Rapport de conjoncture 2014

Section 11 Systèmes et matériaux supra et macromoléculaires : élaboration, propriétés, fonctions

Extrait de la déclaration adoptée par le Comité national de la recherche scientifique réuni en session plénière extraordinaire le 11 juin 2014

La recherche est indispensable au développement des connaissances, au dynamisme économique ainsi qu’à l’entretien de l’esprit critique et démocratique. La pérennité des emplois scientifiques est indispensable à la liberté et la fécondité de la recherche. Le Comité national de la recherche scientifique rassemble tous les personnels de la recherche publique (chercheurs, enseignants-chercheurs, ingénieurs et techniciens). Ses membres, réunis en session plénière extraordinaire, demandent de toute urgence un plan pluriannuel ambitieux pour l’emploi scientifique. Ils affirment que la réduction continue de l’emploi scientifique est le résultat de choix politiques et non une conséquence de la conjoncture économique.

L’emploi scientifique est l’investissement d’avenir par excellence
Conserver en l’état le budget de l’enseignement supérieur et de la recherche revient à prolonger son déclin. Stabiliser les effectifs ne suffirait pas non plus à redynamiser la recherche : il faut envoyer un signe fort aux jeunes qui intègrent aujourd’hui l’enseignement supérieur en leur donnant les moyens et l’envie de faire de la recherche. On ne peut pas sacrifier les milliers de jeunes sans statut qui font la recherche d’aujourd’hui. Il faut de toute urgence résorber la précarité. Cela suppose la création, sur plusieurs années, de plusieurs milliers de postes supplémentaires dans le service public ainsi qu’une vraie politique d’incitation à l’emploi des docteurs dans le secteur privé, notamment industriel.

Composition de la section

Henri Cramail (président de section) ; Stéphanie Reynaud (secrétaire scientifique) ; Karine Anselme ; Jean-François Berret ; Axel Buguin ; Jannick Duchet-Rumeau ; Alain Durand ; Francis Ehrenfeld ; Lionel Foret ; Éric Freyssingeas ; Laurent Heliot ; Ilias Iliopoulos ; Valérie Langlois ; Jean-François Lutz ; Emmanuelle Marie-Begue ; Laurence Noirez ; Catherine Picart ; Laurence Ramos ; Alain Rivet ; Véronique Schmitt ; Olivier Theodoly-Lannes.

Résumé

La section 11, doublement rattachée aux Instituts de Chimie (principal) et de Physique (secondaire) est spécialisée dans les systèmes et matériaux supra et macromoléculaires. Dans ce rapport, organisé en quatre volets, les dernières avancées en chimie macromoléculaire, qui mettent notamment l’accent sur des méthodologies de synthèse toujours plus précises et respectueuses de l’environnement, sont introduites en premier. Le second volet discute de la physico-chimie et de la physique de ce qui est communément appelé « la matière molle », à savoir les polymères en solution et à l’état fondu, les molécules amphiphiles, les cristaux liquides, les milieux colloïdaux et toute une série d’objets nouveaux, complexes, hybrides, « intelligents », aux propriétés inédites. Les propriétés d’assemblage et la dynamique d’écoulement de ces objets sont notamment discutées. Vient ensuite un volet « matériaux macromoléculaires » qui explique pourquoi les concepts de chimie, physico-chimie et procédés doivent être simultanément maîtrisés dès lors qu’un contrôle fin des propriétés de ces matériaux, le plus souvent formulés ou nanostructurés, est recherché. Enfin, le dernier volet traite des systèmes biologiques à l’interface entre la physique et la biologie. Les propriétés physiques de ces objets (systèmes biomimétiques, cellules, tissus et organismes), étudiées par des approches inspirées de la matière molle et/ou associées au développement d’outils dédiés, sont notamment présentées.

Introduction

La section 11 fédère une large communauté scientifique qui étudie des objets, systèmes et matériaux toujours plus complexes relevant de la matière molle, son cœur d’origine. Par essence pluridisciplinaire, elle rassemble aujourd’hui de multiples compétences aux frontières de la chimie, de la physique et de la biologie. Quelque 260 chercheurs appartiennent aujourd’hui à la section. Le lecteur est invité à consulter le site http://www.cnrs.fr/zento/ pour mieux connaître la répartition des chercheurs de la section 11 et les Laboratoires qui lui sont rattachés.

Rassembler en quelques pages l’ensemble des problématiques traitées au sein de la section n’est pas chose aisée ! Aussi ce rapport de conjoncture ne se veut pas exhaustif mais vise à faire émerger les axes forts de la section et à proposer quelques recommandations utiles à la consolidation et (re)définition de son périmètre.

Ce rapport est organisé en quatre grands chapitres, traitant respectivement de la chimie macromoléculaire, de la physique et de la physico-chimie de la matière molle, des matériaux polymères et enfin des systèmes biologiques. Bien évidemment, nombre des sujets de recherche peuvent se trouver aux interfaces de ces grands domaines d’étude.

I. Chimie macromoléculaire

La chimie des polymères est une des disciplines majeures de la section et reste un domaine en constante évolution. En effet, si la chimie des matières plastiques dites de « commodité », constituait le cœur de la discipline il y a encore quelques années, les laboratoires académiques développent aujourd’hui, d’une part des méthodologies de synthèse plus respectueuses de l’Homme et de l’environnement et s’orientent, d’autre part, vers la conception de polymères de « spécialités », nécessitant des structures moléculaires très bien contrôlées voire même de « haute précision », pour atteindre des propriétés toujours plus complexes. Ces nouvelles facettes de la chimie fondamentale des polymères sont décrites dans les paragraphes ci-après.

A. Défis fondamentaux de la chimie macromoléculaire

1. De nouvelles briques élémentaires : développement et utilisation de synthons bio-sourcés

Malgré l’engouement récent lié à l’utilisation des gaz de schistes qui peut retarder la valorisation de la biomasse, cette dernière constitue la source inépuisable de synthons renouvelables pour l’élaboration de matériaux polymères. L’utilisation de ces bio-ressources (polysaccharides, oléagineux polyphénols, etc.) passe inévitablement par des processus d’extraction, de purification, de cracking qui font déjà et feront encore l’objet de collaborations fortes à l’interface avec d’autres sections (12, 14). Dans ce contexte, les milieux de polymérisation et la catalyse sont au cœur des recherches. Au-delà de quelques polymères déjà issus de la biomasse tel le poly(acide lactique), PLA, l’enjeu réside aujourd’hui dans le développement de voies efficientes et viables économiquement pour accéder à des monomères/synthons nouveaux ou déjà issus de la pétrochimie (mimétisme). Ces recherches prendront du temps mais sont maintenant bien lancées en France avec l’émergence de projets structurants d’envergure, le plus souvent en partenariat avec des industriels et/ou pilotés par des Instituts dédiés (ITE).

2. Des polymérisations plus efficaces et éco-responsables

Pour les années à venir, la chimie macromoléculaire va devoir évoluer en tenant compte des « contraintes environnementales » que les nouvelles législations imposent (e.g. REACH). Elle doit notamment anticiper l’interdiction de certains catalyseurs métalliques aujourd’hui encore largement employés dans la production industrielle de polymères de premier plan, comme par exemple les PUs et le PET. En ce sens, la chimie macromoléculaire a beaucoup à gagner des nouvelles catalyses (organique, enzymatique et même métallique via l’utilisation de supports pour un recyclage aisé du catalyseur), développées actuellement en chimie moléculaire, afin de « repenser » les grandes méthodes de polymérisation incluant les polymérisations en chaîne et par étapes ou encore la modification chimique des polymères.

B. Contrôle de la structure moléculaire des polymères : ingénierie macromoléculaire et chimie de précision

1. Contrôle de l’architecture macromoléculaire : synthèse de copolymères à blocs, ramifiés, dendritiques, cycliques et bio-hybrides

Le contrôle de l’architecture macromoléculaire reste un thème majeur avec des progrès spectaculaires au cours de ces vingt dernières années. En effet, depuis les années 90, les polymérisations ioniques, en particulier carbanioniques, ont été « rattrapées » par des méthodes de polymérisation radicalaire contrôlée et des chimies de ligation de type « click » pour la synthèse d’architectures très complexes dans des conditions expérimentales beaucoup plus simples. Au-delà des copolymères diblocs ou triblocs totalement synthétiques, de nouvelles structures macromoléculaires plus complexes sont maintenant étudiées, qui allient polymères synthétiques et naturels ; ces systèmes bio-hybrides connaissent aujourd’hui un fort développement.

2. Vers des polymères de haute précision : contrôle de la structure primaire des macromolécules

Depuis quelques années, une nouvelle tendance, la chimie macromoléculaire de précision, est apparue dans le domaine des polymères de synthèse. L’objectif de cette « nouvelle discipline » est de contrôler des paramètres moléculaires qui, jusqu’alors, n’étaient pas parfaitement maîtrisés tels que la taille des chaînes, la tacticité ou encore l’agencement (ou le séquençage) des unités monomères dans les chaînes. Ces nouveaux sujets sont fortement inspirés par la structure moléculaire et les propriétés d’auto-assemblage des polymères naturels tels que les protéines ou les acides nucléiques. Dans ce contexte, de nouveaux outils de synthèse ont été développés pour préparer des polymères synthétiques de haute précision. Certaines de ces méthodes, comme l’ingénierie génétique ou la PCR, utilisent directement des mécanismes biologiques pour préparer des polymères artificiels. D’autres sont basées sur des processus chimiques strictement non-naturels. Par exemple, il est possible de réguler les séquences de comonomères dans des polymères synthétiques en jouant sur des aspects cinétiques ou thermodynamiques. Ces nouveaux polymères à séquences contrôlées présentent des avantages importants. En effet, les propriétés microscopiques ou macroscopiques de ces polymères peuvent être contrôlées par de subtiles variations de leur structure primaire. Ce sujet est en plein essor.

3. Conformation, repliement et auto-assemblage des macromolécules amorphes ou semi-cristallines

Le repliement des chaînes macromoléculaires en des structures secondaires – voire tertiaires – complexes est un aspect fort de la chimie des polymères moderne. Historiquement, ce thème a été très étudié en France, notamment par le biais des polymères semi-cristallins. Toutefois, depuis quelques années, d’autres facettes de ce sujet sont examinées telle que le repliement des chaînes macromoléculaires en solution en des structures ordonnées. Les foldamères macromoléculaires, pouvant s’auto-organiser en des structures hélicoïdales ou en feuillets, sont des exemples type de ces nouvelles structures. Une autre tendance vise à organiser des polymères amorphes en des structures globulaires complexes. Il a par exemple été montré que des pelotes statistiques de polymères atactiques peuvent être transformées en des nanoparticules globulaires en utilisant des chimies de réticulation intramoléculaires. Ces nouveaux objets sub-micrométriques peuvent être obtenus par chimie covalente mais aussi en utilisant des principes de chimie supramoléculaire. Ces nouvelles approches sont intéressantes pour créer des auto-assemblages fonctionnels basés sur des chaînes macromoléculaires uniques.

C. Synthèse de polymères de fonction

1. Des macromolécules intelligentes : Polymères stimulables et polymères à mémoire de forme

L’association de séquences (différant par leurs capacités à établir des liaisons hydrogène) permet d’obtenir des macromolécules subissant des transitions conformationnelles importantes (contraction-expansion, association-dissociation, complexation, etc.). En milieu aqueux, ce phénomène est obtenu sous l’effet de variations très réduites de paramètres physico-chimiques tels que force ionique, température, pH, etc. À partir de ce concept initial, les travaux les plus récents ont évolué essentiellement dans deux directions. D’une part, vers des stimuli plus complexes (oxydo-réduction au sens large, lumière) en lien avec des applications plus spécifiques ; ceci repose surtout sur la conception de groupements fonctionnels répondant à ces stimuli et sur leur insertion au sein d’architectures macromoléculaires. D’autre part, vers des systèmes plus complexes où des macromolécules s’associent de façon réversible avec des molécules amphiphiles via différents types de liaisons. Ces systèmes s’appliquent tant en solution qu’aux interfaces et permettent par exemple l’obtention de comportements en écoulement, de texturation « stimulables » ou des phénomènes de libération contrôlée de substances actives. À l’état solide, le contrôle des auto-organisations particulières des macromolécules induit des effets type « mémoire de forme » qui sont fondés sur les réarrangements des macromolécules suite à une contrainte mécanique. À côté de réponses mécaniques, d’autres propriétés sont contrôlées par une telle structuration à l’échelle nanométrique comme le transport de matière (perméabilité aux gaz ou aux liquides) ou de charges (conductivité). Ceci est mis à profit par exemple dans les matériaux membranaires.

2. Polymères dynamiques et supramoléculaires : systèmes auto-réparants, adaptatifs et évolutifs

Des avancées notables ont eu lieu, ces dernières années, dans le domaine de la chimie supramoléculaire appliquée aux polymères et colloïdes avec le développement de nouveaux matériaux tels que les vitrimères, les thermo- et rhéo-épaississants ou encore les composés « intelligents » possédant par exemple des propriétés auto-cicatrisantes. Au-delà de permettre l’exploration de nouvelles conditions de mise en forme, ces classes de matériaux élargissent les champs disciplinaires en superposant les propriétés « des plastiques » à celle de la silice ou en associant caoutchouc et réticulation réversible. Désormais, l’enjeu, tout en conservant les atouts d’une chimie « simple », est de généraliser cette stratégie à une gamme plus étendue de monomères tout en respectant les critères d’une chimie plus éco-responsable.

3. Polymères biodégradables et/ou biocompatibles

Alors que beaucoup de concepts fondamentaux de la chimie et de la physico-chimie des polymères ont été établis sur des macromolécules totalement synthétiques, les caractères biodégradables et/ou biocompatibles sont de plus en plus recherchés, bien au-delà du domaine spécifique des applications biomédicales. Ceci représente un défi pour le chimiste et le physico-chimiste qui y répondent de deux façons. Une première piste consiste à substituer certaines séquences synthétiques par des séquences biodégradables et/ou biocompatibles au sein d’architectures macromoléculaires. Les structures les plus explorées sont les polyesters aliphatiques et les poly(oxazoline)s. Dans cette voie, un des enjeux les plus importants consiste à concevoir les synthèses macromoléculaires qui conduisent à une maîtrise des architectures synthétisées à partir de ces monomères. Une deuxième stratégie utilise des macromolécules naturelles comme synthons pour l’obtention de polymères de structure. Parmi les macromolécules les plus étudiées, on trouve : les polysaccharides, les protéines et les lignines. La complexité structurale de ces macromolécules rend parfois difficile l’établissement de relations structure-propriétés, ce qui constitue un nouveau champ d’investigation. Par ailleurs, la maîtrise des propriétés obtenues est aussi intrinsèquement liée à une meilleure caractérisation à la fois de la structure des synthons de départ et de la topologie des modifications chimiques qui sont effectuées. Ceci constitue un défi analytique qu’il sera important de relever.

4. Systèmes hybrides et colloïdaux : chimie de surface, greffage

Des systèmes combinant des macromolécules complexes, des molécules capables de s’auto-organiser et des colloïdes inorganiques ou organiques sont maintenant conçus et étudiés expérimentalement voire théoriquement, la connaissance détaillée de chacun des « constituants » étant déjà relativement bien avancée. Dans ce contexte, la maîtrise des propriétés de surface de particules colloïdales via la fixation ou l’auto-organisation de chaînes macromoléculaires est encore d’actualité. Les voies de polymérisation radicalaire contrôlée ont été transférées à la modification de surface de particules inorganiques (stratégies de « grafting from », « grafting onto »). D’autres stratégies consistent à utiliser des macromolécules porteuses de groupements réactifs et capables de s’auto-organiser aux interfaces afin de combiner la maîtrise de la structuration avec le contrôle de la structure chimique des objets synthétisés. Une autre voie utilisée pour la synthèse de « capsules » consiste à confiner à une interface le déroulement d’une réaction de polymérisation à l’aide d’un réactif (au moins) qui s’accumule à cette interface. Enfin, dans le contexte de la vectorisation de molécules actives, l’implantation de groupements de reconnaissance en surface de particules, constitue un enjeu pour le chimiste. Il est en effet nécessaire de concevoir les groupements fonctionnels adaptés puis de définir la voie de synthèse appropriée (étroitement liée à la structure retenue) et enfin de s’assurer que la topologie de surface permettra de tirer profit au mieux de la présence de ces groupements.

5. Polymères semi-conducteurs et polymères pour le photovoltaïque : Énergie et électronique moléculaire

Le rendement de conversion dans les cellules photovoltaïques organiques (OPV) a considérablement augmenté ces dernières années, passant de 5 % pour le couple poly(3-hexylthiophène)/PCBM (dérivé du fullerène) à 9 % pour une cellule inverse (simple jonction) et jusqu’à plus de 10 % pour les cellules tandem (multi-jonction). Ces avancées sont principalement liées à l’utilisation de polymères dits à faible bande interdite, dont l’ingénierie alternant un monomère riche en électrons et un autre pauvre en électrons, permet de déplacer le spectre d’absorption vers le proche infrarouge, augmentant considérablement l’absorption du flux de photons. Deux technologies peuvent être distinguées pour l’OPV, les cellules à base de polymères, imposant le développement d’encres « électroniques », déposées par des techniques dites humides, et celles à base de petites molécules dont le dépôt se fait par évaporation sous vide. Leurs performances sont à l’heure actuelle très proches. Désormais, les verrous à lever résident dans l’amélioration de la durée de vie des dispositifs, de la stabilité des matériaux et des interfaces, de la morphologie de la couche active, de la qualité des électrodes et des films barrières pour l’encapsulation.

II. Physique et physico-chimie de la matière molle

La physique et la physico-chimie de la matière molle s’intéressent aux propriétés statiques et dynamiques des systèmes moléculaires organisés et des « fluides complexes ». Les énergies d’interaction entre objets constituant la matière molle sont typiquement de l’ordre ou légèrement supérieures à l’énergie thermique. Les systèmes étudiés sont donc susceptibles de se réorganiser fortement sous l’effet de variations faibles de l’environnement (température, pression, concentration) ou de faibles sollicitations extérieures (contrainte mécanique, champ électrique, champ magnétique, etc.). Il s’agit d’une recherche pluridisciplinaire qui irrigue de nombreux domaines connexes tels que la science des matériaux ou l’interface physique/biologie et qui concerne de très nombreux secteurs industriels (énergie, santé, développement durable, agroalimentaire, cosmétique etc.). Réciproquement, depuis quelques années un remodelage progressif du domaine peut être constaté, ceci grâce à l’influence conjuguée de la chimie et de la biologie, notamment avec l’émergence de nouvelles approches expérimentales. Dans ce cadre, peuvent être cités les méthodes haut débit, la recherche de visualisation directe de la matière à toutes les échelles ou le traitement massif de données.

A. Les objets de la matière molle

Historiquement, les objets étudiés en matière molle sont les synthons macromoléculaires, les polymères en solution et à l’état fondu, les molécules amphiphiles, les cristaux liquides et les milieux dispersés (colloïdes) puis, grâce à la chimie, des objets mieux définis en termes de composition chimique, de masse molaire et d’architectures, ouvrant la voie à de nouveaux assemblages moléculaires et supramoléculaires aux propriétés innovantes et/ou stimulables.

Depuis quelques années, de nouveaux objets émergent apportant des propriétés inédites aux systèmes et fluides complexes formulés. Ainsi, l’assemblage de particules inorganiques à base d’oxydes métalliques, de métaux nobles ou d’alliages semi-conducteurs (quantum dots), des nanotubes de carbone et de graphène confère des propriétés fonctionnelles aux matériaux et aux interfaces. Objets à l’interface avec d’autres sections, ces particules aux propriétés optiques, magnétiques ou électroniques remarquables, ont donc un impact croissant dans le domaine de la matière molle. Il s’agit donc pour la communauté de la matière molle de relever les défis de la fonctionnalisation, de la dispersion en milieu liquide ou solide, de l’assemblage multi-échelle… La fabrication de sondes à l’échelle nanométrique ou de métamatériaux sont deux exemples qui nécessitent la réalisation de quelques-unes de ces étapes.

Le nombre de particules pouvant être synthétisées dans des quantités suffisantes pour une utilisation ultérieure dans des systèmes de matière molle a connu une explosion durant la dernière décennie. Ces particules étant destinées à être dispersées dans un fluide, déposées sur une surface ou adsorbées à des interfaces, les chercheurs se sont attachés à maîtriser aussi bien les propriétés du cœur de la particule pour le rendre stimulable, et/ou dégradable que celles de sa surface, afin de mieux contrôler la stabilité colloïdale des objets et leurs interactions avec le milieu environnant. Certains de ces objets, colloïdes dits « actifs », ont la capacité de transformer une énergie d’origine chimique ou mécanique en mouvement. D’autres présentent une fonctionnalité de surface multiple sous forme de patchs distribués de manière contrôlée à la surface. L’exemple le plus connu reste le cas des particules de type Janus, présentant une différence de composition sur les deux hémisphères. Enfin, certaines particules ont des formes qui restaient jusque-là peu accessibles, telles que des cubes, des « clusters » de sphères présentant une valence contrôlée, des particules possédant des creux ou des protrusions, pour n’en citer que quelques-unes. L’assemblage de ces objets colloïdaux, souvent appelés particules « patchy », est alors essentiellement gouverné par leur géométrie. Le type et la force des interactions peuvent par ailleurs être modulés par une chimie de surface appropriée. L’intérêt de ces objets originaux est de pouvoir atteindre des assemblages autrement inaccessibles (par exemple structure contrôlée de faible compacité).

B. Assemblage et organisation

1. Assemblage à l’équilibre thermodynamique

Le terme auto-assemblage décrit l’association spontanée d’espèces moléculaires, macromoléculaires identiques (tensioactifs, polymères), et s’applique généralement à des phénomènes d’organisation nanométrique à l’équilibre. Ces assemblages macro- et supra- moléculaires sont l’une des spécificités de la section 11 depuis sa création. À l’échelle macroscopique, l’organisation à l’équilibre de tensioactifs, de macromolécules ou de colloïdes se traduit par l’apparition de phases thermodynamiques ordonnées (cristaux liquides, phases cristallines lyotropes). Pour ces systèmes modèles, une connaissance approfondie des relations entre structure, dynamique et comportement macroscopique est maintenant bien établie. Les études actuelles dans ce domaine se concentrent sur les systèmes polymères ou colloïdes fortement chargés, sur les effets de dispersité et de concentration et sur des structures multi-composantes ou multi-phases. Cependant, grâce à l’émergence des nouveaux objets, l’attention se porte désormais majoritairement sur des systèmes et des phases plus complexes résultant d’assemblage ou d’association hors équilibre et présentant une fonctionnalité, ces matériaux étant dits « intelligents ».

2. Assemblage hors équilibre et chemin de formulation

L’association par co-assemblage non-covalent d’espèces macromoléculaires ou colloïdales fait intervenir des composantes de nature différente. Les interactions entre les constituants élémentaires tels des polymères, des particules, des protéines, des ligands sont les mêmes que celles des assemblages à l’équilibre. Cependant les énergies associées sont plus élevées, de l’ordre d’une dizaine à plusieurs milliers de fois l’énergie thermique. Les structures obtenues sont résilientes à température ambiante, et ne procèdent pas par échange de constituants. Le concept développé depuis une décennie reprend une description chimique des assemblages, où les constituants élémentaires sont les « atomes » d’une construction à plus grande échelle, elle-même décrite comme « molécule ». Cette approche de construction de nanostructures hors équilibre met en avant l’importance des chemins de formulation. Les stratégies d’études ont donc évolué pour tenir compte de cet aspect ; e.g. les méthodologies actuelles consistent à faire varier les temps de mise en contact entre espèces en utilisant par exemple des procédés micro-fluidiques ou les énergies fournies en utilisant des procédés plus conventionnels. La sélection de l’état métastable atteint est alors gouvernée par des paramètres de formulation (sélectivité de solvant, force ionique, pH, T) et de procédé (énergie, temps, ordre de mélange).

Les colloïdes fonctionnalisés obtenus par formulation représentent aujourd’hui une classe importante de systèmes complexes : il s’agit de particules, d’hybrides, de capsules, de nanogels, d’agrégats de taille et de morphologies variées. Les capsules dédiées à la vectorisation de médicaments en sont un exemple. Dans une approche biomimétique, de nouveaux objets synthétiques à base de copolymères à blocs ou de polymères chargés ont été développés. Remarquablement stables, ils peuvent être modulés localement par addition de molécules et/ou de nanoparticules métalliques. Les membranes peuvent être rendues perméables par l’action d’un stimulus physique et ainsi libérer les actifs à la demande. D’autres matériaux répondant à des stimuli d’origine magnétique, électrique, photonique ou provenant de changements physico-chimiques et thermodynamiques du milieu environnant, ont été développés ces dernières années avec succès.

À l’échelle macroscopique, les phases hors équilibre denses forment des gels. Leurs constituants élémentaires incluent les macromolécules (polymères, protéines, polysaccharides) mais aussi, de façon moins classique, d’autres colloïdes très variés (agrégats de tensioactifs, bulles des mousses ou gouttes d’émulsions). En jouant sur les paramètres physico-chimiques, il est possible de contrôler les interactions entre ces objets et d’induire la formation d’agrégats de formes et de tailles variables et la percolation. Les assemblages bidimensionnels sur substrat permettent de former des films minces ou épais, utilisés ensuite comme revêtements ou matrices, dans de nombreux domaines. Les nanotechnologies liées à la santé, le photovoltaïque ou la génération de matériaux artificiels capables de modifier la propagation des ondes électromagnétiques ou acoustiques (métamatériaux) profitent largement de la versatilité de la formulation par assemblage hors équilibre.

3. Matière molle active

La matière molle dite « active » regroupe les systèmes dont les constituants élémentaires sont capables de consommer de l’énergie pour se propulser et exercer des forces sur leur environnement. Initié il y a une quinzaine d’années par des travaux théoriques, inspirés par les systèmes biologiques, ce domaine a connu un important développement expérimental ces dernières années avec la mise au point de matériaux actifs artificiels, constitués soit de molécules biologiques (moteurs moléculaires, filaments, cellules) ou de particules colloïdales autopropulsées. En raison de leur nature intrinsèquement hors équilibre, ces systèmes présentent des propriétés physiques intéressantes : mouvements collectifs, organisations spatio-temporelles inédites, fluctuations anormales, propriétés mécaniques. Deux types d’approches théoriques existent pour décrire ces systèmes : les modèles microscopiques à base d’agents et les approches de type hydrodynamique valables à plus grande échelle, un des défis théoriques étant de faire le lien entre les deux approches. Le développement récent d’une activité expérimentale permet maintenant de tester les prévisions théoriques sur des systèmes bien contrôlés et de motiver de nouveaux développements théoriques.

C. Dynamique et écoulement

Les thématiques liées à la dynamique spontanée et à l’écoulement de la matière molle sont regroupées dans ce paragraphe en raison des analogies qui existent entre les processus dynamiques en jeu. En effet dans les deux cas, des hétérogénéités spatiales et temporelles émergent et contribuent de façon importante au comportement macroscopique observé. Une des forces de la matière molle réside dans la grande diversité des briques élémentaires constituant la matière et de leurs interactions, rendant possible la modulation à façon des structures et des propriétés, viscoélastiques en particulier, des fluides complexes. Mousses, granulats, émulsions, pâtes, gels, systèmes concentrés à base de polymères, tensioactifs et colloïdes sont étudiés.

1. Dynamique lente et vieillissement

Grâce à des efforts considérables ces dernières années sur les plans théorique, numérique et expérimental, il est désormais admis que la dynamique lente de systèmes encombrés/vitreux présente des hétérogénéités à la fois spatiales et temporelles. La question du lien entre structure et dynamique lente reste d’actualité. Des stratégies impliquant un désordre contrôlé sont développées pour répondre à cette question ; les enjeux actuels incluent :

– les colloïdes actifs denses. Quelles sont les analogies dans la dynamique lente entre systèmes passifs et actifs ? ;

– le couplage dynamique/sollicitation externe (mécanique, etc.) comme l’étude du rôle d’une perturbation mécanique sur les corrélations spatiales et temporelles des événements plastiques dans un solide mou (mousse, émulsion concentrée, verre colloïdal, cristal colloïdal). Dans ce domaine, les travaux théoriques et numériques sont nombreux, mais les expériences plus rares car elles nécessitent des techniques délicates de caractérisation résolues à la fois spatialement et temporellement.

2. Réponse de la matière molle à une sollicitation mécanique

Les fluides complexes, par la taille des objets qui les composent et leurs temps caractéristiques très grands, en comparaison de leurs analogues moléculaires ou atomiques, sont très sensibles à de faibles sollicitations mécaniques. Dans ce contexte, étudier la réponse de la matière molle à une contrainte mécanique est important d’un point de vue fondamental et appliqué. Les chercheurs s’attachent à caractériser la rhéologie de matériaux encombrés, et les lois d’échelle qui en découlent, en fonction des interactions entre particules et de leur degré d’encombrement. Il est désormais clairement documenté que les écoulements de fluides complexes soumis à une contrainte mécanique sont souvent hétérogènes. Les écoulements que les expérimentateurs peuvent appliquer sont devenus plus divers avec une composante élongationnelle plus grande. La compréhension des phénomènes nécessite donc de coupler, à des mesures de la réponse mécanique du matériau, une caractérisation de la structure spatiale et temporelle des écoulements (contributions du cisaillement et de l’élongation). Il est donc important de sonder les couplages entre concentration locale ou tout autre paramètre pouvant être hétérogène et caractéristiques de l’écoulement puisque ces couplages contribuent aux migrations. Dans cette optique, des techniques expérimentales de pointe combinant des mesures rhéologiques à des mesures par diffusion de rayonnement (rayons X, neutrons et lumière), par spectroscopie acoustique ou par microscopie confocale ou optique ont été développées ces dernières années. Par ailleurs, avec la diversité des systèmes disponibles, il est possible de déterminer s’il existe des comportements universels et des lois d’échelle régissant ces comportements et/ou d’identifier les paramètres physiques, structurels et dynamiques pertinents.

Pour des régimes faiblement non linéaires, les enjeux actuels incluent la compréhension de la plasticité et du fluage de solides mous (par analogie avec le fluage dans les métaux ou verres métalliques) et/ou la compréhension de la mise en écoulement de matériaux solides initialement au repos par une contrainte mécanique ou par gravité. Dans ce dernier cas, des analogies avec les systèmes vitreux qui retournent à l’équilibre spontanément sous l’effet de la relaxation de contraintes internes, émergent.

Dans des régimes fortement non-linéaires, des études portent, d’une part, sur l’influence des propriétés rhéologiques des fluides complexes et sur la modification des instabilités observées dans les fluides simples et, d’autre part, sur l’étude du comportement des matériaux mous lorsqu’ils sont sollicités sur des temps caractéristiques plus courts que leur temps de relaxation. À ce titre, comprendre et mesurer les précurseurs structurels et dynamiques qui vont conduire à l’instabilité et sonder/modéliser le scénario (fracture, mise en écoulement) puis comprendre les analogies avec les fractures fragiles et ductiles dans les matériaux solides font partie des enjeux majeurs.

3. Rôle des interfaces dans les écoulements

Les interactions des fluides avec les parois, notamment les conditions de glissement et d’ancrage, jouent un rôle subtil et parfois déterminant sur les propriétés d’écoulement.. Ces effets, d’autant plus importants que l’écoulement est confiné, sont de plus en plus étudiés en raison (i) de la bonne maîtrise des techniques de mesures locales des champs de vitesses et de comportements inattendus observés à faible épaisseur, (ii) des nombreuses questions fondamentales qu’ils suscitent : jusqu’à quelle échelle une approche de type milieu continu est-elle valide ?, jusqu’à quelle échelle l’effet des parois se fait-il sentir ?, quel est le couplage entre déformation des parois et déformation du fluide simple ou complexe ? et enfin, (iii) de leur pertinence dans de nombreuses applications, par exemple concernant le comportement spécifique aux faibles nombres de Reynolds (micro-nageurs, propulsion spécifique à petite échelle, propulsion ciliée, etc.). Les futurs développements iront vers une meilleure compréhension du rôle de l’interaction du fluide avec ces conditions aux limites (parois, interface liquide/liquide, liquide/air), à l’équilibre et ses conséquences sous écoulement. Dans ce défi, une description multi-échelles s’impose, impliquant une description des forces d’interactions en jeu à l’échelle de la paroi jusqu’au comportement macroscopique. Les études à l’échelle moléculaire et à l’échelle des interactions notamment avec la paroi, peu prises en compte jusqu’à présent ainsi que les études des échanges thermiques, des variations de pression ou de densité, du rôle de l’élasticité de cisaillement dans l’apparition d’instabilités sous écoulement, devraient apporter un nouvel éclairage dans la compréhension des équilibres qui s’établissent avec les conditions aux limites.

D. Propriétés des interfaces

Le rôle des interfaces est prépondérant pour de nombreux phénomènes physiques. Les chercheurs de la section 11 ont su proposer un renouvellement et des développements originaux à cette thématique, dont l’intérêt potentiel pour l’industrie et pour la compréhension de phénomènes plus complexes, comme le toucher ou l’adhésion cellulaire, sont évidents. Dans les domaines du mouillage et de l’adhésion, on peut par exemple citer l’étude des « origamis capillaires », la mécanique du contact sec ou lubrifié ou l’utilisation de l’effet Marangoni pour déplacer et sélectionner des gouttes en microfluidique digitale. Sur substrat solide, la modulation des propriétés de surface, à l’échelle microscopique (effet « lotus » ou « gecko »), à la fois spatiales (surfaces micro-structurées, micro-texturées, auto-organisées) et temporelles (surfaces actives) résulte en un changement drastique de leurs propriétés macroscopiques, qui peut être exploité pour proposer des surfaces à propriétés modulables. En ce sens, d’importants progrès ont été réalisés pour proposer des matériaux polymères stimulables, de préférence réversiblement. Du côté de l’hydrodynamique, c’est sans doute la microfluidique qui constitue le domaine le plus actif avec, d’une part des développements technologiques (fabrication, mélange, tri de gouttes) et, d’autre part, des aspects fondamentaux comme les effets de réduction en taille et l’influence de la longueur de glissement. Finalement, il faut également mentionner l’apparition de nouvelles techniques de caractérisation des propriétés rhéologiques de liquides viscoélastiques par l’analyse des modes de surface (thermiques ou forcés) à une interface liquide/air.

III. Matériaux polymères

Par son approche pluridisciplinaire qui s’appuie sur le triptyque « Chimie, physico-chimie et procédé », la science des matériaux concerne en France une large communauté scientifique qui va bien au-delà de la section 11. Les recherches sur les matériaux étant, le plus souvent, à vocation applicative, elles sont donc menées en forte interaction avec les milieux socio-économiques. Cette réalité se traduit par l’implication des laboratoires dans des contrats avec des entreprises de manière bilatérale, par la création d’unités mixtes de recherche CNRS/entreprises ou encore par l’association de laboratoires avec un partenaire industriel.

A. Chimie et physico-chimie des matériaux polymères

Depuis les années 2000, la science des matériaux polymères s’appuie sur une approche multiéchelle pour atteindre de multiples fonctionnalités. Cette démarche vise à transposer ou révéler à l’échelle macroscopique – celle du matériau – les propriétés particulières des états très divisés de la matière. Les systèmes colloïdaux, même s’ils sont rarement perçus comme un matériau, sont les premiers systèmes basés sur un état divisé et fonctionnalisé de la matière. Plus proche de la notion de matériau, le renforcement des élastomères pour pneumatiques repose depuis longtemps sur l’utilisation de particules nanométriques de carbone ou de silice. La véritable avancée et le défi qui accompagnent l’émergence de ces matériaux (nano)structurés se situent dans la maîtrise de tous les éléments : brique de base, formulation, procédé d’élaboration. La maîtrise de la structuration tridimensionnelle à différentes échelles joue un rôle essentiel dans le contrôle des propriétés de ces nanomatériaux. La nano- ou mésostructuration a atteint un niveau de maîtrise remarquable dans les polymères et ceci, en vue de créer une anisotropie ou d’obtenir des propriétés particulières (résistance au choc, perméabilité contrôlée, etc.). En parallèle des efforts portant sur l’architecture des macromolécules elles-mêmes (polymères en étoile, dendrimères), ce sont l’exploitation des phénomènes de séparation de phases dans les mélanges peu ou pas miscibles, ainsi que les phénomènes d’auto-organisation dans les copolymères di-ou triblocs qui offrent le plus de possibilités. Ces approches sont exploitées pour générer des polymères poreux de morphologie contrôlée isotrope ou anisotrope, avec une porosité ouverte ou fermée. Ces stratégies incluent l’élimination de petites molécules impliquées dans des architectures supramoléculaires, la dégradation sélective de l’un des blocs de copolymères auto-organisés, la destruction sélective d’un polymère thermoplastique mélangé de manière homogène dans une matrice thermostable, ou encore l’utilisation de réseaux (semi)-interpénétrés de polymères à dégradabilité contrôlée comme précurseurs nanostructurés.

L’introduction de charges préformées constitue toujours un objet d’étude pour renforcer mécaniquement les matrices polymères. L’intérêt d’introduire des nano-objets plutôt que des micro-objets dans une matrice polymère est triple. Il s’agit, soit de tirer profit du confinement qu’impose la taille limitée de chaque unité structurale, soit d’exacerber les influences multiples que les interfaces, internes ou externes, peuvent exercer sur les propriétés, soit encore de favoriser les interactions qu’autorise le mélange additif/matrice à une échelle aussi intime. Les nanocomposites sont toujours au cœur des préoccupations de notre section même si le couplage du nano-objet (nanotube de carbone, silicates lamellaires, graphène ou whiskers de cellulose) avec des renforts fibreux est davantage recherché pour favoriser la structuration multi-échelle. Les approches multiphysiques pour les colloïdes concentrés et les polymères nanochargés sont aujourd’hui deux domaines très étudiés. Les procédés de polycondensation inorganique qui relèvent traditionnellement de la section 15 sont de plus en plus utilisés par les chercheurs de la section 11. La chimie douce mise en jeu dans les procédés sol-gel est compatible avec les réactions de polymérisation et représente une voie privilégiée pour la conception de matériaux hybrides alliant les propriétés des matériaux inorganiques et des polymères. Plus récemment, les liquides ioniques sont apparus comme étant de nouveaux agents structurants des polymères et comme additifs fonctionnels permettant l’accès à des matériaux nouveaux dont le potentiel reste encore à explorer.

B. Les procédés d’élaboration et de mise en œuvre des matériaux

La relation entre la structure macromoléculaire et la propriété visée est au cœur de la démarche de mise en œuvre. Développer un nouveau matériau en prenant en compte en particulier des critères liés aux procédés impose de s’intéresser au développement de formulations adaptées en considérant les comportements physiques des polymères, tels que les propriétés rhéologiques, et thermiques, les phénomènes de diffusion mais aussi la physico-chimie des polymères. Les problématiques posées ne peuvent être abordées que par une démarche pluridisciplinaire associant chimie, mécanique des fluides et génie des procédés pour comprendre les couplages entre l’évolution spatio-temporelle des réactifs et polymères, l’évolution de la rhéologie, les transferts de chaleur et de matière pour les procédés continus et discontinus. Donc, tout en étant des questions clés pour le transfert de technologie, ces problématiques sont aussi des enjeux scientifiques fondamentaux loin d’être encore maîtrisés. L’éventail des procédés de mise en forme est très large et multi-échelle depuis l’élaboration des couches minces et revêtements jusqu’aux pièces structurales d’usage. Dans l’ingénierie des surfaces, les méthodes d’auto-assemblages (« bottom up ») combinées aux méthodes lithographiques (« top-down ») sont toujours bien utilisées pour conférer des propriétés contrôlées de mouillage, d’adhésion, de friction ou d’optique. La technique de dépôt couche par couche de polyélectrolytes (LBL) par trempage ou pulvérisation est également toujours très attractive par sa simplicité de mise en œuvre pour la préparation de films multifonctionnels et stimulables. L’élaboration de matériaux à l’état fondu représente encore une activité significative dans les laboratoires dédiés aux matériaux de la section. Si les mélanges de polymères font toujours l’objet d’étude, ces travaux sont aujourd’hui davantage tournés vers des polymères biosourcés mis en œuvre dans des conditions de procédés d’élaboration plus respectueuses de l’environnement. Cela nécessite d’adapter les méthodes existantes ou de développer de nouveaux procédés et méthodes d’analyses permettant de répondre à ces enjeux économiques et sociétaux (nouveaux catalyseurs, procédés continus, analyses en ligne permettant de s’affranchir des étapes de prélèvement, procédés sans composé organique volatil, polymérisation UV, etc.). Un autre point concerne le développement de méthodes d’analyse couplées in situ donnant accès dans les conditions du procédé à des informations relatives à différentes échelles. La chimie à l’état fondu continue à se développer à travers l’extrusion réactive ou l’utilisation de la chimie minérale pour l’élaboration de matériaux hybrides organiques-inorganiques. Le génie des procédés devra être davantage pris en compte en développant des dispositifs innovants permettant une amélioration significative de la qualité de production liée à une diminution de la consommation d’énergie, une diminution de la production de déchets avec un haut degré de fiabilité et de sécurité. Si les procédés comme le prototypage rapide ou l’impression 3D sont spectaculaires en termes de démonstrateurs et de facilité de mise en œuvre, ils ne sont pas encore pleinement intégrés dans les laboratoires de recherche et seront vraisemblablement amenés à se développer. De même, les procédés haut débit qui reposent sur l’utilisation de microsystèmes et de dispositifs microfluidiques ne sont pas encore fortement développés au sein de notre communauté. Il est également remarquable que, si les travaux sur les composites connaissent actuellement un regain d’intérêt, les procédés d’élaboration associés par RTM ou enroulement filamentaire sont peu présents alors qu’un réel besoin se fait sentir en associant une chimie adaptée (en termes de réactivité) au procédé d’élaboration. L’optimisation des procédés d’élaboration passe aussi par une simulation du procédé qui relève du domaine de compétences de quelques laboratoires spécialisés.

C. Comportements physiques des matériaux polymères : couplage chimie/physico-chimie/procédé

L’étude des comportements physiques des matériaux polymères en relation avec leur architecture macromoléculaire, leur morphologie à l’état fondu ou solide gouvernée par le procédé d’élaboration et de mise en forme est toujours très présente dans la communauté française des polymères. Plusieurs laboratoires regroupent un ensemble unique et original de compétences dans le domaine de la rhéologie et la morphologie des polymères, de la simulation et des procédés. Leurs activités et leurs connaissances s’étendent à la fois (i) à des aspects conceptuels du niveau moléculaire au niveau macroscopique (descripteurs des structures et des morphologies, écriture de scénari d’établissement des morphologies et lois de comportement), (ii) aux problématiques expérimentales (outils et méthodes rhéologiques pour les fluides complexes, expériences discriminantes, problèmes inverses et modélisation des procédés incluant les procédés de mise en œuvre réactive). Concernant les propriétés mécaniques, les laboratoires français ne tiennent plus la même place que celle acquise lors du développement d’approches physiques issues de la mécanique des métaux et peu de travaux prennent en compte le développement d’outils de modélisation moléculaire et mécanique. Alors que les activités sur les matériaux hybrides sont toujours très présentes, les approches de modélisation multi-échelles sont encore peu développées. Si les travaux sur les nanomatériaux perdurent dans les laboratoires, une activité de recherche sur les composites à fibre émerge à nouveau afin de répondre aux défis sociétaux concernant les matériaux à faible consommation d’énergie dans le domaine des transports. De la même manière, la mise en œuvre de matériaux composites à base ou intégrant des produits bio-sourcés a continué son développement. S’inscrivant dans une démarche liée aux critères environnementaux, la gestion durable de ces matériaux est aussi prise en compte depuis leur élaboration jusqu’à leur utilisation. Toutes applications confondues, les formulations tiennent compte de la durabilité et du recyclage des composites pour apporter une alternative à une valorisation énergétique sur le plan écologique et économique. Les principaux efforts de recherche se concentrent sur la conception de nouvelles interfaces adaptatives, auto-réparantes et les propriétés d’adhésion des assemblages avec le renouveau des approches micromécaniques et l’étude de la durabilité des interfaces. Cela nécessite bien entendu le développement de méthodologies expérimentales mais aussi de modélisation. Le transport des petites molécules caractérise un autre domaine de propriétés des matériaux bien représenté dans notre communauté. Outre l’architecture des chaînes macromoléculaires, c’est l’association à un niveau d’échelle parfaitement maîtrisé de matériaux à propriétés spécifiques qui est exploitée pour ouvrir la voie à une large gamme de propriétés et mécanismes de transport. De nombreux domaines allant de l’emballage à l’électronique et à l’énergie font appel de façon directe ou indirecte à la fonction « barrière ». Il est ainsi essentiel de comprendre et maîtriser les mécanismes qui gouvernent cette propriété afin de repousser les limites des matériaux. Les mécanismes de diffusion à l’origine des propriétés barrière ont particulièrement été étudiés sur les nanocomposites à charges lamellaires. Les composites polymères conducteurs (CPC) constituent toujours un thème de recherche d’actualité avec le développement croissant des nano-objets conducteurs. Le comportement électrique de ces milieux aléatoires présentant des propriétés modulables de coupure sous l’effet de stimuli externes (vapeur, température) passe par l’étude et la maîtrise des phénomènes de percolation, c’est-à-dire le contrôle de la dispersion des nanoparticules

L’analyse des travaux menés au sein de la section 11 dans le domaine des matériaux ne se veut pas exhaustive mais pointe l’intérêt manifeste de la communauté à élaborer des matériaux (multi)fonctionnels en générant une structuration multi-échelle. La conception de tels matériaux fonctionnels requiert une approche multidisciplinaire qui s’appuie sur les fondamentaux de sous-disciplines comme la mécanique ou la rhéologie des polymères que la communauté doit continuer à pérenniser.

IV. Systèmes biologiques

L’interface entre la physique et la biologie est un domaine d’activité de la section 11 qui prend de l’ampleur depuis une quinzaine d’années, à l’instar d’une évolution observée au niveau international. Notre section possède une tradition d’interdisciplinarité qui a eu pour conséquences une attraction très importante des physiciens de la matière molle vers la biophysique et une présence très nombreuse de jeunes biophysiciens dans le concours CR. Ce phénomène était déjà signalé dans le rapport de conjoncture de 2006 : « une réflexion doit certainement être menée pour prendre en considération la formidable montée en puissance de l’interface avec la biologie, et traduire en termes de structure d’évaluation et d’animation le dynamisme de cette communauté ». Cette pression a justifié en 2012 la création de la CID54 « Méthodes expérimentales, concepts et instrumentation en sciences de la matière et en ingénierie pour le vivant » qui recrute, entre autres, une partie des jeunes CR biophysiciens. Cependant, un équilibre reste encore à trouver pour ces recrutements entre la CID54 et les sections 5 et 11 qui les recrutaient traditionnellement et continuent d’en recruter certains. Enfin, la question du maintien au-delà de 2017 des recrutements actuellement assurés par la CID54 se pose.

Dans ce domaine, les sous-thématiques développées au sein de la section 11 sont diverses, allant de l’optique pour la biologie jusqu’à la reconstitution de systèmes biologiques, ou les études physiques des objets biologiques par des approches inspirées de la matière molle. Une majorité des sujets d’études des biophysiciens de la section 11 nécessitent et génèrent le développement de nouvelles stratégies d’investigations quantitatives et dynamiques à l’échelle moléculaire. Ces stratégies reposent essentiellement sur des approches optiques du fait des contraintes de manipulation de la matière vivante. Les principaux verrous technologiques relèvent plus de compétences de sections 04 ou 08 spécialisées en optique. Néanmoins leur dépassement exige l’association de compétences en chimie, physique et biologie, pour la mise au point de nouvelles stratégies interdisciplinaires (imageries multi-modales, optogénétique, mécanobiologie…). Cet intérêt transdisciplinaire devrait encore croître dans la décennie à venir, compte tenu de la pertinence des transferts actuels de savoir entre l’état de la matière molle et les organisations moléculaires du vivant tant pour leurs études que leurs modélisations.

A. Mesures à l’échelle de la molécule unique

Au cours des 20 dernières années, les biophysiciens ont développé et perfectionné de nombreux dispositifs expérimentaux permettant d’étudier les propriétés mécaniques et d’interactions de molécules biologiques individuelles. Ces dispositifs s’étendent, sans être exhaustif, du microscope à force atomique (AFM), aux pinces optiques et magnétiques, en passant par des méthodes plus spécifiques comme le « Bio Force Probe » (BFP) et la chambre à flux. Ils ont permis, en particulier, d’étudier les comportements mécaniques de nombreux biopolymères (ADN, ARN, polypeptides) et d’analyser quantitativement des propriétés physiques comme leur longueur de persistance, leurs changements structuraux et leur dynamique de retour à l’équilibre en réponse à une sollicitation transitoire. Dans un second temps, ces techniques ont été améliorées pour permettre une étude fine des interactions entre protéines individuelles ou entre une protéine et ces biopolymères, par exemple, l’adhésion entre protéines individuelles responsables de l’adhésion cellulaire (CAM), l’interaction de ces biopolymères avec des protéines impliquées dans les complexes de transcription/traduction ou réplication, et l’activité (motilité) des moteurs moléculaires. L’ensemble des résultats obtenus par ces techniques a pu être interprété théoriquement (physique statistique à l’équilibre et hors-équilibre). Ces méthodes ont maintenant atteint une grande maturité, même si certaines grandeurs, principalement dynamiques (vitesses de repliement, de changement de conformation des protéines), sont encore inaccessibles et nécessitent d’autres développements expérimentaux.

À ces méthodes, devenues maintenant « traditionnelles », s’ajoutent d’autres techniques comme la translocation de biopolymères à travers des pores nanométriques individuels (protéines transmembranaires) sous l’effet d’un champ électrique. Les développements technologiques récents devraient rapidement permettre de nano-fabriquer ce type de pore de manière synthétique en leur conférant des propriétés parfaitement contrôlées. Les approches microfluidiques combinées à la microscopie de fluorescence ont permis également de faire des avancées significatives dans la compréhension de la dynamique d’assemblage ou de désassemblage des filaments d’actine, à l’échelle du filament individuel.

Finalement, il faut également citer des expériences qui visent à sonder localement les propriétés physiques des cellules, avec des fluorophores ou des « Quantum Dots » fonctionnalisés ou non. Aux échelles moléculaire et mésoscopique, la cellule présente de fortes hétérogénéités spatiales et temporelles (concentrations locales, activité et expression, rhéologie…) qu’il est nécessaire d’élucider pour parvenir à une meilleure compréhension du vivant. Des techniques couplant ultra-microscopie et optogénétique devraient permettre d’obtenir des résultats importants concernant la « topologie physique et chimique » de la cellule en lien direct avec son état physiologique et son expression génétique.

B. Systèmes reconstitués biomimétiques

Les vésicules lipidiques géantes, d’une taille proche d’une cellule de mammifère, ont depuis de nombreuses années été étudiées en tant que modèle biomimétique d’une cellule. Celles-ci sont élaborées à base de constituants lipidiques connus, dont la composition peut être contrôlée. Elles permettent de mieux comprendre les bases de la régulation des changements de forme cellulaire intervenant dans de nombreux processus cellulaires très importants (adhésion, motilité, cytokinèse, communications intra et intercellulaire).

Récemment, ces systèmes modèles ont évolué vers plus de similitude avec la cellule. Outre l’introduction de nouveaux constituants protéiques, l’évolution s’est faite au niveau des méthodes de préparation. De nouvelles méthodes ont vu le jour, notamment grâce à des systèmes microfluidiques, afin d’obtenir des populations plus homogènes en taille et en propriétés physico-chimiques ou à des gels de polymère qui permettent d’encapsuler des molécules biologiques au sein des lipides.

Les mesures de force à l’échelle moléculaire, utilisant des pinces optiques et magnétiques, restent des méthodes privilégiées pour déformer localement les membranes et étudier le rôle de la courbure membranaire sur la répartition spatiale des lipides et protéines, ou étudier des processus d’adhésion intermoléculaire.

Enfin, de nouveaux systèmes biomimétiques reconstitués ont émergé durant ces dernières années pour l’étude fondamentale de processus cellulaires. Ces systèmes sont formés de copolymères à blocs et permettent de former des structures multi-compartimentées appelées « polymersomes ».

C. Physique de la cellule

Dans ce domaine, les approches sont variées et s’intéressent aussi bien aux forces d’adhésion et de friction entre cellules ou avec un substrat, aux propriétés rhéologiques et de motilité de cellules saines ou pathologiques, et aux mécanismes de mécanotransduction induits par des contraintes physiques (stimulations mécaniques, électriques, optiques…). Les techniques utilisées s’étendent des mesures de force sur la membrane cellulaire (pinces optiques ou magnétiques, tirage de tubes membranaires) à des mesures sur les cellules entières par AFM, aspiration par micropipette, microfluidique ou étirement entre plaques. L’association de la microscopie de fluorescence ultra-rapide et de micro-dispositifs de confinement cellulaire 2D ou 3D a permis des avancées significatives dans la compréhension de la mécanotransduction et de ses conséquences sur des processus cellulaires fondamentaux comme l’adhésion, la migration, ou la mitose. Les forces appliquées par une cellule sur son environnement sont mesurées grâce à des substrats de rigidité contrôlée (films, gels, piliers souples). Ces études essentiellement menées en 2D commencent à s’étendre à des cellules évoluant dans des matrices 3D plus proches des conditions biologiques réelles. Les aspects dynamiques de la mécanotransduction et en particulier l’analyse moléculaire de la dynamique du cytosquelette de cellules soumises à des contraintes physiques variées commencent également à être considérés. Enfin, il est très probable que le développement de la microscopie de fluorescence de super-résolution permettra de mieux comprendre au niveau moléculaire les processus biologiques induits par des contraintes physiques sur des cellules eucaryotes ou procaryotes isolées.

Les progrès des méthodes expérimentales, en particulier optiques, rendent désormais possible la confrontation à un niveau quantitatif des prévisions des modèles théoriques avec les mesures. De fructueux allers-retours entre théorie et expérience aboutissent à une meilleure compréhension globale des mécanismes physiques en jeu à différentes échelles dans la cellule. L’activité théorique est particulièrement soutenue en ce qui concerne l’organisation et la dynamique de la chromatine, du cytosquelette et les liens avec les problèmes de motilité et d’adhésion, des membranes et du trafic intracellulaire, et des réseaux moléculaires. À coté des méthodes de physique statistique empruntées à la physique de la matière condensée, les théoriciens utilisent et développent de plus en plus des méthodes d’inférences statistiques permettant d’extraire des informations à partir des données quantitatives. Enfin, les avancées récentes dans le domaine de la physique statistique hors d’équilibre, qui ont suivi la découverte des théorèmes « de fluctuations », commencent à trouver leurs applications dans le domaine de la biophysique cellulaire pour l’étude des moteurs moléculaires, des microtubules et autres assemblages dynamiques.

D. Physique des tissus et organismes

Au-delà des propriétés des cellules individuelles, un intérêt particulier s’est aussi développé autour des comportements collectifs des cellules, qui sont essentiels à la compréhension des propriétés des tissus matures sains ou pathologiques (tumeurs) et des mécanismes de développement de modèles animaux type C. elegans, drosophile, Zebra fish.

Plusieurs projets visent en particulier à étudier les mouvements cellulaires eucaryotes (à l’échelle de la cellule ou du tissu) en réponse à une sollicitation mécanique ou à une blessure. Ce travail effectué en 2D, et qui inclut les mesures de forces impliquées dans le remodelage des tissus, doit être étendu à des agrégats à 3D ou à des assemblées de cellules dans des gels imitant la matrice extra-cellulaire. Des sondes mécaniques internes et externes sont développées pour déterminer les forces auxquelles les cellules sont soumises dans l’environnement 3D d’une tumeur ou les forces qu’elles peuvent exercer dans un tissu en croissance comme dans l’embryon par exemple.

Un autre domaine en expansion est l’étude des mécanismes de formation des biofilms bactériens en fonction des matériaux supports et des espèces bactériennes qui les composent ainsi que l’étude de leur mécanique grâce à des approches de biophotonique associées à des techniques microfluidiques. Le futur du domaine passera certainement par des études de la dynamique des populations bactériennes au sein du biofilm qui deviennent désormais possibles grâce aux techniques de microscopie de fluorescence en super résolution.

La physique des assemblées de cellules (tissu, colonie, biofilm…) a généré une importante activité théorique ces dernières années. Un premier type d’approche consiste à les décrire comme des matériaux continus régis par des équations hydrodynamiques incluant de nouveaux termes qui décrivent l’effet de la division/mort cellulaire, de la motilité des cellules, etc. Ces théories permettent de rendre compte des instabilités et structures hors équilibre inédites qui apparaissent dans ces milieux. À une plus petite échelle, des modèles avec constituants discrets existent également, comme par exemple les modèles inspirés des mousses pour décrire les tissus.

E. Systèmes pour l’innovation thérapeutique

Les matériaux polymères synthétiques et/ou naturels sont actuellement en plein développement en tant que plate-formes d’architecture contrôlée dans les innovations thérapeutiques. Dans ce domaine, les développements portent sur les systèmes pour la délivrance ou le diagnostic in vivo ou pour le diagnostic in vitro en utilisant du sang ou des fluides ponctionnés chez le patient.

Pour les systèmes in vivo, le grand défi est d’arriver à atteindre une cible de façon spécifique, sans que le système immunitaire n’ait « phagocyté » l’objet. Désormais, il est largement accepté que les nanoparticules doivent avoir une taille inférieure à 400 nm pour pouvoir être transportées dans le sang et passer au travers de la paroi des vaisseaux. Un effort particulier est concentré sur l’élaboration de nanoparticules polymères permettant de faire de la « théranostique », c’est-à-dire à la fois du diagnostic et de la thérapie. Notamment, le diagnostic peut être facilité par le suivi de la nanoparticule, à l’aide d’agents de contrastes ou de particules magnétiques incorporés. Pour la thérapie, un ciblage de certains récepteurs cellulaires par des anticorps ou des peptides présentés par les nano-objets permet d’atteindre spécifiquement le type cellulaire visé. Les polymersomes cités ci-dessus (cf. partie B) peuvent également servir de vecteur de délivrance de molécules actives hydrophobes ou hydrophiles. La versatilité de leur composition les rend extrêmement prometteurs dans ce domaine.

In vitro, l’enjeu est de réaliser des analyses à grande échelle, en parallèle, le plus rapidement possible (« high troughput ») et de détecter des quantités toujours plus petites. Ceci est motivé par le fait que les volumes d’analytes ponctionnés chez le patient sont limités et que les agents à rechercher (viraux, bactériens, anticorps, biomarqueurs spécifiques) sont parfois en concentrations extrêmement faibles et doivent être préconcentrés. Un autre enjeu est le développement de tests de diagnostic à faible coût, rapides, entièrement autonomes pour des analyses directes près du patient ou par le patient lui-même (« point of care » devices). C’est pourquoi les dispositifs microfluidiques se sont fortement développés pour réaliser du tri cellulaire et moléculaire dans des puces miniatures (« lab on a chip »). L’incorporation de composés magnétiques au sein des objets à trier permet de réaliser un tri magnétique mais les méthodes optiques et électrochimiques se sont également fortement développées. Des puces à bactéries et à cellules ont commencé à émerger, en utilisant des anticorps spécifiques pour cibler des récepteurs cellulaires. La détection ne requiert pas de marquage préalable et peut être faite par des méthodes optiques très sensibles, de type résonance plasmonique de surface ou électriques. Enfin, d’autres systèmes de tri originaux s’appuient directement sur des différences de phénotype cellulaire (nage, migration, rolling).

Les compétences des chercheurs de la section 11 en physico-chimie de surface les conduisent à contribuer davantage au développement d’outils de diagnostic et d’approches d’ingénierie tissulaire basés sur le contrôle de la chimie et la topographie de surfaces de biomatériaux et à leur fonctionnalisation par des macromolécules d’origine synthétique ou biologique pour stimuler la différenciation cellulaire et tissulaire ou empêcher l’adhésion bactérienne par exemple.

En conclusion, nous souhaitons insister sur la nécessité de trouver à moyen terme une solution pérenne au recrutement et à l’évaluation des chercheurs biophysiciens. Il paraît difficile de revenir à la situation antérieure qui n’était pas satisfaisante car se faisant au détriment des thématiques de cœur de chaque section. Devra-t-elle se faire à nouveau grâce à une commission interdisciplinaire (par définition non pérenne) ou par la création d’une nouvelle section à l’interface physique-biologie ?

Conclusion

Ce rapport a montré la grande richesse des thèmes de recherche portés par les chercheurs de la section 11, dont un très grand nombre connaît une véritable reconnaissance internationale. Depuis son origine et de façon toujours plus affirmée, cette section cultive avec créativité une forte interdisciplinarité, gage de sa pérennité et de son renouvellement.

Pour autant, la question du soutien aux « métiers de base » de la section, centrés autour de la chimie des matériaux polymères et de la physique et de la physico-chimie de la matière molle reste une préoccupation de ses membres qui ne voudraient pas voir se diluer ou même se perdre des compétences uniques, absolument indispensables à la création de matériaux et systèmes fonctionnels toujours plus innovants.

Enfin, et bien au-delà du périmètre scientifique de la section, c’est la situation actuelle générale du soutien à la recherche qui est aujourd’hui des plus préoccupantes. Puisse ce rapport de conjoncture aider le Centre National de la Recherche Scientifique dans sa mission de promouvoir une recherche de grande qualité et de maintenir les emplois scientifiques et techniques nécessaires à son accomplissement.

Annexe

Liste des abréviations.
PLA : poly(acide lactique)
PU : polyuréthane
PET : poly(éthylène téréphtalate)
PCBM : [6,6]-phényl-C61-butanoate de méthyle
RTM : moulage par transfert de résine
ITE : Institut de la Transition Énergétique