Rapport de conjoncture 2014

Section 29 Biodiversité, évolution et adaptations biologiques : des macromolécules aux communautés

Extrait de la déclaration adoptée par le Comité national de la recherche scientifique réuni en session plénière extraordinaire le 11 juin 2014

La recherche est indispensable au développement des connaissances, au dynamisme économique ainsi qu’à l’entretien de l’esprit critique et démocratique. La pérennité des emplois scientifiques est indispensable à la liberté et la fécondité de la recherche. Le Comité national de la recherche scientifique rassemble tous les personnels de la recherche publique (chercheurs, enseignants-chercheurs, ingénieurs et techniciens). Ses membres, réunis en session plénière extraordinaire, demandent de toute urgence un plan pluriannuel ambitieux pour l’emploi scientifique. Ils affirment que la réduction continue de l’emploi scientifique est le résultat de choix politiques et non une conséquence de la conjoncture économique.

L’emploi scientifique est l’investissement d’avenir par excellence
Conserver en l’état le budget de l’enseignement supérieur et de la recherche revient à prolonger son déclin. Stabiliser les effectifs ne suffirait pas non plus à redynamiser la recherche : il faut envoyer un signe fort aux jeunes qui intègrent aujourd’hui l’enseignement supérieur en leur donnant les moyens et l’envie de faire de la recherche. On ne peut pas sacrifier les milliers de jeunes sans statut qui font la recherche d’aujourd’hui. Il faut de toute urgence résorber la précarité. Cela suppose la création, sur plusieurs années, de plusieurs milliers de postes supplémentaires dans le service public ainsi qu’une vraie politique d’incitation à l’emploi des docteurs dans le secteur privé, notamment industriel.

Composition de la section

Dominique Mouchiroud (présidente de section) ; Frédéric Mery (secrétaire scientifique) ; Vincent Bels ; François Bonhomme ; Denis Bourguet ; Chloé Bourmaud ; Anne Chenuil ; Catherine Damerval ; Patrick Durand ; Pierre Federici ; Yves Handrich ; Hélène Henri ; Thierry Heulin ; Nicolas Loeuille ; Violaine Nicolas-Colin ; Olga Otero ; Lluis Quintana-Murci ; Michel Raymond ; Frédéric Thomas ; Fabrice Vavre ; Xavier Vekemans.

Résumé

Les recherches menées dans les unités de la section 29 relèvent des Sciences de l’Écologie et de l’Évolution. Ces recherches, multi-modèles et multi-échelles, s’intéressent aux patrons et processus évolutifs permettant de comprendre la biodiversité actuelle et passée. Après une présentation des unités et du bilan des recrutements de la section au cours des quatre dernières années, le présent rapport décline dans une seconde partie, l’état des travaux menés dans les unités, sans chercher l’exhaustivité, mais en soulignant l’état de l’art, les perspectives et les points de blocage. Nous avons organisé le texte autour de trois grands thèmes : Biodiversité et Environnement, Histoire et évolution des populations et des espèces, Du génotype au phénotype : quel support pour l’évolution ? Bien que les recherches de la section soient essentiellement fondamentales, nos travaux apportent des éléments de réflexion et des réponses dans les débats et défis sociétaux actuels, comme souligné dans la rubrique « Évolution Appliquée ». Compte tenu de l’importance et de la diversité des outils et des approches développés au sein de la section, une partie de ce rapport (« Les Moyens/les Défis ») est dédiée à l’évolution de ces outils et aux moyens nécessaires pour leur mise en œuvre. Enfin, nous revenons dans la rubrique des « Besoins » sur le nécessaire soutien que nous attendons de nos tutelles pour accompagner ces évolutions, en particulier dans le domaine des « big data », dans un contexte particulièrement difficile de financement de la recherche et de l’emploi scientifique.

Introduction

La section 29 couvre un champ large et compétitif relevant essentiellement des Sciences de l’Écologie et de l’Évolution. Par essence, les recherches sont multi-modèles et multi-échelles et s’intéressent à tous les mécanismes qui sous-tendent les processus d’adaptation et d’évolution du vivant. Elles font interagir des questionnements sur les mécanismes proximaux (telle molécule interagit de telle manière avec telle autre, tel comportement déclenché par tel stimulus…) et leurs conséquences évolutives sur les traits des organismes et le fonctionnement des écosystèmes. Ces allers-retours entre patrons et processus évolutifs permettent de comprendre la biodiversité actuelle et passée et mettent en jeu de nombreuses disciplines scientifiques (génétique, génomique, bioinformatique, écologie, écophysiologie, microbiologie, paléontologie, modélisation).

I. Les unités de la section 29

A. Bilan des unités

Actuellement 30 unités de recherche ont pour rattachement principal la section 29 à laquelle s’ajoutent 2 structures fédératives de recherche, 7 GDR et 4 unités de service. L’essentiel des unités de recherche est composé d’UMR (23) mais on compte également 2 FRE, 1 UPR, 1 URA (Institut Pasteur), 1 UMI (Chili) et 2 USR. Les partenariats sont nombreux avec d’autres instituts du CNRS. L’étendue des approches allant des macromolécules aux communautés explique le lien fort avec l’INSB en tant que rattachement secondaire pour 24/30 des unités de recherche. Les partenaires autres que les universités sont l’INRA, l’IRD, le MNHN, l’Ifremer et l’Institut Pasteur. Les structures de recherche de la section 29 sont réparties sur le territoire ainsi qu’en Outre-Mer (Réunion, Guyane) avec une concentration plus importante dans les régions Île-de-France (8) et Languedoc-Roussillon (5). L’excellence des recherches des unités de la section 29 se traduit par des publications dans des journaux à très forte audience (Nature, Science, PNAS) mais également par le portage de projets fortement compétitifs (PIA, ERC).

B. Bilan des recrutements

De 2010 à 2014, la section 29 a recruté 42 chercheurs (31CR2/11 CR1). Ceci correspond en moyenne à 8 postes/an (CR2+CR1) pour une pression moyenne de 130 candidats/an. Les nouveaux entrants se répartissent dans 26 laboratoires dont 15 unités en rattachement premier à la section 29, 4 unités rattachées à une autre section de l’INEE (sections 30 ou 31) et 7 unités de l’INSB. Toutes les thématiques de la section 29 sont représentées : la paléontologie afin de comprendre la mise en place des grandes structures et fonctions, l’écophysiologie évolutive (sur des thématiques d’adaptation), la génétique (notamment la génomique de l’adaptation), la génétique et la génomique des populations (avec des développements théoriques), les relations hôtes/parasites (avec une forte évolution vers l’écologie de la santé), l’écologie évolutive et comportementale, l’écologie des communautés (avec des approches, à la fois expérimentales et théoriques), la génomique environnementale et l’évolution des génomes.

Le faible recrutement en ITA est un problème récurrent qui s’est accentué au cours des années. Actuellement, le soutien à la recherche assuré par des personnels non permanents CNRS dans les unités de la section 29 représente 32 % des personnels ITA. Le non-renouvellement des départs à la retraite conduit à une perte de technicité dans les unités qui ne peut pas être palliée par le recours à des personnels temporaires sur des contrats ANR ou des contrats européens.

II. Les enjeux scientifiques de la section 29

Pour un regard extérieur, il n’y a pas grand-chose en commun entre un biofilm bactérien, un œuf de dinosaure, une forêt tropicale ou un paon en train de faire la roue. Néanmoins à la contingence près, toutes les raisons qui font que ces organismes sont (ou étaient) là où ils sont, comme ils sont, en interagissant entre eux de la manière dont ils le font sont toutes analysables à l’aune des mêmes concepts en sciences de l’écologie et de l’évolution et, de plus en plus, des mêmes méthodes. Cette unification est en effet désormais réalisable au plan méthodologique grâce aux techniques à haut contenu informationnel dites « omiques ». L’intégration de toutes ces approches est en cours, et il est désormais possible de voir des paléontologues et des généticiens, ou bien encore des microbiologistes et des écologues des communautés avoir de fructueux échanges sur la base de jeux de données renouvelés.

Le présent rapport décline l’état de cette intégration en différents chapitres, en soulignant à chaque fois l’état de l’art, les perspectives et les points de blocage. Il est possible de souligner d’ores et déjà que ceux-ci ne sont pas tant liés à des percées technologiques mais plutôt, dès lors que l’accès à ces technologies est financé, à nos capacités d’êtres humains à traiter, choisir, résumer et donner du sens à ces masses d’informations. Ceci nécessite une révolution dans l’apprentissage et l’enseignement des savoirs et des pratiques qui doit être accompagnée par le CNRS, les universités et autres partenaires.

A. Biodiversité et environnement

Les organismes évoluent dans un environnement changeant, soumis à différents facteurs biotiques et abiotiques qui exercent des pressions sélectives qui (co)varient dans le temps et dans l’espace. Lorsque ces variations sont rapides (dynamique co-évolutive, changement global), elles offrent des opportunités uniques de comprendre en temps réel les mécanismes de l’adaptation, de l’échelle du gène à celle de la communauté. De telles variations rapides, peuvent également être observées dans le cadre des interactions durables par les pressions de sélection majeures imposées aux protagonistes. Enfin les variations de l’environnement imposent aux organismes de faire des choix quant aux informations reçues afin d’adapter leur comportement. Cette relation entre changement écologique, adaptation et évolution est une question fondamentale abordée par la section 29.

1. Dynamique éco-évolutive

Les travaux empiriques récents tendent à montrer que les échelles de temps écologiques (dynamique démographique des populations) et évolutives (variations des génotypes et des phénotypes) sont dans une large mesure comparables. Ainsi, la question des rétroactions entre les changements de densité des populations d’une communauté et ceux de la composition phénotypique des populations concernées se pose de façon aiguë. Ces travaux montrent par exemple que l’évolution rapide des populations peut affecter la stabilité ou la cyclicité de leur dynamique, la prédictibilité de leurs réactions aux changements environnementaux, ou encore leur réponse aux changements de gestion imposés par l’homme. Ces développements empiriques récents sont également l’occasion de comparaisons étroites avec des modèles de théorie des jeux, de dynamique adaptative ou de génétique quantitative, faisant de ce champ de l’écologie un ensemble intégratif, permettant le développement de concepts d’évolution appliquée.

2. Effet des changements globaux

L’accélération des effets des changements globaux est constatée à la fois sur l’environnement et sur les communautés microbiennes, animales et végétales. En dehors de leurs impacts sociétaux (parag. D), un des intérêts principaux en écologie évolutive est que ces modifications climatiques et/ou anthropiques exercent une pression sélective comme une autre, mais particulièrement intense et rapide. D’où l’importance donnée ces dernières années à l’étude de la plasticité phénotypique, de la micro-évolution ou des mécanismes épigénétiques comme réponse adaptative à ces changements rapides (résistance aux stress ou changement des traits d’histoire de vie).

Ces réponses sont complexes et connectées, car la plasticité phénotypique peut elle-même être déterminée génétiquement, et l’épigénétique englobe des mécanismes aussi différents que des modifications de l’expression génique non codée dans la séquence de l’ADN, la transmission verticale de virus ou l’apprentissage social. L’intégration de cette complexité suppose une approche de génétique quantitative en milieu naturel, afin de pouvoir discerner la part des mécanismes évolutifs d’origine génétique (micro-évolution), ou phénotypique (plasticité). Enfin, des études mettent en avant l’importance de microcycles (circadien) ou la non-proportionnalité des normes de réaction (résonance phénotypique) dans l’émergence de résistance ou d’acclimatation, avec un effet souvent trans-générationnel.

Prévoir les conséquences des changements globaux nécessite à la fois des séries temporelles en conditions contrôlées et en milieu naturel et une approche résolument évolutive, pluridisciplinaire (de la molécule aux populations et réseaux sociaux) et transdisciplinaire (biologie moléculaire, écologie, mathématique, sciences humaines et sociales).

3. Biodiversité et interactions durables

Les interactions durables jouent également un rôle fondamental dans la dynamique de la biodiversité du fait de la potentielle rapidité des phénomènes épidémiologiques et évolutifs qu’elles engendrent. Ces interactions imposent des pressions sélectives majeures sur les hôtes. Le séquençage massif, couplé aux outils de la phylogénie et de l’évolution moléculaire, permet d’analyser conjointement les dynamiques écologiques et évolutives à différents niveaux d’organisation (intra et inter-hôtes), leurs interactions (e.g. boucles de rétroactions épidémiologiques), et leur évolution (e.g. virulence optimale). L’application des approches fonctionnelles au domaine des interactions durables permet enfin d’ouvrir les boîtes noires des mécanismes. Couplées aux approches d’évolution expérimentale, elles constituent un outil puissant pour l’étude de la co-évolution et permettent de déterminer quelles sont les voies impliquées dans la virulence, la résistance, la tolérance, ou encore dans l’apport de nouvelles fonctions par les mutualistes.

Enfin, les interactions durables ont trop souvent été considérées comme des interactions binaires. L’échelle des recherches doit se positionner sur les communautés de partenaires, qui comprennent différents hôtes, différents parasites et pathogènes, ainsi que les microbiotes associés. Par exemple, la protection conférée par des symbiotes mutualistes apparaît comme une nouvelle branche du système immunitaire. Le séquençage massif offre des opportunités nouvelles pour décrire ces communautés et comprendre les interactions synergiques ou antagonistes entre et au sein des communautés parasitaires et commensales, et la contribution de ces organismes au phénotype étendu de cet individu écosystème (ou holobionte). La compréhension du fonctionnement et de l’évolution de ces communautés symbiotiques demandera des développements importants tant du point de vue technique que conceptuel et devra s’appuyer sur les domaines de l’écologie microbienne, de l’écologie et de la génétique des communautés.

4. Écologie et génétique des communautés

En effet, il est désormais possible d’accéder à la diversité spécifique d’un milieu en un temps record, sa biocénose pouvant ainsi être criblée de manière qualitative et quantitative, tous taxons confondus, grâce aux techniques de métabarcoding (cf. expédition Tara océans). Cette approche basée sur le séquençage massif permet d’accéder à la diversité des microorganismes (bactéries, virus), mais également à celle difficilement observable des méiofaunes aquatiques, du sol et des litières, dans lesquelles existent de nombreuses espèces dites cryptiques. Cela permet également de mettre en évidence des espèces sœurs (complexe d’espèces) ou encore de caractériser des espèces présentant divers stades de vie à morphologies variées (larves, organismes à cycles de vie complexes). Enfin cette approche conduit à l’identification d’espèces de la macrofaune ou de la macroflore via leurs traces ADN dans le milieu (fèces, poils, graines, racines). Le métabarcoding permet ainsi d’accéder non seulement à la structure des communautés, mais également aux réseaux trophiques dans un écosystème donné. L’INEE a soutenu le développement de ces approches dans le cadre du Réseau Thématique Pluridisciplinaire (RTP) « Génomique Environnementale »

Ces capacités descriptives accrues permettent également d’aborder une question importante de l’écologie évolutive actuelle : comprendre comment les diversités aux différentes échelles d’organisation peuvent être liées. De nombreuses études actuelles montrent par exemple que la variabilité génétique de certaines espèces peut influencer la forme des réseaux d’interactions, les distributions d’abondances et le maintien de la diversité spécifique à l’échelle de la communauté. Par exemple, pour une espèce d’arbre donnée, le génotype peut contraindre le réseau d’herbivorie associé, ainsi que le recyclage des nutriments et la faune du sol associée. Ces changements de structure de communautés ou de fonctionnement de l’écosystème peuvent mener à une rétroaction négative (accumulation des ennemis) ou positive (relations de facilitation) de l’organisme sur son environnement, contraignant alors l’évolution de la construction de niche de l’espèce. À l’inverse, la diversité génétique pour une espèce donnée est largement contrainte par la diversité spécifique de la communauté dans laquelle elle s’inscrit. La présence d’une grande diversité d’interacteurs peut par exemple maintenir un ensemble de pressions de sélection contradictoires, menant alors à un régime global de sélection disruptive qui aide au maintien de la diversité génétique. A contrario, dans une communauté plus pauvre en espèces, une sélection directionnelle peut avoir lieu, en lien avec la présence de quelques interactions fortes, et éroder la variabilité génétique. La compréhension des liens entre diversité génétique et spécifique est donc un enjeu actuel important.

5. Biologie du comportement

En interagissant avec son environnement, un individu est contraint de faire des choix quant aux informations (sociales obtenues par interaction avec d’autres individus, personnelles cumulées par l’individu lors de processus d’essais et d’erreurs…) qu’il va assimiler et quant au comportement à adopter selon les situations. En intégrant à la fois des approches de biologie comportementale, de génétique, de neurobiologie et des sciences sociales de nombreux programmes de recherche tentent de comprendre comment interagissent ces différentes sources d’information et comment les individus adaptent leurs comportements à des conditions environnementales variées. Par le développement de modèles théoriques, d’approches expérimentales et de travaux de terrain, il s’agit de comprendre non seulement la valeur adaptative de tel ou tel comportement mais aussi leur origine et le maintien de leur diversité.

Ces dernières années, on remarque l’émergence de nouvelles voies de recherches originales et porteuses et une radiation des questions scientifiques posées. Ces recherches intégratives abordent par exemple l’étude des syndromes comportementaux (évolution conjointe d’un comportement et d’autres traits phénotypiques), l’origine et le maintien de la diversité comportementale interindividuelle au sein de même population, le lien entre stratégie comportementale et prophylaxie, ou encore l’impact de la plasticité comportementale sur la valeur sélective des individus.

Un aspect important de la biologie du comportement actuelle est de ne plus étudier l’individu comme une entité isolée de son contexte social et interagissant avec un environnement statique mais d’analyser son comportement dans un scénario dynamique d’interactions sociales et environnementales. Au sein de son groupe, un individu peut être considéré comme une partie, un nœud d’un réseau d’interactions sociales ayant des natures, des forces ou des dynamiques différentes. La structure d’un réseau social peut avoir un grand impact sur l’écologie et l’évolution des individus, des populations ou des espèces, et s’insère dans le domaine émergent de l’hérédité non-génétique.

B. Histoire et évolution des populations et des espèces

Placés au cœur des thématiques de la section 29, les travaux sur l’histoire et l’évolution des populations et des espèces s’appuient sur une large gamme d’outils et d’études, des analyses comparatives des génomes à l’exploration des formes des organismes actuels et anciens. Ils recouvrent des aspects historiques à différentes échelles de temps (moyen, long), descriptifs (population, espèce) et intégrés (paléo-éco-évo-dévo) et concernent toute la biodiversité. Le développement de méthodes mathématiques vise à élucider les taux de diversification, les radiations, l’impact évolutif des innovations morphologiques et plus généralement, à comprendre les différents processus opérant depuis l’échelle micro-évolutive à l’échelle macro-évolutive.

1. Histoire démographique et adaptative des populations

Les récentes améliorations technologiques en génomique ont permis d’obtenir des données de polymorphismes génétiques à l’échelle du génome entier, permettant ainsi d’évaluer l’impact des processus démographiques et sélectifs sur la variabilité génomique des espèces, en s’affranchissant des biais liés au choix des régions génomiques étudiées. Au cours de ces dernières années, un grand nombre de travaux se sont concentrés sur l’intégration de ces données génomiques en développant des outils méthodologiques complexes comme les approches bayésiennes ou l’emploi de statistiques composites. Ces analyses ont permis de mieux documenter l’effet sur le génome des événements démographiques comme les périodes de croissance démographique, de goulot d’étranglement, d’isolement ou de fusion de populations, ainsi que de mieux appréhender l’étendue de la sélection naturelle à l’échelle du génome entier et de déterminer les fonctions biologiques ciblées.

En dépit des progrès réalisés, un effort important de développement méthodologique reste à fournir afin de déterminer la contribution des différents mécanismes d’adaptation biologique à l’environnement. Parmi ces modèles d’adaptation, on peut compter les modèles classiques de balayage sélectifs complets, mais aussi les modèles alternatifs comme l’adaptation polygénique, la sélection d’allèles préexistants (standing variation) devenant avantageux et l’introgression adaptative. À terme, l’analyse de ces résultats et le développement et l’amélioration des procédures de datation moléculaire permettront d’établir un lien entre changements démographiques historiques, changements environnementaux et phénomènes d’adaptation (ou de « maladaptation ») biologique.

Parallèlement, le séquençage massif a permis le développement de la paléogénomique. Ainsi plusieurs génomes anciens d’animaux, comme le cheval et le mammouth, d’organismes pathogènes sont désormais disponibles. Le séquençage de génomes des lignées humaines actuellement éteintes, celles de Néanderthal et de Denisova notamment, a révolutionné la vision de l’histoire évolutive de notre espèce et du peuplement de l’Eurasie (phylogéographie). Ces génomes révèlent des événements d’introgression génétique entre lignées humaines ainsi que l’évolution des répertoires géniques et leur rôle dans les phénomènes d’adaptation/spéciation. Ainsi la paléogénomique laisse entrevoir de grandes avancées dans la compréhension de ces processus, en permettant d’évaluer les effets démographiques et d’identifier les régions génomiques soumises à des pressions de sélection. Ceci est particulièrement bien illustré dans le cas des recherches sur le syndrome de domestication par exemple.

2. Spéciation – modélisation

Appréhender l’histoire et l’évolution des espèces nécessite de mieux comprendre les mécanismes de spéciation. Le développement d’approches probabilistes intégrant des modèles de plus en plus complexes, permet une meilleure exploration des scénarios conduisant à des événements de spéciation. Ainsi, des approches associant des modèles coalescents (généalogie) à des modèles de spéciation permettent de mieux appréhender les contours des espèces et leurs relations de parenté. La génomique donne accès à une masse considérable de données nouvelles sur l’architecture génétique de la divergence entre espèces. Des approches théoriques cherchent ainsi à comprendre comment s’organise cette architecture à l’échelle des génomes lors d’épisodes de spéciation. Il s’agit par exemple, à partir de simulations stochastiques, de quantifier la progression de la divergence à partir de régions très localisées jusqu’à l’ensemble du génome, et ainsi de prédire l’étendue des fenêtres de différenciation autour des loci faisant barrière aux flux de gènes. Ces approches incluent différents scénarios (divergence avec ou sans flux de gènes, en allopatrie ou en parapatrie, neutre ou adaptative…). Ces travaux permettent de caractériser la différenciation attendue lors d’épisodes adaptatifs, et d’identifier des signatures génomiques de la sélection. À l’échelle macroévolutive, les reconstructions phylogénétiques et les analyses de génomique comparatives peuvent révéler des changements évolutifs clés dans l’évolution (génomiques, morphologiques, éthologiques, physiologiques…). De telles études offrent l’opportunité de voir si les événements de spéciation sont ou non systématiquement concomitants à l’acquisition de ces caractères et à l’exploitation de nouvelles niches et ainsi d’évaluer l’importance de l’adaptation et des phénomènes de spéciation écologique vs. les phénomènes de vicariance géographique dans les processus de diversification.

3. Phylogénomique

La reconstitution de l’histoire évolutive du vivant ne peut pas reposer sur l’utilisation d’un marqueur unique. Du fait de phénomènes tels que le tri incomplet de lignées, la duplication suivie de pertes sélectives ou les transferts horizontaux, il est fréquent que l’histoire évolutive d’un gène ne reflète qu’imparfaitement l’histoire des organismes qui le porte. La phylogénomique (phylogénie de génomes complets) constitue dans ce cadre l’une des approches les plus prometteuses de la phylogénie moléculaire. Trois approches en phylogénomique ont été développées : i) l’utilisation des contenus en gènes, ii) la concaténation de gènes homologues et iii) l’utilisation d’un ensemble d’arbres de gènes individuels. Des résultats majeurs ont été obtenus, que ce soit au niveau de la reconstruction des grandes divisions du vivant ou bien des familles de gènes d’intérêt biologique.

Un problème persistant est que chacune des trois approches revient à combiner entre elles des données fréquemment discordantes. Leur cohérence n’est donc pas garantie. Pour pallier ce problème, la phylogénomique a donc amorcé une nouvelle mutation qui consiste désormais à prendre en compte les phénomènes responsables des différences observées entre arbres de gènes et arbres d’espèces (polymorphisme, duplications et transferts horizontaux). L’idée forte est que s’il est possible d’élaborer des modèles d’évolution intégrant ces phénomènes, alors il sera alors possible de résoudre conjointement phylogénies de gènes et phylogénies d’espèces, et ceci avec un degré de résolution inégalé jusqu’alors. Cette démarche a reçu le nom de phylogénomique intégrative.

4. Dynamique des génomes

L’obtention d’un nombre de plus en plus important de génomes complets à l’échelle du vivant a également permis par approche comparative d’aborder les mécanismes évolutifs (duplications, réarrangements, transferts horizontaux, mobilisation des éléments transposables…) liés à la dynamique des génomes (taille, composition en base, nombre de gènes et d’éléments transposables). Ces relations sont abordées à l’échelle macro et microévolutive afin d’identifier notamment le rôle des duplications (locales ou globales) dans la mise en place d’innovations fonctionnelles ou dans les mécanismes de spéciation (taux de diversification). Ainsi de nombreux travaux mettent en relation l’évolution des répertoires géniques et des réseaux de gènes avec les caractéristiques physiologiques, pathologiques et écologiques des organismes. Les développements récents étudient par exemple le rôle des transferts horizontaux entre hôtes et symbiotes/parasites dans l’apparition de voies métaboliques originales.

Ces données génomiques ont également permis d’aborder les relations entre environnement, écologie des organismes et dynamique des génomes. La composition en acides aminés des protéomes et/ou celle en bases des génomes est corrélée à des facteurs environnementaux (température) ou des traits d’histoire de vie (taille efficace des populations, masse corporelle, longévité) suggérant une forte influence des seconds sur l’évolution des premiers. L’archéologie génomique a ainsi pour objectif de rechercher dans les génomes actuels l’empreinte des phénotypes passés. La génomique comparative offre le moyen d’interroger ces empreintes afin de reconstruire des phénotypes passés, mais également de révéler des liens entre génotypes et phénotypes. Il devient possible de mettre en évidence des associations et des corrélations entre altérations génomiques passées (duplications, pertes et transferts horizontaux de gènes, biais de composition en bases, insertions-délétions, et réarrangements chromosomiques) et phénotypes actuels (régimes alimentaires, mode de vie aérobie/anaérobie, température, aquatiques et aériens, piézophilie/halophilie, vitesse de croissance lente/rapide). Au niveau fonctionnel, la modélisation et l’identification des différents facteurs favorisant la co-évolution entre gènes devraient également nous renseigner sur l’organisation des chromosomes ancestraux (l’ancestrome) et la fonction de gènes hypothétiques. De ces développements pourront découler la reconstruction de réseaux d’interactions ou métaboliques ancestraux qui permettront de poser des hypothèses sur les environnements anciens.

5. Paléontologie

L’étude des fossiles concourt également à la compréhension des mécanismes de l’évolution sur des aspects phylogénétiques, phylo/bio-géographiques, et de « paléo-évo-dévo ». L’étude morphologique des fossiles a connu ces dernières décennies des développements considérables grâce notamment aux outils d’analyse morphométrique qui peuvent s’appliquer dans des conditions similaires à des représentants actuels et fossiles de mêmes groupes. Ainsi l’étude des structures et des morphologies des spécimens fossiles en imagerie 3D grâce à la micro-tomographie pourrait assurer un nouveau saut qualitatif dans l’intégration des données fossiles et modernes dans l’étude de l’évolution. Le chercheur a potentiellement accès à toute une gamme d’équipement CT (computerized tomography) et d’outils d’imagerie permettant de répondre à la diversité des objets (de dimension, densité et contraste variables) et de travailler selon les besoins sur leur forme et/ou leur structure en 3D. Le corpus des données disponibles concerne maintenant des populations fossiles ou encore des spécimens en nombre dans une même lignée. Ces nouvelles technologies vont permettre de répondre à des questions d’évolution de premier plan en intégrant complètement actuels et fossiles. Ainsi, via des modélisations biomécaniques et de paléohistologies couplées ou non, nous pourrons étudier la dimension temporelle de l’évolution sur les trajectoires ontogénétiques et l’impact du programme de développement sur l’évolution et l’adaptation.

C. Du génotype au phénotype : quel support pour l’évolution ?

Entre le phénotype appréhendé au niveau macroscopique et le génome d’un individu, existent toute une série de niveaux d’expression génétique, plus ou moins interactifs et connectés, entre eux et avec les signaux de l’environnement. Cet environnement comprend également l’ensemble du microbiote, extension importante du génome, dont les répercussions phénotypiques commencent à être appréhendées. Dans ce cadre, les méthodes « haut débit » (génomique, épigénomique, transcriptomique, protéomique, métabolomique) appliquées à des dispositifs expérimentaux adéquats, produisent des données de polymorphisme et/ou de divergence à ces différents niveaux. Ces données vont permettre d’aborder la question de l’évolution du phénotype par des approches intégrées, combinant approches comparatives, modélisation, (gén)omique des populations et (gén)omique environnementale.

Ces informations sont fondamentales pour éclairer le débat sur les rôles respectifs des mutations et des épimutations (et à plus grande échelle de l’hérédité génétique et non-génétique) dans l’évolution adaptative. Il s’agit en particulier d’appréhender les composantes épigénétiques (ensemble des modifications héritables de l’expression du génome sans modification de l’ADN) et culturelles (partie de la variation phénotypique transmise entre générations par apprentissage social) (parag. A5) dans ces processus, et ceci dans le contexte des interactions organisme-environnement. L’INEE soutient le développement de cet axe de recherche dans le cadre du RTP « Épigénétique en Écologie et Évolution ».

1. Génomique des populations – génomique fonctionnelle

L’un des objectifs de la génomique des populations est d’identifier les phénotypes adaptatifs permettant aux espèces de mieux survivre dans un environnement spécifique. Au cours de ces dernières années, des progrès majeurs ont été réalisés dans la détection des événements d’adaptation génétique à l’environnement, grâce aux scans de signatures de sélection à l’échelle de génomes complets. Cependant, les déterminants moléculaires de l’adaptation biologique et les phénotypes associés aux signaux de sélection restent pour la plupart largement méconnus, soulignant la nécessité d’établir des relations « génotype-phénotype » plus précises. Dans ce cadre, les études d’association pangénomique (ou GWAS) ont permis de caractériser l’architecture génétique de certains traits ou maladies.

Les bases génétiques complexes de la plupart des phénotypes macroscopiques (à l’échelle de l’organisme) ainsi que le manque de puissance statistique continuent toutefois à limiter la compréhension du lien entre phénotype et génotype. Une stratégie alternative consiste à étudier des phénotypes moléculaires intermédiaires, comme l’expression génique ou les marques épigénétiques. Il est ainsi possible d’identifier les bases génétiques de la variation d’expression génique, aussi bien au niveau de l’ARN que des protéines (par eQTL ou pQTL mapping), et de la variabilité épigénétique comme les profils de méthylation (par meQTL mapping). L’intégration de ces données avec des données de scans-génomique nous permettra d’identifier des phénotypes moléculaires adaptatifs, première étape dans l’identification de phénotypes adaptatifs macroscopiques. Les nouvelles approches d’identification d’« eQTL de réponse » (i.e. génotype ayant un effet sur le phénotype moléculaire seulement en présence d’un stimulus environnemental, tel que les radiations UV ou les infections par des pathogènes) se sont avérées très utiles dans l’identification des phénotypes adaptatifs ainsi que dans la compréhension de l’impact de l’environnement sur les relations génotype-phénotype.

2. Canalisation, plasticité, évolvabilité

Le phénotype est un ensemble intégré de caractères en interactions plus ou moins étroites. Qu’elles soient d’origine génétique (e.g. linkage, pléiotropie), fonctionnelle (e.g. compromis d’allocations de ressources) ou développementale (e.g. étapes d’une succession temporelle), ces interactions sont autant de contraintes potentielles à l’évolution des caractères. La structure des contraintes est révélée au niveau génétique par la matrice des variances – covariances entre caractères (matrice G). Certains traits d’histoire de vie peuvent être corrélés négativement (trade-offs). Les différences de variance génétique et d’évolvabilité (capacité à évoluer) entre de tels caractères vont influencer les trajectoires évolutives. Ainsi la valeur prédictive de la matrice dépend de l’architecture génétique des caractères et donc des mécanismes moléculaires et physiologiques sous-jacents (en particulier réseaux de gènes/produits). Par ailleurs, il existe un nombre croissant d’exemples montrant que la plasticité phénotypique peut changer la structure de la matrice G. Les prédictions sur l’évolution des caractères en environnement changeant doivent donc prendre en compte les normes deréactions.

D’autres axes de recherche concernent par exemple l’influence de la variation des traits d’histoire de vie sur l’évolution des réseaux de gènes et de leurs produits. Les études expérimentales visant à mieux comprendre l’architecture génétique et moléculaire (importance des interactions entre gènes telles que la pléiotropie et l’épistasie) de n’importe quel type de traits d’importance et à rechercher des « gènes de plasticité » sont appelées à se multiplier parallèlement à des approches de modélisation. En effet, la plasticité intervient conjointement avec l’adaptation génétique dans la réponse des organismes aux changements environnementaux. Divers travaux concernent la part relative de ces deux stratégies dans cette réponse, le rôle de la plasticité dans l’adaptation (assimilation génétique), son origine développementale et génétique, son coût potentiel associé aux compromis entre traits d’histoire de vie et l’évolution des normes de réactions. Le lien entre plasticité et canalisation (i.e. stabilité du développement face au « bruit » génétique) est complexe et reste à explorer. En effet, certaines études théoriques ont montré que la canalisation pouvait favoriser ou limiter la capacité d’une population à s’adapter à un nouvel environnement. À ce titre les études d’évolution expérimentale, qui permettent un aller-retour entre données de l’expérience et approches théoriques, paraissent particulièrement prometteuses.

3. Holobionte/phénotype étendu

L’émergence des concepts d’holobionte (l’organisme focal et son microbiote) et d’hologénome (l’ensemble des génomes de tous ces organismes) remet aujourd’hui au centre des investigations la notion de phénotype étendu. Les preuves s’accumulent sur l’ensemble des traits potentiellement influencés par le microbiote (métabolisme, reproduction, immunité, comportement) et les conséquences de son dysfonctionnement (diabète, obésité). Si l’individu est une chimère qui constitue un niveau de sélection particulièrement important, sa composition varie dans le temps et dans l’espace, et sa transmission est hétérogène (horizontale vs verticale ; bi-parentale vs uni-parentale). L’analyse du phénotype doit prendre en compte l’ensemble des partenaires et déterminer la valeur adaptative ou non du phénotype pour chacun d’entre eux : l’holobionte est aussi un espace de conflit. Parmi les défis à relever pour le futur, notons par exemple l’élucidation des facteurs impliqués dans la formation et la composition du microbiote, sa transmission, son rôle dans l’expression du phénotype et notamment dans l’adaptation à court (plasticité du microbiote et effets phénotypiques associés) ou à long terme (intégration, radiation, spéciation). Ces études sur l’holobionte révolutionnent la vision que nous avons sur le rôle des microorganismes dans le développement, la reproduction et la santé de leur hôte.

D. Évolution appliquée

Les travaux de recherche en biologie évolutive humaine et en écologie évolutive apportent des éléments de réflexion dans les débats et défis sociétaux actuels. Ils permettent notamment de replacer l’homme dans le contexte historique de son évolution et dans les environnements dans lesquels il évolue. Par ailleurs, la compréhension des effets des perturbations (e.g. changement climatique, eutrophisation, fragmentation) généralement regroupées sous l’appellation « changements globaux » est un enjeu sociétal et politique important auquel l’écologie en tant que science doit répondre. Ces changements globaux sont autant de pressions de sélection naturelles sur les espèces vivant dans les écosystèmes. La compréhension des dynamiques évolutives liées à de telles perturbations prend une place importante dans la gestion de ces défis sociétaux, proposant un lien fort entre recherche en écologie évolutive et écologie appliquée.

1. Biologie évolutive humaine

La biologie évolutive humaine, extension de la biologie évolutive à l’espèce humaine, a pour ambition de comprendre les différents traits culturels et comportementaux dans le cadre théorique consensuel de l’évolution darwinienne. Différentes thématiques sont actuellement en plein développement, comme l’origine de la coopération dans les grands groupes, l’origine de la moralité et du sentiment de justice, l’origine et le développement des sociétés stratifiées, les déterminants de l’agriculture, les déterminants des choix du partenaire et de la formation des couples ou l’origine de la préférence sexuelle. D’autres thèmes commencent à être abordés, comme l’origine et l’évolution des religions et du langage. Les approches de modélisation sont largement utilisées, ainsi que des analyses comparatives intra- et inter-culturelles, des suivis de cohortes, des expérimentations (e.g. de type économie expérimentale).

L’ensemble de ces sujets, par essence interdisciplinaires avec les SHS, y compris avec la primatologie à titre comparatif et évolutionniste, représente un défi sociétal à fort impact médiatique. Ainsi, l’apport scientifique de la biologie évolutionniste devrait être plus visible dans certains débats de société, comme par exemple les différences hommes-femmes, et les différences entre les groupes humains.

2. Médecine Évolutionniste

L’application des sciences de l’écologie et de l’évolution aux questions de santé humaine, ou médecine évolutionniste, est une discipline en plein essor au niveau international ayant également débuté en France. La médecine est un savoir appliqué à l’extension de la longévité de chaque individu, en toutes circonstances (maladie, accident, vieillesse). Ce savoir est dynamique et change au cours des siècles. Comprendre les adaptations humaines, au niveau parasitaire, alimentaire, environnemental, social, cognitif, est un moyen de progresser. De plus, certaines de ces adaptations sont localisées (e.g. au niveau alimentaire ou parasitaire) ce qui conduit naturellement à la notion de médecine régionalisée, voire individualisée. Les compromis évolutifs qui entrent en jeu sont particulièrement importants à comprendre, comme le montrent les liens entre l’allergie et la diminution de parasites dans notre environnement.

Cette connaissance des adaptations humaines et de leurs interactions est d’autant plus cruciale que les grands changements du siècle dernier (au niveau environnemental, alimentaire, parasitaire et social) sont associés à plusieurs « pathologies » ou « épidémies » (obésité, allergies, cancers, maladie d’Alzheimer, myopie), sans que les véritables causes soient bien comprises. Il y a donc un véritable enjeu de société : aborder les problèmes médicaux en y associant étroitement une approche évolutionniste. Le croisement inédit entre les sciences médicales et les sciences de l’évolution a commencé à apporter un renouveau dans le monde médical, en apportant un corpus théorique largement éprouvé dans la compréhension du monde vivant.

3. Écologie de la santé

Les changements globaux que nous vivons entraînent deux crises majeures, une crise écologique marquée par une extinction massive de la biodiversité et une crise sanitaire marquée par l’émergence ou la ré-émergence de pathogènes. Ainsi, l’étude des liens entre l’environnement, les écosystèmes et les agents étiologiques responsables de maladies dans les populations humaines, animales et végétales est devenue un domaine de recherche qui a marqué ces quatre dernières années. Toute forme de gestion de milieu a pour conséquences, souhaitées ou non, d’être favorables à certaines espèces et défavorables ou neutres pour d’autres. Lorsque les espèces favorisées jouent un rôle prépondérant dans la réalisation du cycle de vie d’un pathogène, ce dernier se trouve directement avantagé par le mode de gestion. Les objectifs des recherches ont été d’apporter des connaissances permettant la mise en place d’une gestion des écosystèmes favorable au maintien de la biodiversité tout en prenant en compte les risques de transmission de pathogènes aux populations, et ce, dans le contexte des changements climatiques actuels. Ces recherches soutenues par l’INEE (Projet Exploratoires Pluridisciplinaires « Écologie de la Santé » en 2014) s’effectuent dans le cadre de collaborations étroites entre écologistes de la santé, biologistes de la conservation et les différents acteurs de la santé publique et vétérinaire.

Dans ce cadre, l’étude des interactions hôtes-pathogènes (sensu lato) et de l’influence des activités humaines sur ces interactions est au centre des questions relatives aux risques d’émergence des maladies infectieuses et au contrôle des populations de ravageurs des cultures. L’analyse des processus adaptatifs impliqués dans ces interactions est un prérequis fondamental pour comprendre l’évolution de ces systèmes biologiques, la distribution spatio-temporelle et l’épidémiologie/dynamique des populations des pathogènes et des ravageurs associés. Les recherches à venir dans ce domaine devraient combiner des approches moléculaires (génomique et transcriptomique des populations) et expérimentales (évolution des traits d’histoire de vie, immunologie, génétique quantitative). L’agriculture induit sur les populations naturelles de pathogènes (phytophages, adventices…) des pressions de sélection fortes comme la variabilité des ressources (récolte, rotation des cultures), la résistance (sélectionnée par l’homme) des plantes hôtes cultivées ou encore les produits phytosanitaires destinés à les contrôler. Elle a par exemple sélectionné parmi les 500 000 espèces d’arthropodes phytophages estimées, environ 10 000 espèces aux caractères de fécondité, de survie et de stratégie alimentaire qui en font des ravageurs importants.

Ce constat débouche sur de grandes questions de recherches : comment une espèce devient-elle un ravageur agronomique et/ou un pathogène humain ? Quels sont les traits et les gènes soumis à sélection chez ces ravageurs/pathogènes notamment sous l’influence des moyens de contrôles (pesticides, drogues, agents de lutte biologiques) ? Quels sont les mécanismes sous-jacents aux relations « plante/insecte » particulièrement réussies (pour les arthropodes) ? Les changements globaux liés aux activités humaines sont une autre source importante de modifications des interactions « hôtes-pathogènes ». Ils augmentent notamment les risques de (ré-) émergence de zoonoses et devraient modifier les patrons de distribution des pathogènes (humains aussi bien qu’agricoles). Ces changements climatiques ouvrent de nombreuses questions de recherches comme i) la recherche de gènes impliqués dans l’adaptation à la température, à l’aridité… ii) les changements de distribution d’espèces par modélisation des niches écologiques et iii) l’impact des changements climatiques sur les traits d’histoire de vie.

4. Biologie de l’invasion

Comprendre les causes des invasions est devenu une priorité des politiques environnementales afin notamment de mieux prédire et contrôler les nouvelles invasions. En effet, les populations envahissantes se retrouvent dans un nouvel environnement (abiotique et/ou biotique) après des événements de migration parfois complexes. Pour intégrer le rôle possible de l’évolution dans les processus invasifs, il est nécessaire de s’intéresser aux traits soumis à sélection chez les espèces envahissantes, d’étudier les compromis qui contraignent leur évolution, de mesurer leur potentiel adaptatif et d’identifier les facteurs qui les façonnent (introductions multiples, hybridation, introgression, système de reproduction, investissement dans l’immunité). Les invasions peuvent alors être vues comme des expériences naturelles permettant d’étudier des mécanismes fondamentaux à l’œuvre dans les processus évolutifs.

Les recherches à venir sur les invasions biologiques devraient notamment porter sur i) le lien entre génotype et phénotype en prenant en compte l’histoire démographique des espèces envahissantes, ii) le rôle du parasitisme et des modifications immunologiques associées dans le succès des invasions, iii) l’identification possible des régions du génome impliquées dans l’adaptation durant l’invasion, iv) le rôle potentiel des communautés natives dans le processus d’invasion (hypothèses de compétition interspécifique et de résistance biotique) et v) l’estimation des risques d’invasion biologique par des approches de modélisation de niches écologiques.

5. Biologie de la conservation

Dans le domaine de la conservation, les perspectives d’évolution appliquée sont assez nombreuses, tant pour le maintien des espèces directement exploitées par l’homme (e.g. chasse, pêche) que pour celles qui sont rares et que l’homme chercherait à sauver de l’extinction. Concernant les premières, de nombreux effets évolutifs de l’exploitation ont été mis en évidence ces dernières décennies. L’exploitation représentant une source de mortalité importante, son effet en tant qu’agent de sélection naturelle n’est pas négligeable. Ainsi, même en l’absence d’exploitation focalisée sur certains traits, une forte mortalité favorise les individus se reproduisant vite, ainsi que tous les traits qui sont corrélés à cette maturité précoce. Des effets de changements de distribution de tailles individuelles, mais aussi de décroissance de valeur sélective ont été maintes fois observés, en lien avec ces effets évolutifs de l’exploitation. Ces changements phénotypiques peuvent contraindre fortement le maintien à long terme ou les chances de rebond de l’espèce exploitée. Pour ce qui est des espèces rares, la stochasticité démographique peut également influencer la chance de survie de l’espèce. La réduction de la variabilité génétique en lien avec la petite taille de la population (goulot d’étranglement), les rôles importants de la dérive génétique, de la consanguinité et de l’accumulation de mutations délétères peuvent avoir des effets importants sur la gestion de la conservation des espèces rares et sont autant de pistes actuelles importantes liant écologie évolutive et biologie de la conservation.

6. Services écosystémiques

Le concept de service écosystémique facilite avant tout une approche intégrative des sciences écologiques et économiques. Le « service écosystémique » correspond ainsi au gain obtenu par une population humaine des écosystèmes avec lesquels elle est en relation, en termes économiques ou en termes de bien-être. Ces services sont multiples, allant de l’approvisionnement en ressources des populations (e.g. pêche), la fertilité des sols, de la qualité de l’eau aux aspects récréatifs. Du point de vue de l’écologie, la compréhension du déterminisme et des variations de ces services écosystémiques est un enjeu actuel important. Comme ces services n’émanent pas d’une espèce, mais d’un nombre important d’espèces en interaction, certaines questions se posent actuellement. Par exemple, pour un service donné, la forme du réseau d’interactions peut conditionner le provisionnement de ce service. Étant donné deux services, les formes de réseaux d’interactions souhaitées peuvent être différentes, et des compromis peuvent ainsi émerger entre les différents services.

De la même façon, la gestion spatiale des problématiques agricoles et de la pêche peut affecter de façon différente tel ou tel groupe d’espèces, chacun supportant certains services, créant encore une fois des compromis entre services. Les aspects évolutifs appliqués prennent également tout leur sens dans ce contexte. En affectant les abondances des espèces et les forces d’interactions à l’intérieur du réseau, la dynamique évolutive contraint les services écosystémiques. Par exemple, étant donné les perturbations liées aux gestions agricoles, le maintien d’un service de pollinisation pourrait dépendre de l’émergence au sein des populations de pollinisateurs de tolérance aux pesticides, montrant un lien fort entre dynamiques éco-évolutives et durabilité du service écosystémique. Le service écosystémique des populations microbiennes des sols fait l’objet d’une attention particulière dans la mesure où ces populations contraignent les grands cycles géochimiques (C, N, P, S…).

III. Les moyens/les défis

A. Science participative : masse de données hétérogènes

Les sciences participatives sont de plus en plus actives dans l’évaluation dynamique de la biodiversité. Elles permettent de mieux évaluer et « surveiller » la biodiversité dans un nombre croissant d’écosystèmes mais posent, d’ores et déjà, des questions sur la fiabilité des données acquises, leur stockage et leur valorisation.

– Les données sont hétérogènes, du fait même de la participation du public. Leur homogénéité doit être assurée soit par des règles préalables, soit par une validation a posteriori. Il est de plus nécessaire que la communication et la publicité vers le grand public soient assurées, ce qui nécessite un support technique informatique performant et continu.

– Le stockage des données doit être à la mesure de la science participative, la quantité de données (photos et/ou vidéos) pouvant devenir très importante. Il importe donc d’assurer la pérennité des moyens techniques, humains et de stockage afin d’augmenter l’efficacité du programme.

– La valorisation des données doit se généraliser, en particulier en passant par une standardisation des informations récoltées et des formats des différents programmes, afin de permettre des ponts et des interactions, ce qui suppose de solutionner les problèmes de droit relatifs à la propriété des données.

B. Suivi à long terme

Depuis une dizaine d’années, l’INEE a mis en place et financé un certain nombre d’outils pour observer, expérimenter et modéliser les écosystèmes (Écotrons, Zones Ateliers, Sites d’Études en Écologie Globale) en mettant l’accent sur l’étude des interactions entre l’homme et son milieu de vie (Observatoires Hommes-Milieux). Ces outils sont en permanente évolution en réponse aux besoins des équipes. La pérennité des suivis de populations naturelles à long terme, essentielle pour mesurer l’impact des changements environnementaux, nécessite la mise en place d’une structuration à l’échelle nationale au sein de l’institut afin de mutualiser les moyens et les compétences.

C. Séquençage : méga centre et plate-forme de proximité

Les besoins en séquençage au niveau national sont de plus en plus importants, en particulier dans le domaine de la biodiversité. Pour répondre à ces besoins, la mise en place de l’infrastructure nationale « France Génomique » en 2012 (PIA) a permis de mutualiser et de coordonner les compétences et les équipements français pour le séquençage et la bioinformatique.

– Le Genoscope et le CNG (Institut de Génomique, Évry) sont en charge des projets de séquençage et de génotypage à très grande échelle (génomique humaine, biodiversité).

– Les plateformes de site sont chargées des projets de séquençage et de génotypage de moindre ampleur.

Le problème actuel réside (i) dans le couplage entre le séquençage et le traitement bioinformatique des données produites (via l’IFB, Institut Français de Bioinformatique) et (ii) l’organisation à l’échelle nationale et/ou internationale du stockage des données.

D. Imagerie

Ces 20 dernières années, les techniques et technologies de tomographie et microtomographie et d’imagerie 3D ont connu un essor sans précédent débouchant notamment sur une utilisation maintenant généralisée en paléontologie. Les possibilités offertes par ces nouveaux outils ne sont pas encore entièrement exploitées ni même explorées d’autant que les physiciens-développeurs ouvrent régulièrement de nouvelles perspectives tant au niveau de l’amélioration des méthodes d’acquisition, des résolutions que dans les possibilités de couplages des informations acquises comme par exemple entre morphologie et chimie, ou encore morphologie et localisation de l’expression génique. Ainsi, nous avons aujourd’hui potentiellement accès à toute une gamme d’équipements et d’outils qui permettent de répondre à la diversité des usages et des matériaux étudiés. Néanmoins, ces perspectives stimulantes impliquent de relever certains défis proches de ceux soulevés par la généralisation des méthodes en « omique » ou encore des sciences participatives.

E. Données spatialisées

L’acquisition, la gestion et l’analyse de données géoréférencées ou spatialisées ont connu un développement important et essentiel pour les thématiques de la section 29 (génétique du paysage, écologie comportementale, écologie fonctionnelle…). Les développements technologiques pour leur acquisition (suivi individuel par GPS, mesures d’interactions par logger, capteurs biologiques et environnementaux, données spatiales issues d’imagerie satellite, données moléculaires) permettent de confronter données géographiques, génétiques, physiologiques et comportementales. Le stockage et l’analyse de ces données complexes et « massives » constituent un défi aussi bien informatique, statistique qu’économique.

F. Laboratoire de confinement/sécurité

Nous disposons en France d’un nombre limité de laboratoires de sécurité permettant des travaux sur des pathosystèmes (niveau de sécurité 3 ou 4), en particulier dans un contexte écologique proche de la réalité et permettant de reconstituer des pathosystèmes complets (un pathogène, son hôte et son vecteur). La crise du Chickungunya à la Réunion en est un exemple frappant, avec la création dans l’urgence du CRVOI et d’un insectarium de type 3. Les crises actuelles (Chickungunya en Guadeloupe, Ebola…) nous rappellent que nous aurons à faire face à des épidémies nouvelles et soudaines dans de nouvelles régions du monde, y compris en France métropolitaine (par exemple suite à l’invasion actuelle du moustique tigre). Pourtant la situation, du point de vue des équipements, ne s’est pas améliorée de manière significative. Si un « Vectopôle » est en train de voir le jour à Montpellier, les laboratoires de la section 29 ont à leur disposition des infrastructures trop limitées pour relever les défis de l’écologie de la santé et de l’agroécologie.

IV. Les besoins

A. Gestions des données massives

Comme l’ont illustré les approches et outils présentés précédemment, le « big data » a pénétré quasiment toutes les sciences et en particulier les sciences de l’écologie et de l’évolution. Dans ces deux domaines, les données de la génomique ont pendant longtemps représenté l’essentiel des volumétries produites mais elles sont désormais rejointes par celles provenant des autres « omiques », de simulations numériques, de capteurs (comme les capteurs environnementaux) ou d’imagerie. Ce qui est nouveau, c’est que les équipements servant à la production des données à haut débit deviennent accessibles à tout chercheur, quels que soient son champ disciplinaire et la taille de sa structure d’accueil (e.g. petits séquenceurs de laboratoire, capteurs à enregistrement continu, CT scans). Qui plus est, il est désormais possible de superposer différentes complexités – moléculaires, individuelles (phénotypes), populationnelles, sociologiques, et environnementales – ceci avec un enjeu qui réside dans la compréhension des interactions entre ces différentes complexités.

Dans ce contexte, les grandes tendances observées au niveau européen consistent en une volonté accrue de faciliter le partage des données et de mutualiser leurs moyens de stockage (e.g. : le projet Élixir pour la génomique). En revanche, cette politique de partage pose d’autres problèmes comme la confidentialité, la sécurisation, la propriété et la facilité d’accès aux données.

En effet, le droit sur la propriété des objets virtuels doit être précisé et on ne peut que souhaiter un « code de bonne conduite » sur l’accès au matériel virtuel, si possible commun et élaboré en impliquant les différents partenaires concernés.

Malgré ces perspectives de mutualisation pour la gestion et le stockage des données, les laboratoires resteront confrontés à d’énormes besoins en bioinformatique et en statistique pour le traitement de ces données complexes et massives. Il est donc essentiel que nous puissions recruter des ingénieurs dans ces domaines dans des conditions tenant compte de la concurrence sur ces compétences.

B. Soutien à la recherche

Le faible recrutement en ITA est un problème récurrent au CNRS et n’a fait que s’accentuer au cours des dernières années. Ainsi pour les années 2012-2014, le recrutement des personnels ITA par concours externe est en constante diminution et le nombre de personnels ITA en situation précaire (CDDs de courte durée, vacataires) ne fait qu’augmenter. Le faible nombre de CDIsation, suite à la Loi Sauvadet, ne compense absolument pas le besoin en personnels statutaires dans les laboratoires, y compris pour ceux de la section 29. Plus globalement, la diminution des emplois scientifiques (chercheurs inclus) prévue pour les années à venir et déjà amorcée va impacter très lourdement le fonctionnement de la recherche dans nos laboratoires.

La section 29 attire également l’attention, comme le Conseil Scientifique de l’INEE l’a fait suite à une enquête auprès des personnels ingénieurs et techniciens des laboratoires de l’INEE, sur la faible progression de carrière des ITAs par promotions au choix ou par concours internes, non sans conséquence pour l’évolution des compétences, la qualité et la valorisation du travail dans les unités.

Enfin la section 29 s’inquiète de l’évolution du financement de la recherche concernant ses propres thématiques. En effet la disparition des programmes blancs de l’ANR a très fortement réduit les financements pour la recherche fondamentale qui ne se retrouve pas dans les défis de l’ANR sans que l’on ait pu constater une augmentation du soutien récurrent des laboratoires. Les résultats des projets retenus par l’ANR en 2014 témoignent de cette inquiétante évolution.