Rapport de conjoncture 2014

Section 32 Mondes anciens et médiévaux

Extrait de la déclaration adoptée par le Comité national de la recherche scientifique réuni en session plénière extraordinaire le 11 juin 2014

La recherche est indispensable au développement des connaissances, au dynamisme économique ainsi qu’à l’entretien de l’esprit critique et démocratique. La pérennité des emplois scientifiques est indispensable à la liberté et à la fécondité de la recherche. Le Comité national de la recherche scientifique rassemble tous les personnels de la recherche publique (chercheurs, enseignants-chercheurs, ingénieurs et techniciens). Ses membres, réunis en session plénière extraordinaire, demandent de toute urgence un plan pluriannuel ambitieux pour l’emploi scientifique. Ils affirment que la réduction continue de l’emploi scientifique est le résultat de choix politiques et non une conséquence de la conjoncture économique.

L’emploi scientifique est l’investissement d’avenir par excellence
Conserver en l’état le budget de l’enseignement supérieur et de la recherche revient à prolonger son déclin. Stabiliser les effectifs ne suffirait pas non plus à redynamiser la recherche : il faut envoyer un signe fort aux jeunes qui intègrent aujourd’hui l’enseignement supérieur en leur donnant les moyens et l’envie de faire de la recherche. On ne peut pas sacrifier les milliers de jeunes sans statut qui font la recherche d’aujourd’hui. Il faut de toute urgence résorber la précarité. Cela suppose la création, sur plusieurs années, de plusieurs milliers de postes supplémentaires dans le service public ainsi qu’une vraie politique d’incitation à l’emploi des docteurs dans le secteur privé, notamment industriel.

Composition de la section

Pierre Moret (président de section) ; Aude Mairey (secrétaire scientifique) ; Dany Barraud ; Pascal Buresi ; Laurent Coulon ; Thomas Deswarte ; Philippe Dillmann ; Bruno Fajal ; Isabelle Hairy ; Valérie Huet ; Mariagrazia Masetti-Rouault ; Thierry Pécout ; Isabelle Pernin ; Claude Pouzadoux ; Évelyne Prioux ; Hara Procopiou ; Jérémie Schiettecatte ; Laurent Schneider ; Romain Telliez ; Alexandre Teste ; Dominique Valérian.

Résumé

Le domaine de la section 32 est celui de l’Antiquité et du Moyen Âge considérés dans toute leur diversité. D’un point de vue méthodologique et disciplinaire, elle accueille l’archéologie, l’histoire, la philologie, l’histoire de l’art et la musicologie. Géographiquement, elle embrasse l’Europe, le Proche et le Moyen Orient, l’Asie et l’Afrique. Au moment où la nécessité d’une politique d’emploi scientifique ambitieuse fait l’objet d’une large mobilisation, la section 32 a souhaité dresser un état des lieux, chiffres à l’appui, des menaces qui pèsent sur les disciplines qui lui sont rattachées.

Les tendances démographiques sont préoccupantes au CNRS comme à l’université, chez les chercheurs comme chez les ingénieurs et techniciens, et le déficit de recrutements met en péril des secteurs entiers de la recherche dans les sciences de l’Antiquité et du Moyen Âge, notamment à l’étranger. Les enjeux des humanités numériques et des nouveaux outils de diffusion font également l’objet d’un bilan.

Introduction

Le domaine de la section 32 est celui de l’Antiquité et du Moyen Âge considérés dans toute leur diversité, y compris la protohistoire entendue comme l’étude des cultures utilisant l’écriture ou connues par des sources écrites. D’un point de vue méthodologique et disciplinaire, elle accueille l’archéologie, l’histoire, la philologie, l’histoire de l’art et la musicologie. Géographiquement, elle embrasse l’Europe, le Proche et le Moyen Orient, l’Asie et l’Afrique.

Au moment où l’emploi scientifique est gravement menacé dans notre pays par des politiques publiques à courte vue, la section 32 a souhaité dresser un état des lieux mettant l’accent sur les menaces que les mutations en cours font peser sur nos domaines de recherches, souvent plus fragiles que d’autres lorsqu’ils relèvent, selon le terme récemment consacré, des « disciplines rares ». Tendances démographiques préoccupantes au CNRS comme à l’université, impact non maîtrisé des financements sur projets, recomposition des structures de la recherche aux échelles nationale et régionale, situation précaire du réseau d’unités à l’étranger, nouveaux outils de diffusion et de publication : ce ne sont pas seulement la pratique et les modalités de la recherche dans les sciences de l’Antiquité et du Moyen Âge qui en sont affectées, c’est leur pérennité qui est en jeu(1).

(1) En raison des contraintes de mise en page, la section 32 a décidé d’éditer une version longue de ce rapport dans laquelle on trouvera des graphiques, cartes et tableaux, ainsi que des développements plus conséquents sur différents points. Voir ci-contre, onglet « Télécharger ».

I. Les structures et le financement de la recherche

A. Les unités de la section 32

Au printemps 2014, 38 unités sont rattachées à la section 32 comme section principale : 21 Unités mixtes de recherche (UMR), 1 Unité propre de recherche (UPR), 10 Unités de service et de recherche (USR), 1 Unité propre de service (UPS), 1 Fédération de recherche (FR) et 4 Groupements de recherche (GDR) :

Liste des unités

– UMR 5060 – Institut de recherche sur les archéomatériaux (IRAMAT), Bordeaux-Belfort-Orléans

– UMR 5136 – France méridionale et Espagne (Framespa), Toulouse

– UMR 5138 – Archéométrie et archéologie, Lyon

– UMR 5189 – Histoire et sources des mondes antiques (Hisoma), Lyon

– UMR 5607 – Ausonius : Institut de recherche sur l’Antiquité et le Moyen Âge, Bordeaux

– UMR 5648 – Histoire, Archéologie, littératures des mondes chrétiens et musulmans médiévaux (Ciham), Lyon

– UMR 6273 – Centre Michel de Boüard (Craham), Caen

– UMR 7041 – Archéologie et Sciences de l’Antiquité (Arscan), Nanterre

– UMR 7044 – Étude des civilisations de l’Antiquité (Archimède), Strasbourg

– UMR 7192 – Proche-Orient, Caucase : langues, archéologies, cultures, Paris

– UMR 7297 – Centre Paul Albert Février – Textes et documents de la Méditerranée antique et médiévale, Aix-en-Provence

– UMR 7298 – Laboratoire d’archéologie médiévale et moderne en Méditerranée (LA3M), Aix-en-Provence

– UMR 7299 – Centre Camille Jullian – Histoire et archéologie de la Méditerranée, Aix-en-Provence

– UMR 7302 – Centre d’études supérieures de la civilisation médiévales (CESCM), Poitiers

– UMR 7528 – Mondes iranien et indien, Ivry-sur-Seine

– UMR 8164 – Histoire, Archéologie, Littérature des Mondes Anciens – Institut de Papyrologie et d’Égyptologie de Lille (Halma-Ipel), Lille

– UMR 8167 – Orient et Méditerranée, textes, archéologie, histoire, Ivry-sur-Seine

– UMR 8210 – Anthropologie et Histoire des Mondes Antiques (Anhima), Paris

– UMR 8546 – Archéologie d’Orient et d’Occident et Sciences des textes (Aoroc), Paris

– UMR 8584 – Laboratoire d’Études sur les Monothéismes (LEM), Villejuif

– UMR 8589 – Laboratoire de Médiévistique occidentale de Paris (LaMOP), Paris-Villejuif

– UPR 841 – Institut de recherche sur l’histoire des textes (IRHT), Paris-Orléans

– USR 3125 – Maison méditerranéenne des sciences de l’homme, Aix-en-Provence

– USR 3133 – Centre Jean Bérard, Naples

– USR 3134 – Centre d’études alexandrines (CÉAlex), Alexandrie

– USR 3135 – Institut français du Proche-Orient (IFPO)

– USR 3155 – Institut de recherche sur l’architecture antique (IRAA), Aix-en-Provence

– USR 3172 – Centre franco-égyptien d’étude des temples de Karnak (CFEETK)

– USR 3224 – Centre de recherche sur la conservation des collections (CRCC), Paris

– USR 3225 – Maison René Ginouvès, Archéologie et Ethnologie, Nanterre

– USR 3439 – Maison de l’Orient et de la Méditerranée – Jean Pouilloux (MOM), Lyon

– USR 3516 – Maison des Sciences de l’Homme de Dijon

– UPS 3551 – Archéovision, Pessac

– Liste des fédérations et groupements de recherche

– FR3383 – Fédération des sciences archéologiques de Bordeaux

– GDR 3177 – Diplomatique (2007-2015)

– GDR 3279 – Théâtre antique : textes, histoire et réception (2009-2017)

– GDR 3433 – Les Capétiens et leur royaume (937-1328) : dynamiques territoriales, administratives et documentaires (2011-2014)

– GDR 3434 – Mondes Britanniques (2011-2014 ; dépend de la section 33 depuis le printemps 2014

– Suppression d’unités depuis 2010

– ERL 7229 – Moyen Âge, Nancy, supprimée le 31 décembre 2013

– USR 710 – L’année épigraphique, Villejuif, intégrée le 1er janvier 2014 au sein de l’UMR Anhima

On compte également 39 unités ou groupements ayant un rattachement secondaire en 32 : 1 UPR, 19 UMR, 14 USR, 1 UMI, 1 UPS, 1 UMS et 2 FR. Parmi les UMR, 11 d’entre elles accueillent un ou plusieurs chercheurs de la 32.

Hormis les deux suppressions signalées ci-dessus, la liste des unités de la section 32 est stable depuis les regroupements qui ont conduit en 2006 et en 2010 à la création des UMR 8167, Orient et Méditerranée, et 8210, Anhima. Leur répartition géographique est relativement équilibrée : la moitié en province (55 %), un tiers en région parisienne (33 %) et 12 % à l’étranger.

Carte 1 – Effectifs cumulés par sites des UMR et UPR en rattachement principal à la section 32 (chercheurs 32 + IT CNRS). Bleu : Antiquité ; rouge : Moyen Âge ; violet : toutes périodes. Blanc : unités à rattachement principal en section 31, comprenant des chercheurs de la section 32.

On observera cependant que les unités parisiennes, étant en moyenne de plus grande taille que les autres, regroupent 58 % des chercheurs et 45 % des ingénieurs et techniciens CNRS.

Les effectifs sont très variables d’une unité à l’autre et d’un site à l’autre. Toutefois, la section souhaite attirer l’attention sur une évolution qu’elle juge préoccupante : la proportion de plus en plus élevée des non permanents (contractuels et post-doctorants) dans un certain nombre d’unités ; la seule UPR de la section, l’IRHT, est particulièrement concernée par cette tendance (près de 30 % de non-permanents dans l’unité) qui est liée aux nouvelles pratiques de la recherche financée sur projets.

B. Les structures de la recherche à l’étranger

Dans les domaines de la section 32, les structures de recherche à l’étranger sont composées de 5 écoles françaises à l’étranger (ÉFÉ) et de 13 Unités de Service et de Recherche (USR).

USR liées à la section 32 du CoNRS :

– USR 3129 (UMIFRE 1) – MFO – Maison française d’Oxford (Oxford [Royaume-Uni])

– USR 3131 (UMIFRE 8) – IFÉA – Institut français d’études anatoliennes G. Dumézil (Istanbul [Turquie])

– USR 3132 (UMIFRE 7) – CRFJ – Centre de recherche français de Jérusalem (Jérusalem [Israël])

– USR 3133 (CNRS/ÉfR) – Centre Jean Bérard (Naples [Italie])

– USR 3134 (CNRS/IFAO) – CÉAlex – Centre d’Études Alexandrines (Alexandrie [Égypte])

– USR 3135 (UMIFRE 6) – IFPO – Institut français du Proche-Orient ((Damas & Alep [Syrie]) ; Ammam [Jordanie] ; Beyrouth [Liban] ; Erbil [Iraq] ; Jérusalem-est [Territ. Palest.])

– USR 3137 (UMIFRE 23) – CFEE – Centre français d’études éthiopiennes (Addis-Abeba [Éthiopie])

– USR 3139 (UMIFRE 9) – IFRI – Institut français de recherche en Iran (Téhéran [Iran])

– USR 3140 (UMIFRE 10) – IFEAC – Institut français d’études sur l’Asie centrale (Bichkek [Kirghizistan] ; Douchanbé [Tadjikistan])

– USR 3141 (UMIFRE 5) – CEFAS – Centre français d’archéologie et de sciences sociales (Jedda [Arabie Saoudite] ; Sanaa [Yémen])

– USR 3172 (CNRS) – CFEETK – Centre franco-égyptien d’étude des temples de Karnak (Karnak [Égypte])

– USR 3336 (UMIFRE 4, 24 et 25) – Afrique au Sud du Sahara : SFDAS – Section française de la direction des antiquités du Soudan (Khartoum [Soudan) ; IFRA – Institut français de recherche en Afrique (Nairobi [Kenya] ; Ibadan [Nigéria]) ; IFAS – Institut français d’Afrique du Sud (Johannesburg [Afrique du Sud])

Écoles françaises à l’étranger :

– Casa de Velázquez (Madrid [Espagne])

– École française d’Athènes (ÉfA) (Athènes [Grèce])

– École française d’Extrême-Orient (ÉFEO) (Maison de l’Asie, Paris [France] + nombreuses antennes)

– École française de Rome (ÉfR) (Rome [Italie]

– Institut français d’archéologie orientale (IFAO) (Le Caire [Égypte]).

Les ÉFÉ ont le statut d’Établissement Public à caractère Scientifique, Culturel et Professionnel (EPSCP) ; elles relèvent du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et sont placées sous l’autorité de l’Institut de France. Les USR sont toutes rattachées au CNRS : dans un cas unique comme seule tutelle (CFEETK) ; deux USR sont conventionnées avec des ÉFÉ (CJB avec l’ÉfR ; CÉAlex avec l’IFAO) ; les autres ont toutes la double tutelle CNRS/ministère des Affaires étrangères et comprennent une ou plusieurs UMIFRE. Les 27 UMIFRE du MAE bénéficient d’un soutien fort de ce dernier (80 ETP et 14M € par an). Leur statut d’USR permet l’affectation de 146 chercheurs et IT expatriés en SHS.

Les USR et ÉFÉ constituent un outil de recherche unique par l’association avec les institutions de recherche locales, par la connaissance des pays d’accueil, par leur capacité à former localement de jeunes chercheurs et à accueillir étudiants et chercheurs sur leurs terrains d’étude.

Si toutes les tutelles s’accordent à reconnaître l’importance des structures françaises de recherche à l’étranger, le contexte financier n’en est pas moins difficile. Le financement des UMIFRE accordé par le MAE a globalement diminué de 10 % en 4 ans et le ministère n’envisage pas d’augmentation en 2014-2015. Face à ces difficultés financières, on peut regretter que la seule réponse apportée aux directeurs de ces instituts soit une incitation à la recherche de financements externes.

C. Les effets (dé)structurants des « initiatives d’excellence »

Liste des principaux Labex concernant la section 32

§ ARCHIMEDE – Archéologie et Histoire de la Méditerranée et de l’Égypte Ancienne, Université de Montpellier 3, Université de Perpignan.

§ DynamiTE – Dynamiques Territoriales et Spatiales, Hésam.

§ HASTEC – Histoire et Anthropologie des Savoirs, des Techniques et des Croyances, Hésam.

§ LaScArBx – L’usage du monde par les sociétés anciennes, Bordeaux.

§ PATRIMA – Patrimoines matériels : savoirs, patrimonialisation, transmission, Université de Saint-Quentin, Université de Cergy-Pontoise.

§ PP – Les passés dans le présent, MAE René Ginouvès, Université de Nanterre.

§ RESMED – Religions et sociétés dans le monde méditerranéen, Paris Sorbonne Universités.

§ TransferS – Transferts matériels et culturels, traduction, interfaces, ENS Paris.

Quatre ans après la première vague de création des Labex, il est difficile d’évaluer correctement les effets de ces « initiatives d’excellence » sur la structuration et le financement de la recherche. Sur les 171 Labex créés en 2011 et 2012, 40 (23 %) relèvent des SHS et parmi eux, 13 ont à voir, à des degrés divers, avec les thématiques de la section 32. Ces chiffres cachent cependant des cas extrêmement divers.

Dans certains Labex, nos domaines de recherche sont bien présents, mais de façon très minoritaire : IMU (Lyon, urbanisme) ou SMS (Toulouse, sociologie et histoire), par exemple. Viennent ensuite des Labex qui fédèrent et financent des projets issus des UMR présents sur un site, dans un spectre thématique large. C’est le cas de LabexMed (Aix-Marseille), dont sont partenaires 4 UMR et 1 USR de la section 32.

Cinq Labex ont des thématiques qui font une assez large part à l’Antiquité et au Moyen Âge : Patrima, Hastec, TransferS et, dans une moindre mesure, DynamiTE et PP, ce dernier étant davantage axé sur le patrimoine et l’historiographie. Enfin, les disciplines de la section 32 sont très présentes dans 3 Labex qui offrent la particularité d’avoir un périmètre institutionnel très resserré (1 à 3 UMR) : deux ont une forte dimension archéologique, LaScArBx et Archimède ; le troisième, Resmed, traite des religions. 13 UMR et UPR de la section 32 sont inscrites dans des Labex, sur un total de 22.

La répartition géographique des Labex est beaucoup plus déséquilibrée que celle des UMR : seuls 4 Labex intéressant la section sont implantés en dehors de l’Île-de-France. Surtout, le déséquilibre Paris/province est accentué par le fait qu’en Île-de-France, des liens multiples existent entre unités et Labex, une UMR pouvant être partenaires de deux, voire trois Labex, alors qu’en province tout se passe comme si les Labex se constituaient en bastions locaux autofinancés. La carte qui se dessine aujourd’hui suscite bien des interrogations sur la façon dont le développement des Labex peut être amené à modifier le maillage territorial des forces vives de la recherche.

Par ailleurs, toutes les thématiques de la section 32 ne sont pas couvertes par les Labex, loin de là : sont privilégiées l’histoire culturelle et l’histoire des religions (Resmed, Hastec…), ainsi que la dimension spatiale et territoriale (LaScArBx, DynamiTE…). De même, l’aire méditerranéenne est particulièrement bien couverte.

L’autonomie que permettent les financements octroyés par les Labex et les équipements d’excellence a deux effets contraires. D’une part, elle renforce des situations existantes en ajoutant des ressources dont les critères d’attribution ne sont pas toujours clairement définis et qui n’apportent aucune solution pour la pérennisation et la continuité de la recherche, et encore moins pour l’emploi scientifique. D’autre part, elle peut favoriser le développement de programmes novateurs et l’évolution de la discipline, en lui permettant de réagir vite et de s’adapter à des réalités sociales, économiques et culturelles changeantes. Il faudra attendre encore quelques années pour savoir quelle tendance va dominer ; ce qui est sûr, en revanche, c’est que les initiatives d’excellence contribuent fortement, avec l’ANR, à la précarisation de l’emploi scientifique.

D. La recherche sur projet

1. Les financements par l’Agence nationale de la recherche

 

L’ANR joue depuis 2005 un rôle déterminant dans le financement de la recherche publique. Le mode de sélection des projets et les effets de la politique scientifique de l’agence ont fait l’objet de jugements contrastés qui reposent principalement sur des données globales, en l’absence de bilans détaillés secteur par secteur. Nous avons tenté de combler cette lacune en ce qui concerne les disciplines de la section 32(2).

Sur la période 2005-2009, 126 projets rentrent dans le périmètre de la section 32. C’est 13 % des projets blancs SHS, 10 % des projets Jeunes chercheurs SHS, 19 % des projets Corpus et 15 % des projets franco-allemands. Les résultats ont beaucoup varié d’une année sur l’autre, avec un étiage à 9 projets (2011) et un record à 19 (2006).

Le gros des projets se répartissent de façon équilibrée entre l’Antiquité (38 %) et le Moyen Âge (35 %), à quoi s’ajoutent un groupe plus réduit de programmes protohistoriques (14 %) et un volant non négligeable de projets sur le temps long (13 %).

Prises dans leur acception disciplinaire la plus large, l’archéologie (54 %), l’histoire (35 %) et les sciences des textes (25 %) sont dominantes et souvent associées dans un même projet. L’archéométrie (8 %) et les études paléo-environnementales (12 %) sont bien représentées. En revanche, on notera la part très faible de l’histoire de l’art (5 %).

Quant à la répartition géographique des terrains d’étude, plusieurs tendances se dessinent :

– Le monde méditerranéen se taille la part du lion : il est concerné par 46 % des projets.

– L’Europe occidentale est également l’objet d’un grand nombre de projets (40 %). Les projets limités à la France sont peu nombreux (11 %), tandis que les régions du nord et de l’est de l’Europe ont une place très marginale.

– Le Proche et le Moyen Orient (17 %), ainsi que l’Asie Centrale (4 %), ont obtenu des financements qui restent importants quand on les rapporte à la taille des communautés scientifiques concernées. L’Afrique (hors Maghreb et Égypte) et l’Extrême Orient sont en revanche presque complètement à l’écart.

La carte des unités qui ont bénéficié des financements de l’ANR reflète, à quelques exceptions près, la répartition des centres de recherche sur le territoire français. Les UMR sont les principaux bénéficiaires de ces financements. La part des équipes d’accueil universitaires est beaucoup plus faible (13,5 % des projets financés). La proportion des projets hébergés par des unités parisiennes est élevée (39 %), comme on pouvait s’y attendre(3), mais pas écrasante, et plusieurs équipes implantées en province sur des sites de taille intermédiaire ont su tirer leur épingle du jeu.

Le financement varie de 37 k€ à 577 k€ par projet, avec une moyenne à 234 k€. On peut évaluer à plus de 29 M€ les sommes qui ont été distribuées sur une dizaine d’années dans nos domaines de recherche.

Nos estimations permettent d’avancer que les subventions versées aux unités de la section 32 pour le financement de projets ANR atteignent, en moyenne, 1,7 M€ par an. Cette somme est identique à la dotation CNRS annuelle de ces mêmes laboratoires(4). Le rapprochement de ces deux sommes, l’une destinée au financement d’une poignée de programmes, l’autre censée servir à la fois aux dépenses courantes, à l’équipement et aux programmes de recherches de plusieurs centaines de chercheurs et ingénieurs, parle de lui-même. Le paradoxe est qu’aujourd’hui la capacité à obtenir des financements ANR est devenue un des principaux critères d’évaluation des unités de recherche, alors que les projets ANR eux-mêmes, une fois terminés, ne sont pas évalués.

Dernier point, sur lequel il ne nous a pas été possible de réunir des données exploitables : l’impact des programmes ANR sur l’emploi précaire (CDD et vacations) des doctorants et des postdoctorants.

2. Les financements par l’ERC (European Research Council Grants)

Sur 84 projets en SHS financés en France depuis 2007 – dont 17 classés SH6 (« L’étude du passé humain ») –, 11 relèvent de la section 32, pour un montant total de plus de 15 M €. Tous ces programmes sauf deux ont leur base à Paris(5).

Ces résultats présentent à la communauté de la section 32 un miroir quelque peu déformé : sur 11 projets, 4 portent sur le Moyen Âge occidental, 2 sur l’Islam, 2 sur les contacts entre religions, 2 sur l’Orient ancien et 1 sur l’archéologie romaine. Il faudrait connaître la liste complète des projets soumis pour savoir si ces résultats sont dus à des préférences thématiques propres au système d’évaluation européen, ou si l’absence d’autres domaines de recherche ne s’explique pas tout simplement par une absence de candidatures.

Comme dans le cas des projets financés par l’ANR, mais avec des effets encore plus marqués compte tenu des sommes mises en jeu, les programmes ERC augmentent les charges de gestion des laboratoires qui, dans le même temps, voient leurs crédits récurrents s’amenuiser. Les 15 millions d’euros du financement de ces 11 programmes équivalent à dix ans de dotation CNRS pour l’ensemble des 22 UMR et UPR de la section 32(6). Cette comparaison doit être immédiatement nuancée, dans la mesure où la dotation annuelle des laboratoires ne comprend pas la masse salariale, alors que les emplois représentent une part très importante des budgets des programmes ERC. Mais elle a du moins le mérite d’attirer l’attention sur le fait que le financement de la recherche par l’ERC contribue fortement à la multiplication des postes de chercheurs en CDD et à la montée de la précarité dans les métiers de la recherche.

3. Le financement de l’archéologie par le MAE

La majorité des missions de fouilles et de prospections archéologiques à l’étranger est portée par des chercheurs et IT statutaires issus de l’université et du CNRS (sections 31, 32 et 33). Leur financement dépend tout ou partie d’une allocation attribuée pour quatre ans par le MAE sur les avis de la Commission consultative des recherches archéologiques à l’étranger.

En 2014, le MAE soutient 148 missions dans 63 pays étrangers, pour une subvention globale de 2,4 M€ (moyenne : 16 200 € par projet), stable depuis 2008. Les programmes couvrent la majorité des aires culturelles mondiales, le plus souvent dans le cadre de partenariats avec les institutions de recherche des pays hôtes, et bénéficient de l’appui logistique, parfois financier, des UMIFRE, des ÉFÉ ou des services de coopération et d’action culturelle des ambassades. Les aires non couvertes sont l’Europe du Nord, l’Amérique du Nord et l’Océanie (hors Polynésie).

Ces cinq dernières années, l’inaccessibilité de plusieurs terrains au Proche Orient a entraîné le repositionnement ou le redéploiement de plusieurs programmes. Parallèlement, le MAE a lancé des appels d’offre afin de redynamiser les fouilles archéologiques dans des régions touchées par les départs à la retraite de plusieurs chefs de missions.

Plutôt que de privilégier un nombre restreint de projets dotés d’une allocation conséquente, le MAE fait le choix d’un nombre élevé de projets au financement limité. Ce choix ne permet de faire face à l’augmentation du coût des missions de terrain engendrée par la technicité croissante des moyens d’acquisition des données que par l’obtention de cofinancements. Encouragés par le MAE, ces derniers représentaient en 2012 45 % du budget total de l’archéologie extra-métropolitaine (hors salaires). Les responsables d’opérations consacrent une part importante de leur temps à cette quête de financements annexes. Moins pérennes que ceux du MAE, ils permettent rarement la programmation de travaux au-delà de l’année en cours.

Autre corollaire du grand nombre de missions, le départ en retraite d’un nombre important de responsables d’opérations et le faible renouvellement générationnel – lié à la faiblesse des recrutements sur postes permanents, non à l’absence de compétences – est une menace pour la pérennité d’un nombre important d’opérations existantes. Ainsi, entre 2004 et 2013, 8 archéologues spécialistes du Proche-Orient et de la Mésopotamie ont pris leur retraite au CNRS mais un seul a été recruté. Cette difficulté a conduit le MAE à confier des missions à de jeunes chercheurs non statutaires qui ne peuvent être rémunérés par l’allocation du MAE. La viabilité de ces missions est donc extrêmement fragile.

D’un point de vue prospectif, faute de recrutements de chercheurs statutaires permettant le maintien d’une présence forte de l’archéologie française à l’étranger, certains terrains seront nécessairement abandonnés. Un tel choix permettrait sans doute de concentrer les moyens au bénéfice d’un plus petit nombre de missions, mais il conduirait à abandonner l’étude de domaines sur lesquels la recherche française est bien positionnée et où une génération de post-doctorants de grande valeur a été formée et est en mesure d’assurer la relève.

 

(2) Détails de la méthode et des résultats dans la version longue de ce rapport.

(3) Rappelons que 58 % des chercheurs de la section 32 travaillent en Île-de-France.

(4) Chiffres 2012 pour les UMR et UPR, auxquels on a ajouté les dotations des USR de Naples, d’Alexandrie et de Karnak.

(5) On trouvera la liste de ces programmes dans la version longue de ce rapport.

(6) Quantité extrapolée à partir de la somme des dotations annuelles pour 2012, soit 1509,5 k€ (source : INSHS, Allocation des moyens 2012, avril 2012).

II. Les personnels de la recherche

A. Les chercheurs de la 32

1. Une évolution démographique inquiétante

En avril 2014, la section 32 compte 231 chercheurs actifs (140 chargés de recherche ; 91 directeurs de recherche), soit 18 chercheurs de moins qu’en 2009 (– 7 %), 54 de moins qu’en 2002 (–19 %). La diminution du nombre de chercheurs en activité est linéaire et continue depuis 12 ans. La section 32 est, après la 36, celle qui, à l’INSHS, a perdu le plus de chercheurs depuis dix ans.

Figure 3 : Nombre de personnels (chercheurs, ITA/IATOS, CDD) dans les laboratoires relevant principalement de la section 19.

 

 

La section 32 est une section âgée. La médiane est de 51 ans alors que le milieu d’une carrière peut être situé vers 46/47 ans. La tendance est à l’amélioration : la médiane était de 54 ans en 2006. Cette amélioration est conjoncturelle et tient à la fois au départ en retraite d’un nombre élevé de chercheurs issus de la génération du baby-boom (89 départs à la retraite entre 2007 et avril 2014), et à une augmentation des recrutements au niveau CR2 depuis 2010. Cette augmentation est toutefois très loin de compenser les départs à la retraite.

Durant les quatre dernières années (2010-2013), 56 chercheurs CNRS évalués par la section 32 ont quitté l’organisme. 48 ont pris leur retraite (86 %), 8 ont changé d’organisme. Un nombre important de départs en retraite est à prévoir durant les cinq prochaines années puisque les chercheurs de 60 ans et plus représentent 26 % des effectifs (60 chercheurs). Pour les seules années 2014-2015, 26 chercheurs devraient mécaniquement partir en retraite.

2. Des recrutements en augmentation, mais très insuffisants

Face à cette vague de départ, le nombre de recrutements aux concours CR a d’abord diminué (14 entre 2007 et 2009) avant de connaître une augmentation (31 postes entre 2010 et 2013). La différence entre départs de l’organisme et recrutements reste malgré tout très élevée. 17 départs en retraite n’ont pas été remplacés au cours des quatre années écoulées. 60 départs sont à venir dans les 5 prochaines années. Il faudrait 15 recrutements annuels pendant 5 ans pour éviter que se poursuive l’érosion du nombre des chercheurs de la section. Il est donc à craindre que le prochain rapport de conjoncture ne fasse le même constat.

3. Recrutements et affectation des chercheurs

Douze des 22 UMR et UPR ayant pour tutelle principale la section 32 ont obtenu au moins un recrutement au cours des 4 années écoulées, ainsi que 3 des 19 UMR et UPR ayant pour tutelle secondaire la section 32. Parmi les premières, c’est dans les unités comptant déjà le plus grand nombre de chercheurs CNRS que les affectations ont été les plus nombreuses.

4. Un rapport hommes-femmes équilibré, mais des disparités selon les grades

Si le rapport hommes-femmes est relativement équilibré (52,4 % d’hommes ; 47,6 % de femmes), deux tendances sont à souligner :

– des disparités par grade : les femmes représentent 51,5 % des CR mais 41,8 % des DR seulement. L’unique DRCE actif de la section est un homme ;

– l’accession plus tardive des femmes aux grades de DR1-DR2. En effet, 10 hommes ont accédé au grade de DR avant l’âge de 51 ans, pour seulement 3 femmes. La moyenne d’âge des DR hommes est de 57,8 ans, celle des femmes de 59,3.

B. Personnels de la recherche par grands champs disciplinaires

Au-delà des personnels CNRS, la section s’est également intéressée aux enseignants-chercheurs et aux grands équilibres entre chercheurs et enseignants-chercheurs par champs disciplinaires.

La répartition des enseignants-chercheurs (EC) dans les équipes de recherche montre, pour les antiquisants et les médiévistes, une forte disparité entre quelques grosses UMR spécialisées et un émiettement dans des EA dont le périmètre est souvent très généraliste.

62,4 % des EC antiquisants rattachés à la section 21 du CNU sont répartis dans 21 UMR et 1 USR (IRAA), et 48,3 % dans 9 UMR comptant au moins 10 EC antiquisants. Le reste des EC antiquisants (120) se répartit entre 26 EA, dont 12 comptent au moins 5 EC antiquisants, 4 EA n’en comptant qu’un seul. Pour les littéraires et les philologues (section 8 du CNU), sur 226 EC, la proportion est plus équilibrée : 44 % sont rattachés à des UMR et 56 % à des EA.

63 % des EC médiévistes sont rattachés à 38 UMR, et 45 % dans seulement 11 UMR comptant au moins 10 EC médiévistes. Le reste des EC médiévistes (164) se répartit entre 48 EA, dont plus de la moitié dans 13 EA comptant au moins 5 EC Médiévistes, 22 EA n’en comptant qu’un seul.

Ce déséquilibre se traduit dans le vivier des doctorants, tel qu’il apparaît à partir de la base (incomplète et imparfaite il est vrai) theses.fr. Sur 767 thèses inscrites depuis 2010 en histoire et archéologie (Antiquité et Moyen Âge), 591 soit 77 % le sont dans 11 établissements seulement sur 40 (Universités, EHESS et EPHE), et 380 (49,5 %) dans les établissements parisiens.

1. L’Orient ancien et l’Afrique subsaharienne

On compte dans ces domaines 102 chercheurs et enseignants-chercheurs répartis à parts égales entre CNRS (52 %) et établissements d’enseignement supérieurs (48 %) (universités, EPHE, instituts catholiques universitaires(7)).

Les recrutements se font de plus en plus tardivement : seuls 14 % des CR/MCF ont moins de 40 ans, un seul a moins de 35 ans. Si la pyramide des âges des universitaires est équilibrée, celle des chercheurs CNRS est fortement déséquilibrée : 15 des 53 chercheurs CNRS ont plus de 60 ans (28 %).

Il faut par ailleurs souligner le déclin de l’archéologie syro-mésopotamienne au CNRS (2004-2013 : 11 départs, 1 recrutement ; 3 départs à venir en 2014-2015). Cette vague de départs à la retraite continuera d’affaiblir un domaine jusqu’ici bien représenté au CNRS.

2. Égypte pharaonique et copte

On compte 34 égyptologues et coptisants au CNRS (44 %) et dans les établissements d’enseignement supérieur (56 %). Cet effectif se partage entre 62 % d’hommes et 38 % de femmes.

Les jeunes chercheurs et enseignants-chercheurs sont en faible proportion : seuls 15 % des effectifs ont moins de 40 ans. Alors que les postes d’EC des établissements d’enseignement supérieur ont été renouvelés de manière stable, les départs à la retraite des chercheurs CNRS n’ont pas été entièrement compensés. De plus, trois départs supplémentaires de DR sont prévus dans les trois ans à venir.

3. Langues et littératures anciennes (section 8 du CNU)

Dans les domaines couverts par la section 8 du CNU, ces quatre dernières années ont vu une très forte diminution du nombre de postes de MCF ouverts au concours dans les universités : les chercheurs et EC de moins de 40 ans représentent seulement 18 % des titulaires actuellement en activité et la grande majorité d’entre eux a été recrutée avant 2010.

Les recrutements récents se sont en outre concentrés dans un petit nombre d’unités. Les déséquilibres démographiques se sont ainsi creusés entre l’Île-de-France et les autres régions, entre certains laboratoires à la démographie favorable et d’autres unités où de nombreux départs à la retraite sont proches. De fait, la plupart des départs à la retraite qui auront lieu dans les quatre années à venir interviendront dans des EA, alors que ce sont les unités où l’on compte le moins de nouveaux entrants. Le maillage national de la recherche et de l’enseignement en philologie classique (et particulièrement en grec) risque ainsi d’être fortement mis à mal.

Le CNRS joue aujourd’hui un rôle essentiel dans le recrutement des jeunes chercheurs de ce domaine, puisqu’il a maintenu une dynamique de recrutement constante alors que les possibilités de recrutement à l’université s’amenuisent. Alors que l’accent est mis, dans les thèmes de recherches de plusieurs UMR et EA, sur la littérature scientifique et médicale ou sur la patristique, les recrutements récents de CR ont porté sur des profils peu représentés dans le paysage universitaire actuel.

4. Antiquité gréco-romaine (section 21 du CNU)

Chez les EC antiquisants de la 21e section, une parité d’ensemble (54 % d’hommes) masque des disparités par corps : 66 % des PR sont des hommes, contre 45 % des MCF.

En ce qui concerne les âges des EC, on observe une entrée relativement tardive dans la carrière des maîtres de conférences : d’après les données disponibles, aucun MCF n’aurait moins de 30 ans et les moins de 40 ans ne représentent qu’un petit quart du corps des MCF (24,8 %). La majorité des MCF se situe entre 40 et 49 ans (56,8 %). La majorité des PR se situent entre 50 et 59 ans (51,6 %). Les PR de moins de 50 ans représentent moins du quart du corps (24,7 %) tandis que les PR de plus de 60 ans constituent 24,5 % de la catégorie.

Pour ce qui concerne les domaines d’enseignement, si l’on considère le champ large de l’Antiquité gréco-latine, l’histoire domine largement, puisque 70 % des EC se consacrent à l’histoire grecque et romaine. Il faut noter le très net recul de l’enseignement de l’histoire de l’art : les postes définis comme tels représentent moins de 5 % du champ pédagogique.

5. Moyen Âge (histoire, archéologie, histoire de l’art, littérature)

On compte dans ce domaine 544 chercheurs et enseignants-chercheurs, dans un rapport très déséquilibré au profit des EC : 80 chercheurs du CNRS, soit 14,7 % du total et 464 enseignants-chercheurs des établissements d’enseignement supérieur (universités, EPHE, instituts catholiques universitaires), soit 85,3 % du total. Parmi les EC, 268 sont en poste dans une UMR, soit 57,8 % et 177 dans une équipe d’accueil, soit 38,1 %(8).

La pyramide des âges des EC est plus équilibrée que celle des chercheurs : alors que 35 % des chercheurs ont 60 ans ou plus, ce n’est le cas que pour 12 % des EC. Comme ailleurs, les recrutements sont tardifs, au CNRS comme dans les universités : la proportion de personnes de moins de 40 ans est la même pour les chercheurs et pour les EC : un peu moins de 11 %.

Quant aux différences de carrière entre hommes et femmes, on constate un déséquilibre important au CNRS et plus encore à l’université : les femmes représentent 36 % des DR et moins de 29 % des PR.

C. Les ingénieurs et techniciens de la section 32

Le nombre d’IT dans les unités ayant pour rattachement principal la section 32 s’élève à 341 (333 ETPT) au 31 août 2014 (source Labintel)(9). On observe entre 2009 et 2014 la perte de 17 postes, soit une baisse de 5 % des effectifs, qui s’ajoute à la baisse de 10 % enregistrée entre 2005 et 2009 (soit à l’époque une perte de 36 postes). Ces données confirment l’érosion constante des effectifs IT de la section.

Les personnels de la section 32 comprennent une nette majorité de femmes (210 femmes – soit 62 % – pour 131 hommes – soit 38 %). Les répartitions H/F font apparaître des BAP plus féminisées que d’autres : la BAP J, avec 84 % de femmes ; la BAP F (74 % de femmes) et la BAP D (52 % de femmes).

Les personnels sont répartis principalement dans la BAP D (Sciences Humaines et Sociales) : 37 % ; la BAP F (Documentation, Culture, Communication, Édition, TICE) : 33 % ; puis la BAP J (Gestion et pilotage) : 17 %. Par ailleurs, on compte 26 agents en BAP E (Informatique, statistique et calcul scientifique) : 8 % ; 12 en BAP B (Sciences chimiques et sciences des matériaux) : 3 % ; 3 agents en BAP C (Sciences de l’ingénierie et de l’instrumentation scientifique) et 3 en BAP G (Patrimoine, logistique, prévention et restauration). Les répartitions par BAP sont donc stables depuis une dizaine d’années.

L’âge moyen des IT de la section 32 est de 47,9 ans. La médiane se situe à 48 ans : 15 % des agents ont plus de 60 ans et 27 % ont entre 50 et 59 ans.

Le nombre d’IR reste stable par rapport à 2009 ; le nombre d’IE baisse de manière significative (-12 %), alors que celui des AI augmente sensiblement pendant la même période. On est donc en droit de se demander si, pour des fonctions identiques, des postes d’AI n’ont pas été substitués à des postes d’IE.

147 IT sont affectés dans une unité de recherche en région parisienne, soit 45 % des effectifs.

D. Les personnels de l’archéologie

Depuis une quinzaine d’années, un nombre croissant de laboratoires du CNRS accueillent en qualité de membres permanents des agents des services régionaux de l’archéologie et de l’INRAP (Institut national de recherches archéologiques préventives), grâce à des conventions de cotutelle ou de collaboration signées avec le ministère de la Culture et de la Communication (MCC) pour les premiers, et avec l’établissement public INRAP pour les seconds. Treize UMR ont ainsi le MCC pour tutelle, dont six relèvent à titre principal de la section 32. 107 agents des services régionaux d’archéologie sont membres de ces laboratoires qui ont reçu en 2014 une subvention de 177 000 € du MCC pour la valorisation des projets communs. L’INRAP compte pour sa part 103 agents dans 24 laboratoires partenaires (dont 8 relèvent à titre principal de la section 32) et apporte une aide en partenariat de 80 000 € affectés aux équipes selon les mêmes critères d’attribution que le MCC.

En comptant les agents de la Culture ou de l’INRAP qui sont associés à des unités non conventionnées, il est possible d’évaluer à près de 310 le nombre d’archéologues appartenant au le MCC et à l’INRAP qui participent à l’activité scientifique des laboratoires liés à la section 32.

(7) Dans ce cas précis, seuls ont été pris en considération les MCF et PR rattachés à une UMR.

(8) 19 EC ne sont comptabilisables dans aucune de ces catégories.

(9) Les données analysées sont celles des IT rattachés à titre principal à la section 32. La présence d’IT de la 32 dans des labos rattachés à titre principal à la section 31 induit une incertitude pouvant porter au maximum sur 16 IT.

III. Champs et tendances de la recherche

A. La recherche à l’heure du numérique

La montée en puissance du numérique dans la recherche a induit des transformations majeures qui dépassent le simple cadre technologique pour constituer des enjeux épistémologiques. L’appellation « humanités numériques » (digital humanities), désormais omniprésente, recouvre un ensemble de pratiques dans lesquelles l’usage du numérique fait partie intégrante des problématiques posées, voire les conditionne ou les rend possible. Les recherches sur les mondes antiques et médiévaux ont été concernées par ces développements, qui ont permis trois grands types d’avancées :

– la création d’une grande quantité de données nouvelles (collecte d’archives numérisées, cartographie, production de données quantitatives, etc.) ;

– l’exploitation de celles-ci, par des analyses automatisées de corpus très importants, leur indexation, l’identification d’emprunts, etc. ; le text & data mining est devenu un des nouveaux modèles de la recherche, qui n’est en définitive pour les sciences de l’érudition qu’un prolongement de leur méthode et de leur ambition d’exhaustivité ;

– le partage et la diffusion des connaissances, par le biais d’internet, qui permet à la fois un travail collaboratif « sans frontières » et offre un débouché aux productions scientifiques à différents niveaux, de l’édition scientifique à la diffusion « sociétale » et à la valorisation.

Le « tournant numérique » est par exemple très visible dans le domaine de la philologie qui a vu l’essor de différents projets de corpus et un intérêt renouvelé pour les commentaires anciens et médiévaux qui se prêtent particulièrement à ces nouvelles formes d’édition. Si le numérique facilite, depuis trois décennies, les travaux lexicographiques et les recherches sur les processus de citation et les phénomènes d’intertextualité, et, plus récemment, l’accès de la communauté scientifique aux documents manuscrits, certaines équipes cherchent désormais à développer des techniques de paléographie numérique reposant sur la similarité de l’image des mots. Ces méthodes d’accès au contenu textuel constituent une alternative aux méthodes de reconnaissance optiques (OCR), inefficaces sur les écritures anciennes. Du côté de l’édition de textes, certains chercheurs commencent à tester et à développer des méthodes bio-informatiques (précédemment utilisées en génétique) pour établir les liens de parenté entre différents textes descendant d’un même modèle : des algorithmes peuvent ainsi aider le philologue dans la construction d’un stemma et être appliquées à l’ecdotique.

Le rôle de plus en plus prégnant du numérique dans la recherche entraîne nécessairement des mutations dans les manières d’envisager ses terrains et ses modalités. La constitution de corpus très larges accessibles par internet implique désormais une approche internationale des domaines de recherche : il n’est plus stratégique d’élaborer en France des corpus existant déjà ailleurs ou pouvant intégrer un ensemble documentaire plus large. De ce point de vue, les nouveaux processus de diffusion peuvent impliquer un « partage des territoires » autant qu’un « partage des travaux ». La logique de consortium et l’élaboration de stratégies de recherche à l’échelle internationale paraissent dès lors devoir s’imposer. L’interopérabilité des données implique aussi la prise en compte des standards internationaux. Dans certains cas, ces standards restent à créer et constituent un enjeu majeur de l’interopérabilité des bases de données de recherche.

Le CNRS a joué un rôle de premier plan dans l’émergence des humanités numériques en développant notamment de très grandes cyber-infrastructures (TGE-Adonis qui, suite à sa fusion avec le TGIR Corpus, est devenu le TGIR-Huma-Num, de même que Progedo pour la gestion des données quantitatives), ainsi que des moteurs de recherches spécialisés (Isidore) et un pôle d’édition électronique en accès libre (CLEO). Ces infrastructures offrent un cadre cohérent et pérenne aux projets de recherches dans le domaine des humanités numériques, même si la part des TGIR en SHS, en particulier, est très réduite par rapport à l’ensemble des TGIR (0,8 % du budget total en 2013) et que leur place reste fragile. Le CNRS a également accompagné la création de la Bibliothèque Scientifique Numérique, visant à faciliter l’accès aux ressources documentaires pour l’enseignement et la recherche.

Pour ce qui est de l’archéologie, le consortium « Mémoires des archéologues et des sites archéologiques » (MASA), piloté par l’USR MAE René Ginouvès, vise à favoriser l’accessibilité des données de la recherche en archéologie. Dans le domaine de l’archéométrie, la volonté de la communauté de structurer les efforts s’est traduite par la création et le développement d’actions spécifiques, notamment au sein du réseau CAIRN Archéométrie de la mission à l’interdisciplinarité, mais elle doit être renforcée et soutenue, notamment par le CNRS, dans un futur proche.

Par ailleurs, la publication par le CNRS fin 2013 d’un document définissant une stratégie pour l’Information Scientifique et Technique marque une volonté d’accentuer les efforts engagés pour insérer la recherche dans l’ère numérique à travers différentes actions nationales auxquelles les chercheurs peuvent contribuer par l’intermédiaire de la plate-forme CorIST.

Ces initiatives nationales et transversales montrent une prise de conscience réelle de l’importance du « tournant numérique » qui se reflète également dans la multiplication des journées d’études, tables rondes, écoles thématiques et sessions de formations. La situation est beaucoup plus contrastée du point de vue des producteurs de données dans les domaines couverts par la section 32. La réussite d’un projet numérique passe par la conjonction de trois domaines de compétences, celui du chercheur, celui de l’ingénieur en « information scientifique et technique » et celui de l’informaticien. Or, ces conditions n’ont pu être réunies que dans des unités bien dotées (en premier lieu, l’IRHT), ou associées à des structures de service (MSH), à moins que le porteur de projet n’ait bénéficié de moyens financiers spécifiques pour recruter le personnel compétent.

De fait, le financement sur projet a joué un rôle important dans le développement de programmes de recherches fondés sur le numérique : l’ANR a financé des projets de ce type, notamment sur les appels à projets « Corpus ». Les humanités numériques ont également profité des financements Labex ou Equipex. Les financements européens ont aussi bénéficié à des projets numériques, comme le programme ArkeoGIS visant à la mise en commun des données scientifiques disponibles en archéologie sur la vallée du Rhin.

Ces financements ponctuels ne peuvent néanmoins à eux seuls répondre à tous les besoins et à toutes les exigences, d’autant que les dimensions de la pérennité et de l’interopérabilité des données n’y ont pas forcément été envisagées. Un écart important s’est creusé de facto entre les grosses structures ou pôles dit « d’excellence » et des centres de recherche ne bénéficiant pas des moyens humains et financiers pour mettre en place une politique de recherche fondée sur le numérique. Les dotations récurrentes des unités et des USR portant les MSH sont en elles-mêmes trop faibles pour assurer la construction efficace de ces politiques scientifiques. De manière paradoxale, les données numériques produites récemment sont celles qui courent le plus grand risque, alors que les archives physiques, même délaissées, sont au moins disponibles à une future réutilisation. Une politique de préservation des données produites dans les dernières décennies s’avère cruciale, qui prendrait en compte les archives des chercheurs individuels aussi bien que celles produites collectivement. Par ailleurs, au moment où un moteur de recherche performant, Isidore, a été conçu par le CNRS pour moissonner les données de la recherche dans le domaine des sciences humaines et sociales, il est patent que les résultats produits par ce moteur sont actuellement faibles. La production et la préparation des données par chaque unité de recherche de sorte qu’elles soient réutilisables et interopérables – condition de l’open access – impliquent la formation des chercheurs, l’accompagnement de ceux-ci par des ingénieurs IST ainsi qu’un équipement adéquat et pérenne. La politique de l’Open Research Data implique désormais d’exposer la structuration des données et de penser à deux niveaux : la qualité du produit scientifique et la qualité de l’encodage des données. Même si le TGIR-Huma-Num a mis récemment en place l’outil NAKALA, destiné à fournir aux chercheurs l’infrastructure numérique permettant un accès persistant et interopérable à leurs données, la situation est peu favorable dans les unités, faute d’avoir investi en moyens humains et financiers dans celles-ci pour la production et l’élaboration des données sous un format diffusable.

Des recrutements d’ITA à la fois compétents en analyse de sources anciennes et formés aux humanités numériques, qui permettront aux unités de produire et de structurer des données numériques réutilisables et interopérables, s’avèrent indispensables. S’agissant des chercheurs, l’absence de réelle valorisation des activités de production et de pérennisation des données numériques dans l’évaluation de leur production scientifique peut être un frein à leur participation pleine et entière aux démarches de diffusions des données de la recherche au-delà de la publication de leurs travaux.

Enfin, concernant cette dernière, les chercheurs et enseignants-chercheurs sont de plus en plus confrontés aux débats grandissants sur la question de l’open access, qui remet en question les modèles de publication auxquels ils étaient habitués, et ce d’autant plus que la publication en open access est désormais obligatoire pour la plupart des projets financés (ANR, ERC).

B. Évolutions, recompositions

La section 32 est celle qui couvre le plus large domaine chronologique, de l’apparition de l’écriture au quatrième millénaire av. J.-C. à la fin du Moyen Âge. Les remarques présentées ici ne prétendent donc à aucune exhaustivité ; elles reflètent la sensibilité des membres de la section aux évolutions en cours dans les principaux champs de recherches.

Il faut tout d’abord souligner que le sous-continent indien, l’Asie du sud-est ou l’extrême Orient sont demeurés absents des horizons de la section 32, bien que cette dernière, en accord avec la section 33, soit désormais ouverte à ces espaces de recherche pour les époques anciennes et prémodernes. L’Afrique sub-saharienne, quant à elle, est encore trop peu représentée dans la section.

1. Orient Ancien

L’Orient ancien est un champ immense par son extension géographique et chronologique ; il est représenté à parts grosso modo égales entre l’université et le CNRS. Ce dernier y affirme sa spécificité par un fort investissement dans certaines aires culturelles (Arabie, Asie centrale, Anatolie…) et dans l’accent mis sur les études paléo-environnementales, alors que l’université cultive des domaines de recherche plus classiques en histoire et archéologie du Proche-Orient ancien, hellénistique et romain.

Certains domaines méritent un soutien particulier en raison du trop faible nombre des chercheurs ou de départs en retraite imminents : archéologie de l’Asie centrale, Mésopotamie, Iran achéménide, parthe et sassanide. L’instabilité politique actuelle de ces régions et la difficulté à travailler dans plusieurs pays (Turquie, Iran, Palestine), voire la fermeture de régions entières (Irak du Sud, Syrie) accroissent l’incertitude qui pèse sur ce domaine de recherches, même si des terrains jusqu’ici délaissés ou inaccessibles émergent actuellement comme de nouveaux champs prometteurs : Kurdistan irakien, Arabie Saoudite, républiques d’Asie centrale…

Du point de vue des problématiques, la tendance majeure est l’élargissement des frontières géographiques et chronologiques, permettant une compréhension de plus en plus globale des événements et des phénomènes – politiques, économiques, culturels – au-delà de la question des formations impériales.

À l’étude des frontières indo-iraniennes et de la civilisation de l’Indus s’ajoutent désormais des programmes concernant la basse vallée de l’Indus-Balouchistan, au Pakistan, ainsi que d’autres régions d’Asie centrale : l’Ouzbékistan, le Turkménistan, le Tadjikistan, le Kirghizstan et le Nord de l’Afghanistan. L’ensemble de ces régions et les cultures qui y sont identifiées sont progressivement reconnues comme appartenant à des systèmes en contact entre eux et en relation avec les sociétés syro-mésopotamiennes, depuis le Chalcolithique jusqu’à l’âge des empires.

2. Égyptologie

L’égyptologie et les études nubiennes restent des domaines extrêmement actifs et visibles de la recherche française, s’appuyant principalement sur 5 UMR, l’EPHE, le Collège de France et le Musée du Louvre, mais aussi, en Égypte, sur une ÉFÉ (l’IFAO) et deux USR (le CFEETK à Karnak et le CÉAlex à Alexandrie) et, au Soudan, sur la SFDAS basée à Khartoum.

Parmi les évolutions récentes se signale un développement constant des études sur l’Égypte tardive (Ier millénaire av. J.-C. et époque romaine), autant sur le plan archéologique qu’épigraphique et papyrologique. S’agissant des effectifs permanents, ils sont restés relativement stables à l’université mais ont baissé de manière sensible au CNRS. Dans les chantiers « traditionnels » menés par les chercheurs français (notamment Saqqâra, Karnak, le Ramesseum, Tanis, les sites soudanais), les travaux s’avèrent toujours aussi productifs et les problématiques ont été renouvelées par des approches et techniques nouvelles mais les équipes sont souvent confrontées à des difficultés pour stabiliser leur personnel de recherche, ce qui est dû davantage à une pénurie de postes qu’à un réel manque de vivier. L’un des enjeux pour l’avenir est aussi la préservation et la gestion cohérente des données et des archives issues de ces recherches, autant sur support physique que numérique, pour pérenniser et rendre accessible l’immense patrimoine scientifique de l’égyptologie française.

3. Antiquité gréco-romaine

Si la Méditerranée demeure un des champs privilégiés de la recherche française (elle est le domaine propre d’environ 30 % des chercheurs de la section), force est de constater que son bassin occidental est aujourd’hui en voie de délaissement. De nombreux départs à la retraite récents ou à venir sont – là encore – en cause.

Pour l’histoire grecque, bien représentée dans la section, les sources épigraphiques constituent encore et toujours la principale source du renouvellement de nos connaissances. L’histoire économique et sociale, ainsi que les questions de géographie historique, demeurent particulièrement dynamiques ; les études concernant l’économie, la fiscalité et l’exploitation des ressources agricoles, par exemple, sont toujours plus nombreuses du côté du monde gréco-romain ptolémaïque. Les travaux sur la Grèce romaine connaissent également un fort dynamisme. On assiste par ailleurs à un net retour de thématiques d’histoire politique très classiques, mais désormais fondées sur l’étude croisée des sources archéologiques et textuelles.

En revanche, la section s’inquiète du devenir des recherches en histoire de l’art antique, plus particulièrement en iconographie et iconologie, qui seront bientôt affectées par le départ à la retraite de plusieurs chercheurs ayant joué un rôle pionnier et structurant, à la croisée de l’histoire de l’art et de l’archéologie. D’autres profils mixtes, mêlant philologie et histoire de l’art, sont devenus très rares au CNRS et à l’université.

Dans le domaine de l’architecture antique, la montée en puissance des outils informatiques a entraîné un foisonnement des restitutions en images 3D. Ces réalisations qui ne sont pas toujours solidement étayées par une analyse architecturale et stylistique, soulignent la nécessité de se doter d’équipes pluridisciplinaires pour étudier et analyser les parures monumentales des villes grecques et romaines. Or, l’affaiblissement du recrutement d’archéologues ou d’historiens de l’art rompus à l’analyse des décors, des styles architecturaux, ou d’architectes spécialistes de la construction, à un moment où les découvertes n’ont jamais été aussi nombreuses, fragilise la discipline. À ce titre, la situation de l’Institut de Recherches sur l’Architecture Antique est très préoccupante, puisqu’à l’absence de recrutement ces dernières années vont s’ajouter de nombreux départs à la retraite.

Un autre motif d’inquiétude dans le domaine des Antiquités est le dépérissement de la papyrologie littéraire et des études de littérature grecque, qui attirent de moins en moins d’étudiants à l’université. Le CNRS pourrait jouer un rôle clé dans la pérennité et le renouvellement des études grecques à l’heure où elles se trouvent menacées dans les cursus universitaires.

Du côté des langues rares, on note l’absence prolongée de disciplines importantes comme l’Araméen ancien ou l’Arménien.

4. Monde byzantin

Les recherches dans le monde byzantin en France se sont renouvelées de manière assez satisfaisante ces cinq dernières années. Les recherches sur les derniers siècles de l’histoire de Byzance, sur l’Italie byzantine et les relations entre Byzance et l’Occident, en papyrologie grecque tardo-antique et en archéologie des Balkans, sont particulièrement dynamiques. Des problèmes demeurent néanmoins : à l’UMR 8167, la poursuite des éditions des actes de l’Athos est mise en difficulté par l’absence d’un ingénieur ; l’équipe des byzantinistes de Strasbourg est menacée à court terme faute d’un nombre suffisant de chercheurs. Enfin, on peut craindre que les recherches en philologie byzantine ne pâtissent fortement du tarissement du recrutement des spécialistes à l’université, étant donné la réduction des effectifs des départements de grec.

5. Islam

Dans le domaine des études islamiques, on observe plusieurs phénomènes qui indiquent à la fois un dynamisme marqué par un fort renouvellement, et des domaines qui pourraient être menacés à court terme. Depuis une quinzaine d’années, les études sur l’Islam médiéval se sont profondément renouvelées. De nombreuses thèses ont été soutenues, et les universités ont recruté pour la même période seize Maîtres de Conférences (dont trois ont été récemment élus professeurs). Ces recherches sont marquées notamment par un retour aux éditions (ou ré-éditions), traductions de sources, un renouvellement de l’histoire politique mais aussi économique et sociale, une reprise des études sur le Maghreb, longtemps négligées. Le domaine des études coraniques et de l’islamologie connaît également un nouveau départ, sur des bases méthodologiques repensées, avec notamment plusieurs thèses en cours ou achevées.

Pour l’archéologie, le contexte géopolitique et la fermeture d’un certain nombre de terrains ont conduit à une réorientation, notamment sur le Kurdistan irakien, l’Asie Centrale et la Péninsule Arabique. Mais la faiblesse de l’encadrement en archéologie islamique est préoccupante : il n’y a que deux enseignants-chercheurs HDR dont l’un va partir en retraite prochainement. Cela met en péril la discipline, même si le CNRS a recruté trois chercheurs en archéologie islamique dans la dernière décennie.

6. Moyen Âge occidental

L’archéologie médiévale métropolitaine représente aujourd’hui environ le quart des opérations réalisées en France. Ses résultats, considérables depuis deux décennies, ont totalement renouvelé nos connaissances dans des domaines aussi variés que le développement urbain, les origines du village, les relations homme-nature, le chantier de construction ou les pratiques funéraires.

Toutefois, les contraintes de l’archéologie préventive et la dispersion des opérateurs, accentuée par le développement des entreprises privées, ont amplifié la pénurie de publications de monographies d’envergure et surtout de synthèses, seules à même de transmettre ces avancées au-delà de la communauté archéologique. Dans le même temps, les choix de recrutement du CNRS, principalement tournés vers des spécialités novatrices mais relativement techniques, n’ont pu favoriser cet effort de synthèse. Le recrutement de chercheurs plus généralistes paraît constituer un enjeu majeur pour animer plus largement des équipes.

Au sein des UMR, si certaines orientations récentes de la discipline sont aujourd’hui bien représentées (archéologie du bâti, anthropologie physique, histoire des techniques, paléo-environnement, etc.), d’autres domaines qui connaissent quelques frémissements depuis deux ou trois ans mériteraient d’être soutenus pour s’inscrire dans la durée : étude du mobilier non-céramique, archéologie des derniers siècles du Moyen Âge, développement des résidences élitaires…

L’histoire du Moyen Âge continue à se renouveler grâce à une proximité plus grande avec les sources grâce, notamment à la philologie et à la paléographie qui sont enfin reconnues par la majorité des historiens comme des disciplines à part entière, mais aussi grâce à une approche plus littéraire des sources, prenant plus nettement en compte leur statut et leur écriture, par exemple dans sa dimension stylistique. L’analyse conjointe du contenant et du contenu est de plus en plus, aujourd’hui, la norme.

Les études d’histoire religieuse et culturelle connaissent un dynamisme soutenu mais laissent toujours quelque peu à l’écart les formes d’expression artistique – arts visuels, musique – ainsi que l’histoire des sciences et des techniques, l’histoire de la médecine. On assiste par ailleurs, semble-t-il, à un regain d’intérêt récent pour l’histoire économique et sociale, qui avait été délaissée ces derniers temps. Sur le plan géographique, il faut souligner que les périphéries britanniques, orientales et septentrionales de l’Europe demeurent toujours en marge de la recherche française.

7. Archéométrie

L’archéométrie s’intéresse aux informations enregistrées par les objets anciens, artefacts ou archives environnementales, à différentes échelles, le plus souvent par la mesure instrumentée de paramètres inaccessibles à l’observation visuelle. Ces méthodes relèvent de disciplines des sciences chimiques et physiques, sciences de la Terre et de la Vie et des sciences environnementales. La section 32 compte actuellement une vingtaine de chercheurs relevant de ces approches et le même nombre d’enseignants chercheurs, ainsi qu’une trentaine de personnels d’accompagnement de la recherche, dans 21 UMR.

Il existe dans ce domaine deux profils : des historiens et archéologues maîtrisant et utilisant de manière raisonnée, voire experte, les méthodes et les concepts de l’archéométrie ; et des chercheurs et ingénieurs issus des sciences descriptives naturelles travaillant en lien direct avec les problématiques des sciences humaines. Un des enjeux cruciaux des prochaines années sera d’accueillir au sein des sections de sciences humaines ces deux types de profils, de manière équilibrée.

Ces approches interdisciplinaires nécessitent des échanges constants entre chercheurs et ingénieurs des différentes disciplines. La communauté a reçu un soutien significatif du CNRS afin d’organiser des écoles thématiques, mais également de mettre en place un réseau de la Mission pour l’Interdisciplinarité (CAI-RN : Compétences Archéométriques Interdisciplinaires-Réseau National). L’archéométrie est également bien intégrée dans les Labex, puisque six d’entre eux intègrent des activités archéométriques. On notera cependant un danger de confusion entre les approches de l’archéométrie ayant trait à la conservation et la restauration des objets du patrimoine et celles plus directement liées à des problématiques de sciences humaines.

Mentionnons pour finir le développement au niveau national de plusieurs plate-formes analytiques dédiées à des techniques utilisées en archéométrie et dans les sciences humaines : accélérateur AGLAE du C2RMF, plate-forme de l’IRAMAT au CEA Saclay, Laboratoire de datation ARTEMIS, Laboratoire IPANEMA adossé au Synchrotron SOLEIL. Citons enfin l’existence de moyens européens tels CHARISMA, qui donnent accès aux grandes infrastructures de recherche. Il conviendra de veiller dans le futur à ce que les thématiques des sciences humaines, avec leur finalité historique, soient bien représentées dans les recherches et applications de ce type de structures.

C. La dimension internationale de la recherche française

1. Langues de publication

En 2011, à l’échelle de l’ensemble des SHS, 350 ouvrages avaient été publiés par des chercheurs CNRS : sur ces 350 ouvrages, près des trois quarts avaient été publiés en français, tandis que 13 % étaient publiés en anglais et 13 % dans d’autres langues (allemand, italien et espagnol principalement). Cette proportion n’est pas très différente de celle observée pour les ouvrages publiés par les chercheurs de la section 32. Cette même année, à l’échelle de l’ensemble des SHS, les chercheurs CNRS ont publié 1017 chapitres d’ouvrages dont une majorité en français, mais 1/4 en anglais et 12 % dans une autre langue. Encore une fois, on retrouve des proportions similaires lorsque l’on observe isolément le cas de la section 32.

Plus généralement, les données RIBAC recueillies en 2011 et 2012 montrent qu’en moyenne 70 % des publications de la section 32 sont en français et environ 1/4 en anglais. Les autres langues sont, par ordre décroissant, l’italien, l’allemand et l’espagnol, ainsi que neuf autres langues (arabe, bulgare, catalan, croate, hébreu, persan, portugais, russe et turc). Ces exemples suggèrent que les chercheurs de la section 32 opèrent, pour leurs publications, des choix de langues similaires à ceux des autres sections SHS.

Soulignons par ailleurs que des chercheurs étrangers de grande envergure se tournent, dans nos domaines, vers des revues françaises (dont certaines sont soutenues par le CNRS) pour y être publiés en français. À titre d’exemple, sur les quinze articles publiés en 2013 par les Cahiers de civilisation médiévale, douze avaient pour auteur un étranger.

2. Visibilité internationale de la recherche française sur l’Antiquité et le Moyen Âge

Plusieurs revues de premier plan soutenues par le CNRS procurent à la recherche française une très large diffusion en français et lui donnent une excellente visibilité internationale. À titre d’exemple, en 2013, sur les 893 abonnements des Cahiers de civilisation médiévale, 610 sont destinés à l’étranger, dont une immense majorité à des pays non-francophones.

Dans nos domaines, la visibilité des publications françaises passe notamment par la possibilité, pour cette recherche, d’être correctement indexée dans des bases de données bibliographiques. Or, les titres des articles de recherche rédigés en français sont souvent mal pris en compte ou saisis de manière fantaisiste (avec une traduction automatique du titre dans un anglais approximatif) par les plate-formes de recherche bibliographique du type Thomson Reuters Web of Science. Pour la section 32, la perte importante que constitue la possibilité d’obtenir un financement pour colloque auprès du CNRS depuis que ces fonds sont affectés à la traduction des revues ne s’est, pour le moment, traduite par aucune compensation concrète et utile à nos domaines. Plutôt que de faire traduire intégralement des revues – opération pour laquelle aucune revue relevant des domaines de compétence de la section 32 n’a pour le moment été sélectionnée –, il pourrait être plus intéressant de mener des campagnes systématiques de traduction rétroactive des sommaires de revues françaises. Toujours afin de renforcer la diffusion des revues qu’il soutient, le CNRS pourrait participer à la création d’un portail documentaire en français et en anglais ou développer BiblioSHS de manière à y présenter les sommaires des derniers numéros parus et les résumés des articles. En effet, seule une politique active dans le domaine des humanités numériques permettra aux revues de relever les nombreux défis auxquelles elles se trouvent confrontées.

Enfin, tous les chercheurs qui s’intéressent aux textes antiques et aux sources littéraires ne peuvent que déplorer la menace qui pèse actuellement sur le futur de l’Année épigraphique et la situation de blocage qui s’est développée depuis quatre ans autour de l’Année philologique, outil bibliographique majeur pour la philologie et l’histoire anciennes qui est développé par six rédactions (France, États-Unis, Allemagne, Suisse, Italie, Espagne).

Il est paradoxal, à l’heure où l’INSHS se donne pour ambition d’améliorer la visibilité internationale des travaux menés dans ses laboratoires, de constater que de telles incertitudes pèsent sur la pérennisation et la survie de deux revues qui contribuent depuis des décennies au rayonnement international de la recherche française.