Rapport de conjoncture 2014

Section 15 Chimie des matériaux, nanomatériaux et procédés

Extrait de la déclaration adoptée par le Comité national de la recherche scientifique réuni en session plénière extraordinaire le 11 juin 2014

La recherche est indispensable au développement des connaissances, au dynamisme économique ainsi qu’à l’entretien de l’esprit critique et démocratique. La pérennité des emplois scientifiques est indispensable à la liberté et la fécondité de la recherche. Le Comité national de la recherche scientifique rassemble tous les personnels de la recherche publique (chercheurs, enseignants-chercheurs, ingénieurs et techniciens). Ses membres, réunis en session plénière extraordinaire, demandent de toute urgence un plan pluriannuel ambitieux pour l’emploi scientifique. Ils affirment que la réduction continue de l’emploi scientifique est le résultat de choix politiques et non une conséquence de la conjoncture économique.

L’emploi scientifique est l’investissement d’avenir par excellence
Conserver en l’état le budget de l’enseignement supérieur et de la recherche revient à prolonger son déclin. Stabiliser les effectifs ne suffirait pas non plus à redynamiser la recherche : il faut envoyer un signe fort aux jeunes qui intègrent aujourd’hui l’enseignement supérieur en leur donnant les moyens et l’envie de faire de la recherche. On ne peut pas sacrifier les milliers de jeunes sans statut qui font la recherche d’aujourd’hui. Il faut de toute urgence résorber la précarité. Cela suppose la création, sur plusieurs années, de plusieurs milliers de postes supplémentaires dans le service public ainsi qu’une vraie politique d’incitation à l’emploi des docteurs dans le secteur privé, notamment industriel.

Composition de la section

Jean-Marie Dubois (président de section) ; Mathias Velazquez (secrétaire scientifique) ; Jean-Luc Adam ; Florence Babonneau ; Marie-France Barthe ; Isabelle Beurroies ; Isabelle Braems-Abbaspour ; Dominique Chatain ; Philippe Falque ; Abel Haidoux ; Olivier Joubert ; Alain Largeteau ; Mario Maglione ; Christine Martin ; Lionel Montagne ; Werner Paulus ; Michel Pons ; Vanessa Prévot ; Philippe Tailhades ; Philippe Thomas ; Philippe Vermaut.

Résumé

Les disciplines représentées en section 15 relèvent de la chimie du solide inorganique et se placent aux interfaces avec la physique du solide, l’ingénierie des matériaux et, de plus en plus souvent, les sciences du vivant. Elles sont au cœur de la création de matériaux innovants et font appel aux méthodes de caractérisation les plus modernes. Nous analysons dans ce rapport les évolutions récentes de nos disciplines, l’extension du champ thématique de la section, sa répartition géographique et le contexte international de nos activités. Nous faisons une place ensuite à l’indispensable recherche exploratoire qui est une caractéristique de la section 15 autant que l’est la pluridisciplinarité de nos approches. Nous attirons enfin l’attention sur des disciplines dont la disparition progressive met en danger la chimie des matériaux avant de formuler quelques recommandations sur ce qui à notre sens doit impérativement continuer à former le socle de nos recherches : compétences du meilleur niveau dans nos disciplines de base, collaborations pluri et transdisciplinaires, performance des outils de caractérisation et de modélisation, procédés d’élaboration et de synthèse innovants, relations avec le secteur industriel. Cette analyse nous amène à conclure en insistant sur les enjeux actuels des activités évaluées en section 15.

Introduction

Depuis qu’elle existe, la section « chimie des matériaux-nanomatériaux-procédés » (aujourd’hui, section 15 du CoNRS) a placé son champ d’activité au cœur de la science et de l’ingénierie des matériaux. Conscients du rôle déterminant que jouent les matériaux dans les évolutions et les progrès de notre société, les chercheurs qui la composent s’efforcent de concevoir, créer, synthétiser, élaborer des matériaux nouveaux ou d’améliorer des matériaux existants, que ce soit in vitro (ou plutôt in furno) autant que in silico. Cet acte de création est indissociable de la caractérisation aussi fine que possible des structures, des propriétés et de la réactivité du solide ainsi créé. Elle conduit le chimiste de la section 15 à tenir compte des spécificités du procédé utilisé et de ses rétroactions avec les caractéristiques et les fonctions du matériau.

À ce titre, la section 15 englobe des disciplines diverses comme, entre autres, la chimie du solide, la métallurgie, la thermodynamique chimique. Elle entretient des liens féconds avec de nombreuses disciplines représentées dans d’autres sections du CoNRS : la thermodynamique au sens large, la mécanique quantique, la physique statistique, la physique du solide, la cristallographie, la mécanique du solide, le génie des procédés, etc. (sans que ces énumérations puissent être ni exhaustives, ni hiérarchisées). Elle partage de nombreuses compétences également présentes dans d’autres sections. Citons tout d’abord l’imagerie, notamment électronique, la diffraction des rayonnements, les spectroscopies, etc., en raison de l’impérieuse nécessité de caractériser les matériaux jusqu’aux plus ultimes degrés de précision. Elle a recours aux mesures analytiques, thermiques et physiques, aux essais mécaniques, aux tests de durabilité et de vieillissement en conditions contrôlées, etc., pour étudier le(s) comportement(s) du matériau. L’informatique et le calcul intensif sont indispensables à l’acquisition et à l’interprétation des données expérimentales ainsi qu’à la modélisation qui devient un véritable outil de synthèse prédictive. Au total, ce vaste domaine de disciplines et de compétences rassemble au CNRS 62 laboratoires (55 UMR et 7 UPR) et 319 chercheurs permanents (en 2014) dont l’activité est évaluée par la section 15.

Historiquement, la préférence a été donnée aux matériaux inorganiques mais des évolutions se font jour vers la chimie organique (polymères, supramolécules) ou le monde du vivant dès lors que des synergies opèrent entre matériaux inorganiques et organiques. Les multimatériaux, les matériaux architecturés, les nanomatériaux hiérarchisés, les films minces et les nanostructures en surface, les matériaux composites pour conditions extrêmes, les matériaux hybrides, les matériaux à finalité thérapeutique, etc., ont ainsi fait leur entrée au Panthéon de la section 15. Il est alors risqué, sous peine d’oubli, de formuler une liste des matériaux les plus fréquemment étudiés. Le lecteur est ainsi invité à se reporter au précédent rapport de conjoncture de la section 15 où a été fournie une étude détaillée de ces matériaux et des thématiques qui s’y rattachent. Nous adopterons dans la présente version du rapport de conjoncture 2014-2018 un point de vue complémentaire en décrivant tout d’abord (§ I) les évolutions les plus marquantes du champ disciplinaire de la section 15 qui sont intervenues dans les années récentes. Nous nous attacherons ensuite à quantifier les forces dévolues aux principales thématiques représentées en section 15 (§ II) et à localiser ces forces dans le canevas national du CNRS (§ III). Ces données seront placées dans les contextes européen et international (§ IV). Nous insisterons ensuite sur deux aspects consubstantiels et incontournables de la créativité en matière de recherche en science et ingénierie des matériaux : l’indispensable recherche exploratoire, qui se mène souvent à titre individuel (§ V), et la tout aussi indispensable approche pluridisciplinaire (§ VI) qu’impose la compréhension complète d’un matériau interagissant avec son environnement, y compris sociétal. Nous consacrerons le paragraphe suivant (§ VII) aux disciplines connexes de la science et de l’ingénierie des matériaux qui nous paraissent menacées de disparition des cursus universitaires. Nous terminerons enfin par quelques recommandations pour la mandature à venir (§ VIII).

I. Évolution depuis le précédent rapport

Depuis le précédent rapport de conjoncture, plusieurs évolutions marquantes du périmètre thématique de la section 15 se sont fait jour. Nous en résumons ici les caractéristiques principales.

Nanomatériaux et nanostructures : L’activité de recherche dans le domaine de la synthèse de nanomatériaux est toujours foisonnante, essentiellement focalisée sur des oxydes simples, des métaux et aussi des chalcogénures. L’obtention de nanoparticules se focalise maintenant autour de nouvelles compositions. On peut citer par exemple, les borures qui présentent sous forme massive une vaste gamme de propriétés remarquables (supraconductivité, dureté, ferromagnétisme, thermoélectricité…), les phosphures et en particulier la famille des semi-conducteurs III-V et les composés du système BCxNy apparentés au graphène. Une large activité est aussi concentrée sur l’élaboration de nanoparticules présentant des hétérostructures originales.

Afin de permettre l’accès à ces nouvelles compositions, l’utilisation de nouveaux précurseurs moléculaires réactifs et de nouveaux milieux de synthèse, comme par exemple les sels fondus, sont apparus, ce qui a permis d’étendre les domaines d’application de la chimie colloïdale vers des systèmes plus exotiques. Des stimuli externes tels que micro-ondes, lumière ou ondes sonores sont aussi utilisés pour générer de nouveaux intermédiaires réactionnels qui peuvent donner lieu à de nouvelles structures et morphologies.

La recherche de méthodes pour assembler de manière organisée dans l’espace et si possible à plusieurs échelles, des briques élémentaires prédéfinies (colloïdes ou nanoparticules) est aussi un domaine très actif compte tenu des propriétés non conventionnelles qui peuvent en découler, si l’on pense par exemple aux métamatériaux ou aux cristaux photoniques. La structuration d’un matériau à plusieurs échelles, comme rencontrée dans les matériaux biologiques (os, nacre..), est un réel défi, qui passe par une maîtrise du couplage chimie-procédé de mise en forme. Le recours à des entités naturelles (biopolymères, biosurfactants, bactéries…) pour structurer le solide est de plus en plus considéré. De réelles avancées dans ce domaine se dessinent en combinant des approches chimiques bottom-up permettant le contrôle de structures à l’échelle nanométrique et mésoscopique et des techniques top down de microfabrication, ce qui nécessite le rapprochement des compétences des chimistes et des physiciens des matériaux.

Matériaux hybrides : Une des grandes évolutions actuelles dans le domaine des matériaux hybrides multifonctionnels concerne sans doute les vecteurs thérapeutiques, où l’on trouve en bonne place, les nanoparticules de silice mésoporeuses et les MOFs. Les recherches se concentrent maintenant sur la création de véritables plate-formes thérapeutiques autour d’un nano-objet poreux que l’on peut charger par diverses molécules ou nanoparticules et recouvrir aussi de bio(macro)molécules variées, pour viser des fonctions bien précises. Le relargage contrôlé de principes actifs n’est plus l’unique objectif. Ainsi, dans le cas des cancers, s’agit-il de mieux cibler la tumeur, de l’imager, de la traiter par exemple par hyperthermie. Après de nombreuses études in vitro, les études in vivo commencent à apparaître.

Biomimétisme et bio-inspiration : Lié à celui des matériaux hybrides organiques-inorganiques, le domaine des matériaux bio-inspirés est en plein essor. Il bénéficie de la reconnaissance du « Biomimétisme » en tant que nouveau champ d’exploration scientifique. Un Centre Européen d’Excellence en Biomimétisme va être créé à Senlis et le Ministère de l’Écologie, du Développement Durable et de l’Énergie lance le programme « Approches biomimétiques au service du développement durable ».

La science des matériaux biologiques utilise des concepts connus pour les matériaux synthétiques afin de décrire des organismes biologiques et d’extraire les principes de construction de ces édifices dont les formes semblent sans limites et le degré d’ordre souvent approximatif. La matrice minérale allie très souvent des composantes (macro)moléculaires organiques, et la modulation des propriétés est obtenue grâce à un ajustement fin de la composition et de la nature des liaisons chimiques mises en jeu. Aux frontières de la biologie et de la chimie ou de la physique, un nouveau domaine scientifique est en train de s’affirmer, animé par des chercheurs aux profils transdisciplinaires qui doivent donc à la fois comprendre comment fonctionnent des systèmes vivants très complexes, les traduire en nouveaux matériaux, et qui doivent surtout trouver leur place au sein de la section.

Eco-efficience dans le domaine de l’élaboration des matériaux : L’éco-efficience peut se décliner par le choix de la nature des matériaux, la minimisation de la quantité de matière et le développement de procédés d’élaboration respectueux de l’environnement et la capacité de recyclage en fin de vie. L’architecturation des matériaux permet une économie de matière par une distribution optimale de celle-ci tout en assurant une réelle multifonctionnalité. Les matériaux cellulaires, enchevêtrés, sandwich, stratifiés ou à gradients peuvent être élaborés par impression 3D, ou fabrication additive. Cette technique s’impose comme l’une des grandes mutations de ce début de xxie siècle en matière de production industrielle, en particulier dans le domaine aéronautique, où la fabrication soustractive a atteint ses limites. Les possibilités d’allégement et d’intégration de fonctions sans assemblage, ainsi que la valorisation de la matière première (pas de pertes) rendues possibles par la fabrication additive, sont des avantages clés. Cependant, comme il s’agit de technologies de transformation assez récentes, il se développe de nombreuses recherches amont, en particulier pour comprendre et caractériser la métallurgie issue de ces procédés, comprendre le rôle des défauts sur les propriétés, et enfin développer les outils appropriés de contrôle non destructif.

La « génomique » des matériaux : les laboratoires commencent à développer des infrastructures pour accélérer la découverte de nouveaux matériaux en mêlant les techniques numériques aux bases de données les caractérisant. Aux USA, ceci s’est traduit par le lancement en 2011 du projet « Materials Genome Initiative ». Les recherches en cours concernent les substituts aux matériaux critiques(1), la réduction de l’utilisation des énergies fossiles pour le transport (allégement, stockage hydrogène…). L’objectif est de diviser par deux le temps de développement et de déploiement de nouveaux matériaux.

Modélisation mésoscopique en science des matériaux : l’échelle mésoscopique est une échelle intermédiaire entre l’échelle microscopique, qui caractérise les atomes ou les molécules, et l’échelle macroscopique, qui caractérise les corps dans leur ensemble. Bien que le défi pour découvrir, contrôler et manipuler des architectures et des phénomènes complexes à l’échelle mésoscopique, ou pour réaliser de nouvelles fonctionnalités, soit immense, les succès qui pourraient être accomplis auront des retombées considérables sur les défis actuels. De nombreuses recherches sont en cours sur le comportement piezoélectrique, le développement de matériaux bio-inspirés, le contrôle de défauts structuraux, le mélange de matériaux nano et micro-structurés pour les composites, les batteries ou encore le photovoltaïque(2).

(1) http://ecoinfo.cnrs.fr/article197.html
Les produits de haute technologie nécessitent des métaux rares dont la production est largement extérieure à la communauté européenne.

(2) http://science.energy.gov/bes/news-and-resources/reports/
From Quanta to continuum : opportunities for mesoscale science, US Department of Energy, September 2012.

II. Partition thématique en 2014

La chimie des matériaux s’appuie sur des compétences propres et sur des interactions fortes à la fois avec les autres secteurs de la chimie et les disciplines connexes que sont la physique, les sciences de l’ingénieur, la biologie et la santé. La spécificité principale de nos laboratoires est de contrôler toutes les étapes de synthèse, de mise en forme et de caractérisations structurales et fonctionnelles. Cette chaîne d’expertise permet à la fois de :

a) mener des études complexes « chimie-structure-propriétés » dans leur totalité,

b) synthétiser et caractériser de nouveaux matériaux,

c) optimiser des matériaux pour maîtriser de nouvelles propriétés à des fins d’études fondamentales,

d) intégrer des matériaux inorganiques dans des systèmes complexes (développement technologique, biologie, environnement, santé).

Il en résulte une fertilisation croisée qui a fortement diversifié les domaines d’interventions des laboratoires de la section 15 et généré des avancées majeures au cours des dernières années dont certaines sont décrites brièvement ci-dessous.

L’interaction naturelle avec les autres sous-disciplines de la chimie a fait évoluer la synthèse des matériaux : par exemple sur le plan expérimental, l’électrochimie en phase solide est maintenant utilisée comme une voie d’obtention de structures originales, et la chimie organique et la chimie des polymères ont permis l’émergence de matériaux fascinants tels que les hybrides et les MOFs. Aujourd’hui, tous les laboratoires de chimie des matériaux utilisent les calculs de structure électronique de type DFT comme outils de simulation, voire de prédiction de nouvelles phases.

Les échanges constants avec la physique ont considérablement amélioré la compréhension des matériaux solides. Les (nano)-matériaux parfaitement contrôlés du point de vue structural et chimique que nous pouvons créer sont des objets idéaux pour que des études fiables et originales puissent être menées avec les techniques de microscopie les plus avancées (HRTEM corrigée, tomographie électronique, champ proche). Il en est de même avec les grands instruments (synchrotron, neutrons, RMN) de plus en plus accessibles à nos laboratoires. D’autre part, les modélisations multi-échelles issues de la physique du solide sont passées du statut d’objets d’étude dans les laboratoires de physique à celui d’outils incontournables dans nos équipes de recherche.

La nécessaire mise en œuvre des matériaux pour des développements technologiques fait progresser leur connaissance en créant un cercle vertueux. Dans le processus d’intégration des matériaux, la mise en forme, la reproductibilité et la fiabilisation imposent une expertise fondamentale de la physico-chimie des solides. En retour, la disponibilité de nombreux composants reproductibles et fiables permet de mener des études comparatives et ainsi de faire avancer la compréhension des matériaux. À titre d’exemple, on peut citer les verres et cristaux pour l’optique, les conducteurs ioniques pour batteries, les oxydes en couches minces, les nanomatériaux magnétiques, la substitution des métaux nobles en électronique, ou encore les composites thermo structuraux.

L’interaction avec la biologie, les sciences de la santé et de l’environnement est devenue une nouvelle source d’innovation dans la synthèse des (nano)-matériaux. Portés naturellement vers les applications en médecine ou biologie, nos laboratoires optimisent en permanence les matériaux : porosité contrôlée dans les hydroxyapatites artificielles, nanoparticules hybrides pour l’imagerie et la délivrance ciblée de médicaments, transducteurs ultrasonores performants, cristaux de macromolécules biologiques pour la détermination structurale. Sur cette base bien établie, la période récente a été marquée par une influence en retour à partir de laquelle la science des matériaux s’inspire des architectures biologiques pour générer des structures inorganiques artificielles. À l’échelle microscopique, la molécule d’ADN peut servir de base pour la synthèse d’oxydes en nano-hélices ; aux échelles méso et macroscopiques, l’auto-organisation de matériaux hybrides permet de synthétiser des architectures périodiques complexes.

Du point de vue organisationnel, les interactions décrites succinctement ci-dessus peuvent être résumées par la Figure 1 dans lesquelles l’implication relative des différents domaines scientifiques, déterminée par les rattachements secondaires dans les laboratoires de la section 15, est schématisée par l’aire des disques rapportée à la surface du disque central.

Figure 1 : Schéma représentant le poids relatif des disciplines affichées par toutes les unités de recherche de la section 15. L’aire des disques est proportionnelle au nombre de chercheurs rattachés aux sections secondaires des laboratoires dont la section principale est la section 15.

Après avoir balayé les différentes interfaces disciplinaires, il est nécessaire de définir les forces motrices intrinsèques de la section 15 afin d’anticiper les évolutions futures, les interactions nouvelles et les éventuels développements technologiques.

La dernière décennie a été marquée par une tendance forte à la mise en œuvre de matériaux nanométriques afin d’atteindre des fonctionnalités que des composés volumiques classiques ne possèdent pas. On peut citer quelques exemples significatifs de cette évolution. Dans le domaine de l’énergie, le stockage électrochimique (batteries lithium, supercondensateurs) et la transformation (piles à combustible, électrolyseurs) ont atteint le niveau de la production grâce à la mise en œuvre contrôlée de matériaux à grande surface spécifique ou nanostructurés. Dans tous ces cas, il s’agissait d’augmenter les transferts ioniques et électroniques aux interfaces pour accroître la densité d’énergie. En métallurgie, la cristallisation locale de verres métalliques ou l’utilisation de composites carbone/métal permet de combiner des propriétés réputées incompatibles : rigidité et facilité de mise en forme, forte conductivité électrique et faible conduction thermique, conductivité électronique et propriétés magnétiques préservées dans les métaux nanométriques. En optique, la cristallisation de verres d’oxydes ou la synthèse de vitrocéramiques rend possible la production de composants optiques de grande taille possédant des propriétés inégalées : indices optiques linéaires et non-linéaires modulables, absorption/émission/scintillation homogènes sur de grands volumes, préformes structurées pour la réalisation de fibres. La coexistence et le couplage de propriétés (magnétique/électrique, élastique/magnétique, thermique/électrique) dans les matériaux multifonctionnels ont été grandement facilités par la création de composites bi- ou tridimensionnels comme, par exemple, les multiferroiques. Dans certains cas, des propriétés impossibles à obtenir en phase solide massive peuvent être créées dans des matériaux micro- ou nanostructurés : indice optique négatif dans les métamatériaux, supraconductivité bidimensionnelle aux interfaces, etc. La contribution principale des laboratoires de la section 15 dans ce processus de structuration multi-échelle des matériaux est d’intégrer des composés complexes, en partant de preuves de concept basées sur les matériaux simples : oxydes, nitrures, fluorures, carbures, binaires ou ternaires, solutions solides doubles ou triples, alliages, hybrides organiques/inorganiques…

Parallèlement à cette évolution multidisciplinaire dans laquelle la chimie des matériaux est impliquée, il est nécessaire de réaffirmer la place prépondérante de la chimie exploratoire. Basée sur les concepts de base de la liaison chimique, des polyèdres de coordination et de la cristallochimie, il est vital de renforcer la synthèse de composés nouveaux qui fait la force et l’originalité de notre discipline. Plusieurs initiatives ont été lancées récemment par les laboratoires et l’INC pour réaffirmer cette nécessité : action nationale pour une chimie du solide exploratoire, structuration nationale de la métallurgie, etc.

Différentes thématiques susceptibles de s’intégrer dans cette dynamique sont listées ci-dessous :

– métallurgie : contrôle local de la structure et de la stœchiométrie au sein d’alliages complexes et des défauts bidimensionnels (joints de grains et hétérointerfaces), métallurgie prédictive pour le développement de nouveaux alliages combinant calculs ab initio et thermodynamiques ; alliages multi-élémentaires à haute entropie ; homogénéité de composition dans les nanoparticules d’alliage (thermodynamique des nano-objets et des films minces) ; surface et interfaces de verres, cristaux à grande maille et quasi-cristaux métalliques ; application des concepts, procédés et modélisation de la métallurgie aux solides non-métalliques ; développement de nouveaux alliages et procédés de substitution à des matériaux/procédés classiques ne respectant plus les normes environnementales ;

– chimie du solide : renforcement des voies de synthèse classiques de la chimie inorganique (cristallogenèse, voie solide, chimie douce), utilisation de voies de synthèse avancées (couches minces, frittage sous contrainte type SPS, mise en œuvre des paramètres pression-champ électromagnétique, synthèse en milieu fluide supercritique, milli et microfluidique), coexistence et couplage de propriétés dans les matériaux multifonctionnels intrinsèques (multiferroiques, magnétocaloriques), synthèse raisonnée de nouveaux composés s’appuyant sur les modélisations ab initio et allant au-delà d’une stratégie de substitution au sein de familles structurales données, cristallochimie quantitative en lien avec les calculs DFT ;

– nanomatériaux et hybrides : liaison chimique entre molécules carbonées et composés inorganiques ; matériaux bio-inspirés, bio-sourcés et bio-compatibles ; minéralisation assistée par des molécules biologiques ; cristaux colloïdaux nanostructurés.

En se basant sur cette démarche exploratoire, les laboratoires de la section 15 sont parfaitement placés pour s’impliquer à toutes les étapes du cycle de vie des matériaux et pour répondre à différents enjeux sociétaux :

– au niveau de la synthèse : choix des précurseurs et des procédés permettant de diminuer l’impact environnemental et de prendre en compte la disponibilité des ressources,

– au niveau du développement : intégration de matériaux performants dans les systèmes pour accroître leur durée de vie, diminuer leur consommation énergétique,

– au niveau du recyclage : mise en œuvre de matériaux pertinents aux étapes de synthèse et d’intégration permettant d’anticiper et de faciliter la séparation des éléments chimiques et leur conditionnement.

Nos laboratoires sont donc au cœur des évolutions actuelles autour de la chimie verte et durable.

III. Répartition géographique et évolution récente des populations

En 2014, la section 15 est forte de 319 chercheurs répartis dans 55 UMR et 7 UPR. La répartition est inhomogène, avec une vingtaine d’unités ne comptant qu’un seul chercheur et à l’autre extrémité de l’échelle, l’ICMCB (Institut de Chimie de la Matière Condensée de Bordeaux) qui rassemble 24 chercheurs. La moyenne se situe à 5 chercheurs par unité, les grandes structures en regroupant entre 10 et 20 (CEMHTI-Orléans, CIRIMAT-Toulouse, CRISMAT-Caen, ICG-Montpellier, ICM Paris-Est, IJL-Nancy, IM-Nantes, ISC-Rennes, LMGP-Grenoble, SIMAP-Grenoble).

En termes de site, la section 15 est très présente sur les sites de Grenoble, Île-de-France Sud-Ouest (Châtenay, Chatillon, Gif/Yvette, Orsay, Palaiseau, Versailles), Bordeaux et Montpellier, suivis de Toulouse, Nancy, Paris et Caen. Deux sites à faible effectif, Cavaillon et Saint-Louis, correspondent à des structures de recherche particulières. La première est une unité mixte avec Saint-Gobain, dédiée aux céramiques. La seconde fait partie d’un institut de recherche franco-allemand sur les questions de défense et de sécurité.

La figure 2, où les effectifs sont rassemblés par délégation régionale (DR), apporte un éclairage un peu différent. Ainsi, hors Île-de-France, il apparaît que la DR17 (Bretagne-Pays de la Loire) peut se comparer à la DR 15 (Aquitaine) et la DR 11 (Alpes), en regroupant les forces de trois sites de taille moyenne ou faible (Nantes, Rennes, le Mans). À un moindre niveau, la situation est identique pour la DR 8 (Centre – Limousin – Poitou-Charentes) qui, en nombre de chercheurs, rivalise avec la DR 13 (Languedoc-Roussillon), grâce à l’addition des effectifs d’Orléans et de Limoges.

La figure 3 rassemble, par délégation régionale, le nombre R de chercheurs recrutés sur les concours CR2 et CR1 depuis 2010 (NB : pour l’année 2014, les données issues de la phase d’admissibilité, seules connues à la date de rédaction de ce rapport, ont été utilisées). Une pondération par l’effectif chercheur total, E, conduit à une mesure de l’attractivité, A=R/E, d’une zone géographique donnée. On peut aussi définir À comme étant un indicateur de la capacité à recruter.

Figure 2 : Répartition géographique des chercheurs de la section 15 par Délégation Régionale.

Ces chiffres ne sont en aucune manière le reflet d’un solde positif des populations de chercheurs puisque les départs ne sont pas intégrés dans la réflexion. Il convient également de noter que les entrées/départs par mutation ne sont pas pris en compte.

À partir de ce critère, la DR 7 (Rhône-Auvergne) est de loin la plus attractive avec un ratio A de 28 %, la moyenne se situant à 11 % pour l’ensemble du territoire. Le site de Lyon, avec 4 UMR émargeant à la section 15, est le moteur de cette capacité à recruter. Vient ensuite avec 19 % la DR 13 dont le site unique, Montpellier, est fort de deux gros instituts (ICG et IEM) de la section 15. Les DR 3 (IdF Est), DR 5 (IdF Ouest et Nord), DR 11 (Alpes) et DR 18 (Nord – Pas-de-Calais – Picardie) présentent également une attractivité supérieure à la moyenne tirée par les sites de Thiais et Versailles/Châtenay, Grenoble, et Amiens, respectivement. Les 5 délégations Paris-IdF ensemble ont cependant un facteur d’attractivité de 10 %, légèrement inférieur à la moyenne.

Hormis la DR 20 où l’effectif de seulement 2 chercheurs ne permet pas de tirer d’enseignement, les taux de recrutement les plus faibles sont constatés dans la DR 4 (IdF Sud, 0 %), la DR 15 (Aquitaine, 4 %), les DR 6 (Centre-Est) et DR 14 (Midi-Pyrénées) avec 5 % l’une et l’autre, la DR 12 (Provence, 7 %), et la DR 10 (Alsace, 8 %).

L’effectif moyen par délégation régionale est de 17,7 chercheurs de la section 15. Il apparaît que la capacité à recruter est sensiblement plus importante en moyenne dans les DR comptant au moins 18 chercheurs (A=12 %). En comparaison, les DR à effectif plus faible (entre 2 et 17 chercheurs) présentent un facteur A moyen de 9 %. En règle générale, on peut donc conclure qu’à l’échelle d’une DR, le taux de recrutement en section 15 est un peu favorisé lorsque la population de chercheurs y est déjà importante.

La comparaison sud-nord montre que les effectifs de la section 15 sont parfaitement répartis avec 159 chercheurs au nord de la Loire et 160 au sud. En termes de capacité à recruter, les laboratoires du sud bénéficient en moyenne d’un léger avantage (A=12 %) par rapport à ceux du nord (A=10 %). Cette différence n’est cependant pas significative, d’autant plus qu’il s’agit de valeurs moyennes masquant de grandes disparités bien visibles sur les cartes de la figure 2.

Figure 3 : Part dans les effectifs de la section 15 des chercheurs recrutés CR2 et CR1 depuis 2010, par délégation régionale. R représente le nombre de chercheurs recrutés, E l’effectif total dans la DR concernée et A=R/E l’attractivité de cette délégation.

IV. Contextes européen et international

Le programme Horizon 2020 de la Commission Européenne souligne clairement l’importance des matériaux avancés et des technologies connexes comme des outils et facteurs clés dans le renforcement de la capacité de productivité et d’innovation de l’Europe et de sa compétitivité dans les secteurs d’application de haute technologie. En outre, depuis 2007, le Plan technologique stratégique pour l’énergie (Plan SET) fournit le cadre stratégique entre les États membres, l’industrie et l’Union européenne pour investir conjointement sur le développement et le déploiement commercial de technologies sobres en carbone, plus efficaces, sûres et fiables, dans lesquels les matériaux jouent un rôle majeur.

Les technologies clés (KETs) recommandées par l’Europe sont : les matériaux avancés, la photonique, les nanotechnologies, la biotechnologie, la micro- et la nanoélectronique. Ces technologies clés ne sont pas seulement liées, mais sont toutes basées sur de nouveaux progrès dans le développement des matériaux et de leur mise en œuvre via des procédés performants.

En plus de ces cinq technologies clés génériques, le groupe MatSEEC (Materials Science and Engineering Committee) a identifié le rôle clé de l’énergie. Fournir suffisamment d’énergie avec un impact écologique acceptable en Europe ainsi que dans le monde est l’un des principaux défis de la société. La production efficace de l’énergie, de la conversion et du stockage sont des objectifs importants pour l’Europe qui a besoin des efforts de la recherche fondamentale sur la conception de nouveaux matériaux, et sur l’optimisation de matériaux existants et adaptables.

Les matériaux avancés et leurs innovations sont un élément important dans pratiquement toutes les industries manufacturières. Les marchés devraient offrir un volume supplémentaire au sein de l’UE de 55 milliards d’euros au cours des 5 à 7 prochaines années avec un potentiel considérable dans les domaines de l’énergie (19 milliards d’euros), l’environnement, la santé, les transports et les technologies de l’information et de la communication (TIC).

La section 15 affiche une stratégie qui va de la synthèse au procédé en passant par des étapes de caractérisation et de modélisation à différentes échelles de temps et d’espace. Cette stratégie s’est fortement accentuée par des incitations d’embauche de chargés de recherche spécialisés sur le stockage électrochimique de l’énergie, la métallurgie au sens large et ses concepts et la cristallochimie, discipline incontournable de la compréhension fine de la structure des matériaux. La stratégie scientifique alliée à un effort important de ressources humaines est au cœur du dispositif européen des enjeux sociétaux à l’horizon 2020.

Le CNRS se place en force de proposition dans l’élaboration des futurs appels à projet du programme Horizon 2020. Une soixantaine de chercheurs sont actifs dans les groupes thématiques nationaux (GTN) mis en place par le Ministère de l’Enseignement et de la Recherche. Des chercheurs dont les thématiques scientifiques relèvent de la section 15 sont présents dans les GTN sur l’énergie, les nanomatériaux et matériaux avancés, et le transport.

Le CNRS apporte une pierre importante à l’édification de l’espace européen de la recherche en participant, avec ses partenaires français, européens et internationaux, à la construction et l’exploitation de grands équipements scientifiques (LLB, ESRF, ILL, Soleil, RMN, IDRIS..). Des chercheurs de toutes les disciplines (astronomes, biologistes, physiciens, chimistes…) ont ainsi accès aux équipements les plus performants dans un environnement scientifique international de très haut niveau.

L’institut de Chimie mène une politique volontariste de relations internationales en participant lui-même à diverses actions internationales, en favorisant la participation des chercheurs de ses laboratoires aux différents accords et conventions gérés par la Direction des Affaires Européennes et la Direction des Relations Internationales du CNRS, et en mettant en place des structures opérationnelles telles que les Programmes Internationaux de Coopération Scientifique (PICS), Laboratoires Internationaux Associés (LIA), Groupement de Recherches Internationaux (GDRI), les Unités Mixtes Internationales (UMI). La société Saint-Gobain, le NIMS (institut national pour les sciences des matériaux au Japon) et le CNRS ont signé le 7 juin 2013 une lettre d’intention pour étendre leur collaboration scientifique dans le domaine de la chimie des matériaux. Cette politique associe étroitement la section 15 qui est consultée pour la création des nouvelles structures.

V. De la nécessité d’une recherche exploratoire de qualité

Si l’interaction recherche fondamentale – recherche et développement et le fonctionnement sur projets constituent indubitablement des facteurs de découverte, d’invention, et même d’adaptation de la recherche scientifique aux besoins et finalités définis par la société, la recherche scientifique au CNRS ne saurait se réduire à une R&D sans risque de pétrification en une panoplie utilitariste. La recherche scientifique ne doit pas devenir à la science ce que la grammaire est au langage. Henri Poincaré soulignait déjà en 1908, dans Science et Méthode :

« Il suffit d’ouvrir les yeux pour voir que les conquêtes de l’industrie qui ont enrichi tant d’hommes pratiques n’auraient jamais vu le jour si ces hommes pratiques avaient seuls existé, et s’ils n’avaient été devancés par des fous désintéressés qui sont morts pauvres, qui ne pensaient jamais à l’utile, et qui pourtant avaient un autre guide que leur caprice. »

Il semble aujourd’hui indispensable, sans vouloir opposer recherche fondamentale et recherche appliquée mais tout en veillant à conserver un équilibre entre elles, de faire perdurer et surtout de redynamiser au profit des chimistes de la section 15 leur culture exploratrice de la recherche de nouvelles phases et de nouveaux composés, présentant ou non des propriétés nouvelles. L’une des missions des plus fondamentales des chercheurs de la section 15 doit en effet consister à « alimenter » en nouvelles compositions les étagères des laboratoires concernés par l’élaboration, la mise en forme, la structuration de nouveaux matériaux, que ce soit sous forme de cristaux, de couches minces ou de matériaux massifs. Cette recherche exploratoire doit rester libre, c’est-à-dire orientée selon des critères de curiosité et d’intuition scientifiques définis par les chercheurs eux-mêmes. À ce jour, on peut regretter qu’aucun appel d’offres piloté par les agences de financement de la recherche ne prenne en compte ce type de recherche très en amont. De plus, l’organisation des structures de recherche doit être conçue de manière à laisser aux chercheurs cette liberté nécessaire à la prise en considération de l’imprévu qu’évoquait Jean Rouxel, dans sa leçon inaugurale du Collège de France (Chimie des solides : une autre chimie, 1997) :

« Le squelette nouveau, celui qui va créer une brusque discontinuité, est quelquefois obtenu de manière inattendue, le problème étant alors d’avoir la culture suffisante pour le reconnaître pour ce qu’il est. (…) Cette aptitude du chimiste à jouer d’un squelette structural lui permet aussi, à l’inverse en quelque sorte, de voir la richesse éventuelle des possibilités offertes par ce solide nouveau qu’il vient d’obtenir au détour d’une réaction non prévue. Le chimiste du solide est au carrefour du prévisionnel et de l’inattendu. »

Nous pouvons en effet mentionner, avec Jean Jacques (L’imprévu ou la science des objets trouvés, Éditions Odile Jacob, 1990), une pléthore de découvertes faites par sérendipité, en dehors de toute programmation à l’échelle nationale ou internationale, dans lesquelles la culture personnelle des chercheurs s’est montrée déterminante (Pasteur parlait en 1854 d’« esprits préparés » et Réaumur en 1742 d’« un de ces hasards qui ne s’offrent qu’à ceux qui sont dignes de les avoir, ou plutôt, qu’à ceux qui savent se les procurer. ») : la glycérine, la cimétidine (médicament contre l’ulcère gastrique), l’aspirine, le contraceptif RU 486, le néoprène, l’attracteur de Hénon, le téflon, le cyanoacrylate d’éthyle (colle glu), les polyox, le nylon, l’adrénaline, le coton-poudre, la diffraction des électrons, l’électricité galvanique, l’électromagnétisme, les éthers-couronnes, les alliages Invar, le LSD, les naines blanches, le plus grand nombre premier (2216091-1) connu en 1990, la pénicilline, le positron, les pulsars, les quasars, les quasi-cristaux, les fullerènes, la radioactivité, les rayons X, la saccharine, la supraconductivité, le transistor, la vitamine K, la vulcanisation (les pneus « Goodyear »), le phosphore et sa luminescence prolongée, et cette liste n’est, bien évidemment, pas exhaustive. Un certain goût de l’aventure doit par conséquent être valorisé en chimie du solide, et pour que ce goût et cette curiosité se traduisent en une créativité qui sorte des normes, plutôt que de se transformer en un aventurisme de projets ou en une chimie de synthèse « pêche à la ligne », la formation des chercheurs doit impérativement inclure la thermodynamique classique et statistique, la cristallographie et la mécanique quantique. Les contraintes imposées par les modes de financement budgétivores et chronophages mis en place depuis une décennie, associées à la prolifération aussi polymorphe qu’incontrôlée des expertises sollicitées aux chercheurs, paraissent antinomiques avec cette conception de la recherche exploratoire, libre, pilotée par la curiosité et l’intuition, basée sur une formation solide dans le cadre conceptuel et disciplinaire de la section 15. Ces préoccupations ont été au cœur d’une action nationale de formation en octobre 2011, soutenue par le programme interdisciplinaire sur les matériaux du CNRS (PIR Mat), et également au cœur de la contribution commune du CNRS aux Assises de l’ES&R de 2012.

VI. De la nécessité d’une recherche pluridisciplinaire

Les laboratoires qui émargent à la section 15 de l’INC sont par essence interdisciplinaires (figure 1). Il est en effet difficile d’imaginer des travaux de recherche en chimie du solide, métallurgie, ou matériaux céramiques sans des interfaces fortes avec la physique, les sciences de l’ingénieur ou même les sciences biologiques. Pour être factuel, on peut recenser quelques indicateurs qui reflètent la présence de l’interdisciplinarité parmi les activités de la section 15. Elle se traduit tout d’abord dans les mots-clefs de la section, et plus particulièrement dans ceux qui concernent les domaines applicatifs (matériaux pour l’énergie, l’optique, biomatériaux…). L’interdisciplinarité est aussi visible au travers des affiliations des unités ; ainsi, des 37 unités pour lesquelles la section 15 est la section principale, 33 d’entre elles émargent secondairement à d’autres instituts du CNRS (INSIS, INP, INEE, INSB, INSU, IN2P3). De plus, les chercheurs de la section 15 sont force de propositions et contribuent aux recherches développées dans le cadre de la Mission pour l’Interdisciplinarité (MI) du CNRS, en particulier dans les 4 thèmes suivants : (i) Nucléaire, énergie, environnement, déchets, société (NEEDS) (par exemple, dans le projet fédérateur Matériaux), (ii) Nano, (iii) Transition énergétique : ressources, société, environnement, (iv) Instrumentation aux limites. Les activités liées à la valorisation sont aussi fortement interdisciplinaires ; celles-ci ont récemment été recensées et classées par la Direction de l’Innovation et des Relations avec les Entreprises (DIRE) en 45 domaines d’innovation et 10 axes stratégiques d’innovation (ASI). Parmi ces derniers, au moins 5 concernent directement les activités de la section 15 (nanomatériaux, optoélectronique, stockage de l’énergie, énergie solaire, matériaux bio-sourcés et recyclés), ce qui témoigne à nouveau de la richesse et du potentiel interdisciplinaire des unités de la section 15. Enfin, les GDR sont des outils qui contribuent efficacement et depuis longtemps à promouvoir l’interdisciplinarité. Il serait difficile d’en faire une liste exhaustive, mais citons par exemple le GDR 3339 PACS (Piles à Combustibles et Systèmes) qui rassemble des équipes de l’INC et de l’INSIS, le GDR3182 (Nano-alliages et Nano-hybrides à base de Métaux) avec des équipes de l’INP et de l’INC, le GDR 3338 (Verres) avec des équipes de l’INC, INP, INSU et INSIS, les GDR C’Nano qui dépendent de l’INP mais rassemblent de très nombreuses équipes d’autres instituts CNRS (INC, INSIS, etc.). La section 15 unifie un fort potentiel de caractérisation des matériaux dans les laboratoires. Aussi, les unités de la section 15 sont-elles très impliquées dans les plate-formes instrumentales interdisciplinaires telles que l’IR RMN ou l’IR EMIR ou METSA, les TGI ILL, LLB, ESRF, SOLEIL, etc.

VII. Les disciplines en danger

Indispensables aux activités de la section 15, deux des disciplines les plus en danger sont la cristallographie et la thermodynamique. Comment vouloir prétendre élaborer des nanomatériaux ou nanostructures de plus en plus complexes et analyser leurs propriétés sans en Connaître la stabilité, la composition chimique et l’organisation structurale ?

Pour ce faire, il est nécessaire de prévoir à l’échelle atomique la structure de la matière (que ce soit de manière expérimentale ou par modélisation) et il est a minima indispensable de maîtriser les bases que sont l’atomistique, la nature (ionique, covalente, iono-covalente) de la liaison chimique, les arrangements structuraux de ces atomes (symétrie cristalline pour les phases cristallisées, structure locale et à plus longue distance pour les matériaux amorphes). Les chercheurs de la section 15 souhaitent alerter la communauté scientifique sur le constat qu’actuellement la cristallographie, dont le monde entier salue en 2014 avec l’Unesco la naissance il y a un siècle, est de moins en moins enseignée dans les universités et écoles d’ingénieurs françaises.

Les recherches en cristallochimie menées par la communauté représentée en section 15, sont indissociables du recours aux Grands Instruments (TGI). Un soutien marqué aux TGI est par conséquent indispensable. Ce soutien doit commencer par le LLB, la source nationale de neutrons, qui seule permet aux cristallochimistes de préparer correctement les expériences soumises au niveau international et de résoudre dans des délais satisfaisants les nombreux problèmes de diffusion élastique et inélastique émanant de nos laboratoires.

La thermodynamique est une autre discipline en danger. Elle permet de reconnaître la stabilité de nouvelles phases et de multi-matériaux dans l’environnement de leur fabrication et de leur fonctionnement. Elle nécessite à la fois une recherche expérimentale et de la modélisation pour construire de nouveaux diagrammes de phases de plus en plus complexes. La section 15 est convaincue de la nécessité de maintenir vivace la thématique « Thermodynamique » et en particulier la thermodynamique des matériaux à haute température. La section est consciente de sa faiblesse numérique et de sa dissémination sur l’ensemble du territoire. On peut toutefois citer le GDR 3584 « Thermodynamique des Matériaux à Haute Température », créé le 1er janvier 2013, qui a pour but de faciliter les échanges et le développement de la communauté sur les moyens expérimentaux et les méthodes de calculs ab initio. Cet effort d’attractivité doit être étendu à d’autres types de matériaux afin de guider la recherche exploratoire.

VIII. Recommandations

La dynamique de conception et d’élaboration de matériaux originaux, de nature à participer à des développements technologiques innovants, ne peut être entretenue que par l’acquisition permanente de connaissances fondamentales nouvelles. Le processus de créativité en science des matériaux passe donc, en premier lieu, par la maîtrise de disciplines de base et de techniques de caractérisation performantes. Celles-ci sont essentielles pour définir les stratégies d’élaboration ou pour mesurer, comprendre et faire évoluer les propriétés observées.

La création de matériaux bénéficie aussi de la mise en œuvre pertinente de technologies d’élaboration innovantes aptes à générer de nouvelles phases, des microstructures spécifiques, des états hors équilibre, des défauts, etc. à la base de propriétés originales ou exaltées. Les procédés jouent ainsi un rôle primordial dans la phase initiale de création d’un matériau.

Ils interviennent aussi de manière déterminante dans les phases ultérieures de développement, notamment lors de la mise en forme ou de l’intégration d’un matériau à l’échelle appropriée et dans l’environnement complexe dans lequel il doit assurer sa ou ses fonction(s). C’est enfin la compatibilité des procédés avec les contraintes industrielles, environnementales et normatives qui décide au final, de l’avenir applicatif du matériau.

Il apparaît donc clairement que la section 15 doit :

a) veiller à conserver des compétences du meilleur niveau dans les disciplines de base telles que la chimie du solide, la thermodynamique, la cristallographie et la cristallochimie, la métallurgie, qui relèvent toutes de son périmètre thématique,

b) s’appuyer sur des collaborations pluri et transdisciplinaires pour bénéficier d’un socle de compétences élargi,

c) disposer des meilleures compétences techniques et des outils les plus performants nécessaires à la caractérisation fine des solides, d’une part, à leur modélisation, d’autre part,

d) développer ou intégrer de nouveaux procédés d’élaboration,

e) garder de fortes relations avec le secteur industriel.

La conception, l’élaboration et la caractérisation de matériaux nouveaux sollicitent non seulement des compétences générales sur un spectre large de disciplines, mais aussi fréquemment, des compétences très pointues dans une discipline de base. Ces dernières sont détenues par des spécialistes de haut niveau dont il convient de soutenir et reconnaître les activités et d’assurer le renouvellement au fil du temps. En effet, ces spécialistes contribuent à repousser les frontières de la connaissance ou à apporter le surplus de créativité qui façonne les matériaux les plus originaux. Les disciplines identifiées sont notamment la chimie du solide et la thermodynamique, dont l’apport est fondamental pour concevoir des voies d’élaboration prometteuses, mais aussi la cristallographie et la cristallochimie, qui apportent les bases indispensables à la compréhension des propriétés.

Le spectre large de disciplines évoqué précédemment va en réalité au-delà du périmètre thématique de la section 15. Il s’étend notamment à la physique et au domaine du vivant. La physique peut en effet anticiper des comportements originaux au sein des matériaux et apporter les concepts nécessaires à l’interprétation de leurs propriétés. Les organismes vivants se déclinent en d’innombrables combinaisons de microstructures pour tirer le meilleur profit de la matière solide et développer des propriétés spécifiques. La biologie est ainsi une source d’inspiration qui enrichit les apports prédictifs et explicatifs de la physique à la science des matériaux. Il émerge en outre des travaux aux interfaces de la science des matériaux et de ces disciplines, portés souvent par de jeunes chercheurs dont le positionnement dans les sections actuelles du Comité National est difficile. Il convient donc de promouvoir la transdisciplinarité en faisant une place à ces chercheurs dans des sections nouvelles de type CID ou en acceptant d’élargir le périmètre thématique de la section 15.

Les caractérisations physico-chimiques fines de l’échelle macroscopique jusqu’à celle de l’atome, sont indispensables au processus de création de matériaux nouveaux. Les laboratoires doivent donc être équipés ou pouvoir accéder facilement, via des plate-formes mutualisées, aux équipements haut de gamme permettant d’effectuer ces caractérisations. Le corollaire est l’association à ces matériels, de personnels techniques qualifiés, capables de tirer le meilleur profit de ces équipements. Le maintien de la motivation et l’actualisation régulière des compétences de ces personnels, par des plans de formation ambitieux, revêtent aussi une importance stratégique.

Les outils et les méthodes de modélisation connaissent un développement rapide. Ils apportent une contribution de plus en plus significative à la compréhension fine de la matière à l’état solide et sont peu à peu capables d’en prévoir les propriétés. L’impact de la modélisation sur la manière de concevoir ou d’élaborer des matériaux nouveaux ne peut que s’accroître dans les prochaines années. Il est donc nécessaire d’encourager les activités de modélisation et de sensibiliser les expérimentateurs à leurs potentialités et à l’apport déterminant qu’elles peuvent, ou pourront avoir, dans la création de matériaux originaux.

Les développements technologiques actuels offrent sans cesse de nouvelles possibilités dans le domaine des procédés d’élaboration, de mise en forme et d’intégration des matériaux. L’évolution des lasers ou des faisceaux d’électrons ainsi que des optiques et dispositifs de positionnement et d’automatisation associés, ont par exemple permis le développement de machines de fabrication dite additive. Outre les possibilités offertes par ces machines pour la réalisation de pièces de formes complexes, des microstructures ou des phases originales peuvent potentiellement être créées, permettant d’obtenir des fonctionnalités améliorées. D’une manière plus générale, la miniaturisation des sources d’énergie et les progrès dans la maîtrise de leur utilisation conduiront nécessairement à des procédés de formation ou de traitement de matériaux nouveaux. Il ne faut donc pas faire l’économie de l’appropriation de ces technologies et de leur intégration dans le processus de créativité des chercheurs de la section.

Les problématiques industrielles, plus généralement sociétales, font très souvent naître des besoins de nouveaux matériaux ou posent des questions fondamentales qui peuvent susciter des recherches d’un grand intérêt pour des laboratoires du CNRS. De même, les avancées scientifiques issues de travaux académiques peuvent initier de nouvelles applications technologiques ou faire l’objet d’exploitations industrielles à fort impact socio-économique. Dans ces cas, les jeunes docteurs formés dans les laboratoires sont des relais de choix pour assurer le transfert des connaissances et des technologies vers les entreprises. Ils peuvent ainsi compter parmi les bénéficiaires d’un croisement des cultures de l’industrie et du secteur académique qui conduit à la création d’emplois. La section 15 doit donc persévérer dans le développement des relations avec l’industrie, sous les différentes formes de partenariats disponibles (contrats directs, actions collaboratives aidées par les pouvoirs publics régionaux, nationaux ou européens, bourses ANRT, laboratoires communs, etc.), pour contribuer au développement de l’innovation et faciliter le transfert des résultats de la recherche publique vers le monde socio-économique.

Dans cette démarche, le soutien administratif et juridique apporté aux chercheurs ne doit pas être oublié. Il est en effet capital d’éviter la dispersion des forces des chercheurs dans des tâches pour lesquelles, par ailleurs, ils n’ont pas les compétences requises. Il est en outre capital de protéger les innovations qui naissent de leurs travaux et d’officialiser ainsi leurs apports au développement socio-économique.

Conclusion

Nous conclurons ce rapport en attirant l’attention du lecteur sur trois points qui nous paraissent déterminants – en positif comme en négatif – pour l’avenir des chimistes rattachés à la section 15. Du côté négatif, la section partage les inquiétudes qui sont nées ces dernières années de la décroissance continue du nombre des postes offerts à l’entrée au CNRS. Elle s’alarme du sort qui est ainsi réservé aux jeunes les plus brillants, passionnés par la recherche et pourtant abandonnés, des années durant, à la répétition de post-doctorats à l’étranger, en dépit des sommes considérables que la société a consenties à leur formation. Comme la plupart des autres sections, elle réclame la mise en place d’un plan pluriannuel en faveur de l’emploi scientifique statutaire afin de mettre un terme au gâchis des talents qu’elle constate année après année, et prévenir leur migration massive vers l’étranger qui ne manquera pas de se produire dans un futur proche.

Du côté positif, elle est heureuse de constater combien l’enthousiasme des jeunes est fertile d’inventivité et d’innovations. La recherche exploratoire, sur laquelle nous avons insisté plus haut dans ce rapport, est une réalité tangible qui bénéficie autant à l’avancée des connaissances qu’au progrès socio-économique et à nos industries, le moment venu. Cet effort doit être soutenu par les agences de financement de la recherche, au plan national comme européen puisque les crédits récurrents n’y suffisent plus depuis bien longtemps. Enfin, s’il n’est plus pertinent de distinguer entre recherche fondamentale et appliquée, du moins dans le périmètre scientifique de la section, il reste cependant important de constater combien l’enracinement de nos laboratoires dans les contacts et les collaborations industrielles est source de thématiques nouvelles et d’enrichissement mutuel. Les exemples abondent : alliages métalliques, matériaux ioniques, films minces, matériaux pour l’optique, etc. qui tous engagent les chercheurs de la section dans des collaborations pérennes avec l’industrie. Cette recherche s’accommode plus facilement que la recherche exploratoire des appels à projets et des programmes à terme court, mais exige sur le long terme que les conditions du ressourcement leur soient associées. Ces conditions doivent prendre en compte la mobilité intrinsèque à nos disciplines de leurs interfaces. Cette mobilité entraîne régulièrement dans le périmètre de la section de nouveaux matériaux (graphène, nanoparticules pour la vectorisation médicale, etc.), de nouveaux procédés (frittage flash, ALD, fabrication additive, etc.), de nouveaux concepts (tectonique moléculaire, simulation mésoscopique, etc. pour ne citer que quelques exemples) qui incitent la section 15 à modifier sa réflexion comme à adapter son périmètre. La seule lecture du présent rapport n’y suffit pas et on pourrait envisager que la commission des présidents du Comité National se saisisse régulièrement de la mise à jour des connaissances partagées par plusieurs sections ainsi que par les commissions interdisciplinaires.