Rapport de conjoncture 2014

Section 26 Cerveau, cognition et comportement

Extrait de la déclaration adoptée par le Comité national de la recherche scientifique réuni en session plénière extraordinaire le 11 juin 2014

La recherche est indispensable au développement des connaissances, au dynamisme économique ainsi qu’à l’entretien de l’esprit critique et démocratique. La pérennité des emplois scientifiques est indispensable à la liberté et la fécondité de la recherche. Le Comité national de la recherche scientifique rassemble tous les personnels de la recherche publique (chercheurs, enseignants-chercheurs, ingénieurs et techniciens). Ses membres, réunis en session plénière extraordinaire, demandent de toute urgence un plan pluriannuel ambitieux pour l’emploi scientifique. Ils affirment que la réduction continue de l’emploi scientifique est le résultat de choix politiques et non une conséquence de la conjoncture économique.

L’emploi scientifique est l’investissement d’avenir par excellence
Conserver en l’état le budget de l’enseignement supérieur et de la recherche revient à prolonger son déclin. Stabiliser les effectifs ne suffirait pas non plus à redynamiser la recherche : il faut envoyer un signe fort aux jeunes qui intègrent aujourd’hui l’enseignement supérieur en leur donnant les moyens et l’envie de faire de la recherche. On ne peut pas sacrifier les milliers de jeunes sans statut qui font la recherche d’aujourd’hui. Il faut de toute urgence résorber la précarité. Cela suppose la création, sur plusieurs années, de plusieurs milliers de postes supplémentaires dans le service public ainsi qu’une vraie politique d’incitation à l’emploi des docteurs dans le secteur privé, notamment industriel.

Composition de la section

Georges Di Scala (président de section) ; Didier Le Ray (secrétaire scientifique) ; Fabienne Aujard ; Pascal Barone ; Patrick Bonin ; Catherine Del Negro ; Audrey Dussutour ; Alessandro Farne ; Cheryl Frenck-Mestre ; Rémi Gervais ; Christelle Lemoine ; Pascal Mamassian ; Chantal Mathis ; Emmanuel Mellet ; Élisabeth Pacherie ; Fernando Perez-Diaz
Membre de la section de 2012 à 2014.
; Denis Lancelin
Membre de la section à partir de 2014.
; Delphine Pins ; Joëlle Sacquet ; Francesca Sargolini ; Catherine Semal ; Dorine Vergilino-Perez.

Résumé

La section 26 du Comité National est composée d’un ensemble de disciplines en interactions fortes, comprenant la psychologie, l’éthologie et les neurosciences intégratives. Son champ d’investigation s’étend de l’identification des mécanismes moléculaires des fonctions cérébrales à l’étude de la cognition sociale. L’intitulé de la section résume parfaitement ses objectifs de recherche, à savoir l’étude du comportement en tant qu’expression objectivable des processus cognitifs et le décryptage des bases neurales des fonctions cognitives, en conditions normales et pathologiques.

Introduction

Identifier les règles d’interaction du sujet humain ou animal avec le monde qui l’entoure, comprendre le développement cognitif humain et ses spécificités (ex : langage), mais aussi comprendre l’organisation du système nerveux, la nature des relations qui unissent activités neuronales et fonctions (perception, motricité, attention, émotion, mémoire, raisonnement, décision…), et pénétrer les mécanismes (développementaux, dégénératifs ou autres) qui conduisent à un fonctionnement pathologique, constituent des buts essentiels de la recherche menée au sein de la section. Ces objectifs sont rendus possibles par un décloisonnement total des disciplines représentées au sein de la section 26, la psychologie, la philosophie cognitive et l’éthologie se nourrissant des approches et des techniques des neurosciences fondamentales, les neurosciences intégratives s’immergeant dans les concepts de la psychologie et l’étude des comportements humains et animaux. Cependant, par souci de simplicité, ce rapport présente successivement les différentes grandes disciplines, à savoir la psychologie, l’éthologie, et les neurosciences.

La section 26 est rattachée à l’Institut des Sciences Biologiques (INSB) et secondairement à l’Institut des Sciences Humaines et Sociales (InSHS). Elle partage des centres d’intérêt et des réflexions communes avec les sections 25 « Neurobiologie moléculaire et cellulaire, neurophysiologie », 29 « Biodiversité, évolution et adaptations biologiques : des macromolécules aux communautés », 34 « Sciences du langage » et 35 « Sciences philosophiques et philologiques, sciences de l’art », ainsi qu’avec la Commission Inter Disciplinaire (CID) 51 « Modélisation et analyse des données et des systèmes biologiques : approches informatiques, mathématiques et physiques ». Les objectifs de recherche de la section 26 rencontrent également ceux promus par l’Institut Thématique Multi-Organismes (ITMO) « Neurosciences, Sciences Cognitives, Neurologie, Psychiatrie » de l’Alliance Vie et Santé (AVIESAN). La section 26 comprend 323 chercheurs et est section primaire de 26 laboratoires (UMR et UPR), 5 unités de services (UMS), 2 Fédérations de Recherche (FR) et 6 Groupements de Recherche (GDR). Elle est aussi section secondaire pour 20 autres laboratoires (rattachés primairement à une autre section liée à l’INSB ou à une section liée à l’InSHS, l’INC, l’INEE, INS2I ou l’INSIS), 2 UMS, 2 FR, 2 FR CNRS et 1 GDR.

I. La Psychologie

La psychologie dans la section 26 du CNRS n’a pas d’équivalent dans les autres EPST dédiés aux Sciences de la Vie tels que l’INSERM, mais elle correspond en partie aux larges domaines couverts par les sections 16 et 69 du CNU. Les principaux thèmes et spécialités comprennent les études sur la perception visuelle et auditive, la psycholinguistique, l’apprentissage et la mémoire, la psychologie sociale, l’ergonomie cognitive, la cognition incarnée et située. La philosophie cognitive constitue un domaine indépendant, qui alimente une réflexion originale pour les sciences cognitives. Parce qu’elle partage avec la psychologie de nombreux centres d’intérêts, elle est présentée dans ce chapitre.

1. La perception visuelle et auditive

L’étude de la perception participe fondamentalement à la compréhension du fonctionnement du cerveau humain grâce à une interaction interdisciplinaire réussie. Ces études ont bénéficié d’une représentation neurophysiologique idéalement structurée des sens (rétinotopie, tonotopie…), de manipulations fines de stimuli en psychologie expérimentale et d’outils puissants de modélisation mathématique. La communauté française a joué et joue toujours un rôle clé dans l’évolution de nos connaissances en perception, en particulier dans les domaines de la psychophysique visuelle et auditive. Cependant, la France demeure en retrait tant en nombre d’unités qu’en nombre de chercheurs ou d’enseignants-chercheurs : par exemple, la Grande-Bretagne, l’Allemagne et les Pays-Bas ont des effectifs de chercheurs jusqu’à dix fois supérieurs. Les chercheurs français de ces domaines se sont rassemblés récemment pour constituer des groupements de recherche (GDR) interdisciplinaires associant psychologues, modélisateurs et neuroscientifiques, en particulier les GDR-Vision et GRAEC (Groupement de Recherche en Audiologie Expérimentale et Clinique) pour la perception visuelle et auditive, respectivement.

En perception visuelle, quatre grands thèmes caractérisent la recherche française. (1) L’analyse des images et de la vision naturelle se consacre à l’étude des traits élémentaires pertinents pour le système visuel (orientation, fréquence spatiale, disparité, excentricité, couleur, direction), les modes de traitements de ces traits (sélectivité, bande passante, organisation) et leur inscription dans l’architecture fonctionnelle complexe des aires visuelles primaires. Les études récentes s’intéressent en particulier aux objets complexes, constitués d’une collection de ces traits élémentaires, ainsi qu’aux scènes naturelles. (2) Les études sur la localisation d’objets dans l’espace tridimensionnel et la reconnaissance d’objets ont trouvé un nouvel essor suite à de récentes avancées technologiques (cinéma 3D, reconnaissance automatique des visages). L’interaction sur cette thématique entre recherches fondamentale et industrielle (PME et grands groupes) a été particulièrement riche dans les deux sens. (3) L’inférence perceptive est devenue une thématique de recherche en soi. Ces études portent sur la catégorisation rapide des scènes naturelles, la modélisation des décisions perceptives (modèles Bayésiens, théorie de la détection du signal, modèles de diffusion). (4) Le dernier thème concerne les interactions entre la vision et d’autres informations sensorielles (haptique, auditive..) ou sensorimotrice (copie d’efférence, signaux extrarétiniens). Les problématiques abordées touchent à la nature et à la dynamique des représentations visuelles dans le contexte spécifique des saccades (recherche visuelle) et de la poursuite oculaire, avec pour souci de mieux comprendre la stabilité de notre perception du monde en dépit (ou grâce) à ces mouvements oculaires.

La perception auditive (hors traitement de la parole) fait l’objet, en France, de recherches dans les domaines de la psychophysique sensorielle, de la psychologie cognitive, de la neuropsychologie et de l’imagerie cérébrale. En ce qui concerne la psychophysique, on peut dégager trois thématiques majeures : (1) la ségrégation automatique de flux sonores simultanés et le liage perceptif de sons successifs ; (2) la sensibilité à l’enveloppe temporelle et la structure temporelle fine des sons, chez des auditeurs normaux ou atteints de pathologies cochléaires, ainsi que chez les porteurs d’implant cochléaire ; (3) la plasticité à court terme et à long terme de l’audition, telle qu’elle se manifeste dans des effets consécutifs et dans l’apprentissage. Cette troisième thématique, particulièrement d’actualité en France comme à l’international, est également développée par des psychologues cognitivistes spécialistes de la perception de la musique. Ceux-ci s’intéressent notamment aux traitements auditifs implicites à l’œuvre dans la perception de la musique, aux relations entre parole et musique et aux déficiences des sujets dits « amusiques ».

2. L’apprentissage et la mémoire

L’étude de la mémoire et de l’apprentissage reste un des thèmes de prédilection de la psychologie scientifique. Concernant l’apprentissage, les chercheurs français ont contribué à l’émergence des travaux actuels sur l’apprentissage implicite et sont au cœur des débats les plus vifs sur ces questions. La recherche française a permis une avancée importante de ce domaine en proposant des modèles théoriques originaux qui permettent de repenser les rapports entre conscience, mémoire et apprentissage. Les travaux sur l’apprentissage ne portent plus seulement sur l’apprentissage de la lecture, mais envisagent aussi le calcul, la musique, le temps et l’espace. Concernant la mémoire à court terme, des chercheurs français ont fait une percée dans l’étude de la mémoire de travail, système cognitif chargé du maintien et du traitement simultané de l’information. Ce concept a rencontré un succès considérable et continue à susciter de nombreux travaux. La mémoire à long terme fait également l’objet de nombreux travaux, notamment la mémoire épisodique. Les chercheurs français se focalisent sur le fonctionnement mnésique chez des adultes et des personnes âgées (vieillissement normal) ou bien encore sur les connaissances que les individus ont de leur fonctionnement mnésique : la méta-mémoire. Les travaux sont aussi très nombreux chez les personnes âgées atteintes de la maladie d’Alzheimer. D’une manière générale, ces travaux tentent de comprendre les mécanismes sous-jacents à la mémorisation et à la récupération d’une information pour ensuite proposer une remédiation aux différents troubles mnésiques. Les pathologies de la mémoire à long terme sont bien étudiées dans notre pays. La mémoire est envisagée en France essentiellement dans une perspective que l’on peut qualifier de « structurale », c’est-à-dire que les études se focalisent sur la façon dont les individus encodent et récupèrent des informations, les facteurs qui jouent sur ces étapes ou encore la nature des traces mnésiques élaborées. La question du « pourquoi » la mémoire possède telles ou telles caractéristiques fonctionnelles, c’est-à-dire une perspective évolutionniste de la mémoire, qui a été récemment développée aux États-Unis, est une approche encore peu suivie en France.

3. La psycholinguistique

La psycholinguistique s’intéresse à l’acquisition du langage et à son traitement. Elle intègre actuellement plusieurs techniques expérimentales et on observe une porosité très fructueuse entre l’approche traditionnelle de la psychologie expérimentale (i.e. chronométrie mentale) et celle des neurosciences cognitives (IRMf et EEG), souvent complétée par l’élaboration de modèles d’inspiration connexionniste.

En psycholinguistique adulte, dans le domaine des études sur l’accès au lexique mental en lecture, en perception auditive, en production verbale orale et, dans une moindre mesure, en production verbale écrite, la France est devenue et reste l’un des pays majeurs pour l’élaboration de modèles. Ces modèles ne se contentent pas de spécifier les niveaux fonctionnels de traitement mais ils identifient aussi, désormais, leurs substrats neuronaux et leur dynamique temporelle d’activation. De plus en plus de travaux en psycholinguistique adulte ont recours à des expériences dans lesquelles de nombreux stimuli (des mots, des images) sont utilisés et l’impact de nombreux facteurs (essentiellement linguistiques, la fréquence, la longueur) est étudié au moyen de modèles statistiques qui prennent simultanément en compte la variabilité provenant des participants et des items (modèles mixtes). Ainsi, les études sont-elles consacrées à la collecte de normes psycholinguistiques (valeur d’imagerie, valence émotionnelle) à partir de longues listes de mots ou de stimuli imagés. Les études en lecture ou en production verbale tentent également d’identifier des différences interindividuelles dans la sensibilité aux différentes variables psycholinguistiques. Les recherches en psycholinguistique sont moins développées concernant la compréhension (en lecture ou audition) d’unités supérieures aux mots. Ainsi, y a-t-il moins d’études en France que dans d’autres pays concernant la compréhension de phrases, de discours ou textes, sauf, sans doute, en ce qui concerne la compréhension de textes procéduraux relativement bien étudiés en ergonomie cognitive.

La psycholinguistique développementale, c’est-à-dire l’étude du développement du langage, demeure aussi un point fort des recherches en France. Des recherches sont conduites sur l’acquisition du langage parlé afin d’identifier les indices qui sont extraits dans le signal et qui constituent les unités d’élaboration des différents « mots » de la langue. Des travaux ont ainsi mis en évidence la sensibilité des bébés aux propriétés rythmiques qui peuvent distinguer les langues entre elles. Les regroupements prosodiques pourraient alors constituer une base essentielle de la distinction entre les « petits » mots grammaticaux et les autres mots. Les travaux sur l’acquisition de la langue écrite, notamment sur la lecture ou encore sur l’orthographe, sont aussi bien développés en France. La question des troubles de l’acquisition de la lecture, comme la dyslexie, est un thème sur lequel des chercheurs français consacrent des études reconnues sur le plan international. Par contre, les travaux sur le bilinguisme sont sans doute moins développés en France que dans d’autres pays. En effet, bien que présentes et de niveau international, les études françaises ayant trait aux mécanismes engagés dans l’apprentissage des langues secondes et aux structures cérébrales impliquées dans le mono- et le bilinguisme sont plus limitées, alors que la majorité des populations est en contact avec plus d’une langue.

4. La psychologie sociale

L’être humain est un être biologique mais ancré socialement et la caractéristique fondamentale de la psychologie sociale expérimentale est d’intégrer cette dimension sociale et culturelle dans la description et l’explication des comportements humains. Cette discipline s’appuie sur les concepts et méthodes de la psychologie cognitive. L’étude de la régulation sociale des fonctionnements cognitifs est l’une des originalités de la psychologie sociale expérimentale. Les travaux conduits dans cette perspective ont montré que certains processus cognitifs longtemps jugés fortement automatiques (traitement lexical/sémantique de mots isolés) s’expriment en réalité de manière différenciée selon que l’individu est ou non placé en présence de ses congénères. Depuis quelques années, certains de ces travaux s’ancrent dans les neurosciences sociales et visent à identifier les bases neuronales des régulations liées au contexte social chez l’Homme. Les travaux dans ce domaine, et plus généralement en psychologie sociale expérimentale, alimentent certaines disciplines en émergence, en particulier la neuroéconomie et les neurosciences sociales ou affectives.

Les recherches en psychologie sociale s’intéressent aussi aux mécanismes complexes de catégorisation et de comparaison qui régulent la perception de soi et d’autrui, l’identité sociale et les relations entre groupes (e.g. biais de favoritisme intragroupe et discriminations envers les extérieurs au groupe). Elle s’intéresse, en particulier, aux stéréotypes et à leur impact sur l’auto-perception et les performances. Les études conduites en psychologie sociale s’intéressent aussi aux différences de normes et de valeurs culturelles. Par exemple, les sociétés dans lesquelles une politique de multiculturalisme vigoureuse est mise en œuvre ont des normes culturelles favorables à la diversité et ces normes conduisent au développement d’une plus grande tolérance dans les rapports entre groupes. Une meilleure compréhension de ces différents mécanismes est nécessaire pour aborder et résoudre de multiples problèmes sociétaux (violence, racisme).

Parmi les nouveaux défis de la psychologie sociale figure l’interface entre la biologie et la culture. De manière traditionnelle, on oppose les explications « biologiques » et les explications « sociales » du comportement. Mais des travaux de psychologie sociale tendent à remettre en question cette opposition en intégrant des mécanismes de l’évolution biologique aux mécanismes liés au développement et l’évolution des cultures. Enfin, cette discipline largement interdisciplinaire est riche de potentialités en ce qui concerne les applications dans des champs aussi divers que l’éducation, la santé, le travail et les décisions économiques, ou encore l’expertise judiciaire.

5. L’ergonomie cognitive

L’étude du fonctionnement cognitif dans des situations spécifiques (travail, conduite automobile, usage des nouvelles technologies et de la réalité virtuelle, handicap, santé, recherche sur le Web…) est aussi bien développée dans notre pays. Aujourd’hui, les individus sont conduits quotidiennement à dialoguer par l’intermédiaire d’ordinateurs, de nombreux services utilisent des serveurs pour interagir avec des usagers et le développement des MOOC (massive open online courses) connaît une accélération ainsi que toutes sortes d’applications mobiles. Les travaux de psychologie cognitive conduits dans des laboratoires français permettent de tenir compte des résultats fondamentaux pour améliorer les interactions homme-machine. L’ergonomie cognitive reste l’un des domaines essentiels où les recherches de psychologie cognitive trouvent des applications. La création récente de l’association ARPEGE, issue du GDR-PsychoErgo, permet d’augmenter la synergie entre les acteurs français dans ce domaine relevant de la section 26. Toutefois, l’ergonomie cognitive mérite d’être encore renforcée, non seulement pour contribuer à faire face aux nouveaux défis technologiques, mais aussi parce que, du fait même de sa confrontation permanente à des situations complexes, ce secteur livre des résultats intéressants et en réalité indispensables à la recherche fondamentale sur la cognition.

6. La cognition incarnée
et située

Les théories de la cognition dite incarnée ou située postulent que la cognition ne peut être comprise sans tenir compte des interactions avec le corps dans lequel elle s’incarne et l’environnement dans lequel elle se situe. Elles s’opposent en ce sens aux conceptions traditionnelles qui considèrent le fonctionnement cognitif d’un individu comme un système opérant sur des représentations amodales, découlant d’un traitement symbolique de l’information. Les théories de la cognition incarnée prônent au contraire un lien étroit entre perception, action et cognition, les représentations et les connaissances étant supposées modales, créées par l’expérience de l’individu dans son environnement, et donc ancrées sur le monde. L’intérêt croissant pour cette perspective se traduit par un nombre exponentiel d’études publiées depuis une dizaine d’années, en particulier dans le champ de la psychologie cognitive et sociale, mais également dans d’autres disciplines touchant aux sciences cognitives telles que la linguistique, la philosophie, les neurosciences, l’intelligence artificielle et la robotique. De nombreuses études comportementales ou de neuro-imagerie démontrent ainsi la participation des systèmes sensorimoteurs dans la perception, la compréhension du langage, l’apprentissage ou encore les interactions sociales. En France, les travaux de plusieurs équipes de recherche sur la mémoire, le langage, la cognition sociale ou les relations perception-action s’inscrivent désormais dans cette perspective.

7. La philosophie cognitive

Les relations entre philosophie et sciences du cerveau et de la cognition prennent des formes multiples. Par exemple, la philosophie de la biologie s’intéresse de très près aux neurosciences, à leurs concepts et leurs méthodes, tandis que la neuroéconomie exploite les outils formels développés par les logiciens et les théoriciens de la décision. Toutefois, c’est sans doute entre philosophie et psychologie que se sont tissés les liens les plus étroits. Les recherches menées en France à l’interface entre philosophie et sciences cognitives se concentrent, à l’exception de quelques chercheurs isolés, dans deux laboratoires parisiens. Les recherches en philosophie du langage et en logique portent notamment sur les liens entre sémantique linguistique et ontologie, sur l’interface sémantique/pragmatique, sur l’indexicalité et les processus référentiels. Un nombre important de travaux sont consacrés à la conscience, y compris la conscience de soi, dans ses différentes modalités. Dans le domaine de la perception, l’étude de sa multi-modalité, sa pénétrabilité cognitive et ses relations avec l’imagination sont parmi les points forts des travaux menés en France. Les recherches novatrices conduites sur les représentations et les expériences corporelles constituent un travail de fond permettant de préciser le concept de cognition incarnée. Les travaux sur la modélisation des processus de décision, individuelle ou collective, et sur les représentations impliquées dans la préparation et le contrôle de l’action contribuent à l’élaboration d’un cadre conceptuel commun pour une approche interdisciplinaire de la décision, de l’action et de la rationalité. Les recherches sur la cognition sociale, en lien étroit avec la psychologie cognitive, les neurosciences sociales, la théorie de l’évolution, l’économie comportementale et la neuroéconomie, sont en plein essor et font l’objet de nombreuses collaborations entre philosophes et chercheurs de ces disciplines, par exemple à travers des travaux sur l’intentionnalité partagée (neurones miroirs, empathie), les émotions sociales, la théorie argumentative du raisonnement, l’émergence évolutionnaire de la coopération et du sens moral, ou l’interface entre la biologie et la culture. Des travaux sont également menés sur les différents formats de représentation des connaissances et sur leurs processus de validation, notamment en lien avec les problématiques de maîtrise des volumes massifs de données qu’engendrent les nouvelles technologies de l’information et de la communication. Enfin, la philosophie expérimentale a pris son essor en France au cours des dernières années, avec par exemple des travaux sur les intuitions morales, l’intentionnalité et le libre-arbitre.

II. L’Éthologie

L’éthologie est la science qui étudie le comportement des animaux ainsi que ses déterminants physiologiques, psychologiques et environnementaux. En section 26, elle comprend des champs disciplinaires variés tels que l’éco-éthologie, la neuro-éthologie, l’éthologie sociale, l’éthologie fonctionnelle, la génétique du comportement… Des thèmes apparentés mais relevant de la sociobiologie et de la biologie des populations sont présents en section 29 « Biodiversité, évolution et adaptations biologiques : des macromolécules aux communautés ». L’éthologie en France est organisée au travers de différentes structures : le GDR-Éthologie, la société française d’étude du comportement animal (SFECA) dont l’objectif est de promouvoir les recherches dans le domaine de la biologie du comportement, et le Groupement d’Intérêt Scientifique (GIS) « Cerveau-Comportement-Société » qui vise à faire émerger des actions communes de recherche et de formation (Master 2 « Comportement Animal et Humain »).

1. Des comportements individuels aux comportements collectifs

La biologie des systèmes ouvre une nouvelle ère dans l’étude du comportement animal. Le principal enjeu est de comprendre comment les propriétés observées à l’échelle d’un système biologique (exemple : société animale) émergent d’un ensemble complexe d’interactions entre ses différents éléments (individus). À chaque niveau d’organisation, un très grand nombre de constituants interagissent de manière non-linéaire et permettent au système de s’auto-organiser de manière spontanée. Pour comprendre ces phénomènes, la biologie des systèmes adopte une démarche itérative et intégrative, en combinant des approches expérimentales et théoriques dans lesquelles la modélisation mathématique et la simulation jouent un rôle central. Ces modèles sont construits à partir des lois établies à l’échelle des constituants et permettent ensuite une analyse des propriétés résultant de leurs interactions. Les simulations numériques de ces modèles permettent en particulier de déterminer les effets qualitatifs et quantitatifs de chaque paramètre du comportement de chacun des éléments sur la dynamique et les caractéristiques spatiales et/ou temporelles des phénomènes produits à l’échelle collective. En suivant pas à pas la méthodologie fournie par la théorie des systèmes complexes, associant étroitement expérience et modélisation, il est possible de comprendre un grand nombre de phénomènes collectifs à différents niveaux d’organisation. La littérature éthologique s’enrichit aujourd’hui rapidement d’études qui font reposer les productions collectives sur des règles de fonctionnement des opérateurs individuels. Cela peut aller du comportement de nage des bancs de poissons jusqu’à la construction des nids chez les termites ou les guêpes, l’exploitation collective des ressources trophiques chez les fourmis ou encore l’organisation sociale de groupes d’insectes, d’ongulés ou de primates. La France est reconnue comme l’un des pays phares en matière d’étude des comportements collectifs.

2. Éthologie, plasticité, variabilité et personnalités

L’existence de stratégies alternatives du comportement est centrale à plusieurs domaines conceptuels de l’éthologie. Récemment, des chercheurs ont observé des différences comportementales interindividuelles qui sont à la fois consistantes entre contextes et répétables dans le temps (e.g. des gradients au niveau de l’agressivité, de la timidité, du stress, de l’exploration). Appelées syndrome comportemental, tempérament ou encore personnalité, ces variations interindividuelles ont des implications évolutives potentiellement importantes. En effet, si les différences entre individus dans ces traits comportementaux sont exprimées d’une façon prévisible, indépendamment des conditions environnementales, et que la sélection des traits varie selon le contexte écologique, ceci peut promouvoir le maintien de la variabilité comportementale au niveau de la population, car ces traits sont potentiellement héritables et liés à la valeur sélective (fitness). Les études de « personnalité animale » ont connu un essor spectaculaire en écologie comportementale depuis une dizaine d’années. Leur succès tient en majeure partie à la prise en compte de la variation phénotypique à une échelle intra-populationnelle auparavant négligée.

3. La neuroéthologie

La compréhension des bases neurophysiologiques du comportement est un aspect fondamental de l’éthologie. Elle rejoint en cela les neurosciences. Au carrefour de ces deux disciplines, la neuroéthologie tire sa spécificité du fait qu’elle s’appuie sur les particularités de l’espèce étudiée pour identifier les substrats neuronaux qui sous-tendent les comportements. Chez certaines espèces, les remarquables capacités qui s’observent, offrent une approche originale pour aborder la question des mécanismes fins qui sous-tendent ces capacités. En France, la neuroéthologie réserve une place importante à l’étude des processus d’apprentissage, de mémoire et de communication. Dans une approche intégrative qui va du comportement à la molécule, que ce soient chez des invertébrés (abeilles) ou des Vertébrés (oiseaux, rongeurs), les chercheurs tentent de comprendre comment l’individu extrait de son environnement naturel les informations pertinentes qui lui permettront d’avoir un comportement adapté à son milieu et, notamment, dans le domaine des relations sociales. La dimension interdisciplinaire de la neuroéthologie s’étend, au-delà de la neurobiologie et de la physiologie, aux sciences humaines et sociales et à la santé. L’alliance entre des recherches sur le comportement d’animaux dans leur milieu naturel et des investigations sur les processus neurophysiologiques en laboratoire constitue une priorité de la neuroéthologie. Il y a fort à parier que la neuroéthologie jouera un rôle de plus en plus central dans la relation éthologie-société (relation Homme/animal, bien-être, conservation…).

4. L’éthologie, au-delà des animaux

L’éthologie n’a pas vocation à limiter ses études à un nombre réduit d’espèces. Au contraire, la diversité des modèles animaux présents dans les études éthologiques permet de découvrir des compétences comportementales et/ou cognitives qui resteraient insoupçonnées si l’on ne se référait qu’aux « modèles expérimentaux classiques ». En cela, l’éthologie enrichit considérablement les débats sur l’évolution, la physiologie, les sciences cognitives… permettant de dépasser les habituelles comparaisons Hommes/singes/rongeurs. La richesse des modèles utilisés montre bien la diversité des adaptations physiologiques et cognitives, ainsi que les convergences à des niveaux phylogénétiques différents. Récemment, l’éthologie s’est étendue à des organismes négligés, car en dehors du règne animal, tels que les plantes, les bactéries, les protistes, les virus… Or, les stratégies comportementales et les capacités cognitives de ces organismes sont souvent surprenantes. La génétique moléculaire fait apparaître aujourd’hui que, derrière l’énorme diversité du vivant, se cache une intrigante unité. Cette dualité entre diversité extérieure et unité de structure et de fonctionnement se retrouve à différents niveaux. Les mêmes processus règlent le métabolisme d’organismes aussi différents que des rongeurs, des mollusques et des bactéries. Le même code génétique permet la transmission de l’information de génération en génération aussi bien chez les plantes que chez les animaux. En ce sens, l’éthologie comparative peut apporter beaucoup dans la compréhension des processus évolutifs et des mécanismes qui sous-tendent le fonctionnement des organismes. Certains chercheurs ont utilisé des approches éthologiques afin de caractériser le comportement des cellules au sein des organismes vivants, comme les cellules cancéreuses, ou encore le comportement des protistes.

5. Le futur de l’éthologie

Au carrefour de la physiologie, de l’écologie, de la sociologie, de la psychologie sociale et des neurosciences, l’éthologie connaît des enjeux majeurs pour l’avenir. Ainsi, ces dernières années, l’épigénétique, à savoir l’ensemble des modifications héritables de l’expression du génome et des processus héritables par voie non génétique, a émergé comme une discipline incontournable pour la compréhension des processus biologiques. Les avancées extraordinaires des techniques de séquençage permettent aujourd’hui l’analyse conjointe des génomes, épigénomes et transcriptomes dans toute leur complexité. Ces technologies sont devenues accessibles à des équipes qui n’utilisaient pas couramment la biologie moléculaire classique, donnant ainsi un nouvel élan aux recherches qui visent à élucider les interrelations gène-environnement-phénotype dans les processus d’adaptation et d’évolution. La découverte de l’épigénome et la caractérisation de sa dynamique sont en train de bouleverser profondément notre vision des mécanismes de l’hérédité et de l’adaptation.

Une autre forme d’hérédité non génétique du comportement est l’hérédité culturelle, dans laquelle l’information qui affecte le comportement individuel est transmise socialement, verticalement ou horizontalement. Jusqu’à récemment, l’influence des sciences sociales humaines avait limité l’étude du phénomène culturel à la seule espèce humaine. Aujourd’hui, force est de constater que la transmission sociale existe chez de très nombreux Vertébrés et invertébrés, où elle peut prendre des formes très variées, comme l’imitation d’un comportement, le copiage des choix d’un autre individu, l’apprentissage social ou l’imprégnation sociale. La communauté des éthologistes n’a fait qu’effleurer la question des processus culturels. Les recherches futures dans ce domaine devront, en effet, continuer à s’efforcer de préciser comment et à quel rythme les comportements transmis socialement se diffusent au sein des populations, comment la transmission culturelle est elle-même contrainte par les capacités cognitives des individus, comment la plus ou moins grande fidélité de la transmission réduit la diffusion ou au contraire agit comme un générateur de nouveauté, et enfin quelles sont les conditions écologiques qui favorisent la transmission sociale de l’information aux dépens de l’apprentissage individuel.

Suite aux changements climatiques, des événements environnementaux extrêmes menacent la biodiversité et sont susceptibles, à terme, de réduire la disponibilité alimentaire et influencer ainsi la physiologie des animaux sauvages. De plus, ces changements pourraient compromettre les capacités cognitives des animaux, comme par exemple les réponses aux prédateurs, la communication, la coordination sociale et les prises de décision. Bien que la question de la cognition en interaction avec l’environnement ait longtemps été ignorée de l’écologie comportementale, elle constitue sans aucun doute un des grands défis de l’écologie comportementale dans les années à venir.

6. L’Éthologie à l’heure des réseaux

Les animaux qui vivent en groupe s’associent de façon non aléatoire. Étudier la dynamique de ces groupes permet de mieux comprendre comment les comportements individuels influencent la structure du groupe, de la population et de l’espèce. En 2012, le Social Network Analysis in Animal Societies (SNAAS) a été créé au sein du GIS « Réseau National des Systèmes Complexes » qui regroupe plusieurs représentants des grands organismes de recherche (CNRS, CIRAD, IFREMER, INRA, INRIA, INSERM, IRD, IRSTEA) et des universités et des grandes écoles. Le SNAAS vise, dans un premier lieu, à sensibiliser les éthologues à la méthode d’analyse des réseaux sociaux, puis de démontrer comment les réseaux sociaux influencent les comportements individuels et collectifs. Il regroupe des chercheurs (dont une vingtaine de jeunes éthologistes en France) qui étudient les réseaux sociaux afin de comprendre, par une approche comparative de différents groupes d’animaux, comment les interactions interindividuelles façonnent des structures complexes et stables, qui ont elles-mêmes une incidence sur les comportements individuels et donc sur leur valeur de survie. Ce projet permettra donc de comprendre comment une structure de niveau supérieur (population, société) peut être sélectionnée et avoir un impact, d’un point de vue évolutif, sur le niveau inférieur qu’est l’individu et son génome et, à terme, de mieux comprendre des phénomènes sociaux tels que l’émergence des cultures chez les animaux et les humains, ainsi que les fissions de groupe et la dispersion des animaux. Le SNAAS met bien en évidence le dynamisme de cette discipline, avec un premier workshop organisé avec succès en 2013, qui sera suivi de la rédaction d’un livre, et la direction de déjà deux numéros spéciaux dans des revues d’éthologie.

III. Les neurosciences

Les objectifs des neurosciences intégratives sont multiples et visent tout d’abord à comprendre le fonctionnement du cerveau, à décrypter les bases neurales de la plasticité cérébrale, des adaptations comportementales et des fonctions cognitives comme la perception, l’apprentissage et la mémoire, l’attention, les émotions ou la prise de décision. Un second objectif, tout aussi essentiel, consiste à identifier les mécanismes responsables des pathologies du système nerveux et à proposer des pistes thérapeutiques. Afin de faire face à la complexité du cerveau et à ses multiples niveaux d’organisation, depuis les édifices macromoléculaires formant les constituants élémentaires des cellules nerveuses, les réseaux de signalisation intra et intercellulaires, les connexions cellulaires et circuits locaux, jusqu’à la connectivité à grande échelle dans l’organisation anatomique globale du cerveau, les chercheurs de la section 26 ont su créer des interfaces fortes avec d’autres domaines de la biologie, ainsi qu’avec la physique, la chimie, l’informatique et les mathématiques, sans oublier les sciences humaines et sociales.

1. Du gène au comportement

Le formidable développement des connaissances dans le domaine de la post-génomique fonctionnelle et de la biologie cellulaire et moléculaire du neurone a permis de nouvelles synergies avec les neurosciences comportementales et cognitives, entraînant des percées importantes dans la compréhension des bases moléculaires du comportement et dans la modélisation des pathologies du cerveau. L’approche génomique des bases moléculaires du comportement a maintenant recours à des atlas d’expression génique ciblée, à des analyses de profils de transcription en relation avec un phénotype (ou un état) aussi bien qu’à une recherche d’association entre phénotype et polymorphismes de séquence au sein d’une population. Ces analyses du transcriptome permettent notamment de détecter la signature d’une pathologie ou d’un état (autisme, sevrage aux drogues, consolidation mnésique) à travers un pattern spécifique de transcription. Les avancées de nos connaissances sur les bases génomiques de nos modèles d’études et celles des techniques de transgénèse permettent de produire de nouveaux modèles d’animaux transgéniques, avec un meilleur contrôle des sites d’insertion des gènes d’intérêt et une plus grande facilité de modulation spatio-temporelle de l’expression de ces gènes. De plus, dérivé technologique des manipulations génétiques, les approches d’optogénétique permettent d’activer ou de mettre sous silence de façon sélective des populations neuronales ciblées. Le succès de ces techniques est en partie lié à la relative facilité d’accès au matériel de base et aux souris permettant ces manipulations de l’activité neuronale. La précision spatio-temporelle et la sélectivité de ces techniques sont telles qu’elles permettent une dissection fonctionnelle extrêmement poussée des réseaux neuronaux normaux et pathologiques. L’étude des processus de régulations épigénétiques connaît aussi un engouement justifié en neurosciences comportementales. Un grand nombre de projets analyse les conséquences de l’expérience du sujet, d’un traitement pharmacologique ou d’une manipulation génétique sur une palette de plus en plus étendue de mécanismes de régulation épigénétique. Ce type d’analyse permet de mettre en évidence des altérations de la chromatine, souvent durables et auto-entretenues, qui induisent des modifications spécifiques du pattern d’expression génique.

L’étude de la neurogenèse adulte hippocampique ou bulbaire connaît actuellement une grande expansion. L’implication des nouveaux neurones dans les processus perceptifs et cognitifs était généralement acceptée mais les travaux récents démontrent que les stades de développement de ces nouveaux neurones pourraient jouer un rôle critique dans l’évolution de leurs propriétés et, donc, de leur fonction au sein du réseau neuronal qu’ils intègrent. L’impact de l’arrivée de ces nouveaux neurones sur d’autres formes de plasticité neuronale au sein de ce réseau est progressivement mis à jour. Inversement, l’expérience du sujet affecte de façon marquée différents aspects de la neurogenèse, de la prolifération à la maturation morphologique et fonctionnelle des nouveaux neurones. Ce domaine de recherche bénéficie d’avancées technologiques importantes permettant d’identifier différentes populations de nouveaux neurones en fonction de leur âge et d’étudier leur niveau d’activation respectif suite à une stimulation expérimentale. Par ailleurs, on assiste à une multiplication des outils de biologie moléculaire permettant de préciser le stade de développement des nouveaux neurones avec une plus grande finesse, ainsi que des lignées de souris transgéniques permettant de moduler directement la neurogenèse ou l’activation des nouveaux neurones afin d’en disséquer plus précisément les rôles fonctionnels. Le développement de techniques de marquage (ex : molécule ligand, anticorps passant la barrière hémato-encéphalique, vecteurs viraux) couplées à une imagerie in vivo de plus en plus performante (résolution spatiale et temporelle) permet actuellement de visualiser l’évolution de la distribution microscopique ou macroscopique d’éléments cellulaires (ex : dendrites, synapses) ou de protéines d’intérêt (ex : peptide amyloïde), que ce soit dans un but de recherche fondamentale, ou comme outil de diagnostic dans des pathologies du cerveau ou de suivi des effets d’une thérapie. Au plan pharmacologique, outre la mise au point de nouvelles molécules thérapeutiques pour des approches en R&D, l’interaction chimie/biophysique/neurosciences apporte également des solutions novatrices pour favoriser la délivrance des molécules d’intérêt à leur cible.

2. À la recherche du code neural

Décrypter le code neural consiste à comprendre les règles des représentations neuronales telles que l’on peut les enregistrer à travers l’activité électrique de neurones individuels ou de larges populations. L’étude de ce codage neural est aujourd’hui au cœur des recherches de nombreuses équipes de neurophysiologie françaises, que ce soit dans le domaine sensoriel, moteur ou cognitif. Ces études représentent un enjeu majeur parce qu’elles conduisent déjà à la mise au point d’interface homme/machine et de systèmes de substitution sensorielle ou de restauration de certaines fonctions motrices.

L’étude électrophysiologique des variations d’activité neurale en relation avec l’activité comportementale a pris un essor particulièrement important. L’activité des réseaux de neurones n’est désormais plus analysée uniquement au sein d’une structure mais également en parallèle dans plusieurs structures interconnectées, grâce aux avancées technologiques dans la miniaturisation de sondes multisites in vivo et l’augmentation notable de la puissance des systèmes de traitement des signaux. Au cours de ces dernières années, le développement de nouvelles techniques d’enregistrement reposant sur l’utilisation de systèmes multi-électrodes a renouvelé les perspectives dans ce domaine, en offrant la possibilité d’explorer le fonctionnement du SNC au niveau mésoscopique, c’est-à-dire au niveau d’assemblées cellulaires, tout en préservant l’accès simultané à l’information cellulaire. Ces techniques rendent donc possible l’enregistrement simultané d’un grand nombre de neurones au sein de différentes régions cérébrales pendant la réalisation d’une tâche cognitive. Ces enregistrements se sont développés également chez l’Homme, grâce aux enregistrements intracérébraux réalisés chez les patients épileptiques pour établir leur bilan préchirurgical. Ces approches ont notamment permis de mettre en évidence l’apparition d’assemblées de neurones co-activés au sein des structures cérébrales à des étapes bien précises du déroulement d’une tâche comportementale (ex : point de choix, consolidation), ainsi que l’augmentation de la cohérence des activités de deux structures mobilisées au cours d’une tâche. L’analyse des différents types d’activité oscillatoire de ces assemblées de neurones et le rôle de différentes catégories de neurones (en particulier les sous-populations d’interneurones inhibiteurs) dans l’émergence et la régulation de ces activités synchrones mobilisent de plus en plus de laboratoires de la section 26. Ces approches ont été développées dans des domaines aussi variés que l’apprentissage et la mémoire ou la perception sensorielle. Les découvertes récentes à l’aide de ces nouveaux outils s’appuient, de plus, sur de nouvelles méthodes de traitement du signal et sur les neurosciences computationnelles. Face à cette évolution qui requiert de nouvelles compétences tout en imposant de nouvelles contraintes, la communauté française des neurophysiologistes s’est fédérée au sein du GDR « Multi-électrodes », très actif, qui offre des formations aux jeunes chercheurs et intensifie les collaborations entre les différentes équipes de recherche.

3. Apport de l’imagerie cérébrale

Depuis plus de deux décennies, les techniques d’imagerie cérébrale telles que l’imagerie par résonance magnétique (IRM) ou la tomographie par émission de positrons (TEP) ont permis des avancées majeures dans l’étude des bases neurales des fonctions cognitives chez l’Homme sain, au cours du développement et du vieillissement, ou dans des conditions pathologiques. Les méthodes de traitement automatisé des images 3D numériques (Voxel-based morphometry) et l’imagerie du tenseur de diffusion, qui permet d’avoir accès à la structure des faisceaux de substance blanche, ont produit une véritable renaissance de la neuroanatomie. Sur le plan de l’imagerie fonctionnelle, les protocoles dits « block design » ou « event-related design » ont permis d’identifier des aires cérébrales impliquées dans des tâches cognitives. La possibilité d’enregistrer en continu le signal BOLD et ses oscillations au cours d’une tâche donnée, permet grâce à une analyse adaptée (analyse en composantes indépendantes, par exemple) de révéler les réseaux sous-tendant les fonctions cognitives. Appliqués à l’état de repos, ce type de paradigme et d’analyse de données a permis d’aborder l’étude des bases neurales de ce que l’on appelle le « brain default mode », un état mental, métabolique et neural particulier qui correspond aux périodes d’activité spontanée et non dirigée du cerveau. Cette approche contribue à établir la carte macroscopique de la connectivité cérébrale (connectome). Dans ce contexte, la participation des laboratoires français aux grands projets internationaux de connectomique (ex : Human Connectome Project, Braintome, CONNECT…) pourrait être augmentée. Enfin, les méthodes telles que la TEP permettent le développement d’outils d’imagerie moléculaire particulièrement importants pour l’étude du fonctionnement cérébral normal et pathologique.

Le développement de la résonance magnétique à haut champ a permis d’ouvrir ce type de recherches à l’animal, chez le rongeur anesthésié et chez le singe éveillé engagé dans une tâche cognitive. Ces travaux, qui n’en sont qu’à leur début, permettent d’une part d’affiner la connaissance des mécanismes des opérations cognitives par l’approche lésionnelle (réversible et irréversible) et d’autre part de coupler ces études d’imagerie à des enregistrements électrophysiologiques. En effet, l’un des défis des prochaines années est d’intégrer dans un même schéma conceptuel les données électrophysiologiques obtenues depuis plusieurs décennies et celles issues de la neuroimagerie. Cette approche est le maillon indispensable pour comprendre les relations entre l’activité de neurones ou groupes de neurones, mise en évidence par l’électrophysiologie, et les activations cérébrales enregistrées en IRM. La mise en place récente en France de plateformes d’imagerie primate non humain permettra d’établir les homologies anatomiques et fonctionnelles entre l’Homme et le singe et de valider les modèles animaux de pathologies humaines. La connaissance des corrélats anatomo-fonctionnels conduit à l’identification de réseaux fonctionnels de neurones responsables de la fonction et dont la lésion, focale ou diffuse, aiguë ou progressive, est à l’origine de symptômes cliniques, qu’ils soient moteurs, perceptifs, ou mnésiques.

Une nouvelle thématique dans le domaine de la neuroimagerie cognitive a émergé au cours des dernières années, qui concerne l’identification de variants géniques associés à la variabilité des phénotypes cérébraux morphologiques ou fonctionnels. Cette thématique repose sur l’analyse conjointe de grandes banques comportant images cérébrales et données de génotypage chez les mêmes individus. Son émergence est rendue possible par le développement simultané d’analyses automatisées de neuro-images et de méthodes de génotypage à haut débit. La puissance statistique nécessaire à ce type d’approche a conduit à la création de consortia regroupant plusieurs dizaines de laboratoires, dont ENIGMA et CHARGE, et permettant d’accéder de ce fait à de très grands échantillons. Cette évolution est cohérente avec celle observée dans le domaine du comportement et de la physiologie (cf. les High Maintenance Cohorts). Elle doit s’accompagner, plus encore que les travaux d’imagerie menées ces dernières années, de la collaboration de multiples disciplines comprenant la génétique, la psychologie cognitive, l’informatique (gestion des très grandes bases de données) et les mathématiques, dont l’apport pour le développement et la mise en œuvre de méthodes statistiques multi-variées sur de grands échantillons est devenu crucial.

4. Apport des neurosciences computationnelles

Les quelque cent milliards de neurones interconnectés font du cerveau humain une structure extrêmement complexe capable de traiter une multitude d’informations simultanées en un temps record. En regard de cette complexité, il est évident qu’une approche modélisatrice est nécessaire pour fournir de nouveaux cadres conceptuels et de nouveaux objets d’analyse. Ces modélisations, alliant modèles mathématiques et réseaux formels neuro-informatiques, nécessitent des compétences diverses issues de différents champs disciplinaires. Les neurosciences computationnelles combinent ainsi l’expérimentation avec la théorie et les simulations numériques, ce qui permet d’ouvrir des possibilités nouvelles au niveau scientifique et des applications technologiques pour la conception de machines capables de traiter l’information du monde réel de façon « intelligente ». La neuro-informatique concerne plus spécifiquement la conception et la réalisation de méthodes d’analyse mathématique, la constitution de bases de données en neurosciences et les outils qui s’y rapportent. Les neurosciences computationnelles et la neuro-informatique combinent donc des spécialistes d’horizons différents (biologistes, physiciens, mathématiciens, informaticiens, ingénieurs et médecins). De ces études sont issus les principes du fonctionnement cérébral, formalisés sous forme de modèles théoriques qui sont ensuite testés par la simulation numérique. Ces modèles peuvent également être implémentés directement sur des circuits électroniques ou bien à plus grande échelle, à l’instar du Human Brain Project européen, pour tenter de simuler le fonctionnement du cerveau humain dans sa globalité grâce à des supercalculateurs. Ces approches computationnelles, telles que le projet Virtual Brain, incorporent les données fonctionnelles issues de l’imagerie cérébrale (EEG, MEG, connectivité fonctionnelle) et peuvent par la suite être utilisées comme outil pour investiguer les dysfonctionnements du cerveau et sa plasticité, en particulier dans les cas où les pathologies résultent d’interactions multiples dans le réseau cérébral. La structuration des neurosciences computationnelles a donné lieu à plusieurs ateliers Neurocomp.

5. Neurosciences cliniques

Les maladies neurodégénératives et les pathologies psychiatriques constituent aujourd’hui l’essentiel de la recherche en neurosciences cliniques. Dans le cadre de ces pathologies, deux priorités ont été affichées par le programme européen Horizon 2020 et reprises dans le rapport de l’ITMO « Neurosciences, sciences cognitives, neurologie, psychiatrie » dans sa contribution à la Stratégie Nationale de Recherche :

– Comprendre le fonctionnement et le dysfonctionnement du système nerveux (développement, maturation, vieillissement) en interaction avec le génome et l’environnement.

– Identifier les mécanismes à l’origine des maladies neurologiques et psychiatriques pour de nouvelles approches diagnostiques et thérapeutiques au travers d’une recherche translationnelle performante.

Dans ce contexte, ces dernières années ont vu se développer la recherche de biomarqueurs précoces. L’intérêt pour ces biomarqueurs s’est trouvé accentué par les approches dites « omiques », qui concernent la biologie moléculaire (génomique, transcriptomique, protéomique) et, plus récemment, l’imagerie cérébrale structurale et fonctionnelle et l’électrophysiologie, avec la connectomique qui connaît aujourd’hui un développement considérable. Ces biomarqueurs ont permis des avancées significatives dans le diagnostic, le pronostic, le traitement mais aussi la prévention des maladies neurodégénératives. Cette approche, couplée aux mesures de vigilance, perceptions sensorielles, performances cognitives (mémoires de reconnaissance épisodique et spatiale, langage, fonctions exécutives) et contrôle moteur, favorise une approche intégrative et pluridisciplinaire des processus impliqués dans la neuro-dégénérescence. Ils constituent un préalable indispensable au développement de la médecine personnalisée, qui est une priorité pour les pathologies neurologiques et psychiatriques étant donné la faible efficacité relative des traitements dans ces domaines. Les pathologies psychiatriques ont jusqu’à présent peu bénéficié de ces études « omiques ». Les approches connectomiques qui quantifient la variabilité de la connectivité cérébrale anatomique et fonctionnelle pourraient, si les résultats récents se trouvaient confirmés, permettre la mise en évidence de biomarqueurs encore absents dans ce domaine. Enfin, ces approches basées sur le recueil et l’analyse d’un très grand nombre de données souvent multimodales (data mining) concernent également les données comportementales, avec en particulier des études de cohortes de populations à risque (patients âgés, patients souffrant de pathologies de la locomotion…) ou pour lesquelles les données de santé sont quasiment inexistantes (étudiants).

Ces approches en plein développement ne doivent pas masquer les avancées produites par les études plus classiques basées sur le test d’hypothèses. Il a en particulier été possible d’approfondir de façon très significative la connaissance des réseaux cérébraux corticaux et sous-corticaux impliqués dans le contrôle des fonctions sensorielles, cognitives, affectives et motrices, ainsi que de permettre une meilleure compréhension du rôle des grandes voies de neurotransmission dans les maladies neurodégénératives, ouvrant alors des pistes thérapeutiques innovantes. Par exemple, l’analyse de l’implication de différents types de récepteurs, par l’utilisation d’animaux knock-out ou knock-in ou de lignées génétiques mutantes, permet de comprendre et d’affiner le rôle des grands systèmes de neurotransmission dans des maladies neurodégénératives de type Parkinson, Huntington ou Alzheimer. Les études cliniques qui en ont découlé ont, par exemple, permis de mettre en évidence de nouvelles populations neuronales (cholinergiques) impliquées dans le contrôle moteur chez les malades parkinsoniens et ouvert des pistes thérapeutiques complémentaires, voire alternatives, aux traitements impliquant les systèmes neuronaux dopaminergiques. Sur un versant comportemental, les travaux qui caractérisent les troubles cognitifs observés dans la pathologie mentale offrent de nouvelles possibilités thérapeutiques. On peut citer pour exemple les travaux sur la méta-mémoire chez les patients schizophrènes permettant d’améliorer les techniques de remédiation cognitive. Dans le domaine de l’autisme, citons également l’évolution paradigmatique importante que constitue l’étude du déficit de la motivation sociale, comparée aux hypothèses développées précédemment, centrées sur un déficit de théorie de l’esprit et/ou des fonctions exécutives. Cette évolution ouvre, ici encore, de nouvelles perspectives de prise en charge. D’autres exemples de synergie entre chercheurs et cliniciens ont permis des avancées importantes, telles que la stimulation cérébrale profonde du noyau sous-thalamique dans le trouble obsessionnel compulsif, la stimulation magnétique transcrânienne répétitive guidée par neuro-navigation dans les hallucinations, les innovations pharmacologiques dans l’autisme, les troubles anxieux et l’addiction, l’aide au dépistage d’une vulnérabilité à la schizophrénie, aux troubles bipolaires et à l’autisme, et de manière générale, la possibilité de suivre des projets « du laboratoire à la cité ». Dans ce contexte, le récent GDR-Recherche en psychiatrie, a pour objectif de créer un espace collaboratif de recherche en psychiatrie pour partager une stratégie scientifique à l’échelle nationale, en favorisant le développement d’approches méthodologiques dans le champ de la modélisation, le partage de données de santé, les neurosciences cognitives, l’imagerie, la modélisation animale, l’innovation diagnostique et thérapeutique… Toutefois, les PHRC restent essentiellement attribués à des essais multicentriques thérapeutiques et non à des études de physiopathologie, un constat que fait également l’ITMO « Neurosciences ». Les financements apparaissent donc cloisonnés, entravant la complémentarité entre les projets de recherche clinique et ceux de recherche plus fondamentale. Enfin, l’effort portant sur l’organisation de regroupements thématiques nationaux doit être maintenu. Il est également soutenu par les associations de patients et des familles de patients et favorise les collaborations internationales.

6. Recherches en neurosciences intégratives

Vision

L’utilisation des méthodes comportementales classiques ainsi que les plus récentes approches par neuroimagerie ont permis des avancées majeures dans le domaine de la perception visuelle. L’enjeu est de parvenir à élucider les bases neurales des fonctions visuelles en intégrant la complexité des différentes échelles de l’organisation du système nerveux. Les travaux actuels combinent des études chez l’animal, l’Homme sain et le patient (psycho-physique, EEG, IRMf, TMS, enregistrements intracrâniens, imagerie photonique chez l’animal) avec des approches théoriques et des études de modélisation. Ces travaux ont pour objectif de déterminer les mécanismes clefs qui sous-tendent la remarquable efficacité des systèmes visuels biologiques de la perception – des traits visuels à la reconnaissance de scènes naturelles complexes –, d’analyser comment l’apprentissage et l’expertise peuvent structurer nos représentations visuelles, de cerner les effets délétères du vieillissement sain et pathologique sur la vision… Il s’agit alors de déterminer les représentations neurales de l’information visuelle, d’étudier la complexité et la dynamique des réseaux cérébraux impliqués dans le traitement sensoriel et la formation de percepts visuels, aussi bien qu’au cours de l’adaptation fonctionnelle et de la plasticité. Le récent développement des techniques d’enregistrement en IRMf chez le singe vigile permet aujourd’hui des approches parallèles chez l’Homme et le singe, conduisant à établir des homologies entre les aires corticales visuelles des deux espèces et, ainsi, à guider les expériences électrophysiologiques chez le primate.

L’utilisation de stimuli complexes et plus écologiques a renforcé l’intérêt pour l’étude de la perception à un niveau plus intégré. Ainsi, en France, des travaux expérimentaux et de modélisation sur la perception tridimensionnelle de l’espace ont permis de mettre en évidence la dynamique des réseaux cérébraux impliqués dans la perception spatiale, en particulier la façon dont le cerveau infère un environnement tridimensionnel à partir des images bidimensionnelles qui se forment sur les rétines, ce qui conduit à développer des systèmes bio-inspirés de vision stéréoscopique. Plusieurs équipes françaises s’intéressent aux capacités spécifiques de la vision centrale et de la vision périphérique, dans des études comportementales explorant la dynamique spatiale et temporelle de l’activité corticale. Cette question est importante puisqu’une perte de l’information sensorielle centrale ou périphérique (comme dans la Dégénérescence Maculaire liée à l’Âge ou le glaucome) entraîne des handicaps sévères affectant l’ensemble de la vie quotidienne (lecture, reconnaissance d’objets, interaction avec l’environnement…). Ces travaux amènent à explorer de nouvelles perspectives de réhabilitation permettant notamment d’améliorer la vision périphérique ainsi qu’à tester chez l’animal de nouvelles pistes thérapeutiques, telles que l’efficacité de prothèses rétiniennes, en mesurant les activités corticales et les comportements oculaires induits par de telles stimulations. De façon plus générale, plusieurs équipes françaises interrogent les processus de réorganisation du cortex visuel après une lésion située à une étape précoce du traitement visuel (rétine, nerf optique) aussi bien qu’après une atteinte corticale. Des travaux menés dans le domaine de la vision active se sont intéressés à déterminer les mécanismes et processus mentaux qui sous-tendent les déplacements du regard dans des tâches perceptives naturelles, mettant en évidence des régularités ou universaux de l’exploration. Il s’agit alors maintenant d’examiner les propriétés neurophysiologiques des systèmes impliqués.

Audition

Comprendre comment sont traités et identifiés les stimuli auditifs complexes de l’environnement, à travers notamment l’étude du code neuronal utilisé aux différents niveaux du système auditif, est toujours une des questions majeures des recherches actuelles dans le domaine de l’audition. Cette question est d’autant plus d’actualité que les troubles de l’audition sont un des enjeux de santé publique importants. La surdité partielle ou totale est de plus en plus fréquente dans la société où l’exposition au bruit devient de plus en plus présente sur une population de plus en plus âgée. La surdité entraîne de lourdes conséquences sur l’acquisition du langage et sur le développement socio-affectif de l’enfant et pose, aussi chez l’adulte, de graves problèmes de communication sociale, représentant ainsi un coût socio-économique grandissant. La compréhension des fonctions auditives et de leur perte a ainsi largement bénéficié de la multidisciplinarité développée au sein des différents laboratoires liés à la section 26. Les approches électrophysiologiques, pharmacologiques et de transgénèse sur différents modèles animaux ont permis de progresser sur les origines périphériques et centrales du vieillissement normal. Les recherches se tournent maintenant vers l’identité des gènes responsables de la surdité, permettant la mise en place d’un diagnostic précoce et de traitements innovants, notamment par thérapie génique. Les avancées importantes obtenues sur les capacités de réorganisation fonctionnelle de modèles animaux de surdité apportent un éclairage nouveau sur les processus de récupération de l’audition par prothèse auditive conventionnelle ou implantation cochléaire. Les données issues de modèles animaux de connectivité cérébrale nous renseignent sur les réseaux sous-tendant les processus de vicariance sensorielle induits par la perte auditive. Enfin, l’imagerie cérébrale chez l’Homme a permis, quant à elle, de définir la manière dont les aires corticales s’adaptent aux stimulations électriques véhiculées par les implants cochléaires, permettant ainsi un véritable pronostique du potentiel de réhabilitation par la neuroprothèse. De même, la connaissance des propriétés intrinsèques caractéristiques de chacun des hémisphères auditifs du sujet sain, nous renseigne sur les origines probables de dysfonctions du langage telles que la dyslexie. Dans tous les cas, ces approches transversales multi-échelles ouvrent des pistes innovantes dans les stratégies de réhabilitation du patient.

Attention

L’attention est une capacité cognitive éminemment transversale aux fonctions cérébrales qui améliore le traitement de l’information, aussi bien au sein de chaque modalité sensorielle que de façon intermodale. De par la nature ubiquitaire de ses effets (sur la perception, l’action, l’apprentissage et la prise de décisions), ainsi que pour son importance fondamentale en termes de relation avec le concept de conscience, l’attention constitue un sujet de recherche en expansion permanente en France, à la fois chez l’animal et chez l’Homme sain ou cérébrolésé. Grâce à l’utilisation des méthodes comportementales classiques et à leur conjonction avec les plus récentes approches par neuroimagerie fonctionnelle et neurostimulation, la recherche française a permis des avancées majeures dans le domaine de l’attention et son rapport avec la conscience. Au niveau de sa modélisation théorique, les études ont désormais permis d’identifier clairement deux aspects distincts au sein de ce domaine : ceux liés à des problématiques de sélection de l’information pertinente pour la perception et/ou l’action et ceux liés à l’accès de cette information à la conscience, dont la criticité a été largement soulignée par les études chez les patients atteints d’hémi-négligence suite à une lésion cérébrale. Si d’une part il a été reconnu depuis longtemps que les processus sélectifs de l’attention peuvent opérer indépendamment de la conscience, des avancées récentes ont identifié la possibilité d’un accès conscient à l’information non sélectionnée. Cependant, ces cas restent limités à des scènes visuelles élémentaires et un large consensus se dégage autour de la notion selon laquelle l’étude de l’accès à la conscience se doit de considérer les processus de sélection comme un prérequis. Cet accès peut d’ailleurs se produire même lorsque les processus de sélection interviennent a posteriori, le stimulus ayant déjà disparu. Au niveau de la neuroanatomie fonctionnelle, nos connaissances se consolident en qualifiant les effets attentionnels en termes d’augmentation de l’activité neuronale largement distribuée dans un réseau pariéto-frontal intéressant plutôt les régions associatives du cortex que les aires primaires (variant en fonction aussi de la modalité sensorielle). Une percée notable a permis de déterminer l’existence de liens fonctionnels étroits entre l’augmentation de la synchronie de phase de l’activité cérébrale rythmique (dans plusieurs bandes de fréquences) entre des régions éloignées de ce réseau pariéto-frontal et la perception consciente. De plus, des approches novatrices ont commencé à interroger avec succès la nature causale de la relation entre les schémas d’activité cérébrale rythmique induits expérimentalement, l’attention qui permet un accès conscient à l’information visuelle et les différences volumétriques interindividuelles dans la connectivité pariéto-frontale. Ces travaux suggèrent que l’épaisseur des faisceaux pariéto-frontaux joue un rôle modulateur important dans la régulation de l’activité du réseau attentionnel. Les approches électrophysiologiques chez le primate non humain commencent à déterminer le rôle respectif des aires frontales, impliquées majoritairement dans l’orientation de l’attention volontaire ou endogène, et les aires pariétales, liées principalement au contrôle exogène de l’attention.

Apprentissage et mémoire

Le GDR-NeuroMem rassemble l’ensemble des équipes travaillant sur l’apprentissage et la mémoire chez l’animal. L’étude des bases neurales de la mémoire vise à comprendre les interactions entre les différents niveaux d’organisation du système nerveux, depuis le niveau moléculaire et la multitude de cascades moléculaires mises en jeu au sein des différents compartiments cellulaires, en passant par les micro et macro-réseaux neuronaux et leur plasticité, jusqu’à l’expression comportementale des différents processus qui contribuent à l’acquisition des souvenirs, connaissances et savoir-faire. Chez le rongeur, cette recherche est servie par une large variété d’apprentissages (peur conditionnée, discriminations olfactives, reconnaissance d’objet, navigation spatiale…) et de protocoles, qui constituent en eux-mêmes des objets d’étude. La cognition spatiale constitue un modèle précieux pour l’étude des bases neurales des représentations telles qu’elles peuvent être appréhendées par l’activité des cellules de lieu hippocampiques. Des résultats récents montrent que les représentations hippocampiques dépendent d’interactions complexes au sein de réseaux impliquant, non seulement le cortex préfrontal et le striatum, mais aussi le cervelet. Il est notable que l’interaction cérébello-hippocampique dans la cognition spatiale observée chez la souris a été confirmée chez le sujet humain par enregistrement en IRMf lors de protocoles de navigation spatiale en réalité virtuelle. Les études chez l’animal se prêtent également bien à l’étude de la dynamique des processus mnésiques. Ainsi, dans une situation de transmission sociale de préférence alimentaire, il a été montré que le stockage des souvenirs au niveau cortical nécessite un dialogue temporaire hippocampo-cortical, ainsi qu’un « étiquetage » précoce des neurones corticaux dès l’encodage. Enfin, d’autres travaux chez le rongeur permettent l’analyse des mécanismes cellulaires et moléculaires des dysfonctionnements mnésiques présents dans des neuropathologies génétiques conduisant à un retard mental ou à des maladies neurodégénératives.

Langage

Les recherches en neurosciences sur le langage sont également très représentées dans la section 26, en intersection avec d’autres EPST, dont notamment l’INSERM et l’EHESS. La France est pionnière dans l’étude des réseaux cérébraux impliqués dans le traitement langagier chez l’adulte et, dans une moindre mesure, chez le bébé et le jeune enfant. Une ligne d’investigation particulièrement fructueuse, et dont le principal outil d’investigation est l’IRMf, cherche à élucider les origines du langage écrit du point de vue neuronal. Ces recherches trouvent leur pendant dans des études comportementales récentes sur les capacités de reconnaissance des formes, en l’occurrence orthographiques, chez le primate non-humain. Selon ces études, il est possible que les régions qui répondent de manière spécifique aux formes orthographiques chez l’Homme trouvent leur parallèle chez le primate non-humain. Les recherches actuelles sur les capacités langagières chez le nourrisson ainsi que chez le jeune enfant sont en lien direct avec les études comportementales princeps réalisées au sein de notre section. Ainsi, des capacités de détection des régularités de séquençage et de découpage de la parole en unités de sens, essentielles pour l’acquisition du langage, ont pu être caractérisées très précocement, aussi bien sur le plan fonctionnel qu’anatomique.

Motricité

L’étude des comportements moteurs (oculomotricité, locomotion, posture…) occupe une place importante parmi les thématiques développées au sein de la section 26. Comportements essentiels à la survie de l’animal et de l’Homme, ils sont le résultat directement observable et quantifiable de nombreux processus complexes d’intégration du système nerveux central, aussi bien au niveau cérébral que spinal. Même si de nombreux travaux ont démontré l’impact du contexte (environnemental, social ou émotionnel) et de l’expertise sur les performances motrices humaines, la compréhension des bases neurales du contrôle moteur repose encore souvent sur l’utilisation de modèles animaux plus simples (drosophile, aplysie, écrevisse, lamproie, amphibiens, rongeurs…). Les préparations réduites de système nerveux continuent de faire progresser nos connaissances quant aux mécanismes qui font émerger les dynamiques d’un réseau à partir des propriétés intrinsèques des neurones qui le composent et des messages extrinsèques (sensoriels ou autres) qu’ils intègrent pour, au final, produire une commande motrice parfaitement adaptée. Issu de ces travaux, le concept de générateur central de pattern (ou CPG) est aujourd’hui admis par tous. À présent, plusieurs équipes françaises étudient les interactions entre plusieurs CPG dans le but de replacer leur fonctionnement dans la dynamique plus complète de l’être vivant tandis que d’autres dissèquent l’intimité du circuit, en caractérisant dans les moindres détails les profils électrophysiologiques de ses neurones ou leurs capacités d’apprentissage ou de plasticité post-lésionnelle. De même, de nouveaux modèles génétiques permettent à présent de comprendre le rôle particulier de chacun des éléments du réseau, ouvrant de nouvelles voies vers de possibles cibles thérapeutiques contre les dommages pathologiques ou post-traumatiques. Cependant, ces dernières approches ne sont que peu utilisées en France, contrairement à nos voisins européens ou aux USA. Au-delà de l’analyse des CPG locaux, l’étude du contrôle moteur comprend aussi tous les mécanismes de programmation et d’apprentissage du mouvement (principalement chez le primate non-humain et humain, sain ou pathologique) ou le développement psycho-social du mouvement chez l’enfant, d’autres domaines où les neuroscientifiques français jouissent d’une très bonne réputation. Enfin, les travaux des équipes de la section 26 sur la motricité ne se limitent plus aujourd’hui aux seules études du fonctionnement animal ou humain mais s’ouvrent de plus en plus sur des approches et des applications robotiques telles que, par exemple, l’implémentation sur des robots volants de stratégies sensorimotrices parcimonieuses issues des études sur la navigation spatiale chez l’insecte ou le développement de membres neuro-prothétiques de suppléance contrôlés par des signaux physiologiques. Avec le développement de nouvelles approches intégrées, transdisciplinaires et parfois plus écologiques grâce à de nouvelles technologies moins voire non invasives, de nouvelles questions fondamentales sont aujourd’hui abordées par les équipes de la section 26 ; par exemple, sont recherchés la participation des informations afférentes à l’organogenèse de réseaux moteurs fonctionnellement adaptés, le développement d’interfaces directes cerveau-machine, l’adaptation des systèmes sensoriels au type de mouvement accompli (dans le cadre d’ajustements contextuels rapides ou dans un cadre plus développemental et évolutif) ou encore la variabilité interindividuelle (dans le cadre de très larges cohortes).

Prise de décision

Ce thème de recherche fait l’objet de travaux complémentaires menés chez le rongeur, le singe et l’Homme, la modélisation neuro-computationnelle des données tant comportementales que neurobiologiques est largement développée dans ce domaine. L’objectif visé est quadruple : identifier la contribution de facteurs cognitifs, sociaux et émotionnels dans la prise de décision ; identifier les bases neurales de cette fonction ; modéliser la précision et la dynamique d’une décision ; et comprendre l’altération de cette fonction dans des pathologies neuropsychiatriques. Faire des choix requiert l’intégration de la valeur des différents renforcements (bénéfices) que le sujet anticipe d’obtenir. Chez le rat, le cortex préfrontal médian joue un rôle essentiel dans cette intégration et la mise en place de l’innervation dopaminergique de ce cortex au cours de l’adolescence est concomitante du développement de cette aptitude. Chez le singe, l’enregistrement de l’activité neuronale unitaire permet de distinguer des rôles spécifiques des composantes du cortex préfrontal, telles que l’intégration d’informations liées au renforcement dans le cortex cingulaire antérieur et la régulation des fonctions de décision dans le cortex préfrontal dorso-latéral. Chez l’humain, l’altération des processus de décision est étudiée dans diverses pathologies (autisme, schizophrénie, addiction, jeu pathologique…) et à l’aide de techniques d’IRMf ainsi que d’enregistrements unitaires effectués chez des patients (épileptiques) implantés d’électrodes profondes. Des perspectives thérapeutiques sont explorées, via l’étude de facteurs neuropharmacologiques (dopamine) ou hormonaux (cortisol, œstrogènes, ocytocine). De plus, l’ensemble des travaux conduits sur les bases neuronales de la prise de décision et de la résolution de problème ouvre des perspectives de développement dans le secteur de la neurobotique pour matérialiser des systèmes autonomes de planification et d’apprentissage en interaction avec l’environnement.

Conclusion

La section 26 se réjouit du caractère pluridisciplinaire des recherches menées par les chercheurs et les laboratoires qui lui sont attachés. Le rapport de conjoncture ne reflète que partiellement les interactions profondes entre les disciplines de la section et la plus-value qualitative et quantitative de ces interactions. Face aux efforts de chacun pour parvenir à ces progrès, la section ne peut s’empêcher de constater la détérioration importante des conditions de la recherche dans les laboratoires, due notamment à l’absence d’aide technique. La diminution importante des financements récurrents, l’insuffisance des appels d’offres généralistes et leur faible taux de réussite sont également des sujets de préoccupation majeure. Enfin, la section 26 dénonce également la chute drastique du recrutement de chercheurs aux niveaux CR2 et CR1, ainsi que les conditions d’accueil de ces jeunes chercheurs, qui restent largement insuffisantes. L’énorme pression s’exerçant sur les concours, les faibles rémunérations en début de carrière et l’insuffisance des moyens techniques dans les laboratoires conduisent inéluctablement au départ d’excellents chercheurs vers d’autres organismes ou d’autres pays.