Rapport de conjoncture 2019

Section 18 Terre et planètes Telluriques : structure, histoire, modèles

Composition de la Section

Philippe Cardin (président de Section) ; Étienne Deloule (secrétaire scientifique) ; Denis Andrault ; Pierre-Yves Arnould ; Vincent Balter ; Nicolas Bellahsen, Frederick Boudin ; Pierre Cartigny ; Marcia Maia ; Stéphanie Duchêne ; Anne Duperret ; François Guillocheau ; Caroline Martel ; Élise Nardin ; Tanguy Nebut ; Séverine Rosat ; Philippe Roux ; Violaine Sautter ; Martine Simoes ; Gabriel Tobie ; Emmanuel Tric.

Résumé

Notre planète est devenue habitable au cours de son histoire. Quelles sont les raisons qui expliquent son évolution, différente de celle des autres planètes telluriques ? Pouvons-nous prédire l’habitabilité des exoplanètes ? Questions ouvertes qui nous imposent de continuer à observer, étudier, non seulement les planètes telluriques mais aussi les archives de notre passé pour proposer une histoire contrainte qui explique la structure et la composition actuelle du globe, le fonctionnement de sa lithosphère et de ses reliefs, l’émergence et l’évolution de la vie, et le contrôle des divers processus reliant l’intérieur du globe à sa surface. L’acquisition de données de terrain, géophysiques et géochimiques et l’utilisation d’algorithmes numériques d’analyse de données sont nécessaires. Cependant, ces informations ne seront comprises que si elles sont intégrées dans des modélisations conceptuelles et physico-chimiques contraintes, qui, en retour, éclairent les morceaux de puzzle manquants de l’histoire de la Terre. Cette démarche est celle à l’œuvre dans la prédiction, non suffisament performante à ce stade, de l’évolution des systèmes naturels telluriques (séismes, volcans, instabilités gravitaires, tsunamis, orages magnétiques…), d’autant plus qu’ils présentent un risque pour nos sociétés. Des progrès sont attendus même si la physique complexe, multi-échelles et multi-paramètres, alliant temps courts et temps longs, reste un défi. Enfin, la connaissance des sous-sols, de leurs ressources (minerais, hydrocarbures, géothermie, stockages…), de leur formation et évolution doit être une préoccupation majeure de notre communautédu fait des implications économiques, sociales et politiques.

Introduction

La section 18 s’attache à développer les connaissances scientifiques sur le système Terre / planètes telluriques. Elle se place dans une longue tradition qui s’intéresse à la description et à la compréhension du monde qui nous entoure, de l’échelle microscopique à l’échelle planétaire. Ce travail est – par nature – pluridisciplinaire, intégrant observations naturalistes, mesures géophysiques, analyses géochimiques, expérimentation pétrologique, modélisations physiques et mathématiques, ainsi que l’exploration spatiale des autres planètes telluriques.

De tout temps, nos disciplines ont contribué à l’essor de nos sociétés par l’identification de ressources minérales et énergétiques, l’évaluation des aléas telluriques, et plus fondamentalement en découvrant le fonctionnement du système Terre et de son histoire. Notre quête a aussi permis de développer de nombreuses méthodes ou concepts – tels que l’analyse géochimique isotopique ou l’inversion de données – qui ont très largement bénéficié à d’autres disciplines.

Aujourd’hui(1), 32 laboratoires (Unités Mixte de Recherche) sont rattachés à la section 18, dont 19 en rattachement principal et 7 en second rattachement. Les 19 laboratoires en rattachement principal comptent 2 817 personnes dans leurs effectifs, dont 1 226 chercheurs « permanents », comprenant 326 chercheurs CNRS.

Le nombre de laboratoires de la section 18 a diminué au cours de la dernière décennie du fait de restructurations en grosses unités (IPG Paris, ISTerre Grenoble, Géosciences Environnement Toulouse, Géosciences Montpellier…). Voulue par les tutelles, cette restructuration permet de mutualiser plus facilement les ressources financières, les équipements et les fonctions support, ainsi que d’assurer une certaine visibilité à nos recherches. Un regroupement est en cours à Strasbourg entre l’Institut de Physique du Globe de Strasbourg (section 18) et le Lyghes (section 30). En revanche, notre communauté reste assez dispersée sur le site de Lille (3 unités) et dans une moindre mesure à Toulouse (GET et IRAP) et Nancy (Géoressources et CRPG).

Cinq unités (GET, ISTerre, Géoazur, CEREGE, LMV) ont aussi pour tutelle l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD), comprenant 62 chercheurs permanents IRD à comparer aux 167 chercheurs CNRS et 307 enseignants chercheurs. Les cibles géographiques de l’IRD dans notre domaine sont les pays andins, l’Indonésie, l’Afrique de l’ouest, l’Inde, le Liban et l’Algérie, offrant ainsi bien souvent l’accès à des sites uniques tout en développant des collaborations avec les chercheurs de ces pays.

En plus des tutelles universitaires locales, nous comptons le Muséum National d’Histoire Naturelle (CR2P et IMPMC), le CNES (LPG et GET), le BRGM (ISTO), l’INRA (CEREGE) et IFSTTAR (ISTerre). Enfin, notons le statut particulier de l’UMR Institut de Physique du Globe de Paris (IPGP), seule unité du grand établissement éponyme.

Notre communauté scientifique s’appuie principalement sur deux sections puisque 17 des 32 unités s’inscrivant en section 18 émargent aussi en section 30 (section commune entre l’INSU et l’INEE), couplant ainsi « géologie profonde » et « géologie de surface », et partageant de ce fait méthodes et questionnements. Plus précisément, sur les 19 unités en rattachement principal de notre section, 9 ont pour rattachement secondaire la section 30. Notons que plus de 50 chercheurs de la section 18 sont dans une unité ayant la section 30 comme section prinicpale de rattachement. Enfin, la structuration en OSU (Observatoire des Sciences de l’Univers) dans de nombreux sites favorise naturellement les liens scientifiques entres les communautés de l’INSU et de l’INEE, même si la reconnaissance des OSU par les universités hôtes est variable selon les sites.

Les couplages sont forts avec la section 19 (8 unités en commun), illustrant les nombreuses interactions entre Terre solide et enveloppes fluides, ou encore notre intérêt commun pour les évolutions climatiques.

Les laboratoires impliqués en paléontologie (7 unités) sont aussi rattachés à la section 29 (rattachée à l’InSB) qui s’intéresse à l’évolution du monde vivant.

Notons enfin un tropisme fort vers les sections 9 et 10 (sciences de l’ingénieur) pour les techniques d’acoustique, de mécanique du solide et des fluides (3 et 3 unités respectivement).

Étonnamment, seules deux unités (LPG et IRAP) assurent un lien structurel avec la section 17 d’astrophysique, et ceci principalement autour de la planétologie.

Les 19 unités principales de la section 18 ont une bonne production puisque 2 579 articles ont été publiés en 2017 selon ISI WoK, soit 2.1 articles par chercheur. Ces 19 laboratoires cumulent 100 000 citations fin 2017 et assurent une large visibilité et valorisation de notre travail au niveau international. Cette reconnaissance est mesurable grâce aux 25 médaillés des deux grandes sociétés savantes de notre domaine, à savoir l’American Geophysical Union (AGU) et l’European Geophysical Union (EGU). Notons aussi les 38 AGU fellows de nos laboratoires qui font de la France le premier pays étranger primé par l’AGU. Le classement de Shanghai, dans le domaine « Earth Science » fait apparaitre 6 universités françaises dans le top 50 (classement 2018), par exemple l’université Paris 7 (IPGP) à la 12e place et l’université Grenoble Alpes (ISTerre) à la 18e place. En ce qui concerne les financements, notre communauté a été lauréate de 50 ERC cette dernière décennie. Ces projets d’excellence permettent de dynamiser les questionnements scientifiques dans les laboratoires, de maintenir des équipements de pointe et de financer des jeunes chercheurs.

Notre section compte un peu plus de 300 chercheurs avec autant de chargés de recherche (CR) que de directeurs de recherche (DR). Ce nombre s’est érodé cette dernière décennie (baisse de l’ordre de 10 %). La proportion de femmes est de l’ordre de 30 % sur l’ensemble de la section, 35 % dans le corps des CR et 25 % dans celui des DR. Ces chiffres doivent être mis en regard des chiffres des sections CNU 35 et 36 qui réunissent les enseignants chercheurs de nos disciplines. Alors que l’effectif global de ces deux sections a augmenté de 4 % sur les 20 dernières années, il ne comprend qu’un ratio de 26 % de femmes (ce ratio descend à moins de 15 % dans le corps des professeurs). Fait assez rare, nous venons de promouvoir une directrice de recherche à la classe exceptionnelle en section 18.

Concernant les recrutements, la section 18 a recruté 64 chargés de recherche (dont 18 femmes) depuis 2009, soit de l’ordre de 6 postes/an en moyenne (5.8), avec une répartition géographique en lien avec la taille et le dynamisme des laboratoires (15 à Paris, 8 à Toulouse, 6 à Lyon, Grenoble et Nancy, 4 à Lille et Clermont-Ferrand…). Depuis 2009, 72 personnes (dont 23 femmes) ont été promues directeur de recherche, soit 6,5/an.

Bien qu’en partie subjective, nous avons classé les 305 chercheurs de la section en trois groupes thématiques significatifs de notre histoire : Géophysique (42 %), Géologie (30 %) et Géochimie (28 %). La Géophysique comprend la sismologie, la géodésie, la gravimétrie, le géomagnétisme, la minéralogie haute pression et la géodynamique globale. La Géologie comprend la tectonique, la pétrologie, la volcanologie, la paléontologie, la stratigraphie et la sédimentologie. La Géochimie inclut aussi la cosmochimie et la géochronologie. Ces nuances correspondent à des métiers dont l’excellence est nécessaire pour faire avancer nos questionnements scientifiques, qui eux, ne se posent plus en termes de sous-disciplines mais en termes de description et de fonctionnement du « système planète ». C’est d’ailleurs de cette manière que nous avons décidé de présenter une sélection de nos thématiques de recherche les plus actives et intégratives.

I. Âge et durée des processus planétaires

Des temps longs aux temps courts : mieux connaître les caractéristiques temporelles de la dynamique terrestre pour mieux comprendre la planète d’aujourd’hui.

Les enjeux liés au changement climatique, à l’épuisement des ressources fossiles ou aux risques naturels volcaniques et sismiques imposent de travailler à une échelle de temps d’observation et d’anticipation qui est celle du siècle. Face à l’accélération des bouleversements environnementaux, les géosciences apportent une vision à une échelle de temps toute autre, celle de la durée de vie de la Terre. Tout au long de son histoire, la Terre a subi de nombreuses crises et transitions, dont il est important de mesurer les âges, les durées et les fréquences pour pouvoir en analyser les mécanismes et les conséquences.

Le développement des techniques de datation in situ a permis de gagner en précision spatiale pour atteindre des échelles micrométriques voire nanométriques et ainsi distinguer des événements proches, par exemple les différentes phases de la croissance d’un minéral. Le développement continu de la thermochronologie et de la datation des surfaces par les isotopes cosmogéniques et par luminescence dynamise l’étude des reliefs. Dans le domaine de la tectonique et de la déformation active, les méthodes d’observation spatiale (GNSS, INSAR, imagerie optique) permettent d’évaluer les déplacements horizontaux et verticaux de la lithosphère à partir de banques de données couvrant plusieurs décennies et avec une fréquence croissante, ce qui permet de déceler des mouvements de plus en plus lents et petits, et d’améliorer notre connaissance de leur cyclicité. Tous les domaines des géosciences sont concernés par la recherche des paramètres temporels, mais on peut retenir parmi les sujets d’actualité les exemples suivants.

De la vitesse des processus tectoniques à l’activité sismique. L’activité sismique se déroule sur des temps courts, mais répond au déplacement lent et en partie asismique des plaques tectoniques sur le long terme. Or, l’estimation des vitesses de déformation passées est un verrou persistant, qu’il faut s’attacher à lever par la datation des marqueurs de la déformation ou des minéraux dans les zones de failles (micas, calcite).

Persistance des réservoirs magmatiques et vitesse des processus de recharge et de vidange. Une éruption volcanique est un événement catastrophique de dégazage et d’ascension de magma dont la durée s’exprime en heures ou en jours, mais qui est en lien avec des processus plus longs de recharge ou de vidange des réservoirs magmatiques en profondeur (en mois ou milliers d’années). D’autre part, la durée de vie des systèmes sources des magmas, la fusion partielle en base de croûte et dans le manteau, qui s’étale sur des millions d’années, est mal connue. Expliciter les processus qui s’emboîtent dans ces sauts d’échelles de temps et d’espace est un enjeu.

La formation des ressources, un processus lent et incertain. La genèse des ressources minérales ou énergétiques est l’aboutissement d’un long enchaînement d’évènements de temps caractéristiques divers. La récurrence des événements minéralisateurs à l’échelle régionale et leur distribution dans l’histoire de la Terre restent souvent mal connues. Dater les différentes étapes de la formation des pétroles ou des ressources minérales et définir la durée de chaque étape est une suite de défis à relever.

Vitesses des changements environnementaux du passé. La réaction des enveloppes superficielles aux forçages naturels et aujourd’hui anthropiques est au cœur des enjeux environnementaux. La détermination de la durée des crises et du retour à l’équilibre ou de la durée des phases de transition dans les périodes récentes ou plus anciennes se pose dans de nombreux domaines : les crises biologiques, les variations des paramètres climatiques, l’évolution de la chimie de l’atmosphère et de l’hydrosphère ou encore les variations du niveau des mers.

Durée des processus d’accrétion et de différenciation planétaire. Si la chronologie de la différenciation noyau/manteau des corps parents des météorites peut être abordée de manière directe, celle de la planète Terre reste un champ d’exploration. À la lumière des données géochronologiques et isotopiques récentes, l’âge et la vitesse d’extraction de la croûte terrestre sont toujours sujets à débat.

II. Diversité des planètes telluriques

Caractériser la diversité des planètes et des processus planétaires pour mieux comprendre comment les planètes se forment et évoluent, et ainsi identifier les spécificités de la planète Terre.

Caractérisation des intérieurs planétaires : Malgré les avancés majeures de l’exploration spatiale au cours des deux dernières décennies, la structure interne des planètes telluriques reste mal contrainte. Difficile, par exemple, de quantifier précisément la taille des noyaux de Vénus ou de Mars, sans parler de la taille de la graine quand celle-ci existe. Ce sont pourtant des informations cruciales pour discuter de leurs conditions de formation (composition chimique, état thermique), de leur dynamique interne et leur évolution à long terme, et de les comparer avec la Terre.

Le premier sismomètre martien développé par la France est opérationnel depuis début 2019 et ses résultats sont attendus pour définir un modèle complet de la structure interne de Mars. En parallèle, la découverte d’exoplanètes de type terrestre motive le développement de nouvelles équations d’état pouvant être appliquées à des conditions de pression, de température et de composition sensiblement différentes de celles rencontrées sur Terre. Une grande diversité de structures internes, associée à des évolutions géodynamiques variées (mode de convection, dynamique de la lithosphère, géodynamo) sont en cours d’études.

Étudier l’ensemble des planètes dans notre système solaire et au-delà permettra de mieux comprendre les facteurs clés contrôlant l’histoire géodynamique d’une planète et de mieux comprendre les spécificités de notre planète.

Les premiers instants des planètes : L’analyse de météorites et d’échantillons lunaires apportent des contraintes clés sur les premiers instants du système solaire. Une variété de traceurs géochimiques nous renseigne sur les processus de formation des embryons planétaires, puis des planètes, à partir des briques élémentaires. Pourtant, le développement de modèles physiques cohérents reste un défi. Notre compréhension des processus de fractionnement dans les disques proto-planétaires, ainsi qu’au cours des étapes successives de la formation et de la différenciation planétaire, a besoin d’être affinée, ce qui implique l’acquisition de données géochimiques et la réalisation d’études expérimentales toujours plus pointues.

La collision entre des objets de taille planétaire, qui, sur Terre, a entrainé la formation de la Lune, est un processus crucial. Reproduire expérimentalement et numériquement les conditions extrêmes atteintes pendant ce processus demeure un défi majeur. Ceci est nécessaire pour mieux quantifier les conséquences des océans magmatiques et de la cristallisation du manteau sur la ségrégation des grands réservoirs planétaires.

Couplage planétaire et habitabilité : L’évolution planétaire est modulée par d’importants couplages externes, à savoir des impacts planétaires, des interactions avec les enveloppes externes et les mouvements orbitaux et rotationnels. Les interactions de marée ont, par exemple, joué un rôle clé dans l’évolution de Mercure, de Vénus, du couple Terre-Lune, d’une grande partie des lunes du système solaire externe, et dans la plupart des exoplanètes que l’on découvre actuellement. Entre autres, les forçages mécaniques dus aux impacts et aux forçages de marées pourraient jouer un rôle important dans l’apparition et le maintien du champ magnétique.

Comprendre comment les couplages entre la dynamique interne et les enveloppes externes contrôlent l’évolution de la Terre et des autres planètes est un grand enjeu du futur. En particulier, quantifier ces intéractions dans des contextes planétaires autres que celui de la Terre est crucial pour évaluer les conditions d’habitabilité. Forte de sa connaissance approfondie du système Terre, notre communauté joue un rôle majeur dans ce défi, en proposant des modélisations numériques et des mesures expérimentales de dernière génération.

III. Exobiologie, habitabilité des planètes et origine du vivant

L’origine de la vie, question interdisciplinaire par excellence, est devenue une thématique à part entière en Sciences de la Terre et de l’Univers avec la recherche de traces de vie (bio-signatures) terrestres et extraterrestres. La géo-microbiologie est une nouvelle discipline à la croisée de la minéralogie, géochimie et microbiologie, englobant de nombreuses thématiques : cosmo-biochimie, exobiologie et microbiologie archéenne. L’implication française sur les missions spatiales in situ (ex : Rosetta sur la comète 67P/Churyuov_Gerasimenko), les missions de retour d’échantillons cométaires et interstellaires (ex : Genesis Stardust), et dans l’étude de la matière organique extra-terrestre (chondrites carbonées et micrométéorites) a permis de mieux appréhender la diversité des précurseurs prébiotiques.

Sur Mars, les recherches actuelles ont montré qu’elle a été habitable. L’implication française dans les missions spatiales en orbite (Mars express) et in situ (Curiosity, MSL) a contribué à faire évoluer le paradigme ‘follow the water’ vers celui de ‘follow the carbon’. Sur les lunes glacées, la communauté française a joué un rôle majeur dans la découverte d’océans profonds, et prépare la future vague d’explorations qui testeront leur potentiel exobiologique.

Sur Terre, l’identification de biosignatures dans les roches archéennes, implique aussi l’étude d’analogues actuels des procaryotes primitifs en milieux extrêmes (salinité, température, PH, etc.), sous-marins (EMSO, Nautelle), lacustres (lacs Pavin, Tanganika) ou souterrains, ainsi que par l’expérimentation géo-microbiologique, le développement de nouveaux traceurs et l’utilisation des rayonnements synchrotron.

Grandes questions

D’une façon générale, comment distinguer les paramètres physiques des empreintes réellement biologiques, et comment démontrer la biogénicité sur des bases plurielles (morphologie, composition moléculaire et isotopique) ?

Plus spécifiquement :

– Quelles sont les sources de matière organique primitive terrestre et extra-terrestre ?

– Quelles sont les conditions limites de l’habitabilité ?

– Quelles traces de vie est-on susceptible de trouver sur Mars et sur les satellites glacés ?

– Comment préserver ces traces de vie après des milliards d’années, d’irradiation, de métamorphisme et d’altération ?

– Quelles sont les plus anciennes traces de vie microbiennes dans les roches terrestres ? Où et dans quel type d’environnement (hydrothermal, marin peu profond, continental, souterrain) se sont-elles développées ?

– Quelle est la base métabolique de ce vivant, son impact sur l’environnement ? Il s’agit de savoir comment le vivant a pu influencer l’évolution de la planète, comment le repérer à travers les transformations qu’il a induites.

Prospective

L’objectif le plus consensuel aujourd’hui reste la recherche de biosignatures dans des roches anciennes archéennes terrestres et roches extraterrestres via le retour d’échantillons. Plusieurs observables clés, telles que la caractérisation de matière organique non dégradée, devraient être permises par l’étude d’échantillons d’astéroïdes et de Mars.

Les thèmes d’habitabilité et de planétologie comparée demandent à être approfondis en prenant en compte le caractère extrême (les lunes de glace et Mars) des conditions physiques au regard du référentiel terrestre.

Le thème de biosignature doit lui aussi évoluer en prenant en compte la diversité des métabolismes connus et leur évolution au cours des temps géologiques, et s’enrichir des contraintes données par la microbiologie, la chimie prébiotique et la biophysique. Un effort devra être fait sur la caractérisation des modifications minéralogiques et géochimiques que le vivant exerce sur son environnement minéral proche. L’approche expérimentale ainsi que l’exploration d’environnements modèles trouvent ici tout leur intérêt.

IV. Relief, érosion et routage sédimentaire

Durant les années 90, la communauté des Sciences de la Terre s’est réapproprié l’étude des reliefs de la Terre et des processus d’érosion associés. De nouveaux concepts, concernant notamment l’effet sur les cycles biogéochimiques de l’érosion d’une chaîne de montagnes, la mesure et la modélisation de la dénudation, le transport gravitaire profond ou la modélisation analogique et numérique du couple érosion/sédimentation, ont été introduits.

La notion de topographie à l’équilibre, très discutée, reste peu illustrée par des données naturelles. Le défi actuel est de quantifier les paramètres morphologiques des reliefs et les vitesses/bilans d’érosion associée en confrontant temps courts et longs, petits et grands bassins versants.

Comment améliorer les lois d’érosion et de transferts des sédiments sur les temps longs ? Les principaux défis concernent (1) l’érosion chimique, en y intégrant notamment le rôle des micro-organismes et en comprenant les relations entre érosions chimique et physique dans des contextes tectoniques et climatiques différents, (2) l’érosion glaciaire, (3) l’érosion éolienne, ou encore (4) l’érosion sous-marine.

Évolution du routage sédimentaire dans le temps. Il s’agit de quantifier et de prédire la réponse du système érosion-transfert-sédimentation à des sollicitations tectoniques et climatiques au travers (1) d’une mesure des bilans érosion-sédimentation sur des systèmes complets (actuel, ancien) et (2) le développement de modèles numériques couplés incluant érosion-transfert-sédimentation des bassins versants aux dépôts ultimes sur la croûte océanique.

Ces approches intégrées ont pour objectifs de quantifier les temps caractéristiques de réponse de l’érosion à un forçage tectonique ou climatique ou celle des temps de transfert des sédiments (comme par exemple le rôle tampon des bassins versants ou les transferts latéraux dus à la circulation océanique).

La réponse de l’érosion et du routage sédimentaire aux forçages brefs est une question majeure, après deux décennies focalisées sur les interactions déformations, climats, reliefs sur les temps longs. À l’échelle du cycle sismique, la contribution (positive ou négative) des séismes à l’érosion des reliefs, intégrant le temps de transfert post-sismique des sédiments des pentes vers l’exutoire et, en retour, la modification de l’état de contraintes sur les failles actives du fait des transferts de masses en surface (érosion, sédimentation), sont des thèmes de recherche émergents. Concernant le climat, les effets des événements hyperthermaux sont à établir, avec la question de l’importance relative de l’eustatisme, des flux terrigènes (érosion) et de la production de sédiments.

Le rôle de l’érosion dans les cycles biogéochimiques demeure énigmatique. Une des inconnues concerne le bilan du carbone enfoui dans les sédiments, y compris dans les systèmes subactuels. La mesure (directe ou par proxys) du carbone enfoui et la compréhension des mécanismes régulant cet enfouissement devraient éclairer cette question.

Les chaines de montagne et les reliefs anorogéniques (70 % des reliefs terrestres) partagent en commun une forme de relief mal connue, les surfaces d’aplanissement. Quel est leur mode de formation ? Sont-ils signifiants comme marqueurs du déplacement vertical d’origine tectonique, en particulier, dans les chaines de montagne ? Au-delà de ces objets, c’est toute la question des processus et des contrôles (notamment par la dynamique du manteau) des reliefs anorogéniques qui est posée.

D’un point de vue méthodologique, la quantification des paléoaltitudes reste en suspens : les approches paléobotaniques et isotopiques doivent encore faire l’objet de développements et être intercalibrées. La mesure de la dénudation a beaucoup progressé (traces de fission, U-Th/He, isotopes cosmogéniques, OSL), mais la prise en compte de la complexité passe par une compréhension des processus élémentaires (diffusion intra- et inter-granulaire, interactions dans un système hétérogène…).

V. Dynamique des climats et écosystèmes anciens

L’étude des climats et des environnements anciens nous renseigne sur le fonctionnement et les perturbations des enveloppes superficielles du système Terre. Leur archivage dans les couvertures sédimentaires océaniques et continentales permet d’explorer les impacts et les rétroactions des forçages biologiques, climatiques et géodynamiques au cours des temps géologiques. Si l’étude des crises et transitions est fondamentale et abordée de longue date par la section 18, la compréhension de la stabilité du système Terre devrait l’être tout autant.

Le développement de chronomètres, de traceurs environnementaux (salinité, état redox, température…), la reconstruction des conditions physiques (bathymétrie, volume des océans et des calottes glaciaires…) et l’acquisition de données de terrain (à terre et en mer) nous semblent essentiels pour mieux appréhender la répétabilité des crises, les transitions et la stabilité du système Terre, en partant de questions fondamentales comme :

Comment reconstruire les impacts des processus géologiques et leurs rétroactions sur le climat et l’environnement dans les temps anciens ? Ces processus sont, entre autres, les variations orbitales, l’altération continentale et les reliefs, la circulation océanique et la pompe biologique, l’hydrothermalisme, le volcanisme et le dégazage de la Terre…

Comment caractériser les événements extrêmes passés ? Comment distinguer les perturbations des transitions climatiques ? Il s’agit ici, notamment, d’étudier les hyperthermaux, la dynamique de la cryosphère et de l’hydrosphère, et les périodes de type greenhouse et icehouse. La comparaison de ces événements et de leurs enregistrements géologiques, à différentes périodes du Phanérozoïque mais également au Précambrien, est à envisager.

Comment connecter la dynamique de la paléobiosphère avec l’évolution des climats et environnements anciens ? Cette question concerne les liens réciproques entre les processus géologiques sous-jacents aux variations environnementales, les climats et l’évolution des écosystèmes, pendant les périodes de stabilité et de perturbations. Le socle fondamental concerne les études de la composition et de l’évolution de la biosphère ainsi que celles du fonctionnement des écosystèmes dans le passé.

Comment relier les études sur les analogues actuels à celles des environnements anciens ? Les biais associés aux fonctions de transfert entre la colonne d’eau, les organismes et les sédiments, et leur application aux sédiments anciens doivent être mieux contraints. Les travaux aux temps modernes complèteront le développement des traceurs géochimiques/isotopiques et l’instrumentation in-situ.

Comment optimiser les couplages données – modèles et intégrer la complexité biologique et géochimique dans les modèles couplés océan/atmosphère ? Des efforts seront à mener, entre autres, sur l’intégration de processus hétérogènes, de données spatialisées, des masses d’eau continentale, de la végétation et de la (micro-)biosphère dans les modèles.

L’hétérogénéité des types de données et de leur distribution spatio-temporelle devra être pleinement intégrée pour évoluer d’une vision multi-1D à une vision 4D nécessaire à la compréhension de l’évolution du système Terre. L’élaboration de bases de données mutualisées et évolutives nécessitera des innovations mais sera essentielle pour évoluer vers une paléogéographie interactive et intégrative. Un effort important devra être poursuivi sur la datation des événements en maintenant les outils stratigraphiques et sur les caractérisations paléoenvironnementales par l’amélioration des outils naturalistes, analytiques et numériques.

Le défi majeur de ces futures années sera de conduire des démarches intégratives en combinant les approches mentionnées. Des interactions constructives entre les différentes communautés faciliteront l’intégration de données disparates et spatialisées dans les modèles numériques. Les explorations des couplages des processus biotiques et abiotiques, de la confrontation de leurs échelles de temps spécifiques induiront la caractérisation objective de la dynamique des environnements, climats et écosystèmes dans les temps anciens.

VI. Comment l’intérieur de la Terre contrôle-t-il les conditions de surface ?

– Quel est le rôle des interactions entre manteau et réservoirs superficiels dans la genèse de la croûte continentale et dans l’établissement et le maintien des conditions habitables de surface ?

– Comment mieux intégrer les données géophysiques, géochimiques et de la pétrologie expérimentale dans la modélisation de la dynamique de la Terre interne ?

– Comment se maintient le bouclier magnétique garant de la préservation de l’atmosphère et de l’habitabilité de notre planète ?

La Terre archéenne hostile

Après l’impact lunaire, la cristallisation de l’océan magmatique a laissé une Terre très chaude à toutes profondeurs, au moins 300 degrés au-dessus du géotherme actuel. La dynamique interne au cours de l’Archéen reste méconnue, alors qu’elle reste déterminante même pour l’état actuel de notre planète. Par exemple, le champ magnétique s’est établi rapidement, mais les causes primaires de son établissement et de son maintien jusqu’à aujourd’hui restent controversées.

La vie s’est développée dès l’Archéen, malgré une atmosphère anoxique dominée par le CO2. Des procaryotes ont évolué à travers des révolutions paléo-environnementales largement inconnues. Quelle était la dynamique de la lithosphère durant l’Archéen ? Alors que des traceurs géochimiques démontrent la préservation de réservoirs mantelliques distincts et que les komatiites témoignent de la fusion du manteau archéen profond, comment sont nés les premiers continents ?

De l’archéen au protérozoïque : La grande transition

La Terre entière subit des mutations majeures il y a environ 2.5 Ga, marquées par la grande oxygénation de son atmosphère, point de départ du développement exceptionnel de la biosphère qui mènera progressivement aux eucaryotes multicellulaires. À la même période, l’établissement progressif de la tectonique des plaques associée se fait suite à un changement de dynamique du manteau. Comment la fusion partielle du manteau aux dorsales océaniques, le recyclage dans les zones de subduction, l’établissement du cycle interne des éléments volatils (en particulier du carbone et de l’hydrogène), la croissance continentale et l’orogénèse, ont-ils contribué à cette grande transition ?

Par exemple, les mécanismes de croissance et destruction des continents restent très discutés. Se situent-ils principalement dans les zones de subduction ou bien à la base de la croûte dans les contextes collisionnels ou intraplaques ?

De même, comment la dynamique mantellique influence-t-elle le champ magnétique et sa stabilité ? Quel est l’âge de la graine et quel impact cela a-t-il sur le champ magnétique ? Y a-t-il ou y a-t-il eu des couches stratifiées à l’intérieur du noyau liquide ? Si oui, quels sont les alliages qui les constituent ? De fait, le maintien de la géodynamo jusqu’à aujourd’hui reste une énigme.

La Terre moderne

Bien plus récemment, la dislocation de la Pangée (– 200 Ma) a créé l’environnement tectonique global moderne. L’observation de la Terre actuelle par des méthodes géophysiques et géodésiques, couplée à des contraintes apportées par la pétrologie expérimentale et la géochimie permet de développer des modèles de convection qui permettent d’apprécier le rôle du manteau dans le fonctionnement actuel de la surface. Par exemple, le lien entre l’évolution géodynamique, la topographie dynamique et l’évolution du vivant, durant le Phanérozoïque y compris au Quaternaire, est un domaine très actif.

La prise en compte des processus métamorphiques, hydrothermaux et volcaniques dans tous les contextes tectoniques (zones de subduction, lithosphère océanique, zones de collision et domaines intraplaques), contraints par l’expérimentation en laboratoire, rend possible la modélisation des cycles des éléments volatils (carbone, oxygène, soufre, etc.) et complète ainsi notre connaissance des liens fondamentaux entre cycles internes, cycles externes et les relations entre monde minéral et monde organique.

VII. Déformation et aléas telluriques

L’étude des déformations lithosphériques et des aléas telluriques (séismes, éruptions volcaniques, glissements gravitaires et tsunamis) repose sur des enjeux à la fois fondamentaux, sociétaux et économiques. Observer, expérimenter et modéliser constituent un triptyque classique mais nécessaire à la compréhension de ces processus pour prédire leur évolution. L’ingénierie instrumentale de plus en plus précise et l’afflux de données massives issues de nos observations poussent notre communauté à remettre en cause les concepts classiques et à intégrer des développements nouveaux comme l’intelligence artificielle afin de relever des défis de demain et conduire nos territoires à être plus résilients face à ces aléas naturels.

1. Déformation lithosphérique : vers une rhéologie augmentée

Depuis plusieurs décennies, un des défis en Sciences de la Terre est la compréhension unifiée de la déformation de la lithosphère à court, moyen et long terme. Les hautes résolutions spatiales et temporelles des données géologiques, géophysiques et géochimiques actuelles nous amènent à changer de paradigme et à questionner les mécanismes de la déformation active. En effet, la déformation de la lithosphère et aux interfaces des plaques (notamment inter-sismique) apparaît comme une succession de phénomènes transitoires illustrés notamment par les séismes et glissements lents, les trémors non-volcaniques, etc. On observe aujourd’hui un spectre complet depuis le glissement continu jusqu’aux grands séismes. Les déformations transitoires sont actuellement envisagées comme contrôlées par le chargement tectonique, les injections de fluide, les transformations de la roche et leur cinétique – et de ce fait les changements de résistance, de volume et de contraintes associés. Un des défis actuels est de relier les signaux géophysiques à des observations géologiques (pétrologiques, géochimiques, structurales notamment) des zones déformées fossiles et exhumées (zones de cisaillement cassant et/ou ductile).

L’expérimentation en laboratoire vient enrichir cette approche en caractérisant l’impact des transformations minéralogiques, des changements de phase et de la fusion partielle sur la rhéologie. Ceci afin de mieux appréhender les processus responsables de la localisation de la déformation sur les temps longs mais aussi ceux à l’origine des signaux transitoires. Ces nouvelles données naturelles et expérimentales permettront d’alimenter et de calibrer des modèles thermo-mécaniques avec des lois rhéologiques réalistes (fluage et friction).

Actuellement, grâce à l’essor sans précédent des moyens de calcul, les modèles thermo-mécaniques permettent la modélisation de la déformation long-terme de la lithosphère à très haute résolution spatiale, en 3D et en prenant en compte les couplages entre processus superficiels et profonds. Par ailleurs, si les modèles de cycle sismique actuels reproduisent de manière satisfaisante les données dont nous disposons sur les déformations co-, inter- et post-sismiques, une nouvelle génération de modèles (qui commence à voir le jour) prendra en compte de manière plus réaliste la rhéologie de la lithosphère (et son évolution sur le court et le long-terme) par le biais des nouvelles lois de friction et de fluage. Ces développements récents montrent que l’étude et la modélisation globale de la déformation de la lithosphère à l’échelle du cycle sismique sera possible, tout en intégrant la déformation à plus grande échelle de temps et d’espace.

2. Volcanologie : rôle du couplage profond-surface sur la dynamique éruptive

En volcanologie, l’objectif est de comprendre les processus profonds (transferts de masse, conditions de stockage des magmas, cristallisation, dégazage) responsables des différents dynamismes éruptifs observés en surface, et de proposer des modèles prédictifs aidant à la gestion des crises volcaniques. Les questionnements scientifiques restent nombreux : mécanismes et échelles de temps des processus (ex remplissage et vidange des réservoirs), détection de signaux pré-éruptifs, rôle du système hydrothermal, relations tectonique-sismique-volcanisme, lien avec les ressources minérales et géothermie, influence des volcans sur le climat, etc. Pour que les collectivités territoriales s’emparent pleinement des modèles prédictifs, l’analyse de l’aléa volcanique doit maintenant intégrer les risques associés tels que les déstabilisations de flanc et les tsunamis, ce qui requiert une évolution vers une stratégie multidisciplinaire (i.e. une imagerie fonctionnelle associant géophysique et géochimie des magmas, fluides et gaz).

Les éléments de réponse passeront par des développements (i) techniques des méthodes géophysiques permettant de repousser les limites actuelles des résolutions spatiales et temporelles et, de fait, une imagerie plus fine des structures profondes du système magmatique, (ii) analytiques, donnant accès à des résolutions chimiques et géochronologiques traçant des évolutions extrêmement fines des processus, (iii) expérimentaux en laboratoire simulant de manière de plus en plus réaliste (en pression, température, décompression ou déformation) la dynamique des processus pré- et syn-éruptifs, et (iv) une démarche résolument interdisciplinaire (sismologie, géodynamique, métallogénie, climatologie, etc.).

3. Instabilités gravitaires : vers des modèles intégratifs des données de terrain et de laboratoire

L’un des défis majeurs de l’étude des instabilités gravitaires réside dans l’établissement de lois rhéologiques d’endommagement, de rupture et de lois de transport des masses impliquées. Chacune doit prendre en compte la diversité et la complexité naturelles du système instable (interface terre-atmosphère ou terre-mer). D’autres paramètres doivent également être pris en compte, tels que les effets de sollicitations sismiques, volcaniques et/ou climatiques, la fragmentation du milieu, les effets thermiques, ou encore le rôle des fluides dans la rupture, l’écoulement, l’érosion/dépôt, l’hétérogénéité des matériaux et le temps.

À titre d’exemple, si des relations de causalité ont été décrites à terre et en mer entre l’action d’un fort séisme ou la circulation de fluides et le déclenchement de glissements de terrain, le rôle de ces sollicitations externes sur la dégradation des matériaux géologiques reste à définir. La communauté doit (i) poursuivre les actions de surveillance de sites par la mesure des paramètres environnementaux (pression interstitielle, nature des fluides, accélération d’un sol…), de suivi par mesures récurrentes (photogrammétrie, satellite, etc.), de manière à détecter les facteurs déclencheurs du glissement et son évolution ; (ii) utiliser les séries long-terme afin d’identifier des signaux précurseurs, (iii) améliorer les modèles de rupture et d’écoulement pour une meilleure prédiction des évènements, grâce au développement de réseaux de mesures (géophysiques, géologiques et hydrologiques) et d’expérimentation en laboratoire.

4. Big Data : le défi de l’intelligence artificielle

Les deux dernières décennies ont vu apparaître au niveau mondial de nouvelles capacités d’observation et de mesures soutenues par le développement de réseaux denses au sol, en mer et dans l’espace. Il en découle un afflux de données massives avec une continuité en temps et en espace. La qualité des observables a suivi cette progression et permet d’affiner les modèles développés pour mieux appréhender les processus de déformation, les signaux transitoires et précurseurs des évènements.

L’enjeu de la prochaine décennie est donc de faire face aux défis proposés dans le domaine des ‘Big Data ‘ tout en améliorant la précision des réseaux d’observation et en conservant les questionnements scientifiques propres aux Sciences de la Terre.

Au niveau des observations, les réseaux multi-observables peuvent évoluer par l’amélioration des précisions notamment en géodésie avec des déplacements submillimétriques ou en sismologie sur les variations relatives de vitesse de l’ordre de 10-5 ; mais aussi en milieu extrême par l’apparition de technologies innovantes utilisant par exemple la fibre optique sur les volcans à terre ou en mer avec l’apparition d’observatoires sous-marins sur le long terme, proches des failles majeures générant des grands séismes potentiellement tsunamigéniques.

Deux tendances se distinguent et se complètent dans l’utilisation des Big data. D’un côté, le traitement massif de données (spatiales et temporelles) permet de réduire la variance sur les observables et, par là même, d’améliorer l’identification des marqueurs de la déformation. Ce travail interdisciplinaire nécessite des efforts importants et continus en particulier dans l’inversion jointe ou combinée de données de diverses natures (par exemple sismologique, géodésique, électromagnétique), chacune d’elles apportant une information, une résolution et une précision différentes sur les processus étudiés.

De l’autre, l’intelligence artificielle nous démontre que des techniques d’apprentissage permettent de détecter des précurseurs là où les analyses précédentes ne voyaient que du bruit. La création récente en France d’un réseau composé de quatre Instituts Interdisciplinaires d’Intelligence Artificielle (3IA) montre clairement que la communauté des géosciences doit se mobiliser autour de cette question interdisciplinaire pour apporter de nouvelles approches et relever de nouveaux défis. Nous n’en sommes qu’aux prémices mais nul doute que le développement de l’IA sera la prochaine révolution dans notre domaine.

Que ce soit via le traitement massif de données ou l’intelligence artificielle, l’enjeu principal est de permettre d’accéder à la fois à la donnée et aux moyens de traitement mis en jeu via des portails dédiés et des espaces de stockage au sein des infrastructures nationales. L’étape suivante est l’adaptation des plateformes de calcul actuelles permettant le partage open source de codes évolutifs. Ces objectifs rejoignent de près ou de loin les travaux démarrés depuis quelques années dans le domaine de la science ouverte avec comme défi de rendre accessible au plus grand nombre les produits dérivés des données.

IX. Apport des sciences de la Terre dans la transition énergétique et écologique

Les Sciences de la Terre ont connu une accélération dans la première moitié du xixe siècle avec la révolution industrielle pour la recherche du charbon, puis dès le début du xxe siècle, pour celle du pétrole et du gaz. La consommation intensive (et excessive) de ces ressources énergétiques ont gravement endommagé l’environnement terrestre avec une augmentation du CO2 atmosphérique ayant pour conséquence un réchauffement climatique rapide et unique dans l’histoire de la Terre. Les Sciences de la Terre ont donc été actrices du changement climatique mais se retrouvent impliquées maintenant dans la remédiation de ces effets (compréhension du cycle du CO2, stockage géologique du CO2, etc..). Le futur énergétique de l’humanité passe par une diminution drastique des énergies carbonées employées au profit d’énergies renouvelables, les biocarburants et essentiellement l’électricité produites par diverses sources (éolien, solaire, énergie des vagues et marées, géothermie, mais aussi nucléaire, même si cette dernière pose des questions sociétales importantes). Le développement de l’humanité (une dizaine de milliards d’habitants en 2050 pour 7,6 milliards en 2020) requiert également l’utilisation d’autres ressources géologiques, comme (i) les métaux critiques dont notamment les Terres Rares (même si l’augmentation des capacités de recyclage devrait amoindrir cette nécessité) et (ii) les matériaux de construction, notamment le sable qui fait actuellement crucialement défaut dans des régions en fort développement.

Les contributions des Sciences de la Terre à cette transition énergétique vers un monde au développement durable doivent être multiples et les meilleures équipes du CNRS doivent s’emparer de ces questions à haut potentiel de recherche fondamentale et à fortes applications sociétales. Nous présentons ici 4 défis parmi de nombreux autres.

L’imagerie 3D à haute résolution des croûtes continentale et océanique (tomographie électrique, bruit sismique) pour la localisation des porteurs de métaux (dont les Terres Rares) et des ressources en matériaux de construction.

La prédiction de la localisation des sédiments et le dimensionnement des hétérogénéités associées (au niveau des réservoirs/aquifères et couvertures/aquitards) afin de pouvoir construire des modèles pour le stockage géologique des énergies renouvelables ou du CO2, la recherche de nouveau types de gisement de sable.

La description pétrophysique et géomécanique des structures de porosité et des interactions fluides-roches (eau, air, H2, CO2) pour décrire, comprendre et modéliser la distribution et les circulations des fluides profonds, pour une gestion durable des aquifères profonds, l’exploitation des ressources géothermiques ou modéliser la mobilité d’éléments tels que le lithium ou l’uranium.

L’étude et la compréhension des interactions minéral-vivant pour identifier les rôles joués par la biosphère profonde dans la croûte océanique ou continentale, par les interactions bactéries-fluides roches dans la diagénèse et la métallogénèse, ou pour leur utilisation dans les procédés de remédiations des sites industriels ou miniers.

Pour répondre aux questions et aux défis posés, il sera indispensable de développer les interactions avec les sciences économiques et sociales pour l’estimation des besoins futurs et la modélisation des réserves, et avec les sciences chimiques et de l’ingénieur pour améliorer les procédés de développement industriel pour aller au-delà des ressources minérales et prendre en compte aussi les ressources énergétiques, la durabilité ou le recyclage des matériaux.

Conclusion

La Terre et, plus globalement, les planètes telluriques sont sources de questionnements scientifiques fondamentaux. Ces questions ont évolué avec le temps (l’âge de la Terre et la tectonique des plaques sont aujourd’hui bien établis) mais de nombreuses interrogations demeurent sur le fonctionnement de notre planète et son histoire. La section 18 en a sélectionné et documenté brièvement quelques-unes, qui nous sont apparues d’actualité via le travail des chercheurs que nous avons pu évaluer, promouvoir ou recruter. Nos questions couvrent l’ensemble du spectre de la connaissance, du savoir le plus fondamental sur la formation et le fonctionnement des planètes telluriques jusqu’aux applications sociétales comme le risque et l’exploitation des géoressources. Les approches diverses s’étendent des théories abstraites jusqu’au savoir-faire technologique de l’instrumentation, ou du prélèvement d’échantillons en milieu extrême au repérage de traces infimes témoignant de l’histoire des planètes. Ces continuums sont consubstantiels de la recherche que nous menons. C’est bien l’objet « planète » qui fonde notre unité scientifique, et notre recherche est par nature pluridisciplinaire et multi-échelles. La complexité des problèmes, la diversité des approches et le mode de financement de la recherche, nous amènent de plus en plus à travailler de manière structurée et collaborative, localement, nationalement et internationalement. Dans cet esprit, on peut citer l’effort international sur le partage des données géophysiques, la structuration nationale des outils et équipements en géochimie, le pilotage et l’exploitation des missions spatiales.

Comprendre au mieux le monde qui nous entoure et son histoire pour nous y adapter, connaître les conditions qui ont permis l’émergence et l’évolution de la vie ; savoir où nous habitons et anticiper les autres mondes où nous pourrions habiter… voilà nos moteurs de recherche, voilà la quête du géologue moderne.

Note
(1) Les chiffres datent de décembre 2018.