Rapport de conjoncture 2014

CID 54 Méthodes expérimentales, concepts et instrumentation en sciences de la matière et en ingénierie pour le vivant

Extrait de la déclaration adoptée par le Comité national de la recherche scientifique réuni en session plénière extraordinaire le 11 juin 2014

La recherche est indispensable au développement des connaissances, au dynamisme économique ainsi qu’à l’entretien de l’esprit critique et démocratique. La pérennité des emplois scientifiques est indispensable à la liberté et la fécondité de la recherche. Le Comité national de la recherche scientifique rassemble tous les personnels de la recherche publique (chercheurs, enseignants-chercheurs, ingénieurs et techniciens). Ses membres, réunis en session plénière extraordinaire, demandent de toute urgence un plan pluriannuel ambitieux pour l’emploi scientifique. Ils affirment que la réduction continue de l’emploi scientifique est le résultat de choix politiques et non une conséquence de la conjoncture économique.

L’emploi scientifique est l’investissement d’avenir par excellence
Conserver en l’état le budget de l’enseignement supérieur et de la recherche revient à prolonger son déclin. Stabiliser les effectifs ne suffirait pas non plus à redynamiser la recherche : il faut envoyer un signe fort aux jeunes qui intègrent aujourd’hui l’enseignement supérieur en leur donnant les moyens et l’envie de faire de la recherche. On ne peut pas sacrifier les milliers de jeunes sans statut qui font la recherche d’aujourd’hui. Il faut de toute urgence résorber la précarité. Cela suppose la création, sur plusieurs années, de plusieurs milliers de postes supplémentaires dans le service public ainsi qu’une vraie politique d’incitation à l’emploi des docteurs dans le secteur privé, notamment industriel.

Composition de la commission interdisciplinaire – CID

Anne-Marie Gue (présidente de la CID) ; Nicolas Clément (secrétaire scientifique) ; Karine Anselme ; Anne Charrier ; Jean-Marc Di Meglio ; Pascal Laugier ; Véronique Leberre-Anton ; Sylvie Lorthois ; Emmanuelle Marie-Begue ; Chaouqi Misbah ; Hugues Oudart ; Yan Ropert-Coudert ; Marie-Claire Schanne-Klein ; Anne-Lise Sentenac ; Jean-Pierre Travers ; Stéphane Viollet.

Résumé

Les interactions entre sciences de la matière et sciences du vivant se définissent aujourd’hui selon trois objectifs majeurs : appréhender à l’aide d’outils conceptuels et/ou matériels non biologiques les questionnements de la biologie et du vivant, intégrer les fondements de la matière vivante dans les outils de la physique ou de la chimie afin de générer de nouveaux concepts, mimer le monde du vivant, à tout niveau d’organisation, afin d’imaginer de nouvelles architectures fonctionnelles. Quasiment tous les secteurs des sciences dites dures sont concernés. Cependant, ce document mettra en relief cinq domaines essentiels représentant cinq enjeux majeurs pour l’exploration des mécanismes du vivant : biophysique et biomécanique, imagerie du vivant, micro et nanosystèmes pour le vivant, molécules et objets fonctionnels en interaction avec le vivant, systèmes biomimétiques.

Introduction

Les interactions entre sciences de la matière et sciences du vivant représentent depuis plusieurs années, en France, un champ de recherche à forte dynamique. On peut considérer aujourd’hui que ce domaine a dépassé le statut de l’émergence et se déploie de façon pérenne sur une communauté particulièrement active et créative, avec une excellente visibilité nationale et internationale et qui connaît encore une forte croissance tant au niveau de sa richesse thématique qu’au niveau du nombre de chercheurs impliqués.

Au-delà des premières approches technologiques qui ont porté, au cours du siècle dernier, des progrès majeurs dans le domaine de la santé (imageries médicales, radiothérapies, spectrométries…) ce domaine de recherche s’établit aujourd’hui sur une double démarche : la première est d’appréhender à l’aide d’outils conceptuels et/ou matériels physiques ou chimiques les questionnements de la biologie et du vivant, la seconde est d’intégrer les fondements fonctionnels et structurels de la matière vivante dans les outils de la physique ou de la chimie afin de générer de nouveaux concepts. Un corolaire plus récent à ces approches est de mimer le monde du vivant, à tout niveau d’organisation, par des approches purement non biologiques (ou pour le moins mixtes) afin d’une part d’imaginer de nouvelles architectures fonctionnelles et d’autre part d’analyser à la lumière de ces acquis les modes d’organisation et de fonctionnement du vivant.

Riche d’applications et porteur d’innovations majeures, le domaine est en perpétuelle évolution et recomposition. Cette plasticité lui confère une vitalité remarquable qui pourrait être perçue bien à tort comme de l’instabilité. L’interaction sciences dures/sciences du vivant est un domaine phare, parfaitement ancré dans le paysage de recherche français et qui est appelé à un bel avenir si le contexte le lui permet.

Ainsi, quasiment tous les secteurs des sciences dites dures sont concernés : une trentaine de sections du comité national peuvent potentiellement contribuer à ce domaine. La pertinence de cette interdisciplinarité n’est plus à démontrer : la qualité de la production scientifique, le potentiel d’innovation en attestent largement.

Ce document souhaite mettre en relief cinq domaines essentiels de la recherche en concepts et instrumentation en sciences de la matière et en ingénierie pour le vivant. Ces domaines constituent cinq enjeux majeurs pour la progression de la compréhension des mécanismes du vivant, pour le développement des futurs outils de diagnostic, de suivi thérapeutique ou d’observation environnementale, pour anticiper les (r)évolutions technologiques majeures que constituent entre autres les approches bio-inspirées.

I. Biophysique et biomécanique

A. Un domaine de recherche très vaste

La biophysique et la biomécanique constituent un vaste domaine de recherche à l’interface de la physique, de la mécanique, des sciences de la vie et de la santé. L’émergence de ce domaine est liée à un besoin fondamental de compréhension du monde vivant, par des approches dépassant les approches traditionnelles de la biologie qui n’ont pas toujours permis, malgré des investissements considérables, de proposer des stratégies efficaces dans des applications à forts enjeux sociétaux (cancer, maladies métaboliques, vieillissement et pathologies associées dont pathologies neurodégénératives, infections nosocomiales, ingénierie tissulaire…).

Ce champ de recherche est représenté dans plusieurs sections du comité national : sections 5 et 11, pilotées respectivement par l’Institut de Physique (INP) et l’Institut de Chimie (INC), pour ce qui concerne l’interface physique-biologie ; sections 9 et 10, pilotées par l’Institut des Sciences de l’Ingénierie et des Systèmes (INSIS), pour la mécanique des systèmes vivants ; section 22, pilotée par l’Institut des Sciences Biologiques (INSB), pour la biophysique cellulaire, l’évolution, le développement et les phénomènes associés de morphogénèse ; et la section 28, co-pilotée par ce même institut et l’INSIS, pour l’ingénierie du vivant et l’ingénierie pour la santé.

Ces thématiques ont parfois pris une grande importance dans ces sections, et nous renvoyons le lecteur aux chapitres correspondants qui mettent bien en valeur les évolutions récentes. Cependant, elles n’en sont généralement pas le cœur, en ce sens que les questions scientifiques abordées, les démarches et les chercheurs impliqués sont souvent marqués par un fort attachement disciplinaire. En parallèle émergent des travaux de biophysique/biomécanique, que souhaite soutenir la CID54, impliquant des objets biologiques de complexité croissante (cellules hautement spécialisées, populations cellulaires organisées, tissus ou organismes vivants, sains ou pathologiques), ce qui nécessite l’interaction approfondie d’un nombre croissant de disciplines. Quelques exemples caractéristiques sont présentés dans le paragraphe suivant.

Si plusieurs pôles de recherche interdisciplinaire majeurs adossés au CNRS (UMRs) se sont constitués, notamment en région parisienne, de nombreuses équipes se développent dans des unités centrées sur d’autres disciplines. Un besoin de structuration nationale est manifeste et s’appuie principalement sur deux GDRs : pour la biophysique, en lien fort avec la communauté des physiciens de la matière condensée et de la matière molle, le GDR 3070 Physique de la cellule aux tissus (CellTiss), rattaché à l’INP, l’INC et à l’INSB ; pour la biomécanique, en lien fort avec la communauté de la mécanique et de l’ingénierie, le GDR 3570 Mécanique des matériaux et fluides biologiques (MECABIO) rattaché à l’INSIS et à l’INSB. Notons que les échanges entre ces deux communautés, se développent. Par ailleurs, d’autres GDRs, rattachés à l’INP et/ou l’INSIS, participent de cette dynamique, en particulier le GDR 3162 Mécanotransduction : genèse, dégradation et réparation des tissus biologiques (Mécanotransduction) et le GDR 3588 Mécanique et physique des systèmes complexes (MéPHY).

Cette dynamique de recherche a conduit à la formation de jeunes chercheurs de grande qualité, avec une très haute maîtrise du langage, des concepts et des outils issus de champs disciplinaires différents. Ce très haut niveau d’interdisciplinarité, inconnu il y a quelques années, est souvent le résultat de parcours atypiques, parfois relativement longs, associant des expériences successives de recherche dans des environnements variés (équipes à dominante « sciences dures » puis à dominante « sciences de la vie » et vice versa, équipes ayant développé une forte culture interdisciplinaire). Il faut noter aussi que cette dynamique a entraîné l’émergence de nouvelles formations interdisciplinaires originales au niveau master mêlant physique, biologie et même mathématiques. Tout cela a conduit à constituer un vivier d’excellents candidats au CNRS, vivier dont la taille est en constante augmentation depuis quelques années.

La plupart des travaux réalisés sont effectués dans des laboratoires de physique ou de mécanique en collaboration avec des biologistes ou bien en intégrant des physiciens dans des laboratoires de biologie. Il faut noter que la démarche inverse (de la biologie vers la physique) est plutôt rare, alors qu’elle serait certainement une option intéressante : au-delà des aspects structurants (interaction pérenne permettant de mieux identifier et investir à long terme dans des créneaux porteurs et originaux, meilleure maîtrise des problèmes d’hygiène et sécurité, meilleure intégration dans les laboratoires des jeunes chercheurs ayant une formation initiale interdisciplinaire), l’apport de la biologie a conduit à plusieurs progrès notables chez les physiciens.

B. Quelques exemples caractéristiques

L’évolution du domaine amène aujourd’hui à aborder des problématiques complexes tant dans la nature et la variabilité des objets biologiques que par la pluralité des modes d’exploration, sollicitations mécaniques (forces, déplacements), conditions physico-chimiques (gradients de concentrations) et/ou que par l’interaction entre un nombre croissant de disciplines. Ainsi le travail de recherche concerne autant les populations cellulaires organisées, telles que les biofilms, les agrégats, les sphéroïdes, les tissus in vivo et in vitro ; les organismes vivants ; mais aussi les cellules hautement spécialisées ou réactives, telles que les ovocytes, les plaquettes sanguines, les cellules ciliées. Les techniques expérimentales d’exploration et d’observation, extrêmement variées sont dans la majorité des cas associées à des approches théoriques de modélisation et de simulation. Ainsi, très souvent dans ce domaine, la CID 54 et la CID 51 sont intimement associées.

Il est donc difficile de décrire cette dynamique de façon exhaustive mais une liste réduite à quelques sujets de recherche récents présentés à la section permet d’appréhender la richesse des thèmes abordés :

– contrôle de la différenciation cellulaire dans des assemblées de cellules par la libération localisée de drogues grâce à des techniques de microfluidique ;

– étude des mouvements morphogénétiques grâce au suivi précis des mouvements cellulaires (tracking) couplé à la mesure locale des contraintes mécaniques pour évaluer les rôles respectifs des morphogènes et de la mécanique dans l’embryogenèse ;

– mesure des forces impliquées dans les phénomènes de fusion membranaire entre deux gamètes pour améliorer notre connaissance de la fécondation à l’échelle moléculaire ;

– utilisation combinée de la spectroscopie optique résolue en temps et du dichroïsme circulaire pour sonder la dynamique de repliement des protéines ;

– étude des mouvements collectifs de cellules épithéliales dans des géométries microfluidiques particulières (écoulements autour d’obstacles, écoulements « en croix »), conduisant à l’apparition de tourbillons. Ces tourbillons, qui pourraient jouer un rôle majeur dans certains stades de l’embryogenèse, sont étudiés avec les outils théoriques utilisés en hydrodynamique des fluides complexes et instabilités élastiques ;

– identification des ingrédients minimaux dans la motilité cellulaire (Listeria monocytogenes est un exemple typique de motilité se produisant sans l’assistance de moteur moléculaire) ;

– étude de la dynamique et de l’étalement d’agrégats de cellules saines et tumorales, ouvrant la voie à une meilleure compréhension de la dynamique de prolifération et d’invasion de cellules tumorales.

Ces exemples sont directement nourris d’une activité biologique à proximité de physiciens, qu’il est difficile d’envisager être menée par des physiciens (ou mécaniciens) sans un rôle actif et permanent de biologistes.

II. Imager le vivant

La France est dotée d’une recherche de pointe performante en imagerie. Elle dispose d’une part de très fortes compétences universitaires, et d’autre part d’un tissu industriel dynamique développant des solutions d’imagerie et de thérapie innovantes, et pour certaines révolutionnaires.

Imager le vivant, que ce soit pour décrypter ses mécanismes ou pour améliorer la santé, mobilise des moyens importants de la communauté scientifique à la croisée de nombreuses disciplines telles que les sciences physiques, chimiques, biologiques, pharmacologiques et médicales, l’ingénierie et les sciences du numérique, offrant ainsi un bel exemple d’une interdisciplinarité féconde en découvertes et en transfert de technologies.

S’attaquer à la complexité du vivant avec des méthodes d’imagerie requiert la collecte de biomarqueurs non seulement de natures complémentaires (anatomiques, fonctionnels, métaboliques, moléculaires) par des approches de plus en plus souvent multimodales (IRM, ultrasons, Rayons X, PET/SPECT, EEG/MEG, optique) mais également multi-échelles (de la molécule unique à l’organisme entier).

Dans le domaine de la santé, l’imagerie contribue par ses progrès récents, au même titre que les sciences… omiques (génomique, protéomique, métabolomique…) à l’émergence d’une médecine personnalisée, qui consiste à traiter chaque patient de façon individualisée en fonction de ses spécificités génétiques et biologiques et constituera un axe important des programmes de recherche nationaux et trans-nationaux des prochaines années. À ce titre, le développement d’une imagerie haut-débit, multi-modale et quantitative de populations à grande échelle, ou de divers systèmes modifiés génétiquement et/ou soumis à diverses drogues et la mise en relation de données issues de sources diverses (imageries… omiques) nécessitera aussi des analyses de données avancées adaptées aux « big data ».

La recherche nationale s’appuie sur une communauté relativement bien développée et structurée autour des initiatives d’excellence qui ont vu récemment le jour et de deux GDR qui rassemblent au-delà du CNRS des laboratoires universitaires, INSERM, CEA, INRIA, INRA.

– France Life Imaging (FLI) et GDR3271 « Imageries in vivo » pour l’imagerie biomédicale préclinique et clinique ;

– France Bio-Imaging (FBI) et GDR2588 « Microscopie fonctionnelle du vivant » pour l’imagerie microscopique en biologie.

A. Instrumentation et innovations technologiques

Les développements les plus récents en instrumentation consistent à améliorer les performances de l’imagerie, notamment en ce qui concerne la résolution spatiale et temporelle, et la sensibilité pour un meilleur diagnostic et suivi thérapeutique.

Les travaux récents en micro-tomographie à l’échelle submicrométrique (voxel 300 nm) ou par nano-tomographie de phase (voxel 60 nm), en repoussant les barrières technologiques actuelles de l’imagerie X permettent d’explorer la structure osseuse à une échelle spatiale inégalée. Dans le domaine de la tomographie par rayons X préclinique, la tomographie spectrale, dont les objectifs sont l’amélioration de contraste entre tissus mous ainsi que la caractérisation et la quantification des tissus, est une voie de plus en plus en plus visitée.

L’imagerie par résonance magnétique (IRM) se développe également rapidement à la fois pour des applications précliniques et cliniques avec l’imagerie à haut champ, la conception de nouvelles antennes et réseaux, la conception de nouvelles séquences d’impulsions pour l’imagerie corps entier, l’imagerie rapide ou l’imagerie de noyaux autre que le proton (23Na, 31P), l’IRM des gaz hyperpolarisés, les approches multimodales IRM/SRM et la recherche de nouveaux biomarqueurs quantitatifs. En particulier, les deux dernières décennies ont vu des progrès considérables dans notre capacité à étudier les processus biologiques dans le corps humain, en particulier ceux du cerveau. L’IRM/SRM à champs magnétiques élevés (7 teslas et au-delà) joue un rôle essentiel dans cette évolution en fournissant des gains sans précédent, par exemple, dans l’imagerie fonctionnelle de l’activité du cerveau humain.

De nouvelles approches instrumentales pour l’imagerie radio-isotopique (systèmes de détection miniaturisés et ambulatoires, sondes intracérébrales dédiées aux études sur l’animal vigile), des ruptures technologiques comme celle de l’imagerie ultrasonore et du Doppler ultrarapide, ou le concept innovant d’imagerie multi-ondes exploitant les interactions entre ondes de différentes natures au sein des tissus (effet photo-acoustique, acousto-optique, élastographie ultrasonore ou par résonance magnétique…) révèlent des contrastes nouveaux, permettent la définition de nouveaux biomarqueurs précoces de nombreuses pathologies et suscitent un intérêt pour la recherche préclinique et physiopathologique. La recherche française, dans ce domaine, a donné lieu à plusieurs innovations révolutionnaires qui font l’objet d’un transfert industriel particulièrement dynamique.

D’autres approches, comme l’imagerie des propriétés électriques des tissus, la tomographie d’impédance électrique par résonance magnétique (MREIT), l’imagerie par ondes électromécaniques (EWI) encore peu développée en France, émergent comme nouvelles modalités d’imagerie.

En biophotonique, un premier axe de recherche concerne le développement de nouvelles méthodes pour l’imagerie cellulaire et tissulaire afin de dépasser les limites de l’optique tout en conservant l’avantage de sa faible invasivité. La France apparaît ainsi comme un des leaders mondiaux en microscopie de super-résolution par détection de sources nanométriques isolées (PALM, STORM photothermie) ; en imagerie de fluorescence à éclairement structuré (STED, SIM) ou en imagerie sans marquage avec la microscopie tomographique de diffraction. Cet ensemble de méthodes permet d’étudier in vivo des processus cellulaires avec une résolution quasiment nanométrique et fournit des informations essentielles en neurosciences. On peut noter ici l’importance prise par le traitement numérique des données (résolution du problème inverse, technique de suivi de particules, réduction de bruit, fiabilité) pour améliorer l’estimation de l’échantillon et obtenir des données quantitatives.

Un autre point fort est le développement de techniques permettant de sonder en profondeur des échantillons épais (essentiellement pour des applications en biologie du développement) comme les microscopies multiphoton cohérentes, l’imagerie par nappe de lumière, la tomographie optique cohérente (OCT) ou encore l’imagerie photoacoustique. Enfin apparaissent des approches d’imagerie corrélative optique-électronique, qui visent à être combinées aux approches précédentes de super-résolution ou d’imagerie 3D en profondeur. Par ailleurs, une forte activité concerne le développement de sondes chimiques ou biologiques, avec en particulier l’émergence de l’optogénétique qui permet de déclencher optiquement un évènement cellulaire par insertion d’une sonde excitable optiquement dans le génome cellulaire, et de suivre ensuite sa dynamique 3D. Pour cela, comme pour les approches précédentes, il est nécessaire de mettre en forme spatialement les faisceaux d’excitation pour corriger les aberrations optiques en profondeur, visualiser diverses profondeurs ou irradier spécifiquement une zone d’intérêt de forme arbitraire (par exemple un axone). On peut noter le succès d’entreprises françaises sur ce créneau, en lien étroit avec les équipes de recherche publique.

Le deuxième axe de recherche biophotonique concerne l’intégration de ces différentes méthodes à des problématiques biologiques ou biomédicales spécifiques. Un premier exemple est la compréhension de divers processus cellulaires, inaccessibles par des mesures d’ensemble, grâce aux techniques de suivi de molécule unique. Un deuxième exemple concerne le développement de la tomographie optique cohérente (OCT) en tant que diagnostic médical par acquisition de banques d’images et formation de pathologistes, ceci en étroite collaboration avec une start-up française. Par ailleurs, le développement d’endoscopes adaptés à ces imageries avancées est en plein essor, avec en particulier le succès d’une entreprise française, là encore très liée à des équipes universitaires, ou des approches combinées à de la robotique.

B. Les agents d’imagerie et de thérapie (theragnostic)

Ces nouveaux objets pour l’imagerie et la thérapie souvent issus de la chimie sont traités au Chapitre IV « Molécules et objets fonctionnels en interaction avec le vivant »

C. Thérapies guidées par l’imagerie, thérapies assistées par agents d’imagerie

L’utilisation des ondes non plus comme moyen d’observation mais comme moyen thérapeutique est prometteur : ablation des tissus par hyperthermie ultrasonore (adénome de la prostate, fibrome utérin, nodules mammaires…) ou par radiofréquence (troubles du rythme cardiaques), sonoporation pour le transport transmembranaire d’un principe actif ou pour la thérapie génique, ouverture de la barrière hémato-méningée, activation d’une molécule par la lumière (photothérapie dynamique), manipulation par champs magnétiques de cellules chargées par un agent magnétique (thérapie cellulaire), activation de particules thermosensibles… Le contrôle par l’imagerie de la thérapie suscite des méthodes originales par couplage multi-ondes, comme par exemple les ultrasons focalisés contrôlés par IRM (MRI-guided FUS) où les ultrasons chauffent les tissus et l’IRM contrôle l’élévation de température. Plusieurs PME françaises sont à la pointe de ces développements sur un marché très prometteur.

La mise au point de techniques de focalisation adaptative, notamment basées sur le principe du retournement temporel, permettant de focaliser des ondes ultrasonores à travers des structures osseuses avec une précision millimétrique, ouvre l’accès à la résection transcrânienne de zones tumorales cérébrales ou de zones épileptogènes, ou encore au rétablissement du fonctionnement de circuits de neurones défectueux par la méthode de stimulation des structures cérébrales profondes (épilepsie, tremblements essentiels…).

III. Micro et nanosystèmes pour la biologie et le vivant

De par leur nature intrinsèque (la taille des dispositifs, leur richesse fonctionnelle, leur reproductibilité et souvent leur faible coût de fabrication), les micro et nanotechnologies ouvrent une fenêtre particulièrement pertinente pour le développement d’outils analytiques permettant de sonder et d’explorer aux niveaux les plus bas, moléculaires ou cellulaires, avec des résolutions et précisions remarquables, les mécanismes du vivant. Elles bousculent les approches et proposent des chemins pertinents pour l’étude des mécanismes fondamentaux et constitueront à terme un accélérateur de la recherche médicale.

Quel que soit l’objectif applicatif poursuivi, les défis majeurs restent encore d’identifier les espèces d’intérêt avec des seuils de détection ultra-sensibles (bien inférieurs au nanomolaire) avec ou sans marquage de l’analyte cible, mais également de manipuler (prélever, traiter, conditionner) des échantillons biologiques complexes (concentration, purification, immobilisation, tri, culture…). Les systèmes aboutis multifonctionnels, plus complexes, plus intégrés, plus intelligents offriront des solutions très performantes pour le diagnostic et le suivi thérapeutique (compagnon thérapeutique) ou l’environnement, répondant à des attentes sociétales majeures. La communauté française bénéficie pour ce faire d’une infrastructure technologique de pointe (Réseau des grandes centrales technologiques RENATECH) largement ouvertes aux besoins extérieurs et travaillant en excellente connexion avec les laboratoires de biologie et les cliniciens. Le GDR 3305 « Micro Nano Systèmes, Micro Nano Fluidique » rassemble cette communauté et contribue largement à l’établissement de l’interdisciplinarité requise.

A. Biosenseurs ou biocapteurs

Un biocapteur est un dispositif, conçu pour transformer un phénomène (bio)chimique en un signal mesurable. Il combine un composant biologique appelé « récepteur » et un « transducteur » représentant le mode de détection. Le domaine des capteurs et biocapteurs connaît un véritable foisonnement. Il s’agit d’un secteur typiquement interdisciplinaire où la chimie de surface se combine à la physique (optique, microélectronique), à la biologie, à la bio-informatique et au biomédical. Les biocapteurs enzymatiques avec détection électrochimique sont encore, à l’heure actuelle, les plus étudiés. Cependant, au cours des deux dernières décennies, le développement de biocapteurs basés sur des phénomènes optiques (résonance plasmonique de surface, interférométrie), électriques et mécaniques a grandement contribué à l’amélioration de leur sensibilité et spécificité, à la baisse du coût, et a facilité le criblage haut débit.

Le développement de prototypes portatifs est en pleine explosion. Le défi est de réaliser des dispositifs compacts, autonomes et automatiques capables d’analyser avec fiabilité des spécimens environnementaux, cliniques, vétérinaires, pathologiques ou médicaux dans des conditions difficiles, sur le terrain, en continu (temps réel) et dans les milieux ambiants (l’air, les fluides corporels, la nourriture…), peu coûteux, rapides, stérilisables et jetables (ou réutilisables). Les travaux actuels concernent l’immobilisation des éléments biologiques et la fonctionnalisation de surface (surfaces micro ou nano structurées par auto-assemblage ou par lithographie), mais également les transducteurs toujours plus sensibles, éventuellement jusqu’à la molécule unique pour s’affranchir des effets de moyennages et obtenir une sensibilité ultime en « comptant » les molécules (détection par voie optique, électrochimie, effet de champ, masse).

Les techniques de détection actuelles se tournent également vers l’étude des événements et mécanismes jusqu’au niveau cellulaire (membranaire ou intra-cellulaire, par exemple en utilisant les hyper-fréquences), si possible sans en affecter le fonctionnement, voire générer de morbidité.

B. Biopuces

Les biopuces très largement utilisées depuis plus de vingt ans, sont devenues un outil d’analyse multiplexé, haut débit, d’interactions entre une sonde fixée sur support et une cible (analyte) en solution, marquée ou non, et extraite de systèmes biologiques. Les sondes sont des biomolécules de natures différentes (protéines, peptides, ADN, cellules, sucres, tissus…). De nos jours, les biopuces sont abondamment utilisées dans les laboratoires pour des applications aussi variées que l’étude de l’expression des gènes, le génotypage, les interactions protéines-protéines ou protéines-sucres, la recherche d’inhibiteurs enzymatiques, de molécules chimitoxiques, l’impact d’effecteurs exogènes sur des cellules ou encore l’effet d’ARN dit interférent sur des cellules transfectées etc. De par leurs applications variées, les biopuces sont utilisées dans de nombreux domaines tels que la recherche fondamentale et pharmaceutique, le diagnostic médical, le contrôle agroalimentaire et industriel, l’environnement, les armes biologiques, etc.

La recherche se focalise à l’heure actuelle sur une troisième génération de biopuces pour le séquençage de masse, basée sur le séquençage d’une seule molécule d’ADN (Single Molecule Sequencing ou SMS). Contrairement à la deuxième génération, aucune amplification de l’ADN (ou ARN) n’est nécessaire pour effectuer le séquençage. Une seule molécule est lue. On peut donc également séquencer de l’ARN sans devoir le convertir au préalable en ADN complémentaire. Plusieurs approches très interdisciplinaires, telles que la technique dite « nanopores » qui combine de la fabrication ultime ou la biochimie de canaux ioniques et des mesures électrochimiques bas bruit, sont actuellement étudiées. Elles tirent également parti des matériaux émergents comme le graphène qui devrait permettre une amplification du signal de par la faible épaisseur du canal ionique ou du couplage entre des nanotransistors et les brins uniques d’ADN. Toutefois, les rendements ne sont pas, à l’heure actuelle, compatibles avec une commercialisation de ces techniques.

Le développement des puces à protéines se développe également mais s’avère plus problématique, car le monde des protéines est bien plus complexe. Ainsi pour réaliser des biopuces à protéines, il faut disposer de surfaces sur lesquelles les protéines puissent se fixer sans dénaturation, ce qui modifierait leur configuration spatiale et détruirait leurs fonctions et dans une orientation appropriée pour que les sites de fixation soient accessibles. Pour les biopuces à peptides, qui habituellement ne possèdent pas les particularités tridimensionnelles nécessaires à la reconnaissance, cette étape est moins critique. Ainsi les obstacles à franchir restent-ils nombreux pour les puces à protéines et l’avenir appartient vraisemblablement à diverses puces « thématiques » adaptées aux besoins particuliers des chercheurs ou des médecins. En ce qui concerne les glycoarrays ou biopuces à sucres, même si elles attirent beaucoup les scientifiques actuellement, cette technologie est encore dans sa phase de développement et de validation. Parmi les limitations et les défis, on trouve principalement : les sources disponibles de sucres, le développement de méthode d’isolement et de purification de nouveaux sucres à partir de sources naturelles, la mise en place de nouvelles synthèses.

C. Laboratoires sur puces

Le domaine des laboratoires sur puce constitue, depuis son origine, un domaine d’application très important de la microfluidique. Construits avec l’objectif ultime de l’intégration complète de la chaîne analytique, au niveau moléculaire ou cellulaire, ils contribuent à répondre à un besoin grandissant d’analyse automatique, rapide et à bas coût. Le potentiel de miniaturisation ultime de ces systèmes, leur richesse fonctionnelle permettent le rapprochement du lieu d’analyse au lieu de prélèvement et ouvrent ainsi un champ d’utilisation extrêmement vaste (chez le praticien, au lit du patient, en environnement isolé ou défavorisé…). Bien que les technologies microfluidiques aient atteint un degré de maturité suffisant pour permettre l’émergence d’applications extrêmement pertinentes, les laboratoires sur puces restent encore un domaine complexe où la recherche revêt de multiples facettes : technologies de fabrication, de fonctionnalisation, fonctionnalités nouvelles. Essentiellement conçus sur une base bidimensionnelle, ils évoluent vers des formes plus complexes, éventuellement 3D, de manière à optimiser le niveau d’intégration, mais également à satisfaire à de nouvelles exigences fonctionnelles. Des fonctions multiples (tri, séparation, amplification, assemblage sélectif, encapsulation, confinement, focalisation des bio-objets) sont encore à imaginer et implémenter que ce soit au niveau moléculaire ou cellulaire, que ce soit en flux continu ou en fluidique digitale. L’inflexion récente des demandes pour des dispositifs à bas coût, et éventuellement souples a suscité une transition importante, consistant à introduire de façon massive la matière organique voire biologique dans les filières technologiques concernées : couches moléculaires auto-assemblées, copolymères à blocs, substrats à dureté variable patternée, matériel génétique auto-organisé en origami ou organisé par assemblage spécifique (ADN/aptamères-protéines), vésicules (hydrogels, polymères, lipides, etc.), nanoparticules multifonctionnelles sont autant d’outils qui alimenteront la recherche dans les années à venir.

Bien que la recherche en dispositif d’analyse moléculaire soit encore particulièrement active, on peut noter une évolution notoire de la problématique vers le niveau cellulaire. Le diagnostic moléculaire connaît toutefois une forte dynamique dans le domaine émergent de la nanofluidique. Cette évolution permet les manipulations moléculaires aux échelles ultimes et servira tant le domaine du diagnostic que celui de la compréhension des systèmes biologiques en permettant de reconstituer des systèmes modèles mimant le vivant.

Un des champs d’application particulièrement actif porte sur la possibilité de travailler à l’échelle de la cellule unique. De par les très faibles volumes de liquide manipulé, il devient possible d’analyser de manière quantitative le contenu génétique ou protéique d’une seule cellule. Les approches récentes en microfluidique biphasique et notamment la possibilité d’encapsuler des cellules dans des gouttelettes aqueuses ouvrent des perspectives très intéressantes pour l’analyse à très haut débit et très haut contenu de populations cellulaires. La manipulation, le tri, la détection, l’étude de la croissance de cellules, qu’il s’agisse de cellules eucaryotes ou procaryotes, en gouttes ou en flux continu, sont des domaines de recherches très actifs.

Un autre champ de recherche concerne l’interaction de cellules vivantes avec leur environnement local ou microenvironnement. Ces études ouvrent des possibilités très intéressantes notamment dans le domaine de la cancérologie : il est désormais admis que le caractère invasif d’un cancer primitif est déterminé non seulement par le génotype des cellules tumorales, mais aussi par leurs interactions avec l’environnement extracellulaire qui module les capacités de développement de la tumeur. Le micro-environnement cellulaire est également central dans les mécanismes de différenciation de cellules souches et la possibilité de cribler à haut débit l’influence du micro-environnement sur la différenciation des cellules souches constitue également un défi majeur dans le domaine de la médecine régénérative qui vise à générer des organes et des tissus spécifiques à partir de cellules souches.

Enfin, les laboratoires sur puce s’imposent également comme un outil de choix pour étudier des interactions cellules-cellules. En neurosciences, par exemple, la possibilité de cultiver des neurones dans des environnements avec une topographie contrôlée permet d’étudier à la fois des mécanismes de propagation (virologie, thérapeutique) mais aussi d’étudier la connectivité et la plasticité neuronale. Cette dimension se prolonge jusqu’à l’échelle tissulaire. Plusieurs groupes français participent déjà à cet élan international vers la fabrication d’organes on-chip.

IV. Molécules et objets fonctionnels en interaction avec le vivant

Nous nous attacherons dans ce chapitre à donner un aperçu (non exhaustif) des outils chimiques et écologiques développés pour sonder le vivant à l’échelle de la cellule, de l’organisme ou d’une population. Dans certains cas, la sonde sera un simple rapporteur des phénomènes que l’on souhaite observer ; dans d’autres cas, l’objet sera pensé pour interagir avec son environnement, pour avoir une action sur son fonctionnement, que ce soit à des fins de compréhension, à des fins curatives ou encore de biologie synthétique.

A. Molécules en interaction avec le vivant

Parmi les molécules utilisées en imagerie in vivo, on peut distinguer les sondes (qui sont directement détectables) des agents de contraste, qui augmentent artificiellement le contraste entre une structure anatomique (par exemple, un organe) ou pathologique (par exemple, une tumeur), et les tissus voisins. Dans les deux cas, les travaux menés par les chimistes visent à améliorer la solubilité ou la dispersion du composé dans les milieux biologiques, sa stabilité et sa non-toxicité in vivo ainsi que son efficacité en tant qu’agent d’imagerie. L’utilisation de méthodes de synthèse « propre » permet de limiter la concentration en solvant ou en catalyseur résiduel, ces composés ayant souvent un impact négatif sur le vivant. Par ailleurs, un ciblage efficace des composés sonde par le biais d’anticorps, de ligands, ou de peptides de reconnaissance, est souvent souhaité.

Les recherches portent notamment sur le développement de molécules fluorescentes photo-stables et absorbant à une longueur d’onde proche de l’infrarouge pour l’imagerie optique, et sur la synthèse d’agents chélatants performants permettant d’éviter une trans-métallation (échange de métaux) ou une trans-chélation (échange de ligands) in vivo. Dans le domaine de l’IRM, par exemple, les métaux concernés sont le Gd et le Mn d’une part et les lanthanides d’autre part (agents CEST et PARACEST). Les chimistes s’intéressent également au marquage de biomolécules par des radio-nucléotides à temps de demi-vie court (typiquement 11C ou 18F) pour la Tomographie par Émission de Positrons.

La tendance actuelle est d’aller vers des constructions plus complexes, permettant de conjuguer sur une même plate-forme (polymère, biomolécule) une molécule de reconnaissance, et un ou plusieurs agents de détection pour permettre une analyse multimodale et ciblée in vivo. Ces travaux sont rendus possibles par une expertise forte des laboratoires français en méthodes de couplage orthogonales rapides et sélectives.

Un dernier point concerne l’élaboration de molécules sondes capables de réagir in situ à des évènements biologiques spécifiques (réaction enzymatique, variation de pH ou de température, présence d’espèces oxydantes…) en induisant l’apparition (ou la disparition) d’un signal par exemple par quenching de fluorescence, ou décageage d’une molécule sonde. L’objet chimique peut également être conçu pour libérer une molécule qui va interférer avec le processus biologique à des fins de compréhension ou curatives (approche « prodrug ») ; la libération peut se faire par action enzymatique ou par une activation physique telle que la lumière, les rayons X, ou les ultra-sons focalisés.

B. Objets colloïdaux pour l’imagerie et le théragnostic

Les objets colloïdaux particulaires sont utilisés depuis de nombreuses années en tant que plate-forme de diagnostic in vitro. L’enjeu actuel est de réaliser des analyses à grande échelles, en parallèle, le plus rapidement possible (« high throughput ») et de détecter des quantités toujours plus petites. Par exemple, l’utilisation de particules magnétiques fonctionnelles, interagissant de manière très spécifique avec certaines protéines ou biomolécules, combinée à des approches de type microfluidique, permet de réaliser un tri magnétique de cellules.

Plus récemment, l’utilisation des objets colloïdaux en tant qu’outil de détection in vivo s’est beaucoup développée avec notamment la synthèse de plate-formes de détection multimodales. Qu’il s’agisse de suspensions gazeuses ou liquides perfluorées pour l’imagerie ultrasonore, de particules métalliques ou organiques pour l’imagerie optique ou par IRM, ou d’objets plus complexes permettant une détection multimodale, le contrôle de leur état de surface est crucial pour garantir leur stabilité in vivo et permettre une interaction spécifique entre la sonde et sa cible (biomolécule, cellule, tissu). Le devenir de ces objets et des composés issus de leur dégradation dans l’organisme reste l’objet de nombreux travaux, notamment depuis l’émergence de la controverse sur la toxicité des nanoparticules.

Les nanotechnologies ont également largement participé à l’essor de la nanomédecine qui exploite des nano assemblages pour imager des processus biologiques ou physiopathologiques et/ou pour transporter un médicament (siRNA, molécules anticancéreuse…) dans le corps d’une manière contrôlée depuis le site d’administration jusqu’à un site cible. Cette approche vise 1/ l’augmentation de la sensibilité des méthodes d’imagerie (fonction agent de contraste), 2/ l’accès à une information de nature métabolique ou moléculaire (marquage), 3/ l’amélioration de la biodistribution du principe actif en favorisant son accumulation sur le site cible au détriment du reste de l’organisme (contrôle de la livraison du principe actif). Ceci a pour effet de réduire les effets secondaires des traitements appliqués par voie systémique. Pour les systèmes in vivo, le grand challenge est d’arriver à atteindre une cible de façon spécifique, sans que le système immunitaire n’ait « phagocyté » l’objet. Le contrôle des caractéristiques physico-chimiques de l’objet (taille, nature et polarité de la surface, nature des ligands) permet de limiter fortement la capture par le système immunitaire et d’augmenter l’efficacité du ciblage.

L’encapsulation conjointe d’une molécule active et d’un agent de contraste d’imagerie permet de suivre in situ la biodistribution des vecteurs dans l’organisme et leur éventuelle accumulation sur le site cible. Ces vecteurs agents d’imagerie sont appelés agents « théragnostiques ». Plusieurs modalités d’imagerie peuvent être utilisées pour révéler la distribution des médicaments (IRM, ultrasons, imagerie optique…) au voisinage de la cible thérapeutique et l’effet thérapeutique correspondant. Enfin, certains objets sont conçus pour être activables, c’est-à-dire capables de relarguer leur contenu sous l’action d’un stimulus extérieur, uniquement au voisinage de la cible.

De nombreuses solutions sont à l’étude, nécessitant des approches fortement multi- et interdisciplinaires (chimie, physique, imagerie, biologie, pharmacologie, médecine…) :

– nano plate-formes (nanogels, nanoparticules et nanocapsules, microbulles et nanobulles, liposomes, polymersomes) multifonctions activables et contrôlables à distance par champs magnétiques, la lumière, ou par ultrasons ;

– quantum dots, nanofils, nanotubes de carbone, nanoparticules d’or ;

– nanoaimants pour l’imagerie, la thérapie cellulaire, l’ingénierie tissulaire.

La communauté de chimistes travaillant à l’interface chimie-imagerie-biologie s’est structurée notamment autour de France Bio Imaging et France Life Imaging. Si le développement de ces outils chimiques est généralement bien accueilli au sein des sections disciplinaires correspondantes, les études plaçant la question biologique en avant trouvent leur place au sein de cette CID. De telles études, alliant chimie, techniques d’imagerie et questionnement biologique, sont par nature fortement interdisciplinaires. Toutefois l’accessibilité pour les biologistes à des composés développés par les chimistes reste une des difficultés de ce type d’approche. Dans un contexte de marché en pleine croissance, on peut également regretter le faible nombre de vecteurs actuellement mis sur le marché. La difficulté vient essentiellement de la procédure longue et coûteuse pour faire valider une formulation médicamenteuse.

C. Sondes écologiques

Les organismes équipés d’appareils enregistreurs ou transmetteurs agissent à la manière de sondes environnementales car ils réagissent et ajustent leurs paramètres comportementaux et physiologiques de manière spécifique aux stimuli provenant de l’environnement. L’organisme et l’instrumentation qu’il véhicule vont non seulement nous renseigner sur l’état de l’environnement dans lequel il évolue – à des échelles spatiales et temporelles immédiates et donc pertinentes pour comprendre la biologie de l’organisme – mais aussi sur la plasticité de réaction de l’organisme en interaction avec son environnement. Cette approche, retrouvée dans la littérature sous les dénominations de biotélémétrie (transmission d’information) et bio-logging (enregistrement d’information in situ), est interdisciplinaire par essence car elle concerne la biomédecine, la physiologie, l’écologie comportementale, l’écophysiologie, mais aussi les sciences de l’univers tels que l’océanographie, la météorologie, et la géographie. Au niveau français, les laboratoires qui s’intéressent à ce type d’approches sont également à la pointe du développement dans un domaine connexe d’instrumentation en écologie : l’identification automatisée des organismes en conditions naturelles. Cette approche repose sur l’injection de puces RFID (Radio-Frequency Identification) porteuses d’un numéro d’identification unique dans un organisme, classiquement appartenant à la catégorie des vertébrés supérieurs (du poisson aux mammifères terrestres de taille suffisante pour accommoder des puces d’au minimum quelques millimètres de long). Le numéro d’identification de ces puces sera ensuite lu à distance par des antennes portables ou fixes qui permettront ainsi de reconstruire une partie des allées et venues de l’organisme et de les relier aux variations des caractéristiques biotiques et abiotiques de l’environnement. Si le suivi RFID présente un découplage spatio-temporel entre l’identification de l’organisme et les conditions environnementales par rapport aux approches de type biotélémétrie/bio-logging, il permet toutefois de s’intéresser à un grand nombre d’individus simultanément et donc de réaliser des suivis d’un très grand nombre d’individus, s’approchant presque du niveau des populations.

Enfin, il convient d’intégrer à ce chapitre les sondes écologiques qui prennent la forme de molécules chimiques émises par les organismes dans leur environnement. Ces molécules, souvent appelées « métabolites secondaires » sont impliquées dans les interactions entre les organismes et leur environnement car elles représentent les vecteurs principaux dans les processus de communication chimique et sont également impliquées dans la réponse des organismes aux changements environnementaux. Les métabolites secondaires contribuent donc significativement à la structuration de la biodiversité et au fonctionnement des écosystèmes. Dans ce cadre, la métabolomique, qui représente l’un des quatre domaines « omiques », possède de nombreuses applications en écophysiologie, en écotoxicologie et en écologie chimique pour identifier des composés bioactifs impliqués dans les interactions écologiques. Dans le paysage scientifique français, les plate-formes et plateaux techniques de métabolomique couvrent ainsi un champ d’investigation large mais qui est naturellement dominé par les applications médicales, toxicologiques, agro-alimentaires et agronomiques. Toutefois, et au vu de l’important essor que connaît la métabolomique environnementale, il apparaît capital de développer ce type de plateaux techniques au sein de laboratoires d’écologie.

V. Systèmes biomimétiques

Il est important de définir la biomimétique dans un contexte où des approches dites bio-inspirées ou encore bioniques prennent aussi, de nos jours, toute leur importance. La bionique et la biomimétique concernaient à l’origine la conception de systèmes artificiels reproduisant des fonctions et caractéristiques issues de systèmes naturels tels que des matériaux, des mécanismes cellulaires, des processus de synthèse moléculaire, des traitements neuronaux, des comportements animaux, des écosystèmes… Si la définition est toujours valable pour la biomimétique, la bionique se situe maintenant à l’interface entre des systèmes artificiels (implants, micro-électrodes…) et les tissus biologiques excitables pour le pilotage, par exemple, de prothèses robotisées et même d’exosquelettes.

Toutes ces approches bio-inspirées ont finalement un double objectif permettant de faire d’une pierre deux coups, à savoir : une meilleure compréhension du vivant et le développement de nouvelles technologies, souvent non-intuitives, issues de données ou de modèles obtenus à partir d’expériences menées en biologie. D’ailleurs, c’est bien la force d’une approche bio-inspirée d’associer l’étude de mécanismes naturels, source inépuisable d’idées et d’innovations, en prenant appui sur la compréhension du vivant.

Ces approches biomimétiques se déclinent de l’échelle de la molécule unique à celle de l’organisme entier. Quelques exemples en sont donnés ci-dessous.

A. Échelle moléculaire

À l’échelle subcellulaire, les pores nucléaires constituent l’unique porte d’entrée et de sortie du noyau des cellules et servent de voie de passage sélective aux acides nucléiques et aux protéines échangées entre le noyau et le cytoplasme. Grâce aux interactions avec des protéines spécifiques, ils sont responsables du « contrôle qualité » des ARN messagers exportés et donc des protéines produites. Des nanopores biomimétiques ont été développés et associés à des membranes afin d’étudier la dynamique de leur fonctionnement. La compréhension du fonctionnement de ces pores modélisés permettra d’aborder l’étude de leurs rôles et ainsi de mieux caractériser l’étiologie des pathologies associées à une mauvaise élimination d’ARN messagers non conformes.

À l’échelle moléculaire, les interactions chimiques entre organismes, en particulier les actions synergiques de mélanges de substances offrent des perspectives pour contrer les phénomènes de résistance aux substances pharmacologiques d’intérêt pour l’homme. Il est donc nécessaire 1) d’établir une chimiothèque, notamment à partir des organismes les moins bien caractérisés (milieux extrêmes, groupes peu étudiés) et 2) d’aborder l’étude des synergies possibles entre les différentes molécules identifiées.

À la frontière entre l’échelle moléculaire et les biomatériaux, la compréhension et la capacité à reproduire et contrôler des processus tel que la biominéralisation chez les animaux invertébrés produira des pistes novatrices dans notre capacité à comprendre et résoudre les problèmes de santé liés à la dégradation des tissus osseux.

B. Échelle cellulaire

La cellule est un système biologique déjà complexe qu’un grand nombre d’équipes cherchent à comprendre grâce à des approches biomimétiques. Un liposome artificiel rempli d’actine et de composants cytosoliques minimaux est un système biomimétique de cortex cellulaire. L’addition de moteurs moléculaires permet de développer des systèmes biomimétiques qui reproduisent le mouvement cellulaire et d’étudier en conditions contrôlées les mécanismes physiques et biochimiques qui le gouvernent. Ces connaissances pourraient être utilisées à terme pour actionner des robots micrométriques. La bio-ingénierie est un domaine également basé sur la biomimétique. L’ingénierie tissulaire, par exemple, représente une alternative à la chirurgie pour le remplacement de tissus endommagés. Elle implique l’association de biomatériaux susceptibles d’assurer les fonctions mécaniques du tissu artificiel avec des cellules capables d’en assurer les fonctions biologiques spécifiques. Ceci suppose la connaissance des mécanismes d’interaction des cellules avec leur environnement extracellulaire et leur reproduction au sein du tissu artificiel. De nombreux travaux s’attachent par exemple au contrôle des propriétés chimiques, topographiques et mécaniques des biomatériaux afin de favoriser leur interaction avec les cellules et même de les stimuler.

C. Biomimétisme neuronal et tissulaire

Au niveau neuronal, de nombreuses études en électrophysiologie ont donné naissance à la réalisation de puces électroniques dites neuromorphiques reproduisant sous forme de circuits micro-électroniques des traitements dits neuronaux. Par exemple, une meilleure compréhension de la vision des vertébrés et des invertébrés a permis le développement de technologies neuromorphiques remarquables telles que des caméras rapides basées sur des évènements (spikes) et inspirées de la rétine de l’homme ou encore des capteurs optiques reproduisant fidèlement la vision panoramique de la mouche drosophile pour des applications robotiques.

D Comportement/Locomotion

À l’échelle du comportement, la locomotion, qu’elle soit sous-marine (nage), terrestre (bipède, quadripède…) ou aérienne (vol battu), a donné lieu à de nombreuses études de modélisation associées souvent à des réalisations robotiques remarquables telles que des robots poisson ou des robots humanoïdes. Mais le mouvement ne peut se dissocier de la perception qui, elle aussi, a donné lieu à de nombreux modèles mathématiques issus notamment de travaux de neuro-éthologie tels que l’étude de la navigation chez l’abeille ou encore de la stabilisation de la tête chez la guêpe. La modélisation du sens du toucher chez l’homme, de l’audition chez la chauve-souris, de l’olfaction chez le papillon de nuit mais aussi du sens électrique chez le poisson sont autant d’exemples se situant à l’interface entre sciences du vivant et sciences de l’ingénieur. L’étude de la locomotion et de la perception sont certainement deux exemples emblématiques d’une transdisciplinarité impliquant plusieurs instituts du CNRS (INSB, INS2I, INSIS) où une confrontation multidisciplinaire allant des neurosciences à la robotique en passant par la mécanique, l’automatique, l’informatique et le traitement du signal permettra de répondre à des questions scientifiques fondamentales très souvent source d’innovation à long terme.

E. Écosystèmes

À l’opposé des approches in natura mentionnées en chapitre 3.3, les écotrons s’attachent à recréer un écosystème dans son intégralité. La possibilité de travailler en conditions contrôlées à l’échelle d’un écosystème, ou de plusieurs en même temps, offre de nombreux avantages dont celui de pouvoir faire varier un ou plusieurs paramètres physiques et/ou chimiques et de suivre les répercussions de ces changements sur les paramètres abiotiques (et pour une moindre mesure pour l’instant, biotiques) de l’écosystème considéré. Le développement et l’utilisation de ces systèmes sont à la pointe de l’instrumentation et jouent un rôle majeur dans l’évaluation des risques de modifications des écosystèmes naturels en réponse à des modifications anthropiques (pollution, organismes génétiquement modifiés, perturbations physiques de l’habitat, etc.) et/ou liées aux modifications attendues des conditions environnementales dans un contexte de changements climatiques globaux (réchauffement, sécheresse, augmentation des rayonnements ultra-violets, etc.).

Conclusion

La diversité des approches exposées dans ce document constitue une réelle opportunité de progrès scientifiques et technologiques dans de nombreux domaines. Toutefois cette richesse est aussi multiplicité et appelle quelques commentaires :

– sur le parcours professionnel des chercheurs : l’ouverture interdisciplinaire qui représente un cheminement souvent long et un investissement personnel toujours important induit des recrutements tardifs humainement inconfortables. La spécificité des projets de recherche et des parcours, à la frontière des disciplines, ne bénéficie pas toujours d’une évaluation adéquate fragilisant les personnes et les stratégies de recherche.

– sur le financement de la recherche : les activités, généralement en rupture, souvent en dehors des principales road-maps stratégiques, peinent parfois à trouver « leur case ».

Parfaitement identifiée, toujours mise en exergue, l’interdisciplinarité est plus difficilement reconnue quand il s’agit de dégager et de mettre en œuvre les moyens adéquats.

Ainsi, l’interdisciplinarité, puissant moteur de recherche et d’innovation, doit être appréhendée dans sa complexité et doit être protégée. En particulier, la question de la pérennisation de la CID 54 doit être posée. Au-delà de la cohérence stratégique que cela représenterait cette pérennisation permettrait de garantir une solution sereine pour le recrutement et l’évaluation des chercheurs.