Rapport de conjoncture 2019

Section 03 Matière condensée : structure et propriétés électroniques

Composition de la Section

Isabelle Berbezier (présidente de Section), Vincent Jacques (secrétaire scientifique), Mauro Antezza, Rafik Ballou, Véronique Brouet, Sébastien Burdin, Cyril Chacon-Carillo, Vincent Cros, Stéphanie Garaudee, Olivier Klein, Luc Le Gratiet, Aristide Lemaitre, Marie-Bernadette Lepetit, Thierry Melin, Christine Mottet, Luca Perfetti, Frédéric Piechon, Emmanuel Rousseau, Alain Sacuto, Nathalie Viart, Valia Voliotis.

Introduction

Durant cette mandature, la section 3 s’est attachée dans son ensemble à étudier les relations entre la structure et les propriétés électronique de la matière, qui sont devenues de plus en plus intriquées avec la diminution des tailles des objets étudiés. Les chercheurs ont concentré leurs efforts sur un approfondissement de leur compréhension des phénomènes multiéchelles et pour des systèmes de plus en plus complexes et de mieux en mieux controlés. Les matériaux synthétisés et étudiés possèdent des fonctionalités multiples et s’ouvrent à des applications transdisciplinaires à l’interface avec la microélectronique, l’optique, l’intelligence artificielle, l’information quantique, l’énergie, le biomédical, etc.

Par ailleurs de nombreux chercheurs développent une instrumentation de pointe permettant d’accéder à des nouvelles échelles de temps, température, vibrations et de résolution et aux couplages entre phonons, spin, vibrations optiques et mécaniques.

Les grands axes thématiques : Magnétisme et électronique de spin ; Physique Mésoscopique et champ proche ; Semi-conducteurs, et Systèmes corrélés, sont restés inchangés, mais des domaines entiers se sont développés en particulier en physique topologique avec un grand nombre d’équipes qui se sont tournées en particulier vers l’étude des matériaux 2D et l’élaboration de structures hybrides complexes impliquant des mécanismes couplés.

Les différentes nouveautés font intervenir les particules uniques, les effets topologiques, les combinaisons d’ordres quantiques, des couplages à différents degrés de liberté créant des phénomènes de plus en plus complexes liés au rôle accru des interfaces et des défauts (ex., phénomènes d’intrication entre degrés de liberté vibrationnel et optique, couplage onde lumineuse et polarisation électrique, etc.). La théorie et la modélisation ont aussi particulièrement évolué avec une orientation marquée vers le développement de nouveaux concepts et méthodes numériques issus d’autres domaines scientifiques comme l’information quantique, la chimie quantique et plus récemment le machine learning et s’appliquant à des systèmes et phénomènes génériques.

Par ailleurs, l’activité des chercheurs est de plus en plus dépendante des grandes infrastructures de recherche et des plateformes de nanotechnologie permettant la nanofabrication, le contrôle et l’analyse à l’échelle atomique des systèmes réalisés. La synthèse des systèmes étant mal valorisée à l’échelle nationale, la section 3 est en train de perdre son savoir faire dans ce domaine. Par ailleurs, faute de moyens, de nombreux secteurs de la matière condensée perdent aussi leur avance (matériaux quantiques par exemple). La section 3 généralement tournée vers les études fondamentales a vu une progression importante des recherches ayant un spectre large, du fondamental jusqu’aux applications (avec la création de starts-up).

Nous avons choisi de diviser le rapport en cinq thématiques principales : Magnétisme et électronique de spin ; Physique Mésoscopique et champ proche ; Semi-conducteurs, Matériaux 2D et Systèmes corrélés. Sont ajoutées deux thématiques transversales : la théorie et la modélisation et les infrastructures de recherche incluant les grands instruments et les centrales de nanotechnologie. Les thématiques sont séparées de façon plus ou moins arbitraire, car les parois entre ces domaines sont de plus en plus perméables et un grand nombre d’études combinent les différentes thématiques pour créer de nouvelles approches hybrides ; les nombreuses interactions entre les différents domaines permettent aussi une meilleure compréhension des phénomènes et de la résolution des problèmes multiéchelles.

I. Magnétisme et électronique de spin

En magnétisme et électronique de spin, l’ingénierie des propriétés d’interfaces et/ou l’élaboration de nouvelles hétérostructures ont récemment été au centre de nombreuses recherches dans le but de générer de nouveaux effets physiques. Ces développements ont également permis d’étudier le couplage du spin à d’autres degrés de liberté et d’exploiter ces couplages pour créer de nouvelles fonctionnalités dans des domaines d’applications plus ouverts vers l’interdisciplinarité. Ces progrès au niveau des matériaux ont été obtenus de pair avec le développement de nouveaux moyens expérimentaux de laboratoire permettant soit la caractérisation locale de l’hétérogénéité magnétique (microscopie à centre NV, détection de la résonance magnétique par des techniques de champ proche ou des circuits quantiques, holographie TEM), soit l’observation grand champ de nouvelles textures (microscopie par diffusion de Brillouin, détection de 2nd harmonique) ou sur grands instruments (dichroïsme circulaire sur synchrotrons et diffusion de neutrons). Ces efforts expérimentaux sont en parallèle soutenus par des progrès théoriques à la fois à travers les méthodes de calcul ab-initio ou les codes de simulations micromagnétiques par la parallélisation massive des algorithmes.

A. Nouveaux Matériaux et Ingénierie des interfaces

D’importants progrès ont pu être réalisés récemment en électronique de spin par l’exploration et l’optimisation des possibilités offertes par les matériaux, via des processus d’ingénierie de croissance. Les fonctions de contrôle de l’aimantation et de ses anisotropies, de stabilisation de textures de spins non-colinéaires, de polarisation en spin et de conversion charge/spin sont les principaux défis relevés. Dans les moyens utilisés, on note une importante montée en puissance de la mise à profit des phénomènes d’interface et l’exploitation des protections topologiques.

Les alliages de Heusler, étant à l’état massif des demi-métaux et présentant de très faibles coefficients d’amortissement, constituent une famille de matériaux d’intérêt en magnétisme et spintronique. La maîtrise de leur croissance en films minces par épitaxie par jet moléculaire a permis d’obtenir des coefficients d’amortissement aussi bas que 7×10-4 pour des alliages de Co3-xMnxSi avec une polarisation en spin au niveau de Fermi proche de 100 %.

Les oxydes, grâce à leurs nombreux degrés de liberté (réseau, charge, spin, orbitale), offrent également un grand potentiel en magnétisme et spintronique. Parmi les plus intéressants, les oxydes ferrimagnétiques, bien évidemment, mais aussi les oxydes ferroélectriques pour la réalisation de jonctions tunnel ferroélectriques, les oxydes magnétoélectriques pour le contrôle à faible coût énergétique de l’aimantation par champ électrique, ou encore des hétérostructures d’oxydes présentant de nouvelles propriétés à leurs interfaces. Si le ferrite de bismuth (BiFeO3) reste le centre d’intérêt de nombreuses recherches, sous-tendues par sa multiferroïcité à température ambiante, on voit renaître un engouement croissant pour les nickelates ou hexaferrites, matériaux fortement corrélés, donc de propriétés modulables, dont on pourra mettre à profit les interconnections spin-charge. Les grenats d’yttrium fer, dopés ou non au bismuth (Y5Fe5O12 -YIG- et BixY1-xFe5O12 -Bi-YIG-) sont eux utilisés pour le contrôle ultra rapide de l’aimantation, sous impulsion laser ou acoustique ; ils sont actuellement les matériaux présentant les plus faibles coefficients d’amortissement de Gilbert (de l’ordre de quelques 10-4). Ils peuvent aujourd’hui être produits sous forme de films ultraminces, et donc être structurés par les techniques standards de lithographie. Prédites par des études théoriques, de nouvelles propriétés ont pu être créées aux interfaces d’oxydes, comme par exemple de la ferroélectricité entre deux couches d’oxydes non ferroélectriques (ferroélectricité hybride impropre) ou encore un gaz d’électrons bidimensionnels entre deux oxydes non conducteurs (e.g. LaAlO3/SrTiO3), avec des caractéristiques de conversion charge-spin très intéressantes en spin-orbitronique.

Les états de surface d’isolants topologiques sont aussi prometteurs pour l’optimisation et le contrôle de la conversion spin-charge. Cependant ils doivent être inclus dans des systèmes hybrides comprenant également un film magnétique. Ces interfaces sont extrêmement délicates et la présence de défauts magnétiques peut facilement affecter les états de surface. Là encore, d’importantes recherches d’ingénierie des interfaces sont nécessaires ; l’intercalation de couches ultraminces non magnétiques est une solution possible.

Les matériaux 2D tels que le graphène ou le h-BN sont très efficaces pour le filtrage de spin dans les jonctions tunnel. Les méthodes classiques d’exfoliation et transfert ne conduisant pas à des résultats satisfaisants, des progrès considérables ont été effectués grâce aux techniques de croissance telles que CVD ou ALD. On assiste actuellement à une extension vers d’autres matériaux 2D, tels que MoS2 ou le phosphore noir. On mentionnera également l’intérêt fort pour les recherches sur des 2D magnétiques, comme par exemple le semi-conducteur CrI3 pour le contrôle électrique des propriétés magnétiques, ou encore le Fe3GeTe métallique pour la spintronique van der Waals.

Enfin, une autre approche poursuivie à la fois expérimentalement et théoriquement concerne la maîtrise des interfaces métal ferromagnétique / molécules, ou spinterfaces, visant à exploiter l’hybridation dépendante du spin des molécules. Elles requièrent une maîtrise des interfaces entre matériaux de classes différentes, préservant les surfaces métalliques de l’oxydation et les molécules de la dégradation.

B. Couplage à d’autres degrés de liberté

Au cours des dernières années, de nombreuses recherches ont été engagées pour trouver des moyens efficaces de contrôler la dynamique d’aimantation et/ou de se coupler aux excitations de spin. Classiquement ce couplage se fait de manière inductive, via une antenne, et ne permet de se coupler qu’aux ondes de spin de très faibles énergies, de plusieurs ordres de grandeur inférieures à celles des magnons thermiques. De plus, le processus est inefficace pour détecter les ondes de spin dans les films minces, en raison d’une trop faible sensibilité ou d’une incapacité à induire une excitation de grande puissance.

Le développement de sources lumineuses ultra-rapides a permis de générer et détecter de la dynamique d’aimantation dans des films ferromagnétiques, ferrimagnétiques ou antiferromagnétiques. Ce contrôle est obtenu à l’aide de lasers femtosecondes en géométrie pompe-sonde, à travers différentes interactions. La génération d’ondes de choc ultra-rapides peut créer une excitation magnétique, soit directement à l’intérieur du matériau étudié, soit via une fine couche de matériau de transduction. On mentionnera également l’injection de courants de spin par démagnétisation ultra-rapide (effet Faraday inverse). Enfin, des ondes de spin THz peuvent aussi être crées par un changement ultra rapide d’anisotropie photo-induit.

Dans les matériaux multiferroïques, le couplage entre les différents ordres permet d’envisager une manipulation magnétique de la ferroélectricité ou, inversement, une commande électrique du paramètre d’ordre magnétique et/ou d’ondes de spin.

La possibilité de déclencher des excitations collectives à l’aide de transducteurs piézo-électriques interdigités, en utilisant le couplage magnéto-élastique, constitue un moyen alternatif de détecter les ondes de spin. Il existe également des démonstrations de pompage de spin utilisant des ondes acoustiques comme sources de courant de spin accordables électriquement.

Au-delà des effets de transfert de spin connus dans des dispositifs tels que des vannes de spin ou des jonctions tunnel pour commuter l’aimantation dans une nanostructure ou générer des oscillations entretenues de l’aimantation, de nombreuses recherches concernent le couplage spin-orbite, dans le but de s’affranchir d’une couche magnétique pour générer les courants de spin et créer des couples pouvant agir sur une aimantation. Des couples spin-orbite peuvent être obtenus dans des systèmes hybrides métal ferromagnétique/métal lourd, grâce à des interfaces Rashba, ou encore via les états de surface d’isolants topologiques. De manière réciproque, ces structures hybrides peuvent être utilisées pour détecter la génération de purs courants de spin (et leur transfert au travers d’une interface) par leur conversion en courants de charge, ces effets étant appelés effet Hall inverse ou Edelstein inverse. Un avantage important de ces effets de transfert « spin-orbite » est qu’ils ne sont pas circonscrits aux métaux magnétiques mais se trouvent aussi dans les isolants magnétiques. Ces développements offrent des opportunités uniques de sonder les états hors équilibre, dans lesquels de nouveaux comportements collectifs devraient émerger. On peut citer le contrôle électrique de l’amortissement magnétique dans des films ultraminces de YIG, la dynamique d’ondes de spin dans le régime fortement non linéaire ou encore la condensation de Bose-Einstein de magnons à température ambiante. Ces effets de conversion charge-spin par couplage spin-orbite permettent également l’étude de la génération, la propagation et la détection d’ondes de spin dans des matériaux antiferromagnétiques (métalliques ou isolants), un domaine en forte croissance appelé spintronique antiferromagnétique.

C. Nouvelles opportunités et interdisciplinarité

Un marqueur important de cette thématique est le lien fort entre découvertes fondamentales et recherches applicatives. Dans le domaine des capteurs magnétiques par exemple, une nouvelle génération de capteurs à base de jonctions tunnel, s’appuyant sur des progrès en matériaux, permet d’envisager des implantations dans les nouvelles générations de téléphonie, dans le secteur automobile ou encore dans l’industrie 4.0 avec des capteurs de courant et de puissance, et les codeurs linéaire et angulaire. De plus, de nouvelles applications émergent dans les domaines très prometteurs de l’internet des objets (IoT) et du biomédical avec le développement de dispositifs fiables à très faible consommation d’énergie sur silicium, sur des substrats souples ou encore en s’appuyant sur la fonctionnalisation de surfaces ou de nanoparticules.

Les mémoires magnétiques basées sur les effets de transfert de spin (STT-MRAM) sont désormais disponibles sur le marché, avec l’ambition de les voir remplacer à court terme les dispositifs à base de semi-conducteurs. Des alternatives de dispositifs de mémoire spintronique font encore l’objet de recherches actives, avec par exemple, les systèmes de registre à décalage basés sur la création, la manipulation et la détection de solitons magnétiques (e.g. parois magnétiques chirales ou textures de spin topologiques comme les skyrmions magnétiques).

La spintronique s’est récemment ouverte à d’autres disciplines dans le but d’améliorer les performances des dispositifs spintroniques et surtout d’apporter de nouvelles fonctionnalités à l’interface avec la biologie, le transport moléculaire ou l’optique. De nouvelles applications de la spintronique se tournent vers les thématiques bio-inspirées, comme le calcul neuromorphique et l’apprentissage automatique. On peut citer aussi les récents développements visant l’intégration de molécules fonctionnelles actives telles que des molécules photochromes, électrochromes ou redox pour parvenir à moduler les propriétés des jonctions par des stimuli lumineux ou par un champ électrique. Enfin, à l’interface avec l’optique, des résultats importants ont été obtenus sur les systèmes spin LEDs qui ont permis de montrer des conversions spins-photons très efficaces dans le visible, avec en perspective une commande électrique de la polarisation de la lumière émise. Au-delà de la gamme du visible, des développements très prometteurs vers des dispositifs spintroniques THz sont envisagés grâce aux effets de conversion spin-charge sous impulsions laser.

La magnonique s’est développée ces dernières années en exploitant les synergies entre la physique de la dynamique d’ondes de spin, les effets de couples de transfert de spin et la spin-orbitronique comme moyen de générer, contrôler et traiter l’information dans le domaine fréquentiel du GHz au THz. La proximité, en termes de concepts, avec les domaines de la photonique intégrée, de la plasmonique et de la phononique permet de proposer des applications concrètes pour le traitement de l’information (beyond CMOS) ou pour le traitement du signal analogique.

Un défi pour la spintronique est de pouvoir apporter des solutions de technologies propres et peu énergivores. Dans ce sens, une approche se concentre autour des effets de caloritronique de spin qui regroupe les études liées aux interactions entre des courants de spin et des courants de chaleur, pour améliorer drastiquement les dispositifs thermoélectriques existants. Une autre voie prometteuse concerne le couplage de nano oscillateurs spintroniques en réseaux afin de réaliser des dispositifs RF ou des algorithmes d’apprentissage neuroinspirés (e.g. reconnaissance de formes ou de voix) à coût énergétique plus bas que des ordinateurs conventionnels. D’autres approches pour le développement de méthodes de calculs innovantes se basent sur les propriétés statiques et dynamiques de réseaux de glaces de spin artificielles ou encore sur la dynamique magnétique en régime chaotique dans des nanodispositifs.

II. Physique Mésoscopique et champ proche

A. Introduction

Dans les dispositifs électroniques suffisamment petits et à suffisamment basse température, les électrons ne se comportent plus comme des charges ponctuelles mais comme des paquets d’ondes quantiques dont les phases peuvent interférer. La physique mésoscopique s’attache à révéler, comprendre et contrôler les phénomènes d’interférences de phase et de décohérence intervenant dans de tels dispositifs électroniques.

Depuis les premières mesures emblématiques des fluctuations universelles de conductance et des corrections de localisation faible dans des conducteurs désordonnés, les plateformes expérimentales et les champs d’investigation de la physique mésoscopique se sont multipliés.

Un premier axe concerne les systèmes de dimensions réduites avec entre autres les états de bord d’effet Hall quantique et les boites quantiques. Une problématique centrale reste la mise en évidence et le contrôle des effets des interactions électrons-électrons, de l’environnement électromagnétique ou d’autres degrés de liberté sur le transport quantique. Les développements récents vont vers le transport à haute fréquence et « l’optique quantique » de l’électron unique.

Un second axe concerne les systèmes supraconducteurs et/ou hybrides. En particulier les perspectives de mise en évidence d’excitations de type Fermions de Majorana et de supraconductivité exotique ont généré une activité croissante sur les effets du couplage spin orbite, des impuretés et des textures magnétiques.

Un troisième axe d’importance toujours croissante concerne les matériaux dit topologiques (isolants et/ou semimétaux) et les hétérostructures Van-der-Waals de matériaux 2D. Pour les premiers, l’engouement vient de la perspective d’obtenir des états de bords chiraux et donc des effets de cohérence de phases « robustes ». Pour les seconds, l’intérêt vient notamment des multiples transitions de phases quantiques observées très récemment dans les Moirés de multicouches de graphène.

Un dernier axe concerne les circuits/architectures quantiques complexes telles que les Qbits, réseaux de jonctions Josephson, etc. Les enjeux sont très divers ; il s’agit d’une part de problématiques d’information, détection ou simulation quantiques avec comme perspectives l’ordinateur quantique, et d’autre part de réaliser des nouveaux détecteurs ultrasensibles (de champs magnétiques, température, photons, etc.) destinés soit à des expériences de laboratoires soit à l’astrophysique spatiale.

B. Systèmes de dimension réduite : transport quantique et interactions Coulombiennes

Les mesures de transport électronique dans des systèmes de dimensions réduites, fils (1D) et boites (0D) quantiques, ont joué un rôle important dans la validation de concepts clefs de la physique mésoscopique : ex. canal de conduction, résistance de contacts, approche de type Landauer-Buttiker, géométrie multiterminaux, bruit quantique, blocage de coulomb (dynamique ou non) etc.

Il existe deux grandes voies d’élaboration des objets de dimension réduites. La première voie utilise des techniques de nanofabrication pour nanostructurer par exemple un gaz bidimensionnel d’électrons en des géométries multiterminaux variées permettant l’ajustement des contacts (tunnel ou ohmique) aux réservoirs. Le confinement 1D en canaux d’états de bord d’effet Hall quantique est alors obtenu en appliquant un champ magnétique suffisamment fort. La seconde voie concerne les systèmes moléculaires. Il s’agit aussi bien de molécules uniques (nanotubes de carbone, fullérènes, polymères…), de nanofils semi-conducteurs (InAs, GaAs) ou encore des assemblages moléculaires auto-organisés sur substrat. À l’exception des nanotubes de carbone voire des fullerènes, une problématique importante de ces systèmes moléculaires reste le contrôle des contacts aux électrodes. De façon générale, le couplage aux contacts détermine le degré de confinement et donc le régime de transport et l’importance des effets des interactions Coulombiennes.

L’étude des effets coulombiens dans les fils quantiques se développe principalement au travers de dispositifs utilisant les canaux de bord d’effet Hall quantique entier ou fractionnaire. Des expériences d’interférence ont révélé le rôle des interactions dans la décohérence entre ces canaux. Des mesures de bruit à fréquence finie ont démontré l’existence d’une fréquence de seuil associée à des excitations de charge fractionnaire. Des effets de blocage de Coulomb ont été mis en évidence dans le transport quantique de chaleur. Un circuit quantique réalisant un simulateur analogique de la physique d’une impureté de transmission variable (du régime balistique à tunnel) dans un liquide de Luttinger a permis une comparaison détaillée entre théorie et expérience des comportements d’échelle de la conductance en fonction de la température, de la tension et de la transmission. Les développements récents vont vers le transport à haute fréquence et l’optique quantique de l’électron unique.

Pour les boites quantiques, au-delà du phénomène de blocage du courant induit par les interactions, les études récentes se concentrent sur la physique Kondo associée à la formation d’un (pseudo)-moment magnétique local, écranté dynamiquement par les électrons des contacts. Ainsi, il a été possible de mettre en évidence des fluctuations quantiques universelles via des mesures de caractéristiques non linéaires de la conductance et du bruit en courant en fonction de la symétrie SU(2) vs SU(4) dans une boite quantique réalisée dans un nanotube de carbone. Lorsque ce système est relié à des contacts supraconducteurs une transition de phase quantique a pu être mise en évidence. Par ailleurs, un un dispositif à multiples points de contact quantiques a aussi permis de réaliser un simulateur analogique quantique d’un effet Kondo de charge à 2 et 3 canaux avec notamment des mesures détaillées du comportement d’échelle de la conductance en fonction de la température en accord avec les calculs théoriques, analytiques ou numériques.

C. Supraconductivité mésoscopique et systèmes hybrides

L’étude des supraconducteurs en dimension réduite et des effets de proximité induits par les corrélations supraconductrices dans les systèmes hybrides constitue deux domaines majeurs de la physique mésoscopique.

En ce qui concerne les supraconducteurs en dimension réduite, une question importante reste la compréhension des transitions supraconducteur-isolant dans les films ultraminces et les nanofils. Dans cette perspective, des expériences récentes sur des films supraconducteurs amorphes suggèrent en particulier une transition supraconductrice correspondant à la mise en cohérence de paires de Cooper préformées à plus haute température. Des mesures de transport sur des nanofils ont permis de caractériser les exposants critiques dynamique et spatial de la transition quantique en champ magnétique et température.

Pour les systèmes hybrides, il est possible de caractériser les états d’Andreev de jonction Josephson de tels systèmes. Les sondes sont les spectroscopies tunnel et haute fréquence, ou la relation entre le supercourant et la différence de phase supraconductrice à basse et haute fréquence dans le cas de géométries annulaires. Une autre direction concerne les phénomènes hors-équilibre dans ces jonctions hybrides. Ainsi on peut accéder au temps de diffusion du spin dans des jonctions supraconducteur-ferromagnétique.

Des progrès important dans les dispositifs de mesure en champ proche permettent maintenant la combinaison de microscopies par effet tunnel et à force atomique à très basse température et en champs magnétiques élevés. De tels dispositifs ont permis entre autre d’étudier en détail la spectroscopie et la structure spatiale des états de Shiba d’impuretés magnétiques isolées ou d’ilots dans des films supraconducteurs. La spectroscopie locale a aussi permis la mise en évidence de vortex induits dans des jonctions Josephson latérales, ou encore de l’apparition d’un réseau de vortex dans un film métallique déposé sur un supraconducteur. Enfin des mesures en champs proche du bruit du courant tunnel d’un film supraconducteur haute-température critique ont été réalisées.

D. Matière topologique : isolants et semi-métaux

Les matériaux présentant des structures de bandes dites « topologiques » (isolants ou semi-métaux) se caractérisent par le fait que l’impulsion des électrons et donc leurs mouvements sont fortement couplés à un ou plusieurs pseudo-spins (spin, vallées, sous-réseau…). Ce couplage pseudo-spin(s)-impulsion est à l’origine de l’existence d’états de surface ou d’interface métalliques chiraux polarisés en pseudo-spins.

Pour les matériaux isolants en volume, l’intérêt principal se porte sur la physique mésoscopique des états chiraux balistiques 1D apparaissant en surface ou aux interfaces : mise en évidence et ingénierie d’effet Hall quantique de spin ou de vallée, étude de la cohérence de phase, couplage à des supraconducteurs (excitations de fermions de Majorana, jonctions Josephson topologiques, effet Ahronov-Bohm…). Les matériaux isolants topologiques bidimensionnels sont principalement obtenus dans des puits quantiques d’hétérostructures semi-conductrices ; HgTe/CdTe et plus récemment InAs/GaSb. Une autre voie consiste à induire une bande interdite dans un semi-métal topologique soit grâce à un champ électrique transverse à une bicouche de graphène soit en induisant un couplage spin-orbite dans des Moirés d’hétérostructures Van-der-Waals graphène/TMDC. Les composés au Bismuth et plus récemment le Bismuth cristallin se révèlent particulièrement intéressants. Ce dernier système fait partie d’une nouvelle classe d’isolants topologiques, dite d’ordre supérieur avec une conduction uniquement sur les arêtes d’un système tridimensionnel.

Parallèlement aux isolants topologiques, le domaine des semi-métaux topologiques s’est beaucoup développé. D’un côté des expériences de magnéto-transport dans plusieurs familles de composés ont mis en évidence des oscillations quantiques et une magnétorésistance longitudinale négative caractéristique de l’anomalie chirale attendue pour des semi-métaux de Weyl ou de Dirac 3D. D’autre part des mesures de transport et de microscopie tunnel récentes sur des Moirés de deux couches de graphène tournées ont mis en évidence un angle magique donnant lieu à l’apparition de multiples transitions de phases quantiques en fonction de la densité électronique, du champ magnétique et de la température avec notamment des phases supraconductrices, isolant de Mott, ferromagnétique, effet Hall quantique anormal. Ces expériences ont donné lieu à une grande effervescence de la communauté et les calculs théoriques suggèrent une reconstruction importante de la structure de bande en fonction de l’angle avec en particulier l’apparition d’une bande quasi-plate engendrant de fortes corrélations électroniques à l’angle magique.

E. Circuits quantiques : information, détection et simulation quantiques

Le domaine concernant le contrôle et l’utilisation de l’information quantique est également un des domaines majeurs de la physique mésoscopique. Les systèmes physiques utilisés pour encoder l’information sont à présent assez divers avec des qubits basés sur des jonctions Josephson, des qubits du spin réalisés dans des boites quantiques, des nanofils semiconducteurs ou des défauts dans des systèmes solides cristallins. Parmi les enjeux actuels on peut citer la réalisation sur un même échantillon d’un grand nombre de qubits couplés et l’obtention d’un couplage fort entre un ou des qubits avec des photons ou des phonons. Dans le domaine micro-onde, pour atteindre le régime de couplage fort, de nouveaux matériaux, basés sur des réseaux de jonctions Josephson ou des matériaux à très haute inductance cinétique, ont été développés pour réaliser des super-inductances ou des environnements à forte impédance caractéristique. Ceci permet de manipuler les états de photons dans la cavité couplée au qubit, d’intriquer fortement l’état de ce qubit avec le champ de photons ainsi que réaliser des états non-classiques du champ électromagnétique.

Plus généralement augmenter le couplage du champ électromagnétique avec des systèmes classiques de la physique mésoscopique tels que la jonction Josephson ou la jonction tunnel ouvre la possibilité de réaliser ou détecter des états non classiques de photons et d’étendre la détection à d’autres domaines de fréquence tel que l’optique. Les jonctions Josephson sont l’ingrédient de base d’amplificateurs micro-onde dont les performances se rapprochent de la limite quantique, et sont également utilisées comme spectromètres ou détecteurs de photons intégrés sur échantillon dans un régime de fréquence difficilement atteignable par d’autres moyens.

Une autre direction prise dans le domaine de l’information quantique concerne la réalisation de simulateurs quantiques.

F. Instrumentation champ proche

Les microscopies de champ proche permettent une étude locale et/ou une cartographie des propriétés opto-électroniques à l’échelle nanométrique aussi bien sur des objets individuels (atomes, molécules, boites ou fils quantiques…) que sur des objets étendus comme les matériaux 2D.

Elles incluent la spectroscopie tunnel pour la microscopie à effet tunnel, la spectroscopie à sonde de Kelvin pour la microscopie à force atomique, ou encore la microscopie à balayage de grille. Au-delà de ces usages traditionnels, ces techniques sont actuellement développées d’un point de vue instrumental en couplage avec des techniques temporelles ou fréquentielles (de nature électrique ou optique), et usuellement implémentées en environnement basse température et/ou ultra-vide en ce qui concerne les applications en physique mésoscopique. Ainsi, par exemple, des excitations électriques ou optiques modulées ou des instrumentations pompe-sonde peuvent être utilisées pour mesurer les propriétés de nanomatériaux pour le photovoltaïque dans des gammes temporelles sub-microseconde, ou pour étudier des phénomènes de relaxation à l’échelle de la nanoseconde. Le développement de la spectroscopie tunnel ultra-vide et basse température à haute fréquence (~MHz) permet d’isoler et d’imager le bruit de grenaille dans des jonctions tunnel locales (et donc la charge locale transportée), avec des applications pour l’imagerie de supraconducteurs. L’utilisation d’excitations radiofréquence (de l’ordre du GHz) sur la pointe d’un microscope à effet tunnel peut être utilisée pour sonder les nanomatériaux magnétiques. La microscopie à force atomique peut être utilisée comme sonde locale pour réaliser des mesures micro-onde sur des nanodispositifs tels que des jonctions moléculaires (scanning microwave microscopy), ou des mesures de nanomatériaux dans la gamme THz (scattering scanning near-field optical microscopy).

III. Semiconducteurs

Les semiconducteurs et leurs hétérostructures sont toujours des objets d’étude prisés de la communauté de la matière condensée, tant pour leurs propriétés électroniques qu’optiques. Les progrès en élaboration, en caractérisation et nano-fabrication donnent accès à une grande diversité de matériaux et de structures pour explorer de nombreux phénomènes comme le couplage lumière-matière, le transport à l’échelle mésoscopique, les effets de spin ou encore l’opto-mécanique.

A. Matériaux : élaboration, analyses structurales et nano-structuration

Parmi les nombreux types de semiconducteurs, les composés IV-IV, III-V, III-N, et II-VI sont certainement les plus étudiés. L’élaboration des matériaux massifs et de leurs hétérostructures est en constant progrés au niveau de leur qualité cristalline, de leur pureté et de la complexité des empilements. Les techniques les plus courantes pour la croissance des hétérostructures sont les épitaxies par jets moléculaires et en phase vapeur. La disponibilité des substrats, accordés en paramètre de maille, est un point crucial pour épitaxier des structures de qualité. Pour certains matériaux comme les composés III-N qui ne disposent pas de substrats adaptés, différentes approches ont été développées, notamment par nano-structuration des substrats, qui donnent de très bons résultats. Ces efforts portent aussi sur l’hybridation entre différentes familles de matériaux, comme les III-V et le silicium, les III-V et les oxydes, motivée par les applications opto-électroniques. Un domaine a émergé ces dernières années autour de l’élaboration de composés dits « isolants topologiques ». Les propositions théoriques de nouveaux composés sont nombreuses mais peu encore ont été démontrées expérimentalement. Les études sur les composés pérovskites connaissent aussi un engouement important, domaine tiré par les applications photovoltaïques.

Les études théoriques et expérimentales sur la croissance des nano-objets sont très actives. La compréhension des mécanismes de croissance a fait de considérables progrès notamment autour des nanostructures auto-organisées comme les boîtes quantiques et les nanofils. Ces nanostructures peuvent être aussi réalisées par synthèse colloïdale sous forme de nano-cristaux ou nano-plaquettes. Les récents développements ont permis d’obtenir, pour ces dernières, une émission de photoluminescence stable. Ces dernières années ont vu, à la suite de la découverte du graphène, de nombreuses avancées sur la croissance des matériaux 2D. Il est maintenant possible de réaliser des hétérostructures à partir de ces feuillets, avec des désorientations contrôlées entre couches pour explorer de nouvelles propriétés, comme la supraconductivité.

Les derniers développements des outils d’analyse permettent d’accéder à la structure cristalline à l’échelle quasi atomique. Il s’agit notamment du microscope électronique en transmission corrigé des ultimes aberrations géométriques, qui permet d’observer in situ et en temps réel, la croissance de nano-objets avec une résolution nanométrique. De nombreux développements instrumentaux sont en cours dans le but de réaliser des équipements couplant différents types d’analyses sur des zones nanométriques, en particulier des cartographies 3D couplant analyse chimique par spectroscopie d’ions secondaires et imagerie topographique par microscopie électronique.

Les progrès dans les techniques de fabrication permettent la structuration de la surface à l’échelle de la dizaine du nanomètre (lithographie électronique, gravure ionique, nanoimpression, fonctionalisation locale). Ces développements offrent de nouvelles voies pour le confinement des électrons, phonons et photons dans les trois dimensions.

B. Couplage lumière-matière

L’avènement des technologies quantiques et la quête de systèmes solides robustes et intégrables dans des dispositifs couvrant une large gamme de longueurs d’onde, de l’UV à l’infrarouge amplifie les recherches sur les nanostructures de semiconducteurs. Une grande partie des travaux se concentre sur leur intégration dans des résonateurs optiques fabriqués à partir de matériaux diélectriques ou métalliques afin d’étudier les différents régimes du couplage lumière-matière.

Les boîtes quantiques (BQ) de semiconducteurs figurent actuellement parmi les systèmes à l’état solide les plus matures notamment pour d’éventuelles applications en information quantique basées sur les principes d’intrication ou de téléportation. Leur spectre d’énergie discret permet de définir des bits quantiques, que l’on peut manipuler de manière cohérente à l’aide de faisceaux lumineux résonnants. Les états de spin d’un porteur de charge unique, définissent quant à eux un qubit avantageux, grâce à l’initialisation possible de l’état. Néanmoins les problèmes de couplage avec la matrice cristalline environnante limitent le temps de cohérence des états quantiques. Cela a conduit à de nombreuses études sur les interactions avec les phonons, le spin nucléaire des atomes de la matrice et l’environnement électrostatique fluctuant au voisinage des BQ. L’intégration maîtrisée des BQ dans différents types de cavités photoniques (nanoguides d’ondes, miroirs de Bragg planaires, micropilliers, cristaux photoniques…) a permis de démontrer par exemple, l’émission de photons uniques à la demande avec une très grande efficacité et un degré d’indiscernabilité proche de l’unité.

Les défauts ponctuels, tels que les centres NV dans le diamant ou SiC et les centres G dans le silicium, constituent des sources de photons uniques, avec des applications possibles dans les longueurs d’onde telecom et des sondes ultra-sensibles de champ magnétique.

Le spin électronique dans une matrice de silicium, constitue également un système prometteur suscitant un intérêt croissant vu la compatibilité du matériau avec les dispositifs CMOS. La manipulation et le transport du spin sont réalisés avec succès, mettant en évidence des temps de cohérence très longs, concurrençant ainsi les qubits supraconducteurs.

Les pérovskites semiconducteurs sont très fortement étudiés, notamment en raison de leur fort potentiel pour les applications en photovoltaïque. Leurs propriétés électroniques ne sont pas encore totalement maîtrisées et les systèmes perovskites de basses dimensions (perovskites bi-dimensionnels, nanoplatelets, nanocristaux colloïdaux…) constituent un vaste champ d’études de spectroscopie optique et magnéto-optique.

Les hétérostructures de semiconducteurs à excitons indirects ayant un large moment dipolaire et des temps de vie très longs, ont fait l’objet d’études importantes aussi bien théoriques qu’expérimentales, car ils constituent un système de choix pour étudier des phénomènes liés à la condensation de Bose. La génération de condensats dits « gris » faiblement couplés à la lumière a été mise en évidence, avec les signatures caractéristiques de cohérence spatiale, de transition de phase superfluide à deux dimensions dans la limite de fortes interactions entre particules.

L’engouement pour les matériaux 2D, concerne principalement le nitrure de Bore hexagonal, le phosphore noir, les dichalcogénures de métaux de transition et le silicène/germanène. À la différence du graphène, ces matériaux sont des semi-conducteurs qui présentent des effets de basse dimensionnalité avec des conséquences sur les propriétés vibrationnelles, diélectriques et excitoniques du fait de leur géométrie 2D. Ceci a ouvert la voie pour revisiter entre autres la physique des excitons dans les SC.

Les cavités semi-conductrices notamment à base de GaAs et plus récemment de ZnO, qui présentent un régime de couplage fort lumière-matière, permettent d’explorer la physique très riche des polaritons, quasi-particules mixtes exciton-photon. Elles sont un système modèle pour l’étude des fluides quantiques et des condensats de Bose en présence de dissipation. Leurs interactions donnent lieu à de nombreux effets non linéaires comme la superfluidité, la nucleation de vortex, ou encore la bistabilité optique. Les recherches s’orientent d’une part vers le développement d’une circuiterie polaritonique à l’ambiante, mais aussi vers l’ingénierie des polaritons pour la simulation quantique.

La qualité cristalline des semiconducteurs en fait un terrain de jeu idéal pour étudier la propagation et le confinement des phonons, notamment dans des structures de taille nanométriques. Le couplage lumière-phonon est très efficace pour observer, générer et contrôler les ondes acoustiques. Ces ondes peuvent être générées jusque dans la gamme du THz et se propager sur des dizaines de micromètres. Elles peuvent être piégées dans des cavités ou même des cristaux phononiques de taille sub-micrométrique, à la frontière avec le régime mésoscopique.

C. Propriétés électroniques : courant de charge et de spin

L’électronique repose au premier plan sur le silicium qui poursuit une pente ascendance en raison de ses propriétés toujours améliorées grâce à de nouvelles réalisations (contrainte, ultra-haut dopage, transformation de phase, configuration 2D). Mais les autres familles de matériaux tirent aussi leur épingle du jeu comme le système GaAs/AlAs avec les gaz d’électrons bidimensionnels de très haute mobilité pour la physique mésoscopique et les composants électroniques hautes fréquences / bas bruit, ou les nitrures pour les transistors de puissance.

Les semiconducteurs contribuent au développement de la physique du spin, de la spintronique et de ses dérivés comme la spin-orbitronique ou la valleytronique. Il s’agit notamment d’étudier la génération de courants de porteurs polarisés en spin et leur détection. Les récentes avancées portent sur les matériaux à fort couplage spin-orbite, présentant des effets Rashba importants, et les isolants topologiques. Le magnétisme est présent chez les semiconducteurs magnétiques dilués qui peuvent présenter une phase ferromagnétique. La température de Curie est certes faible, mais ces systèmes restent des composés modèles pour étudier les mécanismes en jeu dans la propagation des domaines, le transfert de couple de spin, le couplage magnéto-strictif…

IV. Systèmes bidimensionnels

La recherche sur les matériaux 2D s’est développée depuis la démonstration de l’exfoliation des feuillets de graphène. Tout en étant le premier matériau bidimensionnel à être isolé, la graphène continue à être la brique de base d’une recherche florissante. Dans le régime balistique, les électrons du graphène se comportent, comme s’ils étaient sans masse, à la manière des photons. En changeant localement le potentiel électrostatique avec des jonctions p-n, il est possible de réaliser des éléments similaires à ceux utilisés couramment dans l’optique ondulatoire. De nouvelles fonctionnalités peuvent aussi émerger en pliant les trajectoires électroniques avec un champ magnétique ou en utilisant l’effet tunnel. Dans de nombreux cas, le graphène est employé comme plateforme de systèmes hybrides plus complexes. Un exemple est fourni par une monocouche décorée avec des nanoparticules d’un métal supraconducteur. Contrôlé par une électrode de grille, ce système permet d’étudier en détail les transitions de phase quantiques dans les supraconducteurs bidimensionnels. Plus récemment on a observé l’émergence d’un diagramme de phase très varié lorsque deux couches de graphène sont superposées avec un twist, l’application d’une tension de grille permet de transiter d’une phase conductrice isolante ou à une phase supraconductrice. Ce phénomùène vient de l’apparition d’une bande d’énergie avec une dispersion énergétique très faible. Le rôle des fortes corrélations entre les électrons de cette bande est actuellement débattu.

En dehors du graphène, de nombreuses études se focalisent actuellement sur différents matériaux 2D isolants ou semi-conducteurs. Un des isolants très étudié est le nitrure de Bore hexagonal (h-BN), qui a une structure identique à celle du graphène, mais des propriétés chimiques et électroniques très différentes. Le h-BN présente un éventail de propriétés vibrationnelles, diélectriques et excitoniques nouvelles. Ses propriétés optiques en bord de bande interdite offrent par ailleurs, de nouvelles perspectives d’applications dans l’UV. Il permet aussi un filtrage de spin par effet tunnel efficace.

Le h-BN représente aussi un matériau idéal comme support pour l’encapsulation du graphène et des dichalcogénures. En effet, des dispositifs avec de nouvelles fonctionnalités sont obtenus en construisant des hétérostructures de Van der Waals par empilement de cristaux bidimensionnels. Il a été montré que l’encapsulation de ces structures 2D entre des couches de h-BN offre une protection contre les contaminations. Cette procédure conduit à une forte augmentation de la mobilité des porteurs de charge et du temps de vie du dispositif. Au regard des nombreux résultats prometteurs obtenus, l’ingénierie des hétérostructures de Van der Waals, est aujourd’hui une voie poursuivie par un nombre croissant de groupes français.

Les matériaux semi-conducteurs les plus couramment étudiés sont, le phosphore noir, les dicalcogénures de métaux de transition (TMD) et le silicène/germanène. En étant des semi-conducteurs, ces matériaux procurent une plateforme idéale pour les études d’optoélectronique. En raison de l’écrantage faible du potentiel coulombien, les excitons des TMDs ont une énergie de liaison élevée, ce qui permet l’étude de la physique de la condensation des bosons composites à haute température. En plus, la brisure de symétrie d’inversion du cristal et le fort couplage spin-orbite, donnent aux excitons des dégrés de liberté internes associés aux vallées dans l’espace réciproque.

Comme dans le cas du graphène, les propriétés électroniques des nouvelles hétérostructures hybrides à base de TMDs dépendent de l’alignement des niveaux électroniques entre les couches supérieure et inférieure des différentes interfaces où il est possible de générer des excitons indirects avec un temps de recombinaison long. Le but étant d’atteindre un état condensé. De plus, ces matériaux transitent entre différentes phases cristallines, ce qui en fait des matériaux intéressants pour les dispositifs mémristifs et de stockage d’énergie. De plus, une nouvelle méthode de dopage par couplage anodique, permet de créer une transition supraconductrice dans des TMDs. Cette méthode est conceptuellement similaire au dopage par tension de grille et donc facilement réversible.

La caractérisation microscopique et spectroscopique des couches 2D est aussi une étape essentielle dans ce domaine de recherche. À côté des techniques standard utilisées (microscopie et spectroscopie champ proche, analyses de surface, micro-Raman) les mesures de photoémission résolue en angle à l’échelle nanométrique permettent de compléter ces caractérisations. Ainsi, il est possible d’étudier la dispersion des états électroniques en fonction du nombre de couches, de voir l’effet d’un angle d’empilement sur les états occupés et de déduire l’alignement des bandes dans les hétérostructures. Un rôle de premier plan est joué par les mesures magnéto-optiques des niveaux de landau dans le graphène et des états exitoniques dans les TMD. Avec l’application d’un champ magnétique il est possible d’exalter la brillance des excitons, de changer la polarisation de vallée et de montrer l’émission d’un photon unique par des défauts intrinsèques.

Enfin, les matériaux 2D sont aussi utilisés comme des résonateurs opto-mécaniques pour des études d’intrication entre degrés de liberté vibrationnel et optique. La masse réduite et le fort couplage dipolaire leur donne une extrême sensibilité aux photons et à la présence de masses adsorbées. Un couplage des monocouches de TMDs avec des structures plasmiques chirales est aussi envisagé pour contrôler la polarisation des vallées des excitons.

V. Systèmes corrélés

A. Définition

Les systèmes corrélés sont des systèmes où les interactions entre les constituants élémentaires d’un matériau sont si fortes, que le traitement de chaque électron comme une particule individuelle agissant dans un potentiel effectif créé par les autres électrons n’est plus applicable. Les calculs de structure de bandes deviennent obsolètes et les théories perturbatives standards ne sont plus valides. Un exemple emblématique est l’isolant de Mott d’un cuprate (oxyde de cuivre). Sa structure de bande le qualifie de conducteur mais les forces de répulsion coulombienne sur les sites de cuivre sont si fortes que les électrons se figent, le rendant isolant. La particularité des systèmes corrélés est de former à basse température des états quantiques intriqués de telle sorte qu’une très grande diversité de nouveaux états émergent, conduisant à des propriétés physiques en rupture avec tout ce que nous connaissons aujourd’hui. La supraconductivité à haute température (150 K) des cuprates, longtemps inimaginable, en reste l’exemple emblématique.

B. État de l’art et enjeux

Les systèmes fortement corrélés ont un potentiel applicatif très prometteur (photovoltaïque, thermoélectricité, stockage de l’énergie, spintronique et supraconductivité). Par exemple, le contrôle de la transition métal/isolant de Mott par impulsion électrique ou lumineuse dans les oxydes, possible depuis quelques années seulement, ouvre la porte au développement de nouveaux interrupteurs qui pourraient simuler les fonctions de nos synapses dans le cerveau pour se tourner vers une intelligence artificielle sans carbone. L’enjeu est de développer des outils théoriques et expérimentaux qui permettront d’appréhender toute la complexité des systèmes fortement corrélés. Tout ceci, cependant, ne pourra être réalisé sans un investissement dans la synthèse de matériaux à fortes corrélations, domaine où nous avons pris du retard par rapport aux pays anglo-saxons et asiatiques par manque d’anticiaption et de moyens.

Sur le plan modélisation, de nouveaux outils théoriques et numériques ont été développés. Il y a d’une part, des modèles de type Hamiltonien, pour décrire les transitions de phase des matériaux corrélés et leurs éventuelles brisures de symétrie et d’autre part, des approches de type « premiers principes », pour décrire quantitativement leur structure électronique. Des résultats pionniers ont été obtenus dans ces domaines comme par exemple les méthodes de champ moyen dynamique (DMFT) pour décrire les diagrammes de phase d’oxydes de métaux de transition comme les cuprates, mais aussi, les pnictures et les organiques. Ceci a permis de renforcer les collaborations entre théoriciens et expérimentateurs. D’autres concepts issus de la physique théorique, tels que les symétries émergentes et les théories de jauges sont en plein expansion, notamment pour comprendre la nature des points critiques quantiques rencontrés dans les cuprates, les fermions lourds, les pnictures et les organiques. Des développements théoriques très récents appelés concepts holographiques visent à contenir l’information sur des systèmes de dimensionalités réduites. Ils sont à la frontière entre les systèmes à fortes corrélations électroniques, la théorie des cordes, la physique des trous noirs et la théorie de l’information quantique.

Au niveau expérimental, des progrès spectaculaires ont été réalisés sur les résolutions en énergie, en moment ou en temps de différentes sondes expérimentales (spectroscopies tunnel, photoémission, Raman, infrarouge, neutron, Rayons X). Les sondes de transport traditionnelles ne sont pas en reste avec leurs développements sous conditions extrêmes : très haut champ, très haute pression, très basse température et l’utilisation de techniques de nano-fabrication. De nouveaux types de dopage ont été mis en place comme les liquides ioniques qui n’altèrent pas la composition chimique, ainsi que des façons fines de contrôler leurs paramètres intrinsèques (contraintes uni-axiales, impulsions de courant ou de lumière). De nouvelles opportunités se dessinent à l’horizon où la physique des semi-conducteurs rejoint celle des électrons corrélés. Il s’agit de systèmes 2D comme l’empilement de feuillets de graphène ou de dichalcogénures ou des hétéro-structures, qui révèlent des phénomènes étonnants aux interfaces : supraconductivité, polarisation orbitale, transfert de charge, effet Rashba associé au couplage spin-orbite…

C. Quelques phénomènes emblématiques des systèmes fortement corrélés

Identifier l’origine de la supraconductivité à haute Tc dans les cuprates reste un véritable défi. Quelle interaction, parmi les différents ordres quantiques en compétition ou en coopération dans ces matériaux, prédominera dans la formation des paires de Cooper ? Nul ne le sait, même si les fluctuations de spins jouent sans doute un rôle majeur pour les cuprates, comme pour les supraconducteurs au fer apparus plus récemment, ou encore les fermions lourds et les organiques. La reproduction très récente d’une partie du diagramme de phase des systèmes fortement corrélés, avec notamment un dôme de supraconductivité, dans des feuillets de graphène « twistés » ne fait que renforcer l’attrait de ces questions. La récente découverte de la supraconductivité dans un composé à base de Nickel, dont la structure électronique est proche de celle des cuprates, ouvre la voie à une nouvelle famille de supraconducteurs dans lesquels les corrélations électroniques sont importantes. Il y a eu aussi un regain d’intérêt pour la supraconductivité de systèmes alternatifs comme SrTiO3 ou NbSe2, ou pour la supraconductivité induite par un champ magnétique dans des composés de terres rares. D’un autre côté, le record de température supraconductrice (200K) est maintenant détenu par des hydrures sous très forte pression (plus d’une centaine de GPa) avec un mécanisme d’appariement électron-phonon traditionnel, ce qui montre qu’il n’y a pas de limite intrinsèque à la supraconductivité.

Parallèlement, l’intérêt pour les supraconducteurs exotiques s’est élargi à la recherche de supraconducteurs topologiques, dont les états de bord seraient des fermions de Majorana . Les phases supraconductrices en volume (Sr2RuO4, CuxBi2Se3), les états de surface topologiques, où la supraconductivité est induite (ex.FeSe0.5Te0.5 ou les structures artificielles comme Pb/Co/Si(111)), sont des candidats pour réaliser de tels systèmes. Associer corrélations fortes et topologie, domaine encore peu exploré, pourrait révéler des comportements tout à fait nouveaux. La prise en compte des effets de désordre peut aussi être pertinente pour tester la robustesse de certains états cohérents induits par les corrélations et protégés topologiquement.

La complexité des systèmes corrélés se révèle souvent à travers différents ordres en compétition. Dans le cas des cuprates, l’apparition de plusieurs brisures de symétrie : courants orbitaux, nématicité, ordre de charge et de spin annoncent les ordres émergents. Cette complexité s’accroit encore quand on tient compte de l’effet Kondo, qui intrique degrés de liberté de spin et de charge, ou intrication spin-orbite qui peut favoriser l’émergence de nouveaux ordres multipolaires. Des courants orbitaux ont par exemple été détectés dans les iridates, une nouvelle famille d’isolants de Mott caractérisée par son fort couplage spin-orbite. Des états « classiques » comme les ondes de densité de charge ont été revus à la lumière des progrès expérimentaux récents (diffraction cohérente, production d’états hors équilibre). Une de ces brisures de symétrie particulièrement intrigante, d’autant plus qu’elle est difficile à détecter expérimentalement, est la nématicité qui affecte uniquement le degré de liberté de rotation et pas celui de translation. Ce concept a été particulièrement étudié ces dernières années dans les supraconducteurs au fer. Cet ordre trouve des signatures marquées dans les mesures de transport, transmission, Raman, RMN, neutrons, ARPES…

Par ailleurs, il est encore impossible de prédire théoriquement de manière ab initio l’existence d’une phase quantique émergente dans un nouveau composé. En général, ces phases sont découvertes par l’expérience, et il leur arrive parfois d’être nommées « ordre caché », en attendant qu’une théorie et des expériences complémentaires permettent de caractériser l’éventuel paramètre d’ordre sous-jacent.

À l’instar de la supraconductivité, le magnétisme quantique focalise une partie importante des activités de recherche dans le domaine des systèmes fortement corrélés. Les deux phénomènes peuvent être connectés puisque les fluctuations de spins quantiques peuvent être impliquées dans l’émergence de certains états supraconducteurs non conventionnels.

La frustration, qu’elle soit d’origine géométrique ou induite par le désordre, constitue la source de nouveaux états exotiques : liquides de spins, glaces de spins, phases de Coulomb, états fragmentés. La quête et la compréhension de matériaux « de Kitaev » et plus généralement des formes multiples de liquides de spins quantiques est au cœur de l’intense recherche actuelle. La frustration peut aussi s’avérer très utile pour les applications des systèmes multiferroïques, présentant à la fois des ordres magnétiques et ferroélectriques. En effet, une forte dégénérescence induite par frustration permet de réaliser des systèmes présentant un fort couplage magnéto-électrique avec une polarisation facilement renversable par application d’un champ magnétique. Bien que la plupart des études se concentrent sur les effets statiques, le défi à venir est de développer leur potentiel dans le couplage dynamique des degrés de spin et de charge. De nouveaux concepts ont émergés comme la magnonique, où l’on propose d’utiliser les ondes de spin pour transporter et traiter des informations.

D. Conclusion

Les systèmes corrélés introduisent une complexité jamais encore égalée dans le traitement des transitions de phases dans les matériaux. Bien que déconcertant, ceci nous offre des combinaisons d’ordres quantiques inespérées pour générer de nouvelles phases, des excitations d’une nouvelle nature, et de nouvelles propriétés. La rencontre entre la physique des semi-conducteurs et des électrons est en train de s’opérer avec l’émergence des systèmes 2D. Avec la prise en compte de nouveaux concepts comme les corrélations de Hund, le désordre, le couplage spin-orbite, la topologie, les développements fondamentaux et applicatifs représentent une source intarissable pour repenser les technologies du futur pour une meilleure maitrise de l’énergie.

VI. Théorie et modélisation

A. Introduction & méthodes

Si la recherche théorique a des problématiques propres, comme le développement d’outils conceptuels et numériques, l’essentiel des activités théoriques en section 03 est en forte synergie avec les activités expérimentales. À ce titre les domaines de recherche couvrent toutes les thématiques de la section, même si certains sujets attirent plus de chercheuses/chercheurs, à cause de leur complexité comme les systèmes corrélés, ou de leur nouveauté comme la physique hors d’équilibre en régime transitoire, ou les effets topologiques.

Prédire, comprendre, expliquer les propriétés électroniques ou magnétiques de la matière condensée restent les mots clefs, que ce soit :

– pour la description de systèmes spécifiques avec un objectif quantitatif par les méthodes entièrement quantiques dites de premiers principes (DFT) les résultats théoriques pouvant directement être comparés aux résultats expérimentaux,

– pour décrire des phénomènes génériques, communs à toute une classe de systèmes, – à l’aide de modèles quantiques effectifs se concentrant sur les interactions dominantes responsables des propriétés étudiées et intégrant implicitement les degrés de liberté non pertinents pour ces dernières, – ou à l’aide de modèles semi-classiques intégrant les aspects thermodynamiques et statistiques.

D’un point de vue méthodologique, ces dernières années ont été marquées par une ouverture vers l’adaptation à la matière condensée de concepts ou de méthodes numériques issus d’autres domaines scientifiques. Ainsi les concepts issus de l’information quantique ont été adaptés pour mesurer l’intrication quantique (spectres d’intrication, entropie d’intrication, etc.) dans les systèmes fortement corrélés. Ces nouveaux concepts ont non seulement permis de mieux classifier et caractériser les états de basse énergie et les transitions de phases, mais aussi d’identifier de nouveaux phénomènes comme la localisation Many-Body ou concevoir de nouvelles méthodes numériques permettant d’accéder à des problèmes/systèmes autrefois difficilement accessibles comme les modèles corrélés sur les réseaux bi-dimensionnels.

Une autre ouverture notable a été faite avec l’adaptation de méthodes issues de la chimie théorique comme la partition Quantum Mechanics (QM) / Molecular Mechanics (MM) qui permet de séparer spatialement la partie sur laquelle est focalisé l’intérêt et que l’on traite de manière quantique QM, du reste du système qui est traité de manière classique MM. Ce type de technique initialement utilisée pour séparer la partie réactive du reste d’un grand système est aujourd’hui adaptée à la matière condensée, par exemple pour mieux décrire l’absorption lumineuse dans un système photovoltaïque réaliste.

Enfin une ouverture encore timide se fait vers les techniques du machine learning que ce soit pour la modélisation des mécanismes de croissance de matériaux que pour l’exploration théorique des diagrammes de phases.

Bien entendu ces travaux ne doivent pas faire oublier les avancés réalisées tant dans les concepts établis pour décrire les états émergeants de la matière quantique, comme les quasi-particules de Weyl ou les fermions de Majorana, les objets topologiques tels que des vortex ou des skyrmions, ou dans les méthodes centrales du domaine que ce soit le groupe de renormalisation, les méthodes de réseaux de tenseurs, de DMRG, DMFT, Monte-Carlo quantique etc.

B. Les systèmes corrélés

L’étude tant des diagrammes de phases et des transitions de phases (transition de Mott, de Kosterlitz-Thouless, transition BEC/BCS, etc.) que des excitations exotiques invalidant l’image de particules indépendantes (anyons, fermions de Majorama, électromagnons, etc.) rencontrées dans les systèmes fortement corrélés reste un des enjeux actuels.

Dans ce domaine les systèmes phares restent les composés magnétiques et supraconducteurs. Ainsi au cours de cette mandature beaucoup d’attention a été accordée aux systèmes magnétiquement frustrés et notamment aux effets de couplage magnéto-électrique, à la dynamique des glaces de spin et aux nouveaux concepts de liquides de spins modulés ou chiraux ; les enjeux actuels étant dans le premier cas la compréhension des degrés de liberté responsables de l’amplitude de l’interaction magnéto-électrique et dans le second cas celle de la dynamique de ces systèmes avec les monopoles magnétiques, la cristallisation de charge, la fragmentation de moment magnétique, etc. Dans le domaine de la supraconductivité, la découverte de nouveaux matériaux supraconducteurs à des températures proches de l’ambiante ou dans des systèmes bi-dimensionnels a nourri une activité de calculs premiers principes (entre autre par des méthodes de Monte-Carlo quantique ab-initio).

C. Systèmes mésoscopiques

Trois grands thèmes au cœur de la physique mésoscopique théorique seront soulignés ici : le contrôle quantique avec la simulation en temps réel du transport mésoscopique dans des dispositifs à électron unique, la physique à N-corps (qui relève aussi des systèmes corrélés) et la topologie.

Dans les systèmes mésoscopiques fortement corrélés un des maître-mot est l’ingénierie de l’environnement en couplant un système quantique simple mais fortement non-linéaire à un bain macroscopique (d’électrons, de photons…) pour créer des états mixtes invalidant l’image de particules indépendantes. Un second défi est la théorie du transport hors-équilibre. Au-delà de travaux sur la détermination de relations fluctuation dissipation génériques dans des systèmes fortement hors équilibre et non stationnaires, des progrès ont été réalisés grâce à des méthodes de Monte Carlo Quantique pour décrire les caractéristiques courant-tension de points quantiques, grâce à des méthodes groupe de renormalisation (NRG) pour décrire le transport thermique dans l’état Kondo ou l’effet Hall fractionnaire. Enfin l’étude des jonctions reste toujours d’actualité (Josephson multicanaux, couplées à une ligne de transmission, etc.) avec des prédictions toujours étonnantes comme la compression d’états photoniques micro-onde. Parmi les défis qui restent à relever celui de la structuration spatiale d’états corrélés (nuage Kondo) nécessitera l’élaboration de nouvelles méthodes encore à imaginer.

D. Topologie de la surface de Fermi

Les matériaux dits topologiques (systèmes 2D : Graphène, Phosphore noir et 3D : Bi1-xSbx) se caractérisent par un croisement de bandes ayant une dispersion linéaire (cônes de Dirac-Weyl) au niveau de Fermi. Ils ont la particularité de présenter des états de bords protégés, similaires aux états supportant l’effet Hall fractionnaire, et ayant des caractéristiques uniques. Si dans un premier temps l’essentiel des travaux ont concerné la caractérisation de ces matériaux topologiques (détermination de leur nombre de Chern), Aujourd’hui les efforts portent plutôt sur leur manipulation (fusion de cônes de Dirac) ou sur des systèmes présentant un fort couplage spin-orbite. En effet, dans ces systèmes les états de bords peuvent donner lieu à des courants de spins, les électrons avec les deux états de spins se propageant dans des directions différentes (effet Hall quantique de spin). L’intérêt de tels systèmes est un déplacement de charge nul.

E. Polaritons

Une des richesses des polaritons est leur capacité de conserver et de mélanger les propriétés des excitations d’origine (photons, phonons, plasmons…). La diversité de propriétés observées dans ces systèmes hybrides et la possibilité de contrôler le couplage ont permis d’utiliser ces systèmes comme prototypes pour simuler, par analogie, des systèmes physiques apparemment très différents par leur nature et échelles d’énergie comme ceux de la relativité générale ou de la cosmologie.

D’un point de vue théorique les défis dans la modélisation de ces systèmes résident dans la détermination et le traitement des degrés de liberté permettant de décrire l’intégralité de la complexité du système. Les travaux actuels se concentrent essentiellement sur la compréhension des propriétés dynamiques et des phénomènes de transport (thermodynamique quantique et évolution hors d’équilibre).

F. Spintronique

Depuis quelques années de nouveaux domaines de recherche sont apparus qui relèvent de l’étude des ordres magnétiques complexes et des phénomènes de transport de spins dans les matériaux massifs et aux interfaces, comme la skyrmionique, la nanoferronique et la spin-orbitronique. Ces domaines connaissent des développements théoriques importants grâce à l’avancée des méthodes premiers principes (DFT) qui permettent de déterminer tant les propriétés structurales que magnétiques et de transport ou lorsque le degré de complexité est trop élevé par des méthodes multi-échelles où des Hamiltoniens modèles sont paramétrés par des calculs DFT sur des systèmes plus simples. Il est ainsi possible d’explorer l’intégralité de l’espace des phases, de caractériser de façon réaliste les matériaux à l’échelle atomique, et de modéliser le transport via les formalismes de Landauer-Büttiker, Kubo ou Keldysch.

VII. Infrastructures de recherches

Les grands instruments occupent une place très importante dans les thématiques de recherche de la section 3. Les équipements mis à disposition de la communauté française se renouvellent constamment, permettant de fournir des conditions expérimentales à la hauteur de la compétition internationale, à la fois au niveau des sources de rayons X, de neutrons, de champs magnétiques intenses et des centrales de nanotechnologie.

A. Les sources de rayons X synchrotron et XFEL

Dotée d’un synchrotron national et participant largement aux sources européennes, la France est bien placée pour permettre l’accès aux sources de rayons X de dernière génération à la communauté. De nombreuses thématiques de la section 3 sont concernées par les techniques disponibles auprès de ces très grands instruments : spectroscopies de photons (absorption, émission…) et d’électrons (PES, ARPES), diffraction, diffusion, cohérence, dichroïsme magnétique, microscopie, techniques résolues en temps etc. Le paysage des grands instruments de rayons X est actuellement en plein renouvellement, avec des projets de jouvence des deux synchrotrons implantés sur le sol français, et le démarrage du laser à électrons libres européen (European XFEL).

Le synchrotron SOLEIL, dispose de tout l’éventail de techniques d’intérêt pour la communauté de la section 3, qui est aujourd’hui utilisatrice de presque deux tiers de ses lignes de lumières. Dans le cadre de la programmation d’une jouvence dans les années à venir, les chercheurs visent à définir une nouvelle machine qui produira des faisceaux plus brillants et plus cohérents en limitant la taille de source et l’émittance horizontale avec des caractéristiques temporelles des impulsions de rayons X du même ordre de grandeur.

L’ESRF (European Synchrotron Radiation Facility) est une machine d’énergie supérieure à celle de SOLEIL, elle en est parfaitement complémentaire. Parmi les 5 lignes de lumière françaises installées à l’ESRF, deux sont pleinement dans les thématiques de la section 3. L’ESRF est actuellement dans un programme de jouvence. La nouvelle machine, appelée ESRF-EBS (pour Extremely Brilliant Source), permettra de générer des faisceaux cent fois plus brillants et cohérents et devrait être disponible en 2020. Le calendrier décalé des jouvences de l’ESRF et de SOLEIL permet la continuité de l’utilisation de ces sources par les utilisateurs.

Accessible depuis 2017, European XFEL est un accélérateur linéaire d’électrons permettant de générer des trains d’impulsions de rayons X particulièrement brillants, ultra-courts et cohérents, possédant ainsi toutes les caractéristiques des faisceaux laser. Il est particulièrement intéressant pour les études de dynamiques à l’échelle femtoseconde en matière condensée, ou pour combiner imagerie cohérente et dynamique hors-équilibre. L’accès à la communauté française ne fait que démarrer, mais va venir en complément des sources déjà existantes dans le domaine des rayons X durs et mous.

B. Un paysage de la neutronique en plein changement

L’utilisation des neutrons occupe une place très importante dans la section 3, avec en particulier les études liées aux structures et excitations magnétiques. Jusqu’à présent, deux sources de neutrons implantées en France étaient à disposition de la communauté : Orphée à Saclay et l’ILL à Grenoble. Suite à la décision de fermer Orphée fin 2019, différents projets ont vu le jour pour à la fois conserver l’expertise française dans ce domaine, et permettre aux utilisateurs de continuer à bénéficier d’un environnement favorable pour mener leurs expériences. Le premier est la construction de 5 nouveaux instruments destinés à la source européenne à spallation ESS en partenariat avec d’autres pays membres. Ces instruments permettront de couvrir l’ensemble des thématiques d’intérêt pour la section 3. Par ailleurs, les lignes CRG françaises seront renforcées à l’ILL, avec 3 instruments pilotés par le LLB, 1 par le CNRS et l’UGA, et 3 par le CEA. Enfin, une source compacte de neutrons française est à l’étude (SONATE). L’objectif est de fournir à la communauté, des instruments avec des flux comparables à Orphée d’ici 5 à 10 ans. Il est à noter que l’ensemble des personnels du LLB qui avaient une activité liée à Orphée sont tous rattachés à un de ces projets ce qui garantit une continuité de l’activité et des savoir-faire pour la communauté. Une fédération de neutronique – la 2FDN – a été mise en place dans le but d’animer, planifier et gérer les activités liées à la neutronique en France.

Enfin, bien qu’aucune source de ce type n’existe en France, une partie des chercheurs est également utilisatrice de muons pour les études liées au magnétisme.

C. Champs magnétiques intenses

Les études dans le domaine des champs magnétiques intenses, supérieurs typiquement à la vingtaine de Teslas, sont réalisées et développées au Laboratoire National des Champs Magnétiques Intenses (LNCMI), sur le site de Grenoble pour les champs continus et sur le site de Toulouse pour les champs pulsés. Une grande variété de mesures physiques sous champs magnétiques intenses est proposée dans différentes gammes de température et de pression : mesures de grandeurs thermodynamiques, magnétométrie statique et/ou de susceptométrie dynamique, métrologies magnéto-optiques, mesures de magnéto-transport ou encore mesures de résonance magnétique nucléaire. Ces différentes méthodologies expérimentales intéressent fortement les thématiques majeures de la section 03, en physique des semiconducteurs, supraconducteurs et matériaux magnétiques. Ces offres expérimentales sont complétées par des installations transportables de champs pulsés, pour des expériences sous des champs magnétiques avoisinant la cinquantaine de Tesla sur source synchrotron (ESRF et SOLEIL), sur source de neutrons (ILL) ou encore sur source laser intense (LULI).

Un effort constant de développements instrumentaux est assuré tant au niveau des différentes installations de mesures que dans la production des champs magnétiques les plus intenses. Le LNCMI détient le record européen de champ magnétique pulsé milliseconde à 98.8 T ainsi que le record mondial de la durée des champs magnétiques dépassant 80 Tesla. La production de champs megagauss n’est pas en reste : selon le diamètre utile et la température requis, des champs magnétiques de 100 T à 260 T peuvent être atteints.

D. Les centrales Renatech

Le réseau Renatech regroupe des infrastructures et des moyens lourds en micro-nanotechnologies répartis sur le territoire national au sein de 5 laboratoires fortement impliqués dans le développement technologique et rassemblant des compétences scientifiques allant du matériau aux systèmes. Ces laboratoires hébergent 8 300 m2 de salles blanches dotées d’équipements de pointe ouverts à la communauté scientifique. Les domaines scientifiques adressés sont la microélectronique, la photonique, les MEMS, les micro-nanoobjets et la caractérisation et l’instrumentation.

On retrouve dans les cinq grandes centrales des moyens de croissance des matériaux (i.e. silicium, III-V, nitrures, matériaux 2D, oxydes fonctionnels, niobate de lithium), de structuration (i.e. lithographie électronique, laser, UV), et de caractérisation physique (i.e. TEM, diffraction X).. Depuis quelques années, les centrales élargissent l’offre technologique avec des bâtis de dépôt par Atomic Layer Deposition.

Les centrales régionales viennent compléter l’offre du réseau RENATECH et permettent aux chercheurs de combiner des techniques hybrides. On dénombre actuellement environ 24 centrales régionales, réparties sur tout le territoire. Elles offrent environ 5 000 m2 de salle blanche de micro-nanofabrication. Cet ensemble (RENATECH et les centrales régionales) forment aujourd’hui le réseau RENATECH+.