Rapport de conjoncture 2014

Section 30 Surface continentale et interfaces

Extrait de la déclaration adoptée par le Comité national de la recherche scientifique réuni en session plénière extraordinaire le 11 juin 2014

La recherche est indispensable au développement des connaissances, au dynamisme économique ainsi qu’à l’entretien de l’esprit critique et démocratique. La pérennité des emplois scientifiques est indispensable à la liberté et la fécondité de la recherche. Le Comité national de la recherche scientifique rassemble tous les personnels de la recherche publique (chercheurs, enseignants-chercheurs, ingénieurs et techniciens). Ses membres, réunis en session plénière extraordinaire, demandent de toute urgence un plan pluriannuel ambitieux pour l’emploi scientifique. Ils affirment que la réduction continue de l’emploi scientifique est le résultat de choix politiques et non une conséquence de la conjoncture économique.

L’emploi scientifique est l’investissement d’avenir par excellence
Conserver en l’état le budget de l’enseignement supérieur et de la recherche revient à prolonger son déclin. Stabiliser les effectifs ne suffirait pas non plus à redynamiser la recherche : il faut envoyer un signe fort aux jeunes qui intègrent aujourd’hui l’enseignement supérieur en leur donnant les moyens et l’envie de faire de la recherche. On ne peut pas sacrifier les milliers de jeunes sans statut qui font la recherche d’aujourd’hui. Il faut de toute urgence résorber la précarité. Cela suppose la création, sur plusieurs années, de plusieurs milliers de postes supplémentaires dans le service public ainsi qu’une vraie politique d’incitation à l’emploi des docteurs dans le secteur privé, notamment industriel.

Composition de la section

Éric Chauvet (président de section) ; Thierry Pellarin (secrétaire scientifique) ; Philippe Ackerer ; Valérie Andrieu-Ponel ; Sophie Ayrault ; Patricia Bentoza ; Françoise Binet ; Christopher Carcaillet ; Laurent Charlet ; Yves Godderis ; Gérard Gruau ; Katell Guizien-Kessler ; Florence Habets ; Christian Hartmann ; Lydie Le Forestier ; Corinne Leyval ; Bernard Mercier ; Odile Peyron ; Olivier Razakarisoa ; Joëlle Templier ; Philippe Usseglio-Polatera ; Nathalie Vigier.

Résumé

La surface continentale et ses interfaces (SIC) constituent le lieu « support » des activités humaines et, de fait, celui où leurs impacts sur les écosystèmes sont les plus manifestes. L’amplification de ces activités au cours du dernier siècle ayant fortement modifié la qualité de l’environnement (e.g., contaminations, climat, biodiversité), une évaluation fine des impacts à court, moyen et long termes est devenue indispensable. L’observation et la compréhension du fonctionnement de la surface continentale et de ses interfaces qui associent des recherches de nature très disciplinaire aux indispensables travaux interdisciplinaires répondent à une très forte attente sociétale. Au cours des dernières années, la recherche française a fortement progressé, notamment au travers d’avancées conceptuelles disciplinaires, mais aussi grâce à une meilleure intégration, soutenue par la mise en place de plateformes communes et de programmes de recherche nationaux dédiés (e.g., EC2CO). La communauté scientifique très diversifiée se retrouve sur des problématiques clés telles le traçage de l’évolution des écosystèmes, les synergies entre processus physiques (hydrologie), géochimiques et biologiques (microbiologie, écologie fonctionnelle), les changements d’échelles spatiale et temporelle et les méthodes de modélisation.

Introduction

La section 30 (ex-section 20) fête son 10e anniversaire en 2014. L’apport de jeunes chercheurs relevant de cette section a été important au cours des premières années puisque les chargés de recherche recrutés depuis 2004 représentent un tiers de l’effectif total de chercheurs. Toutefois l’examen de la pyramide des âges indique un vieillissement de la population de chercheurs de la section, pourtant de création récente : la tranche des 25-35 ans représente désormais 7 % de l’effectif (ce qui correspond globalement à la hausse de l’effectif chercheur par rapport à 2010), alors qu’elle était de 15 % en 2010. La proportion de DR (43 %) est en très légère augmentation. Les techniciens et ingénieurs constituent une force déterminante dans le développement de l’observation, l’expérimentation et la modélisation tant en milieu naturel, instrumenté ou non, que dans des plateformes dédiées ou au laboratoire. Si leurs effectifs sont assez stables, la proportion de contractuels (30 %) parmi les IT CNRS est croissante, rendant problématique la pérennisation des savoirs, fonctions et dispositifs.

Rappelons que la section 30 est issue de la volonté de créer une nouvelle section dédiée à la surface des continents et à leurs interfaces en y intégrant le vivant. Il s’agit donc d’un enjeu scientifique majeur pour l’INSU et l’INEE, tous deux instituts co-pilotes de la section (cas unique au CoNRS). Du fait de son interfaçage avec d’autres disciplines et sections, la section 30 n’apparaît en rattachement principal que pour un tiers des unités, celles-ci étant rattachées majoritairement à l’INEE et dans une moindre proportion à l’INSU. En dix ans, une nouvelle communauté de chercheurs et de personnels techniques s’est constituée, irriguée par les recherches de disciplines traditionnelles en sciences de l’environnement, mais fondant aussi l’émergence d’approches novatrices et de travaux originaux aux interfaces disciplinaires.

I. Écologie fonctionnelle, dynamique de la biodiversité

L’écologie fonctionnelle s’attache à identifier et quantifier les processus déterminant la structure et le fonctionnement des écosystèmes dans un contexte environnemental donné. Elle vise à comprendre (i) comment l’hétérogénéité et la variabilité spatiale et temporelle de l’environnement physico-chimique modifient la structure taxonomique, les caractéristiques fonctionnelles et la dynamique des organismes vivants à différentes échelles d’observation biologique (principalement populationnelle et communautaire) et (ii) comment, en retour, les assemblages d’organismes modifient les caractéristiques structurales de l’habitat et/ou les flux de matière et d’énergie au sein de l’écosystème. L’objectif est aussi de pouvoir ensuite mieux prédire l’évolution de la biodiversité et des caractéristiques fonctionnelles d’un (éco)système suivant différents scénarios de changements environnementaux, qu’ils soient locaux (e.g., pollution chimique ou dégradation physique de l’habitat) ou globaux (e.g., changement climatique). L’écologie fonctionnelle évalue notamment l’importance des différentes facettes de la biodiversité dans la régulation des processus écosystémiques et leur stabilité temporelle. L’objectif ultime de l’écologie fonctionnelle est souvent de développer une théorie intégrative et prédictive sur les effets de la variabilité environnementale sur la structure, la dynamique et le fonctionnement des écosystèmes.

A. Forces

De nombreux laboratoires abordent (i) les relations entre biodiversité et fonctionnement des écosystèmes et (ii) l’impact des changements globaux sur une variété d’organismes modèles aux différentes échelles biologiques, de l’individu à l’écosystème. La France, présente sur les cinq continents par ses départements et Territoires d’Outre-Mer, possède une rente de situations exceptionnelles en ayant la capacité à aborder simultanément une forte diversité de biomes, des zones polaires (arctiques et antarctiques) aux régions tropicales (Guyane, Océans Indien et Pacifique), et une grande variété de milieux (e.g., continentaux, dulçaquicoles, côtiers, hauturiers) lors d’études à large échelle. Le fonctionnement des écosystèmes étant piloté par un réseau complexe d’interactions biotiques (espèce-espèce) et abiotiques (espèce-environnement), mieux comprendre les relations entre biodiversité et fonctionnement de l’écosystème est un défi d’autant plus important que la qualité et la quantité des services écosystémiques procurés en dépendent. L’utilisation des processus fonctionnels (i.e., les taxons considérés comme fonctions ou générateurs de fonctions) comme indicateurs de l’état d’intégrité fonctionnelle des écosystèmes est récente. Plusieurs laboratoires français sont à la pointe de la recherche dans ce domaine. La transposition de cette approche en politique publique est en voie de réalisation. Un effort particulier a, par exemple, porté sur l’intégration de traits fonctionnels (i.e., traits ou combinaison de traits biologiques dont la réponse est interprétable en termes de fonctionnement écosystémique) dans des outils nationaux d’évaluation de l’état de santé des écosystèmes ou de diagnostic des pressions (simples ou multiples) les affectant significativement.

Un des objectifs de l’écologie fonctionnelle a donc été de rechercher comment la conservation de la biodiversité, via la conservation de certains traits fonctionnels, assure la robustesse d’un système face aux modifications locales ou globales de l’environnement. Les traits examinés peuvent être des traits d’effet (i.e., des caractéristiques morphologiques, physiologiques ou phénologiques qui affectent la performance des individus) ou des traits de réponse aux facteurs environnementaux considérés isolément ou simultanément. Une attention particulière a porté sur le rôle fonctionnel et les mécanismes qui assurent la subsistance des espèces rares (notamment au sein des communautés bactériennes) envisagées comme réservoir potentiel de fonctions (et/ou de gènes) fournissant une certaine « assurance physiologique » au sein d’un système écologique. Nous sommes maintenant en capacité de constituer une cartographie biogéographique mondiale de la rareté fonctionnelle afin de mieux prédire l’évolution des communautés à large échelle spatiale. Un des objectifs opérationnels majeurs est de permettre aux décideurs de définir et appliquer des stratégies de gestion et/ou de remédiation scientifiquement pertinentes pour augmenter la capacité des écosystèmes à résister aux changements climatiques tout en préservant la biodiversité. De nouvelles technologies de protéomique ou métagénomique (e.g., DNA metabarcoding) sont actuellement explorées pour mieux comprendre le fonctionnement d’un écosystème (e.g., relations trophiques), estimer de manière plus pertinente sa biodiversité et effectuer un diagnostic écologique plus précis et plus robuste.

Les recherches ont maintenant l’avantage de pouvoir être fondées sur un cadre conceptuel solide, résultat des recherches antérieures en écologie théorique. Ce cadre, issu de l’utilisation combinée de la modélisation mathématique, de l’analyse de larges jeux de données et de la synthèse des résultats de nombreuses études expérimentales (de terrain ou en milieu contrôlé), fait également largement appel à l’interdisciplinarité en tirant parti d’autres disciplines comme la physique statistique, la biologie des systèmes ou la sociobiologie. Ce cadre conceptuel facilite le test d’hypothèses claires sur des systèmes complexes (e.g., réseaux complexes d’interactions biotiques, systèmes multi-trophiques) et permet de faire le lien entre biodiversité et processus écosystémiques à grande échelle (e.g., celle du cycle du carbone ou des nutriments), en bénéficiant des avancées, par exemple en matière d’analyse isotopique ou stœchiométrique.

Du fait des changements globaux et de l’évolution rapide de l’aire de distribution de certaines espèces, le rôle et l’importance des espèces exotiques à caractère invasif dans les réseaux d’interactions trophiques sont un sujet d’étude d’actualité. Il est en effet crucial de mieux comprendre comment des modifications de structure et de composition des assemblages d’espèces impactent le fonctionnement des écosystèmes afin de mieux prédire les conséquences fonctionnelles des invasions biologiques et de l’érosion de la biodiversité. De manière plus générale, les chercheurs ont tenté de mieux appréhender la façon dont les fluctuations climatiques ou l’exploitation des ressources naturelles pouvaient impacter significativement le cycle des éléments (e.g., carbone ou nutriments) et les super-prédateurs au sein des écosystèmes terrestres et aquatiques à large échelle spatiale, et comment les effets en cascade qui en résultent affectaient les réseaux trophiques et la pérennité des services écosystémiques associés. La démarche, d’abord conceptuelle, consiste souvent à dégager des propriétés et des mécanismes généraux par une approche macroécologique (e.g., à l’échelle planétaire), qui seront ensuite testés expérimentalement en micro/méso/macrocosmes. Le recours à des plateformes de recherche expérimentale de type « écotron », des observatoires et/ou des sites ateliers est alors une étape souvent incontournable pour (i) simuler sur des écosystèmes naturels ou contrôlés une gamme de conditions environnementales particulières, (ii) mesurer objectivement leur fonctionnement via des processus pertinents et avec une puissance statistique suffisante, et (iii) offrir une réactivité technologique et instrumentale adaptée au(x) test(s) de nouvelles hypothèses en relation avec les futurs enjeux environnementaux. Or, la France, qui s’est récemment dotée de stations et de plateformes d’analyse et d’expérimentation sur les écosystèmes structurées en réseaux (e.g., les réseaux ReNSEE et AnaEE), avec des ambitions affichées européennes voire mondiales, est particulièrement en pointe dans ce domaine.

B. Faiblesses et verrous

Un des verrous conceptuels et méthodologiques actuels est le fossé séparant les approches à l’échelle individuelle de celles à l’échelle écosystémique. Les « écologues fonctionnels » s’intéressent (i) aux patrons de réponse des traits fonctionnels des espèces pour tenter de comprendre l’influence de l’environnement et des changements globaux sur leurs assemblages et (ii) à la façon dont les processus écosystémiques sont modulés par les activités et la performance de chaque espèce. Il conviendrait de prendre en compte plus clairement la variabilité observée aux niveaux d’organisation inférieurs (population, individu, gène), incluant par exemple la variabilité comportementale intra-spécifique, dans la dynamique de divers processus écosystémiques. Les biologistes, qui s’intéressent principalement aux déterminants proximaux des performances de l’individu, participent peu à la compréhension de la dynamique des assemblages d’espèces. Une collaboration renforcée entre écologues et biologistes permettrait de mieux coupler les bases fonctionnelles des processus conduisant à la dynamique des écosystèmes, améliorant ainsi la robustesse des actions visant à renforcer leur résilience aux changements environnementaux. De même, il conviendrait de renforcer les liens entre écologie et éco-évolution, afin de mieux interpréter l’influence des processus co-évolutifs passés et présents et leurs facteurs de contrôle externes sur les patrons de diversité, la résistance et/ou la résilience des communautés, ainsi que sur le fonctionnement et la stabilité des écosystèmes.

Un autre verrou actuel réside dans notre compréhension très fragmentaire du fonctionnement des milieux complexes. De même, hormis dans certaines situations expérimentales simples, on ne maîtrise que très partiellement les mécanismes d’action qui déterminent les assemblages d’espèces et le fonctionnement écosystémique en situation de stress multiple, en partie parce qu’on ne s’intéresse souvent qu’à des fonctions considérées isolément. Il s’agit pourtant d’un enjeu majeur et d’une étape incontournable dans notre objectif d’amélioration de la prédiction à long terme du devenir des écosystèmes. Des progrès significatifs pourraient être obtenus par l’adoption d’une approche « multi-fonctions », permettant d’assurer un meilleur réalisme aux approches expérimentales des stress multiples.

Enfin, un autre défi reste le changement d’échelle biologique et le transfert des connaissances entre niveaux d’organisation emboîtés. Un objectif ambitieux serait d’identifier un développement théorique multidimensionnel intégrant les barrières de transfert entre espèces liées à la reproduction mais permettant la conversion vers des unités de mesure d’énergie ou de matière pertinentes pour la quantification des fonctions. Une option séduisante résiderait dans le développement de modèles systémiques transversaux aux différents niveaux d’organisation impliqués dans les processus, afin de structurer et simplifier la description de l’architecture des systèmes biologiques étudiés. Cette approche multidisciplinaire (physiologie, écologie, cybernétique et mathématiques) et multi-niveaux n’apportera une plus-value que si l’enjeu de recherche surpasse le coût inhérent à l’empilement de niveaux de modélisation (complexité, instabilité et multiplication des imprécisions). Plusieurs options pourraient être explorées en termes d’équivalence entre unités de mesure, telles que l’effectif d’une espèce, sa biomasse, son équivalent énergétique ou sa composition en nutriments clés (e.g., azote ou phosphore).

II. Transferts de matière et d’énergie : hydro-bio-géochimie de la Zone Critique et de ses interfaces

Les recherches dans le domaine des transferts de matière et d’énergie au sein des surfaces et interfaces continentales (SIC) ont abouti ces dernières années à l’émergence du concept de Zone Critique, la Zone Critique étant vue comme l’enveloppe du globe allant du sommet de la canopée à la roche mère non altérée sous-jacente. Le partage de ce concept traduit le chemin considérable parcouru en dix ans par les équipes et les laboratoires constitutifs de la communauté SIC, tant du point de vue de l’intégration de leurs différents outils et concepts disciplinaires que de celui de la mise en place de sites et de plateformes communes d’observation et d’expérimentation.

A. Enjeux et difficultés

Comprendre et modéliser le fonctionnement hydro-bio-géochimique de la Zone Critique et de ses interfaces, la façon dont ce fonctionnement régule les transferts de matière et d’énergie à la surface de la Terre et la synergie avec le fonctionnement d’un écosystème dans son ensemble font partie des tâches les plus importantes dévolues aux SIC. Les enjeux sont considérables, avec des retombées dans un grand nombre de domaines comme la gestion et la préservation des ressources en eau, la propagation des contaminants et le stockage des déchets, les transferts de nutriments entre continents et océans, les flux de gaz à effet de serre et d’aérosols échangés avec l’atmosphère et leur impact sur le climat et son évolution, les processus d’altération et d’érosion et leurs conséquences sur la composition chimique des eaux et la dynamique de la ressource « sol ». Une difficulté majeure des recherches est leur caractère éminemment interdisciplinaire, tant les couplages entre processus physiques, chimiques et biologiques mis en jeu dans leur fonctionnement sont forts au sein des (éco)systèmes considérés. Un autre obstacle réside dans l’accroissement de la pression anthropique, avec en corollaire la difficulté d’identifier des systèmes de référence non anthropisés pour en déterminer précisément les impacts.

L’intégration de la biosphère et des facteurs anthropiques, compartiment et facteurs pourtant intimement impliqués dans la genèse et le contrôle des flux, constitue également une difficulté. Dans ce contexte, le concept de Zone Critique montre certaines limites. Venu principalement du monde de la géochimie et de la géophysique, il ne percole que très lentement et très marginalement au sein de la communauté des écologues. Les couplages entre composantes physico-chimique et biotique des écosystèmes sont pourtant essentiels dans les transferts de matière et d’énergie au sein des surfaces continentales et à leurs interfaces. On citera pour s’en convaincre les recherches sur les changements globaux, qui nécessitent par essence une prise en compte de tous les couplages forts existant entre sous-sol, sol, végétation et atmosphère. Concernant la composante anthropique, on pointera l’urbanisation et les pratiques agricoles, deux variables contrôlant fortement les transferts d’eau et de solutés, difficilement prises en compte par ce concept.

B. Forces

La recherche française dans le domaine des transferts de matière et d’énergie au sein des SIC est forte des efforts très importants qu’elle a réalisés dans le domaine de la mesure des flux et de la caractérisation des (éco)systèmes, via notamment la mise en place et la structuration de réseaux de sites d’observation et de mesure (cf. chapitre V).

Un autre domaine particulièrement actif est celui du traçage des flux de matière avec des progrès importants réalisés dans le développement de nouveaux traceurs isotopiques (stables et radioactifs) appliqués à la quantification de l’érosion chimique et/ou du rôle de la végétation comme réservoir pour certains éléments (e.g., Ca, Mg et Zn). La France dispose de quelques-unes des équipes les plus performantes au monde dans ce domaine avec, pour celles-ci, la capacité relativement unique de pouvoir à la fois développer et calibrer ces nouveaux outils isotopiques au laboratoire dans des conditions contrôlées (incluant le compartiment biologique), puis de les transposer à des sites de terrain pour en valider l’utilisation.

Le traçage des sources de la matière organique véhiculée par les rivières et les fleuves a également très fortement progressé, notamment via un accroissement des interactions entre hydrologues, géochimistes et (hydro)biologistes. Les progrès réalisés placent la France en position extrêmement favorable pour être leader dans le domaine de la quantification des effets de la fonte du pergélisol sur les transferts latéraux de carbone dans les régions de haute latitude. Notre pays est également leader dans le domaine de la caractérisation et de la modélisation des propriétés de transport de la matière organique dissoute et dans l’évaluation de l’impact que ces propriétés ont sur les flux de métaux échangés entre milieux terrestres et aquatiques, ou sur la sûreté des sites de stockage nucléaire. Les outils chimiques et isotopiques continuent par ailleurs de contribuer très fortement à l’évaluation des temps de transfert ou de résidence de l’eau dans les milieux souterrains et de surface, avec des bénéfices très importants obtenus grâce au couplage rendu possible entre la mise au point de traceurs en conditions contrôlées et l’application de ces traceurs à des sites de terrain spécifiques.

La communauté française est également active dans le champ de la compréhension des grands cycles biogéochimiques, comme celui du silicium. La dynamique du compartiment « matière organique du sol » (incluant les échanges de carbone avec l’atmosphère) et l’influence sur cette dynamique des conditions d’humidité du sol, de la structure et de l’activité de la biomasse microbienne, et plus largement des types d’usage du sol sont également des domaines dans lesquels la recherche française est bien positionnée, notamment grâce à une bonne synergie et une bonne complémentarité entre travaux et équipes de l’INRA et du CNRS.

La caractérisation des surfaces continentales et l’étude des transferts s’y produisant par imagerie satellitaire sont un champ toujours bien investi par la communauté française. C’est le cas notamment du domaine fluvial dans lequel les progrès techniques réalisés ces dernières années en télédétection (hélicoptère, ULM, drone) ont permis des avancées importantes. Des progrès ont été aussi enregistrés dans le domaine de la cartographie des variables biophysiques de surface et de la mise au point de méthodes d’inversion de ces variables (humidité et teneur en matière organique du sol). L’utilisation de l’imagerie satellitaire pour le suivi de la végétation (NDVI, FAPAR) et des flux associés continue également d’être un domaine dans lequel les équipes françaises sont fortement impliquées. Cette utilisation apporte des éléments importants à plusieurs égards (e.g., réponse de la végétation aux différents facteurs environnementaux, modélisation des échanges neige-végétation, étude du cycle du carbone ou calcul de l’évapotranspiration). Les systèmes dont on dispose aujourd’hui permettent ainsi de simuler la croissance des végétaux par télédétection spatiale à partir de paramètres biophysiques, tels que le LAI ou le FAPAR.

C. Faiblesses et verrous

Une première faiblesse importante concerne le relatif désintérêt des équipes françaises pour les milieux estuariens et littoraux. Ce désintérêt, probablement lié en partie au cloisonnement institutionnel dont souffre la recherche française dès que l’on s’approche des côtes, est dommageable compte tenu des enjeux importants que rassemblent ces milieux d’interface en matière de ressources biologiques, de biodiversité, d’influence de l’homme sur les milieux (urbanisation croissante de la zone côtière) ou d’impacts des changements globaux (élévation du niveau de la mer et recul du trait de côte). Des efforts existent pour dynamiser la recherche sur ces questions, mais la France reste relativement en retard malgré la présence sur le sol national de quelques équipes performantes. Des initiatives comme les chantiers CNRS-INSU Arctique et Méditerranée, la mise en place du SOERE SONEL et la réflexion commune récemment menée par les programmes EC2CO et LEFE pour soutenir cette interface devraient permettre de combler une partie du retard accumulé.

La ville, qui apparaissait déjà comme un maillon faible de la recherche dans le rapport de conjoncture précédent, continue d’en être un. Trop peu de progrès ont été réalisés dans le domaine de l’analyse de l’impact des paysages urbains sur les flux d’air, d’eau et de contaminants, et sur leurs dynamiques, même si la création du SOERE Environnement Urbain et de la Zone-Atelier Environnementale Urbaine a déjà permis quelques avancées.

Progresser dans le domaine de la modélisation de la dynamique des transferts de l’eau reste également un enjeu. La question des limites actuelles de la modélisation se pose dans différents domaines, comme l’hydrologie des bassins versants de montagne ou celle des zones karstiques. La représentation par les modèles de la réponse des végétaux à la sécheresse, actuellement très simplifiée, est un challenge important. Un autre défi est l’intégration de l’occupation des sols dans la modélisation, laquelle a un impact évident sur les crues rapides et la qualité des eaux, mais dont la prise en compte dans les modèles est rendue difficile du fait de sa très forte variabilité spatio-temporelle.

La question de l’hétérogénéité spatiale et temporelle des processus réactionnels à l’œuvre dans la Zone Critique, et plus largement au sein des SIC, constitue un enjeu vis-à-vis duquel les équipes françaises sont encore insuffisamment positionnées. Les SIC ne sont pas homogènes d’un point de vue réactionnel. Localiser les hot spots réactionnels qui les parcourent et identifier leur caractère pérenne ou au contraire transitoire (hot moments) est fondamental dans la mesure où ces lieux constituent des espaces particuliers au sein desquels les réactions se produisent à des vitesses et à des taux beaucoup plus élevés que partout ailleurs (e.g., variation à haute fréquence, de la minute à la journée, de la composition chimique des eaux). Un bon exemple de hot moments est fourni par les événements climatiques extrêmes, lesquels constituent des périodes d’expression maximale des flux de matière. Un autre intérêt de l’approche hot spots et hot moments est qu’elle fournit un cadre d’expression de l’interdisciplinarité, les hot spots et hot moments réactionnels de la Zone Critique étant par essence des lieux ou des moments qui exacerbent les interactions usuelles entre le monde vivant, l’eau et le minéral.

Enfin, la recherche doit progresser vers une meilleure prise en compte du rôle des processus à la méso-échelle (i.e., du bloc de sol au bassin versant d’ordre 2 ou 3) dans les transferts.

III. Processus biologiques, chimiques et physiques aux interfaces, écotoxicologie, toxicologie environnementale et transferts des contaminants

Dans les écosystèmes terrestres et aquatiques, la dynamique des éléments et des contaminants est contrôlée par des processus physiques, chimiques et biologiques, ces derniers en lien avec la biodiversité. L’étude de l’écodynamique des éléments et des contaminants inclut leur caractérisation et celle des produits issus de leur transformation, ainsi que la quantification de leur flux dans les différents compartiments des écosystèmes. Il est nécessaire d’appréhender non seulement l’effet de ces contaminants sur la biodiversité et le fonctionnement des écosystèmes, mais aussi la rétroaction du vivant sur les cycles des éléments et sur les contaminants (adaptation, dynamique des éléments/polluants, remédiation).

A. État de l’art, avancées, forces

Dans les travaux sur la biogéochimie des éléments, l’analyse dynamique prend le pas sur l’échantillonnage à faible résolution temporelle, avec d’une part le développement d’expérimentations et de suivis sur le long terme de paramètres biotiques et abiotiques et, d’autre part, la mise au point et l’utilisation de capteurs en continu à haut débit. L’acteur biologique, jusqu’alors centré sur les microorganismes (bactéries, champignons), s’est élargi pour englober les algues (micro- et macro-), les plantes (consommées par l’homme) et plus récemment l’organisme humain lui-même.

Les études des interactions organisme-particule ne se limitent plus à suivre les transferts d’électrons dans une bactérie en contact avec un minéral, mais prennent dorénavant en compte l’activité d’organismes ingénieurs et les phénomènes de bioturbation associés (systèmes racinaires, macrofaune édaphique ou benthique), ainsi que l’interaction et la réactivité de particules entre elles (argiles, matière organique et microorganismes) ou avec un organisme supérieur (plante ou homme). Les travaux sur les nanoparticules illustrent bien cette évolution.

Parmi les contaminants préoccupants étudiés, on retrouve des polluants dits historiques, tels que les éléments en traces métalliques, les pesticides, les hydrocarbures, les HAP, les PCB et les radionucléides, qui restent des polluants prioritaires. Les polluants émergents (e.g., perturbateurs endocriniens, antibiotiques et autres produits pharmaceutiques) et d’autres composés potentiellement polluants et toxiques (e.g., nanoparticules, dioxines, métaux critiques dont les terres rares, micro-plastiques) sont désormais l’objet d’un intérêt croissant. Face à cette multitude de contaminants et à l’émergence de nouvelles molécules, il n’est plus possible d’étudier chaque molécule ou produit indépendamment ; il convient de définir des familles de molécules ayant des effets communs et prédire leur toxicité potentielle à partir de leur configuration.

La caractérisation des polluants minéraux et organiques et de leurs métabolites, ainsi que la détermination de leur spéciation qui conditionne leur disponibilité, mobilité, transfert aux organismes et toxicité éventuelle passent par la mise au point de techniques analytiques innovantes. La combinaison d’études biologiques (génomiques et protéomiques) et spectroscopiques (Raman-SEM-FIB-TEM-STXM, μXAFS, μFTIR, μXRF) a par exemple permis des avancées remarquables sur la compréhension des mécanismes de la biominéralisation (catalyse par les membranes ou les molécules organiques de la précipitation) et de la mobilité des éléments traces. Le marquage avec un isotope stable (SIP) et l’utilisation des isotopes naturels ont permis d’aborder le devenir des contaminants dans les différents compartiments des écosystèmes et la question des processus biotiques et abiotiques régulateurs de ce devenir.

La prise en compte des différents niveaux d’organisation du vivant, de l’individu à la communauté (e.g., approches SPEAR, courbes SSD ou méthodes PICT) constitue une avancée significative en écotoxicologie, qui ne se limite plus uniquement à des évaluations d’effets dose. Les travaux commencent à intégrer la complexité des systèmes, telle que l’effet des interactions biotiques (e.g., parasite-hôte) ou des contaminants sur le comportement des organismes (effets indirects ; e.g. sur la prédation). Dans des situations de pressions/contaminations multiples, des outils diagnostiques, basés sur les réponses de combinaisons de traits d’histoire de vie à l’échelle de la communauté (e.g., invertébrés aquatiques), permettent d’identifier les pressions/contaminations au sein du cocktail dont l’impact sur la biocénose autochtone est le plus significatif. Actuellement limités à un compartiment biologique, ces outils ont maintenant vocation à devenir « multi-compartiments » (e.g., diatomées + invertébrés + poissons en milieu aquatique). Enfin, après des études sur les conséquences et mécanismes de toxicité des contaminations aiguës induites par des concentrations souvent irréalistes, on assiste à l’émergence de travaux de plus en plus proches des conditions environnementales, couplant toxicités chroniques et faibles doses.

La rétroaction du vivant sur l’écodynamique des contaminants a aussi fait l’objet d’avancées significatives, notamment par des travaux en bioremédiation et phytoremédiation associant microorganismes (bactéries, champignons), macroorganismes (invertébrés) ou plantes et basés sur la caractérisation des organismes actifs et de leur diversité. Dans le domaine de la phytoremédiation, on peut citer les travaux sur le transfert de métaux toxiques (phytoextraction, phytostabilisation) vers la plante, ainsi que la valorisation des métaux extraits des végétaux (collaboration avec les chimistes), et plus globalement les travaux qui considèrent le devenir des polluants, leurs biodégradation, transfert ou transformation, mais aussi le devenir et la qualité du sol ou de l’écosystème après traitement, voire la restauration de ces milieux.

Les outils de génomique se sont fortement développés grâce à des plateformes performantes. Ils permettent une meilleure évaluation de la biodiversité dans les écosystèmes et de l’impact des contaminants sur l’expression des gènes, des protéines et des métabolites. Couplés à d’autres outils comme la technique de SIP, ils permettent aussi d’identifier les organismes impliqués dans les processus rétroactifs, et de relier diversité et fonction.

B. Enjeux et verrous

Un des enjeux de l’écodynamique et de l’écotoxicité des contaminants est la prise en compte des contaminations multiples, qui sont le plus souvent la réalité dans les situations de terrain, et des interactions entre polluants ou entre polluants et autres stress (e.g., nutritionnel, changement climatique, salinité, dégradation physique), celles-ci étant encore insuffisamment étudiées. De nouveaux concepts sont à définir pour aborder ces multi-pollutions ou ces multi-stress (synergie-antagonisme, non-additivité des effets et interactions entre contaminants), pour aller vers la modélisation du devenir des polluants en intégrant la prédiction des effets. Il convient aussi d’augmenter la sensibilité et la résolution des équipements analytiques afin d’aborder les faibles teneurs (pollutions chroniques).

Il faut souligner qu’il y a de plus en plus de points communs entre approches toxicologiques et écotoxicologiques. Un exemple est fourni par les approches aux micro-échelles qui peuvent être appliquées à l’interaction d’un contaminant avec la peau ou avec une cellule végétale ou microbienne. L’écotoxicité est cependant encore beaucoup étudiée sur des espèces modèles, des maillons de la chaîne trophique, ou parfois différents niveaux d’organisation biologique (individu, population, communauté) et encore trop peu au sein du continuum complet incluant l’homme.

Une des difficultés en biogéochimie et écotoxicologie réside dans le changement d’échelle, spatiale ou temporelle, puisque les études peuvent aller de l’interface micro- et nanoscopique (e.g., interactions d’un minéral avec la surface d’une cellule bactérienne) au suivi des transferts au niveau d’un bassin versant ou de la Zone Critique (cf. chapitre V). Pour l’écotoxicologie, il s’agit de bien choisir les espèces modèles représentatives des réseaux trophiques (assemblage d’espèces) et d’aborder le changement d’échelle en se basant, par exemple, sur les traits pour prédire la réponse de la communauté.

L’étude des processus biotiques et abiotiques contrôlant le devenir des polluants (e.g., spéciation, dégradation, adsorption et absorption) et de la distinction entre ces processus demeure un enjeu. Cette recherche doit prendre en compte le couplage des cycles (stœchiométrie : co-limitation entre les cycles de C, N, P et S), les interactions entre cycles des éléments majeurs et cycles des contaminants, ainsi que la diversité des vitesses et des voies de transfert.

C. Faiblesses et propositions

La compréhension de la dynamique des éléments/contaminants dans des milieux aussi complexes que les SIC nécessite l’intégration de démarches complémentaires, in situ et au laboratoire, et de démarches forcément pluridisciplinaires qui ne doivent pas se résumer à une juxtaposition d’approches ou à une accumulation de données. Il est nécessaire de coupler des approches de terrain (observations, flux de polluants et variations spatio-temporelles) et des approches expérimentales plus ou moins simplifiées (microcosmes, mésocosmes, lysimètres, écotrons) et d’effectuer des allers-retours entre les différentes approches et échelles. La modélisation du devenir des contaminants incluant la considération des variabilités induites par les différentes échelles reste encore à développer et nécessite des collaborations entre disciplines.

La prise en compte de l’hétérogénéité spatiale et temporelle qui caractérise les écosystèmes aux différentes échelles doit encore être améliorée. Même s’il en existe déjà, le développement et l’utilisation de capteurs environnementaux (biocapteurs), avec des approches non dirigées de l’analyse des données, devraient permettre de mieux appréhender l’hétérogénéité spatiale et temporelle et de mesurer des fonctions in situ.

Pour analyser l’écodynamique des contaminants in situ, en particulier dans le cas de pollutions chroniques ou historiques, des études sur le long terme sont nécessaires. On se heurte pour l’instant au mode de financement des projets de recherche, sur 2 à 4 ans, et au cloisonnement des dispositifs d’observation et de recherche labellisés (e.g., ZA, OHM, SO et SOERE) qui demanderaient à être réorganisés et coordonnés pour mieux soutenir des projets ambitieux à long terme.

Le lancement d’études sur le long terme est nécessaire pour estimer la pertinence et la faisabilité de techniques et procédés de remédiation (e.g., bio-, phytoremédiation ou atténuation naturelle) et identifier les valeurs cibles des contaminants à atteindre dans le milieu. Ces objectifs soulèvent les questions de définition d’écosystèmes de référence (souvent difficiles à identifier dans un monde très anthropisé), de résilience des écosystèmes, de qualité des milieux et d’indicateurs, ainsi que de construction de nouveaux écosystèmes. Le lien et la limite entre la recherche et l’opérationnel ne sont pas toujours clairs. Comme exposé en chapitre II, l’un des écosystèmes qui concentre les problématiques d’écodynamique des contaminants et d’autres forçages anthropiques et mériterait d’être davantage étudié est la ville, avec notamment des enjeux en matière de végétalisation, agriculture urbaine et biodiversité.

IV. Paléoécologie et paléoenvironnements

A. Enjeux et difficultés

Ces dernières années, les recherches portant sur l’étude des processus au sein des communautés et des écosystèmes, quantifiant les interactions émergentes entre les compartiments biotiques et abiotiques qui se mesurent sur le temps long (> 10 ans) se sont très fortement développées. Ces questionnements abordent les relations productivité-biodiversité, les substitutions ou changements fonctionnels de taxons, les interactions entre assemblages bio- ou géo-indicateurs et perturbations et les interactions entre perturbations. L’évaluation de la productivité est toutefois un enjeu majeur, tant que les biomasses, diversités et perturbations resteront difficiles à reconstruire, de la placette au terroir.

L’amélioration du traçage des paléoenvironnements passe par une meilleure prise en compte de la variabilité spatiale et temporelle des processus mis en jeu. En effet, l’étude de certains processus continentaux écologiques et biogéochimiques demande de documenter des périodes de temps courtes et des périodes de temps pouvant aller jusqu’au million d’années, voire au-delà. Une bonne compréhension des cycles glaciaires-interglaciaires et de leur mise en place requiert des études quaternaires et pré-quaternaires. De la même façon, comprendre le fonctionnement et le rôle de la Zone Critique (cf. chapitre II) sur l’évolution climatique et biogéochimique de la surface de la Terre peut nécessiter une ouverture à des échelles de temps très variables, allant de l’échelle infra-annuelle aux millions d’années. Les couplages entre érosion, altération chimique, végétation et évolution climatique sont explorés à l’actuel sur les bassins versants équipés, mais l’étude de ces systèmes dans le cadre d’événements du passé est indispensable pour tester les hypothèses avancées et appréhender le spectre complet des rétroactions sur une large gamme d’échelles de temps.

En parallèle, notre communauté s’est attelée au cours de la dernière décennie à retracer les changements majeurs caractérisant la période quaternaire à différentes échelles de temps (e.g., interannuelle, saisonnière, centennale, millénaire) et d’espace (locale à régionale, voire interrégionale). Certains événements méritent en effet un effort de l’ensemble de la communauté. Il s’agit notamment de quantifier la variabilité environnementale au cours (i) de la transition mi-Pléistocène où de nombreux changements apparaissent en terme d’amplitude et fréquence du phénomène glaciaire, (ii) des cycles glaciaires-interglaciaires, (iii) des transitions et des événements climatiques rapides, et (iv) de l’Holocène et des deux derniers millénaires. Les événements que l’on veut appréhender peuvent être continus (ou pas), rapides ou abrupts (e.g., changement climatique, seuils). Afin d’intégrer les variations des écosystèmes sur le long terme et d’appréhender les variations de fonctionnement des écosystèmes pour les périodes clés du passé, il est primordial que notre communauté scientifique se focalise davantage sur ces phénomènes multi-échelles temporelles et spatiales et sur l’ajustement des différentes échelles entre elles.

Depuis 4 ou 5 ans, on observe un développement des recherches portant sur les questions liées à l’impact potentiel des activités humaines sur la dynamique et le fonctionnement des écosystèmes en termes de processus. Ces études visent (i) à prendre en compte et quantifier les impacts respectifs des changements climatiques et des activités anthropiques sur les différents milieux et la résilience de ces derniers et (ii) à comprendre et approfondir les relations entre changements environnementaux et sociétés humaines, en particulier au cours des derniers 10 000 ans et pour les périodes plus récentes par lesquelles il est possible de faire un lien avec les sciences archéologiques et historiques. Des études récentes sont focalisées sur le développement de traceurs univoques de l’activité humaine au cours de l’Holocène, tels que les marqueurs de plantes cultivées.

B. Forces et défis

Approfondir notre connaissance des processus régissant les SIC est indispensable dans le contexte actuel de changement global. Ceci requiert un aller-retour constant entre l’actuel et le passé, qui est de plus en plus pris en compte et a permis de réels progrès ces dernières années dans la compréhension des écosystèmes actuels et passés.

La calibration sur l’actuel des marqueurs biotiques et abiotiques est indispensable pour réduire les incertitudes inhérentes à toute reconstitution paléoenvironnementale. À titre d’exemple, la calibration du millet cultivé en milieu contrôlé permet désormais de relier la composition isotopique en hydrogène de la miliacine avec certains paramètres climatiques. De la même façon, réfléchir en termes de biodiversité, biomasse ou productivité des écosystèmes est primordial dans l’étude des processus et demande également un effort de calibration. Cette étape de calibration passe par l’expérimentation en conditions naturelles et par le développement de modèles mathématiques reliant variables environnementales et traceurs. Pouvoir disposer de données actuelles mesurées est indispensable à cet égard, la mise en place de sites instrumentés permettant l’acquisition continue de données clés (paramètres météorologiques et variables environnementales) sur plusieurs années.

Distinguer le signal lié aux activités anthropiques du signal écologique et/ou climatique dans les enregistrements sédimentaires reste aujourd’hui encore un défi. Les nouveaux marqueurs géochimiques, chimiques ou biologiques et les biomarqueurs moléculaires indubitablement liés à certaines activités humaines (e.g., cultures ou pastoralisme) qui émergent actuellement présentent un fort potentiel dans ce domaine.

Un défi concerne l’acquisition d’enregistrements de type multi-indicateurs. Il s’agit de pratiquer différentes analyses paléoenvironnementales (e.g., analyse de végétation vs perturbations, niveaux lacustres, biomarqueurs moléculaires, analyses sédimentologiques et granulométriques ou autres marqueurs biotiques et abiotiques) à partir de la même archive (carottes de sédiments, tourbes ou sols) pour mieux comprendre la variabilité des résultats issus de ces données.

Au sein d’études multi-proxies, il apparaît indispensable de miser sur des approches couplant les marqueurs paléoclimatiques et paléoécologiques classiques et les indicateurs émergents ou sous-représentés en France (e.g., spéléothèmes, thécamoebiens, diatomées, chironomes ou autres arthropodes). L’utilisation d’indicateurs classiques (e.g., pollens ou cernes des arbres) est légitime et reste nécessaire car leurs méthodes d’interprétation ont elles aussi beaucoup progressé ces dernières années avec l’apport de la haute résolution temporelle, des approches intégrées et des traitements mathématiques appliqués : ces indicateurs sont robustes et le recul que l’on possède désormais permet d’interpréter au mieux le signal qu’ils représentent. Des marqueurs récemment développés ou en cours de développement en France offrent des perspectives nouvelles et prometteuses. Il s’agit de l’analyse des isotopes de l’hydrogène sur des molécules individuelles extraites de végétaux, de sédiments, de sols et de roches qui permettent de retracer les régimes hydriques. Il s’agit aussi de l’utilisation récente de l’ADN dans les archives sédimentaires en tant que nouvelle source d’information sur l’évolution des écosystèmes. Il s’agit encore du développement de biomolécules qui sont d’excellents indicateurs organiques de température de surface marine. D’autres marqueurs organiques nouvellement développés, comme les tétraethers (MBT/CBT, BIT) et les n-alkanes à longues chaînes utilisés comme traceurs de végétation, permettent une reconstruction quantitative des températures (et du pH) directement comparable aux reconstitutions paléoclimatiques basées sur d’autres marqueurs. Enfin, de nouveaux marqueurs sont basés sur le dépôt et l’accumulation d’excréments d’animaux en région aride et d’amas coquillers en milieu intertropical.

Un autre défi réside dans l’acquisition et l’étude de nouvelles séquences, en particulier dans des zones géographiques où les données manquent. Il faudrait en effet cibler des séquences clés dans des zones prioritaires (e.g., interfaces climatiques et d’écotones, milieux tropicaux et subtropicaux d’Afrique et de Guyane, milieux méditerranéens continentaux terrestres, côtiers et lagunaires). Focaliser notre effort sur ces chantiers ainsi que sur des questions bien précises (en s’éloignant un peu de l’approche séquentielle utilisée jusqu’à présent de façon trop systématique) peut s’avérer particulièrement précieux pour (i) mieux comprendre le fonctionnement de ces écosystèmes peu documentés, (ii) favoriser les comparaisons interrégionales pour appréhender les mécanismes et les processus dans leur globalité et comprendre les téléconnexions, souvent climatiques, et (iii) disposer de données à haute résolution temporelle permettant la comparaison avec les modèles.

Parallèlement aux défis scientifiques évoqués précédemment, des défis méthodologiques ont émergé au cours de la dernière décennie, dont le but est de repousser les limites analytiques ou conceptuelles des méthodes utilisées par les sciences paléoenvironnementales. Ainsi l’un des défis actuels est de mesurer de façon optimale (et de réduire) les incertitudes des reconstructions basées sur les différents indicateurs ainsi que celles des simulations issues des modèles. Ce type d’étude est rare, mais indispensable pour améliorer leurs estimations. Un autre défi est de repousser les limites des techniques de datation. La datation est un élément essentiel en paléoécologie, permettant d’accéder à la haute résolution temporelle prônée par la plupart des études récentes. La France possède une expertise forte dans la datation à l’échelle du siècle, par l’analyse des radioéléments à courte vie (e.g., 210Pb et 137Cs). Les datations par téphrachronologie, paléomagnétisme et géochimie isotopique (osmium, isotopes cosmogéniques 10Be, 36Cl, U/Th) permettent dorénavant un meilleur contrôle chronologique. Il s’agira également d’approfondir les modèles mathématiques âge-profondeur et de comparer différentes approches de datation sur les mêmes séquences.

Sur cette base et pour répondre à des demandes scientifiques de plus en plus pointues, la communauté se doit de développer son parc technologique et analytique grâce (i) au regroupement des moyens sous forme de plateformes locales ou régionales et (ii) au développement de nouveaux outils et équipements, notamment en géochimie isotopique (ASTER-CEREGE). L’élaboration de bases de données doit encore être poursuivie avec, pour le passé plus lointain, l’établissement de bases de données isotopiques ou sédimentologiques présentant une résolution spatiale sur les continents et les marges continentales. De la même façon, des moyens financiers pour le fonctionnement des bases de données existantes (e.g., EPD) devraient être dégagés au niveau national.

C. Faiblesses et verrous

Le développement des nouveaux indicateurs est particulièrement prometteur et permettra d’avoir enfin accès à des paléothermomètres directs et quantifiés. Toutefois, beaucoup reste à faire dans la calibration de ces marqueurs et dans la compréhension du signal qu’ils représentent. Des calibrations sont également nécessaires pour améliorer la géochimie des éléments difficiles à appréhender jusqu’ici comme les terres rares, les isotopes du silicium et du carbone, notamment pour l’étude des sols, de l’érosion des bassins, de la productivité des systèmes et des transferts.

Les études multi-proxies, de plus en plus nombreuses, doivent être encouragées. Ces études privilégient systématiquement la haute résolution temporelle. L’exploration de la haute résolution temporelle et spatiale est en effet nécessaire pour traquer les événements rapides et pour établir des ponts entre scientifiques et gestionnaires des ressources ou des territoires permettant de dialoguer sur des objets spatialement et temporellement communs. Ces études requièrent de nombreuses datations qui peuvent rapidement se révéler onéreuses. Il ne faut en aucun cas occulter ces problèmes de datations et peut-être demander l’amélioration du service national de datation par le 14C qui, avec des moyens et des personnels supplémentaires, permettrait de répondre à la demande de datation, actuellement forte au sein de la communauté des paléoenvironnementalistes.

L’analyse multi-marqueurs des archives sédimentaires pourrait être pratiquée de façon quasi-systématique, notamment en structurant davantage la communauté scientifique au travers de projets financés. Force est de constater que les études visant à améliorer notre compréhension du fonctionnement des écosystèmes au cours du temps n’ont encore que peu accès aux financements européens. Or, depuis la disparition des programmes Éclipse et Paleo2, les financements sont souvent limités à l’ANR, dont le taux de succès extrêmement bas constitue un véritable frein pour les recherches rétrospectives ou paléoenvironnementales.

Un dernier verrou important est le cloisonnement de la recherche au sein des différentes communautés de paléoenvironnementalistes. Ce décloisonnement peut se faire au travers de programmes de recherche communs financés qui permettront l’acquisition de résultats plus robustes et l’ouverture de nouvelles perspectives de recherche, essentielles dans le contexte actuel d’évolution climatique. Outre la connexion évidente avec les modélisateurs du climat et avec les communautés SHS (archéologues et historiens), il faut continuer à créer du lien entre les chimistes, les archéologues, les biologistes, les écologues, les sédimentologues et les géologues tout en intégrant et en croisant les résultats issus des disciplines émergentes (e.g., biomarqueurs moléculaires). Ceci implique un réel effort de collaboration, qui doit être encouragé.

V. Méthodes et outils

A. Enjeux et verrous

Le fonctionnement des SIC se caractérise par (i) un emboîtement d’échelles d’espace (nm au km) et de temps (seconde aux millions d’années) très vastes, (ii) une hétérogénéité spatiale et temporelle complexe et (iii) des réponses aux sollicitations fortement non-linéaires. La problématique des échelles est un enjeu majeur pour l’observation et la modélisation des SIC. Cette problématique apparaît au niveau de la mesure (e.g., quel support, quelle représentativité ?), de la modélisation (e.g., un modèle mathématique établi à une échelle donnée sur des systèmes souvent « modèles » est-il encore pertinent à une autre échelle ?) et de la prise en compte des observations dans la modélisation ou la validation de modèles lorsque les échelles diffèrent entre observation et modélisation.

À cette difficulté liée à la spécificité même des systèmes étudiés, s’ajoute la problématique de la pertinence d’une variable. Celle-ci (observée ou modélisée) peut être pertinente pour une problématique donnée et pas du tout adaptée à une autre. À titre d’exemple, la pertinence des variables observées et des processus modélisés en conditions habituelles doit être remise en cause pour des conditions extrêmes.

Les modes opératoires pour l’observation et les approches de modélisation sont donc nécessairement très diversifiés.

B. Forces, état de l’art, grandes avancées

Les avancées liées aux développements métrologiques se situent principalement aux petites et grandes échelles. La connaissance des processus d’interaction eau-solides (précipitation, dissolution et altération) aux échelles nano- et micrométriques a bénéficié du développement des méthodes d’imagerie à haute résolution (e.g., synchrotron, MET et NanoSIMS) et s’est traduite par des avancées à l’interface entre la géochimie et la microbiologie. La compréhension des processus aux grandes échelles spatiales (km et au-delà) a aussi connu des percées importantes grâce à la mise en œuvre d’outils d’observation satellitaire et aéroportée, notamment au niveau du cycle de l’eau, des processus d’érosion à l’échelle des continents et de la cartographie des habitats des espèces, supportant l’explosion d’approches macro-écologiques.

La modélisation a également bénéficié du développement des moyens informatiques (capacités de calcul et de stockage). Les modèles intègrent maintenant des processus établis par les différentes disciplines interagissant sur les SIC (e.g., modèles couplés hydro-bio-géochimiques et écoulements multiphasiques). Des développements ont également été menés sur les méthodes inverses pour l’estimation des paramètres et sur les outils d’analyse de sensibilité globale afin d’établir des plans d’expérience et guider l’observation.

Les modèles numériques sont des outils privilégiés pour établir des projections de l’état du climat, des surfaces, des écosystèmes et de la biodiversité sur les siècles à venir. Ces modèles se sont diversifiés ces dernières années (e.g., modélisation couplée végétation-climat, modèles à l’échelle régionale) permettant des simulations de plus en plus performantes, à différentes échelles spatiales (de la placette au bassin versant) et temporelles (simulations transitoires et assimilation de données).

Les avancées se situent également au niveau de la mise en réseau de certains moyens d’observation, tels les réseaux H+ ou RBV. Ces réseaux ont également bénéficié d’apports financiers importants dans le cadre des appels d’offres d’excellence. Par ailleurs, les Zones-Ateliers constituent à l’échelle régionale, mais aussi nationale (via le réseau inter-ZA) et internationale (via des collaborations, notamment avec certains sites LTER), un outil majeur d’observation et d’expérimentation. Il a permis de faire avancer des questionnements disciplinaires (e.g., relations biodiversité-fonctions) mais aussi interdisciplinaires sur des milieux et dans des contextes de pression spécifiques.

C. Faiblesses

Les principales faiblesses sont rencontrées (i) au niveau des échelles spatiales intermédiaires (du dm au km) ou temporelles (de l’heure au mois) et (ii) aux interfaces entre les différents compartiments des SIC.

Les échelles intermédiaires sont celles où s’expriment très nettement les effets des hétérogénéités (milieu et paysage) et de la variabilité des forçages, ainsi que les impacts des activités anthropiques (e.g., biodiversité et pollutions). Les outils expérimentaux existent à l’échelle intermédiaire (écotrons et bassins versants), mais devraient être complétés par des dispositifs contrôlés permettant la répétition (lysimètres et mésocosmes terrestres et aquatiques au laboratoire) et l’acquisition in situ et on line des variables principales.

Si l’observation aux grandes échelles et celle aux petites échelles ont fait d’importants progrès et bénéficient de soutiens financiers substantiels, la métrologie aux échelles intermédiaires est très en retard. À titre d’exemple, la mesure de variables aussi fondamentales qu’une teneur en eau ou un potentiel rédox dans un sol reste délicate et trop souvent peu fiable. Un effort en métrologie à cette échelle est indispensable à court terme.

Curieusement, malgré le manque de données aux échelles intermédiaires, les modèles mécanistes ont fortement progressé à cette échelle. Les processus élémentaires décrits sont de plus en plus complexes, mais leur intégration dans des modèles plus représentatifs des SIC reste à faire. La modélisation écologique bute encore sur l’intégration entre bas et haut niveaux trophiques, limitant toute approche écosystémique. Il semble désormais nécessaire de monter en complexité dans l’approche de modélisation. Il faudrait tester et hiérarchiser les processus et mieux prendre en compte les liens entre la biodiversité et la biomasse, ainsi que les différentes rétroactions. La clé est la capacité de simuler la distribution spatiale et temporelle des données, ce qui demandera de s’orienter vers l’utilisation de modèles couplant la dynamique atmosphérique, océanique et biosphérique ainsi que les processus d’érosion et d’altération, sur toute la gamme d’échelles de temps (infra-annuelle au million d’années).

Par ailleurs, si la représentativité de la mesure reste un verrou pour lequel la recherche est encore à faire, il en est de même pour la représentativité et la fiabilité d’un résultat de modèle. Trop souvent, ces résultats ne sont pas associés à leurs incertitudes liées, d’une part, à la précision des paramètres mis en œuvre (mesurés ou calés) et, d’autre part, au niveau d’hétérogénéité pris en compte.

D. Propositions

Dans la situation actuelle, l’organisation des moyens d’observation est trop compliquée et peu compréhensible. Il n’est pas indispensable de définir « qui gère quoi », mais d’harmoniser les moyens d’observation et d’éviter les redondances. L’accessibilité des données n’est de loin pas assurée, bien qu’elle fasse partie des missions de la plupart des systèmes d’observation. Un système centralisé où les données seraient transmises chaque année et pour chaque site pourrait être mis en place. Le type de données à transmettre et leur format (très simple, type tableur) pourrait être précisé au moment de la contractualisation du système d’observation. Aux difficultés de mise à disposition des données, s’ajoute celle de la conservation et de la mise à disposition des échantillons sur le modèle des carottes ODP. C’est une question ouverte qui doit être abordée au niveau interorganismes tant les moyens à mettre en œuvre sont importants.

Pour la métrologie et les moyens analytiques, la communauté souffre de la disparition des moyens mi-lourds. L’achat de ce type d’équipement (neuf ou en remplacement) ne se fait plus que par cofinancement. Cette procédure est lourde et entraîne des retards, voire des abandons, dans l’achat de ces équipements pourtant indispensables.

Quant aux aspects méthodes et modèles, l’organisation de cette activité au niveau national est inexistante. Il est important de réfléchir à la mise en place d’un réseau « M&M » (méthodes et modèles) pour assurer le partage des informations et la mise en place d’une banque de codes source et de tests (benchmarking).

Enfin, au niveau des axes de recherches, quelques pistes nouvelles mériteraient d’être explorées, notamment (i) l’utilisation de modèles établis en situation normale pour la simulation d’événements extrêmes et (ii) les méthodes d’observation et de modélisation des couplages et rétroactions lorsqu’ils ont lieu à différentes échelles.

VI. Ingénierie écologique

Dans le cadre de la section 30, l’ingénierie écologique se décline dans les recherches en appui à (i) la conservation de la biodiversité et des milieux naturels, (ii) la restauration des fonctions des écosytèmes, et (iii) l’utilisation fonctionnelle des organismes pour la bioremédiation et l’épuration biologique dans des environnements faiblement à fortement anthropisés.

A. Forces

Les forces dans ce champ sont dispersées dans les laboratoires d’écologie continentale ou marine abordant soit la réponse des communautés vivantes aux contraintes de l’habitat (en termes de richesse spécifique et de traits biologiques), soit l’action des organismes et leurs interactions, tant biotiques qu’avec le milieu, sur le fonctionnement et les propriétés des écosystèmes. Pour la plupart des chercheurs concernés, l’ingénierie écologique est un prolongement, en réponse à une demande sociétale, de leurs activités de recherche de nature plus fondamentale. Il existe actuellement une communauté large de chercheurs concernés par l’ingénierie écologique comme l’a démontré le succès des journées multi-instituts d’ingénierie écologique de décembre 2013.

L’épuration biologique est un pilier fondateur de l’ingénierie écologique, en se focalisant sur les fonctions liées aux cycles de l’azote et du carbone, à la dégradation de la matière organique, avec un intérêt prédominant pour les zones humides, ou à la décontamination de sols pollués. L’interaction sol-plante-microorganisme est au cœur de cet axe et regroupe l’essentiel des forces dans ce domaine. Le développement de la protéomique et de la métabolomique qui a fait suite à la génomique environnementale permet actuellement d’élucider des liens entre biodiversité et fonctions dans les contextes d’environnements naturels ou pollués.

Plusieurs autres équipes se focalisent sur l’impact de la structure de l’habitat (e.g., connectivité et fragmentation) sur la biodiversité et les conséquences des altérations de cette structure sur les fonctions assurées au sein des paysages. Ces recherches se développent de façon théorique et opérationnelle dans des simulations spatialisées à partir de modèles corrélatifs ou mécanistiques (exemple de la connectivité en milieu marin). Ces simulations intègrent également des scénarios, soit d’évolution climatique soit de mesures de gestion, en appui aux politiques de conservation. La validation de ces modèles repose de plus en plus sur des réseaux d’observation participatifs et sur des collaborations avec les gestionnaires de la conservation. Une réflexion dynamique, reposant sur la modélisation couplée à des expérimentations en mésocosmes, porte également sur les problématiques concernant la résistance des systèmes écologiques (structure, fonctions et interactions) aux altérations de l’environnement, en tentant d’établir le rôle de la diversité spécifique et fonctionnelle et de la complexité des réseaux trophiques. Ce corpus théorique (métapopulations, métacommunautés, métaécosystèmes, états stables alternatifs et définition de groupes fonctionnels) sert de base aux expérimentations en vraie grandeur de l’écologie de la restauration, avec quelques succès comme le rétablissement de la continuité des rivières ou l’utilisation de plantes contre l’érosion des sols.

Enfin, quelques équipes s’impliquent également dans le développement de bio-senseurs utilisant des microorganismes pour abaisser à la fois le seuil de détection et le coût de la détection de contaminations environnementales diffuses.

B. Faiblesses

Les démarches de construction des typologies de fonctionnement des écosystèmes, reposant notamment sur la complexité et la diversité de leurs fonctions, restent encore balbutiantes. De nombreuses approches s’appuient en effet sur des démarches expérimentales (souvent coûteuses) et des écosystèmes pilotes, et sont destinées à décrypter des mécanismes plus qu’à fournir des modèles exhaustifs. De tels modèles sont pourtant nécessaires pour (i) tester, valider ou invalider les modèles construits en écologie fonctionnelle, et (ii) aider les gestionnaires dans leur mission de gestion raisonnée et restauration efficace des écosystèmes.

Ni les expérimentations ni les simulations concernant le changement global n’intègrent la dynamique du changement et le potentiel d’adaptation des communautés. Dans ce contexte, les réflexions visant à intégrer les démarches et concepts de l’écologie fonctionnelle, pour appréhender le succès de mesures de gestion pour la conservation ou la restauration des services écosystémiques en amont de leur mise en œuvre, sont encore inexistantes.

C. Enjeux scientifiques et sociétaux, et besoins pour y répondre

Les expériences à grande échelle et multi-compartiments sont de plus en plus nécessaires et requièrent une meilleure articulation entre les opérations de génie écologique, de restauration écologique et les questionnements des chercheurs de nos domaines. De nombreuses opérations sont ainsi conduites sans le cadre scientifique rigoureux qui permettrait d’en valoriser pleinement les résultats, en particulier en termes d’élucidation du fonctionnement des écosystèmes face à des altérations de grande ampleur (e.g., rôle fonctionnel de la biodiversité rare, utilisation de la modélisation pour simuler les trajectoires potentielles et estimation des incertitudes de ces trajectoires). Outre la rigueur du suivi scientifique, il manque à la plupart de ces opérations une analyse interdisciplinaire de l’objet écologique. Une telle démarche devrait reposer sur la construction d’une réflexion conjointe entre scientifiques et gestionnaires, intégrant la mise en place d’un phasage et la construction d’équipes pluridisciplinaires autour de l’analyse de ces opérations.

VII. Aléas et risques environnementaux

Les aléas et risques environnementaux mobilisent des chercheurs dans les différentes thématiques des SIC, aussi bien sur les aspects fondamentaux qu’appliqués et sur les outils d’observation que de modélisation.

Ainsi, concernant les crues et inondations, on peut noter des avancées sur la mesure des débits en crue via le traitement d’images vidéo et l’effort mené sur le retour d’expérience après les crues pour reconstituer ces débits extrêmes. La modélisation des crues éclairs progresse, notamment grâce à une meilleure prise en compte des caractéristiques hydrodynamiques des sols et sous-sol. Celle des inondations urbaines s’améliore également, en s’appuyant sur des modèles hydrauliques de macroporosité mobilisable rapidement en cas de crise. En termes de perspectives, en sus d’avancées sur la prévision météorologique qui impliquent partiellement les SIC, on peut noter le potentiel représenté par la disponibilité de données in situ ou télédétectées de l’humidité du sol ou le développement d’outils comme le satellite SWOT, qui devrait permettre des avancées via la cartographie des hauteurs d’eau en rivière et la détermination des zones inondées et des débits.

Les tempêtes et leurs dégâts sur les forêts ou les zones côtières (submersion) ont mobilisé des chercheurs de différents organismes pour mieux cerner les risques, voire pour proposer des solutions d’aménagement.

De nombreux travaux se sont focalisés sur les sécheresses, dont on anticipe une augmentation des fréquences dans un contexte de changement global. Cela inclut des travaux en écologie fonctionnelle sur la résistance de la végétation (en particulier forestière), sur des ré-analyses historiques des sécheresses combinant observations (in situ et satellitaires) et modélisations, et sur les conséquences des sécheresses sur les flux de carbone et autres effluents. Ces périodes extrêmes mobilisent des recherches pluridisciplinaires mêlant écologie, hydrologie, biogéochimie et socio-économie.

Depuis 2003, l’étude de l’occurrence des impacts et de l’adaptation aux vagues de chaleur (urbaine ou non) a pris une certaine ampleur. Elle associe des travaux sur l’écologie et l’hydrologie urbaine, sur les transferts d’énergie en zone urbaine, ainsi que sur les interactions avec les sciences économiques et sociales.

Un autre thème majeur est l’évolution des conditions de surfaces, que ce soit pour la répartition des écosystèmes, l’évolution du fonctionnement biogéochimique des sols ou les impacts hydrologiques. De nombreuses questions fondamentales restent posées, notamment sur l’interaction entre les cycles énergétiques, biogéochimiques et hydrologiques.

En plus des recherches fondamentales, un effort particulier est mené sur la modélisation, qui permet de projeter des scénarios. On peut citer par exemple le développement de modèles de niche pour la répartition des espèces terrestres ou aquatiques, et de modèles phénotypiques pour anticiper les modifications de croissance des cultures ou biogéochimiques pour comprendre le devenir des polluants dans des conditions différentes.

Les changements globaux vont influencer l’occurrence des aléas, incluant en particulier les feux, mouvements de terrain, avalanches et sécheresses/inondations, mais aussi la propagation de pestes ou de ravageurs.

Afin d’étudier l’évolution des phénomènes extrêmes ou rares, que ce soit dans un contexte de détection ou de projection, des traitements statistiques particuliers sont nécessaires, tant au niveau des grandes masses de données que de l’identification des extrêmes. Si une partie de la communauté française est bien présente sur ce thème, le transfert de ces méthodes vers des communautés plus larges reste un enjeu.

On peut enfin noter les efforts des chercheurs français dans le déploiement de « services climatiques » visant à diffuser au sein de la communauté scientifique (voire plus largement) les données et outils nécessaires à ces travaux pluridisciplinaires.

Conclusion

Après dix années d’existence de cette section, la preuve est faite qu’il est possible d’initier et d’évaluer des recherches dans le domaine de l’environnement à l’aide d’une section très pluridisciplinaire et inter-instituts. La communauté des chercheurs et IT a su se structurer non seulement autour d’objets communs (les SIC) mais aussi par intérêts scientifiques, l’approche interdisciplinaire étant la seule possible pour améliorer nos connaissances sur le fonctionnement de ces systèmes complexes.

Les dispositifs d’observation, d’expérimentation et de suivi à long terme gérés par l’INEE et par l’INSU couvrent désormais une gamme étendue d’objectifs et d’échelles. S’ils s’avèrent absolument essentiels pour l’essor des recherches sur les SIC, une harmonisation de ces outils impliquant une meilleure coordination entre instituts devient nécessaire pour les rendre synergiques et non redondants. Enfin, les DiPEE et les OSU mis en place respectivement par l’INEE et par l’INSU contribuent à structurer davantage les communautés et à favoriser l’inter-disciplinarité au sein des pôles régionaux de recherche et d’enseignement supérieur autour des sciences de l’environnement.

Annexe

Liste des sigles et des abréviations.

ANAEE : Infrastructure d’ANAlyses et Expérimentations sur les Écosystèmes
http://www.anaee-s.fr

ASTER-CEREGE : Plate-forme Equipex de géochimie isotopique
DiPEE : Dispositif de Partenariat en Écologie-Environnement
http://www.cnrs.fr/inee/recherche/dipee.htm
EC2CO : Écosphère Continentale et Côtière
http://www.insu.cnrs.fr/node/1497
EPD : European Pollen Database
FAPAR : Fraction of Absorbed Photosynthetically Active Radiation
H+ : Réseau National de sites Hydrogéologiques
http://hplus.ore.fr/accueil
HAP : Hydrocarbures Aromatiques Polycycliques
LAI : Leaf Area Index
LEFE : Les Enveloppes Fluides et l’Environnement
http://www.insu.cnrs.fr/lefe
LTER : Long Term Ecological Research
http://www.lter-europe.net
MET : Microscopie Électronique à TransmissionNano
SIMS : Secondary Ion Mass Spectrometer
NDVI : Normalized Difference Vegetation Index
ODP : Ocean Drilling Program
OHM : Observatoire Hommes-Milieux
http://www.ohm-inee.cnrs.fr
PCB : Polychlorobiphényles
PICT : Pollution Induced Community Tolerance
RBV : Réseau des Bassins Versants
ReNSEE : Réseau National de Stations d’Écologie Expérimentale
http://www.cnrs.fr/inee/outils/stations-ecologie-exp.htm
SIC : Surfaces et Interfaces Continentales
SIP : Stable Isotope Probing
SO : Service d’Observation
http://www.insu.cnrs.fr/node/1228
SOERE : Système d’Observation et d’Expérimentation pour la Recherche sur le long terme en Environnement
http://www.allenvi.fr/groupes-transversaux/infrastructures-de-recherche/les-soere2/gouvernance-et-financement
SONEL : Système d’Observation du Niveau des Eaux Littorales
http://www.sonel.org
SPEAR : SPEcies At Risk
SSD : Species Sensitivity Distributions
SWOT : Surface Water and Ocean Topography
ZA : Zone-Atelier
http://www.za-inee.org