Rapport de conjoncture 2014

Section 23 Biologie végétale intégrative

Extrait de la déclaration adoptée par le Comité national de la recherche scientifique réuni en session plénière extraordinaire le 11 juin 2014

La recherche est indispensable au développement des connaissances, au dynamisme économique ainsi qu’à l’entretien de l’esprit critique et démocratique. La pérennité des emplois scientifiques est indispensable à la liberté et la fécondité de la recherche. Le Comité national de la recherche scientifique rassemble tous les personnels de la recherche publique (chercheurs, enseignants-chercheurs, ingénieurs et techniciens). Ses membres, réunis en session plénière extraordinaire, demandent de toute urgence un plan pluriannuel ambitieux pour l’emploi scientifique. Ils affirment que la réduction continue de l’emploi scientifique est le résultat de choix politiques et non une conséquence de la conjoncture économique.

L’emploi scientifique est l’investissement d’avenir par excellence
Conserver en l’état le budget de l’enseignement supérieur et de la recherche revient à prolonger son déclin. Stabiliser les effectifs ne suffirait pas non plus à redynamiser la recherche : il faut envoyer un signe fort aux jeunes qui intègrent aujourd’hui l’enseignement supérieur en leur donnant les moyens et l’envie de faire de la recherche. On ne peut pas sacrifier les milliers de jeunes sans statut qui font la recherche d’aujourd’hui. Il faut de toute urgence résorber la précarité. Cela suppose la création, sur plusieurs années, de plusieurs milliers de postes supplémentaires dans le service public ainsi qu’une vraie politique d’incitation à l’emploi des docteurs dans le secteur privé, notamment industriel.

Composition de la section

Jean-Marc Deragon (président de section) ; Sébastien Mongrand (secrétaire scientifique) ; Tristan Barbeyron ; Andréa Hemmerlin ; Gwyneth Ingram ; Thierry Langin ; Patrick Laufs ; Laurence Lejay ; Claire Lurin ; Éric Maréchal ; Annie Marion-Poll ; Christophe Maurel ; Jacques Millet ; Soufian Ouchane ; Fabrice Rappaport ; Susana Rivas ; Christophe Robaglia ; Dominique Rumeau ; Sébastien Staerck ; Maud Tenaillon ; Fabrice Wattebled.

Résumé

Ce rapport de conjoncture réaffirme l’importance de la recherche fondamentale menée sur les organismes photosynthétiques dans le processus de découverte de solutions pour l’avenir et souligne le rôle unique joué par les laboratoires associés au CNRS. Les particularités et la diversité des organismes photosynthétiques sont exceptionnelles et méritent une attention particulière. Nous développons ici l’idée que leur étude est essentielle pour relever efficacement les défis de la chimie verte et de la transition énergétique, pour déchiffrer les bases moléculaires de la relation génotype/phénotype, pour comprendre les phénomènes de croissance et de développement et pour appréhender les relations organisme/environnement. Les plantes peuvent aussi s’avérer très utiles comme outils permettant de décrypter les mécanismes conservés du vivant, dont ceux associés à des pathologies humaines. Les méthodologies nécessaires pour promouvoir et accompagner les approches intégratives et pluridisciplinaires sur les organismes photosynthétiques sont également présentées. Enfin, nous proposons six actions de politique scientifique qui nous semblent essentielles pour renforcer la dynamique de la recherche nationale en biologie végétale.

Introduction

Ce document est le résultat de discussions menées au sein de la section 23 du Comité National de la Recherche Scientifique et de contacts établis avec les directeurs d’unités de Biologie Végétale Intégrative. À ce titre, nous estimons qu’il reflète une position consensuelle de notre communauté.

Ce rapport de conjoncture a été réalisé dans une période de grande morosité économique au plan national et européen. Ce contexte économique difficile a conduit l’état français à appliquer une politique de réduction des dépenses qui n’épargne pas le secteur de la recherche et qui touche de plein fouet la recherche dite « fondamentale » réalisée sur des organismes modèles. En effet, en période de pénurie, la tentation est forte pour nos décideurs d’alimenter en priorité une recherche proche des préoccupations sociétales estimant qu’elle est plus susceptible de créer des emplois à court terme et ceci au détriment d’une recherche plus amont et donc moins finalisée.

Dans ce contexte, l’objectif premier de ce rapport est de réaffirmer l’importance d’une recherche fondamentale innovante sur les organismes photosynthétiques, incluant les organismes modèles, dont la priorité est la génération de connaissances. Dans ce document, les eucaryotes photosynthétiques sont globalement appelés les « micro-algues », lorsqu’ils sont unicellulaires, les « macro-algues » pour les protistes photosynthétiques multicellulaires et enfin ils comprennent les « plantes » non vasculaires et vasculaires. Ces organismes sont la condition d’existence de la plupart des autres formes vivantes terrestres ou marines, et à ce titre leur biologie mérite une attention particulière. De plus, les végétaux et autres organismes photosynthétiques offrent de nombreux avantages permettant de faire avancer les connaissances en biologie. Ils permettent notamment de travailler sur des organismes entiers complexes et donc de replacer dans un contexte physiologique et populationnel les avancées réalisées sur la compréhension des mécanismes moléculaires fondamentaux du vivant. L’utilisation de ces organismes permet également de générer facilement du matériel vivant facilitant les approches biochimiques. Enfin, les approches génétiques y sont généralement aisées. Ainsi, la possibilité d’obtenir un grand nombre de descendants à partir de croisements dirigés, de réaliser des croisements interespèces et des manipulations génétiques, d’observer des mutations qui sont létales chez les animaux sont autant d’atouts pour étudier les mécanismes de base du vivant. De nombreuses avancées en biologie (telles que la découverte des éléments transposables, de la fonction des chaperonnes moléculaires et plus récemment la découverte des petits ARN et leurs rôles dans la régulation de l’expression des gènes et la lutte antivirale) ont comme origine l’étude des modèles végétaux. La spécificité de la biologie végétale développée au CNRS réside principalement dans cette volonté d’étudier les organismes photosynthétiques en tant que tels, car ils permettent d’appréhender des processus biologiques très perfectionnés, qu’ils soient originaux ou conservés dans le règne vivant. À ce titre, le CNRS joue un rôle primordial et non redondant dans le soutien de la recherche en biologie végétale au niveau national. De nombreux indicateurs, tels que le nombre de lauréats ERC (15 depuis 2007), le nombre de brevets actifs (18 depuis 2008) et le nombre élevé de publications dans des revues prestigieuses, s’accordent à montrer que la recherche en biologie végétale menée par les unités appartenant à la section 23 est à la pointe de ce qui se fait au niveau international.

Évidemment, la recherche de connaissances n’exclut en rien la découverte de solutions aux nouveaux défis sociétaux. Bien au contraire, nous estimons que la biologie végétale au CNRS est un maillon essentiel dans le processus de découverte de solutions pour l’avenir avec notamment des impacts pour le développement durable (agriculture et environnement). De plus, la biodiversité végétale, qu’elle soit au niveau des écosystèmes terrestres ou marins, représente un potentiel fort pour des applications innovantes en biotechnologie. À ce titre, les organismes photosynthétiques représentent une mine d’inspiration pour de futures applications dans le domaine de la chimie verte et de la transition énergétique, mais encore faut-il avoir une connaissance suffisante de ces organismes pour les exploiter pleinement et intelligemment. C’est précisément ce type de connaissances que peuvent générer les laboratoires rattachés à la section 23. La croissance et le développement des plantes, ainsi que leur capacité à s’adapter à leur environnement, représentent un enjeu agronomique d’importance. La plupart des experts du climat prévoient une hausse moyenne des températures de 1,1 à 6,4 oC d’ici 2100. Ces changements climatiques, amorcés il y a plus de trente ans, mettent en danger notre qualité de vie et soulèvent de nombreux défis pour l’avenir. Parmi ces défis, le plus difficile peut-être, sera d’assurer une production agricole suffisante pour nourrir une population mondiale croissante dans des conditions environnementales de plus en plus erratiques. On estime probable une baisse du rendement agricole de l’ordre de 10 % pour chaque hausse d’un degré de la température mondiale moyenne. Or, pour nourrir les 9 milliards d’individus qui peupleront notre planète en 2050, il ne suffira pas de maintenir notre production agricole actuelle mais il faudra l’augmenter de l’ordre de 60 % ! Aussi, il est urgent de comprendre comment les variations climatiques affectent les végétaux afin d’adapter rapidement l’agriculture aux futurs défis environnementaux. Ceci nécessite des connaissances poussées sur les bases moléculaires de la relation génotype/phénotype, sur les processus de croissance et de développement des plantes, ainsi que sur les mécanismes de résistance aux stress biotiques et abiotiques, autant de sujets traités dans les laboratoires de la section 23 (pour une représentation complète par mots-clés des sujets traités par les laboratoires de la section 23 voir l’annexe 2, cette annexe inclut également les principales méthodologies et espèces utilisées).

De façon plus surprenante, les plantes peuvent aussi s’avérer très utiles comme outils permettant de décrypter des mécanismes conservés associés à des pathologies humaines. Ainsi, plusieurs découvertes ayant un impact direct sur la santé humaine ont été réalisées chez la plante modèle Arabidopsis (pour une description complète voir Jones et al., 2008, Cell, 133 :939-943). En effet, plusieurs gènes impliqués dans des pathologies humaines présentent chez les végétaux un homologue parfois plus proche du gène humain que de ceux d’espèces animales modèles, telles que la drosophile ou Caenorhabditis elegans. Citons comme exemple l’étude des récepteurs NBS-LRR et de leurs chaperons moléculaires chez la plante, qui a permis des avancées significatives sur le fonctionnement de récepteurs humains (NOD/CARD/CATERPILLAR) impliqués dans plusieurs pathologies inflammatoires. Un autre exemple concerne les avancées réalisées sur les phénomènes de protéolyse régulés par l’auxine, qui ont permis la découverte chez l’homme d’un régulateur clé de la fonction SCF, un acteur important du contrôle de la croissance cellulaire et souvent impliqué dans le développement de cancers.

La recherche menée dans les laboratoires rattachés à la section 23, utilisant principalement des organismes modèles, représente donc une première étape essentielle au sein du dispositif national d’innovation. Ce dispositif est souvent qualifié de déficient par nos décideurs qui estiment que la deuxième étape, soit le transfert vers des plantes de grande culture et autres applications sociétales, est trop timide. Cette situation est en partie liée à la difficulté à faire accepter l’utilisation de plantes génétiquement modifiées par les consommateurs. Néanmoins, au-delà de cette contrainte, cette étape de transfert est perfectible et, en ces périodes de rigueur budgétaire, on peut comprendre la frustration de nos dirigeants quant à la lenteur des retombées directes de leurs investissements. Toutefois, investir exclusivement dans les actions de transfert au détriment de l’étape essentielle d’acquisition des connaissances n’aura non seulement pas les effets escomptés, mais déstructurera durablement cette première étape du dispositif. Comment ignorer que la biologie fondamentale connaît de nos jours une formidable montée en puissance, tant du point de vue conceptuel que technologique ? Nous estimons donc qu’il est crucial de favoriser un continuum allant de la génération de connaissances à l’élaboration de nouvelles solutions permettant de répondre aux enjeux sociétaux. Cette recommandation peut s’accompagner d’une politique volontariste de développement de la propriété intellectuelle afin de favoriser les conditions de transfert vers les applications. Dans ces conditions, il est souhaitable que la recherche en biologie végétale du CNRS soit consolidée et non pas opposée à la recherche plus finalisée menée sur les plantes de grande culture par d’autres organismes publics et par le secteur privé.

Dans la suite de ce document, nous nous efforçons de démontrer le rôle essentiel que doit jouer la recherche en biologie végétale du CNRS dans le dispositif national d’innovation. Nous ferons ensuite des recommandations susceptibles de renforcer la dynamique de recherche nationale dans ce secteur.

I. La place de la biologie végétale du CNRS dans la genèse de solutions pour l’avenir

A. La diversité des organismes photosynthétiques, une mine d’inspiration et des défis pour la chimie verte et la transition énergétique

1. Étudier et exploiter les origines complexes des organismes photosynthétiques

L’importante biodiversité des organismes photosynthétiques est une ressource inestimable dont l’exploitation est malheureusement freinée par notre retard de connaissance de ces organismes. Pour combler ce retard, de nouveaux organismes photosynthétiques modèles ont été récemment identifiés et sont en cours d’analyse par des approches génomiques. Ces organismes ont été sélectionnés en se basant sur la réforme profonde de la phylogénie des eucaryotes issus d’une endosymbiose simple avec une cyanobactérie ancestrale (par ex. les algues rouges, algues vertes et les plantes) ou de multiples symbioses (les protistes photosynthétiques parmi lesquels le groupe hétérogène des Chromalvéolés qui comprend le groupe autrefois qualifié d’algues brunes). Le CNRS a ainsi été à la première place dans la définition de nouveaux modèles photosynthétiques : l’algue verte unicellulaire et picoeucaryotique Ostreococcus tauri, l’algue rouge pluricellulaire Chondrus crispus, et des Chromalvéolés photosynthétiques, unicellulaires comme la diatomée Phaeodactylum tricornutum, ou pluricellulaires comme les Phéophycées Ectocarpus siliculosus et Laminaria digitata. Ces organismes modèles s’ajoutent à Chlamydomonas reinhardtii, Physcomitrella patens et Arabidopsis thaliana, comme de nouvelles références pour la production de connaissances couvrant des secteurs peu explorés de la biodiversité.

Une première retombée très positive de la mise en place de ces nouveaux modèles est notre capacité à aborder pour la première fois les conséquences biologiques de la présence au sein d’un même organisme d’au moins deux génomes eucaryotes très éloignés, suite à des événements d’endosymbiose successifs. Ainsi, la combinaison de gènes d’origine « végétale » avec des gènes de type plutôt « animal » conduit à la formation de voies métaboliques, de signalisation ou à des processus moléculaires hybrides, totalement originaux. Cette combinatoire a commencé à être étudiée par bioinformatique comparative notamment avec des résultats majeurs comme l’identification d’un cycle de l’urée chez les diatomées ou de voies de signalisation cellulaire non classiques chez les Chromalvéolés. D’autre part, la diversité des combinaisons de génomes existant chez les eucaryotes photosynthétiques constitue une richesse au sein du monde vivant qui ouvre de nouvelles pistes d’applications comme des usines cellulaires pour produire des composés valorisables.

Cependant, notre connaissance encore très parcellaire de la compartimentation subcellulaire introduite par les multiples endosymbioses limite sérieusement nos efforts de caractérisation fonctionnelle de ces nouveaux modèles photosynthétiques. En effet, la nature, la dynamique et la biogenèse des compartiments membranaires spécifiques des endosymbiontes secondaires, les systèmes de transport et de trafic de métabolites que leur présence implique, ainsi que leur impact sur la physiologie et le développement de ces organismes, sont tout simplement inconnus. Les unités de la section 23 ont été pionnières dans la caractérisation de la compartimentation subcellulaire, de la dynamique du métabolisme et du fonctionnement des organites spécifiques des plantes, en particulier les chloroplastes primaires. L’enjeu consiste donc désormais non seulement à approfondir la caractérisation structurale et fonctionnelle des compartiments membranaires chez les modèles représentatifs d’endosymbiontes primaires, mais également à étendre cette caractérisation aux eucaryotes à endosymbiose secondaire. Pour cela, il conviendra d’utiliser des approches intégratives et multidisciplinaires comprenant des études multi-échelles, depuis le compartiment isolé jusqu’à ses composants moléculaires (protéomes, métabolomes solubles et lipidomes), et à l’inverse, du compartiment isolé jusqu’à la cellule entière, dans ses contextes physiologiques et environnementaux. Combler ces lacunes dans nos connaissances conférera un cadre cellulaire aux études fondamentales menées sur la biologie de ces espèces, qui occupent une place déterminante dans les écosystèmes, en particulier marins. Cela permettra également de fonder de nouvelles démarches rationalisées visant à une meilleure maîtrise de leur culture, de façon à faciliter l’exploitation de leurs capacités métaboliques pour des applications biotechnologiques (voir plus loin).

2. Produire des connaissances comparatives sur la fonction photosynthétique et le métabolisme énergétique

Les avancées majeures en biochimie et biologie structurale ont conduit à une description très fine des relations entre structures et fonctions des composants essentiels de la chaîne de transfert d’électrons photosynthétique. Cette chaîne de transporteurs est aujourd’hui la voie naturelle de conversion d’énergie la mieux connue, toutes espèces confondues. Les mécanismes intimes du fonctionnement des complexes majeurs sont, en effet, hautement connus. Dans son ensemble, la connaissance de l’activité photosynthétique a bénéficié des études en nombre croissant portant sur cette fonction considérée comme une activité cellulaire autonome et, plus largement, intégrée dans le métabolisme cellulaire. Dans ce contexte, la multiplication des organismes modèles accessibles aux études fonctionnelles a été déterminante, puisqu’elle a permis l’exploration de la diversité des mécanismes régulateurs mis en œuvre dans différents écosystèmes. Ainsi, alors que les constituants essentiels du processus photosynthétique sont parfaitement conservés, les mécanismes par lesquels l’énergie lumineuse est collectée et transférée aux complexes photochimiques, ainsi que ceux prévalant à la régulation de cette collecte énergétique, montrent une grande diversité. En effet, ils présentent autant de variations des principes physico-chimiques que l’on trouve d’embranchements à l’arbre phylogénétique des organismes photosynthétiques. Les approches de biologie moléculaire et de génétique étant devenues accessibles pour des organismes photosynthétiques de plus en plus diversifiés, il a également été possible de révéler des voies alternatives de transfert d’électrons, éventuellement connectées à la voie principale, et dont les acteurs moléculaires, variables selon les espèces, ont été en partie caractérisés. Même si la signification fonctionnelle de ces voies n’est pas définitivement établie, leur contribution probable à l’équilibre énergétique de la cellule végétale, leur confère une grande importance dans un environnement naturel fluctuant.

Les mécanismes de signalisation contrôlant la réponse aux stress, et notamment aux stress oxydants, qui préludent à la mise en place des systèmes de protection de l’appareil photosynthétique, ont fait l’objet d’avancées notables ces dernières années. Ces analyses ont révélé des mécanismes moléculaires originaux, variables selon les espèces, supports de la plasticité phénotypique dans un environnement oxydant (tel que celui qui prévaut dans des écosystèmes où les organismes photosynthétiques sont particulièrement concentrés).

Enfin, la compréhension au niveau moléculaire des conséquences fonctionnelles de ce type de stress, et la détermination des chemins réactionnels impliqués, ont révélé que la maintenance de la machinerie photosynthétique, constamment soumise à des cycles de dégradations/réparations, représente l’un des postes les plus importants en termes de coût énergétique cellulaire et d’impact sur le rendement du processus photosynthétique, estimé par la production de biomasse. Ce questionnement, fondamental quant à l’économie métabolique de la cellule photosynthétique, prend une dimension toute particulière compte tenu de l’impérieuse nécessité de concevoir et de développer de nouvelles pratiques visant à résoudre la dépendance de nos sociétés vis-à-vis des combustibles fossiles.

3. Explorer le potentiel des eucaryotes photosynthétiques pour proposer des alternatives aux énergies fossiles et relever les défis de la chimie verte et bioinspirée

La biomasse générée par les organismes eucaryotes photosynthétiques provient de la réduction du CO2 atmosphérique au cours du processus photosynthétique. Cette propriété permet d’envisager l’exploitation de ces organismes avec un bilan carbone neutre, c’est-à-dire comme ressources renouvelables. Les eucaryotes photosynthétiques constituent ainsi une alternative aux composés organiques fossiles dont l’utilisation comme carburants ou en pétrochimie libère un excédent de CO2 contribuant à l’effet de serre.

La faculté à synthétiser en quantité des polysaccharides et des lipides diversifiés du point de vue de leur structure moléculaire fait des organismes photosynthétiques une ressource potentiellement importante pour la production de biocarburants et pour une chimie dite « verte ». La compétition entre surfaces de cultures dédiées aux bioénergies et celles indispensables à la nutrition animale et humaine conduit à rechercher des solutions nouvelles : au travers d’une meilleure exploitation des coproduits de l’agriculture, avec un contenu complexe ligno-cellulosique difficile à déconstruire, en favorisant l’accumulation du carbone vers les ressources amylifères facilement hydrolysables, ou encore en explorant de nouveaux gisements de biomasse. À ce propos, l’exploration des écosystèmes océaniques, par exemple au cours des campagnes de TARA Océans, a permis au CNRS de se doter de collections permettant de cribler la biodiversité océanique pour identifier des espèces remarquables pour la chimie dite « bleue » (chimie verte issue de la biodiversité marine). Pour une espèce donnée, la maîtrise simultanée de la quantité de biomasse et de la teneur en métabolites d’intérêt, en particulier sucres, lipides et métabolites secondaires, nécessite la compréhension fine de la physiologie cellulaire, de la photosynthèse et du métabolisme.

Les organismes photosynthétiques sont également une source inépuisable de nouvelles molécules aux propriétés physico-chimiques intéressantes avec un large spectre d’applications potentielles (cosmétique, médecine, agroalimentaire, etc.). Le CNRS contribue à l’identification de nouveaux métabolites, au décryptage de voies biosynthétiques et de leur régulation, ainsi qu’au développement par ingénierie métabolique de nouvelles technologies permettant d’accroître la diversité moléculaire. La modélisation et l’orientation du métabolisme, par exposition à des stress nutritifs ou par ingénierie moléculaire, représentent un enjeu majeur. Les eucaryotes photosynthétiques sont une source d’enzymes, non seulement capables de générer une palette de métabolites, dont la diversité moléculaire est inégalée dans le monde vivant, mais dont les mécanismes moléculaires pourraient inspirer des solutions nouvelles pour le développement de nouveaux biocatalyseurs. Enfin, de nouveaux matériaux, incluant les nanomatériaux, pourraient être conçus à partir de la connaissance de l’architecture cellulaire, de la structure pariétale et de sa dynamique, ou encore grâce à l’exploitation des ressources polysaccharidiques non cellulosiques et de leurs dérivés.

Dans ce contexte, les laboratoires de la section 23 jouent un rôle essentiel, au sein du dispositif national de recherche et d’innovation structuré avec les autres tutelles (INRA, CEA, IRD, CIRAD, IFP, Universités), et dont l’objectif est de relever les défis de la transition énergétique de la chimie verte et des développements bioinspirés.

B. Les organismes photosynthétiques permettent de mieux comprendre les bases moléculaires de la relation génotype/phénotype

L’évolution résulte de l’action de la sélection naturelle sur la variabilité génétique. L’émergence de nouvelles technologies de séquençage à grande échelle a permis des avancées majeures en ce qui concerne l’estimation des taux de mutation, de la variabilité épigénétique et de la variabilité structurale. À la description de ces patrons de variation à l’échelle génomique, a été associée une meilleure compréhension des mécanismes qui les façonnent. L’utilisation des outils et des concepts de génétique des populations, permettant en particulier l’exploitation des grandes masses de données de polymorphisme, a permis de reconstruire de plus en plus finement l’histoire des espèces et de proposer des déterminants génétiques et/ou épigénétiques qui contrôlent leur interaction avec les composantes biotiques et abiotiques de leur environnement. In fine, la sélection naturelle agit sur des phénotypes. Bien que la génétique quantitative ait fourni des modèles de prédiction de l’évolution de ces phénotypes en intégrant la dérive et la sélection naturelle, le lien entre la variation génétique et épigénétique d’une part, et la variation phénotypique d’autre part, reste encore mal compris. L’établissement de ce lien est crucial. Son étude requiert de comprendre comment les cellules perçoivent les signaux environnementaux et les transforment en cascades d’événements moléculaires permettant de modifier les processus physiologiques et développementaux. Ceci nécessite de recueillir, pour un même organisme, plusieurs sources de données différentes : polymorphismes génomiques et épigénomiques, variations transcriptomiques, protéomiques, interactomiques, métabolomiques et mesures phénotypiques. Nous illustrons ci-après, au travers de quelques exemples, la puissance apportée par l’utilisation combinée d’organismes photosynthétiques modèles et de technologies à haut débit dans l’établissement du lien entre génotype et phénotype.

1. Les bases moléculaires de la régulation et de la transmission de l’information génétique

Le séquençage massif a permis d’accéder à deux nouveaux constituants des génomes, jusqu’alors mal décrits. Le premier concerne les variants de structure causés par l’insertion-délétion des éléments transposables. Ces variants de structure constituent le plus souvent la fraction majoritaire du génome des plantes, et le nombre d’exemples, montrant l’implication de ces variations sur des changements de phénotype, ne cesse d’augmenter. Le second constituant concerne les variants de méthylation de l’ADN, de l’ARN ou des histones, et plus généralement les processus liés aux régulations épigénétiques. Des travaux récents indiquent qu’il existe, par exemple entre deux lignées de maïs, des centaines de régions ADN différentiellement méthylées, localisées préférentiellement dans les régions intergéniques, et souvent associées à la présence-absence d’éléments transposables. Ainsi, la méthylation de ces éléments, mise en place pour leur répression, induirait une diffusion de la méthylation dans les gènes adjacents qui conduirait à une réduction de leur expression en modifiant leur état chromatinien. Un tel phénomène a été décrit chez Arabidopsis. De façon générale, les spécificités des épimutations (taux et héritabilité), et leur impact sur le phénotype via la modulation de l’état chromatinien et de l’expression génique, en font des acteurs potentiellement importants de la réponse adaptative. Ce secteur fait l’objet de recherches intenses, utilisant pour l’essentiel des modèles végétaux.

L’épitranscriptomique est un autre domaine fortement émergent résultant de l’application des technologies de séquençage à haut débit à l’étude des patrons de méthylation des ARN messagers. Il semble maintenant probable que la méthylation des ARNm, tout comme la méthylation de l’ADN, constitue une étape clé de régulation de l’expression des gènes fortement influencée par les facteurs environnementaux. En effet, selon les conditions de croissance, les patrons de méthylation des ARNm peuvent être fortement modifiés. Ces patrons différentiels de méthylation, interprétés en recrutant des protéines de « lecture de code », vont se traduire par des modifications très importantes des propriétés des ARNm au niveau de leur biogenèse (épissage), leur transport (noyau/cytoplasme), leur stabilité et leur capacité à être traduits. Les mécanismes impliqués dans ce nouveau processus épigénétique, et ses conséquences sur la définition du phénotype, restent encore largement à déterminer, mais ils devront être pris en compte dans les futurs modèles prédictifs.

À plus large échelle, il sera nécessaire d’évaluer le rôle et l’ampleur des mécanismes modifiant de façon combinatoire les macromolécules et générant un niveau supplémentaire de variabilité (modification des acides nucléiques, modification des protéines). Encore une fois, les modèles végétaux devraient pouvoir apporter une contribution majeure à ce nouveau domaine de recherche dans les années à venir.

2. La polyploïdie comme moteur de l’adaptation des espèces végétales aux contraintes environnementales

Un des mécanismes évolutifs importants pour l’adaptation des espèces végétales aux contraintes environnementales est la polyploïdie (duplication du génome). En effet, toutes les espèces modernes de plantes travaillées en agronomie sont des paléo- (anciens) ou néo- (récents) polyploïdes. Cette évolution des plantes par duplication du génome a constamment fourni des copies de gènes surnuméraires (CNVs pour Copy Number Variation). Ces CNV constituent une source importante d’information génétiquement et épigénétiquement modulable, et donc potentiellement, une source majeure pour l’évolution de nouveaux phénotypes. Les mécanismes à l’origine du gain de fonction des copies de gènes dupliqués demeurent cependant encore largement inconnus. L’utilisation des techniques dites « à haut débit », soit conjointement sur des polyploïdes et leurs génomes parentaux, soit sur des polyploïdes « synthétiques » générés en laboratoire, comme chez le blé et le colza, doit fournir des informations originales sur les conditions de la néo- ou sous-fonctionnalisation des copies de gènes dupliqués en réponse à des contraintes biotiques et abiotiques. Ces approches permettront également de déceler les mécanismes moléculaires qu’il sera important de maîtriser pour le développement futur de nouvelles variétés adaptées aux changements climatiques actuels et à venir.

3. Vers une vision intégrée permettant de prédire le comportement agronomique des espèces dans un environnement changeant à partir de leur génome

Deux principaux types d’analyses sont actuellement utilisés pour estimer les effets phénotypiques de différences moléculaires entre génotypes : l’analyse des QTL (Quantitative Trait Loci) par analyse de liaison intra-famille (souvent appelée Linkage Analysis mapping) et la génétique d’association (souvent appelée Linkage Disequilibrium mapping). Le premier consiste à associer, de façon statistique, la variation de caractères observée avec les génotypes moléculaires dans une (des) descendance(s) de croisement(s) entre parents de phénotypes contrastés. Le deuxième consiste à réaliser cette association dans des collections larges d’individus peu apparentés et échantillonnés dans la distribution de l’espèce étudiée. Dans les années récentes, deux avancées majeures ont été réalisées : d’une part la création de dispositifs et de méthodes qui combinent les avantages de ces deux types d’analyses, en réalisant les tests d’association sur des génotypes issus de plusieurs descendances provenant du croisement d’un grand nombre de parents ; d’autre part, le séquençage massif de très larges collections de matériel (des centaines de génomes), permettant de construire véritablement un inventaire le plus exhaustif possible d’haplotypes d’une espèce. Cet inventaire permet à son tour de prédire le génotype d’individus présentant des données partielles de polymorphisme. Ces développements, conduits initialement chez le maïs cultivé qui a servi d’espèce « pionnière » avec Arabidopsis, sont maintenant mis en œuvre chez de nombreuses autres espèces cultivées. Ils ont déjà permis de disséquer de manière de plus en plus efficace, et dans un contexte naturel, les bases génétiques et moléculaires des caractères quantitatifs, tout en facilitant l’accès à la diversité allélique des espèces.

Ces analyses reposent sur la génération à haut débit de données à la fois génotypique et phénotypique. Le phénotypage reste très limitant. Dans le futur, il sera donc essentiel de proposer de nouvelles solutions au travers du développement des techniques de phénotypage à haut débit (cf. partie II, A3), et d’avancées conceptuelles et méthodologiques, par exemple en sélection génomique, une approche qui paraît particulièrement prometteuse. Celle-ci propose de prédire la valeur génétique d’individus non phénotypés, à partir de la somme des effets estimés au niveau de marqueurs moléculaires répartis sur l’ensemble du génome. De telles prédictions reposent sur la caractérisation génotypique et phénotypique d’une collection d’individus choisis pour servir de référence à la population d’intérêt, dont on souhaite prédire les valeurs génétiques et qui est utilisée pour calibrer le modèle de prédiction. Cette approche, qui prend en compte globalement l’information moléculaire (sans rechercher explicitement les polymorphismes moléculaires associés de façon significative à la variation phénotypique), présente un intérêt appliqué majeur pour la sélection des espèces d’intérêt agronomique. Elle permet également d’expliquer une partie de « l’héritabilité manquante » observée pour de nombreux caractères.

C. La croissance et le développement des plantes présentent des caractéristiques uniques et sont un enjeu agronomique d’importance

Les plantes représentent un excellent modèle d’étude des mécanismes biologiques fondamentaux qui dirigent la croissance et le développement d’un organisme multicellulaire complexe, tout en présentant plusieurs caractéristiques uniques. La compréhension de ces mécanismes est aussi un enjeu agronomique majeur, puisqu’elle permettra à terme de maximiser les rendements et la production de biomasse.

1. Régulation génique, hormonale et cellulaire du développement des plantes

Au cours du développement, la formation itérative de tiges, feuilles et racines permet l’acquisition d’énergie, d’eau et de nutriments, alors que les organes reproducteurs assurent la production et la dissémination des semences. Au niveau cellulaire, le développement et la croissance des plantes dépendent de deux processus fondamentaux, la division des cellules et leur expansion. Du fait de son immobilité, la plante doit également intégrer la régulation endogène de son développement avec ses réponses aux contraintes biotiques et abiotiques de l’environnement. La complexité inhérente à de tels systèmes nécessite à la fois des études fines à des échelles multiples (de la molécule à la plante entière), et l’intégration de ces différents niveaux d’échelle.

Une particularité marquante de la cellule végétale est sa paroi cellulosique. Elle lui permet de supporter une forte pression de turgescence, élément moteur de sa croissance. Elle représente aussi une interface critique d’interaction avec les cellules avoisinantes. Bien que la composition biochimique globale de cette structure clé soit assez bien analysée, sa structure tridimensionnelle, la régulation dynamique de ses propriétés physico-chimiques, et ses spécificités selon le type cellulaire, restent décrites de manière rudimentaire. Éclaircir les mécanismes moléculaires qui contrôlent ces propriétés et comprendre comment celles-ci influent sur la croissance et la morphogenèse des plantes représentent des défis importants. Une question particulièrement émergente est de comprendre comment chaque cellule perçoit et réagit à son environnement mécanique. Ces études nécessitent l’application d’approches complexes, combinant de façon intime des analyses classiques de biochimie, génétique, pharmacologie et microscopie, avec les techniques plus récentes de microscopie à haute et super-haute résolution, à la fois optique (TIRF, PALM, SIM) et physique (AFM).

De telles approches intégrées peuvent participer également à l’élucidation d’autres processus cellulaires liés au développement des plantes encore peu étudiés. Par exemple, la dynamique des compartiments membranaires et du cytosquelette affecte de façon directe la signalisation intercellulaire, la mise en place de la polarité des cellules et la déposition dynamique de la paroi. Visualiser et comprendre la dynamique des interactions intermoléculaires et inter-compartimentales au sein de la cellule représente donc une étape cruciale pour mieux comprendre les processus de croissance et de développement.

La spécification et la différenciation des multiples tissus et types cellulaires de la plante restent toujours des processus critiques à analyser. Pour cela, en complément des approches classiques comme la génétique fonctionnelle, les approches analysant l’individu à une large échelle représentent toujours des moyens précieux permettant d’associer des gènes à des fonctions biologiques. Néanmoins, il sera impératif à l’avenir de mettre l’accent sur des techniques permettant d’accéder spécifiquement à des cellules d’identité connue et non plus à des tissus entiers. Ce genre d’approches facilitera l’intégration des données générées avec les résultats d’autres approches visant une résolution cellulaire comme, par exemple, l’utilisation de bio-senseurs (notamment hormonaux) et/ou l’acquisition des propriétés biophysiques des cellules.

Comprendre le développement des organes et de la plante entière sous-entend une compréhension multi-échelle des interactions chimiques et physiques au sein des cellules d’un organe ou d’une plante. Nous sommes encore loin de pouvoir aborder une telle complexité dans tous ses détails. Néanmoins, la mise en place de cadres conceptuels intégrant la croissance, la morphogenèse et les identités cellulaires, et permettant le développement parallèle de modèles uni-échelle divers (réseaux de gènes, modèles mécaniques, etc.), est une étape nécessaire à l’objectif plus ambitieux d’une intégration de nos connaissances aux échelles multiples.

2. Intérêt particulier de l’approche « EvoDevo » pour les organismes photosynthétiques

La génétique évolutive des plantes (ou évo-dévo) est une discipline à l’interface de la génétique moléculaire, de l’évolution et de la phylogénie. Alors que son objectif premier est de comprendre l’origine de la diversité morphologique entre espèces, cette discipline revêt actuellement des résonances beaucoup plus larges, puisqu’elle permet également d’apporter de nouvelles connaissances sur l’évolution des plantes lors de leur domestication par l’homme. Ces connaissances fondamentales alimentent les approches de biologie translationnelle, en identifiant des éléments régulateurs de caractères d’intérêt agronomique, et en aidant à la prédiction d’éventuels effets secondaires induits par la modification de ces régulateurs.

Les avancées majeures, réalisées ces dernières années sur le développement des plantes et l’utilisation d’approches génomiques appliquées à la compréhension de la relation phénotype/génotype (cf. partie I, B), devraient dynamiser ce secteur de recherche, en fournissant les bases nécessaires à une étude plus fine de l’évolution de la morphologie végétale. Des approches de modélisation mettant en place des réseaux génétiques virtuels devraient également faciliter ces analyses comparatives et prédictives, bien que la rareté des données fonctionnelles reste un frein chez de nombreuses espèces. Néanmoins, l’utilisation de nouvelles méthodes de mutagenèse ciblée, par l’intermédiaire de nucléases (en complément de méthodes de transformation ou de mutagenèse (tilling) classiques), ainsi que des approches d’association sur le génome entier (cf. partie I, B3), devrait assurer le développement futur de ce secteur d’activité.

3. Transport et nutrition des plantes

La croissance des plantes nécessite une absorption efficace de l’eau et des nutriments présents dans le sol, et leur allocation précise dans les divers organes de la plante. La disponibilité de ces ressources est extrêmement variable et hétérogène selon les sols, ceux-ci pouvant être contaminés par des sels ou substances métalliques toxiques. Les stomates des feuilles jouent également un rôle crucial dans l’équilibre hydrominéral de la plante, en contrôlant les flux de transpiration et en assurant un équilibre entre pertes en eau et absorption du CO2 atmosphérique.

Au cours des dernières décennies, la fonction individuelle de nombreuses protéines assurant le transport transmembranaire d’eau ou de solutés a été disséquée, tant du point de vue de leur sélectivité, de leur régulation que de leur activité dans la plante. Toutefois, il reste à comprendre les interactions fonctionnelles entre ces différents systèmes et leur intégration dans les grandes fonctions physiologiques de la plante. Par exemple, les interactions moléculaires entre le maintien du statut hydrique, la fixation de l’azote et celle du carbone, et leur implication dans la croissance, restent très mal comprises. Afin d’identifier de nouveaux points de contrôle, il semble judicieux de coupler des analyses moléculaires massives (transcriptomique et réseaux de gènes associés, protéomique quantitative, métabolomique) à des analyses physiologiques et écophysiologiques. La variation naturelle de ces grandes fonctions, lorsqu’elle est analysée chez des espèces modèles (Arabidopsis, riz) peut aussi donner des pistes efficaces pour en disséquer les bases moléculaires et physiologiques.

La nutrition des plantes est également au centre des réponses de la plante aux contraintes abiotiques de l’environnement. Alors que les effets terminaux sur les systèmes de transport sont relativement bien décrits, il reste à identifier les voies de signalisation agissant en amont, et surtout les dialogues croisés entre ces voies. Il faudra aussi explorer plus précisément le rôle des systèmes de transport eux-mêmes dans la signalisation, au niveau cellulaire ou à longue distance, et dans la transmission de signaux électriques, chimiques (calcium, espèces réactives de l’oxygène) ou même hydrauliques.

Enfin, plusieurs travaux au sein de notre communauté ont établi une relation entre les fonctions de transport d’eau et d’ions et le développement adaptatif des plantes. Ici, la racine semble être un modèle de choix pour explorer ces relations. Le rôle central des hormones dans ces processus devra être exploré plus particulièrement. Dans chacun des cas, la maîtrise de ressources génétiques complexes et de procédés de phénotypage à haut débit (notamment de l’appareil racinaire) est requise. Ces approches devront être supportées par une modélisation des phénotypes d’intérêt. Elles permettront in fine d’appréhender les interactions génotype/environnement qui sont au cœur des processus de sélection des plantes cultivées. L’objectif ultime est d’identifier des idéotypes adaptés à des conditions climatiques ou des pratiques culturales spécifiques.

D. Les organismes photosynthétiques en interaction avec leur environnement biotique et abiotique

1. Perception de l’environnement biotique et abiotique

L’environnement des organismes photosynthétiques est complexe et changeant ; ces derniers doivent donc adapter en permanence leur croissance et leur développement pour prendre en compte ces fluctuations. En parallèle, la réponse de la plante à un stimulus donné dépend des autres composantes de l’environnement. Ainsi, la mise en place de chaque réponse a un coût énergétique qui a un effet sur la « fitness ». Par exemple, un allèle hyperactif conférant une résistance accrue à des agents pathogènes, et donc un avantage au niveau de la mise en place des mécanismes de défense, a souvent un coût développemental (accumulation moindre de biomasse, nombre plus faible de feuilles, de graines, etc.). La réallocation des ressources est possible du fait de l’existence de centres d’intégration (« cellular hubs »), au niveau desquels vont converger les différentes voies de signalisation pour intégrer les différents signaux et mettre en place une réponse adaptée de la plante.

Il a été démontré que les espèces réactives de l’oxygène (ROS) jouent un rôle crucial dans la réponse concertée aux stress biotiques et abiotiques. En effet, des mécanismes de protection (antioxydants, enzymes de détoxification) sont activés lors de stress abiotiques pour empêcher les dommages cellulaires causés par leur accumulation, alors qu’au contraire la génération de ROS est stimulée par l’infection de pathogènes et contribue aux réactions de défense. En outre, les plantes utilisent les ROS comme signaux, notamment dans les voies de signalisation hormonale, qui orchestrent la mise en place de processus adaptatifs, à la fois développementaux et métaboliques. La complexité des interactions entre ces cascades de transduction reste encore largement à explorer. L’occurrence et les mécanismes d’une transmission intergénérationnelle des stress biotiques et abiotiques représentent également un enjeu cognitif majeur.

2. Réponse à des stress multiples et identification des nœuds de régulation

Les plantes sont confrontées à un grand nombre de stress biotiques (maladies, ravageurs, adventices) et abiotiques (variations de température, salinité, sécheresse, ozone) qui ont un impact négatif sur leur croissance et leur développement. Étant donné que ces variations seront accentuées par le changement climatique, l’amélioration de la résistance/tolérance des plantes aux stress biotiques et abiotiques représente aujourd’hui un défi agronomique majeur. La compréhension des processus mis en œuvre par différentes plantes en réponse à ces stress, est un élément incontournable des stratégies d’amélioration variétale. Elle représente aussi un modèle de choix pour l’étude des mécanismes qui opèrent à différents niveaux d’organisations cellulaires et tissulaires, et leur intégration dans des réseaux de régulation. L’utilisation combinée de collections de génotypes et le progrès des outils d’analyse moléculaire, couplée à des traitements bioinformatiques performants, ont permis de révéler l’extrême plasticité phénotypique des plantes dans un contexte environnemental dynamique.

Dans la nature, les plantes ne sont jamais confrontées à un stress unique, mais sont constamment affectées par des stress abiotiques et des attaques répétées par des agents pathogènes ou des ravageurs. Des méthodes ont été développées afin de caractériser ces environnements complexes : génotypes révélateurs, TPE (Target Population of Environnement), MUT (Multi-Environnement Trial). Bien que les réponses des plantes aux stress soient relativement bien connues (protéines de stress, métabolites secondaires, ROS), quelques nœuds de régulation contrôlant ces réponses et leurs voies de signalisation n’ont été identifiés que récemment. En particulier, il manque des connaissances sur les mécanismes moléculaires impliqués dans l’interaction entre les réponses à des stress biotiques et abiotiques. De plus, la capacité de prédiction de la réponse d’une plante à un stress multiple reste très limitée. La caractérisation des processus intervenant dans les réponses à une combinaison de stress représente donc un objectif prioritaire. Cela passe par le développement de systèmes expérimentaux permettant d’analyser la réponse à des combinaisons de stress en particulier la mise en place de plateformes de phénotypage à haut débit, le développement de modèles de simulation et l’intégration des données multi-échelles.

Un enjeu majeur de recherche sera d’identifier et de comprendre le fonctionnement des centres d’intégration non seulement au niveau de la cellule mais également de l’organisme. Ces nœuds régulateurs impliquent souvent des systèmes protéines kinases/phosphatases, véritables microprocesseurs cellulaires, orientant et modulant les flux d’informations moléculaires vers les réponses adaptatives. Les facteurs de transcription (FT) sont également des éléments clés des centres d’intégration, dirigeant la reprogrammation transcriptionnelle de la cellule végétale vers une réponse adaptée. Ainsi, l’activité des FT peut être régulée de façon multiple reflétant leur positionnement à l’intersection de différentes voies de signalisation (défense, croissance, développement). Afin d’évaluer la contribution respective de ces différents acteurs moléculaires, il faudra développer des outils de mesure quantitative in vivo de leur activité. Ceci nécessite d’investir, entre autres, dans les méthodes de la (phospho) protéomique et dans le développement de nouveaux systèmes rapporteurs permettant, par exemple, de mesurer simultanément de façon non destructive l’activité des différentes protéines kinases. De plus, la recherche exhaustive des sites de liaison à l’ADN à l’échelle du génome pour un FT donné (technologie de type ChIP-Seq), combinée avec l’analyse globale des changements transcriptionnels dépendants de ce même FT (technologie de type RNA-Seq), représente une approche puissante pour mieux comprendre le mode d’action des FT en réponse aux stress.

Ces questions s’appliquent aux plantes mais aussi aux eucaryotes unicellulaires photosynthétiques qui sont des acteurs majeurs du fonctionnement de l’écosystème planétaire, avec un rôle essentiel dans la fixation du carbone dans les océans. Certains de ces organismes auront probablement une place de plus en plus importante dans la combinaison des ressources requises pour la transition énergétique. Leur dynamique populationnelle est très dépendante d’interactions avec des pathogènes et prédateurs. Il sera important de mieux comprendre la nature de ces interactions, la physiologie de leurs adaptations aux changements environnementaux et les co-régulations de ces mécanismes de perception.

3. Organismes pathogènes et organismes symbiotiques : impact du microbiome, relations fonctionnelles dans le microbiome

La capacité des plantes à répondre efficacement à des stress, voire à survivre dans des environnements contraints, dépend en partie de leur association avec des communautés microbiennes endophytiques, rhizosphériques et phyllosphériques. Les microorganismes pathogènes ou symbiotiques ne vivent pas isolés, mais intégrés dans des communautés microbiennes appelées « microbiomes ». Ces microbiomes établissent des relations complexes d’interdépendance avec leur environnement. La composition de ces microbiomes (microflore rhizosphérique, microflores épiphyte et endophyte, viromes) exerce une influence sur le développement ou la santé des plantes.

Le développement d’approches de métagénomique permet d’établir, de façon quasi exhaustive, la composition de ces communautés et d’en étudier les variations en fonction de différents paramètres. Ces outils puissants ont permis de mieux appréhender leur complexité et d’identifier de nouvelles espèces. Toutefois, le contrôle et la manipulation de ces communautés de façon à en améliorer l’efficience, sont encore mal établis. La caractérisation des interactions complexes entre des composantes de ces microbiomes et la plante (notion de phénotype étendu) passe par la compréhension des relations fonctionnelles existant non seulement au sein des communautés, mais également avec leur environnement. La métagénomique doit ainsi passer d’une phase descriptive à une phase plus fonctionnelle, avec l’établissement de systèmes modèles et l’apport de l’écologie. Le profilage de l’expression des gènes de microbiomes (métatranscriptomique) s’est avéré un outil puissant pour étudier ces relations fonctionnelles. L’objectif est aujourd’hui d’identifier les gènes et les voies qui jouent des rôles importants dans le microbiome, ces gènes et ces voies constituant des cibles possibles pour le développement de méthodes de lutte originales.

4. Mécanismes des interactions plantes – microbes

Des progrès considérables ont été réalisés dans l’identification des gènes, fonctions et mécanismes impliqués dans le dialogue moléculaire contrôlant le développement des interactions plantes/organismes pathogènes ou symbiotiques (MAMP, PAMP, effecteurs, etc.), ainsi que des signaux régulant chez la plante la mise en route des réponses de défense. L’un des défis actuels est de comprendre comment ces signaux sont intégrés pour éventuellement réguler des processus biologiques tels l’adaptation aux stress et la mort cellulaire programmée. La vision actuelle d’une résistance en deux temps (résistance basale, sélection de pathogènes virulents aboutissant à des résistances spécialisées) est probablement simplificatrice par rapport à l’étendue des phénomènes de coévolution qui ont sculpté la biologie des hôtes et de leurs pathogènes. Les plantes et leurs pathogènes (microbiens, viraux, fongiques) sont des modèles particulièrement adaptés pour cerner ces mécanismes. Des efforts devront être poursuivis en génomique fonctionnelle à haut débit dans d’autres technologies émergentes pour fournir un éclairage supplémentaire et donner ainsi une image plus détaillée de ces réseaux. Un autre enjeu porte sur le rôle particulier de la mort cellulaire et la défense des plantes. La reconnaissance d’un pathogène via les protéines dites de résistance conduit à l’inhibition de la croissance de l’agent pathogène, qui est souvent accompagnée par une forme de mort cellulaire programmée (PCD) localisée au site d’infection, appelée HR (hypersensitive response). Le chloroplaste joue un rôle central dans les réponses de défense et dans la HR, intégrant des molécules de signalisation tels les ROS, l’acide salicylique, le NO et la lumière. Des mutants d’initiation de la PCD ont permis d’identifier un certain nombre de composantes de la voie de signalisation conduisant à la mort cellulaire. L’un des enjeux actuels est de préciser le rôle de chaque acteur dans la cascade et les mécanismes moléculaires conduisant à la PCD. Le fait majeur de cette dernière décennie est que la résistance et la mort cellulaire peuvent être découplées, et que la HR apparaît simplement comme la conséquence et non la cause, d’une signalisation opérant à l’interface de l’hôte et du pathogène.

II. Recommandations pour renforcer la dynamique de la recherche nationale en biologie végétale

A. Méthodologies nécessaires pour promouvoir et accompagner les approches intégratives et pluridisciplinaires sur les organismes photosynthétiques

Au cours des dernières années, le développement des technologies « à haut débit » (génomique, transcriptomique, protéomique, métabolomique, etc.) a permis de nombreuses avancées dans la compréhension des mécanismes complexes régulant les processus biologiques. Toutefois, pour faire face à l’explosion croissante de la quantité d’information produite et parvenir à organiser et interpréter ces données, il reste encore de nombreux efforts à réaliser que ce soit en termes (i) d’approches de phénotypage à haut débit pour caractériser l’impact de la variabilité génétique et des réseaux d’interactions dans différents contextes environnementaux, (ii) de stockage et de traitement des données, à large échelle et (iii) de développement d’outils de modélisation pour définir et prédire le fonctionnement des réseaux d’interactions complexes qui permettent aux organismes vivants de se développer et de s’adapter à leur environnement.

1. Stockage, traitement, « mining » de données de grande taille

La biologie intégrative des plantes fait face depuis quelques années, comme de très nombreux autres domaines de l’INSB et même d’autres instituts, à un accroissement exponentiel des données produites. Celles-ci proviennent du développement de nouvelles technologies (majoritairement données de séquençage mais aussi de phénotypage et d’imagerie cellulaire). Ce phénomène s’intensifie encore avec l’accessibilité grandissante des équipements servant à la production des données à haut débit à tout chercheur ou laboratoire.

Alors que les coûts de production de données baissent régulièrement, les coûts des infrastructures informatiques pour leur prise en charge ne permettront bientôt plus de répondre aux besoins. Sans nouvelle révolution technologique sur les solutions de stockage et d’archivage, la solution sera de trier les données pour n’en conserver qu’une partie, mais avec quels critères et pour quelle durée ? Il devient alors fondamental de déterminer comment trier, organiser, analyser, exploiter et partager au mieux ces données.

Les données issues de la biologie intégrative des plantes sont souvent hétérogènes (types de données, informations disponibles, conditions d’acquisition, contrôles qualité, format, etc.), ce qui est compliqué par l’intensification des collaborations nationales et internationales entre communautés différentes. Les chercheurs s’accommodent souvent de solutions trouvées en urgence, rarement sécurisées en termes de sauvegarde et qui ne supporteront pas une augmentation importante des flux de production.

De manière générale, une production dispersée, non « contrôlée » et sans recours systématique à des standards internationaux, posera des problèmes de pérennisation et de partage. Les bases de données internationales, répondant à des critères communs (telles que GenBank, EMBL, Tair, etc.), pourraient constituer une solution centralisée de stockage, de sauvegarde et de partage. Néanmoins la croissance exponentielle du nombre de données conduit à une saturation de ces collections, à tel point que la survie de ce modèle est remise en question. En parallèle, pour pallier ces problèmes, on assiste à la prolifération de petites bases de données spécialisées, cette dispersion posant la question de l’homogénéité et du partage des données.

Ces constats nécessitent une réflexion stratégique majeure visant à identifier une solution pérenne pour assurer le stockage, la préservation, l’exploitation de ces masses de données, mais aussi leur partage. Cette réflexion dépasse très largement le périmètre de la biologie végétale intégrative et devra probablement être menée de façon concertée au sein du CNRS, mais aussi à un niveau interorganismes et international.

2. Modélisation de phénomènes biologiques : mise en évidence de propriétés émergentes

Si les progrès technologiques dans des domaines comme la génomique, la protéomique ou la métabolomique ont permis des avancées majeures dans l’identification des composants impliqués dans différents réseaux d’interactions moléculaires (voies de signalisation, réseaux de régulation transcriptionnelle et traductionnelle, voies de trafic intracellulaire, voies métaboliques, etc.), un des enjeux majeurs pour le futur réside dans le développement d’outils numériques adaptés pour permettre l’analyse et la modélisation des réseaux d’interactions et optimiser les expériences à réaliser pour explorer le fonctionnement de ces réseaux.

La biologie intégrative a pour but de répondre à cet enjeu à travers la compréhension des interactions entre les composants cellulaires et biochimiques d’une cellule ou d’un organisme, ces interactions générant les propriétés émergentes du système. Les approches de modélisation sont essentielles car elles permettent la mise en place d’un cycle itératif entre prédiction et expérimentation (réaction et intégration), caractéristique de la biologie des systèmes. Elles peuvent générer des approches de « reverse-engineering » afin de proposer de nouvelles hypothèses testables sur le système biologique étudié, ou afin d’identifier de nouveaux paramètres à quantifier.

Chez les plantes, les études de type systémique sont relativement récentes et ont été réalisées principalement dans le cadre de la modélisation de certains processus développementaux tels que la croissance. Cependant, leur utilisation dans le cadre de l’interaction des plantes avec des microorganismes pathogènes, ou encore dans le cas de la réponse aux stress abiotiques, est en émergence. L’implémentation des approches intégratives autour de ces différents processus végétaux devrait permettre à terme d’appréhender les compromis (« trade-offs ») auxquels les plantes doivent faire face pour adapter leur croissance et leur développement dans un environnement changeant.

Pour parvenir à développer ce champ indispensable de la biologie moderne, il est impératif de promouvoir et de supporter le rapprochement à long terme entre biologistes, mathématiciens, statisticiens, physiciens et informaticiens. En effet, à l’heure actuelle, il n’existe que trop peu de structures, et pas assez d’appels d’offres au niveau national et international, pour faciliter et pérenniser la mise en place de ces interactions. C’est un travail de longue haleine qui demande des investissements importants et une véritable reconnaissance scientifique afin de rapprocher des communautés qui n’ont pas l’habitude de communiquer entre elles.

De plus, tout comme pour les bases de données, ce domaine est confronté à un manque de coordination entre les laboratoires qui utilisent ces approches. Ceci aboutit bien souvent à des développements d’outils au niveau local, qui ne sont pas disponibles pour le reste de la communauté. Cette dispersion des efforts ralentit considérablement la progression dans le domaine de la compréhension des systèmes biologiques complexes.

3. Le phénotypage à haut débit

La biologie intégrative des plantes repose à la fois sur la capacité à créer du matériel présentant une diversité génétique (mutants, lignées recombinantes, etc.) et sur la capacité à analyser les conséquences fonctionnelles de ces différences génétiques, en particulier dans des conditions environnementales spécifiques. Les besoins en phénotypage se sont notablement accrus au cours des dernières années, d’une part en nombre, en réponse à la facilité grandissante à générer et caractériser génétiquement du matériel vivant, et d’autre part en diversité. En effet, une grande variété de questions peuvent désormais être abordées, le phénotypage des plantes pouvant aller d’un phénotypage de type agronomique, sur des populations de plantes en champ, à un phénotypage à l’échelle cellulaire ou même jusqu’à l’identification et la quantification de divers métabolites ou hormones. Pour répondre à cette demande croissante et porter les investissements matériels, méthodologiques et humains nécessaires à la mise en place de techniques fiables et précises, il a fallu créer des plateformes spécialisées. Ces structures, parfois uniques ou peu nombreuses, posent un certain nombre de questions spécifiques. Comment s’insèrent-elles dans le paysage scientifique local, national et international et comment coordonne-t-on leurs activités ? Comment s’articulent leurs activités entre recherches propres, collaborations ou prestations de service ? Quelle est la visibilité et la reconnaissance du personnel affecté à ces plateformes ? Dans quel cadre peut-on apporter les compétences technologiques souvent nécessaires à ces plateformes (électronique, robotique, traitement du signal, etc.) ? La réponse à ces questions nécessite une réflexion à la fois commune aux différentes plateformes et spécifique à chacune d’entre elles. Cette réflexion doit impliquer les agents des plateformes, les utilisateurs mais aussi les tutelles, en particulier pour la définition des grandes stratégies.

Au-delà de ces considérations managériales et humaines, le développement du phénotypage à haut débit est confronté à plusieurs défis dont le plus important est sans doute de développer une représentation originale des données facilitant leur interrogation. La grande quantité d’informations générées est également propice à des méta-analyses pour lesquelles des méthodes spécifiques doivent être créées et/ou adaptées. Le second défi est l’intégration de différents types de mesures, soit à une échelle donnée, soit à des échelles différentes. Par exemple, il existe des méthodes de reconstruction de l’architecture 3D de plantes et des méthodes de fluorescence permettant de mesurer l’activité photosynthétique, mais projeter les résultats de la seconde sur la première reste un défi. Réconcilier une analyse morphologique de la croissance à l’échelle de la plante avec une échelle plus petite comme la composante cellulaire reste également difficile. Le troisième défi consiste à rapprocher autant que possible les conditions dans lesquelles peut être réalisé le phénotypage, des conditions naturelles auxquelles sont soumises les plantes. La nécessité de reproductibilité des expériences et de précision des mesures implique souvent la culture des plantes dans des conditions artificielles étroitement contrôlées. Il faudra donc développer des conditions de cultures mimant de façon plus réaliste les conditions naturelles. Par ailleurs, il sera aussi nécessaire d’élaborer des méthodes de phénotypage permettant d’appréhender la réponse des plantes à des stress multiples.

Le phénotypage à haut débit des plantes apparaît donc comme un domaine complexe, impliquant des développements technologiques et méthodologiques. Du fait de la lourdeur des investissements nécessaires, il apparaît essentiel que son développement soit coordonné au niveau national, voire international, et que les conditions permettant un dialogue étroit entre organismes de recherche mais aussi entre disciplines (par exemple biologie et mathématiques), soient mises en place. La création et le maintien de plateformes de phénotypage efficaces et innovantes sont stratégiques, non seulement par les apports que ces plateformes peuvent fournir à la recherche fondamentale, mais aussi parce qu’elles représentent souvent une première étape vers l’application en faisant sortir les innovations des laboratoires qui les ont vues naître.

B. Orientations stratégiques propices à dynamiser la recherche sur les organismes photosynthétiques

Nous souhaitons terminer ce rapport de conjoncture en proposant six actions de politique scientifique qui nous semblent essentielles au vu du bilan présenté ci-dessus.

1. Favoriser des programmes visant à combler notre déficit de connaissances sur les différentes lignées photosynthétiques

Les organismes photosynthétiques sont extrêmement diversifiés et essentiels au fonctionnement de la plupart des écosystèmes planétaires. Pour l’heure, l’effort de recherche sur ces organismes s’est concentré sur un petit nombre d’entre eux (majoritairement les plantes à fleurs, et plus modestement les algues de la lignée verte et les cyanobactéries). Toutefois, certains grands processus ne pourront être convenablement décrits et compris qu’en étendant le champ d’observation à d’autres organismes, au-delà du petit nombre d’organismes dits modèles couramment utilisés. Aussi, des études élargies seront-elles nécessaires pour traiter de problèmes aussi importants que l’établissement (en cours ou passé) d’endosymbioses permettant l’acquisition de la photosynthèse. Par ailleurs, les adaptations et les interactions entre organismes photosynthétiques dans de nombreux écosystèmes (océan, sols, etc.) restent à explorer. Enfin, dans une perspective de domestication de nouveaux organismes pour la bioénergie, par exemple les micro-algues, il faudra en étudier les pathologies.

2. Renforcer les interactions de la biologie végétale intégrative avec d’autres disciplines : écologie, chimie, mathématiques, physique

L’agroécologie est identifiée comme un axe prioritaire du développement de l’agriculture. Du point de vue de la recherche fondamentale, cela va requérir une meilleure compréhension de la biologie des interactions entre organismes, compréhension qui dépasse le cadre strict des sciences agronomiques. Une nouvelle complexité va ainsi apparaître dans l’analyse des adaptations environnementales, mobilisant des disciplines comme la métabolomique, la génétique et la (méta)génomique. L’association entre généticiens, physiologistes moléculaires, écophysiologistes et écologues sera un élément déterminant pour ces approches.

L’étude de la photosynthèse a depuis longtemps suscité la combinaison d’approches physiques et biologiques. Plus récemment, on a pu remarquer l’irruption de la physique et de la modélisation mathématique dans le domaine de la biologie du développement. D’autres domaines, comme la nutrition des plantes connaissent les mêmes évolutions. L’interface avec la chimie deviendra déterminante pour l’exploitation des ressources végétales (polysaccharidiques en particulier) et pour la production de biomatériaux innovants. Il est impératif de continuer à encourager ces démarches, en favorisant l’acquisition de connaissances interdisciplinaires chez les différents partenaires (Écoles Thématiques), tout en soutenant une recherche permettant de mieux comprendre les processus biologiques fondamentaux à l’œuvre chez les organismes photosynthétiques, élément nécessaire pour nourrir le dialogue entre expérimentateurs et modélisateurs.

3. Renforcer la coordination des recherches sur les organismes photosynthétiques au niveau national

La recherche sur les organismes photosynthétiques a une forte identité qui se nourrit des interactions et des liens historiques profonds existants entre équipes et laboratoires travaillant à différents niveaux d’échelle : la biologie intégrative est un objectif fort pour l’ensemble de cette communauté. En plus du CNRS, d’autres tutelles y ont une contribution importante ou significative comme l’INRA, l’IRD, le CIRAD, le CEA et l’IFREMER. Certaines tutelles affichent une recherche plus finalisée, à finalité agronomique (INRA, IRD, CIRAD), ou dans le secteur des bioénergies (CEA, IFREMER). Des transversalités importantes et un nombre significatif d’UMR et de laboratoires associés existent entre le CNRS, le CEA et l’INRA. Dans nos disciplines, on peut estimer qu’environ la moitié de la recherche du CEA et une bonne partie de la recherche fondamentale de l’INRA sont déjà réalisées en commun avec le CNRS. Malgré ces associations, il est souvent difficile d’évaluer dans quelle mesure des champs thématiques importants sont couverts de manière efficace au niveau national. Suite à leurs propres diagnostics, des initiatives ponctuelles peuvent être prises par certaines tutelles, sans réelle projection nationale.

Un rôle essentiel de coordinateur aurait dû être celui des alliances ALLENVI, AVIESAN et ANCRE qui, de notre point de vue, ont échoué dans cet objectif, puisque la recherche de notre communauté demeure extrêmement éparpillée. Dans ce paysage, le CNRS occupe de fait une place cruciale du fait de son association à un grand nombre d’unités développant à la fois des programmes de biologie fondamentale et d’autres à visées plus finalisées. Nous estimons donc que le CNRS doit s’impliquer davantage dans la coordination de la recherche nationale sur les organismes photosynthétiques, tout en favorisant ce continuum essentiel entre recherche fondamentale et applications sociétales.

Pour illustrer la nécessité d’un continuum entre approches cognitives et approches finalisées, notons qu’un schéma dominant, dérivé de l’amélioration des plantes, préconise une démarche où des phénotypes de tout ordre sont analysés pour en déterminer les bases génotypiques de façon à pouvoir à terme développer des programmes d’amélioration variétale. Appliquée de manière stricte, cette approche favorise la maîtrise des ressources génétiques au détriment de la compréhension fine du processus biologique. Toutefois, lorsqu’elle peut interagir avec des recherches plus fondamentales, cette approche permet des percées cognitives considérables. C’est ainsi qu’ont été isolés chez les plantes les premiers récepteurs d’agents pathogènes dans les années 90, avant même leur identification chez les animaux. L’avènement des nouvelles technologies de séquençage permet maintenant d’envisager que cette démarche, « du phénotype au gène et à sa fonction », initialement limitée à quelques espèces, puisse être utilisée à beaucoup plus large échelle et encore renforcée par le développement des techniques d’édition génomique. Il faudrait anticiper cette situation en améliorant l’accès au séquençage haut débit et à la bioinformatique pour toutes les équipes intéressées.

4. Assurer des modes de financement variés et complémentaires

Plusieurs événements récents préoccupent notre communauté et pourraient potentiellement handicaper notre capacité à financer les activités de recherche fondamentales futures sur les organismes photosynthétiques. Ainsi, au niveau national, l’Agence Nationale de la Recherche (ANR), sous la pression de son ministère de tutelle, a modifié profondément en 2014 ses appels d’offres en supprimant son programme non ciblé « blanc » et en mettant en place un large appel d’offres générique visant à répondre à plusieurs « défis sociétaux » précis. Ce nouveau programme de l’ANR peut, à terme, limiter les chances de succès des projets visant à faire bouger les fronts de connaissance par l’utilisation d’organismes photosynthétiques modèles. Cette situation interpelle notre communauté. De plus, la mise en place prochaine d’une Stratégie Nationale de la Recherche dont l’objectif est de définir les grandes priorités de la recherche française nous pousse à être vigilants, car cette initiative semble à nouveau se focaliser sur un nombre limité de « grands défis sociétaux ». Enfin, au niveau Européen, l’ANR s’est retirée brutalement (à quelques semaines de la date limite du dépôt des dossiers) de l’appel d’offres européen ERA-CAPS 2014 dont l’objectif était de générer des connaissances de base en biologie moléculaire des organismes photosynthétiques. La raison de ce retrait n’est pas claire (et n’a fait l’objet d’aucune justification de la part de l’Agence), mais pourrait être liée, au budget très faible alloué par la France à ce programme depuis plusieurs années, et surtout à la difficulté rencontrée par l’ANR pour faire accepter par la communauté Biologie Végétale une annexe nationale qui interdisait l’utilisation d’organismes modèles et imposait dans les consortiums la présence d’au moins un industriel français. Cette annexe, qui détournait l’esprit de l’appel d’offres européen, a été dénoncée dans une lettre, rédigée par les membres de la section 23, cosignée par l’ensemble des directeurs d’unités de Biologie Végétale Intégrative et remise à Madame la Ministre Geneviève Fioraso en février 2014. Bien au-delà de la situation particulière de l’appel d’offres ERA-CAPS 2014, l’intégration de notre communauté au niveau européen doit être facilitée, afin que la France puisse tenir son rang de grande puissance scientifique et agricole, et puisse jouer un rôle moteur dans la transition énergétique au niveau de l’Union. Ainsi, il conviendrait que les autorités ou instituts de recherche français n’instrumentalisent pas les programmes européens comme de simples leviers de leur politique nationale. De plus, les clauses françaises imposant la participation de partenaires privés français dans les programmes européens peuvent pénaliser le montage et la cohérence des projets auxquels émargent les laboratoires publics. Elles ont un effet contre-productif conduisant in fine à un déficit de financements.

À l’heure actuelle, nos tutelles ont une capacité de financement de programmes extrêmement réduite, et la contribution de l’ANR est essentielle pour soutenir efficacement non seulement le développement des programmes de recherche, mais également le fonctionnement des laboratoires. Dans le meilleur des cas, cette agence ne permet pas de sécuriser la continuité d’approches ambitieuses, au-delà des quelques années d’un programme. Par ailleurs, les programmes soutenus impliquent un nombre limité de partenaires et le montage de partenariats avec l’étranger reste restreint à des cadres établis. Ceci pose la question des périmètres possibles et de la pérennité de projets identifiés comme stratégiques par les tutelles, qui possèdent des cercles de réflexion prospective, à la différence de l’ANR. Parallèlement, le financement sur programmes impose des contraintes qui freinent la capacité des laboratoires à explorer de nouvelles pistes de recherche, jugées trop risquées. Cette limitation peut brider la capacité d’innovation de notre système de recherche et doit être compensée en maintenant à un niveau convenable les budgets récurrents qui sont affectés aux laboratoires. Cela passera par la restauration de la liberté d’action financière de leurs tutelles.

5. Renforcer les liens avec le monde industriel

La biologie est entrée dans l’ère post-génomique. Plus que l’acquisition de données moléculaires, c’est leur mise en forme et l’exploitation de leurs propriétés émergentes qui seront au cœur des approches modernes : biologie des systèmes, sélection génomique, biologie synthétique. Ces nouveaux concepts nous semblent plus largement appropriés par l’INRA que par les équipes du CNRS, ce qui devrait être un moteur pour renforcer les synergies évoquées plus haut. La biologie végétale a un rôle clé à jouer en biologie synthétique, vue comme une construction du vivant. En effet, si cette discipline reste toujours très limitée par les contraintes de la recombinaison génétique par voie sexuée, ces contraintes peuvent être levées par des technologies déjà bien établies (transgenèse) ou nouvelles (édition génomique). Dans la perspective de resserrer les liens entre les mondes académique et industriel, une grande partie des applications de la connaissance académique utilisera ces technologies. La question se pose alors clairement de leur acceptation. Une opportunité se dessinera peut-être lorsque ces méthodologies s’appliqueront à des organismes nouveaux à destination non alimentaire (micro-algues pour les biocarburants, production de médicaments, biomatériaux innovants).

6. Augmenter l’attractivité des filières de formation en biologie végétale

Les filières de formation en biologie végétale pâtissent de deux handicaps majeurs. Les apports les plus visibles de la discipline sont souvent restreints à l’élaboration de plantes transgéniques, dont l’image est négative. Par ailleurs, les débouchés offerts par le secteur privé sur le territoire national sont réduits, en partie à cause de cette image. Il est important d’inverser ces tendances car les organismes photosynthétiques représentent des enjeux majeurs pour l’innovation dans les domaines de l’agriculture, l’énergie et même la santé (par exemple, le vaccin produit contre le virus Ebola l’a été dans des plantes de tabac), alors que paradoxalement l’ignorance du public est grande concernant ces enjeux. Il convient donc de soutenir l’initiative entrepreneuriale par des formations et incitations adaptées. Par ailleurs, il faudra renforcer la formation d’étudiants dans les domaines de l’amélioration des plantes, de l’agroécologie et des bioénergies, domaines qui « tireront » ensuite les domaines les plus fondamentaux. Enfin, il faudra communiquer, à large échelle et de manière institutionnelle, sur l’importance de ces secteurs pour l’avenir.

Annexe 1

ALLENVI : Alliance nationale de recherche pour l’environnement
ANCRE : Alliance nationale de coordination de la recherche pour l’énergie
ANR : Agence nationale de la recherche
AVIESAN : Alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé
CEA : Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives
CIRAD : Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement
CNV : Copy Number Variation
ERC : European Research Council
FT : Facteur de transcription
HR : Hypersensitive response
IFP : Institut Français du Pétrole
IFREMER : Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer
INRA : Institut national de la recherche agronomique
IRD : Institut de recherche pour le développement
MUT : Multi-Environnement Trial
PCD : Programmed cell death
QTL : Quantitative Trait Loci
ROS : Reactive oxygen species
TPE : Target Population of Environnement
UMR : Unité mixte de recherche

Annexe 2

1. Thèmes abordés par les laboratoires de la section 23.

2. Méthodologies employées par les laboratoires de la section 23.

3. Modèles d’étude utilisés par les laboratoires de la section 23.