Rapport de conjoncture 2014

Section 27 Relations hôte-pathogène, immunologie, inflammation

Extrait de la déclaration adoptée par le Comité national de la recherche scientifique réuni en session plénière extraordinaire le 11 juin 2014

La recherche est indispensable au développement des connaissances, au dynamisme économique ainsi qu’à l’entretien de l’esprit critique et démocratique. La pérennité des emplois scientifiques est indispensable à la liberté et la fécondité de la recherche. Le Comité national de la recherche scientifique rassemble tous les personnels de la recherche publique (chercheurs, enseignants-chercheurs, ingénieurs et techniciens). Ses membres, réunis en session plénière extraordinaire, demandent de toute urgence un plan pluriannuel ambitieux pour l’emploi scientifique. Ils affirment que la réduction continue de l’emploi scientifique est le résultat de choix politiques et non une conséquence de la conjoncture économique.

L’emploi scientifique est l’investissement d’avenir par excellence
Conserver en l’état le budget de l’enseignement supérieur et de la recherche revient à prolonger son déclin. Stabiliser les effectifs ne suffirait pas non plus à redynamiser la recherche : il faut envoyer un signe fort aux jeunes qui intègrent aujourd’hui l’enseignement supérieur en leur donnant les moyens et l’envie de faire de la recherche. On ne peut pas sacrifier les milliers de jeunes sans statut qui font la recherche d’aujourd’hui. Il faut de toute urgence résorber la précarité. Cela suppose la création, sur plusieurs années, de plusieurs milliers de postes supplémentaires dans le service public ainsi qu’une vraie politique d’incitation à l’emploi des docteurs dans le secteur privé, notamment industriel.

Composition de la section

Olivier Neyrolles (président de section) ; Armelle Blondel (secrétaire scientifique) ; Laurence Ardouin-Bataille ; Nathalie Arhel-Nisole ; Patrick Bastien ; Anne-Sophie Beignon ; Jean-Christophe Bories ; Anne Couedel-Courteille ; Isabelle Couillin ; Shaynoor Dramsi ; Michael Kann ; Linda Kohl ; Sylvain Latour ; Fathia Mami-Chouaib ; Florence Niedergang ; Patricia Renesto Audiffren ; Karin Seron ; François Trottein.

Résumé

Les domaines de compétence de la section 27 portent sur les relations hôte-pathogène, l’immunologie et l’inflammation, et plus particulièrement sur : i/ les réactions immunitaires innée et adaptative, normales et pathologiques (inflammation, auto-immunité), aux niveaux moléculaire et cellulaire, contre les agents pathogènes et les tumeurs ; ii/ les interactions entre cellules et agents pathogènes (virus, bactéries, parasites), dont l’oncogenèse d’origine microbienne ; iii/ le rôle des facteurs de virulence produits par ces organismes et des facteurs de restriction de l’infection produits par les cellules-cibles. Le présent rapport établit un panorama de ces domaines de recherche et en définit les enjeux futurs, tant sur les plans scientifique et clinique, que méthodologique.

Introduction

Cherchant à savoir s’il existait d’un côté des sciences du normal et de l’autre des sciences du pathologique, Georges Canguilhem conclut qu’il n’existait en définitive que des sciences de la vie, c’est-à-dire du vivant considéré dans son milieu.

Les maladies infectieuses, les cancers et les maladies inflammatoires ou auto-immunes restent les causes majeures de décès dans le monde. Les projections de la mortalité pour les décennies à venir apparaissent terrifiantes, avec 8 à 17 millions de décès annuels dus aux infections en 2030, près de 12 millions dus aux cancers et 10 millions dus aux maladies inflammatoires ou auto-immunes : diabète, inflammations chroniques cardiaques et pulmonaires, arthrite rhumatoïde, asthme etc. (Mathers & Loncar. 2006 PLOS Medicine). Les agences de financement de la recherche et les autorités de santé publique, nationales et internationales, enjoignent alors le chercheur de se hâter au lit du malade afin de lui trouver le meilleur traitement, si possible « personnalisé », et de se plonger sans attendre dans cette recherche « translationnelle », présentée comme la mise en application la plus harmonieuse et la plus utile des connaissances tirées de la recherche fondamentale au bénéfice ultime de la santé des individus. La science au bénéfice de la santé et même du « bien-être » est l’équation parfaite que l’on tente d’imposer au chercheur à grand renfort de financements fléchés et de partenariats industriels incitatifs. Et c’est là qu’éclate le douloureux paradoxe, car la recherche fondamentale sur le vivant ne pourra être exploitée au bénéfice d’une recherche finalisée pour la santé et le bien-être, que si elle est vivement encouragée et fortement soutenue.

L’objet de ce court rapport n’étant que de faire, sans plus de polémique, un état des lieux des connaissances dans nos domaines de compétences, accompagné de propositions scientifiques, nous nous abstiendrons de nous demander si le but de cette recherche translationnelle ou finalisée vise uniquement la santé des individus. Nous souhaitons simplement réaffirmer qu’en biologie comme ailleurs la connaissance ne surgit pas ex nihilo, et que les sciences du pathologique ne se nourrissant plus des sciences du normal ne feront que tarir le progrès dans son ensemble. Autrement dit, une recherche fondamentale, désintéressée, ayant pour seul objet de connaître et de comprendre doit perdurer. Dans les domaines qui nous intéressent ici, la physiologie d’une inoffensive bactérie du sol et ses relations avec ses congénaires, les mécanismes moléculaires les plus fins impliqués dans la phagocytose d’une particule par un macrophage, les voies métaboliques les plus discrètes mobilisées par un lymphocyte en cours d’activation, sont et doivent rester autant de sujets d’étude d’un intérêt équivalent à la recherche d’un biomarqueur pour le traitement et le suivi de tel cancer, ou à l’identification de la cible de tel nouvel antibiotique.

Longtemps considérées comme deux branches de la biologie, la microbiologie et l’immunologie sont maintenant réunies dans les mêmes départements des plus grands centres mondiaux de recherche, telles les Universités de Harvard, MacGill, Melbourne, Columbia et d’autres. La section 27 du CNRS s’inscrit pleinement dans cette évolution vers l’étude du système immunitaire et des causes des désordres pathologiques dans leur globalité. Ses missions de recherche portent sur les mécanismes moléculaires et cellulaires de la réaction immunitaire innée et adaptative, et de l’inflammation et de sa régulation au cours de désordres pathologiques d’origines infectieuse et non infectieuse. Mais ses domaines de recherche ne se limitent pas à cela, et la section souhaite vivement maintenir une recherche d’excellence, basée sur la connaissance de la microbiologie et de l’immunologie dans leurs aspects les plus fondamentaux.

Dans les pages qui suivent, nous résumons les avancées récentes des connaissances et des technologies dans ces différents domaines et décrivons les perspectives liées à ces découvertes. Des notions porteuses y sont particulièrement développées, telles, parmi d’autres, l’importance de l’étude du métabolisme et du microbiote dans le contexte de l’immunité et de l’infection ; l’importance de l’étude des modifications épigénétiques eucaryotes et procaryotes impliquées dans la physiologie cellulaire et microbienne, dans les relations hôte-pathogène, l’inflammation et l’immunité anti-cancéreuse ; l’importance du développement d’instrumentation pour l’analyse à haute capacité, et plus généralement de l’utilisation des technologies les plus modernes comme la microscopie, pour l’étude du vivant à toutes ses échelles, depuis la molécule jusqu’à l’organisme.

I. Agents infectieux – virulence, pathogenèse, facteurs de restriction de l’infection & interactions hôte-pathogène

La « virulence » des microorganismes pathogènes ne peut se réduire à son sens étymologique (du latin virulentia, qui tire son origine de virus = poison). En effet, la plupart des microorganismes ne sécrètent pas de « poison » à proprement dit, comme c’est le cas par exemple de quelques bactéries sécrétant des toxines. Au contraire, les progrès récents et conjoints de la microbiologie et de la biologie cellulaire ont montré à quel point la virulence microbienne s’exprime dans la capacité des microorganismes pathogènes à détourner ou manipuler les défenses de leur hôte, à commencer par celles des cellules qu’ils infectent. Ces avancées ont abouti à l’émergence d’une nouvelle discipline, communément admise maintenant sous l’appellation de « microbiologie cellulaire ». Par ailleurs, il devient clair que le métabolisme des cellules immunitaires et leur capacité à éliminer les pathogènes sont intrinsèquement liés ; de même le métabolisme des microorganismes est intimement lié à leur capacité à coloniser leur hôte. Un nombre croissant d’études a ainsi abouti aux notions en pleine émergence d’immuno-métabolisme et de virulence nutritionnelle.

A. Virus

1. Pourquoi faire de la recherche sur les virus ?

Les virus peuvent infecter toute forme de vie sur terre, des archées à l’Homme. Comme parasites intracellulaires obligatoires, ils dépendent de leur hôte à tous les niveaux de l’homéostasie cellulaire. La recherche en virologie est guidée par trois intérêts majeurs : la compréhension des processus fondamentaux de biologie cellulaire et d’immunologie, le traitement de l’infection pour soigner la maladie, et l’utilisation de virus comme agents thérapeutiques. Le succès de la virologie durant cette dernière décennie est évident avec la mise en place des traitements efficaces contre le virus du SIDA (VIH) et de l’hépatite C (VHC), l’autorisation de commercialiser la première drogue de thérapie génique basée sur un virus associé aux adenovirus (Glybera© ; traitement d’un déficit en lipoprotéine lipase) et les étapes clés dans la compréhension de la carcinogenèse, comme l’identification du premier oncogène (Antigène T de SV40).

2. Développements technologiques récents en virologie

Le développement rapide dans la compréhension de génomes complexes, y compris celui de l’Homme, multiplie les possibilités d’étudier les relations virus-hôte. Ceci inclut en particulier les technologies à haut débit résumées sous le vocable « omique », mais aussi les technologies de séquençage de dernière génération qui rendent possible l’étude des profils de transcription dans les extraits cellulaires. En dépit de leur usage déjà bien établi, on doit cependant garder à l’esprit que ces systèmes nécessitent toujours des vérifications par des techniques quantitatives indépendantes. De plus, comme dans les approches classiques de biochimie et de biologie cellulaire, elles ne fournissent qu’une moyenne dérivée de populations de plusieurs cellules. À cet égard, le développement récent de technologies d’analyse de transcrits à l’échelle de la cellule individuelle paraît très prometteur. Par ailleurs, le développement de techniques microscopiques de très haute sensibilité permet maintenant de suivre en profondeur les virus dans les cellules individuelles et même au niveau sous-viral, comme l’encapsidation du génome à l’intérieur d’un bactériophage en utilisant des pinces optiques. L’attribution, en 2008, du Prix Nobel de Chimie à Shimomura, Chalfie et Tsien pour la découverte et le développement de la protéine fluorescente verte (GFP) reflète bien l’importance de ces approches de visualisation (voir Chapitre VI). L’ensemble de ces développements technologiques nécessitent une analyse biostatistique et des scientifiques travaillant aux interfaces entre biologie, médecine et mathématiques. Afin de combler les lacunes qui ne peuvent être accessibles expérimentalement (lier les événements cellulaires à la résultante sur l’organisme humain entier, par exemple) il y a un besoin supplémentaire de modélisations mathématiques afin de comprendre comment la virologie au niveau moléculaire est liée à ses conséquences au niveau clinique.

3. Nouvelles frontières

En poussant les limites de la virologie à des entités de plus en plus petites, on découvre que la plupart des événements d’interaction entre hôte et virus ne sont pas réguliers. Cela signifie que seule l’analyse d’un grand nombre d’événements permet de comprendre l’effet global résultant dans une cellule, un tissu, ou un organisme. L’apparition récente de la notion du virome chez les mammifères, incluant l’ensemble des virus infectant les cellules eucaryotes, les bactériophages et les éléments génétiques dérivés de virus et intégrés dans les chromosomes, permet d’envisager un nouvel axe de la recherche en virologie dans les années à venir. En effet, l’importance du virome sur les variations phénotypiques, la sensibilité à certaines maladies, l’inflammation, et la réponse immunitaire des individus est jusqu’à ce jour très peu explorée. L’étude des relations hôte-pathogène mais également pathogène-pathogène, comme par exemple l’influence du microbiome sur les infections virales et inversement, est une thématique à développer davantage.

Les maladies virales émergentes dues à l’apparition de nouveaux virus (par exemple les virus de la grippe H5N1 et H7N9, ou les coronavirus SARS ou MERScoV), à la ré-émergence d’un virus (les virus de la rougeole ou de la rubéole), ou encore à la découverte d’une pathologie virale présente dans la population mais sous-estimée ou non dépistée (virus de l’hépatite E, Ebola), constituent également des axes de recherche importants, certaines de ces infections virales pouvant conduire à des pandémies difficiles à maîtriser. Le risque de pandémie du virus Ebola qui sévit depuis le début de l’année en Afrique de l’Ouest en est l’illustration.

B. Bactéries

1. Microbiologie fondamentale et interactions avec l’hôte

La compréhension génétique et moléculaire des microorganismes, et des bactéries en particulier, est un domaine phare de la recherche française en biologie, et doit le rester. La génétique et en particulier la diversité génétique des populations bactériennes, le rôle de l’épigénétique et des petits ARN non codants chez les procaryotes, la structure et la formation de l’enveloppe des bactéries, ainsi que la physiologie microbienne doivent rester des domaines de recherche fortement soutenus.

Il semble évident que la capacité des microorganismes à coloniser leur(s) hôte(s) est directement liée à la capture et la métabolisation de nutriments aux sites d’infection. Des études récentes permettent de mieux comprendre comment les microorganismes pathogènes capturent le carbone ou l’azote, par exemple, à partir de molécules (sucres, lipides, acides aminés) présents dans les tissus et les cellules infectées. La fertilisation de la microbiologie et de la biologie cellulaire par des technologies innovantes de transcriptomique et de métabolomique/fluxomique a permis ces nouvelles découvertes qui doivent à présent être pleinement exploitées afin d’aboutir à une véritable compréhension écologique des microorganismes pathogènes. Ces études, au-delà d’une meilleure compréhension de la pathogénèse microbienne, permettent également d’envisager de nouveaux traitements prophylactiques ciblant les molécules impliquées dans la capture et le catabolisme des nutriments indispensables au développement des bactéries pathogènes.

2. Manipulation cellulaire

Outre leur capacité à capturer et utiliser des nutriments de l’hôte pour assurer leur réplication, les bactéries sont aussi capables d’interférer avec les machineries cellulaires normalement dédiées à leur destruction. Ainsi par exemple, il est bien connu maintenant que de nombreuses bactéries pathogènes sont capables d’injecter des molécules effectrices dans le cytosol de leurs cellules hôtes afin d’interférer avec des processus cellulaires visant normalement à leur dégradation comme la phagocytose, la maturation et le trafic vacuolaires, ou l’autophagie. Par ailleurs, plusieurs études ont montré que les bactéries sont capables d’interférer directement avec la synthèse des ARN et protéines des cellules hôtes en ciblant leur noyau à l’aide de molécules à présent communément appelées « nucléomodulines ». Les modifications génétiques et épigénétiques induites par les infections constituent un domaine émergent qui doit être pleinement exploré. Enfin, l’avancée des techniques d’imagerie à haute résolution, de la cytométrie combinée aux progrès de la microfluidique a permis de mieux appréhender l’hétérogénéité des populations bactériennes en permettant des études à l’échelle de la bactérie individuelle.

C. Parasites

Les parasites demeurent toujours un vrai problème de santé publique au niveau mondial, et un obstacle important au développement économique des pays en zone tropicale. Il s’agit malheureusement de maladies pour la plupart dites « négligées », autant par l’industrie pharmaceutique que par les financeurs de la recherche, à l’exception du paludisme qui bénéficie de fonds importants. Les espoirs de vaccins sont rendus difficiles par les stratégies multiples d’échappement mises en place par les parasites ; et le besoin de molécules thérapeutiques est plus que jamais pressant. Les génomes des principaux parasites affectant l’Homme ont été séquencés, ce qui a accéléré la compréhension des mécanismes spécifiques d’adaptation des parasites à leur hôte.

1. Processus cellulaires et moléculaires présents chez les parasites

L’étude des parasites, et des protozoaires en particulier, est singulièrement compliquée par l’absence de réactifs (vecteurs, anticorps, kits, etc.) commercialisés, et la nécessité de développer des outils génétiques ou cellulaires propres à chaque modèle (qui sont extrêmement distants sur le plan phylogénétique). Les protozoaires sont des eucaryotes « divergents » dont l’étude révèle régulièrement des caractéristiques du vivant hautement originales, voire uniques, qui peuvent bousculer les dogmes établis chez les organismes modèles, mais aussi parfois servir de paradigme pour des processus équivalents et méconnus chez ces mêmes modèles. Ces spécificités constituent potentiellement des cibles d’action de lutte contre ces pathogènes.

Les thématiques rejoignent les préoccupations des chercheurs travaillant dans ce domaine sur des modèles plus classiques : épigénétique ; architecture nucléaire ; mécanismes de régulation de l’expression génique (en particulier variation antigénique) ; trafic intracellulaire ; maintien et biogenèse des organites de cellules eucaryotes, qu’ils soient non spécifiques ou, souvent, spécifiques ; étude des étapes de différenciation et de développement ; métabolisme (où là encore les spécificités peuvent servir de bases au développement de cibles thérapeutiques), etc. La biogenèse du flagelle, ou encore l’implication de l’actine-F dans la relocalisation de gènes de virulence vers des régions du noyau transcriptionnellement actives, constituent des exemples frappants de l’impact du développement de ces aspects fondamentaux sur le reste de la biologie. L’irruption de la notion de « population » pour ces organismes unicellulaires eucaryotes (souches faites de millions d’individus, à l’instar des populations bactériennes), ouvre tout un champ de recherches sur les régulations des processus cellulaires et moléculaires intégrant le niveau cellulaire et le niveau populationnel, à l’image sans doute de la régulation au niveau tissulaire chez les eucaryotes supérieurs.

Cette recherche ayant pour objet le parasite en soi reste cependant peu développée en France par rapport aux pays anglo-saxons. En particulier, si elle se trouve comme l’ensemble des sciences du vivant à l’ère de la post-génomique, les nouvelles technologies dites « omiques » sont restées insuffisamment développées pour les parasites eux-mêmes. Ce retard est heureusement en voie d’être comblé grâce à des soutiens financiers propres.

2. Interactions hôte-parasite

Ce champ de recherche a été ces dernières années marqué par les forts progrès en immunologie et biologie cellulaire des mammifères, ainsi que dans le domaine des technologies « omiques ». Ceci a permis des avancées importantes dans la compréhension de la virulence, de la prolifération, des stratégies de contournement de l’immunité de l’hôte, de la pathogenèse, de la résistance/susceptibilité de l’hôte, et aussi, quelques progrès vers la vaccination. Les approches y sont aussi spécialisées et multiples que dans les autres domaines de la biologie des eucaryotes supérieurs (petits ARN, codes des histones, voies de signalisation cellulaire, biologie structurale, etc.). Les progrès en imagerie ont aussi permis des avancées remarquables en ce qui concerne la motilité cellulaire et les processus d’invasion des cellules hôtes par les parasites, ainsi que l’évasion de ces mêmes pathogènes. Les interactions sont ainsi étudiées à des niveaux de plus en plus fins, révélant la participation des deux acteurs de la pathogénie dans tous ces processus, et non pas seulement celle du pathogène.

L’interaction avec l’hôte inclut aussi l’étude des insectes vecteurs, relativement peu poussée jusqu’à récemment en France, mais là aussi en voie d’approfondissement, sur un plan à la fois fondamental et plus appliqué.

Un point à souligner est l’existence d’un lien solide avec l’industrie pharmaceutique française pour le développement de médicaments et de vaccins. Plusieurs laboratoires font de la recherche fondamentale de haut niveau et en parallèle s’investissent dans de nouvelles stratégies d’intervention. À noter que malgré cela, les progrès dans les domaines du vaccin et plus encore de la thérapeutique sont restés limités, ce qui pousse à poursuivre l’étude fondamentale de la physiologie de ces organismes très distants sur le plan phylogénétique, et des stratégies surprenantes qu’ils développent pour coloniser et se maintenir chez leurs hôtes.

D. Co-infections & co-morbidité

Il existe de nombreuses pathologies associées dans des tableaux de co-infections, ce qui constitue un challenge mondial pour contrôler ces maladies et développer des vaccins ou des thérapies adaptées. Par exemple, l’infection par le VIH provoque des dysfonctionnements graves du système immunitaire qui se traduisent par le développement d’infections bactériennes, parasitaires ou fongiques opportunistes, souvent létales. Le virus de la grippe, de par ses effets délétères sur la barrière épithéliale pulmonaire et sur les mécanismes de défense de l’hôte, est à l’origine de surinfections bactériennes parfois très graves comme nous le rappelle la tristement célèbre grippe Espagnole (20-40 millions de morts). Les infections bactériennes, dont la tuberculose, et parasitaires (malaria, leishmaniose) peuvent aussi conduire à des infections secondaires et noircir le tableau clinique. Les co-infections, sans oublier les relations entre flore commensale et agents pathogènes, jouent un rôle important dans l’évolution de ces derniers. C’est le cas par exemple des souches invasives non typhoïdes de Salmonelles qui, étant apparues en Afrique Australe avant le VIH, ont émergé avec le développement du virus. Inversement, certaines infections bactériennes ou parasitaires induisent un terrain propice au développement de certains virus. Les cas de co-infections par le VIH et les virus de l’hépatite B ou C sont également fréquents, après transmission par voie sexuelle ou sanguine. Tous ces exemples d’infections multiples commencent à être étudiés in vitro ou in vivo, malgré la complexité des modèles expérimentaux qui doivent composer avec de multiples variables, afin d’identifier les facteurs moléculaires de virulence ou de restriction qui sont spécifiquement impliqués dans l’émergence des co-infections, ou qui pourraient constituer des cibles thérapeutiques. Clairement, l’impact des infections primaires sur les mécanismes de défense ainsi que les conséquences de la « cohabitation » entre agents pathogènes (et flore commensale) doivent être mieux compris.

Enfin, la co-morbidité entre maladies infectieuses et maladies non-infectieuses (par exemple entre la tuberculose et le diabète de type 2, qui devient une des premières causes de susceptibilité aux mycobactéries) reste encore peu étudiée.

II. Immunité anti-infectieuse, vaccinologie, thérapies innovantes

A. Immunité anti-infectieuse

L’immunité anti-infectieuse a longtemps été étudiée à partir des seules cellules du sang, de la rate et plus récemment des ganglions. Celle se mettant en place dans les muqueuses, portes d’entrée de la plupart des pathogènes, devient aujourd’hui un sujet fondamental d’étude. Les particularités des sous-populations de cellules immunitaires peuplant les principales muqueuses de l’organisme (intestinale, respiratoire et génitale) montrent la nécessité de les étudier de façon spécifique. Cette exploration n’est pas aisée et nécessite l’utilisation de modèles animaux pertinents, seuls capables de rendre compte de la complexité responsable du devenir de la réponse immune dans les tissus. L’utilisation de modèles animaux de plus en plus sophistiqués, permettant par exemple d’étudier la fonction d’un gène au niveau d’un (sous)-type cellulaire particulier, à un temps donné, doit être encouragée et les plateformes de haute technologie animale soutenues.

Les premières interactions survenant rapidement après la rencontre de l’agent infectieux avec les différents acteurs de l’immunité innée ou acquise apparaissent cruciales dans l’initiation, l’orientation et la régulation de la réponse. La découverte des mécanismes gouvernant la reconnaissance des micro-organismes, dont les agents infectieux, par les récepteurs innés (par exemple récepteurs de type TLR) a permis de faire un grand pas vers la compréhension des mécanismes précoces de l’interaction hôte/pathogène et de leurs conséquences sur les mécanismes de défense. Cette découverte a été récompensée par le prix Nobel de Médecine décerné en 2011 au Professeur J. Hoffmann. La phase initiale met en scène de nombreux acteurs, longtemps étudiés séparément, dont l’ensemble des interactions impacte la nature de la réponse. Un nombre sans cesse croissant de sous-populations immunitaires sont caractérisées et pour certaines ne semblent exister que dans les muqueuses chez l’adulte (par exemple ILC, sous-populations de DC tolérogènes, sous populations de lymphocytes T). Leur importance physiologique, leurs capacités fonctionnelles et leurs origines restent encore largement à élucider. Récemment la caractérisation de macrophages résidents dérivant du sac vitellin et capables d’auto-renouvellement atteste de la singularité de certaines populations immunitaires résidentes des muqueuses par rapport à leurs homologues périphériques différentiées à partir de la moelle osseuse. Ces populations résidentes sont certainement parmi les premières à interagir avec les pathogènes et sont en partie responsables du recrutement des cellules immunitaires issues de la moelle osseuse pour la suite de la réponse. Ces processus de recrutement au niveau des vaisseaux, nécessaires à la continuation de la réponse immune, mais également la progression des cellules immunitaires dans les tissus selon les gradients de chimiokines sont largement étudiés dans les ganglions mais de façon moins exhaustive dans les muqueuses. Des études par imagerie dynamique in vivo sont encore difficiles mais seraient très instructives, en particulier dans la compréhension de la mise en place des organes lymphoïdes tertiaires au cours de ces réponses aux pathogènes.

L’effort accru développé dans l’investigation du système immunitaire in vivo met en exergue la distance existant entre les caractéristiques phénotypiques et fonctionnelles des populations cellulaires obtenues in vitro et in vivo. La difficulté à retrouver, in vivo, la dichotomie observée in vitroentre les macrophages de type M1 et M2 est une illustration de cette complexité. Mais ceci reflète certainement la plasticité des cellules immunitaires, notion nouvelle largement évoquée aujourd’hui. Cette plasticité – c’est-à-dire la capacité de cellules déjà engagées dans un processus de différenciation de changer/moduler leurs engagements – est certainement le résultat de l’influence non seulement des cytokines présentes mais aussi de nombreux autres facteurs de l’environnement tissulaire. Dans ce sens, les conséquences de l’environnement métabolique, de la présence de la matrice extra-cellulaire, des interactions physiques et biochimiques avec les cellules non immunitaires comme les cellules de la matrice des tissus ou les cellules nerveuses sur l’orientation de la réponse, la génération de la mémoire, la tolérance font l’objet d’un nombre exponentiel de publications montrant l’importance de considérer les cellules immunitaires dans leur environnement tissulaire. Cette prise de conscience, conjointement à la pression croissante s’exerçant sur l’utilisation des modèles animaux, a conduit au développement remarquable de recherches permettant la reconstitution in vitro de tissus de plus en plus complexes. Ces tissus constituent des modèles d’étude très intéressants à côté des modèles animaux, qui restent malgré tout incontournables pour répondre à certaines de ces questions.

La croissance exponentielle du nombre de publications sur l’importance du dialogue entre système immunitaire muqueux et microbiote pour le développement et le fonctionnement du système immunitaire de l’hôte ajoute encore un niveau de complexité. Beaucoup de ces travaux sont réalisés sur les muqueuses digestives mais il est à parier que cette interaction est aussi importante pour les autres muqueuses. Les mécanismes de tolérance orale sont en voie d’élucidation mais ceux permettant le déclenchement de réponse immune contre les pathogènes à ce niveau restent encore largement à explorer. Les mêmes efforts de recherche devraient être consentis sur ces questions dans les muqueuses génitales et respiratoires et sont susceptibles de faire émerger des concepts immunologiques et des approches immuno-thérapeutiques novateurs.

B. Thérapies ciblant l’hôte

Le traitement des infections bactériennes se fait communément à l’aide d’antibiothérapies dédiées. Cependant l’émergence de pathogènes résistants à un ou plusieurs antibiotiques (MRSA, MDR/XDR TB etc.) a conduit au développement de nouvelles stratégies visant à cibler l’hôte afin de potentialiser le pouvoir des antibiotiques et d’éviter l’apparition de résistances. À titre d’exemple l’inhibition de la tyrosine kinase ABL par une molécule utilisée en thérapeutique chez l’Homme (l’imatinib ou Gleevec®) permet d’améliorer le traitement d’infections à Mycobacterium tuberculosis chez la souris, en combinaison avec des antibiotiques couramment utilisés pour traiter ces infections comme la rifabutine. Ces nouvelles thérapies sont très prometteuses dans le domaine de la lutte anti-infectieuse et leur recherche doit être activement soutenue.

C. Vaccinologie

La vaccinologie s’étend de l’immunologie vaccinale, qui comprend l’identification de corrélats immunologiques de protection et l’étude des mécanismes moléculaires et cellulaires de l’induction d’une mémoire immunitaire durable, aux essais précliniques et cliniques qui testent des antigènes et adjuvants, différentes voies d’administration (ex. peau, muqueuses) ou des vecteurs ou combinaisons de vecteurs d’expression de l’antigène.

1. Immunologie vaccinale

La majorité des vaccins actuels procurent une protection via les anticorps dont les titres définissent des corrélats de protection. Toutefois pour de nombreuses maladies comme la tuberculose, la malaria ou encore la dengue ou la grippe, les réponses T participent également au contrôle de l’infection et la méconnaissance des corrélats immunologiques de protection et l’inefficacité des stratégies vaccinales actuelles à induire des réponses T effectrices et mémoire représentent des défis majeurs pour la mise au point de vaccins.

De même, une meilleure compréhension des mécanismes moléculaires et cellulaires de la différentiation et du maintien de la mémoire T CD8 et CD4 et de la mémoire B est nécessaire pour le développement rationnel de vaccins.

Enfin, une des difficultés à surmonter consiste à élucider les bases de l’hétérogénéité des réponses aux vaccins pour améliorer l’efficacité vaccinale dans des populations singulières comme les nouveaux nés, les personnes âgées et les habitants de pays en développement.

Les avancées technologiques permettant un suivi en profondeur des réponses immunitaires (ex. séquençage à l’échelle de la cellule unique, analyses multiparamétriques en cytométrie en flux et de masse) constituent sans aucun doute un des moyens de lever ces verrous. La richesse des données générées nécessite une analyse bioinformatique adaptée.

2. Essais d’immunogénicité, de biosécurité et d’efficacité vaccinale

Parmi les nombreux candidats vaccins en cours de développement, citons-en deux : (1) Le vecteur RhCMV codant des protéines du SIV ; (2) L’injection intraveineuse répétée de sporozoites de Plasmodium falciparum atténués qui confère une protection contre la malaria expérimentale chez l’Homme. Ces deux exemples originaux et très prometteurs soulignent en outre la nécessité de continuer à développer des modèles animaux pertinents, un modèle de macaques développant un SIDA après infection avec un VIH légèrement modifié vient d’être décrit, ainsi qu’à mettre au point des épreuves infectieuses contrôlées chez l’Homme.

3. Nouvelles approches

Ces vingt dernières années ont été marquées par le séquençage du génome de nombreux pathogènes qui a favorisé la découverte d’antigènes, en particulier bactériens, protecteurs et le développement de vaccins en utilisant l’approche dite de vaccinologie inverse.

Plus récemment, l’efficacité de la vaccinologie structurale, qui consiste à concevoir des immunogènes suivant des données de structure, a été démontrée avec le design d’une glycoprotéine de fusion qui induit des anticorps neutralisants et protecteurs contre les infections à RSV (respiratory syncytial virus). Cette stratégie est très encourageante dans la lutte contre d’autres maladies infectieuses en particulier contre l’infection par le VIH/SIDA, d’autant plus que la structure des trimères gp120 a enfin été résolue par cristallographie et cryo-microscopie électronique et que les caractéristiques des anticorps neutralisants à large spectre sont de mieux en mieux définies. Les recherches se concentrent ainsi sur une meilleure compréhension du développement de la réponse B menant à la production d’anticorps neutralisants hypermutés et maturés et la conception de nouvelles générations de glycoprotéine d’enveloppe virale favorisant leur induction.

La biologie des systèmes appliquée à la vaccinologie a également prouvé sa puissance avec des études princeps révélant non seulement des signatures précoces prédictives de la protection conférée par des vaccins commerciaux (contre la fièvre jaune, la grippe et les infections à pneumocoques et à méningocoques) mais aussi des mécanismes moléculaires inattendus. Par exemple, il a été montré que le vaccin contre la fièvre jaune provoque en fait un stress cellulaire accompagné d’une autophagie qui mène à une meilleure présentation des antigènes viraux aux cellules T CD8+ par les cellules dendritiques.

Une des clés du succès des recherches en vaccinologie réside probablement dans un environnement facilitant à la fois des essais cliniques de recherche et les allers-retours complémentaires entre les études in vitro et in vivo et les études chez l’Homme et en modèles animaux (des souris transgéniques et KO aux modèles animaux de challenge).

III. Immunité et cancers

Le système immunitaire a pour fonction principale de maintenir l’intégrité du soi, en particulier en éliminant les agents infectieux. Son implication dans le contrôle des cancers, bien que longtemps controversée, est maintenant clairement établie. En effet, des arguments expérimentaux solides ont montré que le système immunitaire joue un rôle clé dans la prévention de l’expansion de cellules transformées et dans leur destruction avant qu’elles ne deviennent des tumeurs. Toutefois, l’induction d’une réponse immunitaire anti-tumorale spontanée est souvent inefficace et se traduit très rarement par l’éradication des cellules cancéreuses.

Les avancées récentes dans notre compréhension de la régulation des réponses immunitaires ont permis l’émergence de nouvelles immunothérapies anti-tumorales. Parmi celles-ci, on distingue : 1) les modulateurs immunitaires dont la fonction est de potentialiser les défenses immunitaires naturelles, 2) les anticorps monoclonaux ciblant des antigènes à la surface des cellules cancéreuses ou encore des récepteurs inhibiteurs de point de contrôle (tels que CTLA-4, PD1 et PDL1) qui vont permettre de réactiver les lymphocytes T, 3) le transfert adoptif de lymphocytes T autologues. En 2010, l’approbation par la FDA du premier vaccin pour le traitement du cancer de la prostate à un stade avancé, puis de l’ipilimumab, un inhibiteur de CTLA-4, pour traiter le mélanome métastatique en 2011, représentent deux des avancées les plus significatives dans le développement d’immunothérapies au cours des dernières années. Ainsi, l’immunothérapie du cancer a été considérée comme le « Top Scientific Breakthrough » par le magazine Science en 2013. L’immunothérapie suscite aujourd’hui un engouement considérable, car elle pourrait non seulement traiter un large type de cancers, mais aussi produire des résultats plus durables que la chimiothérapie ou la radiothérapie, avec des effets secondaires réduits. Selon des analystes, l’immunothérapie représentera 60 % des traitements contre le cancer dans dix ans.

Malgré les progrès considérables de l’immunothérapie anti-tumorale, les résultats cliniques restent limités, en particulier à cause de l’insuffisance de la réaction immunitaire locale et de la résistance des cellules tumorales à l’action cytotoxique des lymphocytes T. En effet, pour détruire des tumeurs établies, les lymphocytes T doivent se déplacer, coloniser le stroma et être activés pour déclencher leurs fonctions effectrices telles que la lyse des cellules tumorales et la sécrétion de cytokines. Ainsi, des lymphocytes T sélectionnés pour l’expression d’un récepteur spécifique d’antigènes tumoraux, amplifiés in vitro, ont été administrés à des patients atteints de cancer, mais l’optimisation de cette approche bénéficiera d’une meilleure connaissance des mécanismes cellulaires et moléculaires qui régissent la fonctionnalité de ces lymphocytes. En effet, de nombreux groupes s’attachent à différencier des cellules T CD4+ naïves en présence de différents cocktails cytokiniques. Les sous-populations de lymphocytes T générées (Th1, Th17, Th9, etc.) vont ainsi se spécialiser pour une fonction qui leur est propre et être caractérisées par une production importante de cytokines susceptibles de participer directement ou indirectement au contrôle de la progression tumorale. Par ailleurs, des données récentes ont mis en évidence la contribution de facteurs épigénétiques dans la plasticité lymphocytaire. Cela a pour conséquence le masquage de certains gènes devenus silencieux. Cette découverte est d’autant plus importante qu’elle démontre pour la première fois la possibilité d’influencer le destin de lymphocytes T CD4+ en agissant non plus uniquement au niveau de gènes, mais aussi au niveau des mécanismes épigénétiques qui régulent leur expression. L’ensemble de ces travaux ouvre évidemment la voie à de nouveaux traitements.

Par ailleurs, l’écosystème de la tumeur est un milieu très complexe, et plusieurs mécanismes inhibant les réponses immunitaires anti-tumorales favorisent l’échappement de la tumeur à la surveillance immunitaire. Parmi ces mécanismes, les lymphocytes T régulateurs et les cellules myéloïdes suppressives jouent un rôle reconnu dans l’inhibition des activités fonctionnelles des cellules effectrices et leur présence dans la tumeur est souvent associée à un pronostic défavorable. Malgré quelques données antérieures en faveur des propriétés immunosuppressives et pro-oncogéniques des lymphocytes B, ce n’est qu’en 2011 qu’ont été identifiés et caractérisés des lymphocytes B régulateurs dans un contexte tumoral. En effet, dans un modèle expérimental de cancer du sein, leur rôle essentiel dans la progression métastatique a été établi via leur capacité à convertir des lymphocytes T CD4+ conventionnels en lymphocytes T régulateurs par un mécanisme dépendant du TGF-β. Depuis, des équipes cherchent à identifier les facteurs tumoraux susceptibles d’induire ces lymphocytes B régulateurs. Cependant, rares sont encore les études de ces lymphocytes chez l’Homme, et la plupart d’entre elles mettent en évidence leur rôle protecteur chez des patients ayant développé des maladies auto-immunes. Il reste fondamental de disséquer leurs éventuelles propriétés immunosuppressives chez les patients atteints de cancer.

Un autre défi important sera de mieux prendre en compte la complexité du micro-environnement tumoral et en particulier des composantes non immunitaires de celui-ci ou des ganglions drainant la tumeur où débute la réponse lymphocytaire T anti-tumorale. Le développement de souris génétiquement modifiées a permis d’identifier de nouvelles cellules stromales et d’approfondir nos connaissances sur les fonctions immuno-régulatrices de ces cellules en conditions physiologiques et/ou pathologiques. La caractérisation des mécanismes régissant le remodelage des différents réseaux de cellules stromales infiltrant les tumeurs ou les ganglions drainant les tumeurs est un enjeu crucial. Un axe récent de recherche concerne les liens bidirectionnels entre l’angiogenèse et la réponse immunitaire anti-tumorale. En effet, au niveau moléculaire, la production de VEGF est à l’origine de l’expansion de cellules myéloïdes suppressives. Alternativement, des traitements par des anti-angiogéniques modulent certains paramètres liés à l’immunosuppression tels que les lymphocytes T régulateurs et les cellules myéloïdes suppressives. Finalement, de plus en plus d’équipes s’intéressent à la relation microbiote et cancer. En effet, une modification de la flore microbienne peut être à l’origine de maladies inflammatoires, mais aussi de cancer. À titre d’exemple, l’analyse du microbiome intestinal a révélé une diminution significative de bactéries productrices de butyrate dans le colon de patients atteints de cancer colorectal. De nouvelles études seront nécessaires pour mieux discerner entre les conséquences de l’inflammation liée aux interactions hôte/pathogènes sur la tumorigénèse versus un rôle direct du microbiote sur la phase d’initiation du cancer. La caractérisation de la composition du microbiote chez les malades ouvrira également la voie à de nouvelles perspectives thérapeutiques basées sur sa modulation via la consommation de pré- et probiotiques. Une meilleure compréhension de l’interaction entre la cellule cancéreuse et le stroma tumoral repose non seulement sur l’identification des cellules de l’écosystème tumoral, mais aussi sur l’étude de leurs caractéristiques morphologiques au niveau tissulaire. Ce défi ne pourra pas être relevé sans avancées technologiques permettant l’analyse à haut débit d’images de biopsies tumorales, l’extraction de données, et une quantification des cellules qui résident dans des échantillons tissulaires. La microscopie multiphotonique ou la microscopie à haute résolution sont particulièrement adaptées à l’analyse de la complexité tumorale dans des modèles animaux. Une équipe française a récemment développé des outils bioinformatiques dont la création de banques de données multiparamétriques en cancérologie, et des logiciels d’analyses dédiés. De tels projets de biologie intégrative devraient permettre de mieux comprendre la complexité du micro-environnement des tumeurs humaines via l’identification des différents paramètres immunitaires associés à la survie des patients, et la généralisation de l’immunoscore dans la classification des cancers. Ce niveau d’automatisation permettra aux chercheurs d’identifier des interactions cellulaires, des signatures complexes, et de nouveaux biomarqueurs qui seront tous essentiels au développement d’immunothérapies innovantes.

IV. Inflammation et régulation de l’inflammation

L’inflammation est une réaction de défense immunitaire de l’organisme contre une agression, d’origine infectieuse ou non, permettant d’éliminer la source du danger et de réparer les tissus lésés. Elle est déclenchée par la reconnaissance de signaux de dangers endogènes ou de motifs microbiens par des récepteurs cellulaires spécifiques, dont les récepteurs Toll-like et l’inflammasome. Cette reconnaissance déclenche la transcription de gènes inflammatoires puis, plus tardivement, de gènes anti-inflammatoires nécessaires au contrôle de l’inflammation et aux processus de réparation tissulaire. La dérégulation des processus inflammatoires (balance inflammation/réparation) conduit à des maladies, souvent chroniques, aboutissant à des processus cicatriciels dégénératifs et/ou à une perte de la fonction des tissus ou des organes. Les modifications de notre environnement (ex. pollution) et de notre mode de vie (ex. alimentation trop riche) contribuent fortement à l’augmentation de la prévalence des pathologies inflammatoires. Celles-ci représentent un problème majeur et croissant de santé publique. Leur impact sociétal et économique est extrêmement important. À titre d’exemple, les coûts liés à leurs traitements devraient doubler dans les 10 prochaines années. Parmi les maladies inflammatoires les plus fréquentes, citons les pathologies pulmonaires (asthme, broncho-pneumopathie chronique obstructive), l’athérosclérose, les maladies auto-immunes (lupus, sclérose en plaques), rhumatismales (polyarthrite rhumatoïde), dermatologiques (psoriasis) et intestinales (maladie de Crohn, rectocolite). Bien que des progrès thérapeutiques notables aient été constatés pour certaines de ces maladies, en particulier grâce aux anticorps monoclonaux, il persiste une importante marge de progression dans certaines affections, ou pour augmenter la part de patients répondeurs ou la balance bénéfice/risque. Par ailleurs, les maladies inflammatoires chroniques sont souvent associées à d’autres types de pathologies notamment celles liées à des dysfonctionnements métaboliques (diabète, obésité). Elles peuvent aussi conduire à une susceptibilité accrue aux infections et au développement de cancers. Mieux comprendre l’origine et les conséquences de ces maladies représente donc un enjeu majeur.

La recherche fondamentale et la recherche clinique doivent être soutenues et développées. Le renforcement de l’accès aux ressources biologiques et le développement de nouvelles cohortes de patients ainsi que de nouvelles banques biologiques (sang, ADN, urine, selles, échantillons de tissus/organes) devraient permettre l’identification de nouveaux marqueurs prédictifs et évolutifs des maladies inflammatoires chroniques mais aussi de sensibilité aux traitements. Parmi les axes de recherche à développer et/ou soutenir, citons le développement de modèles animaux pertinents et proches de la réalité clinique (rongeurs dont souris humanisées, primates) et l’imagerie, notamment l’imagerie dynamique qui permet de suivre les cellules in vivo au plus profond de l’organisme. Considérant l’importance grandissante du microbiote commensal sur les maladies inflammatoires, la relation hôte/microorganismes (microbiote commensal mais aussi agents infectieux) doit être mieux comprise. Les « omiques » sont également à encourager afin d’identifier des signatures biologiques liées à la maladie et afin de découvrir de nouvelles cibles thérapeutiques. L’identification des gènes de susceptibilité, l’élucidation des mécanismes de régulation de l’expression des gènes (épigénétique, microRNAs) et protéines (phosphorylation, ubiquitination) de susceptibilité, la recherche de nouvelles cibles moléculaires et cellulaires et l’étude de l’impact de la composante environnementale sur la maladie doivent constituer des axes prioritaires. L’emploi d’animaux modèles tels que la drosophile, le poisson zèbre et le nématode C. elegans pourrait aussi conduire à la découverte de nouveaux mécanismes de régulation de l’inflammation et à l’identification de molécules innovantes sur le plan thérapeutique. La biologie intégrative et la modélisation pourraient également contribuer à de nouvelles avancées thérapeutiques et à leurs validations. Les approches thérapeutiques, qu’elles soient moléculaires (bio-médicaments dont les anticorps thérapeutiques) et/ou cellulaires, doivent être développées, en étroite relation avec les approches plus classiques de pharmacologie (médicaments chimiques). Face aux coûts croissants pour la société, il apparaît évident que des investissements massifs, tant publics que privés, doivent être portés dans le domaine des maladies inflammatoires chroniques. Des programmes incitatifs forts et bien ciblés, favorisant recherche fondamentale et recherche translationnelle, doivent être encouragés.

V. Immunité et désordres immunitaires

Le système immunitaire est composé de différents lignages cellulaires, chacun pourvu de fonctions spécifiques, qui coopèrent pour défendre l’organisme contre les agents pathogènes. Faisant écho à la complexité de ce système, les désordres immunitaires sont de nature, de fréquence et de sévérité très variées. Néanmoins, ils ont un impact majeur en santé public et, selon les rapports de l’OMS, des pathologies comme l’asthme ou l’allergie touchent un nombre croissant de personnes. Depuis plus de 50 ans, les données recueillies chez les malades ont souvent permis d’élucider les mécanismes moléculaires impliqués dans ces pathologies et, en même temps, de mieux comprendre la mise en place et le fonctionnement du système immunitaire. Inversement, les progrès dans le domaine de l’immunologie fondamentale ont contribué à de nombreuses avancées thérapeutiques. Ce dialogue entre les aspects fondamentaux et physiopathologiques de l’immunité est toujours d’actualité et il nous semble important de soutenir simultanément les recherches consacrées aux deux versants de la discipline.

A. Contrôle de la réponse immunitaire et maladies auto-immunes

L’efficacité de la réponse immunitaire repose, d’une part, sur sa capacité à répondre à un large spectre de pathogènes et, d’autre part, à respecter le « soi » afin d’éviter l’émergence de maladies auto-immunes. Dès les années 1950, l’Australien Frank Mac Burnet proposait l’existence d’un mécanisme de sélection qui éliminerait les clones auto-réactifs et qui sélectionnerait les lymphocytes immunocompétents. Depuis, les bases moléculaires et génétiques de cette tolérance « centrale » ont été précisées et, chez l’Homme, la mutation du gène AIRE est associée à un défaut de sélection dans les patients APECED (Autoimmune PolyEndocrinopathy-Candidiasis-Ectodermal Dystrophy). Plus récemment, d’autres processus de régulation, agissant en périphérie, ont été identifiés. Les avancées les plus marquantes ont été apportées par la découverte de sous-populations cellulaires (Treg, Breg, Th1, Th2, TFH, Th17, etc.), qui régulent la fonction des lymphocytes effecteurs et dont l’altération contribue à l’émergence de désordres immunitaires. Schématiquement, les cellules Th1, dont le développement est induit par l’interleukine-12 (IL-12), produisent de l’interféron gamma et contribuent à l’élimination des pathogènes intracellulaires et des virus. Un déséquilibre Th1 est souvent associé des maladies auto-immunes comme l’arthrite ou le diabète. Inversement, l’IL-4 favorise la différenciation des cellules Th2, qui participent à la réponse aux helminthes et dont l’activité excessive est associée à l’asthme, à l’allergie ou au lupus. Enfin, l’action combinée de l’IL-2 et du TGF-beta permet le développement des cellules Treg qui inhibent la réaction immune. Ces cellules sont absentes (IPEX) ou en nombre réduit dans certaines maladies immunitaires et des cancers. Si de nombreux aspects de la biologie de ces sous-populations cellulaires sont aujourd’hui connus, d’autres restent encore largement inexplorés et représentent des axes de recherche importants.

L’identification des réseaux cellulaires, protéiques et métaboliques qui contrôlent la différenciation et l’activité des lymphocytes régulateurs (Treg et Breg) et des sous-populations auxiliaires (Th) constitue un défi majeur. Y répondre nécessite le développement de nouveaux modèles biologiques mais aussi informatiques et mathématiques permettant de donner une vision globale et intégrée du rôle de chaque lignée au sein des organes où s’engage la réaction immunitaire. Étendues aux pathologies auto-immunes ces approches apporteront des éléments nouveaux sur la nature des déséquilibres à l’origine des maladies et procureront une base solide pour le développement de nouvelles stratégies thérapeutiques.

Les études épidémiologiques réalisées au cours des 20 dernières années ont clairement mis en évidence le caractère familial fréquent des désordres immunitaires. Les approches génétiques, qui ont permis d’élucider les bases moléculaires des certains déficits immunitaires monogéniques comme les syndromes de Bruton, d’Omenn ou HIGMs, doivent maintenant être adaptées à l’analyse des maladies auto-immunes, plus complexes, souvent polygéniques et multifactorielles. Des données nouvelles sur les gènes qui régulent la réponse immune aideront à améliorer la prévention et le diagnostic des malades. Enfin, des pathologies comme le diabète, la sclérose en plaque ou l’asthme sont associées à des facteurs environnementaux et, en particulier, à la composition du microbiote des patients. Les mécanismes par lesquels la flore intestinale affecte la réponse immunitaire restent quasiment inconnus et leur identification constitue probablement un des plus grands défis pour les immunologistes. Là encore, les progrès viendront de l’utilisation de stratégies à haut débit, permettant d’analyser le microbiote dans son ensemble, mais également du développement de modèles biologiques capables d’évaluer le rôle des éléments microbiotiques sur le système immunitaire. Les implications de ces travaux pourraient dépasser le cadre des désordres immunitaires et concerner également des pathologies psychiatriques et des cancers.

B. Génétique et désordres immunitaires

Depuis plus 20 ans, l’élucidation des bases génétiques des patients souffrant d’immunodéficiences primaires (d’origine génétique) a permis la découverte de mécanismes et de facteurs essentiels de la réponse immunitaire et du développement du système immunitaire. Les immunodéficiences primaires sont des maladies rares mais leur nombre est important puisque actuellement plus de 200 causes génétiques ont été identifiées pour ces maladies. Ces modèles « in natura » sont très informatifs pour comprendre le fonctionnement du système immunitaire chez l’Homme et ses interactions avec l’environnement. Récemment, le développement et l’usage des nouvelles techniques d’analyse du génome et sa régulation (séquençages exome, génome entier, transcriptome) ont permis des progrès importants et rapides dans la compréhension des bases génétiques de ces maladies, mais ils ont aussi révélé sa complexité dans un nombre croissant de pathologies. Ces nouveaux outils produisent des quantités massives de données (« big data ») qui nécessitent de nouvelles compétences professionnelles pour leur traitement et leur analyse (plateformes bioinformatiques et bioinformaticiens). Néanmoins, les approches « classiques » à partir de modèles cellulaires et animaux sont et resteront essentielles pour élucider la fonction des variants/défauts génétiques identifiés et les mécanismes physiopathologiques qui leur sont associés. Il faut aussi souligner qu’actuellement les cohortes de patients étudiées (avec un phénotype homogène) sont devenues très petites, constituées seulement de quelques individus, rendant difficile la validation des variations génétiques trouvées chez ces patients. Dans ce contexte, les approches « classiques » sont d’autant plus nécessaires et complémentaires aux approches génétiques pour comprendre la signification de ces variations. Le développement très récent d’une nouvelle classe d’outils d’ingénierie des génomes utilisant les nuclesases CRISPR/Cas9 qui permettent l’obtention rapide de « knock-out » cellulaires, va rendre ces approches plus facils à mettre en place. L’étude des immunodéficiences primaires a permis non seulement des progrès importants en immunologie fondamentale mais elle a participé et contribué de façon essentielle à de nombreuses avancées diagnostiques et thérapeutiques (incluant les thérapies cellulaires et génétiques). Il est aussi évident que les travaux sur les immunodéficiences primaires ont joué un rôle d’exemple pour aborder les bases génétiques d’autres désordres immunitaires qui n’étaient pas ou ne sont pas considérés comme des immunodéficiences. De nombreuses études indiquent l’importance des facteurs génétiques dans le déclenchement de pathologies telle que l’asthme, les maladies inflammatoires de l’intestin, les maladies auto-immunes. Ces facteurs sont mal connus pour le moment mais les nouvelles techniques d’analyse du génome vont permettre dans un avenir proche une meilleure compréhension du rôle de ces facteurs dans ces désordres immunitaires.

C. Hémopathies et développement du système immunitaire

La mise en place du système immunitaire est un processus complexe qui permet à un nombre limité de cellules souches hématopoïétiques de produire l’ensemble des cellules effectrices impliquées dans la réponse immune. Les altérations qui surviennent au cours de la différenciation des cellules peuvent bouleverser de nombreux aspects de leur biologie et contribuer à l’émergence de déficits immunitaires ou d’hémopathies malignes. Avec plus de 20000 nouveaux cas par an, les hémopathies lymphoïdes représentent une part importante de ces maladies et leur nombre tend à augmenter avec le vieillissement de la population. Au cours des 30 dernières années, grâce à la cytogénétique moléculaire, certaines lésions génétiques récurrentes associées à la leucémogénèse ont été identifiées. D’une façon intéressante, les altérations affectent souvent des gènes impliqués dans le contrôle de la mise en place du système immunitaire. Par exemple, les mutations du facteur de transcription Ikaros sont fréquentes dans les leucémies aiguës lymphoblastiques, celles de BCL6 sont retrouvées dans les lymphomes B et des translocations chromosomiques dérégulent MAF dans le myélome multiple. En utilisant des stratégies génétiques chez la souris, les chercheurs ont validé les fonctions oncogéniques des gènes mutés et généré des modèles précieux de ces pathologies humaines. Plus récemment, le séquençage nouvelle génération a apporté un éclairage nouveau sur la génétique des hémopathies malignes en donnant accès à l’ensemble des altérations présentes dans les cellules tumorales. Ces approches génomiques ont généré une quantité énorme de données dont le traitement nécessitera de lever les verrous suivants.

Premièrement, parmi les nombreuses mutations présentes dans les cellules tumorales, il faut trier les altérations essentielles « drivers » des altérations accessoires « passagers ». Cette hiérarchisation des fonctions oncogéniques demandera l’analyse de très grandes cohortes de patients et la mise au point de tests biologiques in vivo. Deuxièmement, pour comprendre l’évolution des maladies, il est indispensable de définir les coopérations fonctionnelles des différentes mutations et, troisièmement, de caractériser les grandes voies (pathways) altérées par ces lésions génétiques. Enfin, il est nécessaire de préciser le rôle de l’environnement dans le développement des différentes pathologies.

L’étude des mécanismes responsables de la progression des hémopathies lymphoïdes permettra, d’une part, de développer des stratégies thérapeutiques plus efficaces et, d’autre part, d’identifier de nouveaux processus contrôlant la mise en place du système immunitaire.

VI. Développements technologiques & instrumentation

A. Modèles d’études

1. Modèles in vitro et in vivo

Ces dernières années ont été marquées par le développement de nombreux systèmes expérimentaux modèles qui permettent de se rapprocher des situations physiologiques ou pathologiques, comme par exemple des modèles de tissus ou de co-cultures en trois dimensions. En particulier, les tranches de foie perfusées ouvrent des perspectives intéressantes pour étudier les premières étapes de l’infection par les pathogènes « hépatotrophes » comme les virus de l’hépatite (A, B, C et E) ou l’agent du paludisme, P. falciparum, qui sont totalement méconnues. Ce développement est très important dans un contexte de réduction de l’utilisation des animaux pour l’expérimentation.

De plus, les modèles animaux évoluent aussi. Des modèles de greffes de tissus humains, d’humanisation partielle ou complète du système immunitaire des souris ont été mis en place récemment et vont devenir des modèles standard pour l’étude de nombreux pathogènes notamment ceux qui sont strictement restreints à l’Homme comme Neisseria meningitidis ou Streptococcus pyogenes. Ces modèles présentent l’avantage considérable de s’affranchir des différences entre systèmes immunitaires murins et humains chez des animaux dont la manipulation est plus aisée que les primates non humains. Par ailleurs, d’autres modèles animaux ont commencé à être de plus en plus utilisés, comme le Danio zébré (« zebrafish »). Ce petit poisson présente de multiples avantages comme d’avoir un système immunitaire qui est proche du système humain, et d’avoir des stades larvaires transparents, ce qui permet des études in vivo du développement du système immunitaire, de la mise en place des infections et des réponses immunitaires.

2. Manipulation et outils

Une avancée majeure très récente a été obtenue par la diffusion de l’approche CRISPR/Cas9, héritée des mécanismes procaryotes de défense contre des virus (bactériophages). Cette méthode aboutit à la cassure ciblée des génomes et permet de faire de l’édition de gènes : délétion (« knock-out ») ou modification (« knock-in »). Cette approche va sans doute prendre une place grandissante pour étudier les fonctions de protéines en abolissant totalement et donc plus efficacement leur expression, que par l’approche d’ARN interférence. Des cribles à haut débit tirant profit de cette nouvelle approche vont se généraliser pour identifier les gènes importants pour des fonctions cellulaires données. Par ailleurs, cette approche permet de remplacer les gènes par des régions codantes mutées ou fusionnées à des séquences codant pour des protéines fluorescentes, pour obtenir des niveaux d’expression des protéines exogènes identiques aux protéines endogènes, et avec les mêmes régulations géniques. À noter que cette technologie s’appliquera à la fois au niveau cellulaire (lignées de mammifères, parasites) et au niveau de l’animal.

Près de quarante ans après le développement des anticorps monoclonaux, et près de vingt ans après la diffusion des anticorps recombinants dérivés de phages, ces dernières années ont vu des regains d’intérêt et surtout l’augmentation des applications des anticorps pour des tests de détection de biomarqueurs ou des injections thérapeutiques. Pour les applications thérapeutiques, les anticorps sont issus d’immunisations de lama ou autres camélidés n’ayant qu’une chaîne de haute affinité, issus de sélections de banques synthétiques, et humanisés pour éviter les réactions immunitaires suite à des injections répétées. De nombreuses recherches sont orientées vers la détection de cibles potentielles de tels anticorps sur des cellules modifiées ou tumorales, et la compréhension de leur mode d’action (mécanisme de mort cellulaire, blocage des ligands).

B. Instrumentation et méthodes d’analyse

1. Microscopie

Les approches de microscopie ont toujours été un levier des découvertes en biologie. Ces dernières années se sont développées des méthodes qui permettent d’augmenter la résolution de la microscopie photonique, et donc de visualiser avec plus de détail des localisations subcellulaires de protéines ou de microorganismes, de combiner des approches de mesures de force ou des méthodes de transfert d’énergie qui permettent de donner des informations sur les interactions fonctionnelles entre des structures intracellulaires. En cela, la microscopie a évolué au-delà d’une approche d’observation pure pour s’approcher et se combiner à des approches de biochimie. Par ailleurs, la microscopie intravitale, qui permet de visualiser les événements dans des tissus ou organismes vivants, est devenue courante depuis quelques années pour étudier in vivo les interactions entre les organismes pathogènes et leurs hôtes ou les réactions immunitaires.

2. Les approches « omiques »

Depuis le projet de séquençage du génome humain initié dans les années 90, nous assistons à une véritable révolution scientifique. Le développement et l’usage de nouvelles technologies « omiques » permettent aujourd’hui de générer des quantités énormes de données (« big data ») à des niveaux biologiques multiples (génomique, épigénétique, transcriptomique, protéomique, métabolomique, etc.). De fait, « la production et l’analyse de données massives » sont considérées comme étant « l’élément de rupture le plus déterminant » pour la définition d’une stratégie de recherche dans le rapport de l’atelier no 4 (Santé et bien-être) de la stratégie nationale de la recherche. Ce nouveau modèle de recherche ne peut pas se substituer et ne doit pas remettre en cause l’expérimentation classique basée sur des hypothèses précises mais ouvre la voie à de nouveaux champs d’applications et d’investigations. Comme évoqué à plusieurs reprises dans ce document, le potentiel des approches « omiques » pose toutefois un défi majeur, notamment pour la collecte, le contrôle de qualité et le traitement de ces données massives qui nécessitent de nouvelles compétences professionnelles. Il est clair que l’essor de cette biologie moderne ne se fera pas sans le recrutement de bio-informaticiens capables de gérer ces big data et d’en extraire des connaissances pertinentes sous peine de ne pas exploiter les données issues de ces approches coûteuses (« high throughput, little output »). Cette dualité nécessitera sans doute le recrutement de personnels au profil nouveau, à cheval sur plusieurs domaines scientifiques et dont l’évaluation est aujourd’hui rendue difficile par le relatif cloisonnement des sections du CNRS.

Conclusion

De nombreux chercheurs et équipes du CNRS évalués par la section 27 sont reconnus internationalement dans les différents domaines en microbiologie, biologie cellulaire et immunologie développés ci-dessus. Cependant, cette reconnaissance risque d’être menacée si les soutiens financiers continuent à être sélectifs non pas sur des critères d’excellence mais sur des critères finalisés. Les pressions politiques, la baisse notable et continue du financement de la recherche publique, la baisse des recrutements, l’instauration d’une évaluation jugeant plus la rentabilité sous forme de publications que la génération d’idées et de concepts nouveaux ont forcé une majorité des équipes à orienter leurs travaux vers une recherche plus appliquée aux résultats plus rapides mais moins ambitieux. La section 27 s’inquiète de cette évolution malgré un discours qui se veut rassurant de la part du CNRS et rappelle encore une fois qu’une recherche fondamentale de qualité est indispensable à une recherche appliquée fructueuse.

Il est important que le CNRS retrouve les moyens qui lui permettront dans le domaine des sciences biologiques d’affirmer ses orientations et de soutenir ses équipes afin que ces dernières puissent rester des références internationales dans leur domaine.