Rapport de conjoncture 2014

Section 18 Terre et planètes telluriques : structure, histoire, modèles

Extrait de la déclaration adoptée par le Comité national de la recherche scientifique réuni en session plénière extraordinaire le 11 juin 2014

La recherche est indispensable au développement des connaissances, au dynamisme économique ainsi qu’à l’entretien de l’esprit critique et démocratique. La pérennité des emplois scientifiques est indispensable à la liberté et la fécondité de la recherche. Le Comité national de la recherche scientifique rassemble tous les personnels de la recherche publique (chercheurs, enseignants-chercheurs, ingénieurs et techniciens). Ses membres, réunis en session plénière extraordinaire, demandent de toute urgence un plan pluriannuel ambitieux pour l’emploi scientifique. Ils affirment que la réduction continue de l’emploi scientifique est le résultat de choix politiques et non une conséquence de la conjoncture économique.

L’emploi scientifique est l’investissement d’avenir par excellence

Conserver en l’état le budget de l’enseignement supérieur et de la recherche revient à prolonger son déclin. Stabiliser les effectifs ne suffirait pas non plus à redynamiser la recherche : il faut envoyer un signe fort aux jeunes qui intègrent aujourd’hui l’enseignement supérieur en leur donnant les moyens et l’envie de faire de la recherche. On ne peut pas sacrifier les milliers de jeunes sans statut qui font la recherche d’aujourd’hui. Il faut de toute urgence résorber la précarité. Cela suppose la création, sur plusieurs années, de plusieurs milliers de postes supplémentaires dans le service public ainsi qu’une vraie politique d’incitation à l’emploi des docteurs dans le secteur privé, notamment industriel.

Composition de la section

Guillaume Fiquet (président de section) ; Anne-Magali Seydoux-Guillaume (secrétaire scientifique) ; Philippe Azema ; Annachiara Bartolini ; Delphine Bosch ; Frédéric Boudin ; Anne Davaille ; Sylvie Demouchy ; Michel Faure ; Michel Grégoire ; Laurent Husson ; Olivier Lacombe ; Nicolas Mangold ; Fleurice Parat ; Carole Petit-Mariani ; Virginie Pinel ; David Pousserot ; Emmanuelle Puceat ; Pierre Rochette ; Jean-Yves Royer ; Eléonore Stutzmann.

Résumé

Les chercheur-e-s rattaché-e-s à la section 18 étudient la Terre et les planètes telluriques avec des approches et des angles de vues variés. Leurs recherches se focalisent sur l’étude de la composition, la structure et la dynamique du noyau, du manteau et de la croûte ; les processus d’interaction dans les systèmes géologiques couplés et les transferts entre enveloppes ; la formation et l’évolution des bassins sédimentaires et des chaînes de montagne ; la paléo-biosphère et les paléo-environnements ; la planétologie avec l’origine, la composition, la structure et la dynamique de l’intérieur des planètes telluriques et de leur surface ; et la cosmochimie et l’astrominéralogie. Les chercheur-e-s de cette section sont également impliqués dans la mesure du temps en sciences de la Terre, la mécanique des milieux géophysiques, la modélisation, l’expérimentation et le développement d’instrumentation en sciences de la Terre, et sont des acteurs majeurs dans l’étude des aléas induits par la tectonique et le volcanisme, ou celle des ressources minérales et/ou énergétiques. La section 18 compte 317 chercheur-e-s, dont 304 sont dans des laboratoires rattachés à la section, de moyenne d’âge 48 ans. 29 % de ces chercheur-e-s sont des femmes.

Préambule

L’institut pilote de la section 18 est l’Institut National des Sciences de l’Univers. L’étude de la Terre et des planètes telluriques se décline de nombreuses manières et regroupe au sein de la section 18 des chercheurs impliqués dans des programmes de recherche touchant aussi bien la composition, la structure et la dynamique du noyau, du manteau et de la croûte, les processus d’interaction dans les systèmes géologiques couplés et les transferts entre enveloppes, la formation et l’évolution des bassins sédimentaires et des chaînes de montagne, la paléo-biosphère et les paléo-environnements, que la planétologie avec l’origine, la composition, la structure et dynamique de l’intérieur des planètes telluriques et de leur surface ou la cosmochimie et l’astrominéralogie. Les chercheur-e-s de cette section sont également impliqués dans la mesure du temps en sciences de la Terre, la mécanique des milieux géophysiques, la modélisation, l’expérimentation et le développement d’instrumentation en sciences de la Terre et sont des acteurs majeurs dans l’étude des aléas induits par la tectonique et le volcanisme, ou celle des ressources minérales et/ou énergétiques.

Plusieurs thématiques de la section 18 sont également à l’interface avec d’autres sections. La formation du système solaire et la planétologie sont à l’interface avec la section 17 « Système solaire et univers lointain », l’étude des paléo-environnements à l’interface avec la section 19 « Système terre : enveloppes superficielles », l’étude de processus sédimentaires, d’érosion et d’évolution des reliefs à l’interface avec la section 30 « Surface continentale et interfaces » et une partie de la paléontologie à l’interface avec la section 29 « Biodiversité, évolution et adaptations biologiques : des macromolécules aux communautés ». Quelques chercheurs ont également été recrutés au sein de la section 18 dans le domaine des archéo-matériaux, sur des postes pourvus par l’INSHS.

La section 18 évalue 317 chercheurs, dont 304 sont dans des laboratoires rattachés à la section 18 (cf. Tableau 1). La moyenne d’âge de ces chercheurs est de 48 ans, avec 172 chargés de recherche et 145 directeurs de recherche et 29 % de femmes, de moyenne d’âge de 47 ans. La répartition entre les corps est cependant inégale avec 37 % de femmes dans le corps des CR et seulement 20 % dans le corps des DR.

La répartition géographique des chercheurs de la section 18 est de 20 % en IDF, 37 % dans le Sud-est, 11 % dans le Nord-est, 13 % dans le Nord-ouest, 18 % dans le Sud-ouest et enfin 1 % dans les DOM-TOM et à l’Étranger (cf. figure 1).

Tableau 1 : Effectifs des chercheurs (C), ITA et non permanents (CDD, post-docs et autres-hors doctorants) des 33 laboratoires rattachés à la section 18 (dont 20 en rattachement principal, * laboratoires en rattachement secondaire). Certains chercheurs de la section peuvent également être affectés dans des laboratoires qui ne sont pas rattachés à la section 18. Données extraites le 01/08/2014.

Laboratoires C-section 18/C-CNRS/

C et EC-total

ITA-CNRS/

IT-total

CDD
Biogéosciences* 2/12/50 9/22 11
CEREGE 8/34/94 16/38 27
CR2P 8/16/44 6/24 5
CRPG 9/10/23 31/33 10
CSNSM* 1/25/37 40/40 9
ENSP 9/12/18 5/9 6
EPOC* 1/21/74 19/46 7
FAST* 2/10/26 5/8 6
GEOAZUR 12/16/64 18/43 35
GEOPS 2/5/41 8/22 8
GéoRessources 6/8/59 10/41 36
Géosciences Montpellier 27/29/64 33/44 27
Géosciences Rennes 13/23/54 14/24 10
Géosystèmes 5/6/36 5/11 2
GET 22/31/109 20/58 30
IMPMC* 11/38/83 18/33 15
IPGP 39/43/140 25/62 97
IPGS 12/15/55 12/17 12
IRAP* 12/56/116 55/66 55
ISEM* 2/47/86 29/45 22
iSTeP 9/10/56 4/23 21
ISTerre 25/31/102 22/43 36
ISTO 8/11/71 13/21 20
LDO 12/13/43 8/14 24
LFC-R* 0/2/33 4/11 14
LIEC* 0/11/52 13/32 12
LMS* 1/11/19 5/16 40
LMV 16/16/65 14/26 22
LPGN 6/7/46 7/13 12
LSCE* 3/28/89 22/70 42
M2C* 1/2/35 10/19 15
TPE (ENSL) 16/19/62 14/24 15
UMET* 4/11/69 8/21 15
Total 304/629/2015 522/976 718

 

Figure 1 : répartition géographique des chercheur-e-s rattachés à la section 18.

Pour la rédaction de ce rapport de conjoncture, nous nous sommes inspirés de l’organisation thématique adoptée pour le rapport de prospectives en Sciences de la Terre 2008-2013. Vous trouverez donc exposée une analyse des champs thématiques suivants : (1) La formation, l’évolution et le fonctionnement des planètes ; (2) La Terre interne ; (3) Les processus et couplages Terre interne/Terre externe ; (4) Les Aléas, risques et catastrophes telluriques ; (5) La Terre vivante ; (6) Les ressources minérales ainsi que (7) Un bilan des recrutements sur ces 4 dernières années et une analyse du vivier à l’issue du concours 2014.

1. Formation, évolution et fonctionnement des planètes

La communauté des Sciences de la Terre développe de nombreuses activités de recherches pour répondre aux questions fondamentales liées à la place unique de la Terre dans le système solaire : l’origine du système solaire et du système Terre-Lune, l’origine de la vie sur Terre, l’évolution du système solaire, le fonctionnement des planètes, etc. Les approches développées pour répondre à ces questions sont diverses et complémentaires : Analyses en laboratoire géochimiques (isotopique et élémentaire), minéralogiques et physiques des objets extra-terrestres (météorites, micrométéorites, etc.) et des roches terrestres ; études des surfaces et intérieurs planétaires par télédétection et analyses in situ ; modélisation numérique et expérimentale des processus contrôlant l’accrétion, la différenciation et l’évolution des planètes.

Plusieurs thématiques se trouvent donc à la marge des thèmes développés en section 17 et 19. Cette pluridisciplinarité se développe notamment par la participation à des missions spatiales (Mars Express, Cassini-Huygens, Genesis, Stardust, Curiosity, Grail, Swarm, etc.) où les compétences des géologues, au sens large, complètent celles des astrophysiciens en matière d’analyse de données spatiales et d’échantillons en laboratoire. Les objets étudiés sont les corps planétaires telluriques, incluant la Lune, et les échantillons analysables en laboratoire (météorites et micrométéorites collectées sur Terre, retour d’échantillons), mais des liens étroits existent avec les autres disciplines sur l’étude des satellites des planètes géantes (Titan, Europe, etc.), des planètes naines (Pluton), des astéroïdes (Vesta, etc.) et des comètes. Les collaborations entre disciplines ont été facilitées par l’action structurante du Projet National de Planétologie (PNP) de l’INSU.

1.1. Formation du système solaire

Les simulations numériques menées par les astrophysiciens sur la formation du système solaire nécessitent des validations observationnelles que seuls les calages chronologiques et les assemblages minéralogiques déduits des observations des météorites (plus particulièrement les chondrites) peuvent fournir. La communauté des géosciences françaises a joué un rôle très actif dans la mise en place de chronomètres radioactifs à courte période pour l’établissement d’une échelle chronologique de la formation du système solaire. L’analyse de certains isotopes radioactifs à courte période (Al26, Fe60,) dans des chondrites permet de remonter à des processus à l’œuvre dans la nébuleuse solaire, lors des premiers stades de condensation. Le processus déclencheur à l’origine du système solaire reste à préciser (explosion d’une supernova, vents d’étoiles massives). Des anomalies isotopiques en Cr54 ont permis d’identifier des particules pré-solaires.

L’analyse pétrologique des météorites permet aussi de remonter aux processus de différentiation, de métamorphisme, de choc et d’altération ayant affecté les planétésimaux, et potentiellement à divers endroits du système solaire. L’analyse des chondrites cherche à compléter les études sur la composition initiale de la Terre. Des résultats récents montrent que la Terre proviendrait de l’accrétion d’un mélange de trois types de chondrites pour expliquer les mesures isotopiques en oxygène, nickel, et chrome. La Terre s’est formée proche du système solaire dans une partie où les volatils n’ont pas pu se condenser avec les silicates. Or, l’apport respectif en volatils des comètes, des chondrites, des micrométéorites, et la chronologie des épisodes en question, est également une voie de recherche importante pour reconstituer l’histoire des volatils sur Terre.

Enfin, la recherche de météorites dans les zones froides (Antarctique) ou désertique (désert de l’Atacama) représente une source de découvertes importantes. Cependant, des systèmes actifs de recherche de météorites sont souhaitables pour analyser des météorites fraîchement tombées et non contaminées par l’environnement terrestre. Ainsi, une météorite carbonée unique a été récupérée en Californie (à Sutter’s Mill) seulement deux jours après sa chute. La mise en place d’un réseau de détection dédié aux météorites est en cours en France (projet FRIPON/Vigie-Ciel).

1.2. Le premier milliard d’années

Le premier milliard d’années de la Terre est fondamental pour le développement du système Terre comme on le connaît aujourd’hui, mais aussi pour le développement de la vie et des conditions physiques et chimiques qui y ont mené. Cependant, la faible préservation des roches datant de cette période et la difficulté à établir les conditions initiales rendent ces questions d’autant plus complexes.

Une première approche consiste à déterminer les caractéristiques de l’océan magmatique qui aurait accompagné la période de différenciation de la Terre, ca 4,5 Gy. Cette théorie provient des études lunaires qui ont démontré que la croûte lunaire se serait cristallisée lors du refroidissement d’un océan magmatique. Des structures observées par méthodes géophysiques dans les profondeurs du manteau terrestre ont été interprétées comme étant des reliques de l’océan magmatique qui aurait plongé dans le manteau après sa cristallisation. L’analyse des variations chimiques liées à de telles hétérogénéités est en cours de même que les travaux sur sa structure. Des analyses de magma sous haute pression ont montré qu’un océan magmatique sur Terre pourrait avoir atteint 1 400 km d’épaisseur et s’être organisé en 2 strates distinctes.

Une approche pétro-géochimique consiste à rechercher la composition et l’âge des premières croûtes terrestres. L’étude des anciennes roches se fait notamment par l’identification de minéraux peu altérés (zircons) et l’utilisation de systèmes isotopiques particuliers. Ainsi, la composition en isotopes du Nd de roches basaltiques de l’ouest de l’Australie, datées de 3,5 Gy, a montré qu’elles ont été extraites d’une croûte vieille d’au moins 4,3 Gy. L’analyse isotopique de l’argon montre qu’une bonne moitié de la croûte continentale terrestre était déjà formée à 3,5 Gy. La modélisation numérique et les analyses des roches des premiers cratons cherchent à déterminer le rôle relatif d’une tectonique des plaques primitives et de tectoniques verticales comme la sagduction (plongée de la croûte dans le manteau).

La question de l’océan magmatique est également soulevée dans l’étude de la croûte martienne, mais la composition (à dominante basaltique) des régions de croûte ancienne (< 3,8 Gy) établies par l’instrument OMEGA de la sonde Mars Express se distinguent de leurs alter ego lunaires. Des travaux mêlant données chimiques orbitales (Mars Odyssey) et modèles thermodynamiques suggèrent un volcanisme ancien abondant expliquant cette composition, tandis que l’analyse d’une nouvelle météorite martienne (une brèche d’impact) témoigne de la présence d’une croûte à 4,4 Gy. Les données de l’instrument ChemCam sur le rover Curiosity témoignent de compositions crustales plus évoluées et plus diversifiées que les basaltes présents en abondance en surface ne le suggèrent ; questionnant la part relative des divers processus de formation de la croûte (océan magmatique, recyclage par les grands impacts, volcanisme, etc.) et de la composition initiale de la planète Mars. Des études sur l’évolution chimique du volcanisme de Mercure sont également en cours, et pourraient permettre de relier les compositions primordiales des différentes planètes telluriques.

L’origine de la vie est une question fondamentale qui associe également la Terre primitive et Mars. La communauté des Sciences de la Terre s’intéresse à cette question via l’étude des traces de vie ancienne dans les roches sédimentaires, l’identification des traces de vie par des marqueurs isotopiques et la détermination des conditions physico-chimiques qui auraient mené à la vie. Des analyses de la composition isotopique (15N/14N) de l’azote dans l’atmosphère archéenne, faite sur des bulles d’eau piégées dans des roches âgées de 3,5 milliards d’années, permettent de contraindre la pression partielle de CO2 atmosphérique de cette époque. Le rôle du volcanisme y est évalué, en particulier pour son impact atmosphérique, comme le montrent des données attestant d’intenses éruptions volcaniques épisodiques (entre 3 et 3,5 Gy) qui sont traduites par des panaches volcaniques et de grandes quantités de sulfates. Le volcanisme est aussi considéré comme un médiateur important pour l’origine de la vie, à l’image des « fumeurs noirs » observés dans le fond des océans actuels. Ainsi, l’étude de roches âgées de 3,8 Gy au Groenland a montré la présence de volcans de boue ayant contenu la plupart des éléments chimiques propices à la vie. La recherche des milieux géologiques les plus propices à la formation de la vie est fondamentale pour pouvoir contraindre les conditions physico-chimiques ayant mené aux briques de vie élémentaires.

Sur Mars, la recherche de briques de vie élémentaires se fait à travers l’étude des anciens sédiments. L’eau liquide a joué un rôle bien plus important dans le passé ancien (avant 3,5 Gy) que plus récemment, mais le climat martien ancien reste peu contraint. Les anciens sédiments sont identifiables par télédétection, grâce à l’identification d’anciens lits de rivières et de deltas, dans lesquels l’altération aqueuse est attestée par la détection de minéraux argileux. Un exemple a été localement étudié au cratère de Gale par le rover Curiosity qui a établi la présence d’un ancien lac dont les sédiments contiennent les éléments chimiques fondamentaux pour la vie. L’arrêt de la dynamo martienne, il y a environ 4 Gy, et ses conséquences sur l’atmosphère, représentent également une voie de recherche importante pour la compréhension de l’évolution de Mars primitif.

1.3. Évolution comparée des corps planétaires

L’évolution des surfaces et des intérieurs planétaires se caractérise par des processus qui permettent de mieux replacer la Terre dans le contexte du système solaire. Des découvertes inattendues ont relancé l’intérêt pour comprendre la distribution de l’eau dans le système solaire interne. La Lune, avérée sèche depuis les missions Apollo, recèle en réalité des minéraux hydratés, et des données sur les cratères polaires suggèrent la présence de glace d’eau localement, de même que sur les pôles de Mercure. Ces observations questionnent notamment le rôle de l’arrivée tardive de volatils dans le système Terre-Lune.

Sur la planète Mars, la présence de glace d’eau est attestée par des calottes polaires, des glaciers de moyenne latitude et de multiples arguments en faveur d’un permafrost riche en glace (spectrométrie à neutron, morphologies périglaciaires, radar sondeur). L’observation des morphologies passées permet d’ajouter une composante temporelle à l’estimation actuelle du stock d’eau. Cette estimation est importante vis-à-vis de sa dynamique atmosphérique actuelle et passée. Les analyses morphologiques, les analogies avec les morphologies (péri) glaciaires sur Terre et les modélisations expérimentales proposées par les géosciences enrichissent ce domaine d’étude. Les surfaces de petits corps (comètes et astéroïdes) commencent aussi à être analysées de près par les missions actuelles (Rosetta, Dawn). L’étude de ces corps, traditionnellement menée par les astrophysiciens, est également en train de s’ouvrir à la communauté des géosciences, à travers, par exemple, l’étude des caractéristiques des impacts météoritiques ou des matériaux granulaires sous faible gravité.

Un domaine d’étude transversal s’intéresse au couplage entre intérieurs, surfaces et atmosphères planétaires, par voie de modélisation numérique ou expérimentale (dégazages, etc.). Une collaboration fertile avec la communauté des atmosphères planétaires permet de couvrir les aspects climatiques de ces études. Un des objectifs affichés de ces modèles est de comprendre les tendances observées par les mesures isotopiques (D/H, 38Ar/36Ar, etc.) des instruments spatiaux et de reconstruire l’évolution atmosphérique passée, que ce soit pour Mars ou Venus.

L’étude des intérieurs planétaires se fait actuellement par modélisation numérique, en raison du manque de données in situ. Des lacunes devraient être comblées bientôt avec l’envoi de plusieurs instruments géophysiques sur Mars (mission Insight incluant un sismomètre) dans lequel la communauté française est très impliquée, ainsi que de nouveaux sismomètres lunaires (mission japonaise SELENE) faisant suites à ceux déposés par Apollo. L’enregistrement de séismes lunaires profonds observés par Apollo suggère qu’il existe potentiellement du magma à plusieurs centaines de km de profondeur. Or, des études récentes de minéralogie haute pression suggèrent que ce magma est trop dense pour atteindre la surface ce qui expliquerait l’absence d’activité volcanique depuis 2 Gy. Ainsi, la Lune continue d’être un champ de travail original pour la compréhension des processus dans le système solaire, et une clef de la compréhension du système Terre-Lune. Enfin, les analyses paléo-magnétiques des échantillons lunaires recueillis lors des missions Apollo montrent que la Lune semble avoir possédé son propre champ magnétique, il y a environ 4 Gy. Or, des études récentes montrent que l’interaction avec des impacts de météores serait à l’origine de la signature particulière de ce champ rémanent, voire à l’origine de perturbations de la dynamo elle-même. De manière générale, l’interaction entre les grands impacteurs et les champs magnétiques sont une source d’étude sur plusieurs corps planétaires, incluant Mars et certains satellites de glace, et rejoignent certains travaux menés sur la dynamo terrestre.

2. Terre interne

La dynamique et l’évolution de l’intérieur de la Terre sont dominées par deux processus physiques : la fusion/cristallisation qui contraint en grande partie la distribution des éléments chimiques (ségrégation noyau/manteau, cristallisation de l’océan magmatique primitif et cristallisation de la graine, extraction de la croûte océanique) et la convection qui transporte chaleur et matière. Comprendre la dynamique du manteau et du noyau nécessite donc d’une part une compréhension approfondie de ces processus et de leurs interactions, et d’autre part une détermination fine de la composition (chimie, phases), des propriétés physiques (rhéologie, conductivité électrique, diffusion chimique et thermique), et de la structure à grande et petite échelle du noyau et du manteau. Ces dernières années ont vu un accroissement significatif des études résolument interdisciplinaires et pluri-échelles.

2.1. Dynamique du manteau

Fusion partielle et cristallisation des roches mantelliques exercent un filtre important sur la distribution des éléments chimiques (élémentaire et isotopique), mais également sur les observables géophysiques (sismologie, gravimétrie, et magnétotellurique) qui dépendent fortement de la fraction liquide. Pour cela, les expériences de pétrologie et minéralogie expérimentale ainsi que l’étude des inclusions vitreuses de magmas primaires apportent des informations clés, qui alimentent les modèles théoriques et numériques sur la percolation des liquides et/ou la convection. Outre une meilleure compréhension de l’extraction de la croûte océanique et de son recyclage qui contribuent à la génération d’hétérogénéités dans le manteau terrestre, ces études permettent aussi de mieux contraindre la croissance continentale et la cristallisation de l’océan magmatique primitif. Cette dernière nous donne l’état initial du manteau solide, et a aussi potentiellement laissé dans les profondeurs du manteau terrestre des structures reliques de cette histoire précoce.

Le rôle des fluides dans le manteau terrestre est également un sujet abondamment traité par les chercheur-e-s de la section 18. Les problèmes sont bien posés, avec en particulier des questions qui restent ouvertes pour les fluides dans le système C-O-H et leur cycle dans la Terre profonde notamment au niveau des zones de subduction : par quels mécanismes se déplacent-ils dans le manteau ? Quel est le degré de métasomatisation du manteau ? Quels sont leurs effets sur les propriétés du manteau comme la rhéologie, l’anisotropie sismique et l’atténuation, mais aussi la conductivité électrique ? La France bénéficie actuellement de co-financement américain sur le carbone du manteau profond (DCO, Sloan Fondation) et est bien positionnée au niveau mondial sur ces problématiques. Il s’agit à nouveau d’un domaine où la géophysique, la géochimie, la pétrologie-minéralogie expérimentale et la modélisation sont le terreau d’une vraie recherche interdisciplinaire.

Il est maintenant clair que la géométrie de la convection dans le manteau terrestre et la diversité de ses signatures en surface (tectonique des plaques, subduction, points chauds) dépendent de manière cruciale de la distribution des hétérogénéités de densité et de la rhéologie des roches. En particulier, tectonique des plaques et subduction nécessitent une forte localisation de la déformation en limite de plaques. Mais comment relier la déformation à l’échelle du cristal à celle à l’échelle de la lithosphère ou du manteau, les échelles de temps des mesures en laboratoire et les échelles de temps géologiques ? Les équipes françaises se sont bien investies sur ce front, et ont développé aussi bien de l’expérimentation à haute pression sur des roches mantelliques échantillonnées dans différents contextes (orogènes, xénolites, échantillons des campagnes IODP), que de l’expérimentation et de la modélisation focalisées sur les propriétés rhéologiques complexes des minéraux du manteau terrestre (et du noyau) et des modélisations théoriques, analogiques et numériques sur la convection. Pour ce qui est des propriétés rhéologiques, une nouvelle ère est née de la confrontation de données expérimentales et de la modélisation numérique multi-échelle qui embrasse des phénomènes à l’échelle du cœur des dislocations jusqu’à celle des assemblages minéralogiques. En outre, les vitesses de déformation accessibles aux expériences étant éloignées de plusieurs ordres de grandeur de celles en jeu dans la convection terrestre, ces modélisations montrent clairement les limites des extrapolations des mesures expérimentales de relations contrainte-déformation aux conditions du manteau terrestre. Le chemin à parcourir pour modéliser une viscosité effective à l’échelle de la lithosphère est encore long mais les premières lois de fluage pour MgO ont été obtenues grâce à ces méthodes numériques. De nouvelles rhéologies sont aussi explorées dans les modélisations analogiques, certaines d’entre elles permettant notamment d’accéder à de très grands nombres de Rayleigh encore inaccessibles aux modélisations numériques. Une modélisation théorique récente suggère que l’important pour l’existence de la tectonique des plaques n’est pas forcément que la lithosphère soit « molle » dans son ensemble, mais plutôt qu’elle contienne un nombre suffisant de zones endommagées. Le cisaillement créé par la convection est à l’origine de l’endommagement, tandis que le comportement des minéraux à faible température empêche sa cicatrisation rapide. Les zones de faiblesses sont ainsi préférentiellement réactivées, et peuvent devenir plus étroites jusqu’à former des limites distinctes, les frontières des plaques. Ce passage d’une rhéologie instantanée à l’échelle du cristal à une rhéologie à mémoire à l’échelle de la lithosphère est riche d’implications, tant pour le démarrage de la tectonique des plaques, sans nul doute un moment clé de l’histoire de la Terre, que pour l’évolution des planètes et exo-planètes.

Dans le manteau inférieur, le rôle joué par la découverte de transitions comme la transition de spin et ses conséquences pour les propriétés du manteau mais surtout l’existence de la post-pérovskite a été prépondérant ces dernières années. Plus récemment, la découverte très controversée de la phase-H, un nouveau silicate riche en fer résultant de la décomposition de la pérovskite ferromagnésienne (ou brigmanite) montre que ce champ disciplinaire est toujours très fertile. De manière plus générale, les propriétés physiques de la zone D », et les fortes hétérogénéités des vitesses sismiques et de l’anisotropie, sont le sujet de nombreuses études. Il reste encore à déterminer si ces structures anisotropes sont héritées de la cristallisation de l’océan magmatique, d’une subduction plus tardive, de la fusion partielle du manteau profond ou des plaques subductées, ou bien simplement des transitions de phase affectant la bridgmanite. Les équipes françaises restent très actives sur ces thématiques comme en témoignent les publications pluriannuelles dans des journaux à très fort facteur d’impact tels que Nature ou Science.

2.2. Dynamique du noyau

Variation séculaire du champ magnétique, secousses magnétiques et inversions, croissance de la graine, bilan énergétique et évolution de la géodynamo aux échelles de temps géologiques, requièrent une compréhension fine des phénomènes turbulents au sein du noyau, depuis leur génération jusqu’à leur couplage avec le manteau. La communauté française est très active sur ces thématiques, tant pour les observations que pour les modèles théoriques, numériques et expérimentaux.

La génération de la géodynamo, avec sa géométrie dipolaire et ses deux régimes majeurs (avec ou sans inversions du champ magnétique) reste un thème très riche. Ainsi, la transition d’un régime à l’autre est sans doute conditionnée par la géométrie du flux de chaleur à la surface du noyau liquide, elle-même reliée à l’arrivée de grands volumes lithosphériques froids charriés par les mouvements convectifs du manteau au niveau des zones de subduction, et à l’apparition de nouveaux panaches à la frontière noyau-manteau. D’autre part, outre l’exploration systématique de la génération de la geodynamo par la convection thermique ou compositionnelle à l’intérieur du noyau, de nouveaux mécanismes sont explorés, tels que les effets d’impact, de marée, ou de précession. Ceux-ci pourraient avoir été importants pour le début de l’histoire des planètes. En parallèle, de nombreux progrès ont été faits dans la compréhension de la structure asymétrique de la graine et de sa cristallisation. Ces études récentes vont de pair avec une investigation de plus en plus poussée des diagrammes de fusion du fer et de l’influence des éléments légers aux conditions du noyau. Des éléments de réponse viennent aussi de l’étude de la structure et l’équation d’état des alliages de fer sous conditions extrêmes, en particulier à l’état liquide.

Les trois satellites de la mission Swarm lancés le 22 novembre 2013, après quelques mois de vérification opérationnelle, donnent maintenant accès depuis l’espace à des mesures à haute résolution spatiale et temporelle de l’intensité, la direction, l’accélération et les variations temporelles du champ magnétique terrestre, et du champ électrique associé. Ces nouvelles données, couplées à des mesures sols conduiront à une compréhension plus fine du champ magnétique terrestre, permettront de modéliser sa génération, et de prédire son évolution (en particulier en utilisant l’assimilation des données dans les modèles numériques). Au-delà du géomagnétisme, elles auront aussi des retombées sur nombre de champs thématiques connexes (gravimétrie, étude de l’interaction ionosphère-atmosphère).

2.3. Évolution du système couplé manteau-noyau

On commence aujourd’hui à voir apparaître des modèles intégrant plusieurs contraintes géochimiques, liées à la différenciation, plusieurs contraintes de minéralogie physique intégrant les équations d’état, les propriétés élastiques ou rhéologiques des matériaux, et les observables sismologiques, géodésiques. Ceci est le fruit de la convergence des différentes disciplines comme la géochimie, qui identifie des réservoirs cachés et leurs caractéristiques chimiques et isotopiques, la pétrologie expérimentale qui apporte des contraintes sur les coefficients de partage, les processus et les conditions de la différentiation terrestre, la minéralogie physique qui livre des mesures de propriétés physiques de densité et de structure des minéraux (données importantes pour contraindre le géotherme), la sismologie qui nous fournit des cartographies de plus en plus précises des anomalies de vitesses, la modélisation analogique, et enfin la modélisation numérique qui permet de relier toutes les contraintes afin d’aboutir à un modèle global. Dans le domaine de la jeune Terre interne, les efforts de modélisation portent avec des succès croissants sur les mécanismes de la ségrégation du métal, la convection à haut nombre de Rayleigh, la dynamique des océans magmatiques, l’état thermique et la différenciation des planétésimaux.

2.4. Développement des techniques et équipements

Imager quantitativement la Terre interne nécessite le développement constant de nouvelles techniques de sismologie (ex : tomographie à partir du bruit, tomographie de l’atténuation sismique, modélisation des amplitudes des ondes), le développement de réseaux d’observation pérennes (ex : stations fonds de mer, réseaux denses à terre, observations spatiales) et d’énormes progrès ont été accomplis dans tous ces domaines. À noter que le champ thématique des inversions probabilistes prend de l’ampleur aujourd’hui et pourra conduire éventuellement à terme à une réinterprétation de l’anisotropie sismique à la lumière de ces inversions bayésiennes.

Dans le domaine de la pétrologie expérimentale, l’installation de presses gros volume et les développements technologiques des méthodes de chauffage laser en cellule en enclumes de diamant sur les anneaux synchrotron de dernière génération permettent d’étudier in situ dans des conditions de plus en plus sévères de pression et de température les propriétés physiques et chimiques des matériaux terrestres. Ces expériences sont souvent complétées par des expériences numériques reposant sur des calculs purement théoriques ab initio, qui prennent une place de plus en plus importante dans le calcul des propriétés élastiques, rhéologiques ou le calcul des diagrammes de phases. On note aussi le développement d’expérimentations en conditions extrêmes utilisant les chocs laser (notamment les chocs isentropiques) ainsi que des sources de rayons X de dernière génération (XFEL), qui permettront d’aborder des questions de premier ordre touchant à la structure et à la composition des planètes extrasolaires. Ces études requièrent en effet l’exploration de pressions de plusieurs millions de fois la pression atmosphérique pour des températures inférieures pouvant atteindre 10 000 K, conditions qui s’avèrent au-delà des capacités des méthodes statiques de génération de pression et température.

3. Processus et couplages terre interne et terre externe

Un accent fort a été mis ces dernières années sur les couplages existant entre tectonique, érosion, volcanisme, climat, et biosphère, recherches fédérées en particulier par le biais de Comités Thématiques de l’INSU tel que le comité SYSTER. Ces recherches ont rassemblé toute une communauté de chercheurs de différentes disciplines et ont permis des avancées majeures dans la compréhension des liens reliant l’intérieur et la surface de la Terre. Beaucoup reste cependant encore à faire dans ce domaine et l’exploration de ces couplages doit être poursuivie dans les années à venir.

3.1. Tectonique des plaques, couplage avec le manteau et les enveloppes externes

La tectonique des plaques est maintenant explorée non plus dans le seul cadre des lithosphères en convergence ou en divergence, mais en relation avec ses enveloppes adjacentes, le manteau et les enveloppes externes. La mécanique de la lithosphère reste au cœur de ces questionnements. Elle est de plus en plus systématiquement abordée de manière conjointe en combinant des observations géologiques quantitatives sur les zones déformées, de la modélisation numérique ou analogique, et des études expérimentales. La rhéologie, en particulier celle de la lithosphère continentale dans toute sa complexité, constitue un champ d’investigation toujours très ouvert. Elle contrôle en effet au premier ordre le comportement des frontières de plaques et des domaines intraplaques. À l’échelle locale, le couplage de la lithosphère avec le manteau, moteur ou résistant, sur la construction des chaînes de montagnes, y est exploré. Le rôle modulateur et/ou moteur de l’érosion sur la dynamique orogénique locale apparaît de plus en plus clairement. Ce raisonnement est étendu à l’échelle globale, où les interactions de la lithosphère avec le manteau d’une part, avec l’érosion d’autre part, sont envisagées comme des processus primordiaux dans l’édification et l’évolution des reliefs notamment. Les liens qui relient la Terre solide en déformation (tectonique horizontale d’une part, topographie – dynamique ou isostatique – d’autre part) avec l’hydrosphère et l’atmosphère, et de manière plus marginale avec la biosphère, sont également un terrain fertile. L’exploration des processus préalablement cités bénéficie de flux de données de plus en plus abondants, de diverses natures (cinématique, thermique, structurale, chimiques, pétrologiques). Ces données permettent aujourd’hui de placer l’étude de la tectonique des plaques et des couplages afférents dans un spectre continu allant de l’échelle intra-cristalline jusqu’à celle de la lithosphère.

Avec le climat et la nature des roches exhumées par les processus d’érosion, la tectonique des plaques joue un rôle majeur dans la formation des reliefs de la Terre, et dans la quantité de sédiments arrivant dans les bassins sédimentaires. La quantification des flux sédimentaires et les échelles de temps caractéristiques des séquences de remplissage des bassins restent encore à être précisées, et il est nécessaire de mieux quantifier les taux de dénudation des continents, ce qui implique la datation des surfaces dénudées et des grandes phases de soulèvement. L’étude des processus de transfert de sédiments au niveau des marges continentales prend également de l’importance car ces domaines sont des sites majeurs de l’enregistrement sédimentaire et constituent un domaine de transition entre les dépôts sur les plates-formes et les transferts de matériel en domaine marin profond.

3.2. Évolution biogéochimique et climatique de la Terre, couplage avec la Terre solide

La compréhension des liens existants entre le système climatique, les cycles biogéochimiques, et les processus géodynamiques passe nécessairement par une amélioration de la couverture spatiale et temporelle des données paléo-environnementales existantes, encore peu nombreuses pour certaines époques et latitudes, dans les environnements terrestres comme marins. Le développement de nouveaux traceurs géochimiques permet maintenant d’approcher certains processus qui restaient encore peu contraints pour les périodes anciennes de l’histoire de la Terre. En particulier, la création du relief conditionne les grands transferts à la surface de la planète, qui ont un impact majeur sur les cycles biogéochimiques de nombreux éléments. Dans ce contexte, la reconstruction de flux d’altération chimique et d’érosion physique des continents, ainsi que le type de matériel érodé et le rôle de la matière organique demandent à être plus amplement abordés. Mieux comprendre les facteurs de contrôle et le fonctionnement de la production carbonatée est également une question d’importance, à la fois de par son rôle dans la production et le transfert de sédiments, son rôle sur la chimie de l’océan via l’alcalinité, et son rôle au sein du système climatique et des cycles biogéochimiques. En particulier, le rôle des dépôts microbiens dans la production carbonatée et leurs liens avec les grands changements environnementaux reste à être déterminé.

L’impact de la paléogéographie sur le climat, incluant la circulation océanique, est encore mal défini et demande à être précisé. Cette question peut être approchée grâce à une diversité d’outils et de compétences tels que la distribution spatiale de différents taxons, des traceurs géochimiques, ou encore des modèles numériques. Dans ce contexte, il apparaît primordial de disposer de reconstructions paléogéographiques les plus fiables et complètes possibles qui manquent encore pour certaines périodes clefs. Un effort pour intégrer à ces reconstructions le relief sur les continents, la répartition spatiale des grands bassins versants et de leurs exutoires, et les flux sédimentaires associés, serait précieux pour une approche couplée données-modèle. Les événements climatiques et environnementaux extrêmes et leur lien avec les événements volcaniques et magmatiques majeurs sont également au cœur des questionnements autour du fonctionnement du système climatique. La réponse du climat à des forçages tels que la pression partielle de CO2 et de SO2 dans l’atmosphère n’est pas linéaire, et nos connaissances des seuils déclenchant le passage d’un mode climatique à un autre dans différents contextes paléogéographiques doivent être complétées.

3.3. Datation et durée des événements

La compréhension des processus à l’origine des fluctuations du climat, des cycles biogéochimiques, ou des grands processus géodynamiques et tectoniques ne peut se faire sans avoir une idée précise de la durée et de la cinétique de ces événements marquants. La datation très haute résolution d’événements du passé doit être encore améliorée. La collaboration fructueuse entre mathématiciens, astrophysiciens, géochronologistes et sédimentologistes a permis la calibration astronomique de diverses périodes des temps géologiques pré-Quaternaire, incluse dans la dernière version de l’Échelle des Temps Géologiques. Ces dernières années, le développement de nouvelles méthodes de datation (ex. 226Ra dans les sédiments lacustres, thermochronologie haute résolution, méthode OSL) ainsi que l’étude de la compréhension du fonctionnement de certains géochronomètres absolus offre des pistes intéressantes afin de progresser dans la compréhension de l’évolution géologique et environnementale de notre terre. Cependant, les approches actuellement utilisées, basées sur la cyclostratigraphie, la magnétostratigraphie, la biostratigraphie, et la radiochronométrie restent encore trop déconnectées les unes des autres dans le paysage français, et une meilleure structuration de la communauté nationale serait souhaitable autour de ces thématiques afin d’acquérir une visibilité internationale.

4. Aléas, risques et catastrophes telluriques

Notre compréhension des forçages internes et externes contrôlant les événements telluriques (séismes, éruptions, glissements de terrain) repose à la fois sur notre capacité d’observation et sur notre aptitude à développer des modèles adaptés pour interpréter ces observations. Récemment de nouvelles techniques d’observation se sont développées, comme la tomographie par muons. De plus, ces dernières années ont été marquées par une amélioration de la densité spatiale et temporelle des mesures avec la multiplication des réseaux de capteurs (sismomètres, GPS) et l’apport complémentaire et essentiel de la télédétection. De nouvelles données optiques (Pléiades) sont disponibles pour construire des modèles numériques de terrain, faire des études structurales ou quantifier la déformation par corrélation d’images. Les données de spectro-radiométrie satellitaire se sont également montrées essentielles dans le suivi des panaches de gaz ou de cendres lors des récentes éruptions volcaniques et la gestion de leur impact sur le trafic aérien ou la qualité de l’air. Par ailleurs, les données Radar à Synthèse d’Ouverture (RSO), essentiellement utilisées pour quantifier les déplacements de surface, ont vu leur résolution temporelle s’améliorer et peuvent maintenant avoir une résolution spatiale de l’ordre du mètre qui s’approche de la résolution atteinte en optique. Afin de bénéficier pleinement de l’explosion attendue du volume de données disponibles du fait des nouvelles missions (Sentinel, ALOS-2), il est aujourd’hui nécessaire d’adapter les capacités informatiques de stockage et les chaînes de traitement. Les développements méthodologiques sur le traitement de ses données ont également progressé. Par exemple, l’utilisation du bruit de fond sismique, pour imager les variations de vitesse de propagation, s’est poursuivie avec un travail sur la coda des corrélations de bruit sismique et nous donne maintenant accès à des variations spatio-temporelles fines de la vitesse et de la diffraction qu’il faut interpréter en termes de variations de propriétés physiques du milieu. Les progrès dans la modélisation du bruit sismique généré dans les océans permettront également d’améliorer ces méthodes de monitoring.

Les avancées techniques et méthodologiques dans l’instrumentation fond de mer permettent d’élargir considérablement le domaine d’investigation des géosciences. Elles permettent de compléter les réseaux de surveillance terrestre, par exemple pour étudier l’aléa associé aux marges et aux failles actives, et plus généralement pour accéder à la dynamique des processus, par exemple de l’accrétion océanique par un suivi continu de l’activité sismique et volcanique associée ou de transferts sédimentaires sur les marges. Ces progrès concernent les dispositifs d’acquisition fond de mer ou dans la colonne d’eau, autonomes avec des enregistrements continus de longue durée par des réseaux d’instruments relevés régulièrement (sismomètres large bande, hydrophones, balises géodésiques). Certains instruments donnent des informations en temps réel avec la transmission des données à terre (antennes sismo-acoustiques, observatoires câblés) ou peuvent être de nature mixte (instruments autonomes, fixes ou dérivants, avec dispositifs de transmission à terre limités à la détection d’événements). Ils concernent aussi des capteurs (bathymétrie, gravimétrie, magnétisme, magnétotellurique, sismique) adaptés aux véhicules grands fonds télé-opérés ou autonomes, qui permettent d’envisager de travailler sur les fonds océaniques à la même résolution qu’en domaine terrestre (ex. dynamique des sites hydrothermaux, mouvements sur les failles, déplacements sédimentaires).

Il apparaît évident que les interactions entre séismes, éruptions volcaniques et glissements de terrain sont fortes. Par ailleurs, l’« éclairage » apporté par un séisme permet d’imager des propriétés rhéologiques spécifiques de certaines zones. Ainsi les données de déformation enregistrées après les derniers grands séismes ayant affecté des zones de subduction ont montré que les zones volcaniques réagissaient de manière singulière à ces perturbations du champ de contrainte avec une subsidence ou des modifications de vitesses de propagation localisées sous certains volcans en lien avec la présence de réservoirs magmatiques ou de systèmes hydrothermaux. Les dernières années ont également démontré la fragilité de nos sociétés face aux risques telluriques en raison de leur impact potentiel sur nos infrastructures (séisme de Tohoku au Japon en 2011 et son tsunami induit) ou nos moyens de transport (éruption de l’Eyjajafallajökul, Islande en 2010).

4.1. Séismes

La découverte récente des séismes lents localisés le long des frontières de plaques dans de nombreuses régions du monde a changé de façon significative notre compréhension du cycle sismique, de la zone sismique et de la transition entre le comportement cassant et ductile. Parmi les nouveaux signaux détectés, on distingue les séismes basse fréquence (low frequency earthquake ou LFE), le trémor tectonique (TT) et les événements de glissement lent (slow slip events ou SSE). La caractérisation fine de ces événements et la compréhension de leur rôle dans le cycle sismique ouvre un nouveau champ d’investigation en sismologie de la source. Il a également été découvert récemment que le passage des ondes sismiques génère des trémors tectoniques à haute fréquence le long des grandes failles décrochantes ou de subduction. Cela a par exemple été le cas le long de la faille San Andréas, lors du passage des ondes sismiques générées par le séisme de Tohoku en 2011. Il reste à découvrir ce que révèle ce trémor du comportement de la faille. D’autres types d’événements sismiques, comme les séismes d’origine glaciaire, apporteront des informations importantes sur la mécanique de la glace et sur la fonte des glaciers.

4.2. Volcanisme

Notre compréhension du transfert de magma à travers la croûte et de sa cinétique est primordiale pour la localisation des futures éruptions et l’estimation de leur volume potentiel. Les données pétrologiques, expérimentales et la modélisation ont permis de montrer que la remobilisation des réservoirs magmatiques pouvait se faire sur des échelles de temps relativement courtes par rapport à la durée de vie de ces zones de stockage. En ce qui concerne les volcans explosifs à magma différencié, le principal enjeu est de comprendre les transitions entre les phases d’activités effusives et les explosions. Il ne fait pas de doute que les gaz jouent un rôle clef dans ces transitions. Des modèles d’interprétations des signaux géophysiques (déformation, sismicité) ont été développés ; ils apportent des contraintes nouvelles sur la géométrie et les conditions de pression dans le système d’alimentation en magma. Cependant il reste encore souvent une ambiguïté entre les effets induits par la source magmatique et ceux qui sont le fait de la rhéologie du milieu encaissant dans lequel se propagent les signaux. Pour les volcans océaniques, un risque majeur associé à l’activité éruptive est la déstabilisation des flancs pouvant potentiellement déclencher un tsunami. L’étude conjointe des dépôts éruptifs à terre et en mer et leur modélisation permettent de reconstituer l’histoire éruptive à long terme des complexes éruptifs et ainsi de mieux quantifier le risque associé. Enfin, les éruptions de gros volume (>100 km3) avec formation de grande caldera n’ont jamais été observées avec les moyens de surveillance moderne de sorte que nous ne connaissons pas directement les signaux géophysiques ou géochimiques attendus. Les études statistiques, pétrologiques et la modélisation restent alors les seuls outils dont nous disposons pour appréhender ces événements catastrophiques majeurs et être éventuellement capables d’en reconnaître les signaux précurseurs.

4.3. Les glissements de terrain

Les glissements de terrain représentent un risque tectonique majeur pour les populations et les infrastructures dans les domaines montagneux, volcaniques, sismiques et côtiers. Ils ont un rôle clé dans les processus d’érosion sur terre et sur d’autres planètes et de plus en plus d’études récentes mettent en évidence leur lien avec les activités climatiques et volcaniques.

Des avancées importantes ont été faites dans la modélisation de ces processus tant d’un point de vue physique, mécanique, mathématique et numérique rendant envisageable l’évaluation plus précise de l’aléa lié aux glissements de terrain. De plus, l’analyse et l’inversion des données sismologiques large bande générées par ces glissements représentent un outil unique pour avoir des contraintes sur la dynamique des processus gravitaires à l’échelle du terrain. Le challenge est maintenant de prendre en compte les processus physiques tels que la présence de phases fluides, l’interaction entre les phases granulaires et fluides, les processus d’érosion, la fragmentation. Il sera également important d’analyser conjointement les données de terrain et les données sismologiques en termes de dynamique des écoulements.

5. Terre vivante

5.1. Interactions entre la géosphère et la biosphère

En plus d’une partie descriptive de la vie du passé, les paléontologues cherchent à comprendre les processus impliqués dans les transitions évolutives à l’échelle des phénotypes, la dynamique de la biodiversité au cours des temps géologiques, ses forçages biotiques et abiotiques, et les interactions entre biosphère et géosphère. Cette ambition nécessite par essence une approche hautement interdisciplinaire regroupant les compétences conjointes des paléontologues, géologues, biologistes, géochimistes, physiciens, mathématiciens et modélisateurs. D’après l’analyse de l’activité des chercheurs de la section 18 durant la période 2010-2014, plusieurs volets multidisciplinaires novateurs émergent :

Évolution des formes et des fonctions dans les environnements du passéLes paléontologues de la section 18 utilisent de plus en plus, et avec succès, de nouvelles technologies (par ex : plates-formes informatiques de reconstitution 3D, microtomographie par rayons X conventionnelle ou par rayonnement synchrotron, spectrométrie synchrotron) qui permettent d’accéder à des données morpho-anatomiques jusqu’alors inaccessibles ou d’explorer la structure de fossiles à conservation exceptionnelle (tissus mous, pigments, traces d’activité) avec un niveau de résolution inégalé. Ces études sont à l’origine d’une véritable renaissance de l’étude de l’évolution des formes, des relations entre morphogénèse, ontogénèse et phylogénèse, ainsi que des relations entre forme, fonction et environnement.

Paléophysiologie et paléoécologieLa mise en synergie des données morpho-anatomiques et biogéochimiques issues des fossiles apporte des informations sur leur physiologie et leur écologie, permettant ainsi d’analyser les relations entre forme et mode de vie. Les progrès considérables dans la géochimie appliquée aux objets fossiles, permettent d’approcher la thermo-physiologie des organismes (par ex. : physiologie des reptiles marins et continentaux Mésozoïques), ainsi que leur régime alimentaire et leur position dans le réseau trophique. Cette double approche morphologique et géochimique tend à s’imposer comme une voie majeure dans l’étude fonctionnelle et écologique des organismes fossiles. Elle permet aussi le calibrage de traceurs pour les reconstitutions paléo-environnementales et paléo-climatiques. Les analyses du réseau trophique dans l’enregistrement fossile, permettent de mieux déceler comment se structure la biodiversité et sa dynamique au cours des temps géologiques. De nombreux travaux se focalisent sur les conditions environnementales qui ont favorisé l’émergence d’espèces ou d’organismes ayant un rôle fonctionnel « clé » dans les écosystèmes. Les paléontologues utilisent aussi des approches expérimentales pour l’interprétation des écosystèmes anciens.

Taphonomie expérimentale et préservationLes communautés françaises de paléontologues et de géomicrobiologistes interagissent de plus en plus, pour comprendre les conditions paléo-environnementales, les transformations chimiques et physiques qui permettent la conservation des fossiles. L’atelier type est celui des gisements à conservation exceptionnelle ou Lagerstätten. Le point crucial pour tester la véracité du registre fossilifère est de quantifier les biais qui affectent sa préservation. Par exemple, il s’agit de mieux cerner le rôle de l’activité microbienne dans la destruction/préservation des organismes. En effet, cette activité microbienne a souvent une signature biogéochimique particulière en fonction du type d’environnement. La taphonomie expérimentale offre une clé pour mieux comprendre les processus de transformations diagénétiques afin de déconvoluer les signatures biologiques, géochimiques et environnementales originelles.

Tempo et mode des crises biologiquesCertaines compilations disponibles sur la biodiversité au cours du temps géologique souffrent encore d’une résolution stratigraphique faible, se situant souvent au niveau du système ou de l’étage. Des approches paléo-écologiques et paléo-biogéographiques doivent être développées à plus haute résolution temporelle possible pour élucider le rythme et les modalités des extinctions et des radiations, afin de tester les divers scénarios des causes possibles de crises biologiques. L’analyse des changements de la paléo-biodiversité en lien avec les fluctuations paléo-environnementales permet aussi de replacer dans une perspective historique les nombreuses interrogations scientifiques et sociétales sur le changement global actuel.

Couplages entre l’évolution de la vie et celle du climat à différentes échelles spatiales et temporellesComprendre les interactions entre biodiversité et climat, les nombreuses rétroactions existant entre la biosphère et les changements climatiques et géochimiques de la Terre, reste un questionnement fondamental. Parmi les aspects novateurs, il faut souligner que la communauté des modélisateurs interagit de plus en plus avec les communautés de paléontologues et de biologistes. Il en résulte une meilleure prise en compte de la composante biotique dans les modèles climatiques. Ainsi, par exemple, les interactions entre les mécanismes de bio-calcification des micro-organismes planctoniques et les variations du CO2 atmosphérique et de la chimie de l’eau de mer sont maintenant prises en compte.

Recommandations : Un manque inquiétant d’expertises fondamentales dans le domaine de la paléontologie, en particulier dans le domaine de la systématique et de la biostratigraphie, commence à se faire sentir. Par ailleurs, il manque dans la communauté française un développement de la biochronologie quantitative. La biostratigraphie est un outil d’excellence pour les datations et les corrélations stratigraphiques qui sont fondamentales pour tracer l’histoire de la Terre, et comprendre les interactions entre biosphère et géosphère. Ses applications sont évidentes, que ce soit dans le monde de la recherche académique ou dans le monde de l’industrie.

5.2. Interactions vivant/minéral

Au sein de la section 18, la géobiologie est un champ de recherche en plein essor, qui intègre les compétences des minéralogistes, des géochimistes et des biologistes. Plusieurs chercheurs de la section sont désormais internationalement reconnus dans ce domaine et ont développé des protocoles analytiques de pointe (ex : analyses par spectrométrie synchrotron, analyse Raman à micro-échelle, MET à la nano-échelle, nanoSIMS, FIB).

Vie primitive, bio-signatures, milieux extrêmesDivers laboratoires français sont engagés dans cette thématique porteuse. Certains se focalisent sur le développement de méthodes d’analyse permettant d’identifier, dans les sédiments, les bio-signatures géochimiques des micro-organismes primitifs susceptibles de renseigner sur leur nature, leur métabolisme et sur le fonctionnement des écosystèmes primitifs. Les principaux défis auxquels sont confrontés les scientifiques sont : 1) Caractériser l’environnement lié à l’apparition et au développement des premières formes de vie pré-cellulaires et cellulaires ; 2) Expliquer l’origine de la photosynthèse et l’oxygénation de l’atmosphère ; 3) Comprendre le contexte environnemental de l’apparition des eucaryotes. L’étude des adaptations des organismes aux conditions environnementales extrêmes (ex : température, pression, salinité, milieux profonds abyssaux et souterrains) permet, quant à elle, de tester les différents modèles qui prédisent ou non les conditions du développement de la Vie dans des conditions extrêmes.

La biosphère microbienne et les cycles biogéochimiques de la planèteLa découverte récente de niches microbiennes dans le manteau océanique hydraté, ainsi que dans les dépôts salifères géants, ouvre de nouvelles pistes de recherche extrêmement intéressantes. Les péridotites pourraient constituer le plus grand habitat microbien sur Terre. Négligée jusqu’à présent dans les modèles globaux du carbone, cette vie intra-terrestre semble toutefois jouer et avoir joué un rôle clé dans l’évolution de notre planète en tant que médiateur des flux élémentaires entre lithosphère, océans et atmosphère. Il reste aussi à élucider le rôle dans le cycle du soufre et du carbone de la vie microbienne identifiée dans les dépôts salifères géants, connus depuis le Néo-protérozoïque.

De même, les carbonates sédimentaires formés par diagénèse microbienne des silicates détritiques et par oxydation microbienne du méthane constituent un puits de carbone considérable qui n’était pas comptabilisé auparavant dans les modèles du cycle géologique du carbone. Les cyanobactéries ont aussi joué un rôle majeur dans la formation des carbonates de calcium, qui a été considéré comme un processus extra-cellulaire. Des géomicrobiologistes français ont découvert récemment la biominéralisation intracellulaire des carbonates amorphes par certaines cyanobactéries, révélant une voie inexplorée pour la calcification.

Des approches expérimentales concernent la séquestration minérale in situ du CO2 dans les basaltes et les roches ultrabasiques en milieu biotique et abiotique, ainsi que la précipitation des carbonates en présence de bactéries et de cyanobactéries. Ces approches ont tout autant un intérêt dans la recherche fondamentale (comprendre le rôle de la biocalcification microbienne dans les écosystèmes du passé et actuel) que des retombés très importantes dans les intérêts sociétaux et industriels (capture et stockage de CO2).

Mécanismes de bio-minéralisationL’intervention des organismes dans la formation de minéraux carbonatés est un aspect fondamental du cycle géologique du carbone. Ces dernières années, des progrès considérables ont été faits dans l’analyse structurale et biochimique des biominéraux, depuis la morphologie jusqu’à l’échelle infra-micrométrique et atomique. Des approches intégratives très prometteuses entre biologie et sciences de la terre ont été développées pour déceler les mécanismes, à l’échelle moléculaire, des biominéralisations carbonatées. L’approche protéomique (caractérisation de protéines dans la matrice organique des biominéralisations), et quand cela était possible, la combinaison protéomique-transcriptomique est ainsi la clef pour mieux comprendre l’origine et l’évolution des biominéralisations carbonatées.

La présence de phases organiques dont les compositions sont propres à chaque groupe biologique détermine la nature du polymorphe (calcite ou aragonite) et affecte probablement ses modalités de cristallisation, constituant l’origine des caractéristiques spécifiques (chimiques ou isotopiques) des phases cristallisées (« effet vital »). Le contrôle de la matrice organique sur l’incorporation dans les squelettes/coquilles des traceurs géochimiques paléoenvironnementaux (isotopes stables et éléments traces) est encore peu connu. L’approche biochimique couplée aux analyses géochimiques pourrait permettre une meilleure compréhension des mécanismes d’incorporation ou fractionnements de ces traceurs.

6. La métallogénie des ressources minérales

6.1. Les enjeux scientifiques

Du point de vue académique, l’origine des métaux, leurs sources et leurs mécanismes de transport dans la croûte, reste la question scientifique de 1o ordre en métallogénie. Or l’établissement de modèles conceptuels repose d’abord sur l’observation et l’analyse des gisements accessibles dont l’exploitation est encore active ou arrêtée récemment, ainsi que sur l’approche expérimentale et la modélisation géochimique. Connaître les modalités de formation d’un gisement constitue la première étape pour développer des concepts et méthodes qui permettent de comprendre la genèse et l’évolution des gîtes minéraux. Un des buts de cette recherche fondamentale est de contribuer à la découverte d’autres gisements.

L’amélioration des modèles métallogéniques repose sur plusieurs approches :

L’approche gîtologique : la connaissance détaillée des gisements : l’architecture des corps minéralisés replacés dans leur(s) contexte(s) géologique(s), sédimentaire (p. ex. géométrie des bassins, discordances), magmatique (structure des plutons, architecture des appareils volcaniques), tectonique depuis l’échelle métrique (filon), régionale (district et province métallogénique), et géodynamique (lithosphère).L’approche minéralogique et pétrologique : le développement de l’analyse des paragenèses des minerais, de leurs gangues et de leurs encaissants, la caractérisation des relations de phase, l’identification et la description de nouvelles espèces, l’étude des altérations et des marqueurs minéralogiques/géochimiques autour des minéralisations qui peuvent en outre permettre de développer des outils de prospection.L’approche géochimique : le traçage des sources des métaux, des ligants (ex : soufre, chlore), des fluides ; l’origine des salinités ; les mécanismes de dépôt des métaux (mélange ; dilution, redox). Les progrès dans cette approche de la métallogénie reposent sur des développements analytiques spectaculaires.L’approche géochronologique : la datation de la mise en place des minéralisations (U-Pb, Ar-Ar, Re-Os), la caractérisation du poly-phasage des gisements, la comparaison de l’âge des gisements avec les événements sédimentaires, magmatiques et tectoniques régionaux.L’approche expérimentale : elle consiste à identifier les paramètres physico-chimiques qui contrôlent la formation des gisements par l’étude des interactions.En particulier, plusieurs pistes de recherche plus spécifiques peuvent être évoquées :

La comparaison des minéralisations primaires de sulfures (ou VMS – Volcanogenic Massive Sulfides) VMS actuels et fossiles et des relations entre la typologie du magmatisme et celle du dépôt est pertinente, mais passe par une meilleure coordination entre les travaux menés à terre et en mer.La compréhension des grandes provinces métallogéniques ne peut être abordée que par une meilleure connaissance des processus géodynamiques (convection mantellique, subduction océanique et continentale au voisinage des gisements considérés.L’étude des gisements péri-batholitiques doit associer analyses structurales, pétrologiques, géochimiques (fluides à W, Sn, Zn) et géochronologiques.L’approfondissement du modèle de la « shear zone » crustale (assez bien adaptée au cas des gisements aurifères filoniens d’Au) requiert une meilleure compréhension des propriétés pétro-physiques des roches encaissantes. Le cas des gisements IOCG (Iron Oxyde Copper Gold) constitue un cas d’étude emblématique car ce type de gisement, défini relativement récemment, est un ensemble disparate et mal compris en termes de processus. Les équipes françaises sont très bien positionnées pour contribuer à préciser leurs mécanismes de formation.L’accent est souvent mis sur les « gisements géants », mais ils correspondent à une petite fraction de la totalité des exploitations actuelles et probablement de ce qui sera peut-être découvert dans les prochaines décennies. Dans le cadre du développement durable, les « petites mines artisanales » sont probablement appelées à se multiplier. Sans oublier le territoire national d’outre-mer, où les activités minières représentent une part essentielle de l’économie et des emplois locaux, le territoire national métropolitain mériterait une attention renouvelée, tant pour les métaux précieux (Au, Ag) que pour les « petits métaux » d’importance stratégique (Li, Ge), et même pour les métaux de base (Fe, Cu, Pb, Zn), ou les gisements U/Th ou de terres rares.

6.2. Les enjeux méthodologiques

Les progrès conceptuels mentionnés ci-dessus reposent sur le perfectionnement et la mise en œuvre de méthodes nouvelles. Sans être exhaustif, plusieurs voies de développement apparaissent prometteuses. On mentionnera : 1) la géophysique aéroportée haute résolution sur laquelle les équipes de recherche françaises doivent absolument s’investir ; 2) la modélisation 3D géologie-géophysique des ensembles géologiques (corps minéralisés et encaissants) en intégrant les propriétés pétro-physiques des roches et les informations géophysiques. Dans ce domaine, le développement des plate-formes Gocad et GeoModeller doit être poursuivie ; 3) la prospection hydrogéochimique car les interactions profondes des eaux avec des minéralisations peuvent être potentiellement conservées ; 3) l’analyse des marqueurs distaux des objets minéralisés : altérations, systèmes filoniens éloignés ; 4) les systèmes portables d’analyses in situ (rayons X et LIBS par exemple) ; 5) l’utilisation des SIG pour la prédictibilité et le traitement géostatistique des données ; 6) les mesures géophysiques en sondage et les techniques semi-automatiques de logging ; 7) les études expérimentales centrées sur la spéciation des métaux dans les fluides et sur la cinétique des réactions de dissolution-précipitation des phases contenant les éléments d’intérêt économique ; 8) les méthodes de datation précises.

6.3. Forces et faiblesses de la communauté française

La perspective de découvertes de nouveaux gisements représente in fine la principale motivation pour initier des recherches fondamentales dans le domaine de la métallogénie. La France possède indiscutablement des forces internationalement reconnues distribuées dans le milieu académique (CNRS/INSU et Universités) et dans des organismes de recherche (BRGM, IRD, IFREMER). Nos points forts sont (1) l’existence d’équipes pluridisciplinaires s’intéressant à cette problématique, (2) l’existence de centres de formation spécialisés à Toulouse, Orléans, Nancy, Montpellier, (3) notre présence historique sur quelques grands terrains emblématiques dans le domaine des matières premières tels que le Canada, l’Afrique de l’Ouest, le Maroc, l’Europe centrale et occidentale, la Roumanie, l’Espagne, la Russie ou l’Afrique du Sud, (4) l’existence d’un domaine d’expertise dans la micro-analyse ponctuelle des fluides et de leurs constituants (LA-ICP-MS, microsonde nucléaire, micro spectrométrie Raman, synchrotron, etc.) et dans le développement d’expérimentations sur les interactions fluides-roches et la modélisation numérique de ces fluides et (6) une expertise dans la datation précise des minéralisations.

La communauté nationale souffre cependant de plusieurs problèmes structurels responsables d’une faible lisibilité internationale. Une politique de recherche « en amont » dans le domaine des matières premières et centrée sur la compréhension des mécanismes de formation des gisements doit nécessairement être couplée à un réseau associant partenaires industriels et académiques qui favoriserait la constitution de groupements d’intérêts partagés, de programmes nationaux, ou de structures R&D à finalité commerciale. Le dynamisme de la recherche en ressources minérales passe par la formation par la recherche grâce à l’accroissement d’allocations de recherche aussi bien purement académiques que de type BDI, CIFRE etc. Quelques partenaires français ou internationaux sont impliqués dans ces actions de recherche (ex : AREVA pour les ressources en uranium) mais leur faible nombre fait que la promotion de la recherche en métallogénie est encore en devenir. Dans cette perspective, la nouvelle Compagnie des Mines Française (CMF) pourrait jouer le rôle fédérateur attendu.

Enfin, cette communauté présente des effectifs réduits et dispersés dans une dizaine d’universités. Malgré des efforts notables (recrutements récents de CR1 et CR2 dans le domaine), le renouvellement des ressources humaines en métallogénie apparaît aujourd’hui comme un élément incontournable d’une politique cohérente dans le domaine des matières premières.

7. Bilan des recrutements et état du vivier

7.1. Bilan du recrutement 2010-2014

Recrutements (CR) par unité (ci-dessus) et par thème et métier (ci-dessous) entre 2010 et 2014.

Laboratoires CR1 CR2 Total
CEREGE 2 2
CR2P 1 1
CRPG 2 2
Géoazur 2 2
Géoressources 1 1
Géosciences Montpellier 1 1 2
Géosciences Rennes 2 2
GET 1 1 2
IMPMC* 3 3
IPGP 1 2 3
IPGS 1 1
IRAMAT** 2 2
IRAP* 1 1
ISTEP 1 1
ISTerre 1 1
ISTO 1 1
LDO 1 1
LMV 1 1 2
TPE (ENS Lyon) 1 1 2
UMET* 1 1
Total 8 25 33

* laboratoires en rattachement secondaire à la section 18.** concours pour INSHS.

Métier Nb Thème Nb
Archéométrie 2 Archéomatériaux 1
Expérimentation 5 Cosmochimie 3
Géochimie 6 Déformation manteau 1
Géophysique 6 Fossilisation 1
Hydrologie 1 Hydrologie 1
Magmatologie 1 Hydrothermalisme 1
Minéralogie 1 Interactions fluide-roche 2
Modélisation 2 Luminescence et archéo 1
Paléontologie 5 Paléoenvironnement 2
Pétrologie 2 Ressources minérales 2
Tectonique 2 Sismologie 4
Subduction 2
Tectonophysique 2
Terre profonde 5
Tomographie 1
Vertébrés 3
Volcanologie 1

7.2. Bilan du concours 2014 et vivier de chercheur-e-s

Nous présentons ci-dessous quelques données concernant les concours CR 2014 :

– 4 postes de CR2 et 1 poste de CR1 étaient mis au concours ;

– 44 candidat-e-s (CR1 + CR2) ont été retenu-e-s pour une audition (12 mn) suivie d’un entretien (12 mn), sur 82 candidats postulant sur ces postes ;

– âges des candidat-e-s : 27 à 38 ans pour le concours CR2 et 31 à 39 ans pour CR1, certain-e-s candidat-e-s postulant sur les 2 concours (11) ; avec une moyenne d’âge autour de 31 ans pour le concours CR2 et 34 ans pour CR1 ;

– dates de soutenance des thèses de doctorat entre 2005 et 2012 (CR2) et 2003 et 2011 (CR1) ;

– on observe de moins en moins de différence entre les dossiers des candidat-e-s postulant CR2 et ceux postulant CR1. Pour le concours 2014, la discussion finale a été organisée en considérant les meilleurs candidat-e-s (18) pour l’ensemble des 5 postes (CR2+CR1) ;

Sur 18 candidat-e-s restants dans notre noyau dur, 14 ont présenté des projets en Terre interne et en 4 Terre externe, dont 1 à l’interface avec la section 19. Bien qu’il soit souvent difficile de classer les candidats par catégories de disciplines puisque certains projets font appel à plusieurs méthodes ou approches, les profils de ces 18 candidat-e-s se répartissent ainsi :

– 7 ont présenté des projets en planétologie et cosmochimie-minéralogie, 4 en sismologie, 3 en pétrologie, 2 en paléontologie, 1 en géochimie et 1 est à l’interface avec la section 19 (lien tectonique/climat).

– ces 18 candidat-e-s sont auteur-e-s ou co-auteur-e-s de 6 à 20 publications de rang A (IF > 1), dont la moitié au moins est en premier auteur.

– ces candidat-e-s ont effectué de 1½ à 5 années de post-docs.

– sur ces 18 candidat-e-s, âgés de 28 à 35 ans, 8 sont des candidates (soit 44 %). Sur l’ensemble des 5 postes attribués en 2014, 2 l’ont été à des femmes (40 %). La moyenne d’âge est de 31 ans.

Le constat peut être fait que les chercheur-e-s recruté-e-s aujourd’hui sont d’excellent niveau. Les dossiers de publication sont conséquents, et tous ont fait plusieurs années de recherche à l’étranger avant de se présenter au concours. Même si on peut se féliciter de ce niveau d’excellence, il faut aussi prendre conscience que le concours laisse également dans des situations précaires des chercheur-e-s excellent-e-s. Dans la conjoncture actuelle, les craintes sont fortes que le nombre de poste mis au concours diminue dans les années à venir. Nous considérons que le nombre actuel est déjà un plancher en dessous duquel il sera difficile de pratiquer un concours qui ait du sens.

Le constat peut également être fait que certains instituts du CNRS deviennent très comptables de leurs nombres d’ETPT (équivalent temps plein travaillé). Pour ce concours 2014, la direction de l’INSU a ainsi attiré l’attention sur les postes pourvus au sein de la section 18 pour des laboratoires ou UMR qui ne sont pas en principal dans le portefeuille de l’INSU mais gérés par d’autres instituts (INP, INC, INEE – se reporter au tableau 1), en faisant remarquer que ces postes étaient en quelque sorte « donnés » à d’autres instituts (même si l’évaluation de l’activité des chercheurs reste toujours confiée à la section 18).

Nous tenons ici à souligner qu’il y a un risque inhérent à ce genre de mise en garde. Une telle vision, si elle se développe et prend corps, i.e. si l’ensemble des instituts du CNRS se concentre sur des recrutements pour des laboratoires qui sont stricto sensu dans leurs portefeuilles, conduira inexorablement à la suppression de toute interdisciplinarité et à l’abandon de toute recherche aux frontières.