Rapport de conjoncture 2014

Section 37 Économie et gestion

Extrait de la déclaration adoptée par le Comité national de la recherche scientifique réuni en session plénière extraordinaire le 11 juin 2014

La recherche est indispensable au développement des connaissances, au dynamisme économique ainsi qu’à l’entretien de l’esprit critique et démocratique. La pérennité des emplois scientifiques est indispensable à la liberté et la fécondité de la recherche. Le Comité national de la recherche scientifique rassemble tous les personnels de la recherche publique (chercheurs, enseignants-chercheurs, ingénieurs et techniciens). Ses membres, réunis en session plénière extraordinaire, demandent de toute urgence un plan pluriannuel ambitieux pour l’emploi scientifique. Ils affirment que la réduction continue de l’emploi scientifique est le résultat de choix politiques et non une conséquence de la conjoncture économique.

L’emploi scientifique est l’investissement d’avenir par excellence
Conserver en l’état le budget de l’enseignement supérieur et de la recherche revient à prolonger son déclin. Stabiliser les effectifs ne suffirait pas non plus à redynamiser la recherche : il faut envoyer un signe fort aux jeunes qui intègrent aujourd’hui l’enseignement supérieur en leur donnant les moyens et l’envie de faire de la recherche. On ne peut pas sacrifier les milliers de jeunes sans statut qui font la recherche d’aujourd’hui. Il faut de toute urgence résorber la précarité. Cela suppose la création, sur plusieurs années, de plusieurs milliers de postes supplémentaires dans le service public ainsi qu’une vraie politique d’incitation à l’emploi des docteurs dans le secteur privé, notamment industriel.

Composition de la section

Jean-Benoît Zimmermann (président de section) ; Béatrice Parguel (secrétaire scientifique) ; Stéphane AURAY ; Nicolas Berland ; Emmanuel Carre ; Thibault Gajdos ; Nicolas Jacquemet ; Frédéric Koessler ; Jackie Krafft ; Jérôme Lallement ; Jean-François Laslier ; Antonietta Lastapis ; Muriel Mathery ; Valérie Mignon ; Amandine Pascal ; Nicolas Querou ; Philippe Quirion ; Agnieszka Rusinowska ; Yvan Stroppa ; Dominique Torre ; Stéphane Zuber.

Résumé

Ce rapport de conjoncture a été construit à partir d’une enquête spécifique menée auprès des UMR en économie et gestion. Compte tenu des évolutions récentes du secteur en matière d’internationalisation de la recherche et de modification du contexte institutionnel, notamment au niveau des conditions et des sources de financement, il nous semblait important que ce rapport s’appuie sur le vécu et le ressenti de la communauté scientifique elle-même. Un premier trait qui ressort de cette enquête est relatif à l’hétérogénéité de la population des unités à une période dominée par des effets de polarisation, lesquels renforcent l’asymétrie des conditions dans lesquelles s’effectue la recherche. En deuxième lieu, nous avons voulu décrire les activités de la communauté à travers les principales thématiques de recherche telles qu’elles ressortent des pratiques des unités et que nous avons regroupées en huit grands domaines génériques. Enfin, nous avons tenté d’appréhender comment les unités perçoivent l’apport et le rôle du CNRS et avons confronté cette perception à la vision que ces unités ont du paysage global de la recherche en économie-gestion et de son évolution. Pour conclure, cette analyse tendrait à montrer qu’il y aurait lieu de mener une réflexion sur une organisation plus transversale de la recherche en économie-gestion, autour de grandes questions, objets de recherche, voire d’outils et favoriser ainsi une vision moderniste, pluridisciplinaire à l’intérieur des sciences sociales et au-delà.

Introduction

La section 37, économie-gestion, connaît une baisse régulière de son effectif de chercheurs. Elle compte 180 chercheurs en poste en 2011 et 2012(1)contre 207 au début des années 2000 (source : derniers bilans sociaux publiés par le CNRS), ce qui représente une baisse de 13 % de son effectif. En termes de parité, l’effectif de chercheurs affiche une proportion de 27,8 % de femmes en 2011, soit la plus basse proportion de femmes de toutes les sections de l’InSHS, et moins que la proportion moyenne du CNRS toutes sections confondues (i.e., 32,5 %). Cette proportion se réduit avec la progression en grade, avec 41 % de femmes en CR2, 35 % en CR1, 23 % en DR2 et 6 % en DR1. Si, tous grades confondus, il n’apparaît pas d’écart significatif entre la part des candidates et celle des promues, le grade de DR semble moins accessible aux chercheures qu’à leurs homologues masculins (source : « la parité dans les métiers du CNRS-2011 » et MPDF – « indicateurs sexués 2012 »).

Outre les aspects d’emploi scientifique et de démographie, ce rapport de conjoncture voit le jour dans une période où l’économie et la gestion, secteurs disciplinaires de la section 37, sont l’objet d’un certain nombre de questionnements et d’évolutions qu’il importe de rappeler brièvement.

Tout d’abord, l’économie et la gestion connaissent une internationalisation croissante, à la fois au niveau de la production de la recherche et au niveau du marché du travail. L’activité de recherche à proprement parler s’inscrit dans un cadre de plus en plus international, ce qui signifie qu’en dehors de quelques thématiques encore centrées sur des écoles de pensée hexagonales, les travaux français contribuent à un espace de production international, qu’il soit européen, transatlantique ou mondial. Les chercheurs s’impliquent par ailleurs de manière croissante dans des coopérations, des réseaux et des programmes de recherche conçus dans des cadres pluri-nationaux. Les séjours de courte et moyenne durées dans des universités étrangères sont de plus en plus fréquents et donnent corps à des co-autorats. Les colloques, enfin, amènent les chercheurs à parcourir le monde et à affirmer leur appartenance à une communauté internationale.

En conséquence, les publications émanent de manière croissante de co-autorats internationaux et les revues elles-mêmes sont, pour la plus grande partie d’entre elles, des revues d’audience internationale, généralement en langue anglaise. Quelque soit la localisation géographique de leur éditeur, elles comprennent des comités éditoriaux internationaux qui évoluent dans le temps, et leur reconnaissance par la communauté scientifique globale constitue un enjeu de premier plan pour leurs promoteurs. Dans ce contexte, les revues françaises, et plus largement francophones, se retrouvent souvent reléguées derrière les revues internationales, revues généralistes et revues de champ. Elles connaissent une remise en question, provoquée par les classements bibliométriques et les préoccupations des chercheurs concernant l’impact de leurs publications. De ce fait, elles peinent à mettre en avant, voire à réinventer, leur rôle et leurs spécificités au service de la communauté scientifique.

Le marché du travail hexagonal lui-même s’internationalise, mais de manière encore timide comparativement aux marchés anglo-saxons ou asiatiques. Un nombre croissant de chercheurs français développent une partie de leur carrière dans des universités ou des organismes étrangers, en Europe, aux États-Unis, en Asie, pour des séjours de moyenne ou longue durées, dont ils reviennent parfois. Les doctorants, quant à eux, s’engagent le plus souvent dans des séjours post-doctoraux à l’étranger, parfois répétés, avant de briguer, en France, une position stable à l’université ou dans un organisme de recherche. Ces séjours post-doctoraux leur donnent une première expérience professionnelle et contribuent à élargir leur champ de compétences et leur réseau de relations. Ils se transforment parfois en installation à plus ou moins long terme à l’étranger. Inversement, les laboratoires français accueillent de plus en plus de post-doctorants étrangers, de professeurs ou chercheurs invités, et de doctorants d’origine internationale (à hauteur de 40,5 % en économie et 54,7 % en gestion, selon le rapport Hautcœur du MESR). Certaines universités, certains laboratoires, fréquentent de plus en plus les « job markets » internationaux, que ce soit pour y placer leurs doctorants ou pour trouver de nouvelles recrues. En ce qui concerne le CNRS, la section 37 a recruté 17 % (1/6) de chargés de recherche d’origine étrangère en 2013 et 33 % (2/6) en 2014, voire 66 % (4/6) si l’on prend en compte deux lauréats français ayant effectué leur doctorat à l’étranger.

Un deuxième bouleversement en cours, de nature plus institutionnel, concerne l’organisation de la recherche et son financement dans un contexte de restrictions budgétaires globales. S’il n’est pas spécifique à l’économie ou à la gestion, il contribue à modifier en profondeur le paysage de la recherche. La première innovation institutionnelle de cet ordre a été l’instauration de l’ANR, créée en 2005 afin de financer des recherches sur projets et dotée au détriment des financements récurrents des laboratoires, générant un infléchissement dans la conduite des programmes de recherche et dans le temps passé par les chercheurs dans la recherche et la gestion de financements. Une autre innovation institutionnelle a été l’introduction des RTRA en 2006, qui a permis la création de l’École d’Économie de Paris et de Toulouse School of Economics, seuls projets parmi les 13 financés toutes disciplines confondues, à avoir réussi à attirer des capitaux privés aux côtés des dotations publiques. S’il n’a pas été renouvelé, le dispositif des RTRA a en quelque sorte été relayé par les « Investissements d’Avenir » mis en place en 2010 et dans le cadre desquels ont été directement financés 11 Labex en économie et gestion (d’autres projets ayant été financés localement dans le cadre des IDEX), dont trois au moins ont assuré la relève des RTRA parisien et toulousain en économie. La pertinence de ces dispositifs a été largement débattue lors des Assises de la Recherche à l’automne 2012 et continue à être une préoccupation, notamment dans le cadre du Conseil Scientifique de l’InSHS. Nous n’y reviendrons pas plus avant, si ce n’est pour constater qu’ils ont accru la polarisation des moyens sur un petit nombre d’UMR ou de sites, contribuant s’il en était besoin à l’asymétrie qui caractérise le paysage de la recherche en économie-gestion et au phénomène dit des « UMR en péril démographique » sur lequel nous reviendrons.

Comme conséquence des aspects d’internationalisation et de changement institutionnel, notamment en ce qui concerne le financement de la recherche et l’impact des classements internationaux, le marché du travail des chercheurs et des enseignants-chercheurs en économie-gestion est devenu de plus en plus concurrentiel. Concurrentiel sur le plan international d’abord, mais aussi sur le plan national avec des institutions privées, grandes écoles et écoles de commerce. Tandis que ces dernières entendent désormais recruter de bons chercheurs et dégagent à cet effet les moyens nécessaires pour les attirer, un nombre croissant de laboratoires publics recherchent le soutien d’entreprises privées avec la mise en place d’un certain nombre de chaires, système pratiqué déjà de longue date de l’autre côté de l’Atlantique. Cette concurrence s’exprime au niveau du recrutement international, qui nécessite souvent des conditions salariales compétitives au regard de celles qui ont notamment cours dans les universités anglo-saxonnes. Elle s’exprime également chez les chercheurs et enseignants-chercheurs en poste, pour qui elle justifie la recherche de plus en plus courante de compléments de revenus face à un risque évoqué de fuite des cerveaux. Ces cumuls peuvent concerner des démarches individuelles (e.g., affiliation complémentaire à des écoles de commerce, prise de postes dans des universités étrangères, activités de consulting) ou prendre la forme, plus institutionnalisée, de compléments salariaux dans certains gros pôles, notamment adossés à des grandes écoles de commerce ou d’ingénieurs. Ils renforcent encore les inégalités existantes entre les grosses et les petites unités de recherche en économie et gestion.

Un troisième point qui nous semble devoir être évoqué ici concerne spécifiquement les sciences de gestion, qui participent, avec les sciences économiques, au secteur disciplinaire de la section 37, alors qu’elles relèvent d’une section CNU distincte, tout en participant le plus souvent aux mêmes UFR au niveau des structures universitaires. Une réflexion quant à la place des sciences de gestion au CNRS s’impose au vu de la faible proportion de gestionnaires recrutés parmi les chargés de recherche CNRS au cours des dernières années (e.g., un gestionnaire recruté lors de la mandature 2008-2012), notamment si l’on fait abstraction des financiers recrutés. Comme l’économie, les sciences de gestion rassemblent des travaux relatifs à des thématiques variées, fondés sur une pluralité d’approches et de méthodes, aux finalités et aux implications multiples (théoriques, sociétales, managériales, méthodologiques). Tout comme pour les approches non-standard en économie, il paraît difficile d’évaluer de la même manière l’ensemble de ces approches sans n’en pénaliser aucune. Les travaux en gestion conduits dans les UMR CNRS montrent une spécificité par rapport à ceux menés dans les écoles de commerce, plus dépendantes des classements internationaux et plus susceptibles de privilégier des travaux à publication rapide au détriment d’enquêtes de terrain spécifiques, de la construction de bases de données originales, des démarches qualitatives et d’une pluridisciplinarité intégrant davantage les autres sciences sociales.

Enfin, un quatrième aspect des évolutions récentes en économie-gestion concerne le renouvellement des méthodes (e.g., économie expérimentale, économie computationnelle) et l’entrée dans l’ère de l’interdisciplinarité, au sein des sciences sociales (e.g., sociologie et anthropologie, droit, psychologie) et au-delà (e.g., mathématiques, informatique, physique, sciences de l’environnement).

Dans ce contexte, il nous a semblé que l’élaboration du rapport de conjoncture ne pouvait se concevoir qu’en nous tournant vers les acteurs de la recherche, en nous appuyant sur la communauté des UMR et donc en constituant avec elle un matériau original, qui reflète les situations et les orientations réelles de la vie des unités. À cet effet, nous avons envoyé un questionnaire général aux 32 UMR rattachées à la section 37 à titre principal (24) ou secondaire (8), doublé d’un questionnaire spécifique pour celles qui développent des activités de recherche spécifiques en sciences de gestion. Nous avons reçu 27 réponses, les 5 réponses manquantes concernant des UMR rattachées à titre secondaire.

(1) Notons toutefois que l’extraction de Labintel la plus récente (février 2014) totalise 191 chercheurs, dont environ 10 % sont en détachement ou en disponibilité, ce qui doit être considéré comme normal dans la carrière de ces chercheurs, mais se traduira l’année de leur éventuelle réintégration par une réduction des possibilités de recrutement.

I. L’hétérogénéité des UMR en économie et gestion

Avant d’aborder le contenu des travaux de recherche menés dans les différentes unités, il est frappant de constater à quel point les UMR soutenues par le CNRS en économie-gestion se trouvent dans des situations contrastées. En d’autres termes, il n’existe pas un modèle d’UMR voire un nombre réduit de modèles d’UMR : c’est la singularité qui domine, comme résultant des histoires spécifiques de chacune d’entre elles ou d’un environnement géographique et institutionnel propre.

A. Des moyens en personnel CNRS contrastés

Nous ne disposons pas ici d’informations relatives aux moyens financiers des unités, mais des chiffres renseignés par chacune sur leur effectif CNRS (chercheurs et ITA) et le poids de celui-ci en leur sein, leurs effectifs de doctorants et le taux d’encadrement qui en résulte.

Tout d’abord, le nombre de chercheurs CNRS (chercheurs émérites inclus) dans les 27 UMR de notre échantillon varie de 1 à 28, avec une moyenne et une médiane autour de 7. Concrètement, un nombre conséquent d’unités rassemblent un petit nombre de chercheurs CNRS (5 unités à 1 ou 2 chercheurs et 5 unités à 3), tandis que deux unités parisiennes totalisent respectivement 23 (PJSE) et 28 (CES) chercheurs CNRS. Les premières, parfois désignées par l’InSHS comme « UMR en péril démographique », ne sont pas nécessairement des unités de petite taille. Ainsi, le ratio effectif chercheurs CNRS / effectif total chercheurs + enseignants-chercheurs est inférieur à 2 % pour les deux unités ne comprenant qu’un chercheur CNRS (de l’ordre de 20 % pour les deux unités qui totalisent le plus de chercheurs CNRS). Dans l’ensemble, ce ratio varie de 1 à 38 % avec une moyenne de 12 %, pour des effectifs globaux chercheurs + enseignants-chercheurs qui varient de 31 à 140 avec une moyenne de 67. Les UMR de la section ont donc toutes une taille significative, mais affichent des proportions très variables de chercheurs CNRS.

Ensuite, le nombre d’ITA CNRS dans les 27 UMR de notre échantillon varie de 0 à 15 avec une moyenne de 4,6. L’unité la mieux dotée (CES), avec 15 ITA CNRS, est également celle qui accueille le plus gros effectif de chercheurs CNRS. Les unités les moins bien dotées sont en général des unités qui accueillent peu de chercheurs CNRS. Le ratio effectif ITA CNRS / effectif chercheurs CNRS varie de 0 à 5, avec une moyenne proche de 1. Ce ratio est inférieur à 1 pour 16 unités mieux dotées en chercheurs qu’en ITA CNRS. Il est supérieur ou égal à 1 pour 11 unités généralement faiblement dotées en chercheurs CNRS (de 1 à 3), à 3 exceptions près (GREDEG, GATE et LEST) correspondant à des unités bien dotées en ITA et en chercheurs CNRS à la fois. Le LEST, unité rattachée à titre secondaire à la section 37, tire probablement cette bonne dotation de son caractère pluridisciplinaire (pour son effectif de chercheurs) et de son précédent statut d’UPR (pour son effectif d’ITA). La proportion d’ITA CNRS dans l’effectif technique et administratif total des unités varie de 0 à 100 % avec une moyenne de 49 %, ces situations contrastées renvoyant plutôt au parcours historique de chaque unité et aux pratiques propres à leurs institutions tutélaires.

Enfin, le nombre de doctorants varie de 16 à 231, avec une moyenne de 73 et un taux d’encadrement (nombre de doctorants par chercheur ou enseignant-chercheur) variant de 0,5 à 2 avec une moyenne de 1,1. Cette hétérogénéité modérée reflète sans doute les variations de l’effectif HDR dans la population des chercheurs et enseignants-chercheurs.

B. Polarisation

Un déséquilibre Paris-Province est fréquemment évoqué dans de nombreux domaines disciplinaires, notamment en SHS. S’il existe dans la recherche en économie-gestion, il faut toutefois le relativiser à l’aune d’un phénomène de polarisation tout aussi réel. La recherche en économie-gestion est en effet marquée par de fortes asymétries, aussi bien en termes de moyens financiers et humains, qu’en termes de production et de rayonnement scientifiques.

Se détachent tout d’abord dans le paysage les deux gros pôles issus de RTRA que sont l’École d’Économie de Paris (dite EEP ou PSE) et Toulouse School of Economics (dite TSE). Ces deux structures disposent de ressources financières importantes issues des RTRA initiaux et fondations associées, des Labex qui en ont pris le relais et de financements privés, notamment par l’intermédiaire d’un nombre conséquent de chaires. Elles concentrent en outre des ressources humaines conséquentes, puisqu’elles rassemblent des chercheurs de plusieurs UMR : PSE rassemble PJSE et une partie de CES (soit les deux UMR de la section 37 les mieux dotées en personnel CNRS avec des effectifs respectifs de 23 et 28 chercheurs et de 4 et 15 ITA), TSE rassemble le GREMAQ et le LERNA (laboratoire de l’INEE).

Le pôle marseillais, avec le GREQAM et son Labex AMSE (Aix-Marseille Sciences Économiques) vient en deuxième ligne et totalise 17 chercheurs et une dizaine d’ITA CNRS, suivi d’une dizaine d’UMR comptant entre 5 et 10 chercheurs CNRS et, pour certaines, un nombre conséquent d’ITA CNRS(2). Le troisième cercle enfin est constitué d’UMR plus faiblement dotées en chercheurs CNRS et, le plus souvent, en ITA CNRS.

La situation des laboratoires parisiens (Paris et banlieue) doit également être remarquée. Avec 10 UMR en rattachement principal, elles totalisent 57 % des effectifs de chercheurs et 43 % des effectifs d’ITA CNRS(3). La proximité géographique qui caractérise un bon nombre d’entre elles génère d’importantes synergies matérielles et scientifiques, ce qui renforce encore leur attractivité globale. Ces unités accueillent la moitié des CR recrutés en 2014 (71 % en 2013) et bénéficient de l’intégralité des passages DR en 2014 (la moitié en 2013). Cette situation globale ne doit toutefois pas masquer une importante hétérogénéité entre les unités franciliennes.

(2) Si l’on s’en tient aux unités en rattachement principal à la section 37, 4 d’entre elles totalisent 7 à 10 ITA, tandis que 5 ont un effectif ITA inférieur ou égal à 5, voire nul pour l’une d’elles.

(3) Relativement aux effectifs globaux de chercheurs et d’ITA des seules unités en rattachement principal en section 37.

II. Les grandes thématiques de recherche

Au sein de notre échantillon, 12 UMR couvrent des thématiques relevant uniquement du champ de l’économie, 3 UMR se concentrent exclusivement sur le champ de la gestion, 10 UMR développent des activités dans les deux champs, parmi lesquelles 3 y associent également des préoccupations relevant du droit, de la sociologie, des sciences politiques ou des sciences de l’information. Enfin, 2 UMR rattachées à la section 37 à titre secondaire combinent l’économie avec l’aménagement et l’urbanisme, d’une part et avec la philosophie et les sciences politiques, d’autre part.

La plupart des UMR sont organisées scientifiquement autour d’axes de recherche qui rassemblent les principales thématiques dans lesquelles s’inscrivent leurs travaux. Partant de ces axes, nous avons identifié les principaux mots-clefs qui y sont associés et les proximités sémantiques qui les caractérisent. Sur cette base, nous avons procédé à un certain nombre de regroupements qui se sont traduits par la définition de huit grands champs thématiques qui, de fait, se distinguent les uns des autres, tout en gardant un certain nombre d’intersections qui les différencient d’une simple partition de la discipline. Économie et gestion sont souvent présentes conjointement dans ces grandes thématiques, ce qui traduit la pertinence de leur association au sein de la section 37.

Ces huit grandes thématiques dont nous allons décrire successivement les grandes lignes sont les suivantes : Philosophie, histoire de la pensée et des faits ; Entreprises, organisations et institutions ; Industrie et innovation ; Comportements et décisions ; Économie publique ; Monnaie, banque et finance ; Macroéconomie et économie internationale ; Environnement, espace et ressources naturelles. Chacune de ces thématiques rassemble des approches plurielles et des méthodes qui vont des techniques les plus quantitatives (modélisation, économétrie) aux plus qualitatives (enquêtes, entretiens, archives), du plus formalisé au moins formalisé, en passant par des approches expérimentales, institutionnalistes ou computationnelles(4).

A. Philosophie, histoire de la pensée et des faits

La thématique « Philosophie, histoire de la pensée et des faits » couvre des recherches à l’intersection entre les sciences économiques, les sciences de gestion et d’autres disciplines en sciences humaines et sociales. On peut distinguer trois sous-ensembles qui se recoupent partiellement : l’histoire de la pensée économique (HPE) et des sciences de gestion, la philosophie économique et des sciences de gestion, et l’histoire des faits économiques et des pratiques de gestion.

L’HPE et l’histoire de la gestion sont au centre de ce domaine, du fait de leurs interactions à la fois avec la philosophie et l’histoire. Elles peuvent se caractériser par la convergence et l’enrichissement croisé de deux formes de recherches. Les premières développent l’édition scientifique d’auteurs de référence. Les secondes mobilisent l’histoire de la pensée pour situer et comprendre l’origine des travaux théoriques actuels et pour mieux penser leur ancrage historique et leurs présupposés.

La philosophie économique et des sciences de gestion recouvre deux grands types d’interrogations. D’une part, des interrogations sur l’épistémologie et la méthodologie des sciences économiques et de gestion, en questionnant la nature et le rôle des modèles, en discutant d’autres méthodes non exclusivement déductives et d’autres critères de validité. D’autre part, essentiellement en économie, des questions relevant des théories de la justice, et notamment de la justice distributive, liées à une réflexion normative. On remarquera que ce type de recherches, souvent menées en France dans des centres de recherche en économie, relève dans d’autres pays européens et nord-américains des départements de philosophie ou de sciences politiques.

L’histoire des faits économiques est partagée entre les partisans de la new economic history (cliométrie), et ceux d’une histoire économique moins quantitative. Il y a cependant une certaine convergence sur l’objectif des recherches, qui est d’élaborer des réponses à des interrogations fondamentales telles que : quelles sont les sources de la croissance ? Quelles sont les raisons des cycles économiques ? Quel est le rôle de la monnaie ? Comment se sont institutionnalisées les pratiques de management ? En management, l’histoire des pratiques, initialement développée dans le champ de la comptabilité, s’étend désormais au marketing ou à la stratégie.

Ces thèmes de recherche sont présents de façon plus ou moins diffuse dans la plupart des unités rattachées à la section 37. En économie, ils le sont explicitement (en tant qu’axe de recherche) dans plus du tiers des unités, parfois en lien avec les questions de théorie économique ou d’économie publique.

En sciences économiques, le domaine a connu un certain recul au cours des dernières années, notamment lié à un recul de ces thématiques dans l’enseignement. Plusieurs unités notent que ce recul est moins fort en France, qui garde un certain leadership, au niveau européen, en HPE ou en histoire économique. En sciences de gestion, le domaine s’est institutionnalisé plus récemment, notamment avec la création de l’Association pour l’Histoire du Management et des Organisations au printemps 2013. En philosophie économique, il y a eu un effort d’internationalisation et de structuration avec l’émergence d’un réseau d’abord français qui s’est très vite ouvert au niveau européen. Ce travail en réseau existait déjà en HPE avec l’Association Charles Gide pour l’étude de la pensée économique. Il semble que cette dynamique était cohérente avec la politique du CNRS qui visait à la construction de pôles HPE ou philosophie économique au sein d’UMR de grande taille tout en favorisant un travail en réseau sur la thématique entre UMR et équipes d’accueil. Un GDR d’histoire de la pensée économique a longtemps exprimé le soutien du CNRS à cette structuration de la recherche en HPE. Cette politique a semble-t-il été récemment modifiée avec la création d’une FRE dont les recherches relèvent uniquement de l’HPE, ce que la section 37 ne juge pas pertinent. Une inscription des thématiques de l’HPE, de la philosophie économique et de l’histoire économique au sein d’unités plus grandes permet en effet une fertilisation réciproque, à condition bien sûr que le pôle philosophie, histoire de la pensée et des faits ait un poids et une autonomie suffisants pour développer ces recherches.

Il ressort en effet des réponses venant des UMR que les recherches dans ces domaines pourraient jouer un rôle important face à la crise (relative) actuelle des sciences économiques et de gestion. Plusieurs unités soulignent l’importance d’une réflexion méthodologique qui puisse être utilisée pour répondre à des questions actuelles. Ces unités mentionnent notamment les questions épistémologiques soulevées par le développement de l’économie comportementale, par les analyses de la performativité des énoncés économiques ou des catégories comptables. Certaines unités appellent à réactiver des concepts forgés par le passé et étudier leur pertinence pour les problèmes contemporains. D’autres observent un regain d’intérêt au niveau international pour l’histoire des faits et pour l’étude des tendances de long terme.

B. Entreprises, organisations et institutions

La thématique « Entreprises, organisations, institutions » couvre l’essentiel des recherches menées en sciences de gestion, à l’exception de certaines recherches conduites en finance et en marketing qui s’intègrent également à d’autres thématiques.

Développées dans plusieurs UMR, ces recherches prennent différentes formes. Dans certaines UMR, elles sont conduites au sein d’axes thématiques classiques tels les ressources humaines, la comptabilité ou les systèmes d’information. En grande majorité cependant, les unités pensent leurs travaux sous forme d’axes transversaux et programmatiques : bien-être et santé au travail, management de l’innovation, gestion des connaissances et compétences collectives, dynamique des organisations et nouveaux modes de management, innovation, créativité organisationnelle et sociétale, gouvernance des nouvelles formes d’organisation…

Ces axes affichent souvent l’ambition d’un impact sociétal, à l’image du management de l’innovation qui concerne notamment les usages d’Internet, des nouvelles formes organisationnelles (réseaux, entrepreneuriat), des nouvelles formes de relations marchés-organisations (type d’informations financières divulguées, promotion de modes de consommation durables) ou de la gestion des risques qui regroupe des recherches sur la Responsabilité Sociale des Entreprises ou la santé au travail. Cette ambition se comprend aisément au regard des évolutions de la société. Notons cependant que la gestion de l’inter-culturalité n’est explicitement revendiquée que par une seule équipe, ce qui laisse perplexe dans un monde de plus en plus mondialisé.

Ces axes affichent une forte interdisciplinarité, avec des travaux en sciences de gestion issus de fertilisations croisées avec l’économie, mais également avec la sociologie ou la psychologie. Ce second type de collaborations doit être souligné dans la mesure où il constitue sans doute l’originalité de certaines des recherches conduites en sciences de gestion. Au-delà, il faut encore noter l’ouverture de la discipline aux neurosciences et aux mathématiques (notamment en marketing et en finance), voire à la médecine ou à l’ergonomie pour traiter notamment de problématiques de bien-être au travail, axe de recherches ressortant parmi les plus forts ces dernières années.

C. Industrie et innovation

La quasi-totalité des UMR de notre échantillon, quelles que soient leur taille, leur localisation, leur discipline de rattachement en économie ou en gestion, utilisent dans la description de leurs axes structurants les termes « industrie » et « innovation ». À l’évidence, elles donnent une grande part aux analyses d’organisation industrielle et d’économie-gestion de l’innovation, part qui semble installée depuis longtemps dans le paysage français. En effet, les laboratoires, dans leur grande majorité, indiquent que ces thématiques existent depuis la création même du laboratoire concerné.

Au-delà de ce caractère « historique » de la recherche sur ces thématiques, qui démontre des compétences importantes accumulées dans le domaine, les laboratoires mettent en avant qu’un renouvellement des problématiques a été possible par des investissements sur des méthodes : théorie des jeux, théorie des réseaux, micro-économétrie sur données de firmes et de brevets, économie expérimentale, économie comportementale, économie de la complexité, etc. On observe également des laboratoires qui affichent une inscription plus marquée dans la thématique en utilisant les deux termes industrie et innovation systématiquement accolés dans leurs axes structurants. Ces laboratoires, que l’on peut qualifier de plus spécialisés dans le champ, sont peu nombreux, et envisagent les évolutions possibles de la thématique via des investissements sur des champs nouveaux (en plus des méthodes) : propriété intellectuelle, éco-innovations, économie de l’environnement, économie de la science, économie des brevets, gestion des risques nouveaux, science et technologie, financement de l’innovation.

La séparation entre les approches formalisées et normatives, plutôt positionnées dans les problématiques de la concurrence imparfaite et du maintien d’une économie industrielle « à la française », plus descriptive et inductive, semble appartenir au passé. Au fil des ans, les fondements d’une économie industrielle moderne se sont enrichis, à la fois de nouvelles approches théoriques (néo-institutionnalisme, théorie des organisations, approches spatiales, externalités, réseaux, théorie de la connaissance, approches interactionnistes…) et de nouveaux outils méthodologiques (économétrie et économétrie spatiale, théorie des jeux, approches évolutionnistes, modèles multi-agents…). Ce sont désormais les acquis d’une communauté scientifique fortement internationalisée dans laquelle les chercheurs français sont de mieux en mieux intégrés, au niveau européen bien sûr mais aussi transatlantique. La recherche sur le thème apparaît transversale à l’économie et la gestion (notamment sur la gouvernance d’entreprise, l’entrepreneuriat). C’est un domaine de recherche « ouvert » qui fait se confronter des approches différentes et qui s’enrichit de cette différence. Elle est bien aujourd’hui à l’interface d’un grand nombre de champs, tels que l’environnement, les comportements et décisions, les organisations et institutions, l’économie et le droit, l’économie géographique, les politiques économiques. Elle utilise des méthodes diverses mais complémentaires, qui permettent de faire avancer la connaissance. Certains développements du champ (systèmes complexes, econophysique) requièrent également une pluridisciplinarité inter-Instituts (physique, informatique, écologie) au-delà des SHS.

La recherche a également une dimension internationale reconnue, du fait de l’existence de réseaux européens et internationaux dans lesquels les équipes françaises apparaissent comme coordinateurs ou partenaires. Cela implique parfois que ces équipes sont plus connues à l’international que dans le périmètre français.

Les productions scientifiques sont publiées en large majorité dans les revues académiques de champs plutôt que dans des ouvrages, même si cela reste une activité importante de la création de connaissances. La qualité des supports a connu un fort accroissement, tandis les revues de champ françaises continuent à jouer un rôle important pour les jeunes chercheurs, mais aussi pour des chercheurs plus confirmés qui ont la possibilité de proposer des états de l’art et des synthèses de leur production.

En conclusion, le champ a connu des renouvellements importants au cours de ces dernières années, à la fois dans les questions de recherche abordées et les méthodes utilisées, et se consolide aujourd’hui par une visibilité accrue en termes de production scientifique et à l’international.

D. Comportements et décisions

L’économie comportementale et la théorie de la décision constituent une thématique présente dans un nombre non négligeable des UMR de notre échantillon. Dans plusieurs UMR, elles figurent parmi les axes principaux depuis l’origine et continuent à être bien représentées grâce à une politique scientifique de recrutement conséquente dans ces laboratoires. Dans d’autres, elles ont été développées plutôt récemment et trouvent une place plus importante dans la recherche de ces unités.

Un aspect remarquable de l’analyse des comportements et des décisions est qu’il y a de nombreux liens avec différents domaines en économie et différentes méthodologies : non seulement avec l’économie expérimentale (expériences de laboratoire et de terrain), qui est souvent associée à l’économie comportementale, mais aussi avec l’économie publique, notamment les politiques environnementales, ainsi que la modélisation mathématique, la recherche opérationnelle, la théorie des jeux et du choix social, et la rationalité limitée. On notera également des liens naturels avec la gestion (et plus particulièrement l’étude du comportement du consommateur en marketing), la psychologie, la psychophysiologie, la sociologie, la neuro-économie ou les sciences politiques.

Dans le domaine de l’économie expérimentale, plusieurs UMR sont reconnues comme faisant partie des laboratoires initiateurs de ce domaine en France et disposent d’une reconnaissance internationale. Les thèmes abordés sont reliés entre autres à l’économie du travail (genre et compétition, incitations et effets de pairs, favoritisme), la finance (comportements spéculatifs), l’économie de la santé (préférence des patients, prise de décisions, impact de la fatigue), le design de marchés et de mécanismes (enchères, tarification, mécanisme d’appariement), la neuro-économie (comportements pro- et anti-sociaux, émotions et apprentissage), l’économie publique et du bien-être (fraude fiscale, tricherie, genèse des normes sociales), les réseaux sociaux (transmission d’informations, influence), etc.

Par ailleurs, l’objectif de plusieurs laboratoires du CNRS est d’animer et de développer les activités de recherche en théorie de la décision et ses applications à l’économie, la finance et les sciences sociales. Dans ce domaine également certains laboratoires ont une réputation internationale incontestable, en décision dans l’incertain comme en décision dans le risque, ainsi qu’en aide multicritère à la décision. En décision dans l’incertain, les thèmes de recherche portent entre autres sur les préférences incomplètes, les préférences imparfaites, les choix dynamiques, la caractérisation des aversions pour le risque, l’ambiguïté, la révision des croyances, les mesures du risque, les négociations sous incertitude. On note également des applications de ces thématiques aux questions de choix de portefeuilles financiers et de contrats d’assurance. La décision dans le risque devient un point fort des travaux expérimentaux dans certains laboratoires, complétés par divers travaux théoriques (risques environnementaux, risque technologiques, assurance et gestion du risque).

Un autre thème rattaché à la théorie de la décision qui tient une place très importante dans plusieurs UMR concerne la théorie des jeux (coopératifs et stratégiques), des interactions et des réseaux. Ici encore on trouve une grande richesse de thèmes abordés reliés à l’information et la communication, la modélisation des comportements et des interactions économiques entre les agents, la dynamique et l’impact des réseaux économiques et sociaux sur les performances économiques, etc. Les objectifs mentionnés concernent l’analyse théorique ainsi que les tests empiriques.

L’analyse des comportements et des décisions est aussi fortement reliée à la théorie du choix social. Un des objectifs qui émerge concerne le développement et l’application des solutions en théorie des jeux, théorie des choix collectifs et théorie du bien-être dans les domaines de la santé et de l’organisation industrielle. Un autre objectif important concerne des nouvelles thématiques en économie publique ou en marketing reliées aux questions sociétales, comme les inégalités et les discriminations, l’environnement, la consommation, l’éducation et l’emploi, et la santé.

Enfin, on soulignera l’émergence des aspects algorithmiques : théorie algorithmique des jeux, théorie algorithmique de la décision et choix social computationnel. Ces nouvelles thématiques sont au croisement de l’informatique, de l’économie et de la gestion, et montrent la pluridisciplinarité croissante de la recherche en économie.

E. Économie publique

La France occupe une place particulière et éminente dans l’histoire de la discipline, née en grande partie sous l’impulsion des économistes ingénieurs, de leurs problématiques empiriques de décision publique et de leurs analyses des imperfections de marché. Le renouvellement de la discipline et sa forme moderne doivent beaucoup aux développements en France de l’analyse des imperfections d’information et de la régulation des marchés imparfaits. Ces traditions restent fortement présentes dans les recherches menées aujourd’hui dans les laboratoires CNRS, et ce au plus haut niveau. Ces recherches vont du plus théorique au plus appliqué.

Les nouveautés conceptuelles en matière d’Économie Publique ont trait à son rapprochement avec ce que les anglo-saxons nomment Political Economy et qui consiste en une meilleure intégration des problématiques institutionnelles aux domaines d’études traditionnels tels que la fiscalité, la santé, l’éducation, les transports, les politiques urbaines, etc.

L’Économie Publique moderne touche ainsi à la Science Politique (récents développements des méthodologies économiques pour l’étude des institutions démocratiques), à l’Histoire (récents développements en Macroéconomie et Histoire des inégalités), au Droit (récents développements en Droit de la concurrence et sur les discriminations), etc.

La pratique actuelle de l’Économie Publique est marquée par une ouverture méthodologique croissante venant brouiller les frontières traditionnelles entre études monographiques et enquêtes statistiques. Les outils économétriques sont maintenant disponibles pour tous et, point plus important, tendent à être maîtrisés par à peu près tous. Ceci rend possible une pratique plus saine des études quantitatives, particulièrement visible dans l’étude des inégalités, l’économie de la santé, de l’éducation, du travail, des discriminations, etc.

Cette tendance s’est notamment matérialisée dans l’explosion au cours de la dernière décennie des travaux consacrés à l’évaluation des politiques publiques. Cette évolution engendre une réorientation des intérêts du champ vers des travaux de nature plus empirique, et crée également une interface forte entre la recherche académique et la décision publique. L’intérêt croissant pour les travaux de cette nature conduit également à un renouvellement profond des méthodes d’investigation empiriques elles mêmes, à travers la réalisation d’expériences de terrain. L’émergence des travaux d’évaluation des politiques publiques est une donnée forte et structurante de l’évolution de la recherche dans les laboratoires CNRS.

En termes de répartition, l’économie publique est développée de manière différente sur le territoire. Les grands pôles de recherche ont une activité intense, souvent plus orientée vers la recherche fondamentale et l’évaluation des politiques publiques. S’y ajoutent des centres de plus petite taille, en pointe sur une partie du domaine : le choix social, l’économie des transports, l’économie du changement climatique, etc.

Deux forces du CNRS dans le domaine de l’économie publique sont identifiées par tous les laboratoires. D’une part, la tradition française quantitativiste et formaliste constitue un avantage comparatif, pour peu qu’elle soit aussi mise au service de l’analyse empirique. D’autre part, s’agissant d’un domaine de plus en plus aux prises avec l’actualité, l’accent mis sur le recrutement de chercheurs qui privilégient une approche fondamentale est cité comme un élément de plasticité des programmes de recherche développés, qui favorise l’adaptation aux évolutions – très rapides – de ce champ.

F. Monnaie, banque et finance

Dans ce domaine de recherche, les chercheurs des laboratoires du CNRS sont traditionnellement très présents sur le plan international, singulièrement dans sa dimension finance de marché, risque et macroéconomie financière. Les quatre années passées confirment cette tendance. Elles marquent aussi l’émergence de travaux nombreux d’économie bancaire, écho des crises des subprimes et de la dette souveraine. En résonance avec la relative stabilité monétaire mais aussi avec un moindre renouvellement de la réflexion sur le plan international, les productions de théorie monétaire et les projets dévolus à l’analyse des politiques monétaires sont moins présents dans les laboratoires, malgré une résurgence très récente liée à l’émergence des politiques monétaires non-conventionnelles.

Les méthodologies à l’œuvre vont de l’économie mathématique et de l’économétrie appliquée, – notamment dans le champ de la finance de marché –, à des approches plus institutionnelles, singulièrement en économie bancaire et en macroéconomie financière. La finance d’entreprise fait appel à ces mêmes compétences mais elle recourt aussi aux méthodologies de l’analyse et de la gestion comptable et financière. L’économie expérimentale et la simulation numérique sont encore relativement peu sollicitées dans ce champ par les laboratoires CNRS.

S’agissant des questions de théorie et politique monétaires, les travaux de théorie monétaire, désormais moins représentés dans les laboratoires CNRS, analysent principalement un contexte marqué par les institutions (banques centrales) sur le plan macroéconomique et par la prise en compte de formes de rationalité imparfaites en microéconomie. Les plus récents travaux de politique économique rationalisent les politiques « non-conventionnelles » après une vague de recherches précédentes consacrées à la prise en compte des prix d’actifs.

Le champ de la finance de marché est celui où la présence des publications des laboratoires du CNRS est la plus forte au niveau international. Les préoccupations classiques de la finance théorique (détermination des prix d’actifs, choix de portefeuille, information, incertitude, pricing des produits dérivés, innovations financières…) sont toujours fortement représentées et trouvent écho dans les meilleures revues internationales. Sollicités par l’actualité de la dernière décennie, des objets nouveaux apparaissent aussi, plus tournés vers les propriétés du marché ou de certains de ses segments (l’analyse des contextes d’illiquidité, du changement des microstructures, de la découverte des prix, des processus de contagion financière…). Ces objets nouveaux pourraient prendre le pas sur les précédents dans les années à venir.

Le domaine de recherche relatif à l’économie bancaire connaît une vigueur nouvelle liée aux crises récentes. Il se développe souvent dans des unités auparavant plus tournées vers la macroéconomie financière ou l’analyse de la politique monétaire. Le risque de crédit, la titrisation, mais aussi les régulations micro et macro-prudentielles en sont les thèmes principaux. Les thématiques liées à la liquidité bancaire et à la contagion des crises bancaires sont aussi développées.

Les recherches en finance d’entreprise portent sur la gouvernance d’entreprise, mais s’appliquent aussi à développer l’analyse de financements non-bancaires (corporate equity, capital-risque…). En écho aux crises financières récentes, la structure de la dette reste un objet très travaillé.

Le champ de la macroéconomie financière, enfin, relie un peu les précédents dans des travaux articulant les différents éléments de l’activité monétaire et financière, dans l’analyse des composantes financière de la globalisation des économies. Les interdépendances entre marchés et institutions, entre économies nationales, entre sphères financières et réelles, font l’objet de l’attention des chercheurs. Ceux-ci s’appliquent aussi à mieux comprendre l’origine et la propagation des crises financières sur un plan macroéconomique et international.

G. Macroéconomie et économie internationale

Les événements qui ont récemment affecté l’économe mondiale, tels la crise économique et financière de la fin des années 2000, les tensions au sein de la zone euro, l’ampleur des déséquilibres globaux, la croissance à deux chiffres de certains pays émergents, la forte volatilité des prix des matières premières, les projets d’accords commerciaux de grande envergure, ont soulevé de nombreuses questions suscitant une analyse approfondie aux niveaux macroéconomique et international. Ces questions ont conduit à un renouveau des analyses théoriques et empiriques, mais ont aussi mis au premier plan la nécessité d’en déduire des recommandations de politique économique, notamment de politique macroéconomique de sortie de crise.

Les travaux en macroéconomie et économie internationale nécessitent naturellement le recours à des méthodes très diverses, comme l’économétrie (séries temporelles, données de panel, structurelle, spatiale), la modélisation, les techniques de simulations, la théorie des jeux, la modélisation DSGE (Dynamic Stochastic General Equilibrium Models) avec l’incorporation récente du secteur bancaire, l’utilisation croissante des modèles à base d’agents ou encore, notamment en économie du développement, les approches expérimentales et d’analyse d’impact.

Dans le domaine de l’analyse des fluctuations et de la croissance, les travaux intègrent de plus en plus les interdépendances macroéconomiques et financières afin de mieux comprendre les cycles économiques et financiers et d’étudier la transmission des cycles dans les économies ouvertes et financiarisées. Une part croissante des recherches porte sur les impacts macroéconomiques des fluctuations des prix des matières premières et de l’énergie ; l’objectif étant de parvenir à une meilleure compréhension des mécanismes de transmission entre les différents déséquilibres macroéconomiques afin d’en déduire des recommandations en termes de politique économique. De façon liée et s’insérant dans une optique d’analyse des équilibres de long terme, les travaux se sont récemment orientés vers les questions de développement durable, de l’analyse de la macroéconomie sous contrainte environnementale et des aspects environnementaux des questions commerciales. Des approches pluridisciplinaires sont ici fréquemment retenues, au travers de collaborations avec des biologistes, climatologues, mathématiciens, physiciens, psychologues et sociologues.

Les travaux plus traditionnels en macroéconomie théorique sont naturellement poursuivis et approfondis, avec le souci accru de rendre la théorie plus réaliste en introduisant divers éléments comme les générations d’agents, les hétérogénéités entre agents, les contraintes de crédit, l’incomplétude des marchés ou encore les rigidités nominales.

Les travaux dans le domaine de l’économie géographique et du commerce international occupent également une place centrale. Concernant l’économie géographique, les recherches ont trait à la localisation des activités économiques, l’évaluation des effets d’agglomération, les coûts de transport, le home market effect et l’effet frontière. S’agissant du commerce international et de la mondialisation, les travaux portent sur des thèmes divers relatifs à l’intégration des marchés et de la production, les liens entre commerce et sécurité internationale, la cohérence des politiques d’aide, les politiques commerciales (non tarifaires) et les accords commerciaux régionaux ou globaux.

Les recherches en économie du développement se caractérisent de plus en plus par une double dimension, macroéconomique et microéconomique. Les thèmes traités portent ainsi sur la dynamique des inégalités, les migrations internationales et les questions de transferts de fonds des migrants et de mobilité du travail, l’économie politique des institutions et du développement, les nouvelles formes d’intégration internationale des PED…

En termes de politique économique, la crise a mis en évidence l’inadaptation de certaines politiques macroéconomiques et a conduit à l’analyse de nouvelles pratiques de politique monétaire, notamment les politiques non conventionnelles et macro-prudentielles, et de leur articulation avec d’autres politiques, budgétaires en particulier.

Les membres des unités CNRS participent très activement à l’ensemble de ces débats en macroéconomie et économie internationale, champ dans lequel la France a toujours occupé une place importante. Les unités développent également une importante recherche contractuelle dans le domaine appliqué (projets ANR, thèses CIFRE, contrats nationaux et européens, publics et privés) et participent très activement au débat public, avec de nombreux partenariats relevés avec des institutions comme la Banque de France, la Banque Mondiale, le CAE, le CEPII ou l’OCDE.

L’ensemble des recherches menées par les équipes CNRS sur ces questions auront des répercussions importantes dans la redéfinition des théories et pratiques macroéconomiques mises à mal par les événements récents, ainsi que dans la formulation de recommandations de politique économique.

H. Environnement, espace et ressources naturelles

La quasi-totalité des UMR relevant de la section 37 mènent des travaux sur ces thèmes, ce qui n’était pas le cas voici quelques années. Trois UMR placent un ou plusieurs de ces thèmes au centre de leur activité : le CIRED (en particulier le changement climatique et l’énergie), le LAMETA (en particulier la biodiversité) et le LET (transports). Pour une dizaine d’autres UMR, ces thèmes (ou l’un d’entre eux) constituent un axe ou un sous-axe affiché. Certaines UMR mènent depuis longtemps des recherches importantes en environnement, tandis que pour d’autres, en particulier des UMR de gestion, il s’agit de thèmes nouveaux.

La communauté française en économie de l’environnement et des ressources naturelles s’est structurée formellement en 2013 sous forme d’une association, la FAERE, affiliée à l’EAERE européenne, avec une forte implication de plusieurs UMR CNRS, mais aussi d’UMR d’autres organismes comme l’INRA. La recherche sur ces thèmes est très internationalisée, et les UMR les plus actives sont très impliquées dans des collaborations et réseaux internationaux sur ces sujets. Sur les problématiques liées à la notion d’espace, les groupes de recherche au sein des UMR concernées bénéficient d’une visibilité au niveau international sur certaines thématiques spécifiques (comme l’économie des transports par exemple).

Les approches sont très diverses : modèles mathématiques micro ou macroéconomiques, formels ou numériques, économétrie, modèles multi-agents appliqués à l’environnement, études de cas. Il en est de même des questions traitées, parmi lesquelles en environnement trois se dégagent particulièrement : changement climatique (impacts, adaptation et atténuation) ; écosystèmes et biodiversité ; ressources renouvelables (eau, forêts, poissons…). Le même constat prévaut quant aux domaines géographiques abordés, qui vont du niveau mondial à celui du pays (dont les pays en développement et émergents). Enfin, tandis que dans certains modèles la représentation de l’environnement biophysique est basique, dans d’autres cette représentation est très riche (qu’il s’agisse de modèles de dynamique des populations animales ou de représentations simplifiées du système climatique). Par ailleurs, la Responsabilité sociale des entreprises (RSE) suscite de plus en plus de travaux de la part d’économistes comme de gestionnaires. Sur les questions d’économie spatiale et urbaine, plusieurs thèmes ressortent plus spécifiquement : évaluation des politiques publiques spatialisées (logement, emploi), influence des structures et des dynamiques spatiales sur la détermination des mobilités, constitution des territoires à travers les pratiques de mobilité des acteurs, influence des processus de migrations (internes et externes aux pays concernés) sur les activités économiques. Les approches mobilisées se tournent vers l’interdisciplinaire, avec un croisement entre des modélisations d’économie (urbaine) et des approches venant de la géographie.

De nombreux directeurs d’unités souhaitent investir davantage les thèmes de l’environnement et du développement durable, notamment à travers des approches interdisciplinaires avec des chercheurs de sciences de la nature et d’autres sciences humaines et sociales, ainsi qu’en informatique, algorithmique ou mathématiques appliquées. Les unités travaillant sur la dimension spatiale soulignent leur volonté de renforcer leur approche des questions sur la mobilité et sur l’influence des processus migratoires, et suggèrent elles aussi l’utilité d’un renforcement des projets interdisciplinaires dans leurs thématiques. À l’échelle internationale, le CNRS est placé de manière unique pour soutenir ces travaux pluridisciplinaires, de par la qualité de sa recherche et de par sa couverture globale des disciplines. Cela passe par des recrutements interdisciplinaires mais aussi par des programmes pluridisciplinaires qui apportent une valeur ajoutée scientifique dans la discipline de chaque chercheur concerné. Par ailleurs, le CNRS peut permettre à des chercheurs de travailler indépendamment des sources de financements susceptibles de générer des conflits d’intérêt, dans un domaine où de telles situations peuvent facilement se produire.

(4) Voir figure en annexe.

III. Le rôle du CNRS dans la recherche vu par les UMR

De façon quasi-unanime, les UMR rattachées à la section 37 considèrent que le CNRS joue un rôle important dans l’animation et la réalisation de la recherche en France dans les domaines des sciences économiques et de gestion. C’est d’abord la qualité de ses chercheurs qui est plébiscitée. Leur capacité d’animation des UMR dont ils constituent les éléments moteurs est soulignée par l’ensemble des équipes, ne serait-ce que pour regretter leur faible nombre quand il s’agit d’équipes de petite taille ou aux effectifs déséquilibrés. Ces chercheurs constituent une véritable force de frappe de la recherche française : même si certains laboratoires regrettent de ne pas pouvoir participer de plus près à « leur » recrutement, personne ne conteste que le recrutement centralisé et de haut niveau dont ils font l’objet contribue à la haute qualité moyenne de leur effectif. Certains laboratoires déplorent cependant la faiblesse de l’information à l’adresse des candidats étrangers au recrutement. D’autres estiment que l’insuffisante rémunération des chercheurs nuit au recrutement ou au maintien des chercheurs les plus brillants. Relativement à d’autres centres européens, le CNRS est ainsi perçu comme insuffisamment attractif et réactif.

Les ITA CNRS sont très appréciés dans les UMR, qui soulignent leurs compétences et leur professionnalisme. Dans de nombreux cas aussi, les laboratoires trouvent leur nombre insuffisant et se sentent handicapés par le non-remplacement systématique des collègues faisant valoir leur droit à la retraite. Ces moyens en diminution compliquent l’organisation des tâches et la gestion des ressources humaines au sein des unités. Ajoutées à la lenteur démotivante des évolutions de carrières, ces fontes d’effectifs se soldent souvent par la perte de compétences essentielles, dans les domaines de l’administration de la recherche et de l’aide au chercheur.

Le soutien financier du CNRS est généralement apprécié comme complément à d’autres sources, mais il n’est pas toujours considéré comme essentiel ; il est parfois perçu comme modeste voire dérisoire au regard des ressources totales et surtout des dépenses des équipes. Le label apporté par le CNRS est mieux apprécié, surtout en province, mais aussi chaque fois qu’une unité se trouve confrontée à la recherche de moyens complémentaires, soumissionne à une ANR ou participe à d’autres confrontations avec des partenaires non labellisés. Ce label semble avoir moins d’importance sur le plan international où d’autres logiques priment.

La politique scientifique du CNRS n’est pas souvent citée : quand elle l’est, c’est plutôt négativement. Si chacun semble s’accorder pour constater la faiblesse des orientations scientifiques données par le CNRS, il n’y a pas vraiment d’accord sur la forme que devrait prendre cette politique si elle s’affirmait plus clairement. Plusieurs thèmes ressortent, portés par des équipes aux caractéristiques différentes. Citons par exemple le souhait de voir le CNRS défendre mieux la pluridisciplinarité. Il pourrait s’agir par exemple de réunir en certains lieux des compétences différentes autour d’un objet, plutôt que de privilégier des configurations de laboratoires associant des compétences voisines, dans la recherche d’un renforcement des domaines de spécialisation. Certaines unités – parfois les mêmes – souhaiteraient voir le CNRS donner plus de moyens aux sciences de gestion. Mais dans d’autres cas, les laboratoires peuvent aussi souhaiter une aide plus sélective aux unités susceptibles d’occuper les premiers rangs dans leur champ sur le plan européen et international. Moins de cloisonnement disciplinaire dans certains cas, plus de sélectivité voire d’incitations financières sont recommandées dans d’autres.

L’hétérogénéité des UMR, soulignée plus haut dans ce rapport, a une incidence sur la perception du CNRS par les équipes. Les plus grosses unités trouvent souvent le CNRS trop centralisé ou bureaucratique dans ses procédures ; certaines voudraient choisir leurs chercheurs, maîtriser leur promotion et le niveau de leurs incitations. Les plus grosses unités regrettent parfois le saupoudrage des moyens quand les plus petites pointent au contraire du doigt la concentration de ces mêmes moyens dans un petit nombre d’équipes localisées dans de grands pôles de recherche parisiens ou provinciaux. Les provinciaux trouvent généralement que Paris draine l’essentiel des moyens, mais l’hétérogénéité existe autant entre UMR de Province qu’entre UMR franciliennes. Les uns plaident pour une sélectivité teintée d’élitisme, les autres pour une pluridisciplinarité et un pluralisme méthodologique estompant les faiblesses individuelles et misant sur les interactions.

De cet examen ressort la perception du CNRS comme une agence de moyens plutôt que comme un opérateur de recherche. L’agence a des qualités évidentes : elle choisit des chercheurs de haut niveau, et leur offre un statut les aidant à produire une recherche nourrie et de qualité. L’institution n’a pas de véritable politique scientifique mais cet état de fait, toujours constaté au moins en creux, n’est jamais considéré comme l’expression d’une carence majeure du système. La liberté de choisir ses sujets et méthodes de recherche est souvent plus appréciée que ne le serait une parfaite harmonisation nationale des thématiques et champs d’étude.

IV. Une vision globale de la recherche en économie-gestion

Les directrices et directeurs d’UMR ont été interrogés sur leur vision de l’avenir de la recherche hexagonale en économie et en gestion. Leurs réponses sont étonnement unanimes compte tenu de la diversité thématique et institutionnelle de leurs unités.

Sur le plan institutionnel, tous s’accordent sur le fait que la recherche va poursuivre son mouvement d’internationalisation, avec à la clé une mise en concurrence accrue des institutions aux niveaux national et international. Ils expriment leur inquiétude quant aux moyens dont disposeront, à l’avenir, les UMR pour rester compétitives. L’inquiétude porte également sur les conditions matérielles de la recherche en général : ampleur des charges administratives et d’enseignement des enseignants-chercheurs, complexité et lourdeur de l’administration de la recherche, réduction du nombre de postes de chercheurs, d’enseignants-chercheurs et d’ITA, niveau insuffisant des salaires et maigres perspectives d’évolutions de carrières.

Sur le plan scientifique, deux défis se dégagent clairement. Le premier concerne la remise en cause du modèle classique de rationalité, avec la prise en compte des dimensions psychologiques, sociales et culturelles des acteurs, en économie comme en gestion. Le second concerne la nécessité de répondre à une demande sociale, notamment dans les champs des politiques publiques (fiscalité, santé, environnement, consommation, exclusion, etc.). Pour ce faire, la quasi-totalité des directrices et directeurs de laboratoires mettent en avant la nécessité d’une recherche pluridisciplinaire. L’idée de sciences économiques ou de gestion isolées semble plus que jamais devoir s’effacer au profit d’une ouverture sur les autres sciences sociales (psychologie incluse).

Les directrices et directeurs d’UMR notent, dans leur grande majorité, que répondre à ces défis est rendu difficile par le manque de coordination entre les acteurs (notamment CNRS et universités) et par le manque de politique scientifique globale. Dans un contexte où les universités ne semblent pas toujours en mesure d’élaborer une politique scientifique de long terme, la quasi-totalité des responsables d’UMR soulignent le rôle essentiel que peut et doit jouer le CNRS, en particulier dans la promotion de l’interdisciplinarité. Loin de devoir se réduire à une agence de moyens, le CNRS est appelé à jouer un rôle structurant dans l’élaboration et la mise en œuvre d’une politique scientifique de long terme en collaboration avec les universités.

Conclusion

Ce rapport de conjoncture montre de façon claire la vivacité de la recherche en économie-gestion en France, même si certaines difficultés relatives au recrutement, à la rémunération, à la gestion des carrières et au renouvellement des personnels, ainsi qu’aux financements et à la coordination des institutions, viennent parfois en entraver le dynamisme.

Ce qui frappe avant tout c’est que les UMR sont des lieux privilégiés de la recherche et ce d’autant plus que la remise en question de certains fondements de nos disciplines et le recours nécessaire à des approches complémentaires ou des méthodes issues d’autre champs disciplinaires nécessitent de pouvoir développer des programmes audacieux et innovants.

Le cloisonnement de nos disciplines selon des thématiques plus ou moins étanches semble bien révolu. Même si les comportements stratégiques de chercheurs jeunes ou moins jeunes conduisent parfois encore à des logiques d’hyperspécialisation sur des questions pointues et en général très techniques, l’avenir semble plutôt à l’ouverture intellectuelle. L’organisation encore très traditionnelle de la plupart des laboratoires en axes thématiques se double d’interactions de plus en plus fortes entre ces axes. Ce qui émerge relève davantage d’une vision transversale fondée sur des objets de recherche, voire sur des outils. Les sciences économiques et de gestion retrouvent, ou du moins renforcent, leur identité de sciences sociales, dans le sens où elles sont appelées à trouver une nouvelle légitimité dans leur capacité à apporter des réponses à des problèmes de société, tout en dialoguant et se nourrissant des autres sciences sociales.

Une vision moderniste de l’organisation de la recherche doit placer l’interdisciplinarité au cœur de sa démarche, au sein des sciences sociales et au-delà vers les sciences dites dures. Dans cette optique, l’interdisciplinarité ne peut seulement se déléguer à une poignée de CID, mais doit être portée au sein même de la section économie-gestion comme une préoccupation majeure pour régénérer les cadres traditionnels de la pensée. Nombreux sont les travaux qui vont dans ce sens et il nous semble important de ne pas abandonner cette orientation aux aléas des initiatives locales. C’est le rôle du CNRS de porter une vraie politique scientifique nationale délivrée des contraintes de sites et de contribuer à insuffler des initiatives ambitieuses aux frontières de la connaissance. C’est pourquoi nous pensons que le CNRS, dans le secteur de l’économie-gestion, a un rôle important à jouer qui, contrairement à certaines prises de position récurrentes, ne doit certainement pas se réduire à devenir une simple agence de moyens.

Annexe

Cartographie des grands champs thématiques