Rapport de conjoncture 2014

Section 09 Ingénierie des matériaux et des structures, mécanique des solides, biomécanique, acoustique

Extrait de la déclaration adoptée par le Comité national de la recherche scientifique réuni en session plénière extraordinaire le 11 juin 2014

La recherche est indispensable au développement des connaissances, au dynamisme économique ainsi qu’à l’entretien de l’esprit critique et démocratique. La pérennité des emplois scientifiques est indispensable à la liberté et la fécondité de la recherche. Le Comité national de la recherche scientifique rassemble tous les personnels de la recherche publique (chercheurs, enseignants-chercheurs, ingénieurs et techniciens). Ses membres, réunis en session plénière extraordinaire, demandent de toute urgence un plan pluriannuel ambitieux pour l’emploi scientifique. Ils affirment que la réduction continue de l’emploi scientifique est le résultat de choix politiques et non une conséquence de la conjoncture économique.

L’emploi scientifique est l’investissement d’avenir par excellence
Conserver en l’état le budget de l’enseignement supérieur et de la recherche revient à prolonger son déclin. Stabiliser les effectifs ne suffirait pas non plus à redynamiser la recherche : il faut envoyer un signe fort aux jeunes qui intègrent aujourd’hui l’enseignement supérieur en leur donnant les moyens et l’envie de faire de la recherche. On ne peut pas sacrifier les milliers de jeunes sans statut qui font la recherche d’aujourd’hui. Il faut de toute urgence résorber la précarité. Cela suppose la création, sur plusieurs années, de plusieurs milliers de postes supplémentaires dans le service public ainsi qu’une vraie politique d’incitation à l’emploi des docteurs dans le secteur privé, notamment industriel.

Composition de la section

Claude Verdier (président de section) ; Paul Cristini (secrétaire scientifique) ; Annie Artal ; Emmanuel Baranger ; Xavier Boutillon ; Renald Brenner ; Olivier Castelnau ; Stéphanie Deschanel ; Amadou Diop ; Sylvain Drapier ; Jean-François Ganghoffer ; Anne-Christine Hladky ; Sylvie Leroy ; Thierry Le Mogne ; Jean-Jacques Marigo ; Agnès Maurel ; Maurine Montagnat-Rentier ; Gilles Pijaudier-Cabot ; Helen Reveron-Cabotte ; Patrick Villechaise ; Bertrand Wattrisse.

Résumé

L’état de l’art et les avancées récentes des disciplines de l’ingénierie mécanique, ainsi que les verrous scientifiques et les points à améliorer sont présentés. Nos approches amont sont multidisciplinaires et s’appuient sur les aspects multi-échelles, avec des applications nombreuses en lien avec l’industrie et la société. De nouveaux défis apparaissent, à une époque où les changements sociétaux (énergie, environnement) devront s’appuyer sur de nouvelles avancées scientifiques.

Introduction

La communauté centrée sur la section 09 comprend environ 270 chercheurs CNRS et 1 600 enseignants-chercheurs. Si le cœur de métier est la mécanique des solides (I), les autres disciplines abordées ont trait aux matériaux, structures et à la géomécanique (II), aux sciences des surfaces et interfaces (III), à la mécanique pour le vivant (IV), l’acoustique (V), la robotique (VI), et la simulation numérique (VII) utilisée dans toutes les branches de nos métiers. Pour chacune de ces disciplines, nous présentons l’état de l’art, les verrous scientifiques, des données chiffrées lorsqu’elles sont disponibles, les aspects pluridisciplinaires – en lien avec les autres sections du CNRS et/ou autres organismes – ainsi que les implications sociales, économiques et culturelles, particulièrement en lien avec l’industrie pour notre section. Ce rapport n’est pas exhaustif, il met en valeur les avancées récentes de ces dernières années en précisant la place de la recherche française, sans oublier les points faibles à renforcer.

I. Mécanique des solides

On entend ici par « mécanique des solides » le socle disciplinaire sur lequel s’appuient toutes les recherches en Mécanique des Matériaux, Mécanique des Structures, Acoustique ou Biomécanique dans les laboratoires de la section 09. Il y sera donc discuté des aspects fondamentaux de la discipline (qu’ils soient théoriques, numériques ou expérimentaux) en présentant les forces et les faiblesses actuelles, les verrous scientifiques qui l’attendent et en suggérant quelques actions qu’il serait bon de mener à l’échelle du CNRS pour maintenir et renforcer ce cœur de la section.

A. Les apports passés d’une recherche fondamentale en Mécanique des Solides

Si l’on regarde en arrière, on voit que les travaux à caractère fondamental ont joué durant les cinquante dernières années, i.e. depuis le début des années 70, un rôle majeur dans la structuration et le développement de la discipline. De plus l’École Française a joué un grand rôle dans l’émergence et le développement des outils fondamentaux de modélisation. On peut en particulier dégager :

1. La rationalisation des principaux concepts de la mécanique des milieux continus. Tout étudiant en Mécanique et tout ingénieur-chercheur traitant des questions relatives à la Mécanique reçoit ou a reçu au cours de sa formation un enseignement des principaux concepts de la Mécanique des Milieux Continus sur lesquels il pourra s’appuyer durant toute sa carrière. Cette présentation unifiée qui a conduit à un socle commun de connaissances a été rendue possible grâce à une réflexion approfondie de quelques-uns et à la rédaction d’ouvrages de référence largement diffusés.

2. La formulation des lois de comportement des matériaux dans un cadre conceptuel robuste. L’Analyse Convexe et son utilisation dans le formalisme des Matériaux Standards Généralisés sont des créations françaises qui ont fourni un cadre et une méthode systématique pour construire des lois de comportement de plus en plus sophistiquées à une période où on ne pouvait plus se contenter d’utiliser les modèles rhéologiques de base.

3. Le développement des méthodes variationnelles. Alors qu’apparaissaient les premiers gros calculateurs qui allaient permettre de traiter numériquement des problèmes à grand nombre de degrés de liberté, les ingénieurs ont pu baser leurs codes de calcul par éléments finis sur les méthodes variationnelles développées et mises au point par les mécaniciens théoriciens et les analystes numériciens.

4. La création d’une théorie de l’homogénéisation des milieux hétérogènes. La théorie de l’homogénéisation périodique est une production française, résultat d’une collaboration entre mécaniciens et mathématiciens. Élargie aux milieux aléatoires, elle est aujourd’hui l’outil de base des mécaniciens des matériaux qui veulent relier les propriétés macroscopiques à la microstructure.

5. Le développement des méthodes asymptotiques. Les théories de poutres, de plaques et de coques et de façon générale tous les problèmes de réduction de dimension ont pu s’appuyer sur les méthodes asymptotiques qui ont fourni un cadre général pour construire de façon rigoureuse et systématique des modèles simplifiés dont les ingénieurs sont friands. Là encore, les mécaniciens français avec l’appui de leurs collègues mathématiciens ont joué un rôle majeur.

B. La nécessité de maintenir une réflexion amont

L’erreur à ne pas commettre est de croire que le cadre conceptuel de la discipline est figé, qu’il suffit de s’appuyer sur les travaux de nos glorieux aînés et qu’il ne reste plus qu’à développer de nouvelles applications. La Mécanique des Solides est une discipline vivante en constante évolution qui va devoir renouveler son cadre conceptuel en l’élargissant si elle veut relever les défis qui lui sont posés par les applications de plus en plus nombreuses et variées. Les autres sections de ce rapport font aussi ressortir ces besoins dont on peut en particulier dégager les suivants :

1. Les exigences de plus en plus fortes en matière de durabilité/fiabilité des matériaux et des structures nécessitent d’explorer de plus en plus finement le domaine du comportement non-linéaire avec des modèles capables de rendre compte des phénomènes de localisation de la déformation, de fissuration ou de micro-structuration. Ni le cadre conceptuel ni les outils expérimentaux et numériques existants ne suffiront. Il faut imager de nouvelles expériences fondamentales, inventer de nouvelles lois et mettre au point de nouvelles méthodes numériques adaptées.

2. L’exploration du comportement des matériaux aux échelles les plus fines va demander de revisiter la Mécanique des Milieux Continus en introduisant des longueurs caractéristiques et des grandeurs non locales, en couplant effets de surface et de volume et en affinant les liens discret- continu pour pouvoir rendre compte en particulier des effets d’échelle. En conséquence, les techniques d’homogénéisation et plus généralement les méthodes de changement d’échelle vont devoir être revues pour s’adapter à ce nouveau cadre.

3. Les applications poussent à explorer les couplages entre les phénomènes mécaniques et d’autres phénomènes physiques (acoustiques, thermiques, électriques, magnétiques, biologiques…). Alors que la modélisation de ces couplages est maintenant largement comprise, il en va tout autrement dès que l’on s’intéresse aux phénomènes non linéaires. Ici encore un gros travail fondamental reste à faire pour poser ces approches sur des bases solides.

Tous ces besoins conduisent au même constat : il s’agit de construire, en s’appuyant sur des expériences faisant émerger de nouvelles lois fondamentales, un nouveau corps de doctrine qui serait la Mécanique des Milieux Continus Étendus. Il est essentiel que tous les développements trouvent leur place dans un cadre commun si l’on veut que le dialogue entre les différentes branches puisse toujours avoir lieu, que cette discipline garde son unité et qu’elle ne devienne pas une mosaïque de branches appliquées développant chacune son propre dialecte. Le maintien d’un langage commun devrait aussi permettre d’éviter les doublons.

Force est de constater que la tendance actuelle est plutôt d’aller à l’opposé : la discipline tend à s’émietter, le temps consacré à la recherche fondamentale à diminuer et le socle de connaissances de base à diminuer. Le nombre de chercheurs actifs dans ce domaine va en décroissant, ce qui induit une perte de savoir et de compétence. Ceci risque même de s’accélérer pour des raisons démographiques. Il nous paraît urgent d’inverser cette tendance si l’on ne veut pas que la discipline devienne exsangue à moyen terme.

C. La stratégie à suivre et les actions à mener

Pour que cette Mécanique des Milieux Continus Étendus voit le jour et vive, il faut évidemment que des chercheurs puissent y consacrer une partie importante de leur activité sur une période assez longue, mais aussi que leurs travaux diffusent dans le reste de la communauté qui en retour pourra faire émerger de nouvelles idées ou de nouveaux besoins. Autrement dit, la recherche fondamentale en Mécanique ne doit pas être réservée à une petite minorité déconnectée du reste de la communauté qui ne servirait que de vitrine de luxe, mais doit infuser partout dans celle-ci. Voici quelques suggestions pour arriver à la fois à la maintenir en vie et à en faire bénéficier l’ensemble de la recherche en Mécanique :

1. Maintenir un socle solide de connaissances fondamentales et théoriques dans les formations en mécanique. La formation constitue un des enjeux fondamentaux auquel doit faire face l’État et la communauté des mécaniciens. Il est capital que les ingénieurs, les enseignants et les chercheurs disposent d’une formation solide sur les outils, les méthodes mais également sur les principes.

2. Recruter régulièrement des chercheurs et enseignants-chercheurs consacrant leur activité d’enseignement et de recherche à une réflexion amont. De façon plus générale, contribuer au développement d’une recherche fondamentale de haut niveau, en la soutenant par des financements récurrents.

3. Promouvoir la tenue en France de congrès internationaux dédiés aux travaux fondamentaux et soutenir l’organisation d’écoles d’été de mécanique théorique.

De façon générale, il s’agit de structurer de façon pérenne et systématique notre discipline pour en faire, à l’instar des mathématiques par exemple, un corpus à la fois solide et vivant dont les connaissances s’accumulent régulièrement en contenu et en performance et s’organisent (se réorganisent) continuellement en vue d’une meilleure compréhension globale.

II. Ingénierie des matériaux et structures, géomécanique

A. Une forte demande sociétale

Les travaux réalisés dans les laboratoires de la section 09 trouvent leur origine dans des problématiques d’ingénierie au sens large, relatives à des secteurs industriels majeurs tels que l’énergie, le transport, l’environnement, la santé ou le génie civil. Ils sont donc fortement corrélés avec les attentes de notre société. Les exigences s’orientent aujourd’hui vers la conception et l’analyse de matériaux ou multi-matériaux de structures et/ou multifonctionnels permettant d’assurer la durabilité et la fiabilité, de trouver des solutions innovantes à de nouvelles exigences technologiques et économiques, tout en assurant une « conception verte » intégrant l’ensemble du cycle de vie des matériaux. Si les activités de la section possèdent un fort ancrage industriel, on observe actuellement un affaiblissement des grands projets nationaux qui avaient permis, dans les années 50 à 80, des progrès significatifs dans les domaines de l’aéronautique, du ferroviaire et du nucléaire. Cette inflexion tranche avec le dynamisme de la communauté française de la mécanique des matériaux qui occupe aujourd’hui une des toutes premières places au niveau international.

B. Matériaux et structures dans une approche unifiée

Il se crée de plus en plus un continuum entre l’Ingénierie des matériaux, des structures et la mécanique des solides : les problématiques de la conception de formes, de l’élaboration des matériaux, de choix des procédés de fabrication/mise en forme et de la caractérisation sont de plus en plus intégrés. Cette tendance se nourrit des avancées de l’expérimentation (sollicitations in-situ, mesures de champs, etc.), de la modélisation (plasticité, comportements non-linéaires, homogénéisation, surfaces, stabilité, etc.) et de la simulation (calcul haute performance). L’aspect aléatoire de la réponse d’un matériau ou d’une structure, inhérent aux hétérogénéités de micro-structure, est pris en compte au travers d’analyses statistiques (auto-organisation, criticalité). Il est désormais courant, par exemple, d’envisager l’exploitation d’un essai en ayant recours à la simulation numérique, via des dispositifs de pilotage en « temps réel » sur des structures complexes. Une structure mécanique étant perçue comme multi-échelle, sa résistance est intimement liée, non seulement à un bon dimensionnement, mais aussi au choix du matériau et à son assemblage dans un système global. Un défi important consiste à maîtriser l’hétérogénéité de la micro-structure, et celle des champs mécaniques associés. La tendance actuelle est à la conception directe de micro- ou méso-structures : composites, mousses, matériaux architecturés, etc.

C. Des matériaux aux propriétés multiples

La réalisation, la compréhension, et l’optimisation de la micro-structure de matériaux de propriétés multiples est un enjeu actuel. Les couplages multiphysiques pris en compte peuvent être extrêmement nombreux (thermo-, hydro-, chimio-mécanique, piézo-électrique, magnéto-élastique, etc.), et ils touchent toute la gamme des matériaux et leurs applications, notamment dans le secteur de la biomécanique, mais également celui du bâtiment (ex. bâtiments à énergie positive), de l’électronique (souple) ou de l’énergie (ex. stockage). Se rajoute éventuellement la volonté de créer des propriétés de surface différentes du cœur. La difficulté consiste à imaginer la structure du matériau, à la réaliser, à l’optimiser du point de vue de critères souvent contradictoires.

La prise en compte des couplages avec les transferts fluides dans des milieux saturés ou non, avec la température, la chimie, la biologie, ou la physique, a fortement progressé. Elle incite nos laboratoires à concevoir des montages ou essais de plus en plus complexes pour se rapprocher des conditions d’usage des matériaux avec une métrologie de plus en plus élaborée, ce qui demande budget et support technique importants. Les progrès attendus dans ces domaines proviennent aussi de la pluridisciplinarité inhérente à cette thématique.

D. Exigence de maîtrise de la durabilité et des environnements complexes

Les sollicitations du matériau sont variées et toujours plus complexes. Elles se produisent sur des échelles de temps et d’espace très étendues, allant des temps extrêmement courts (impacts) aux temps géologiques (stockage, structure des planètes), passant de l’échelle locale (défauts cristallins) à celle du massif montagneux. De plus en plus, le choix d’un matériau est aussi dicté par sa résistance à l’environnement (oxydation, corrosion, irradiation, etc.), au vieillissement et à l’altération. Ceci est vrai dans l’usage extrême des matériaux mais aussi pour la durabilité à très long terme. Il en ressort une nouvelle problématique, celle des « essais accélérés » représentatifs (ex. fatigue gigacyclique, stockage des déchets nucléaires) avec un contenu pluridisciplinaire. En effet, le dialogue entre échelles spatiales, temporelles, ou encore utilisant les équivalences temps-température, nécessaires à l’extrapolation d’une tendance sur parfois plusieurs ordres de grandeur, sont mal maîtrisés dès lors que les données expérimentales sont quasi-absentes en condition de fonctionnement.

E. Le développement extraordinaire des moyens de caractérisation et d’observation

L’ingénierie des matériaux bénéficie d’une explosion de la capacité des moyens expérimentaux, en phase avec les développements technologiques et les capacités de pilotage et calculs associés. Ces développements ont un impact fort sur notre capacité à observer la microstructure des matériaux, à différentes échelles, mais également sous chargement complexe. Une voie de développement actuelle consiste à piloter les sollicitations appliquées à une micro-structure de façon à guider l’évolution d’un paramètre local (par exemple pour suivre l’intensité des contraintes en pointe de fissure).

Les mesures de champs connaissent toujours un essor important dans nos laboratoires, maintenant ainsi l’excellente visibilité internationale de la communauté française. Les mesures de grandeurs statiques (contraintes) viennent désormais compléter les mesures de champs cinématiques (déplacements, déformations), thermiques et calorimétriques, largement utilisées depuis quelques années. Les développements actuels portent sur le couplage de mesures de champs pour accéder à des grandeurs complémentaires et sur la mise en relation avec la microstructure sous-jacente. L’injection d’informations a priori dans l’exploitation des mesures (par exemple une condition de surface libre bien établie), mais aussi l’exploitation du « bruit » de mesure, devraient permettre d’atteindre à court terme des résultats expérimentaux encore plus robustes. Sur ces aspects, les chercheurs se positionnent très bien. Il s’agit une fois de plus d’un domaine pluridisciplinaire, qui associe les progrès technologiques, la mécanique des matériaux, avec des disciplines telles que le traitement du signal l’image, la physique (ex. l’optique), etc. L’utilisation et le développement d’outils numériques (ex. calculs par éléments finis) deviennent indispensables pour l’exploitation approfondie de ces mesures.

Les tendances qui se dessinent s’orientent vers l’imagerie 3D, grâce à des moyens d’observation variés (microscopie confocale, IRM, micro-tomographie optique cohérente ou à rayons X, émission acoustique, propagation d’ondes, etc.), vers des échelles d’observation de plus en plus fines, non seulement spatiales (nano-tomographie X, sonde atomique 3D, MEB-FIB, MET-HR, AFM, microdiffraction Laue et EBSD haute résolution, etc.), mais aussi temporelles. On notera également le fort développement d’observations in situ ou sous conditions sévères. L’ensemble de ces outils procure une masse d’information très conséquente permettant de faire progresser la modélisation à différentes échelles, dans le but d’optimiser un matériau. Cette richesse d’information nécessite la mise en place d’outils de traitement performants.

Paradoxalement, nos laboratoires sont peu présents sur les grands instruments européens en construction (source européenne à spallation de Lund – Norvège, laser à électron libre XFEL à Hambourg – Allemagne).

F. Les approches multi-échelles deviennent incontournables

Le développement d’approches théoriques originales, et les progrès constants des méthodes et moyens numériques (Éléments Finis, Transformée de Fourier Rapide, Réduction de modèles…), permettent d’envisager des approches intégrant simultanément plusieurs échelles d’analyse. L’objectif est de comprendre et de rendre compte d’un phénomène décrit à une échelle donnée en se nourrissant des processus élémentaires identifiés généralement à l’échelle inférieure et de leurs effets collectifs aux échelles supérieures. Un exemple concret est la localisation de la déformation plastique (bandes de glissement) à l’échelle d’un grain en lien avec les structures de dislocations qui se développent à l’échelle micro-nanoscopique, et la complexité des états mécaniques locaux à l’échelle de l’agrégat polycristallin. Différentes équipes sont à la pointe dans ces domaines pour toutes les classes de matériaux et structures (métalliques, composites, polymères, géomatériaux…). Les enjeux scientifiques et industriels recouvrent la durabilité des matériaux pour un dimensionnement mécanique plus sûr et leur optimisation. Ces travaux ont favorisé une très forte synergie avec la physique. Le couplage et l’adaptation d’outils complémentaires tant sur les plans théorique et numérique (champs de phases, dynamique des dislocations, plasticité cristalline, reconstruction et calcul d’agrégats, textures, lois de comportement physiquement motivées, éléments finis, etc.) qu’expérimental est une des étapes importantes de ces dernières années. De nouvelles perspectives s’ouvrent pour la compréhension/intégration de la localisation, des gradients/hétérogénéités de champs mécaniques ou encore de la transition plasticité/endommagement. Les questions fondamentales du passage discret/continu (échelles de l’Angström pour les atomes, mm pour les milieux granulaires), puis de la transition continu/discontinu au voisinage de la rupture, restent une difficulté qui nécessite la mise en place de nouvelles approches. Un des enjeux des prochaines années sera d’associer l’ensemble des outils pour appréhender des sollicitations mécaniques de plus en plus représentatives des conditions d’usage, mettant en jeu des aspects multi-échelles marqués et des couplages multi-physiques non-linéaires en temps et en espace.

G. L’échelle nanométrique

Au-delà des aspects multi-échelles évoqués ci-dessus, l’échelle nanométrique est de plus en plus au cœur des thématiques en section 09. Grâce à des moyens d’analyse performants, l’intégration d’informations à cette échelle est de plus en plus complète ce qui permet de comprendre l’effet de processus élémentaires : précipitations très fines, structures fines des dislocations, nature des interfaces. Une fois de plus l’avènement de techniques expérimentales fiables à cette échelle (voir §E) ou numériques (DDD, dynamique moléculaire, calculs ab initio…) permet des caractérisations mécaniques élémentaires donnant accès à des grandeurs essentielles pour l’identification de lois de comportement. Ces travaux laissent entrevoir des problématiques encore largement ouvertes, notamment en ce qui concerne la phénoménologie à adopter aux échelles fines, ainsi que le nécessaire dialogue entre les échelles de temps et d’espace. Par ailleurs l’échelle nanométrique apparaît essentielle pour traiter certains problèmes spécifiques aux surfaces : capillarité, oxydation, corrosion, émergence de dislocations, amorçage de fissures, usure/frottement, nano-structuration des surfaces. Sur le plan fondamental, il convient de mieux définir les spécificités relatives à « la mécanique des surfaces ». Ces activités transdisciplinaires entre mécaniciens, chimistes et physiciens, seront abordées au § III.

H. L’architecturation pour l’optimisation de la structure

Les matériaux architecturés constituent une famille relativement récente qui émerge à la fois d’un besoin croissant de multifonctionnalité, difficile à satisfaire avec des matériaux traditionnels, et de l’émergence de nouvelles méthodes de fabrication en 3D (fabrication additive ou ALM, Robocasting, Ice-templating, Electron Beam Melting). Les échelles caractéristiques des microstructures pouvant varier de quelques dizaines de nanomètres à plusieurs mètres, ce domaine se nourrit de l’essor des outils de caractérisation multiéchelles 2D-3D permettant de contrôler au mieux les microstructures, leur propriétés et leurs évolutions.

Les applications sont multiples (énergie, santé, micro et nanotechnologies, transport, bâtiment), et impliquent des matériaux variés (métaux, céramiques, polymères, bio-matériaux). Des exemples de réalisations sont les matériaux alvéolaires, autobloquants, les tissus ou milieux enchevêtrés, ou encore les squelettes céramiques pour substituts osseux.

Ce domaine est donc fortement interdisciplinaire de par les défis scientifiques qu’il aborde (procédés d’élaboration et de mise en forme, physico-chimie et mécanique des interfaces, durabilité, techniques de caractérisation, modélisation du comportement, optimisation, bio-inspiration) dont beaucoup sont au cœur de la section 09. Les chercheurs impliqués en France sont en pointe et l’excellence de ce domaine réside dans le maintien de collaborations fortes entre les sciences des matériaux, la mécanique, l’optimisation et le design. Des verrous technologiques restent encore à lever, en particulier ceux liés à la maîtrise des lois d’échelle, au suivi des propriétés en cours d’usage, jusqu’au développement de moyens de pilotage et diagnostic du procédé.

I. Des matériaux respectueux de l’environnement

La crise de l’énergie qui se profile pour les prochaines décennies, associée à la nécessité de limiter l’impact humain sur l’environnement, a des répercussions fortes dans le domaine de l’ingénierie des matériaux. Dans les transports par exemple, l’effort porte sur la recherche de matériaux de structure à la fois ductiles, légers, et rigides, permettant de limiter les dépenses d’énergie. On peut également mentionner la nécessité d’élaborer des matériaux avec des propriétés compatibles avec un environnement sévère, comme les hautes températures (ex. turbomachines en aéronautique).

Mais les directions de recherche actuelles doivent tenir compte du cycle de vie du matériau, depuis la matière première, l’élaboration, l’utilisation, et le recyclage. C’est par exemple le cas des polymères biosourcés, ou des composites à fibres végétales. Les laboratoires de la section 09 n’interviennent que sur une partie de cette thématique complexe, qui nécessite de fait de fortes interactions avec les autres disciplines.

III. Surfaces et interfaces

Pour le bon fonctionnement des systèmes mécaniques, les propriétés et le comportement de la surface des composants sont essentiels. Si leurs propriétés en volume sont primordiales, très souvent les dysfonctionnements sont liés à des défaillances associées à la réponse et aux performances des surfaces et des interfaces. Les approches numériques, qui aident à prédire le comportement des systèmes mécaniques, décrivent bien les comportements en volume. En revanche, elles ne sont plus pertinentes lorsqu’appliquées aux surfaces. En effet, surfaces et interfaces possèdent des propriétés spécifiques, et doivent être abordées à travers différentes disciplines scientifiques telles que la mécanique, la physique, la chimie et la science des matériaux. Cette interdisciplinarité se traduit par de nombreuses interactions avec d’autres sections du Comité National, comme les sections 5, 10, 11 et 28. À ce jour, nous pouvons évaluer la proportion de chercheurs en mécanique des solides, dont le centre d’intérêt est lié aux surfaces et aux interfaces, à 15-20 % environ. Ceux-ci évoluent au sein d’équipes de recherche identifiées dans une trentaine de laboratoires publics et une vingtaine de centres de recherche industriels, ce qui est très significatif et représentatif de l’importance de ce secteur.

L’étude des surfaces et interfaces concerne tous les phénomènes spécifiques qui apparaissent lorsqu’un solide est en interaction avec son environnement, qu’il soit gazeux, liquide ou solide. Les questions scientifiques qui se posent sont multiples et concernent entre autres les phénomènes d’adsorption, d’adhérence et d’adhésion, de frottement, les interactions fluides/structures, ainsi que l’étude des propriétés spécifiques des surfaces et matériaux interfaciaux (lubrifiants). Les échelles mises en jeu couvrent plusieurs ordres de grandeurs, allant de la tectonique des plaques au film triboformé d’épaisseur nanométrique (il a été démontré qu’un nanomètre de matière dans un contact glissant pouvait diviser par 10 la valeur du coefficient de frottement). La compréhension de ces phénomènes est rendue particulièrement difficile lorsqu’ils se situent au sein d’un contact ne permettant pas une observation directe, cette difficulté se trouvant exacerbée lorsque les surfaces mécaniques doivent accommoder des déplacements relatifs et transmettre des efforts.

C’est le cas de la tribologie, science du frottement, de l’usure et de la lubrification, qui concentre toutes ces difficultés. Il est à ce jour encore très difficile de prédire le comportement d’une interface en glissement et en particulier entre deux solides. En effet, les phénomènes se situent souvent dans des interfaces confinées et soumises à des conditions extrêmes de pression et de cisaillement. Dans ces conditions, les limites d’utilisation des matériaux sont proches et les efforts qu’ils subissent sont localisés dans des volumes très petits. La connaissance des propriétés mécaniques des interfaces en conditions extrêmes reste encore un défi, même si des progrès considérables ont été réalisés ces dernières années. Il est maintenant bien établi, qu’en situation de glissement, les matériaux aux interfaces peuvent être modifiés de différents points de vue (métallurgique, structural ou chimique). Ces modifications de la nature du contact sous sollicitation constituent ainsi une difficulté supplémentaire. Il faut comprendre pour prédire ces évolutions et en déduire de nouvelles propriétés induites. Les phénomènes ne dépendent pas uniquement des efforts en présence, mais également des cinématiques, de la température ou de l’environnement. L’ensemble de la communauté des mécaniciens a su saisir toute cette complexité afin d’optimiser les comportements en frottement/usure des surfaces et interfaces dans les systèmes mécaniques. Des efforts importants ont notamment été accomplis ces dernières années, en s’appuyant sur les outils de caractérisation et d’observation.

Les techniques de caractérisation qu’il convient de développer font appel à des connaissances dans des domaines très variés et sont souvent d’une mise en œuvre délicate quand il s’agit de mesurer les interactions physiques (électriques, acoustiques..) ou chimiques qui agissent au sein des contacts. Les techniques de caractérisation développées ces dernières années (XPS, SIMS, AFM, MET-HR, nano-indenteurs, FIB…) donnent l’opportunité de conduire les investigations à des échelles très petites, qui peuvent atteindre le niveau atomique pour certaines, et ont permis des avancées très significatives. La communauté a su prendre conscience de l’apport de ces techniques de caractérisation et a développé de nombreux outils spécifiques alliant in situ la caractérisation/observation de surfaces à un essai mécanique. Ainsi, ces dernières années ont vu l’intensification des méthodes de champs, rapidement intégrées, en particulier en nanotribologie.

La culture de la communauté reste très fortement expérimentale, mais l’approche numérique de ces problématiques s’est nettement développée. Plusieurs équipes se sont structurées pour développer cette démarche, et dans la plupart des cas, en gardant un lien fort avec l’approche expérimentale. Ce nouveau domaine d’application de la simulation numérique couvre une large gamme allant des techniques statistiques, par éléments finis, dynamique moléculaire jusqu’à la chimie quantique. Il est prévisible que dans les prochaines années les besoins en moyens de calculs seront plus importants. On peut constater néanmoins que l’approche théorique est relativement peu développée et pourrait être amplifiée. Ceci ne serait que profitable au développement des outils numériques et à la qualité des résultats qu’ils produisent.

Les domaines d’applications de ces recherches sont nombreux. Ils concernent entre autres les matériaux, qu’ils soient métalliques, polymères ou céramiques, ainsi que les biomatériaux (joints de grains, fibres/matrices), et les situations dans lesquelles les interfaces ont un effet prépondérant sur le comportement d’un système (fixes comme pour les assemblages par soudage, ou mobiles). On retrouve entre autres les domaines particuliers de l’usinage, de la mise en forme, du freinage etc. Les enjeux sociétaux concernent principalement l’énergie vue sous l’angle des pertes par frottement, la fiabilité des systèmes liés aux problèmes d’endommagement, mais également la santé (ex. les prothèses ou l’adhésion tissulaire). Les partenaires industriels nationaux et internationaux l’ont bien mesuré, ce qui se traduit par l’existence de nombreux centres de recherche industriels et de multiples collaborations avec les laboratoires publics. Ces recherches sont indispensables pour la prévision de la réponse et la durée de vie des systèmes mécaniques, dans les situations où ils sont utilisés dans des environnements peu accessibles comme dans les milieux vivants ou dans l’espace.

Face à ces enjeux, il est donc indispensable de poursuivre nos efforts pour comprendre ces phénomènes, que ce soit sur des aspects thermiques, de transformation des matériaux, d’évolution des propriétés mécaniques ou des états chimiques qui peuvent exister au sein d’un contact. La communauté Française qui aborde ces thématiques est importante, avec un affichage dominant en tribologie. Cette communauté est dynamique et a su s’organiser pour créer des structures qui favorisent les interactions comme le Labex Manutech-Sise et Interactifs, l’Equipex Manutech-USD, l’institut Carnot Ingénierie à Lyon (I@L), le Laboratoire International Associé ElyTLab, plusieurs fédérations (CIMReV, C2I@L). Elle participe à plusieurs Groupements de Recherche dont le GDR « Mécanique Multi-échelle des Milieux Fibreux » et le GDR international « Mecano ». Son rayonnement international est notable et se concrétise par un très bon niveau de publications et de citations ainsi qu’une participation active dans l’organisation de nombreux congrès internationaux et au niveau des comités éditoriaux des principales revues internationales du domaine.

IV. Mécanique pour le vivant

La section est partie prenante sur cette thématique depuis assez longtemps, mais plus récemment au début des années 2000 lorsque l’INSIS a affiché des postes CR sur le thème « biomécanique ». Il peut donc être opportun de faire un bilan de cet apport. Notons tout d’abord que ce thème est aux frontières avec d’autres disciplines, en particulier avec la section 28 (INSIS et INSB), la section 10 (pour les aspects « biofluides »), mais aussi avec les sections de biologie (20 à 26 du CNRS, INSB) ou encore la physique (sections 5 et 11 de l’INP), et deux commissions interdisciplinaires (CID 51 « Modélisation, et analyse des données et des systèmes biologiques : approches informatiques, mathématiques et physiques » et CID54 sur les « méthodes expérimentales, concepts et instrumentation en sciences de la matière et en ingénierie pour le vivant »). Les autres partenaires sont surtout l’INSERM, les centres hospitaliers et le CEA.

Une culture pluridisciplinaire est nécessaire pour aborder la mécanique pour le vivant. Les chercheurs ont parfois du mal à utiliser une telle démarche, indispensable pour mieux interagir avec les autres acteurs. Trouver un langage commun tout en restant ancré dans sa propre communauté est difficile et peut prendre des années. Néanmoins, cette discipline connaît un réel engouement chez les jeunes comme le montre le nombre de candidatures aux concours en particulier dans les commissions interdisciplinaires.

Au niveau de la structuration actuelle, des efforts restent à faire vue la dispersion des forces. On distingue en effet certains laboratoires qui ont une bonne visibilité car ils ont su développer depuis longtemps cette culture au contact de partenaires dans leur voisinage immédiat. Mais de nombreuses équipes (de taille souvent réduite) sont apparues depuis une dizaine d’années. En section 09 au CNRS, on trouve environ une trentaine de chercheurs impliqués et une soixantaine d’enseignants-chercheurs. Deux GDRs se sont créés dans le but de mieux structurer la communauté, le GDR « Mécanotransduction » et le GDR « Mécanique des matériaux et fluides biologiques ». On note aussi l’existence d’un GDR relevant de l’INP (GDR « CellTiss ») et un EquipeX lyonnais (IVTV). La société de Biomécanique (SB) joue aussi un rôle dans l’organisation et notons enfin que l’alliance AVIESAN assure un rôle de structuration national.

Au niveau des recherches développées, on constate que certaines équipes ont acquis une renommée internationale, et les aspects les plus étudiés/aboutis concernent :

– la biomécanique musculo-squelettique : système ostéo-articulaire sain, lésé ou réparé, tissu osseux (os cortical et trabéculaire), tissus mous (disque inter-vertébral, ligaments, muscles) avec des applications en orthopédie, suivi clinique pré- et post-traitement, réadaptation, sports, robotique, sécurité et confort des transports, ergonomie ;

– la bioingénierie tissulaire, en particulier l’os, les ligaments, le cartilage, la peau et plus généralement les tissus mous (réparation tissulaire, remodelage, morphogenèse) ;

– l’imagerie biomédicale : élastographie, ultrasons (se référer en particulier aux « ultrasons médicaux » détaillés en partie V) ;

– les lois de comportement (hyper-élasticité, visco-élasticité, homogénéisation) ;

– les écoulements (échelles cellulaire et du biofluide) avec interactions fluide-structure (paroi vasculaire, bioréacteurs) en géométrie complexe 3D, la bio-tribologie, la micro-circulation (thème aussi présent en section 10) ;

– la biomimétique et la mécanique des plantes ;

– le développement de biomatériaux et prothèses (implants, biocéramiques, etc.) ;

– la mécanique cellulaire et mécanotransduction associée ;

– les nouvelles méthodes d’investigation : méthodes de champ, AFM, IRM, génération de 2e (SHG) et 3e harmonique (THG), acoustique picoseconde, microscopie confocale, tomographie, etc.

Le morcellement des thématiques et des acteurs reste certain, il faudra que le CNRS continue ce travail de structuration. Le développement de recherches fondamentales doit être toujours omniprésent ; il conduira à des connaissances amont sur le comportement des milieux du vivant, en vue notamment de la maîtrise de l’ingénierie cellulaire, tissulaire et osseuse. Les avancées en ingénierie doivent, par ailleurs, permettre de développer des outils conduisant à des avancées des techniques médicales et de la pratique médicale au quotidien. Il s’agit donc de sensibiliser les praticiens du monde hospitalier (dont la pratique est encore empirique) à l’intérêt d’une approche plus scientifique dans laquelle la mécanique a un rôle important à jouer.

La prise en compte des différentes échelles reste fondamentale, comme précédemment illustrée au § II.F. L’échelle cellulaire est nécessaire car la cellule possède une mécanique complexe en lien étroit avec son environnement mécano-biologique. Grâce aux méthodes de micro-fabrication, il est maintenant possible de contrôler certains aspects de l’environnement (rigidité, géométrie, nature du support, biochimie, écoulement) afin d’aller vers une meilleure compréhension des mécanismes cellulaires. Ceux-ci devront ensuite être intégrés à l’échelle supérieure. En particulier, la reconstruction de tissus lésés ou la conception d’organes artificiels (foie, muscles, tendons, peau) comporte de multiples facettes et les bioréacteurs devront être capables de contrôler l’état mécanique de contrainte et déformation ou croissance des cultures. Ainsi il faudra combiner toutes les compétences du génie des procédés, de la biologie, de la mécanique des fluides et des transferts dans une approche multiphysique.

Les approches les plus prometteuses seront celles qui viseront à coupler approches mécaniques expérimentales, imagerie et modèles. Il y a en effet un besoin important d’apporter une justification expérimentale aux modèles développés actuellement, tout en ayant accès aux informations structurales (i.e. architecture 3D d’un tissu), et inversement de nombreuses techniques d’imagerie souffrent encore d’un manque en modélisation. À ce titre, il est essentiel de continuer à inventer (ou améliorer) des nouvelles méthodes d’imagerie pour l’exploration des tissus in vivo, et dans le même registre, accompagner les industriels dans le développement d’innovations diagnostiques. Un autre aspect à renforcer est le développement de bases de données aussi larges que possible intégrant des paramètres multiphysiques en vue de réaliser des simulations numériques du comportement fonctionnel d’entités anatomiques prenant en compte la cinématique, les interactions des organes avec leur environnement et les modèles rhéologiques complexes.

Il faut enfin encourager la formation à et par la recherche de jeunes scientifiques aux disciplines concernées, et mettre en place des cursus spécialisés en Biomécanique et Bioingénierie au sein des écoles d’Ingénieur et/ou au niveau master, faisant appel à des intervenants de multiples horizons (praticiens hospitaliers, radiophysiciens, mécaniciens, spécialistes des techniques d’imagerie), en veillant à conserver un niveau d’excellence dans les disciplines de base sur lesquelles s’appuie la mécanique du vivant. Les enjeux sont bien sûr sociétaux et visent la compréhension mais aussi le traitement des pathologies, ainsi que la conception de matériaux biocompatibles et de tissus artificiels, à une ère où il faudra à long terme remédier au vieillissement.

V. Acoustique

L’acoustique est la science de la vibration de la matière et de la propagation de cette vibration sous forme d’ondes. Elle s’intéresse aussi bien aux mécanismes de production et d’émission des ondes, à leur propagation, à leur contrôle, à leur réception et à leurs effets. Les applications de l’acoustique touchent de nombreux secteurs d’activité économique, sociale, culturelle ou environnementale.

La communauté d’acoustique en France compte autour de 1 000 membres (effectifs de la Société Française d’Acoustique). On recense environ 70 chercheurs CNRS, et environ 270 enseignants-chercheurs(1).

Les activités de recherche en acoustique sont principalement rattachées à l’INSIS mais l’acoustique est de plus en plus transversale, en interaction forte avec de nombreuses disciplines telles que les autres branches de la mécanique (structures, matériaux), les mathématiques (modélisation et simulation numérique, traitement du signal), la physique (lasers, métamatériaux), les sciences de l’univers (océan, atmosphère, terre), les sciences du vivant (imagerie et thérapie, sciences cognitives), la chimie (nanoparticules), et les sciences humaines (perception sonore, acoustique de la voix et de la parole). Cette pluridisciplinarité implique des interactions entre instituts du CNRS (INSIS, INSB, INSU, INP, INSHS…). De plus, au-delà du CNRS, plusieurs EPST ou EPIC contribuent également aux avancées scientifiques. La Société Française d’Acoustique (SFA) joue un rôle central, aussi bien thématiquement, par l’intermédiaire de groupes spécialisés, que géographiquement par le biais de sections régionales.

La création de Groupements de Recherche du CNRS a permis à plusieurs communautés acoustiques de se structurer. C’est le cas par exemple des GDR « Ondes », « Ultrasons » (GDRE), « Thermoacoustique », « Dynolin », et des anciens GDR « Visible » (Ville silencieuse durable) et « Bruit des Transports ».

L’acoustique couvre un large spectre scientifique aussi serait-il illusoire dans le cadre de ce rapport d’être exhaustif quant aux différentes disciplines couvertes(2). Aussi notre contribution à ce rapport de conjoncture vise plutôt à mettre l’accent sur un certain nombre de points qui n’ont pas été abordés auparavant, ou qui méritent d’être mis en lumière.

La recherche française en acoustique est reconnue au niveau international pour ses contributions dans de nombreux domaines. De façon non exhaustive, citons par exemple : les activités de recherche sur les mécanismes de propagation d’ondes en milieux complexes, sur la conception d’instruments originaux pour la manipulation de ces ondes et l’imagerie de ces milieux et en lien avec les sciences du vivant, sur la caractérisation de tissus humains et de l’os. Sur certaines thématiques, telle que la physique des instruments de musique et de la voix chantée, la France occupe une place importante dans la communauté mondiale et joue un rôle majeur. L’attractivité de cette thématique auprès des étudiants en fait une activité phare. Dans le domaine de l’acoustique picoseconde, plusieurs chercheurs ont été recrutés ces dernières années. L’activité sur ce sujet est dynamique, comme en témoignent plusieurs médailles de bronze du CNRS attribuées récemment. Enfin, en lien avec une forte demande industrielle émanant de l’aéronautique et de l’automobile, des avancées spectaculaires ont été réalisées dans le domaine de la simulation numérique, grâce au développement de méthodes numériques appropriées et à l’utilisation de machines toujours plus puissantes.

Depuis quelques années, on assiste à l’émergence de sujets nouveaux ou innovants, voire à des sujets en évolution majeure, pour lesquels de véritables enjeux sont posés :

– Dans le domaine des matériaux absorbants, même si de réelles avancées ont été conduites sur divers matériaux, poreux, composites ou actifs, leur application pour réduire les nuisances sonores sur de très larges bandes de fréquences reste un enjeu sociétal.

– La bioacoustique, qui étudie la production et la réception des signaux acoustiques chez les animaux, est un domaine dans lequel on note un intérêt grandissant. Nécessitant une approche interdisciplinaire, les activités en bioacoustique souffrent d’une part d’une grande diversité de formations de ses chercheurs (biologie, physique, informatique) mais aussi de la grande diversité des signaux acoustiques, en fonction des espèces étudiées dans des environnements variés. Cependant, de véritables défis sont posés, notamment en termes de cohabitation entre les activités humaines productrices de bruit et la conservation des écosystèmes et des espèces.

– En aéroacoustique (thème commun avec la section 10), des avancées significatives ont été réalisées conjuguant développement de méthodes numériques performantes et utilisation de machines massivement parallèles toujours plus puissantes. Il est ainsi possible aujourd’hui de calculer des écoulements turbulents et le bruit qu’ils produisent à l’échelle des expériences de laboratoire et sur des maillages de plusieurs milliards de points. La simulation peut alors être utilisée comme une véritable soufflerie numérique fournissant des solutions de référence en conditions contrôlées. Ces résultats théoriques et expérimentaux apportent de nouvelles informations sur les mécanismes physiques fins à l’origine des bruits aéroacoustiques. La prise en compte des incertitudes (par ex. des sources, des écoulements, du milieu de propagation…) à des fins de prévision statistique des niveaux de bruit, apparaît comme une thématique émergente bénéficiant de la croissance exponentielle des performances de simulation.

– Les apports potentiels des progrès des simulations numériques ne sont pas réservés à l’aéroacoustique. C’est la communauté acoustique dans son ensemble qui devrait pouvoir bénéficier de telles avancées en permettant la prise en compte de géométries plus complexes, la résolution de problèmes de propagation à des fréquences plus élevées et de manière générale la résolution de problèmes à ce jour inaccessibles. L’enjeu majeur est de bénéficier au mieux des avancées en informatique telles que les multicœurs, multi-GPUs, ou processeurs ARM, qui nécessitent des compétences spécifiques difficilement accessibles au niveau des laboratoires de la section. Les collaborations avec les chercheurs du domaine informatique sont indispensables, néanmoins cela ne suffira pas car les investissements des chercheurs dans ce cadre sont très lourds. Ils nécessiteront un soutien pour effectuer ce lien, afin de pérenniser et valoriser les nombreux codes développés.

– Le bruit en milieu urbain est une problématique à fort enjeu sociétal, complexe de par la multiplicité des sources (transports, activités économiques et sociales), un milieu de propagation protéiforme (la ville), et la subjectivité de la notion même de « bruit » impliquant nécessairement dans son appréhension les sciences cognitives et humaines. Des activités de recherche nombreuses sont menées dans ce domaine. L’ancien GDR Visible, la Fédération de Recherche IRSTV, la forte implication du LCPC (maintenant IFFSTAR) traduisent la nécessité d’une approche inter-disciplinaire, impliquant de multiples acteurs (industriels, aménageurs, collectivités locales, juristes…). Les efforts en ce sens restent néanmoins relativement morcelés et nécessiteraient une meilleure coordination dans un cadre dépassant les seules sciences acoustiques.

– L’« électroacoustique » désigne à la fois l’étude des transducteurs et une technique de modélisation multi-physique décrivant des échanges énergétiques entre « ports » (paires de grandeurs duales). Ces techniques sont ainsi utiles à de nombreux domaines : télécommunications, multimédia, assistance auditive, imagerie, contrôle actif, thermoacoustique, etc., particulièrement avec le développement technologique de composants miniatures (MEMs), qui arrive à maturité aujourd’hui. Sur cette thématique, la communauté française est diluée au sein d’équipes qui utilisent implicitement des techniques issues de l’électroacoustique, mais mettent en avant des aspects plus en vogue. Ceci accentue la difficulté que rencontrent les nombreux industriels, placés dans une démarche « système » devant optimiser performances ou rendement énergétique, pour identifier des partenaires académiques français susceptibles de coopérer. À cet égard, une réflexion au niveau national serait souhaitable afin que cette dilution ne conduise pas à une segmentation.

– Les cristaux phononiques et les métamatériaux acoustiques ont suscité, et continuent de susciter, un grand intérêt depuis environ 20 ans en raison des propriétés exceptionnelles qu’ils peuvent exhiber. Ces propriétés spectrales originales leur confèrent des applications potentielles dans des domaines aussi divers que l’isolation phonique, le filtrage fréquentiel sélectif, la réalisation de transducteurs plus performants pour le contrôle non-destructif ou l’échographie médicale… En France, de nombreuses équipes sont investies sur ce sujet avec chacune leur spécificité. En particulier, les problématiques suivantes sont bien traitées au niveau national : accordabilité, homogénéisation, désordre, non linéarité. Si ces activités de recherche sont à l’état de l’art international, on peut cependant s’étonner du faible nombre de réalisations concrètes et industrialisables. Aussi l’établissement d’un lien fort avec d’autres communautés telles que la chimie, la physique ou la mécanique, devrait permettre l’émergence de réalisations concrètes. Dans la même perspective, une meilleure interaction entre industriels et laboratoires serait souhaitable afin d’unir les forces en présence.

– Les techniques d’imagerie ou de thérapie ultrasonores présentent de nombreux avantages : non ionisantes, peu ou pas invasives, faciles à mettre en œuvre, d’un coût relativement faible. Ces multiples avantages expliquent leur développement spectaculaire. Elles bénéficient par ailleurs fortement de l’essor des technologies de l’électronique. Les ultrasons médicaux explorent aujourd’hui de multiples champs d’application que l’on peut schématiquement séparer en imagerie et thérapie. Parmi les avancées récentes, les méthodes d’imagerie sont désormais quantitatives : mesure de l’élasticité de cisaillement des tissus mous (élastographie pour la détection de certaines tumeurs) ou des propriétés mécaniques de l’os (diagnostic et suivi de l’ostéoporose). L’imagerie Doppler ultra-rapide permet de caractériser les flux vasculaires complexes, ouvrant la voie à l’imagerie fonctionnelle ultrasonore du cerveau. En thérapie, l’hyperthermie ultrasonore vise à la nécrose de tissus pathologiques par échauffement, tandis que les produits de contraste injectés (micro- ou nano-bulles ou gouttelettes) peuvent être fonctionnalisés pour servir de vecteurs, pilotés par ultrasons, de traitement thérapeutiques personnalisés (chimiothérapie, thérapies géniques). Certaines applications sont également envisagées en mode préopératoire, comme en mode d’imagerie ou en complément de la chirurgie. L’imagerie ultrasonore s’étend également vers les plus hautes fréquences et donc les échelles de plus en plus petites, pour l’imagerie de la peau (détection précoce des mélanomes), certaines thérapies ophtalmologiques, l’exploration des propriétés mécaniques à l’échelle cellulaire ou l’imagerie du petit animal. La recherche dans le secteur est très dynamique en France, portée notamment par quelques laboratoires phares au plus haut niveau international qui doivent maintenir et renforcer un lien fort avec le secteur médico-hospitalier et atteindre une taille critique pour survivre dans une compétition internationale intense. Les temps de développement sont longs, et les ultrasons doivent s’avérer compétitifs avec les techniques alternatives (IRM, lasers…). En l’absence de grand groupe industriel en France, l’industrialisation doit passer par la création et le développement de start-ups, un processus là encore long, risqué et pas toujours dans les gènes du chercheur.

Si certaines activités sont riches et fécondes, on peut regretter que certaines thématiques soient en perte de vitesse. C’est par exemple le cas de l’acoustique sous-marine, dont l’activité diminue depuis le début des années 90, suite à la réduction drastique des financements militaires. Aujourd’hui morcelée et sans structuration forte, l’acoustique sous-marine gagnerait à se définir quelques thématiques fédératrices, notamment pour des applications civiles à des fins environnementales et/ou énergétiques. De même, les progrès en contrôle actif du bruit et des vibrations marquent le pas malgré des besoins qui restent forts. Les potentiels apportés par le développement des matériaux actifs et des métamatériaux et par l’augmentation continue des performances du calcul numérique sont en partie verrouillés par la complexité de la modélisation vibratoire, la résolution de problèmes inverses en temps réel, la modélisation non-linéaire des phénomènes aux forts niveaux, la prise en compte de la perception auditive. Les progrès sont donc conditionnés par un renforcement des liens entre les communautés d’acoustique et de mathématiques appliquées en particulier. Au-delà de cet exemple, les interactions entre acousticiens et chercheurs d’autres communautés (informatique, traitement de signal, mathématiques) apparaissent plus réduites que celles des acousticiens entre eux, ou que dans d’autres pays. Les développer au-delà du très petit nombre de laboratoires actifs sur ce plan, et des exemples mentionnés dans ces pages, représente un enjeu dans presque tous les domaines de la discipline. De même, bien que traitant des ondes au sens large en partant des infrasons pour aller jusqu’aux ultrasons, la communauté française de l’acoustique semble relativement coupée de la communauté sismique. Une meilleure interaction entre les deux communautés permettrait de tirer parti des expériences et compétences de chacune.

De plus, si certaines thématiques telles que l’acoustique musicale, l’aéroacoustique ou les ultrasons médicaux sont bien structurées, reposant sur quelques laboratoires phares, d’autres thématiques souffrent d’un morcellement des diverses équipes en France. C’est en particulier le cas de la perception au sens large : de la psycho-physique auditive à la cognition sonore et des applications médicales à la création d’environnements virtuels. Cette thématique, pluridisciplinaire et commune à plusieurs sections, est très morcelée dans le paysage acoustique français. Elle concerne plusieurs laboratoires sur le territoire mais généralement peu de chercheurs par laboratoire. Bien que des réseaux thématiques existent, gérés par d’autres instances, le CNRS a clairement un rôle à jouer pour stimuler la formation ou la reconfiguration d’équipes de taille critique, à même de jouer un rôle de tout premier plan.

Signalons enfin le domaine de la normalisation, auquel les chercheurs français semblent à peu près indifférents malgré le rôle crucial que ce domaine joue pour l’industrie : les normes sont révisées en permanence en fonction des niveaux de performance auxquels la recherche peut (ou non) faire parvenir l’industrie dans un futur proche. Il conviendrait que les chercheurs soient davantage sensibilisés à cet exercice de prospective, à l’instar de ceux de très proches pays européens.

(1) Source : Livre blanc de l’acoustique en France (SFA, 2010).

(2) Pour une information plus complète, nous renvoyons le lecteur au livre blanc de l’acoustique en France.

VI. Robotique

La robotique est une discipline se situant à la croisée de nombreuses disciplines comme la mécanique, l’informatique, l’automatique et la physique appliquée. Elle couvre un spectre de plus en plus large de domaines applicatifs très variés comme la production, la santé, les transports, l’énergie, l’agriculture, l’agroalimentaire, la biologie, l’exploration, la construction, la surveillance…). Elle implique une cinquantaine de laboratoires, regroupés pour la grande majorité au sein d’un groupement de recherche (GDR « Robotique »). La communauté scientifique dispose aussi d’un réseau national de plates-formes expérimentales qui est un équipement d’excellence financé dans le cadre des investissements d’avenir (ROBOTEX). Son objectif est de favoriser les synergies entre les équipes de recherche, permettre le développement de nouvelles approches fondées sur des coopérations pluridisciplinaires et favoriser les synergies entre la recherche publique et le monde industriel, économique et social.

Les unités de recherche relevant de la section 9 ne sont pas majoritaires en robotique (moins de 20 % en nombre au sein du GDR Robotique). Pourtant, cette discipline fait face à des verrous dont la résolution nécessite les compétences présentes dans la communauté mécanique. Il importe donc d’encourager les collaborations entre les laboratoires au cœur de la section et cette discipline qui ne saurait être considérée comme mineure au vu de son important potentiel de développement industriel et économique, avec un marché en croissance de 40 % dans les années à venir(3).

Ce paragraphe a pour objet de souligner les pistes de collaborations impliquant la section, les plus actives et les plus prometteuses.

Historiquement, l’interface avec la communauté mécanicienne s’est établie autour des méthodes liées à la description des systèmes articulés. Les robots, qu’ils soient manipulateurs, volants, humanoïdes, intracorporels, etc., recouvrent une grande variété de systèmes mécaniques (holonomes, non holonomes, sous-actionnés, redondants, de faible ou grande dimension…), parfois biomimétiques, voire des compositions de systèmes conçus pour la production d’actions coordonnées complexes. Ces systèmes doivent parfois être plus versatiles afin de baisser les coûts pour favoriser leur déploiement industriel (par exemple au sein des PME), ou capable d’évoluer dans des environnements de plus en plus extrêmes (industriels ou naturels).

À cette complexité croissante qui impacte la conception des systèmes et requiert le développement de systèmes mécaniques optimisés s’ajoute une interaction de plus en plus forte avec l’environnement couplant action et perception, planification du mouvement et modélisation physique. Un exemple emblématique parmi d’autres est celui des simulateurs chirurgicaux pour lesquels des efforts conséquents sont déployés pour modéliser et simuler la réponse des tissus de façon réaliste.

Les fonctions de perception, de décision et d’action des systèmes robotiques requièrent aussi l’existence de différents composants matériels sophistiqués tels que des micro-actionneurs et des micro-capteurs (technologie MEMS) et de nouveaux matériaux (« peau artificielle » par exemple) – et des structures innovantes (modulaires, reconfigurables, déployables, souples, élastiques…) pour la locomotion, la manipulation et la préhension. Ces composants doivent être compatibles avec les exigences d’échelle de l’application, la méso- et la micro-robotique semblant à cet égard encore assez peu explorées

L’interaction entre le robot et l’homme accroît encore la complexité de l’environnement. La cobotique, une spécialité récente à l’interface de la cognitique, de la biomécanique est en plein essor. À côté d’une télé-opération qui s’enrichit de développement d’interfaces et de liens forts avec la réalité virtuelle, l’émergence d’une robotique d’assistance à l’homme (rééducation, aide au handicap, aide au chirurgien, partage de tâches entre opérateurs et robots dans l’industrie…) et de la robotique personnelle apporte de nouveaux éclairages à la problématique de l’interaction homme-robot. Dorénavant, l’homme et le robot partagent l’espace, la tâche et la décision. Ceci nécessite des fonctions évoluées et nouvelles pour le robot qui concernent la mécanique : perception de l’homme et de son activité, action physique partagée et/ou en synergie.

(3) Proposition du club des partenaires et de Cap Digital vis-à-vis du plan robotique, 2012.

VII. La simulation numérique par et au service de la recherche académique et industrielle

La simulation numérique est devenue depuis les années 2000 un moyen d’exploration incontournable des phénomènes physiques rencontrés en mécanique et en acoustique, complémentaire des moyens de caractérisation physique les plus avancés. La simulation numérique se développe dans la section à l’intersection de la mécanique, de la science des matériaux, des mathématiques appliquées, et de l’informatique. Les méthodes de simulation numérique sont développées en premier lieu dans les structures de recherche, en tant qu’outils génériques ou pour répondre à des besoins ponctuels, pour être ensuite fréquemment transférées vers l’industrie.

En effet, au même titre que le reste de notre société numérique, l’industrie, y compris les PME-PMI, est demandeuse de moyens de modélisation. Le plus souvent, il s’agit de dimensionnement – de structures, de produits, de process, etc. – dans un cadre linéaire statique, donc inutilement conservatif, dans des environnements logiciels commerciaux conviviaux intégrant les contraintes industrielles de versatilité et de fiabilité. Dans quelques grands groupes industriels, des simulations numériques plus complexes sont menées, intégrant la dynamique, le non-linéaire ou encore les couplages. Dans les cas les plus avancés, ces simulations peuvent s’appuyer sur du calcul intensif, du couplage de codes destinés à représenter des physiques différentes, et éventuellement intégrer la notion de qualité des simulations. Il faut souligner que les docteurs possédant des compétences fortes en simulation numérique forment une population appréciée par ces entités en charge de la modélisation numérique dans leur secteur industriel. Dans le même temps, la recherche académique est demandeuse de moyens de modélisation numérique souples permettant d’intégrer, tester, et valider les derniers développements, dans un cadre informatique souvent moins formel mais apte à traiter un degré de complexité beaucoup plus élevé. L’émergence de projets institutionnels-académiques et de chaires industrielles dédiés à la simulation numérique démontre également la reconnaissance de ce champ de recherches à part entière et les attentes qu’il suscite.

A. Motivations

C’est donc d’abord pour ses besoins, mais le plus souvent en lien avec des demandes industrielles, que la recherche académique centrée sur la mécanique des solides et ses interactions met en place des outils de simulation numérique de plus en plus performants. S’appuyant sur des centres de calcul – locaux ou mutualisés – de quelques centaines à plusieurs milliers de cœurs de calcul, les tendances actuelles portent sur le développement de méthodes permettant de représenter, plus finement et à moindre coût informatique, la physique des phénomènes modélisés, y compris dans un cadre dynamique. Ce qui se traduit, à taille de problème croissant, par des problèmes physiquement mieux fondés, intégrant des physiques complexes éventuellement couplées et non-linéaires, voire à caractère stochastique, et couvrant de plus en plus d’échelles d’observation (de l’atome vers la structure). En corollaire, l’utilisation de ces moyens et méthodes de calculs conséquents doit s’appuyer sur des outils de pré et post-traitements adaptés, idéalement dans un chaînage numérique allant de la genèse de modèles locaux raffinés, à la prévision de la réponse de milieux plus étendus, i.e. à une échelle d’intérêt pour l’ingénierie, et dans un contexte de maîtrise des erreurs numériques.

B. Voies de développement

Pour répondre à ces défis, on peut citer quelques grandes voies de développement actuelles, qui sont à voir comme la déclinaison vers des domaines applicatifs d’approches plus fondamentales menées autour de méthodes de simulation innovantes, alliant intimement la mécanique et les mathématiques tout en bénéficiant de supports informatiques performants.

En premier lieu, il s’agit de mettre en place des modèles numériques physiquement fondés intégrant de plus en plus de complexité (non-linéarités, singularités, couplages, etc.) et des méthodes de représentation et traitement des diverses discontinuités et interfaces mobiles (champs de phase, fonctions de niveau) rencontrées dans ces phénomènes. On peut utiliser ces méthodes et modèles numériques les plus avancés pour accompagner les moyens de caractérisation physique les plus évolués, dans un dialogue mesures-simulations de pointe. Ce peut être la numérisation des modèles physiques qui devient un recours précieux pour le dimensionnement de méthodes de caractérisation multiphysiques pointues, et inversement les modèles numériques multiphysiques qui offrent une grille de lecture de ces mesures, parfois même le seul moyen de les exploiter. Dans ce dernier cas, la qualité de la simulation revêt une importance aussi critique que celle des mesures. Il faut généralement envisager de gérer de grandes masses de données, parfois mal conditionnées ou incomplètes, issues de moyens de caractérisation toujours plus performants (lien imagerie-simulations, exploitation de grandes masses de données, exploitation d’essais avec conditions aux limites incertaines, voire introduction du caractère stochastique de ces mesures).

Dans la démarche d’introduction des meilleurs outils et pratiques dans un cadre industriel, le chaînage numérique revêt une importance de premier plan (utilisation de modèles CAO dans la simulation – analyse isogéométrique, couplage non-intrusif de codes non-intrusifs, propagation d’incertitudes, plans d’expérience numériques, etc.). Dans cette même optique, il est primordial de poursuivre l’effort de réduction des temps de calcul, pour accéder par exemple au temps réel (réalité augmentée avec interface haptique) ou à un confort d’utilisation accru. Ce qui passe d’une part par le développement du savoir-faire des utilisateurs, et l’on notera que le recours à la modélisation numérique se trouve idéalement dans la continuité d’approches analytiques poussées qui conduisent in fine à des modèles numériques souvent optimums en terme de rapport temps de calcul/qualité des résultats. Mais cette réduction du temps de calcul passe bien évidemment par la mise au point de méthodes dédiées, qu’elles visent à réduire la taille initiale du problème par des techniques issues de l’analyse en composantes principales par exemple (projection dans une base réduite – PGD) quitte à enrichir cette base à la volée (POD), ou qu’elles s’appuient sur une sous-structuration du problème étudié (décomposition de domaines, couplage de codes), sur des combinaisons de discrétisations non nécessairement coïncidentes (Arlequin, FE2, multi-grilles, etc.) ou encore sur des enrichissements locaux pour prendre en compte par exemple l’endommagement (X-FEM, raffinement adaptatif, fonctions de niveau épaisse, Galerkin Discontinu). Il est probable que les modèles numériques les plus avancés s’appuieront à terme sur un dialogue de plus en plus fort entre ces modèles réduits, enrichis localement et des modèles plus complets et multi-échelles.

C. Positionnements national et international

La spécificité de l’école française de la simulation numérique en mécanique et en acoustique n’est plus à démontrer. Elle consiste à allier des approches mathématiques génériques de haut-niveau avec une connaissance physique poussée, souvent à destination d’un usage industriel ou tout du moins applicatif. Les approches numériques diffusent maintenant très largement dans nos communautés. La simulation numérique se structure en tant que telle, via des revues et des manifestations scientifiques dédiées, pilotées notamment par le CSMA, ou à travers des communautés plus thématiques (AFM, AUM, SF2M, Mecamat, SFA, SB…) via des commissions ou GT dédiés. Cette activité croissante à l’échelle du pays s’impose à l’international avec une forte représentation de la communauté française dans les manifestations scientifiques dédiées aux approches numériques. Enfin, il convient de noter la présence croissante de personnalités de premier plan de notre communauté dans les instances internationales (IACM, ECCOMAS…), ce qui vient corriger graduellement une sous-représentation paradoxale de la communauté nationale dans ces instances.

Conclusion

Appartenant aux sciences de l’ingénieur, les thématiques de la section visent à la fois l’accroissement des savoirs et des « savoirs faire ». Leur progression suit les questionnements sociétaux dans un contexte multi-disciplinaire toujours renouvelé, impulsant un dialogue nourri avec les sciences physiques, la chimie, les mathématiques, les géosciences, les sciences du vivant, de l’environnement ou les sciences humaines. La mécanique du vivant, le développement des moyens d’observation de la matière et des simulations numériques aux toutes petites (nano) échelles sont, entre autres, les témoins de l’apport stimulant d’un tel dialogue. La prise en compte des couplages multi-physiques et des interactions dans toutes leurs dimensions de temps et d’espace est une caractéristique des recherches effectuées dans la section depuis plus de dix ans, elle a largement bénéficié des progrès des moyens expérimentaux, de modélisation et de simulation qui ont alimenté en retour des questionnements théoriques fondamentaux.

Autour de ces nouveaux enjeux, de nombreux GDRs ou fédérations ont permis aux acteurs de la mécanique de se structurer et d’interagir avec des chercheurs d’autres sections ou instituts. Toujours soumis à une forte demande sociétale, dans un contexte ou les enjeux industriels et économiques sont omniprésents – énergie, environnement, transports, santé, génie civil, prévention des risques et accidents – les chercheurs de nos domaines ont su s’organiser et apporter des contributions substantielles. L’essor toujours plus marqué des méthodes numériques en ingénierie et la visibilité croissante des recherches françaises dans ce domaine en sont l’un des témoins. Les liens entre les laboratoires de recherche et les industriels sont toujours très étroits à travers des partenariats public/privé dans le cadre de l’ANR, des Pôles de compétitivité, des Instituts Carnot, des IRT, ITE et du PIA.

Alors que l’essor de la simulation numérique était plus marqué auparavant, on a assisté depuis le début de cette décennie à une mutation des approches expérimentales s’appuyant sur de nouvelles techniques (ex. imagerie) et sur un dialogue observation-simulation étroit. Ainsi, la part expérimentale des recherches en section 09 liées à nos métiers se renouvelle et gagne en importance. Elle repose sur des équipes (chercheurs, techniciens et ingénieurs) dont l’expertise doit permettre de faire fonctionner et de faire progresser les nombreuses plates-formes expérimentales. Leur renouvellement reste un besoin important, il peut devenir critique en ce qui concerne les personnels IT.

En ce qui concerne le renouvellement des chercheurs, c’est souvent l’excellence des candidats qui prime. Le vivier est large, trop large souvent par rapport au faible nombre de postes disponibles au CNRS ou à l’Université. Faut-il renforcer les thématiques au cœur de la section autour desquelles ce rapport a été organisé, ou privilégier un soutien parfois ponctuel à des thématiques émergentes ? L’évolution des financements en mécanique et la pénurie des débouchés contrastent avec l’écoute que reçoivent nos recherches aux plans international et industriel. Le contexte actuel favorise de moins en moins la prise de risque à bien des niveaux, y compris celui du recrutement.

Dès lors, la voie la plus pragmatique consiste plutôt à privilégier le renforcement des disciplines au cœur de notre section tout en maintenant une capacité d’interaction forte sur des thèmes émergents. Pour cela, le laboratoire reste la brique de base, offrant l’environnement de recherche requis tout en ayant la capacité de favoriser des collaborations pluridisciplinaires et de prendre de façon collective les risques inhérents à toute recherche. Il nous semble qu’il existe un esprit « section 09 » qui, tout en préservant les chercheurs de la compétitivité française interne, permet de partager intelligemment des connaissances ou savoir-faire et ainsi de créer un éco-système propice à ce choix stratégique.

Annexe

Signification des sigles et des abréviations
AFM – Association Française de Mécanique ou Atomic Force Microscopy
ALM – Additive Layer Manufacturing
ANR – Association Nationale de la Recherche
ARM – Acorn (Advanced) RISK Machine
AUM – Activités Universitaires en Mécanique
AVIESAN – Alliance nationale pour les sciences de la VIE et la SANté
CAO – Conception Assistée par Ordinateur
CEA – Commissariat à l’Énergie Atomique et aux énergies alternatives
CID – Commission InterDisciplinaire
CIMReV – Comportement et Ingénierie des Matériaux Réactifs et Vivants
CNRS – Centre National de la Recherche Scientifique
CR – Chargé de Recherche
CSMA – Computational Structural Mechanics Association
DDD – Dynamique Des Dislocations
EBSD – Electron Backscattered Diffraction
ECCOMAS – European Community on COmputational Methods in Applied Sciences
EPIC – Établissement Public à caractère Industriel et Commercial
EPST – Établissement Public à caractère Scientifique et Technologique
EquipeX – Équipement d’Excellence
FEM – Finite Element Method
FE2 – Multilevel Finite Element Method
FIB – Focused Ion Beam
GDR – Groupement de Recherche
GPU – Graphics Processing Unit
GT – Groupe de Travail
I@L – Institut Carnot Ingénierie de Lyon
IACM – International Association for Computational Mechanics
IFSTTAR – Institut Français des Sciences et Technologies des Transports, de l’Aménagement et des Réseaux
INP – Institut de Physique
INSERM – Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale
INSB – Institut des Sciences Biologiques
INSHS – Institut des Sciences Humaines et Sociales
INSIS – Institut des Sciences de l’Ingénierie et des Systèmes
INSU – Institut National des Sciences de l’Univers
IRM – Imagerie par Résonance Magnétique
IRSTV – Institut de Recherche en Sciences et Techniques de la Ville
IRT – Institut de Recherche Technologique
ITE – Institut pour la Transition Énergétique
IVTV – Ingénierie et Vieillissement des Tissus Vivants
LCPC – Laboratoire Central des Ponts et Chaussées
LIA – Laboratoire International Associé
MEB – Microscopie Électronique à Balayage
Mecamat – Groupe Français de Mécanique des Matériaux
MEMs – MicroElectroMechanical systems
MET-HR – Microscopie Électronique en Transmission à Haute Résolution
PC – Personal Computer
PGD – Proper Generalized Decomposition
PIA – Programme d’Investissements d’Avenir
PME – Petites et Moyennes Entreprises
PMI – Petites et Moyennes Industries
POD – Proper Order Decomposition
ROBOTEX – Équipement d’Excellence en Robotique
SB – Société de Biomécanique
SFA – Société Française d’Acoustique
SF2M – Société Française de Métallurgie et de Matériaux
SHG – Second-Harmonic Generation
SIMS – Secondary Ion Mass Spectroscopy
THG – Third-Harmonic Generation
XFEL – X Free ELectron
X-FEM – eXtended Finite Element Method
XPS – X-ray Photoelectron Spectroscopy