement et le changement de notre mode de vie ont des conséquences importantes sur l’homéostasie du système immunitaire. Sa dysrégulation est fréquemment associée à des désordres physiologiques et métaboliques atteignant de multiples organes vitaux (maladies neurologiques, cardiovasculaires et endocrines), avec un impact important sur la qualité de vie et une incidence économique indéniable.

Pendant la vie fœtale, des signaux émanant du système nerveux initient de multiples interactions entre cellules hématopoïétiques et cellules mésenchymateuses générant les ébauches des organes lymphoïdes. Les cellules du système immunitaire se différencient à partir des cellules souches hématopoïétiques multipotentes et se développent au cours de l’embryogénèse à partir de zones appelées « endothélium hémogénique ». Le premier organe immunologique embryonnaire est la vésicule vitelline relayée par le foie fœtal, puis la moelle osseuse. Certains lignages cellulaires, comme les macrophages et cellules de la microglie, les mastocytes du derme ou les lymphocytes T γδ et les cellules de Langerhans de l’épiderme sont d’origine embryonnaire et en partie renouvelés par des précurseurs sanguins à l’âge adulte. La différenciation des cellules hématopoïétiques ainsi que leur analyse fonctionnelle au cours des réponses inflammatoires représentent un nouvel axe de recherche très prometteur. Il a également été établi que les cellules stromales interagissent de façon permanente avec les cellules lymphoïdes et myéloïdes. Ces interactions sont à l’origine de l’initiation des réponses immunitaires adaptatives et par là même des réponses aux pathogènes et aux vaccins. L’apport de l’imagerie photonique a été déterminant dans ces découvertes.

B. Développement des compartiments lymphocytaires

Le développement et la diversification des lymphocytes, composants essentiels du système immunitaire adaptatif, font l’objet de recherches intenses, qu’elles soient en relation avec les réponses aux tumeurs ou aux pathogènes et vaccins, mais aussi en relation avec des proliférations lymphocytaires anormales dans le cas de lymphomes. L’analyse à grande échelle de la diversité des répertoires des lymphocytes B et T, rendue possible par l’accès aux méthodes de séquençage rapides, est activement poursuivie. Ces nouvelles technologies permettent à présent d’étudier avec précision l’évolution dans le temps des réponses immunitaires ainsi que les mécanismes fondamentaux de génération et de diversification des répertoires lymphocytaires B et T. Un point remarquable concerne les mécanismes de contrôle de ces répertoires évitant toute expansion lymphocytaire intempestive vis-à-vis des constituants de l’organisme, dénommée « tolérance au soi ». Il s’avère qu’une composante cruciale de lymphocytes T régulateurs exprimant le facteur de transcription Foxp3 acquiert rapidement au cours de leur développement dans le thymus, des fonctions suppressives indispensables au contrôle des réponses auto-immunes. Ces lymphocytes T régulateurs représentent de véritables « gardiens » de l’homéostasie pour l’ensemble du système immunitaire. Leur mode d’activation et leur implication dans de multiples pathologies infectieuses, tumorales et auto-immunes, font l’objet de recherches fondamentales et cliniques susceptibles de conduire à des applications très importantes.

Un niveau additionnel de complexité est lié au rôle que joue le système immunitaire dans la régénération et la réparation de tissus et organes (muscle squelettique et cardiaque, cerveau, foie…), en interagissant directement avec les cellules souches tissulaires. Ainsi, les macrophages tissulaires mais aussi les neutrophiles infiltrant sont capables de régénérer ou réparer des tissus et des organes. L’implication de la composante lymphocytaire dans la réparation tissulaire est encore peu abordée. Il apparait que les lymphocytes T régulateurs sont également présents au contact des cellules souches tissulaires du muscle squelettique et participent à la régénération musculaire post-traumatique. Il apparait également que les cellules lymphoïdes innées protègent les tissus et sont impliquées dans la réparation des épithéliums. Les travaux d’interface entre la régulation des réponses immunitaires et la réparation tissulaire sont promis à un grand avenir.

Les technologies modernes ont fait émerger de nouveaux concepts dans le domaine de l’immunologie. Ainsi, la combinaison de multiples technologies d’analyses au niveau de la cellule unique (scRNAseq, code-barres cellulaires, cytométrie de flux, CyTOF, microscopie) a révélé une hétérogénéité cellulaire et une plasticité fonctionnelle insoupçonnées, qu’elles soient au niveau des cellules de l’immunité innée ou des compartiments de cellules lymphocytaires. Ainsi de multiples sous-populations cellulaires, aux fonctions parfois opposées, ont été caractérisées. Les approches modernes ont permis d’affiner la connaissance des cellules immunitaires à l’échelle des cellules uniques. On sait aussi maintenant, grâce à ces nouvelles technologies, qu’une cellule peut totalement changer de comportement selon l’environnement dans lequel elle se trouve.

C. Homéostasie du système immunitaire et rôle du microbiote

Depuis quelques années émerge le concept de niche et d’éducation programmée des cellules du système immunitaire. Dans ce contexte, l’importance du microbiote intestinal a été clairement soulignée. Considéré comme un organe à part entière, le microbiote intestinal produit de façon continue une multitude de facteurs (éléments de paroi, métabolites) capables, en diffusant dans le sang, d’orienter le devenir des progéniteurs immuns et de moduler le fonctionnement des cellules immunes. Le microbiote intestinal participe à l’éducation du système immunitaire et cela dès le plus jeune âge. Ainsi, une fenêtre d’opportunité propice à la diversification et à l’expansion du microbiote a lieu chez le nourrisson lors du passage à la nourriture solide. C’est durant cette période que le système immunitaire mature et génère un ensemble de lymphocytes T régulateurs en réponse à l’expansion et la diversification de la communauté microbienne. Le système immunitaire façonne en retour le microbiote grâce à la production d’IgA, établissant un équilibre et un dialogue permanent. Dans cette fenêtre d’opportunité, la perturbation du microbiote, même transitoire (due à l’utilisation d’antibiotiques), a un impact sur la susceptibilité aux maladies inflammatoires et auto-immunes à l’âge adulte. L’appauvrissement en diversité du microbiote dans les pays industrialisés faisant suite aux changements de mode de vie depuis un demi-siècle tant au niveau de l’hygiène (asepsie), des modes de production (uniformisation/généralisation de l’usage des antibiotiques dans les élevages intensifs, exposition aux polluants) que de la nutrition (aliments transformés, régimes alimentaires riches) a aussi grandement favorisé l’émergence de susceptibilités aux maladies dites modernes telles que les maladies auto-immunes, les allergies alimentaires, l’obésité, le diabète et les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI) mais aussi de façon moins évidente l’asthme, les maladies cardiovasculaires et même certains désordres neuropsychiatriques. Un déséquilibre du microbiote (dysbiose) peut donc être relié à de nombreuses maladies inflammatoires et auto-immunes. Détecter tôt dans la vie cette dysbiose, en décrypter les conséquences immunologiques et mettre au point des procédures permettant de contrôler le potentiel immuno-régulateur du microbiote (prébiotiques et probiotiques, régime alimentaire riche en fibres) afin de prévenir ou d’influer sur certaines pathologies représentent des enjeux cruciaux en termes de santé publique.

Comprendre précisément les interactions entre l’hôte et son microbiote est donc devenu indispensable pour imaginer les nouvelles approches préventives/thérapeutiques visant à instaurer ou restaurer un dialogue microbiote-hôte bénéfique au système immunitaire. Cela nécessite une connaissance approfondie du microbiote, qui est loin d’être complète si on intègre les bactéries rares et non cultivables, les virus et les champignons, et également de son impact sur les cellules de l’hôte. Ceci nécessite l’intégration d’autres paramètres comme notamment la métagénomique et la métabolomique. Une approche pluridisciplinaire intégrant des thématiques des différentes sections de l’INSB (immunologie, microbiologie, écologie microbienne, métabolisme, physiologie, nutrition, évolution, biologie des systèmes, modélisation mathématique et bio-informatique) apparaît cruciale à cet égard.

III. Immunité anti-infectieuse, thérapies et vaccinologie

L’une des grandes fonctions du système immunitaire est d’éliminer les agents infectieux, tout en assurant l’intégrité des tissus de l’organisme et en évitant les réactions auto-immunes délétères. Un axe important de la section 27 consiste à analyser le rôle du système immunitaire lors de l’infection. Ces recherches ont été à l’origine du prix Nobel de Médecine attribué en 2011 à l’un des chercheurs de la section (Jules Hoffmann), pour ses travaux pionniers sur les mécanismes innés de reconnaissance entre pathogènes et système immunitaire. Ces recherches visent à caractériser les mécanismes sous-tendant l’activation du système immunitaire inné, la genèse des réponses adaptatives cellulaires et humorales effectrices et enfin, la mise en place et le contrôle des processus de réparation tissulaire ainsi que le retour à l’homéostasie du système immunitaire. Ces recherches sont essentiellement basées sur l’utilisation de modèles expérimentaux pertinents ainsi que sur des données issues de la recherche clinique. Elles ont permis d’identifier des points de contrôle défaillants grâce notamment à l’analyse de déficiences génétiques liées à des susceptibilités particulières et d’envisager de nouvelles approches thérapeutiques ciblées. Ce type de recherches en immunogénétique doit clairement être poursuivi et le positionnement de la France est tout à fait remarquable dans ce domaine.

A. Immunité anti-infectieuse

La phase initiale de l’infection, qu’elle soit par voie muqueuse (voie d’entrée principale des pathogènes) ou systémique, met en scène de nombreux acteurs cellulaires, longtemps étudiés séparément mais dont les interactions impactent la nature de la réponse. Un nombre croissant de sous-populations immunitaires a été caractérisé, notamment dans les muqueuses. Leur importance physiologique, leurs capacités fonctionnelles et leurs origines sont en cours d’élucidation. Les cellules résidentes des muqueuses (cellules épithéliales, mastocytes, cellules dendritiques, macrophages, cellules lymphocytaires innées et lymphocytes T non-conventionnels) sont les premières à interagir avec les pathogènes et sont responsables du recrutement des cellules immunitaires issues de la moelle osseuse. Ces processus de recrutement sont finement régulés et des études par imagerie dynamique in vivo, bien qu’encore difficiles à réaliser pour certains organes comme le poumon, sont très instructives. L’étude de la fonction des populations cellulaires et des effecteurs moléculaires (cytokines, peptides antimicrobiens, etc.) repose sur le développement d’outils particulièrement sophistiqués. Citons la création de multiples modèles de souris permettant d’inactiver de façon conditionnelle un effecteur moléculaire dans une cellule particulière. Bien que l’utilisation des modèles in vitro doive être poursuivie, car ils permettent notamment l’identification des mécanismes moléculaires, les modèles in vivo restent indispensables. Il est en effet crucial de considérer le fonctionnement des cellules immunitaires non seulement dans leur environnement tissulaire mais aussi dans l’organisme entier. Le développement conjoint d’études sur tissus organoïdes permet des avancées rapides dans le domaine. Soulignons également que des efforts importants ont permis d’établir une carte de correspondance détaillée entre les constituants du système immunitaire murin et les équivalents chez l’Homme, ouvrant ainsi le domaine vers de futures applications thérapeutiques. Toutes ces données dépassent bien sûr le domaine de l’immunité anti-infectieuse et ont de nombreuses applications.

1. Communication inter-organes et immunité

Vu la spécialisation des réponses immunitaires mises en œuvre dans chaque organe et leurs interrelations, l’étude de l’intégrité de l’organisme face aux désordres infectieux devient un sujet central. De nombreuses études ont en effet démontré l’importance de la communication inter-organes au cours des processus infectieux. À titre d’exemple, l’axe moelle osseuse-poumon est capital (myélopoièse) dans l’élimination des pathogènes pulmonaires. L’axe intestin-poumon est également critique dans les mécanismes de défense dirigés contre les infections respiratoires virales, bactériennes et fongiques. En effet, le microbiote intestinal, grâce à la diffusion de composants de paroi ou de métabolites, est capable d’armer à distance les cellules immunitaires du poumon, leur conférant ainsi une capacité accrue à éliminer les pathogènes. Ces découvertes posent des questions intéressantes sur l’influence des variations de la composition du microbiote sur les mécanismes de défense. De nombreuses équipes tentent de mieux comprendre ces phénomènes qui dépassent le simple domaine des infections, avec comme objectif final de proposer à terme de nouvelles stratégies de prévention basées sur la manipulation du microbiote intestinal.

2. Co-infections et comorbidité

Un second domaine d’intérêt, à la fois fondamental et clinique, concerne les co-infections et la comorbidité. De nombreuses pathologies sont en effet associées à des co-infections ou des surinfections, ce qui complexifie les moyens de lutte. L’infection par le VIH provoque des dysfonctionnements du système immunitaire qui se traduisent par le développement d’infections bactériennes, parasitaires ou fongiques opportunistes, souvent létales. Il a été montré que le virus de la grippe induit des effets délétères sur les mécanismes de défense, ce qui favorise les surinfections. Les infections bactériennes, dont la tuberculose, et parasitaires (malaria, leishmaniose) peuvent également créer un terrain propice au développement d’infections secondaires. Ces situations d’infections multiples sont activement étudiées malgré la complexité des modèles expérimentaux à mettre en œuvre. Le but de ces recherches consiste non seulement à mieux comprendre les phénomènes d’immunosuppression induits par la primo-infection mais aussi à identifier les facteurs moléculaires de virulence ou de restriction qui sont spécifiquement impliqués dans l’émergence des co-infections ou des surinfections. Ces recherches pourraient conduire à la découverte de nouvelles cibles thérapeutiques.

Un autre sujet d’importance concerne les effets de la comorbidité associée aux maladies infectieuses. Les désordres métaboliques tels que le diabète et l’obésité, ou inflammatoires telles que les pathologies obstructives chroniques du poumon ou l’asthme, augmentent fortement la susceptibilité aux infections, conduisant ainsi à l’exacerbation de la pathologie. Un lien avec le diabète de type 2 a été fortement suspecté pour la tuberculose, comme pour l’hépatite C. Le mode de vie moderne incluant le changement des habitudes alimentaires, le tabagisme, le stress ainsi que l’influence du contexte environnemental et des pollutions contribuent fortement à ce phénomène. L’inflammation à bas bruit liée à l’âge favorise également les infections. Là encore, les recherches effectuées dans ces domaines nécessitent des approches interdisciplinaires, couplées à la mise en place de modèles expérimentaux adaptés, à l’accès à des études de recherche clinique ciblée et à la mise à disposition de technologies de pointe.

B. Nouvelles stratégies thérapeutiques anti-infectieuses ciblant l’hôte

Le traitement des infections se fait communément à l’aide de médicaments antimicrobiens (antibiotiques), antiviraux et antiparasitaires. Cependant l’émergence de pathogènes résistants comme le Staphylococcus aureus résistant à la Methicilline et les souches de Mycobacterium tuberculosis multi-résistantes ou ultrarésistantes, a conduit au développement de nouvelles stratégies visant à cibler l’hôte afin de potentialiser le pouvoir des antimicrobiens et d’éviter l’apparition de résistances. À titre d’exemple, l’inhibition de la tyrosine kinase ABL par une molécule utilisée chez l’Homme (l’imatinib ou Gleevec®) permet d’améliorer le traitement d’infections à Mycobacterium tuberculosis chez la souris, en combinaison avec des antibiotiques comme la rifabutine. Dans le domaine des infections virales, le midodrine (diltiazem), une drogue ciblant les récepteurs alpha-adrénergiques périphériques et utilisée dans l’hypotension en tant que vasoconstricteur, potentialise les effets antiviraux de l’oseltamivir dans le traitement de la grippe. Ces stratégies pourraient à terme renforcer l’arsenal thérapeutique disponible dirigé contre les agents infectieux. De nouvelles recherches sur des agents immunostimulants et immuno-modulateurs soulignent également la possibilité d’effectuer de nouvelles associations avec des approches classiques basées sur l’antibiothérapie. Ainsi l’emploi de facteurs de croissance hématopoïétique comme le M-CSF ou le GM-CSF est susceptible d’améliorer les réponses immunes contre les agents pathogènes. Ces nouvelles thérapies basées sur la mobilisation des cellules de l’immunité sont très prometteuses dans le domaine de la lutte anti-infectieuse. La recherche dans ce domaine doit être activement soutenue afin d’améliorer l’arsenal thérapeutique et contrer l’apparition de pathogènes multi résistants.

C. Vaccinologie

Les vaccins offrent une protection remarquable contre les maladies infectieuses. Les réponses vaccinales médiées par des anticorps spécifiques jouent un rôle essentiel dans la protection. Cependant, ces réponses sont très variables parmi les individus et de nouvelles méthodologies multi-omiques indiquent que le microbiote joue un rôle important dans l’immunité protectrice induite par le vaccin. L’élucidation des facteurs responsables de l’hétérogénéité des réponses aux vaccins entre individus ou chez certains groupes d’individus tels que les nouveaux nés, les personnes âgées, les patients co-morbides ou immunosupprimés est une priorité absolue.

Les avancées technologiques permettant un suivi en profondeur des réponses immunitaires (ex. séquençage à l’échelle de la cellule unique, analyses multiparamétriques en cytométrie en flux et de masse) constituent sans aucun doute un des moyens de lever ces verrous. La biologie des systèmes appliquée à la vaccinologie a également prouvé sa puissance avec des études princeps révélant non seulement des signatures précoces prédictives de la protection conférée par des vaccins commerciaux (contre la fièvre jaune, la grippe et les infections à pneumocoques et à méningocoques) mais aussi des mécanismes moléculaires inattendus. Par exemple, il a été montré que le vaccin contre la fièvre jaune provoque un stress cellulaire accompagné d’une autophagie qui mène à une meilleure présentation des antigènes viraux aux lymphocytes T CD8+ par les cellules dendritiques.

1. Étude des mécanismes fondamentaux

La vaccinologie est un domaine pluridisciplinaire. Elle concerne les vaccins anti-infectieux et, de plus en plus, les vaccins anti-tumoraux. L’immunologie vaccinale vise à identifier des corrélats immunologiques de protection et à étudier les mécanismes moléculaires et cellulaires de l’induction d’une mémoire immunitaire efficace et durable. On a longtemps utilisé des vaccins dont la composition a été définie empiriquement sans pour autant en comprendre le mode d’action. Certains laboratoires du CNRS élucident ces processus afin d’optimiser in fine les procédures vaccinales et à terme de générer des vaccins de nouvelle génération. Cette démarche passe par une meilleure compréhension du développement et du recrutement des répertoires lymphocytaires T et B. La majorité des vaccins actuels procure une protection via les anticorps neutralisants dont les titres définissent des corrélats de protection. Toutefois les réponses T participent également au contrôle de l’infection ou du développement tumoral. Notre méconnaissance de l’ensemble des corrélats immunologiques de protection et la faible efficacité des stratégies vaccinales visant à induire des réponses T effectrice et T mémoire représentent des défis majeurs pour la mise au point de vaccins. De même, une meilleure compréhension des mécanismes moléculaires et cellulaires de la réponse innée, et de la différenciation et du maintien de la mémoire lymphocytaire T et B, est nécessaire pour le développement rationnel et optimal de vaccins. La plupart des vaccins sont administrés à distance du site d’entrée du pathogène et vise à induire une réponse humorale protectrice. L’un des enjeux de la vaccinologie moderne consiste à administrer des vaccins dans les muqueuses et à induire des réponses lymphocytaires T CD8 permettant une protection vaccinale efficace contre les virus et autres pathogènes intracellulaires. Les laboratoires de recherche sont bien positionnés en France dans ce domaine et ces avancées seront importantes pour concevoir des vaccins procurant une large protection.

2. Apport des nouvelles technologies

Ces vingt dernières années ont été marquées par les avancées des méthodes de séquençage à grande échelle du génome de nombreux pathogènes. Cette approche a favorisé la découverte de nouveaux antigènes permettant et le développement de vaccins en utilisant l’approche dite de vaccinologie inverse. La même approche est menée dans le cas de l’optimisation des stratégies vaccinales anti-tumorales. Plus récemment, l’efficacité de la vaccinologie structurale, qui consiste à concevoir des immunogènes en prenant en compte les données de structure, a été démontrée avec le design d’une glycoprotéine de fusion qui induit des anticorps neutralisants et protecteurs contre les infections à RSV (respiratory syncytial virus). Cette stratégie est très encourageante dans la lutte contre d’autres maladies infectieuses en particulier contre l’infection par le VIH/SIDA. Les recherches se concentrent ainsi sur une meilleure compréhension du développement des réponses lymphocytaires B menant à la production d’anticorps neutralisants hypermutés et maturés et la conception de nouvelles générations de glycoprotéines d’enveloppe virale favorisant leur induction. Dans ce contexte, les technologies de production d’anticorps monoclonaux humains offrent désormais la possibilité de caractériser au niveau structural les mécanismes de neutralisation. En dernier lieu, l’optimisation des formulations vaccinales (nanoparticules) et des adjuvants capables d’orienter un type de réponse immune afin de favoriser un sous-type de lymphocytes et des signatures d’expression de cytokines définies (par exemple Th1/Tc1) est en plein essor et devrait prochainement permettre des avancées majeures dans ce domaine.

IV. Stratégies anti-tumorales et renouveau de l’onco-immunologie

Le système immunitaire joue un rôle critique dans la surveillance des tumeurs en assurant la reconnaissance et l’élimination des cellules transformées. Cette propriété, associée à la découverte d’antigènes tumoraux détectés par le système immunitaire, est très largement étudiée et exploitée dans le cadre des stratégies anti-tumorales actuelles. Des avancées considérables ont été réalisées ces dernières années, non seulement au niveau de la compréhension des mécanismes sous-tendant la détection et l’élimination des cellules tumorales, mais aussi des mécanismes d’échappement vis-à-vis des réponses immunitaires. De façon notoire, l’étude des points de contrôle des réponses lymphocytaires T a permis l’identification et le blocage, à des fins de thérapie anti-tumorale, des interactions régulatrices établies entre les lymphocytes T effecteurs et leur environnement au sein des tumeurs, mais aussi au sein des organes lymphoïdes drainant les tumeurs. Il faut souligner que l’identification de l’un de ces points de contrôle majeur (CTLA-4) résulte de recherches menées dans un laboratoire du CNRS il y a plus de trente ans. Les découvertes fondamentales à l’origine de ces applications en thérapeutique ont été couronnées par le prix Nobel de Médecine et Physiologie attribué à Allison et Honjo en 2018. Ainsi, en levant le « frein naturel » des lymphocytes T, ces nouveaux composants dénommés immune checkpoint blockers, sont capables de stimuler les réponses immunitaires anti-tumorales. Des applications similaires sont envisagées pour réactiver les réponses immunitaires à l’encontre de pathogènes infectieux chroniques. À l’inverse, des stratégies visant à renforcer l’action de ces points de contrôle permettent d’atténuer le rejet immunitaire de tissus greffés chez un receveur. La manipulation de ces points de contrôle permet également le développement de nouvelles stratégies thérapeutiques adaptées aux pathologies auto-immunes et inflammatoires.

A. Rôle du microenvironnement tumoral

Le microenvironnement tumoral est un milieu très complexe favorisant l’échappement de la tumeur vis-à-vis des réponses immunitaires. Parmi ces mécanismes, les lymphocytes T régulateurs exprimant le facteur Foxp3 et les cellules myéloïdes suppressives jouent un rôle inhibiteur sur les cellules dendritiques et les cellules effectrices. La présence de lymphocytes T régulateurs dans les tumeurs est souvent associée à un pronostic défavorable. Les lymphocytes B régulateurs peuvent également participer aux mécanismes suppresseurs par l’intermédiaire du TGF-β. L’un des champs de recherche actuel concerne l’étude des mécanismes conduisant à l’infiltration intra-tumorale par ces cellules suppressives et de leurs modes d’activation. Un autre axe en plein développement concerne l’étude du rôle immuno-régulateur des cellules stromales (non immunitaires) des tumeurs. La caractérisation des mécanismes régissant le remodelage des différents réseaux de cellules stromales des tumeurs ou des ganglions drainant les tumeurs ainsi que les structures lymphoïdes tertiaires est un enjeu crucial. Un axe récent de recherche concerne également les liens entre l’angiogenèse et la réponse immunitaire anti-tumorale. En effet, au niveau moléculaire, la production de VEGF est à l’origine de l’expansion de cellules myéloïdes suppressives. Alternativement, des traitements par des anti-angiogéniques modulent certains paramètres liés à l’immunosuppression comme les lymphocytes T régulateurs et les cellules myéloïdes suppressives. Enfin, de plus en plus d’équipes s’intéressent à la relation entre microbiote et progression tumorale.

Une meilleure compréhension de l’interaction entre les cellules cancéreuses et le stroma tumoral repose non seulement sur l’identification des cellules du microenvironnement tumoral, mais aussi sur l’étude de leurs caractéristiques morphologiques au niveau tissulaire. Ce défi ne pourra pas être relevé sans avancées technologiques permettant l’analyse à haut débit d’images de biopsies tumorales, l’extraction de données, et une quantification des cellules qui résident dans des échantillons tissulaires. La microscopie multi photonique et la microscopie à haute résolution sont particulièrement adaptées à l’analyse de la complexité tumorale. Le développement d’outils bio-informatiques, dont la création de banques de données multiparamétriques en cancérologie et des logiciels d’analyses dédiés, est indispensable. De tels projets de biologie intégrative devraient permettre de mieux comprendre la complexité du microenvironnement des tumeurs via l’identification des différents paramètres immunitaires associés à la survie des patients, et la généralisation de l’immunoscore dans la classification des cancers. Ce niveau d’automatisation permettra aux chercheurs d’identifier des interactions cellulaires, des signatures complexes, et de nouveaux biomarqueurs qui seront tous essentiels au développement d’immunothérapies innovantes.

B. Développement croissant de l’immunothérapie

Les avancées récentes dans notre compréhension de la régulation des réponses immunitaires ont permis l’émergence de nouvelles immunothérapies anti-tumorales basée sur l’emploi des « immune checkpoint blockers » (prix Nobel en 2018, Allison et Honjo). Citons par exemple les anticorps monoclonaux ciblant des antigènes tumoraux ou des points de contrôle immunitaires tels que CTLA-4, PD1 et PDL1. De plus, le transfert adoptif de lymphocytes T modifiés par transfert de gènes codant pour des récepteurs chimériques spécifiques d’antigènes tumoraux dénommés CAR T cells, est aussi en plein développement. Cette avancée biotechnologique est directement issue des connaissances fondamentales acquises sur l’activation lymphocytaire T et permet la conception de nouvelles stratégies d’immunothérapie par infusion de cellules lymphocytaires tueuses spécifiques.

L’immunothérapie du cancer a un impact médical, sociétal et économique considérable. De très nombreuses études visent actuellement à identifier de nouvelles cibles moléculaires et à cerner les synergies possibles entre stratégies de vaccination anti-tumorales et nouvelles immunothérapies basées sur le blocage des points de contrôle. Il faut cependant souligner que ces nouveaux traitements peuvent exercer des toxicités de nature auto-immune importantes dues à la dérégulation de l’ensemble des réponses immunitaires chez l’hôte. Un ciblage et une activation spécifique des lymphocytes dirigés contre les tumeurs sont absolument requis pour améliorer l’efficacité et diminuer les effets secondaires de ces nouveaux traitements.

La conception de traitements anti-tumoraux sélectifs représente un défi important dans le domaine de l’immuno-oncologie. L’élucidation des mécanismes effecteurs et immunosuppresseurs et l’identification des cibles antigéniques provenant des tissus tumoraux, reconnues par les compartiments lymphocytaires effecteurs et régulateurs permettront des avancées majeures dans ce domaine. Le système immunitaire forme un tout et il est évident que les découvertes réalisées dans le cadre d’une application particulière éclaireront tous les domaines allant de l’immunité infectieuse et anti-tumorale à l’auto-immunité, l’inflammation et l’allergie.

V. Pathologies associées à la dysrégulation du système immunitaire

Les pathologies associées à la dysrégulation du système immunitaire comme l’asthme et les maladies auto-immunes, sont en pleine expansion, un phénomène notamment lié à notre mode de vie et aux facteurs environnementaux. Mieux en comprendre les causes passe par une connaissance parfaite des mécanismes fondamentaux régulant la réponse immunitaire.

A. Contrôle et dysrégulation de la réponse immunitaire et maladies associées

L’efficacité de la réponse immunitaire repose, d’une part, sur sa capacité à répondre à un large spectre d’antigènes étrangers à l’organisme comme ceux produits par les agents pathogènes et, d’autre part, à éviter l’auto-réactivité et l’émergence de maladies auto-immunes. Cet équilibre peut se rompre sous l’influence de nombreux facteurs endogènes et exogènes (environnementaux). Les bases moléculaires et génétiques de la tolérance dite « centrale », acquise au moment du développement lymphocytaire T dans le thymus et permettant l’élimination et le contrôle des cellules T auto-réactives, ont été précisées. Ces recherches ont permis d’identifier des cibles clefs, dont la mutation peut conduire à des pathologies auto-immunes. À titre d’exemple, la mutation du gène AIRE est associée à un défaut d’élimination des lymphocytes T auto réactifs, conduisant ainsi au développement de maladies auto-immunes (APECED). D’autres processus de régulation du système immunitaire peuvent être altérés et conduire à des pathologies. Les avancées les plus marquantes ont été apportées par la découverte des mécanismes sous-tendant le développement des sous-populations cellulaires (Th1, Th2, Th17, TFH, Treg, Breg, etc.). Celles-ci sont capables de finement réguler la fonction des lymphocytes effecteurs. L’altération de ce processus contribue à l’émergence de désordres immunitaires. Par exemple, les lymphocytes T auxiliaires de type 1 (T helper 1) sont bénéfiques pour éliminer les pathogènes intracellulaires mais un déséquilibre Th1 favorise les maladies auto-immunes comme l’arthrite ou le diabète. Inversement, une activité excessive des cellules Th2 est associée au développement de maladies allergiques, dont l’asthme, alors que les cellules Th17 favorisent elles certaines pathologies inflammatoires et auto-immunes. C’est dire l’importance des processus régulant cet équilibre entre sous-populations immunitaires aux fonctions différentes, parfois opposées. À ce titre, l’infusion de faibles doses d’interleukine 2 semble prometteuse pour le traitement de pathologies auto-immunes, car elle permet une mobilisation accrue des lymphocytes T régulateurs. Cette cytokine active une boucle de rétrocontrôle naturelle du système immunitaire et mobilise les fonctions immunosuppressives des lymphocytes T régulateurs, propices au traitement de certaines maladies auto-immunes.

De nouvelles approches comme l’imagerie dynamique intravitale et l’analyse de séquences sur cellules uniques couplées à des analyses bio-informatiques poussées permettent de mieux appréhender la dynamique et l’hétérogénéité des cellules immunitaires (dont les Th) et de leurs fonctions dans le contexte du microenvironnement tissulaire. La spécialisation des lignages lymphocytaires dépend d’un nombre limité de facteurs de transcription (par exemple Foxp3 pour la spécialisation des lymphocytes T régulateurs), de facteurs exogènes (facteurs de croissances, microenvironnement) ou épigénétiques. À l’avenir, il sera crucial de connaître leurs partenaires ainsi que le programme moléculaire qui régit leur génération et leur adressage tissulaire. In fine, cette recherche fondamentale permettra de mieux comprendre les pathologies associées aux désordres immunologiques.

De nouveaux domaines, comme l’immuno-métabolisme, sont en train de prendre une place considérable dans cet axe de recherche. Le développement de nouveaux modèles biologiques mais aussi informatiques et mathématiques permettant de donner une vision globale et intégrée du rôle de chaque lignée immunitaire au sein des organes et de l’organisme entier est nécessaire. Ces approches apporteront des éléments nouveaux sur la nature des déséquilibres à l’origine des maladies et procureront une base solide pour le développement de nouvelles stratégies thérapeutiques.

Certaines pathologies fréquentes comme le diabète de type 2, la sclérose en plaques ou l’asthme sont associées à des facteurs environnementaux et, en particulier, à la composition du microbiote des patients. Comme évoqué plus haut, l’élucidation des mécanismes par lesquels le microbiote intestinal régule la réponse immunitaire est l’un des grands défis à résoudre pour les immunologistes. Là encore, les progrès viendront de l’utilisation de stratégies à haut débit, permettant d’analyser le microbiote dans son ensemble, mais également du développement de modèles biologiques capables d’évaluer le rôle des éléments microbiotiques sur le système immunitaire. Les implications de ces travaux pourraient dépasser le cadre des désordres immunitaires et concerner également certaines pathologies psychiatriques et cancéreuses.

B. Génétique et désordres immunitaires

Des études épidémiologiques ont clairement mis en évidence le caractère familial fréquent des désordres immunitaires. Les approches génétiques, qui ont permis d’élucider les bases moléculaires de certains déficits immunitaires monogéniques comme les syndromes de Bruton, d’Omenn ou HIGMs, doivent maintenant être adaptées à l’analyse des maladies auto-immunes, plus complexes, souvent polygéniques et multifactorielles. Des données nouvelles sur les gènes qui régulent les réponses immunitaires aideront à améliorer la prévention et le diagnostic des malades. Par ailleurs, l’élucidation des bases génétiques des patients souffrant d’immunodéficiences primaires a permis la découverte de mécanismes et de facteurs essentiels au développement et à la régulation du système immunitaire. Les immunodéficiences primaires sont des maladies rares mais leur nombre est important puisque actuellement plus de 200 causes génétiques ont été identifiées pour ces maladies. Ces modèles « in natura » sont très informatifs pour comprendre le fonctionnement du système immunitaire chez l’Homme et ses interactions avec l’environnement. Récemment, le développement et l’usage des nouvelles techniques d’analyse du génome et sa régulation (séquençages exome, génome entier, transcriptome) ont permis des progrès importants et rapides dans la compréhension des bases génétiques de ces maladies, mais ils ont aussi révélé sa complexité dans un nombre croissant de pathologies. Ces nouveaux outils produisent des quantités massives de données qui nécessitent de nouvelles compétences professionnelles pour leur traitement et leur analyse. Le développement du système CRISPR-Cas9 qui permet l’obtention rapide de « knock-out » cellulaires, va fortement contribuer à une meilleure connaissance des pathologies associées aux désordres immunitaires.

L’étude des immunodéficiences primaires a permis non seulement des progrès importants en immunologie fondamentale mais elle a participé et contribué de façon essentielle à de nombreuses avancées diagnostiques et thérapeutiques (incluant les nouvelles thérapies cellulaires et géniques). De nombreuses études indiquent l’importance des facteurs génétiques, familiaux et environnementaux dans le déclenchement de pathologies tels que l’asthme, les maladies inflammatoires de l’intestin et les maladies auto-immunes. Ces facteurs sont mal connus pour le moment mais les nouvelles techniques d’analyse du génome vont permettre dans un avenir proche une meilleure compréhension du rôle de ces facteurs dans ces désordres immunitaires.

C. Les hémopathies, corollaire de désordres du système immunitaire

La mise en place du système immunitaire est un processus complexe qui permet à un nombre limité de cellules souches hématopoïétiques de produire l’ensemble des cellules effectrices impliquées dans la réponse immune. Cette complexité permet de faire fonctionner un système économe qui exerce ses fonctions s’étendent à l’ensemble de l’organisme. Cependant, les altérations qui surviennent au cours de la différenciation des cellules peuvent bouleverser de nombreux aspects de leur biologie et contribuer à l’émergence de déficits immunitaires ou d’hémopathies malignes. Par exemple, une seule cellule lymphocytaire B passe par plus d’une quinzaine de stades de différenciation pouvant tous conduire à un sous-type de lymphome B. Avec plus de 20 000 nouveaux cas par an, les hémopathies lymphoïdes (dont un quart est représenté par les seuls myélomes B) représentent une part importante de ces maladies et leur nombre tend à augmenter avec le vieillissement de la population et les conditions et hygiène de vie (alcool, tabac, pesticides et perturbateurs endocriniens). Au cours des 30 dernières années, grâce à la cytogénétique moléculaire, certaines lésions génétiques récurrentes (mutations et translocations chromosomiques) associées à la leucémogénèse ont été identifiées. De façon intéressante, les altérations affectent souvent des gènes impliqués dans le contrôle de la mise en place du système immunitaire. Par exemple, les mutations du facteur de transcription Ikaros sont fréquentes dans les leucémies aiguës lymphoblastiques, celles de BCL6 sont retrouvées dans les lymphomes B et des translocations chromosomiques dérégulent MAF dans le myélome multiple.

Comme souvent, c’est l’étude de la cellule saine qui a mis en évidence les processus conduisant aux translocations chromosomiques impliquées dans la lymphomogénèse B. C’est lors d’un des trois grands « check points » de remodelage chromatinien (avec cassures physiologiques de l’ADN) qui ponctuent la maturation B (recombinaison VDJ, hypermutation somatique, recombinaison isotypique) que peuvent se transloquer les oncogènes à l’origine de la plupart des lymphomes B matures. En utilisant des stratégies génétiques chez la souris (modèles knock-out d’invalidation et knock-in d’insertion), les chercheurs ont validé les fonctions oncogéniques des gènes mutés ou transloqués et généré des modèles précieux de ces pathologies humaines. Plus récemment, le séquençage à haut débit a apporté un éclairage nouveau sur la génétique des hémopathies malignes en donnant accès à l’ensemble des altérations présentes dans les cellules tumorales et en mettant en évidence le phénomène d’hétérogénéité intra-tumorale indiquant que la cellule se cancérise à la suite d’événements géniques. Ces approches génomiques ont généré une quantité énorme de données dont le traitement nécessitera de lever les verrous suivants. Parmi les nombreuses mutations présentes dans les cellules tumorales, il faut discriminer les altérations essentielles « drivers » des altérations accessoires « passagers ». Cette hiérarchisation des fonctions oncogéniques demandera l’analyse de très grandes cohortes de patients et la mise au point de tests biologiques in vivo. Pour comprendre l’évolution des maladies, il est indispensable de définir les coopérations fonctionnelles des différentes mutations et de caractériser les grandes voies altérées par ces lésions génétiques. Enfin, il est nécessaire de préciser le rôle de l’environnement dans le développement des différentes pathologies. Ces points ne pourront être étudiés que grâce à un changement de paradigme scientifique où les analyses « big-data » et « méta-génomiques » deviendront aussi routinières qu’une simple PCR de génotypage. L’étude des mécanismes responsables de la progression des hémopathies lymphoïdes permettra, d’une part, d’identifier de nouveaux processus contrôlant la mise en place du système immunitaire, et d’autre part, de développer des stratégies thérapeutiques, voire même préventives, plus efficaces.

VI. Nouvelles frontières et nouveaux défis

Comme nous l’avons vu, les thèmes de recherche abordés par la section 27 « Relation hôte-pathogène, immunologie, inflammation » sont vastes et concernent plusieurs domaines de la biologie en relation de plus en plus étroite avec d’autres disciplines comme la physique, l’informatique et les mathématiques. Les avancées récentes sont majeures et ont conduit non seulement à une meilleure connaissance des organismes vivants en interaction avec leur environnement mais également à des applications thérapeutiques concrètes.

Le système immunitaire représente la première ligne de défense contre les infections et le cancer, constituant deux thèmes majeurs de la section 27. Cependant, il faut considérer les nouvelles frontières de l’immunologie et prendre en compte le fait que le système immunitaire, et son dysfonctionnement, interviennent dans d’autres pathologies comme les maladies cardiovasculaires, les maladies dégénératives du CNS, les maladies inflammatoires chroniques aux interfaces avec l’environnement (peau, poumon, système digestif) et la régénération tissulaire. Le lien qui existe entre certains pathogènes et certaines maladies neuropsychiatriques ou des cancers illustre aussi la nécessité de mener une recherche à l’interface de plusieurs champs disciplinaires. Enfin, le développement du domaine de la transplantation d’organes, de cellules et à présent du transfert de gènes à des fins médicales repose grandement sur le progrès des connaissances fondamentales acquises sur le fonctionnement du système immunitaire. Éviter le rejet immunitaire de tissus greffés sans altérer les réponses immunitaires de l’hôte receveur reste l’un des défis les plus importants à résoudre pour généraliser ces traitements à un grand nombre de patients.

A. La santé unique et l’interdisciplinarité

Le concept de santé unique (« One Health ») a récemment émergé dans le contexte de mondialisation actuelle, où santé humaine, santé animale et environnement sont intriqués de façon étroite et dynamique, et doivent être étudiés de façon conjointe pour permettre non seulement une meilleure compréhension de la transmission des agents pathogènes mais aussi le développement de moyens efficaces de contrôle. Il en va de même pour les pathologies associées au dysfonctionnement du système immunitaire. Grâce à sa mémoire adaptative et son rôle de maintien de l’homéostasie chez les vertébrés, le système immunitaire joue un rôle essentiel dans la régulation des interactions entre organismes vivants, et représente une composante centrale du concept de santé unique.

Dans ce contexte où une approche de type One Health est essentielle, un défi majeur sera de développer l’interdisciplinarité par le recrutement d’expertises à l’interface de disciplines relevant de l’INSB et de l’INEE, incluant la biologie évolutive, l’écologie, l’éco-toxicologie, la biodiversité et l’environnement. Cette évolution doit aussi s’accompagner du développement de compétences bio-informatiques nécessaires à des études globales, notamment en métagénomique. Un autre défi de la recherche en microbiologie sera donc de transposer les progrès réalisés dans la compréhension des mécanismes cellulaires et moléculaires des processus infectieux, en utilisant des isolats plus représentatifs de cette diversité, en tenant compte notamment des réservoirs animaux et environnementaux des pathogènes. Une telle approche One Heath est essentielle pour aborder de façon plus pertinente la complexité des relations hôte-pathogène.

Notre mode de vie est en pleine mutation (stress, habitudes alimentaires, décalage horaire, etc.). À cela se superpose le fait que les conditions environnementales (pollution croissante, changement climatique) évoluent rapidement. Il nous faut donc très rapidement nous adapter, voire anticiper, face à ces perturbations majeures aux conséquences complexes. Cela pourra se faire par des approches de prédiction mathématique et par la mise en place de nouveaux modèles d’étude capables de mimer la situation réelle. Là encore, le concept de santé unique et l’interdisciplinarité seront essentiels. Le développement des tissus organoïdes in vitro associé aux techniques de micro-fluidique (organs-on-chips) et de collectes de données à grande échelle indique que l’interdisciplinarité sera essentielle pour obtenir des avancées substantielles en termes de bien-être et de santé publique.

B. Les approches à haut débit et les omiques

Les technologies modernes, par exemple l’analyse de la cellule unique (scRNAseq, CyTOF) ont fait émerger de nouveaux concepts dans le domaine des interactions hôte-pathogène et de l’immunologie. L’avènement des technologies Omiques permet désormais de prendre en compte la vraie diversité génétique des agents pathogènes, bien au-delà de souches modèles de laboratoire. L’avènement des approches à haut débit, notamment de séquençage, permet désormais de générer des données massives, ce qui pose d’importants défis pour la gestion (stockage) et l’exploitation des résultats. En particulier, l’analyse des données impose de développer des approches bio-informatiques et bio-statistiques adaptées, ou des méthodes d’analyse spécifiques pour les approches « single cell ». Afin de pouvoir exploiter les données issues des nouvelles technologies, il est essentiel de renforcer les liens entre la microbiologie, l’immunologie et d’autres spécialités, comme la physique, les mathématiques et l’informatique, et de faire émerger de nouvelles expertises à l’interface de ces disciplines. Si ces nouvelles technologies et ces nouveaux outils nécessitent de nouvelles compétences professionnelles pour leur traitement et leur analyse, les approches plus classiques basées sur le développement de modèles cellulaires et animaux restent essentielles.

C. Importance de la recherche fondamentale non finalisée

La recherche en microbiologie (dont les pathogènes) et en immunologie reste très dynamique en France, notamment au CNRS, et doit être fortement soutenue. Plusieurs actions structurantes ont eu un effet très bénéfique sur des domaines particuliers, comme l’ANRS, qui a permis le développement d’une recherche de pointe sur le VIH et les hépatites virales, ou les Laboratoires d’Excellence en parasitologie, bactériologie,immunologie et inflammation, qui ont largement renforcé les communautés scientifiques travaillant sur ces thématiques. L’INCA, l’ARC et la Ligue contre le cancer ont grandement soutenu les recherches en immuno-oncologie. Ces actions doivent être poursuivies et étendues à d’autres domaines, comme la mycologie notamment. Les groupements de recherche (GDR) doivent aussi perdurer.

On ne peut qu’insister sur l’importance des recherches fondamentales au CNRS, en amont d’applications. En dehors des champs de connaissance à fort impact médiatique qui concentrent une grande partie des financements actuels (VIH, résistances aux antibiotiques, microbiote), le manque de financement fait peser un risque réel sur le maintien d’expertises uniques qui font la richesse de la Recherche Française, notamment au sein des laboratoires du CNRS. En parallèle, l’effondrement spectaculaire du nombre de postes sur les thématiques de la section 27 depuis 5 ans va à l’encontre du développement important de certains champs ou disciplines de recherche qui émergent depuis quelques années et qui vont encore se développer dans les années à venir. Cet état de fait ne peut que conduire à une baisse de compétitivité des laboratoires du CNRS face à la concurrence mondiale dans les domaines de l’immunologie et des interactions hôte-pathogène.

Depuis plus de 50 ans, les données recueillies chez les malades ont souvent permis d’élucider les mécanismes moléculaires impliqués dans certaines pathologies liées au dysfonctionnement du système immunitaire et, en même temps, de mieux comprendre la mise en place et la régulation du système immunitaire. Inversement, les progrès dans le domaine de l’immunologie fondamentale ont contribué à de nombreuses avancées thérapeutiques. Ce dialogue entre les aspects fondamentaux et physiopathologiques de l’immunité est toujours d’actualité et il nous semble important de soutenir simultanément les recherches consacrées aux deux versants de la discipline. Notre méconnaissance des mécanismes fondamentaux sous-jacents va de pair avec la faible efficacité des stratégies thérapeutiques. La recherche fondamentale associée aux nouvelles technologies et au développement de nouveaux modèles expérimentaux permettront de lever ce verrou.

Les dangers potentiels d’une politique scientifique trop axée sur la recherche appliquée et court-termiste et qui, depuis plusieurs années, freine la créativité des chercheurs, sont réels. Vu sa vigueur actuelle et les préoccupations de la société face aux bouleversements des modes de vie, la recherche fondamentale sur le vivant doit être soutenue indépendamment de l’espoir d’applications immédiates. Des programmes à hauts risques, dont les retombées potentielles nous sont encore inconnues, doivent aussi être encouragés. Les exemples de découvertes issues de recherches non finalisées sont nombreux dans l’histoire de la microbiologie (antibiotiques, système de réparation génique CRISPR-Cas9) et de l’immunologie (inhibiteurs de points de contrôles du système immunitaire). Les avancées technologiques majeures de ces dernières années, auxquelles le chercheur doit constamment s’adapter, permettent d’acquérir une profondeur d’analyse exceptionnelle et devraient à court terme générer de nouveaux concepts. Cette opportunité place le chercheur dans une position nouvelle qu’il ne saura exploiter que s’il dispose de financements substantiels et d’une liberté intellectuelle garantie.

VII. Conclusion

Ce rapport vise à établir de façon non-exhaustive les avancées remarquables réalisées dans le domaine des relations hôte-pathogène, de l’immunologie et de l’inflammation. Il vise aussi à cerner les défis scientifiques et enjeux de la discipline face à l’émergence de nouveaux pathogènes, à la modification des modes de vies et habitudes alimentaires et à l’impact des pollutions et désordres environnementaux. Le renouveau actuel de la discipline repéré depuis une décade, ne fait que s’accentuer. Il résulte de l’intégration des connaissances à l’interface avec l’ensemble des Sciences du vivant incluant, la physiologie, la biologie cellulaire, les neurosciences, l’oncologie et les techniques de la santé. La diversification croissante des outils méthodologiques à la disposition des chercheurs représente un second facteur d’unification du domaine. Enfin, l’interface avec le domaine de la santé représente un ancrage sociétal et économique essentiel pour ce champ disciplinaire en plein essor.