Rapport de conjoncture 2014

Section 03 Matière condensée : structures et propriétés électroniques

Extrait de la déclaration adoptée par le Comité national de la recherche scientifique réuni en session plénière extraordinaire le 11 juin 2014

La recherche est indispensable au développement des connaissances, au dynamisme économique ainsi qu’à l’entretien de l’esprit critique et démocratique. La pérennité des emplois scientifiques est indispensable à la liberté et la fécondité de la recherche. Le Comité national de la recherche scientifique rassemble tous les personnels de la recherche publique (chercheurs, enseignants-chercheurs, ingénieurs et techniciens). Ses membres, réunis en session plénière extraordinaire, demandent de toute urgence un plan pluriannuel ambitieux pour l’emploi scientifique. Ils affirment que la réduction continue de l’emploi scientifique est le résultat de choix politiques et non une conséquence de la conjoncture économique.

L’emploi scientifique est l’investissement d’avenir par excellence
Conserver en l’état le budget de l’enseignement supérieur et de la recherche revient à prolonger son déclin. Stabiliser les effectifs ne suffirait pas non plus à redynamiser la recherche : il faut envoyer un signe fort aux jeunes qui intègrent aujourd’hui l’enseignement supérieur en leur donnant les moyens et l’envie de faire de la recherche. On ne peut pas sacrifier les milliers de jeunes sans statut qui font la recherche d’aujourd’hui. Il faut de toute urgence résorber la précarité. Cela suppose la création, sur plusieurs années, de plusieurs milliers de postes supplémentaires dans le service public ainsi qu’une vraie politique d’incitation à l’emploi des docteurs dans le secteur privé, notamment industriel.

Composition de la section

Fabio Pistolesi (président de section) ; Marie-Amandine Pinault-Thaury (secrétaire scientifique) ; Régis André ; Agnès Barthelemy ; Jacqueline Bloch ; Thierry Bretagnon ; Guillaume Cassabois ; Clément Faugeras ; Abdeslem Fnidiki ; Sophie Gueron ; Klaus Hasselbach ; Michel Hehn ; Luc Le Gratiet ; Francesco Mauri : Alexandra Mougin ; Olena Popova ; Patrice Roche ; Antoine Ronda ; Jean-Pascal Rueff ; Laurent Simon ; Jean-Pierre Travers.

Résumé

Dans ce rapport, les membres de la section 03 présentent un état des lieux de l’activité scientifique relevant des thématiques de la section. Une attention particulière est portée sur les activités développées dans les laboratoires français en les mettant en perspective avec les avancées internationales. La structure historique de la section 03, toujours d’actualité, est conservée : physique des semi-conducteurs, physique mésoscopique, nano-magnétisme, et systèmes fortement corrélés. Outre l’activité théorique intégrée dans ces quatre thématiques, un chapitre est dédié à la méthodologie de la modélisation. Enfin, la dernière partie du rapport est consacrée à l’instrumentation et aux TGIR qui jouent un rôle crucial pour toutes les activités expérimentales de la section 03.

Introduction

L’activité dans les thématiques concernées par la section 03 est présentée en suivant la structuration proposée depuis plusieurs mandatures, à savoir : la physique des semi-conducteurs, la physique mésoscopique, le nano-magnétisme, les systèmes fortement corrélés. Cette structuration, essentiellement basée sur les communautés historiques, ne signifie aucunement qu’il y ait une véritable séparation étanche entre thématiques. Au contraire, on a vu progressivement apparaître de nombreux nouveaux sujets transverses sur lesquels les communautés se rencontrent. À l’instar du graphène, qui émerge comme un sujet important dans les quatre thématiques, d’autres sujets ont eu un fort développement dans les dernières années, comme la matière topologique, la physique des oxydes, les nouvelles méthodes d’élaboration de nanostructures et de fonctionnalisation des matériaux, et la nano-mécanique (optique ou électronique). Les deux dernières parties du rapport traitent de deux thématiques transverses, les méthodes de modélisation et l’instrumentation, notamment les très grandes infrastructures de recherche et les centrales technologiques.

I. Semi-conducteurs

Il existe de nombreux semi-conducteurs (SC) aux structures variées. Certains sont présents à l’état naturel, d’autres ont été synthétisés par l’homme. Depuis plus d’un demi-siècle, de nombreux outils d’épitaxie et de nanostructuration ont été développés pour permettre leur élaboration, leur contrôle et la maîtrise de leurs propriétés. Ils sont à l’origine de développements innovants tant en physique fondamentale qu’en physique appliquée. Utilisés sous des formes différentes du matériau massif, ils permettent d’étudier la physique des systèmes électroniques à zéro dimension (boîte quantique), à une dimension (fil quantique) et à deux dimensions (puits quantique). Le contrôle de plus en plus poussé du confinement électronique et/ou optique, la maîtrise du couplage exciton/photon, ou de l’état de spin de l’électron permettent une compréhension fine de nombreux phénomènes en lien avec la physique mésoscopique, le nano-magnétisme, la spintronique, l’opto-mécanique, la nano-phononique, etc. Outre la compréhension de phénomènes physiques fondamentaux, certaines études peuvent aussi être motivées par leur potentiel d’applications.

A. Élaboration

En recherche expérimentale, il est indispensable de maîtriser la synthèse des matériaux sur lesquels les chercheurs étudient des phénomènes physiques complexes. La réalisation des échantillons à base de SC (matériaux, métamatériaux, nano-objets et dispositifs) est alors d’une importance capitale, tout comme leur caractérisation physique et leur modélisation. Pour obtenir les effets physiques recherchés, la combinaison croissance nano-structuration est devenue incontournable. Dans l’élaboration des nanostructures, boîtes, fils et puits quantiques, les études, avec notamment le développement des outils de nanoscience, conduisent à un contrôle toujours plus important de paramètres clés pour la compréhension des nouveaux effets physiques mis en jeu et l’intégration des nano-objets dans des dispositifs originaux : composition, cristallinité, dopage, contrainte et ingénierie de bande, organisation des nano-objets.

Les efforts se poursuivent pour briser les verrous technologiques inhérents aux SC à large bande interdite (ex : séléniures, oxydes). L’accent est porté sur l’obtention de substrats en accord de maille ainsi que de dopants des deux types (ex : le dopage de type n du diamant progresse malgré la difficulté intrinsèque d’incorporation du phosphore). De façon générale, le contrôle du dopage et de ses effets dans les nanostructures est source d’études variées. Certaines propriétés magnétiques de SC, améliorées par l’adjonction d’atome (ex : phosphore dans GaMnAs), continuent de susciter de l’intérêt en recherche fondamentale. L’élaboration de structures dites non polaires selon des directions de croissance inhabituelles (orthogonales à l’axe c dans les cristaux de structure wurtzite) élimine les forts champs piézo-électriques internes. La physique des boîtes quantiques (BQs) s’est élargie à un autre domaine spectral que le proche infra-rouge grâce à la réalisation de boîtes auto-organisées à l’interface de SC à large bande interdite par effet de contrainte ou par insertion le long de nano-fils.

Les nanofils quantiques SC sont réalisables par des méthodes de croissance « bottom-up ». L’étude des mécanismes de croissance localisée assistée par catalyseur (VLS : vapeur-solide-liquide, et ses dérivés) se poursuit dans les fils III-V, II-VI et des éléments IV. À titre d’exemple, la compréhension de la nucléation et de la coexistence de différentes phases cristallines dans un même fil a progressé. De nombreuses avancées, comme les structurations radiales et axiales, sont particulièrement encourageantes pour permettre des études physiques minutieuses et envisager des applications dans des domaines tels que le photovoltaïque.

Pour les SC organiques, la flexibilité permise par la chimie et les progrès réalisés dans la maîtrise des structures (macro)-moléculaires et des assemblages supramoléculaires offrent de nouvelles opportunités permettant de mieux comprendre leurs propriétés et celles de leurs interfaces avec d’autres matériaux et ainsi de faire émerger de nouvelles fonctionnalités. Les méthodes de chimie douce pour la fabrication de nanoparticules colloïdales s’étendent maintenant à plusieurs types de matériaux SC (ex : II-VI, III-V, composés ternaires). La surface de ces particules est utilisée comme plate-forme pour l’introduction de fonctionnalités. Depuis peu, les ligands de surface inorganiques permettent la stabilisation de ces nanoparticules avec une unique couche fine d’ions inorganiques (particules « quasi-nues ») qui augmente significativement la mobilité dans des couches minces constituées de nano-cristaux. Ce domaine interdisciplinaire présente des applications prometteuses (ex : biophysique, santé, optique quantique, photovoltaïque).

L’enthousiasme suscité par la découverte du graphène reste fort étant donné son potentiel pour la physique fondamentale, et au-delà. La fabrication de ce matériau bidimensionnel à gap nul et à relation de dispersion linéaire est un enjeu majeur. Dans le but d’obtenir des échantillons de grande dimension, tout en contrôlant le dopage par l’action d’une grille, le nitrure de bore hexagonal est actuellement le substrat privilégié. Des études de croissance sont en cours pour maîtriser la réalisation de ce nouveau substrat pour le graphène.

Depuis peu, de nouvelles formes de matériaux 2D suscitent beaucoup d’intérêt, avec toutes les difficultés que leur fabrication implique par les procédés d’élaboration conventionnels que sont les approches « top-down » (ex : exfoliation) et « bottom-up ». Parmi eux, les monocouches de dichalcogénures de métaux de transition de type MX2 (ex : MoS2). Lorsque le cristal massif est aminci jusqu’à une unique couche atomique, de nouvelles propriétés physiques émergent (cf. le graphène). Les SC MX2 vont permettre d’explorer la physique du spin et des vallées. De nouveaux domaines d’application commencent à voir le jour. Dans le cas de la spintronique et de l’information quantique, les isolants topologiques sont, eux aussi, des outils d’étude privilégiés (ex : Bi Sb, Bi2Se3, etc.). Des recherches permettant de surmonter les obstacles à leur fabrication sont nécessaires.

B. Vers de nouveaux dispositifs

Les composants modernes sont issus du développement de l’ingénierie de bande et de la physique fondamentale du confinement électronique (ex : lasers à cascade quantique). De nos jours, le contrôle de l’interaction électron-phonon est une thématique de recherche en plein essor dans le domaine du térahertz (THz), de la détection infra-rouge, ou encore du photovoltaïque à haut rendement.

La majeure partie des SC à large bande interdite (diamant, BN, SiC, ZnO, etc.) sont encore au stade de développement. Les plus avancés d’entre eux sont les nitrures d’élément III. Les transitions inter sous-bandes de leurs hétérostructures sont exploitées dans des émetteurs-détecteurs pour les télécommunications. Un effort particulier est porté sur les émetteurs dans le domaine du visible (ex : vert) et de nouveaux concepts sont proposés dans les composants de puissance.

Les études des propriétés physiques des microcavités planaires ont mis à jour une multitude d’effets remarquables : amplification paramétrique, multi-stabilité… Elles ouvrent la voie au développement d’une nouvelle gamme de composants optoélectroniques comme le laser à polaritons qui a un seuil laser plus faible que les lasers conventionnels, ou encore des transistors optiques.

Les SC ont également un rôle important à jouer dans le domaine des composants optiques avec, par exemple, la plasmonique. Ces dernières années, ils sont étudiés comme alternative aux métaux dont les applications sont limitées par leurs propriétés intrinsèques. L’émergence des méta-matériaux, qui sont des matériaux façonnables électriquement et magnétiquement par le contrôle de leur indice de réfraction, ouvre un nouveau champ d’applications.

Enfin, de nouvelles perspectives d’applications à bas coût des SC organiques sont apparues à côté du photovoltaïque ou de l’électronique imprimée, avec la démonstration du fonctionnement d’un circuit de calcul neuro-inspiré simple à base de memristors organiques.

C. Physique des nano objets

La réduction de la taille des objets SC permet d’étudier de nouveaux effets physiques. Leurs nano-objets sont le siège d’effets quantiques qui modifient leurs propriétés physiques intrinsèques. Parmi eux, les BQs à SC sont souvent comparées à des atomes artificiels. Elles ouvrent la voie, en milieu solide, à la maîtrise d’émetteurs de photons uniques, voire de photons indiscernables ou intriqués, ainsi qu’à des états pouvant servir de Qubits. Un autre intérêt des BQs porte sur le spin des électrons, la maîtrise optique de son orientation et le renforcement de la cohérence des états de spin par leur localisation. Une de leur limitation est la conservation d’une interaction avec la matrice environnante qui entraîne la perte de cohérence des excitations électroniques confinées dans ces BQs. Grâce à leur synthèse comme « tranche nanométrique » le long d’un nano-fil, les BQs sont mieux maîtrisées en termes de contrainte et de localisation. Elles présentent maintenant des propriétés robustes en température.

Les nano-cristaux SC ont atteint une maturité suffisante pour constituer des BQs permettant l’émission de photons uniques jusqu’à température ambiante. Les synthèses des nano-cristaux colloïdaux ont évolué récemment vers la réalisation de nano-plaquettes semi-conductrices qui présentent des caractéristiques d’émetteurs rapides (de l’ordre de la nanoseconde) suggérant une grande force d’oscillateur.

Les matériaux lamellaires, ou 2D (ex : MoS2, MoSe2) sont un cas limite de nano-objets avec une seule couche atomique. Ces matériaux aux aspects topologiques inhabituels sont étudiés pour comprendre leurs propriétés électroniques, optiques et spintroniques. L’originalité des vallées présentes dans leur structure de bandes a permis l’émergence d’un nouveau domaine appelé « valleytronics », qui est un nouveau type d’électronique.

Pour pousser à l’extrême la réduction de taille, la recherche s’oriente vers des centres de localisation produit par un ou deux atomes seulement (ex : centres NV dans le diamant, photo-stables à température ambiante). Leurs potentialités d’études physiques sont larges (ex : spin unique). Ils sont à la base de sources solides de photons uniques pour la cryptographie quantique ou de magnétomètres ultra sensibles.

D. Spin et magnétisme

La possibilité d’introduire des ions magnétiques individuels dans des BQs représente une piste vers un bloc élémentaire de mémoire magnétique. Initialement développé dans la filière II-VI avec du manganèse, ce champ d’étude inclut aujourd’hui les SC III-V (ex : InAs), ainsi que d’autres ions magnétiques tels que le cobalt, le nickel ou le chrome. La polarisation de l’ion magnétique est initialisée, manipulée puis sondée avec des méthodes optiques impliquant l’interaction avec un (des) exciton(s) photo-créé(s).

Les atomes formant une BQ présentent une polarisation nucléaire extrêmement stable dans le temps (jusqu’à quelques jours). Ils pourraient servir de plate-forme pour une spintronique nucléaire. Les études optiques des BQs et du pompage optique pour créer une polarisation nucléaire dynamique aboutissent aujourd’hui à des schémas de pompage optique permettant une Résonance Magnétique Nucléaire (RMN) tout optique, sans utilisation de radiofréquences.

E. Couplage lumière matière

L’ingénierie et le contrôle de l’interaction lumière-matière structurent un grand nombre d’activités théoriques et expérimentales en matière condensée dans des systèmes où les degrés de liberté électroniques et électromagnétiques sont couplés : effet Purcell en régime de couplage faible, polaritons de microcavité en couplage fort, etc.

En micro- ou nano-structurant la matière, il est possible de modifier fortement les propriétés de la lumière, de la confiner, de la guider, ou encore de la ralentir. Ainsi les cristaux photoniques permettent de localiser fortement la lumière, de réaliser des nano-lasers de très bas seuil. Dérivés des cristaux photoniques, les méta-matériaux sont des matériaux artificiels qui possèdent une permittivité et perméabilité effectives, liées à leur nano-structuration sub-longueur d’onde. Des propriétés optiques qui n’existent pas dans la nature peuvent être implémentées (ex : permittivité et perméabilité négatives). Plusieurs communautés s’intéressent à ces objets, des micro-ondes à l’optique en passant par les THz. Ces dernières années, la plasmonique s’est développée de façon spectaculaire. Ce domaine consiste à utiliser les plasmons (excitations élémentaires dans les métaux) pour propager ou localiser le champ électromagnétique. Le couplage avec les plasmons permet de contrôler l’émission spontanée ou l’émission de lumière cohérente, d’induire des transferts radiatifs. Les études s’orientent aujourd’hui vers la plasmonique quantique, où notamment des applications pour des biocapteurs sont envisagées.

Le régime de couplage fort lumière-matière dans les cavités semi-conductrices donne naissance à des quasi-particules bosoniques nommées polaritons de cavité. Elles sont un système modèle pour l’étude des fluides quantiques et des condensats de Bose en présence de dissipation. Leurs interactions donnent lieu à de nombreux effets non linéaires comme la superfluidité, la nucléation de vortex, ou encore la bistabilité optique. Limitées à des températures cryogéniques dans GaAs, les recherches s’étendent vers la température ambiante grâce au développement récent de cavités ou de microfils dans des matériaux à large bande interdite.

Les excitons indirects ou dipolaires forment également un système intéressant pour générer des condensats de Bose dits « gris » car faiblement couplés à la lumière et présentant de fortes interactions. La compréhension de leur mécanisme de piégeage, de leur dynamique de spin et du contrôle de ce piégeage font l’objet d’études très actives.

Le contrôle déterministe de l’émission spontanée de BQs uniques en cavité permet de réaliser des sources ultra-brillantes de photons uniques indiscernables, ce qui commence à rendre possible des protocoles complexes d’information quantique tels que l’intrication entre deux Qubits distants, la téléportation…

F. Optomécanique et phononique

Ces dernières années, de nouvelles problématiques ont émergé en direction du couplage entre les propriétés optiques d’une part et les propriétés acoustiques ou mécaniques d’autre part. Par analogie avec le confinement des photons dans des microcavités optiques, la densité d’états des phonons a pu être façonnée dans des cavités phononiques de SC. L’ingénierie du couplage acousto-optique dans des cristaux ou méta-matériaux phononiques combiné à l’utilisation de lasers femto-secondes a aussi ouvert la voie au développement de l’acoustique picoseconde, permettant ainsi de transposer aux excitations acoustiques l’utilisation des techniques d’optique ultra-rapide et non-linéaire.

L’étude du couplage entre des résonateurs optique et mécanique a été initialement abordée dans la communauté de l’optique, à une échelle macroscopique, pour « refroidir » des miroirs dans des interféromètres. De nos jours, la miniaturisation des systèmes mécaniques est un enjeu fondamental dans le nouveau domaine des systèmes hybrides optomécaniques (voir aussi II.G pour la nano-électromécanique). Le large éventail des réalisations des matériaux SC de ces trente dernières années (micro-disques, micro-piliers, membranes de cristaux photoniques…) ouvre des perspectives de couplage mécanique-lumière. De manière générale, l’émergence de l’opto-mécanique ouvre des pistes pour combiner astucieusement, dans un même système, les couplages électron-photon et phonon-photon pour obtenir des états tripartites électron-photon-phonon et explorer de nouveaux effets physiques.

II. Physique mésoscopique

La physique mésoscopique s’intéresse aux phénomènes quantiques dans des conducteurs électroniques comportant un grand nombre de degrés de liberté. Ces phénomènes quantiques sont révélés par l’interférence de fonctions d’onde électroniques dans les conducteurs « quantiquement cohérents ». La cohérence quantique implique à minima que l’énergie des électrons est conservée, nécessitant des systèmes de taille inférieure aux distances typiques de collisions inélastiques (électron-électron, électron-phonon…) : les premières expériences, réalisées il y a près de 30 ans sur des films minces métalliques et gaz bidimensionnels d’électrons, ont démontré que les interférences quantiques persistent dans des conducteurs désordonnés, sur des longueurs supérieures au micron à basse température. Les figures d’interférences prennent la forme d’une conductance modulée par un flux magnétique. Une meilleure compréhension des systèmes électroniques quantiques et en particulier du rôle de l’interaction Coulombienne dans les systèmes de basse dimensionnalité où elle est renforcée a pu être faite grâce à l’élaboration de nouveaux systèmes de taille réduite : nanotubes de carbone, molécules, points et constrictions quantiques, jonctions atomiques, états de bord de l’effet Hall quantique, graphène, isolants topologiques. Avec eux, de nouveaux concepts et domaines de la physique mésoscopique ont émergé. En plus d’être des systèmes modèles pour les concepts du transport mésoscopique (canaux de conduction, régime balistique ou diffusif…), ces nouveaux objets permettent la manipulation des interactions coulombiennes dans des circuits mésoscopiques contrôlés. Il faut noter aussi un domaine d’étude important comme les systèmes hybrides où l’enjeu est de comprendre comment utiliser les propriétés intrinsèques de conducteurs pour mettre en évidence de nouveaux phénomènes quantiques. Par exemple, les supraconducteurs, ayant une fonction d’onde macroscopique et une phase associée, sont des outils naturels de contrôle de la phase des circuits mésoscopiques : ils interviennent dans les expériences d’effet de proximité et dans le domaine des Qubits.

A. Phénomènes quantiques en dimensions réduites

En plus des systèmes tridimensionnels (3D) élaborés par lithographie électronique et dépôt de film métallique, la physique mésoscopique se construit aujourd’hui autour de systèmes de dimensions réduites, 2D, 1D, voire 0D.

Les objets 0D peuvent être de véritables atomes ou molécules (des atomes dans les jonctions à cassure, des fullerènes, des C60 ou métallo-fullerènes, par exemple, voire des nanotubes de carbone), ou bien des atomes artificiels : des boîtes quantiques assez petites pour que l’écart d’énergie entre les niveaux électroniques soit supérieur à la température. De telles boîtes quantiques sont réalisées dans des gaz bidimensionnels d’électrons, dans des nanotubes de carbone, lorsqu’ils sont en contact tunnel avec des électrodes, ou bien encore des nanofils semi-conducteur (InAs, GaAs). Ces « fils moléculaires » peuvent aussi se comporter comme des fils 1D si les contacts aux électrodes sont meilleurs. De façon générale, le couplage aux contacts contrôle le régime de transport et d’interaction.

La manipulation des états de bord 1D de l’effet Hall quantique a également pris une grande importance ces dernières années. Les expériences d’interférence ont révélé la nature de la décohérence entre ces canaux de transport. Le quantum de flux de chaleur porté par un canal unique a également été détecté.

Aux systèmes électroniques 2D à base d’hétérostructures semi-conductrices se sont ajoutés récemment de nouveaux systèmes 2D, obtenus par exfoliation de cristaux. Le graphène (voir aussi I.A), découvert en 2005, est un objet privilégié pour la physique mésoscopique en raison de la possibilité de modifier l’énergie de Fermi de ses porteurs, mais aussi de par sa structure de bande originale (conique et non parabolique, symétrie électron-trou, degré de liberté supplémentaire de type pseudospin…). Expériences et théories se sont intéressées au rôle des diffuseurs (impuretés chargées, résonantes, ondulations du graphène), dont les sections efficaces de collision ont des dépendances angulaires particulières en raison de la structure de bande relativiste. Le graphène balistique, réalisé par suspension du graphène, ou, plus récemment, par encapsulation dans du nitrure de bore, donne lieu à des expériences d’interférences spectaculaires, démontrant par exemple l’effet tunnel de Klein à des interfaces dopage n/dopage p.

B. Effets de charge et interactions fortes

Les effets Coulombiens apparaissent dans de nombreux systèmes mésoscopiques car le confinement d’au moins une dimension augmente les effets d’interaction. Le phénomène principal est le blocage du courant induit par l’interaction. Bien qu’étudié depuis les années 80, il reste d’actualité dans la compréhension du transport dans tout nouveau type de nanostructure, par exemple dans le domaine émergent de l’électronique moléculaire. Le blocage de la charge peut être accompagné de la formation d’un moment magnétique local, donnant lieu entre autres à l’effet Kondo, ou à l’acquisition d’une phase pi dans la relation courant-phase d’une jonction Josephson, ou encore à des caractéristiques courant-tension non linéaires.

Les recherches expérimentales et théoriques récentes se focalisent surtout sur les effets hors équilibre dans ces systèmes en interaction forte, dans des situations stationnaires (polarisation en tension), mais aussi dans le domaine temporel (bruit, détection, single-shot, quench quantiques…). D’importants résultats ont été aussi obtenus ces dernières années, en France et à l’étranger, sur le contrôle et la complexité d’états quantiques locaux. Il peut s’agir de manipuler un spin S>1/2 (effet Kondo sous-écranté), de jouer avec le couplage spin-orbite dans un nanotube de carbone (effet Kondo de symétrie SU(2)), de remplacer le rôle du spin par un autre nombre quantique (effet Kondo de charge)…

Un autre axe prometteur consiste à coupler les états de charge ou de spin d’un point quantique à d’autres degrés de liberté (phonons, fluctuations électromagnétiques d’un circuit ou d’une cavité micro-onde) pour générer de nouveaux comportements. Ceci a permis par exemple de réaliser l’analogue local d’un lien faible dans un liquide de Luttinger, ou bien de générer des régimes de couplage inaccessibles en optique quantique conventionnelle.

Il reste aussi la question de comment intégrer les calculs sur des modèles, qui ont connu récemment de forts développements numériques (NRG, DMRG, VMPS, QMC), dans une approche ab-initio de cette physique.

C. Supraconductivité mésoscopique et systèmes hybrides

Il est connu depuis les années 60 que les corrélations supraconductrices pénètrent dans un matériau non-supraconducteur en contact avec un ou plusieurs supraconducteurs : c’est « l’effet de proximité ». Ainsi un super-courant peut traverser un matériau non supraconducteur (« normal ») quantiquement cohérent. Les recherches récentes sondent les états, dits d’Andreev, qui portent ce super-courant. Les sondes sont la spectroscopie tunnel (appliquée récemment aux nanotubes de carbone), la spectroscopie haute fréquence (jonctions atomiques), ou les relations courant/phase à basse et haute fréquence dans le cas de géométries annulaires (nanotubes, systèmes métalliques).

Dans des circuits mésoscopiques comportant des ferromagnétiques à proximité du supraconducteur, la séparation des temps de relaxations du spin et de la charge a été démontrée. L’effet de proximité dans le graphène a aussi révélé une réflexion d’Andreev particulière, dite spéculaire, à dopage très faible, qui conduit à la destruction de l’effet de proximité dans un régime diffusif. Enfin, des circuits hybrides NS ont été utilisés pour refroidir les électrons.

Des progrès importants ont été réalisés dans le développement de dispositifs originaux en champ proche, avec la combinaison de microscopies par effet tunnel et à force atomique à très basse température et champs magnétiques élevés. Ceci a permis des avancées remarquables, en particulier dans le domaine de la supraconductivité et du confinement des vortex. La fusion de vortex prévue depuis longtemps a été détectée. Le confinement extrême quand la couche supraconductrice est réduite à une monocouche atomique, les effets de proximité, ainsi que les supraconducteurs non conventionnels et des transitions supraconducteur-isolant dans des films ultra-minces sont actuellement très étudiés. La supraconductivité désordonnée a aussi été explorée par transport dans du graphène décoré par des îlots supraconducteurs.

Le champ proche à grille électrostatique balayée permet aussi de sonder des structures mésoscopiques.

En champ proche optique, le développement de nouvelles techniques de spectroscopie « sub-longueur d’ondes » pour mesurer le spectre de photons thermiques a permis la visualisation spatiale et spectrale de la densité locale électromagnétique de nanostructures photoniques et plasmoniques, avec comme perspective le développement d’un NanoFTIR (spectroscopie Infra-rouge) avec une résolution inférieure à 100 nm.

D. Matière topologique en physique des solides et atomes froids

Les isolants topologiques sont des matériaux isolants dans le volume mais qui possèdent des états de bord métalliques. Leur structure de bande est caractérisée par un ou plusieurs invariants topologiques qui les distinguent des isolants de bande traditionnels. À 2D, ils donnent naissance à l’effet Hall quantique de spin, caractérisé par des états de bord 1D polarisés en spin en l’absence de champ magnétique. Les isolants topologiques existent aussi à 3D dans des isolants à base de Bismuth. Les états de bord sont dans ce cas des surfaces métalliques de structure de bande conique similaire au graphène où spin et impulsion sont fortement corrélés. Ces nouveaux états de la matière constituent un sujet d’étude fondamentale, mais, en raison de leur propriété de spin, ils pourraient aussi avoir des applications en spintronique et en optronique.

Les états de surface conducteurs de ces matériaux sont fascinants car ils réalisent une nouvelle classe de conducteurs, qui diffèrent des nanofils ou du graphène 2D. Une activité très importante consiste à sonder ces états de surface par des expériences de physique mésoscopique : effet Aharonov-Bohm, courant permanent porté par le bord d’un isolant topologique 2D. L’enjeu est de comprendre l’impact des spécificités de ces métaux de surface/bord (lien fort entre spin et impulsion, absence de rétrodiffusion à incidence normale, nature spinorielle des fonctions d’onde) sur des propriétés telles que les temps de cohérence de phase, la localisation faible, le courant Josephson.

Le couplage de ces états de surface polarisés en spin avec des supraconducteurs standards conduit à des excitations exotiques de type fermions de Majorana. Plusieurs équipes ont déjà mesuré un supercourant Josephson à la surface d’un isolant topologique 3D, mais l’identification sans ambiguïté de fermions de Majorana reste à faire. Enfin, l’effet des interactions sur la stabilité et la classification des phases topologiques reste encore à explorer.

E. Topologie et atomes froids

Une thématique émergente, à l’intersection de la matière condensée et de la physique atomique, est l’étude de gaz froids d’atomes dans des phases possédant des propriétés topologiques. Il s’agit de réaliser des structures de bandes non-triviales (i.e. caractérisées par un nombre de Chern non-nul) avec des réseaux optiques choisis. Un premier pas dans cette direction a consisté à créer des points de Dirac avec du « graphène artificiel » réalisé avec des fermions froids dans un réseau optique en « nid d’abeille » ou en « mur de briques ».

Les structures de bandes non-triviales se caractérisent par un paysage de courbure de Berry (sorte de champ magnétique dans l’espace réciproque) dans la zone de Brillouin qu’il est possible de mesurer. Une autre activité vise à simuler l’effet d’un champ magnétique pour les atomes. À plus long terme, cela ouvre la voie à la physique des effets Hall quantiques entier et fractionnaire avec des atomes froids fermioniques mais aussi bosoniques. Une approche alternative vers la physique de l’effet Hall quantique fractionnaire avec des atomes froids consiste en la réalisation de structures de bandes possédant une bande plate et un nombre de Chern non-nul. En présence d’interactions, on s’attend alors à l’apparition d’états de type isolant de Chern fractionnaire.

F. Détection quantique

L’électronique quantique a permis des progrès considérables dans la manipulation de bits quantiques (Qubits). Durant ces quatre dernières années, les temps de cohérence ont augmenté de deux ordres de grandeurs pour atteindre la centaine de microsecondes (Transmon en cavité 3D). Au-delà des promesses offertes par le calcul quantique, ce domaine d’ingénierie quantique s’attaque à la compréhension et au contrôle des mécanismes responsables de la décohérence. Des progrès notables dans la lecture d’un état de Qubit et des boucles de rétroactions cohérentes ont pu être faits grâce à la réalisation d’amplificateurs fonctionnant à la limite quantique. L’électronique quantique en cavité micro-onde est devenue le véritable pendant de l’optique quantique en cavité. Elle poursuit ses investigations soit vers la réalisation de nouveaux Qubits (Centres N-V et dopants uniques, boîtes quantiques dans le régime de blocage de Spin, circuits résonants à base de jonctions Josephson…) mais aussi vers la manipulation de photons radiofréquence et la génération d’états non classiques de photons.

L’interface entre conducteur quantique et rayonnement radiofréquence n’est pas uniquement abordée dans le domaine de l’information quantique. Transport et bruit haute fréquence ont permis de sonder les conducteurs quantiques à des fréquences comparables aux énergies mises en jeu dans le transport électronique. De même, la possibilité de réaliser des environnements électromagnétiques de forte impédance, grâce notamment à des chaînes de jonctions Josephson, ouvre un nouveau champ d’investigation vers la génération de rayonnements non classiques et l’étude du transport quantique dans un régime de couplage fort, i.e. lorsqu’on ne peut plus traiter le couplage à l’environnement de manière perturbative.

G. Nano-électromécanique

La thématique des systèmes nano-électromécaniques a fortement évolué ces quatre dernières années. Une étape a été franchie en 2010 au niveau international, avec la détection d’un oscillateur mécanique dans l’état fondamental, détecté par couplage à un Qubit Josephson. Plusieurs groupes ont, depuis, observé des systèmes mécaniques dans leur état fondamental, notamment par refroidissement actif. Le domaine se rapproche de l’optique quantique, car on peut maintenant envisager de traiter les phonons comme des photons, et utiliser la lumière pour la détection et l’actuation (voir aussi Section I.F). La détection et l’actuation à la limite quantique restent l’un des points centraux du domaine, avec la naissance de nouvelles questions, comme la synchronisation quantique, ou la conversion de fréquence entre signaux optique et micro-onde par le biais d’un système mécanique.

L’activité proprement liée au transport électronique a vu l’affirmation des systèmes carbonés suspendus, graphène et nanotubes. Leurs propriétés exceptionnelles en tant que détecteurs de masse ou de force ont été prouvées, ouvrant la voie à la détection des moments magnétiques moléculaires. La détection par spectroscopie Raman a aussi été démontrée, comme la réalisation d’un générateur de courant AC à très bas niveau de consommation ou un démodulateur FM à partir d’un nanotube unique. D’un point de vue théorique les questions liées au couplage fort entre les porteurs de charge et les systèmes mécaniques dans le cas hors-équilibre sont au cœur du problème. Le couplage d’un système mécanique avec des systèmes à deux niveaux (centre NV ou molécules) progresse avec la démonstration de la détection du déplacement d’un nano-fil. Ce sujet se situe à la frontière de l’optique et du champ proche.

III. Magnétisme et électronique de spin

Dans le domaine du magnétisme, les chercheurs de la section étudient aussi bien l’origine microscopique de l’aimantation (magnétisme quantique, magnétisme frustré, etc.) que les phénomènes collectifs liés à cette aimantation (domaines, dynamique, manipulation, effets sur le transport électrique, etc.). Nous décrivons ici ce second axe, le premier étant traité dans la section consacrée aux systèmes corrélés (voir en particulier IV.E). Les objectifs des études se situent selon deux volets – souvent indissociables – à savoir la compréhension des comportements magnétiques en basse dimension, le nano-magnétisme, et l’implication du magnétisme ou des textures magnétiques dans le transport électronique, l’électronique de spin. De façon générale, le dynamisme de cette thématique résulte d’une part d’une synergie entre théoriciens, physiciens expérimentateurs et chimistes motivés par le développement de nouveaux matériaux, d’autre part du spectre étendu des stimuli auxquels l’aimantation d’un matériau réagit de manière directe ou indirecte et pour finir des possibilités de mise en forme et fonctionnalisation permises dans les centrales de technologie.

En nano-magnétisme, la plupart des recherches actuelles concernent l’étude des arrangements de moments au sein de textures magnétiques comme les parois magnétiques, les skyrmions ou vortex. On s’intéresse non seulement à la structure interne de nano-objets magnétiques et à leurs interactions mais aussi à leur dynamique ainsi qu’à leur manipulation par différentes méthodes. Les progrès récents des méthodes expérimentales en termes de résolutions spatiale et temporelle, comme des méthodes de simulation numérique (codes en éléments finis, prise en compte des effets thermiques, etc.) sont à la base des évolutions dans le domaine. D’un point de vue simulations, des codes de calculs GPU font leur apparition offrant des vitesses de calcul en laboratoire cent à mille fois supérieures aux solutions CPU traditionnelles. De plus, des combinaisons micromagnétique – atomistique apparaissent permettant de décrire de petits objets (vortex, point de Bloch, skyrmions). D’un point de vue de l’observation, diverses microscopies magnétiques complémentaires se développent. Il convient de signaler la microscopie à champ proche effectuée à l’aide de défauts dans le diamant. Il faut insister sur les aspects non perturbatifs, rares en champ proche, et quantitatifs de cette technique. Les microscopies électroniques plein champ de Lorentz et holographiques, bien adaptées aux études en temps réel avec une résolution de l’ordre de 5 nm, se sont, elles, déjà bien développées dans les dernières années, soutenues par le réseau de microscopie METSA. Les microscopies PEEM et STXM sont en phase de démarrage à SOLEIL. En spintronique, les développements récents dans le domaine se caractérisent par des progrès notables dans le domaine des matériaux et la compréhension des configurations du micro-magnétisme. Les effets comme le transfert de spin qui découlent des travaux antérieurs sur la magnétorésistance géante continuent à être étudiés avec un regain d’intérêt pour les hétérostructures à aimantation perpendiculaire qui présentent certains avantages pour les applications. Ils cèdent peu à peu leur place à de nouvelles tendances comme l’oxytronique i.e. l’utilisation de nouveaux matériaux comme les oxydes, la spincaloritronique i.e. l’utilisation contrôlée de gradients de température, la spinorbitronique [effets Hall de spin (direct et inverse) et effets spin-orbite aux interfaces] ou la magnonique. Enfin, de nouveaux thèmes se développent depuis quelques années à l’interface entre la spintronique et les autres grands domaines de la physique de la matière condensée : semi-conducteurs, physique mésoscopique, électronique moléculaire, etc.

A. Ingénierie des interfaces et couplages à l’interface

Après de nombreuses études sur l’anisotropie perpendiculaire induite par des interfaces, les interactions chirales induites par le couplage spin-orbite à une interface font aujourd’hui l’objet de nombreuses études. On appelle spin-orbitronique l’ensemble des propriétés induites par le spin-orbite en nano-magnétisme et spintronique.

1. Couplage spin-orbite aux interfaces et interactions chirales de type DMI

Dans les matériaux massifs dont la symétrie d’inversion est brisée, l’interaction « Dzyaloshinskii-Moriya », conduit à des structures magnétiques complexes de type spirales, hélices. Dans les films magnétiques ultra-minces dont l’une des interfaces inclut un matériau avec un fort couplage spin-orbite, ce type d’interaction peut apparaître et avoir un fort impact sur les configurations de parois. De manière indirecte, dans des pistes submicroniques Pt/Co/AlOx, l’effet de l’interaction « Dzyaloshinskii-Moriya » a ainsi permis d’expliquer la dynamique anormale de parois de domaines sous courant polarisé en spin avec des vitesses de propagation très élevées. Récemment, il a été montré qu’en jouant sur les interfaces et les matériaux, l’interaction « Dzyaloshinskii-Moriya » peut être modulée, y compris en signe. Révélés récemment dans les films minces magnétiques, les skyrmions, autre classe de textures magnétiques chirales, sont des solitons topologiques d’extension spatiale d’environ 5 à 10 nm, topologiquement protégés, tolérants aux défauts. Des simulations micro-magnétiques indiquent qu’ils seront faciles à déplacer sous courant polarisé en spin, ce qui les rend attrayants pour le stockage de données à ultra-haute densité et le traitement de l’information. Des réalisations expérimentales de nucléation et annihilation de ces structures sont en cours et agitent la communauté du nano-magnétisme.

2. Effets Hall de spin, effets spin-orbite aux interfaces

On réalise également que les interfaces jouent, à travers le couplage au transport, un rôle fondamental en spintronique. Dans cette perspective, sont actuellement développées des études d’ingénierie des interfaces pour contrôler les effets Hall de spin (direct ou inverse) et Rashba. Il s’agit ici de générer ou détecter des courants de spin en utilisant notamment des matériaux à fort couplage spin orbite au voisinage de matériaux magnétiques, pour l’injection et la détection. Le matériau support de la transmission peut être un métal, un semi-conducteur ou bien un isolant. Il est à noter un fort engouement pour le système YIG/Pt pour lequel des transmissions de l’information de spin sur des millimètres ont pu être rapportées et ont motivé une partie de la communauté. En parallèle, des développements matériaux pour renforcer le taux de conversion courant de charges/courant de spin ont été entrepris.

B. Couplage à de nouveaux degrés de liberté

On s’intéresse ici au contrôle de l’état magnétique par des procédés autres que ceux de l’application classique d’un champ magnétique : courant polarisé en spin, champ électrique ou électromagnétique, déformation ou température. D’un intérêt fondamental certain, ces couplages sont également d’intérêt pour les applications spintroniques ou pour l’étude de circuits neuronaux artificiels pour le traitement cognitif de l’information.

Transfert de spin

Les effets de transfert de spin recouvrent la physique des interactions entre un fort courant polarisé en spin et l’aimantation d’un corps ferromagnétique. Le couple associé à cette interaction permet de manipuler l’aimantation uniquement par transfert du moment angulaire de spin depuis un flux de spins porté par le courant électrique. Lorsqu’un renversement de l’aimantation ou une propagation de paroi est obtenu, ces effets ont permis le développement de mémoires magnétiques non volatiles sous forme de piliers (STT-RAM) ou pistes (racetrack memory). Les enjeux se sont focalisés sur la réduction du courant de retournement qui a pu être obtenue en jouant sur les matériaux, leur direction d’aimantation ou la géométrie d’injection du courant, notamment perpendiculaire aux parois. Lorsqu’une précession est engendrée, le transfert de spin permet la génération et la modulation de signaux radiofréquences dans la gamme 100 MHz-60GHz, associés à la dynamique magnétique hyperfréquence induite par transfert de spin. Plusieurs problèmes importants restent à ce jour à améliorer tels que la puissance émise et la largeur de raie (notamment par la synchronisation des oscillateurs). Enfin, récemment, une solution alternative et innovante basée sur des couples liés à l’interaction spin-orbite a récemment émergé pour agir sur la configuration magnétique statique ou dynamique d’une nanostructure magnétique à partir de l’injection de spins polarisés par des matériaux non magnétiques à fort couplage spin orbite en contact avec le ferromagnétique.

Champ électrique

De nombreuses tentatives de contrôle électrique de l’aimantation par un champ électrique ont récemment été reportées dans la littérature. Dans un premier cas, il est particulièrement efficace aux interfaces avec les métaux ou dans le cas des SC magnétiques dilués présentant un faible nombre de porteurs et dans lesquels magnétisme et conduction sont liés. Dans un second cas, un contrôle électrique à température ambiante est aussi obtenu dans des hétéro-structures combinant des matériaux multiferroïques tel que BiFeO3, un matériau antiferromagnétique et ferroélectrique, et des métaux de transition magnétiques. En changeant la configuration en domaines ferroélectrique-antiferromagnétique, un contrôle du couplage d’échange à l’interface est observé. Les composés intrinsèquement multiferroïques sont cependant peu nombreux. C’est pour cela que les combinaisons, plus nombreuses, de matériaux magnétiques et de matériaux piézoélectriques ou ferroïques ouvrent la voie également au contrôle de l’anisotropie magnétique ou de la température de transition (température de Curie ou de transition entre deux phases magnétiques) par la contrainte imposée par un champ électrique sur le substrat.

Excitation par la lumière

L’interaction lumière-matière s’invite en nano-magnétisme et électronique de spin. Le retournement déterministe de l’aimantation à l’aide d’impulsions laser ultra-rapides a été étendu à une large classe d’alliages et de multicouches, dépourvus de terre rare et compatibles avec les dispositifs spintroniques. L’étude de la dynamique d’aimantation à l’échelle femto-seconde se trouve renforcée par ces découvertes avec de nouveaux éléments de compréhension obtenus dans les multicouches, alliages et structures en domaines de bandes. De telles échelles de temps posent également de nouvelles questions fondamentales, comme le rôle de la vitesse du son dans l’établissement de la contrainte. Les excitations lumineuses ont également été utilisées pour l’adressage des défauts dans les couches isolantes de jonctions tunnel montrant leur impact sur le transport tunnel dépendant du spin et des symétries.

Excitation par la température

Une tendance récente consiste à utiliser les gradients de température soit pour manipuler directement l’aimantation d’un matériau (position d’une paroi de domaines par exemple), soit pour générer des tensions ou des courants purs de spin, permettant soit de lire l’état magnétique d’un dispositif soit de retourner l’aimantation par effet de couple de transfert de spin. Cette nouvelle discipline, appelée spin caloritronique, est motivée par les applications dans le domaine de la récupération d’énergie où les dispositifs électroniques seraient alimentés par les flux de chaleur et non plus par les sources d’énergie électrique conventionnelles. Les notions de thermoélectricité dépendante du spin, spin Seebeck, effet Nernst anormal ont émergé et font débat dans la communauté.

C. Magnonique

La magnonique (génération, propagation, et interférences d’ondes de spin (OS) guidées dans des nanostructures) est un domaine en pleine expansion. Les OS sont utilisées comme un vecteur pour la transmission et la transformation ultra-rapides de signaux électriques à l’échelle nanométrique. La formation des solitons à 1D ou 2D, les différents types de l’instabilité paramétrique, les processus de renversement du front d’onde et la condensation de Bose-Einstein à température ambiante sont quelques exemples de sujets qui ont été très étudiés. Les recherches sur les dispositifs magnoniques reconfigurables pour lesquels les structures de bandes peuvent être reprogrammées pendant l’opération ont été entreprises. En ce qui concerne les matériaux utilisés, les ferrites, notamment le grenat d’yttrium, restent privilégiés, grâce au faible amortissement des OS dans ces matériaux. Les matériaux métalliques présentent des longueurs de propagation beaucoup plus faibles et posent à ce jour les problèmes d’excitation et de détection des OS. Une solution envisagée pour résoudre ces problèmes est l’utilisation des nano-oscillateurs à spin-torque pour convertir le courant continu en oscillations d’aimantation aux fréquences micro-ondes. Un autre défi à relever est la fabrication de cristaux magnoniques 3D ou, par exemple, l’étude de la propagation des magnons dans les antiferromagnétiques. L’association des cristaux magnoniques avec les hétérostructures multiferroïques ou matériaux piézoélectriques peut permettre de développer davantage le contrôle des OS. Récemment découverts, les réseaux magnétiques formés par les skyrmions et la glace de spin artificielle stimuleront davantage les recherches sur les cristaux magnoniques.

D. Semi-conducteurs et conducteurs bidimensionnels

Les travaux sur le potentiel des semi-conducteurs pour la spintronique continuent avec comme motivations la possibilité de déplacer des parois avec de faibles densités de courant, de transporter le signal de spin sur de longues distances, l’opportunité de transformer l’information stockée via le spin en polarisation lumineuse (cohérente ou non) et inversement, ainsi que de manipuler le signal en variant la concentration de porteurs. De nouveaux développements ont été obtenus pour la spintronique avec graphène. Initiés avec la perspective de longs temps de vie du spin (lié au faible couplage spin orbite intrinsèque) et de très fortes mobilités, ces travaux ont aujourd’hui permis de démontrer le potentiel du graphène comme plate-forme pour le transport de spin, avec notamment la réalisation du triptyque injection/propagation/détection d’un courant de spin. Au-delà de ces propriétés de transport latéral, de nouvelles opportunités ont émergé et ont motivé de nombreuses propositions théoriques. Les premières études sont en cours : greffage de molécules organiques, magnétisme induit, barrière tunnel pour l’injection, membrane filtre à spin, etc. Par ailleurs, s’inscrivant dans la suite du graphène, de nouveaux matériaux bidimensionnels sont aujourd’hui à l’étude pour la spintronique (semi-conducteur tel que MoS2, isolant tel que h-BN, seul ou au sein d’hétéro-structures h-BN/Graphène).

E. Spintronique moléculaire et spin-terface

La spintronique moléculaire est un domaine de la nano-électronique aux perspectives prometteuses tant pour la réalisation de circuits utiles au stockage de données que pour le domaine de l’information quantique. La combinaison de matériaux banals tels que du cobalt (Co) et des molécules engendre une interface au sein d’un dispositif capable de filtrer en spin 84 % du courant qui la traverse. L’effet nécessite une seule molécule, ce qui laisse présager des nano-dispositifs. Dans un transistor métal-molécule-métal, les phénomènes de conduction peuvent aussi être de nature quantique, et la physique associée extrêmement riche. En effet, outre des applications de type mémoire magnétique et électronique, ces transistors permettent d’étudier les effets quantiques qui apparaissent à l’échelle nanométrique (effet tunnel, contrôle d’un spin unique, décohérence, etc.)

F. Oxytronique

L’électronique à base d’oxydes (« oxytronique ») est actuellement une voie prometteuse pour le développement d’une électronique « Beyond-CMOS » combinant plusieurs fonctionnalités sur la même puce. Même si l’oxytronique n’en est qu’à ses débuts, des résultats notables ont été obtenus. La découverte d’un gaz bidimensionnel à l’interface entre deux oxydes isolants, SrTiO3 et LaAlO3, a motivé beaucoup d’études qui ont permis de mettre en évidence la coexistence du magnétisme et d’une supraconductivité bidimensionnelle à cette même interface. Ces études se sont récemment élargies à d’autres combinaisons de matériaux. De même la démonstration du contrôle électrique de la polarisation en spin dans des jonctions tunnel magnétiques à barrière ferroélectrique ou le contrôle électrique non volatile, via l’utilisation d’un ferroélectrique, dans des composants de type FET, du magnétisme, de la supraconductivité ou de la conduction d’un isolant de Mott, démontrent le potentiel de ces matériaux pour une nouvelle électronique ou spintronique.

IV. Fortes corrélations et nouveaux ordres électroniques

Les systèmes à fortes corrélations, en particulier électroniques, connaissent de nombreux développements expérimentaux et théoriques. La découverte de nouveaux composés aux propriétés très diverses renouvelle continuellement l’étude de problèmes variés tels que la transition métal-isolant, la supraconductivité non conventionnelle, le magnétisme quantique, ou la superfluidité. La coexistence au sein d’un même matériau de propriétés parfois antinomiques a donné naissance à de nouvelles directions de recherche telles que les isolants topologiques (discutés précédemment dans la section II.D), isolants en volume mais conducteurs en surface, ou les matériaux multiferroïques où les ordres magnétiques et électriques sont présents simultanément. Bien que d’essence fondamentale, les études sur les systèmes fortement corrélés ont des applications pratiques dans des domaines comme la thermoélectricité, la supraconductivité, les matériaux magnétiques fonctionnels. La grande richesse des systèmes corrélés vient aussi de la possibilité de contrôler – au moins partiellement – leurs propriétés physiques en jouant sur le dopage chimique, la pression hydrostatique ou le champ magnétique ou électrique.

L’étude des composés à fortes corrélations s’appuie sur un ensemble de techniques expérimentales souvent sous conditions extrêmes de température, de champ magnétique ou de pression : mesures thermodynamiques ou de transport (électrique, thermique, ou thermoélectrique), méthodes de spectroscopie à l’échelle globale (RMN, RPE, Raman, muons, ARPES, neutrons, rayons X) ou locale (microscopies et spectroscopies de champ proche), diffractions X ou neutroniques, en particulier sur les TGIR (voir VI).

Ces techniques sont en constante évolution dans le but d’améliorer la résolution spatiale, temporelle ou en énergie ou de les conjuguer (très fort champ magnétique statique ou pulsé et diffraction). De nouvelles techniques voient ainsi le jour, comme le laser-ARPES capable d’atteindre des résolutions sub meV, donc d’accéder aux énergies caractéristiques des corrélations, ou la méthode d’interférence de quasiparticule (QPI) par STM donnant une image des propriétés électroniques à l’échelle du nm. Les mesures pompe-sonde à l’aide de lasers femtosecondes permettent de remonter à la dynamique ultra-rapide des électrons. Ces techniques deviendront incontournables dans l’avenir pour appréhender la complexité des systèmes d’électrons fortement corrélés.

Sur le plan théorique, des développements méthodologiques (e.g. extensions en cluster du champ moyen dynamique – DMFT), algorithmiques (e.g. Monte Carlo Quantique diagrammatique) ou encore des théories effectives de basse énergie (e.g. modèle de dimères quantiques) apportent un gain considérable dans la compréhension globale des diagrammes de phase des composés à fortes corrélations et permettent une comparaison directe avec les expériences.

A. Les matériaux

Parmi les faits marquants de ces dernières années, on peut citer la découverte en 2008 d’une nouvelle famille de supraconducteurs à haute température, à base de fer : les pnictures. Leur étude pourrait permettre d’élucider l’origine de la supraconductivité à haute température. Pour être présente dans ce domaine très compétitif, la communauté s’est structurée au plan national avec un dialogue permanent entre physiciens et chimistes dont l’apport est essentiel pour la synthèse de monocristaux de haute qualité, sous peine d’un retard souvent fatal dans la compétition internationale.

Un autre sujet en plein développement est celui des oxydes complexes de métaux de transition (voir aussi III.F). Ces matériaux fonctionnels ont de nombreuses propriétés, modulables entre autres grâce à la stœchiométrie en oxygène, et intéressantes tant du point de vue fondamental qu’appliqué : magnétorésistance géante, filtrage de spin, magnétisme frustré, supraconductivité non conventionnelle, multiferroïcité, propriétés thermoélectriques, etc. Récemment, un progrès important a été de réaliser des hétérostructures d’oxydes fonctionnels en empilant des couches nanométriques avec des interfaces atomiquement abruptes grâce à diverses techniques d’élaboration physique : ablation laser, épitaxie par jets moléculaires, co-pulvérisation réactive, etc. Ces hétérostructures permettent de stabiliser des nouvelles phases et interfaces, et d’obtenir de nouvelles fonctionnalités. En particulier, comme pour les semiconducteurs usuels, on peut créer un gaz électronique 2D de haute mobilité dans des hétérostructures d’isolants de bande (e.g. LaAlO3/SrTiO3). La possibilité de contrôler par une tension de grille les propriétés de ces hétérostructures permet d’envisager des matériaux à fort potentiel applicatif : électronique tout oxyde, multiferroïques artificiels (BiFeO3, YMnO3), structures de type SrTiO3/Nb-SrTiO3 présentant des effets thermoélectriques, etc. Sur le plan fondamental, les hétéro-structures artificielles offrent un angle d’attaque original pour l’étude des phases électroniques fortement corrélées, un exemple étant l’induction de la supraconductivité à l’interface entre deux oxydes isolants ou l’épitaxie de FeSe induisant une augmentation importante de la température critique.

B. Au-delà de l’interaction Coulombienne

La transition de Mott est un ingrédient fondamental de la physique des systèmes à fortes corrélations sous-jacente à la supraconductivité à haute Tc ou à l’apparition d’ordres magnétiques complexes. Habituellement l’interaction entre le spin de l’électron et les moments orbitaux locaux se limite à l’interaction coulombienne et l’exclusion de Pauli. Les oxydes à base d’iridium (iridates) présentent en plus une forte interaction spin-orbite menant à des interactions très anisotropes et des structures magnétiques frustrées, voire des comportements exotiques (isolant de Weyl, liquide de spin quantique). Une tendance actuelle est d’étudier les propriétés de ces composés et les mécanismes mis en jeu lors de la transition de Mott par des méthodes microscopiques en combinant spectroscopie et manipulation de l’état de charge.

L’origine des corrélations fortes ne se limite pas à la proximité d’une transition de Mott, le couplage de Hund peut aussi être à l’origine de corrélations électroniques dans des métaux, comme le montrent des calculs LDA+DMFT dans le cas des ruthénates et des supraconducteurs à base de fer.

C. La supraconductivité non conventionnelle

Un enjeu majeur de la recherche actuelle sur la supraconductivité non conventionnelle est son lien, voire sa coexistence, avec d’autres phases présentant un ordre de charge ou un ordre magnétique. La présence et le rôle des transitions de phase quantiques sont ainsi discutés aussi bien pour les composés à fermions lourds que pour les cuprates, les supraconducteurs organiques et les pnictures. Cette famille de supraconducteurs à base de As, Se, Te s’est montrée très riche tant en nombre de composés découverts qu’en phénomènes révélés. Des expériences de spectroscopie Raman explorent l’origine de l’ordre nématique de charge (brisant la symétrie de groupe ponctuel mais pas celle de translation) apparaissant lors de la transition structurale précédant l’apparition de la supraconductivité dans les pnictures.

Un ordre de charge dans YBCO sous-dopé a été découvert par RMN, un ordre induit sous champs magnétiques intenses, qui coïncide avec la restructuration de la surface de Fermi dans la partie sous-dopée du diagramme de phase. L’ordre de charge a été confirmé par diffraction de rayons X dans YBCO, puis dans d’autres composés : Bi2212, Bi2201 et Hg1201. On pense que les propriétés électroniques anormales, observées dans l’état pseudogap, pourraient être une conséquence de l’apparition de corrélations de charge.

D. Compétition et coexistence des différents ordres

Une des particularités des systèmes à fortes corrélations est la vaste variété d’états fondamentaux accessibles. Ceci conduit à une compétition très forte entre ces états à différentes échelles, macroscopique, microscopique, ou même atomique lorsque le même site est impliqué dans les différents types d’ordre. L’apparition d’un ordre de charge provoque un déplacement ionique qui va être amplifié par le couplage électron-phonon induisant un ramollissement du réseau.

À l’échelle macroscopique, la compétition peut induire une séparation de phases comme dans les composés moléculaires, les fermions lourds ou dans les manganites, où elle serait à l’origine de la magnétorésistance colossale. À l’échelle microscopique, elle peut conduire à une modulation du paramètre d’ordre avec un vecteur d’onde précis et la formation de bandes (« stripes ») révélée par diffraction X ou neutronique, microscopie en champ proche ou RMN.

Ainsi, la coexistence entre la supraconductivité et le magnétisme apparaît également dans les supraconducteurs sous fort champ magnétique : phases FFLO dans les supraconducteurs moléculaires, phases supraconductrices ferromagnétiques avec appariement triplet ou phases antiferromagnétiques réentrantes dans les fermions lourds. Enfin, une coexistence de phases à l’échelle atomique a été observée par RMN dans les pnictures.

La supraconductivité peut aussi être en compétition avec un ordre non magnétique, par exemple avec un état d’onde de densité de charge, comme dans les chalcogénures ou les composés moléculaires. De façon générale, la compréhension de ces phénomènes de compétition ou coexistence est une clef pour mieux cerner l’origine de la supraconductivité non conventionnelle.

Même en l’absence de compétition, deux ordres très faiblement couplés peuvent coexister spontanément, comme dans les composés multiferroïques. La mise en évidence de la réalité et l’amplitude du couplage demande la mise en œuvre d’un ensemble de techniques expérimentales (conductivité optique ou électrique, spectroscopies Raman, imagerie magnéto-optique, chaleur spécifique, polarisation) mais demande surtout des mesures couplées comme rayons X et champs intenses, avec comme objectif d’optimiser la synthèse de nouveaux matériaux avec des propriétés encore plus remarquables.

Une nouvelle tendance consiste à utiliser le principe des hétérostructures artificielles ou la construction de matériaux nouveaux à partir de briques fonctionnelles.

E. Magnétisme quantique et Magnétisme frustré

Les corrélations électroniques fortes peuvent conduire à une localisation de Mott. Les degrés de liberté de spin et d’orbite électroniques peuvent générer de nouveaux phénomènes magnétiques. Les fluctuations quantiques et la frustration magnétique sont alors des paramètres pertinents à basse température, notamment à basse dimensionnalité et pour des valeurs faibles du spin. Les deux effets peuvent empêcher une mise en ordre magnétique « classique » et stabiliser des états magnétiques exotiques ou non magnétiques, comme les cristaux de valence ou les liquides de spin. Ces nouveaux états de la matière ne sont encore que partiellement compris. De même, comprendre les interactions nécessaires pour stabiliser ces nouveaux états ainsi que les transitions de phase (quantiques ou à température finie) y menant est particulièrement pertinent expérimentalement. Ceci peut être étudié tant en présence de variables externes (pression, champ magnétique) qu’internes (dopage).

L’une des caractéristiques des systèmes frustrés est la présence de nombreux états de basse énergie en compétition qui enrichissent l’analyse théorique et expérimentale. Outre les fluctuations quantiques, cette grande dégénérescence peut être levée par des irrégularités structurelles (défauts, encombrement stérique), ou des termes dans le Hamiltonien habituellement mineurs (interactions de second ordre, anisotropie) conduisant à une grande variété de phases : ordre magnétique, liquide, verre ou encore glace de spins. Récemment, la synthèse de composés très purs et l’utilisation de techniques expérimentales de pointe pertinentes (RMN, diffusion de neutrons, spectroscopie de muons, champs magnétiques intenses) ont permis des avancées importantes. Parmi les résultats marquants, citons l’observation de propriétés originales de l’état fondamental (chiralité, dégénérescence topologique), d’excitations magnétiques exotiques (fractionnaires comme les spinons, ou bien monopoles magnétiques dans les glaces de spin) ou de réponse en champ non triviale (plateaux d’aimantation). Enfin, l’observation directe des configurations magnétiques de nanostructures en frustration dipolaire premiers voisins permet de remonter aux configurations et de confronter les mesures aux modèles statistiques de la frustration magnétique. Les effets de l’interaction dipolaire longue portée entre nanostructures ont notamment été reportés.

Les perspectives consistent, entre autres, en l’étude de la frustration dans des composés 3D à spin ½, du dopage de phases liquide ou glace de spin (obtention d’une supraconductivité ou d’une transition de Mott inhabituelles), ainsi que du rôle du couplage spin-orbite dans les composés frustrés (relation avec les isolants topologiques), et plus généralement du comportement de ces systèmes en présence de plusieurs degrés de liberté (spin, orbite, charge, réseau).

F. Fluides et solides quantiques

Par essence, le terme de fluides ou de solides quantiques s’applique à pratiquement tous les systèmes à fortes corrélations, des liquides de Fermi ou de Luttinger aux cristaux de Wigner électroniques. Les différentes phases des deux isotopes de l’hélium mais aussi les systèmes d’atomes ultra-froids, ou plus récemment, de polaritons forment des systèmes modèles de bosons ou fermions fortement corrélés.

La cohérence superfluide permet d’accéder à des nouveaux régimes de transitions de phases, le confinement dans des dimensions nanoscopiques ou dans des milieux poreux permet d’étudier l’influence de la dimensionnalité et du désordre sur la superfluidité des deux isotopes. La turbulence superfluide de l’hélium 4 (He4) est au cœur d’une action concertée entre différents laboratoires, et la visualisation directe des vortex est un sujet d’actualité. De nouvelles méthodes de détection basées sur l’interaction entre les quasi-particules et des résonateurs de taille méso ou nanoscopique (diapasons, MEMS et NEMS) donnent un accès privilégié aux propriétés microscopiques du superfluide.

L’hélium 3 (He3) normal reste un modèle irremplaçable de liquide de Fermi en forte interaction. Ses propriétés dynamiques sont aujourd’hui l’objet de calculs microscopiques ab-initio, partant des interactions réalistes entre atomes prenant en compte les corrélations dynamiques. Au niveau expérimental, les études neutroniques aux très basses températures montrent un spectre d’excitations à des énergies intermédiaires (comparables à l’énergie de Fermi) et des vecteurs d’onde atomiques. La transition entre le liquide de Fermi et la phase solide Mott-Hubbard à 2D présente des caractéristiques similaires à celles d’autres systèmes (fermions lourds, supraconducteurs HTc) : on retrouve les concepts de frustration, liquide de spin, séparation spin-charge, ondes de densité de charge, etc.

En phase solide, les efforts se sont concentrés sur la compréhension du phénomène mystérieux initialement associé à une possible supersolidité de l’He4. Il a été montré que les effets observés relèvent de la « superplasticité », associée à la mobilité des dislocations et leur piégeage par des traces d’impuretés d’He3.

Du fait de ses propriétés spécifiques, comme de ses faibles interactions avec les autres atomes, il est en effet un système modèle pour l’étude de phénomènes très généraux : transitions de phases et phénomènes critiques, mouillage et absorption, cavitation, cristallisation, phénomènes prédisruptifs dans les liquides isolants, etc.

V. Modélisation

Au sein de la section, diverses approches théoriques sont utilisées pour appréhender le comportement quantique des électrons, que ce soit dans la physique des SC (confinement dans les nanostructures, cohérence des excitations de charge ou de spin), le transport (transport balistique, spintronique), les effets de corrélations fortes pilotant les diagrammes de phase (supraconducteurs de basse dimensionnalité ou non conventionnels, composés à fermions lourds, manganites, cobaltates…), les effets de dopage, etc. La difficulté essentielle consiste à prendre en compte les effets de corrélation et/ou de décohérence. Dans le premier cas, une large gamme de méthodes (exactes ou approximatives, analytiques ou numériques) est disponible, et le choix d’une approche en particulier s’effectue selon l’importance des effets de corrélation, le degré de précision inclu dans le modèle étudié ou le pouvoir prédictif demandé. La décohérence, elle, doit être traitée au travers de modèles phénoménologiques par une combinaison d’approches analytiques et numériques.

Un effort important est porté sur le traitement des effets de corrélation par des modèles théoriques et des simulations ab initio quantiques, au-delà des codes à disposition de la communauté (ABINIT, VASP, QuantumEspresso…), que ce soit pour la description de l’état fondamental (y compris le développement de nouvelles fonctionnelles d’échange et de corrélation, par exemple pour décrire les interactions de van der Waals), ou pour traiter les états excités électroniques (développement de méthodes spécifiques : time-dependent density functional theory (TDDFT), many-body perturbation theory (MBPT) comme le GW ou la Bethe-Salpeter equation (BSE), dynamical mean field theory (DMFT), etc. La France a une place reconnue dans certains de ces domaines. Des efforts méritent d’être faits concernant des approches en forte expansion telles que le Monte Carlo Quantique. De façon générale, on est encore loin de pouvoir traiter les systèmes très corrélés de manière routinière.

Les approches ab initio sont actuellement développées pour étudier la réponse des systèmes à des perturbations de nature diverse : excitation de phonons et simulation de la réponse Raman, excitation de plasmons et simulation des spectres de perte d’énergie, excitation magnétique et simulation de la réponse RMN, etc. Le traitement du couplage électron-phonon est également important dans la description du transport électronique ou de la supraconductivité.

Toutefois, au-delà de ce niveau quantique ab initio, d’autres outils deviennent nécessaires dès que la taille des systèmes augmente, que les temps caractéristiques deviennent plus longs ou qu’une compétition entre divers états fondamentaux se produit. Dans ce but, des techniques semi-empiriques, dont la paramétrisation est effectuée sur des calculs ab initio, continuent à être développées, telles les méthodes de type liaisons fortes, auto cohérentes ou non (Hartree-Fock semi empirique, DFTB, SMA, etc.). Ces techniques sont à la base de la simulation de nano-objets, par exemple des agrégats métalliques ou les aimants moléculaires de plusieurs centaines d’atomes, dont les caractéristiques magnétiques dépendent fortement de la taille, mais aussi de la forme et de la composition chimique. Elles permettent également de décrire les effets d’auto-organisation des agrégats nus ou fonctionnalisés, des interfaces complexes (systèmes hybrides, hétérostructures, couches minces pour l’électronique ou l’électronique de spin, nano-objets en contact avec leur environnement), des objets complexes (empilements twistés de plans de graphène), etc. Tout à l’autre bout, les méthodes de type fonction enveloppe sont toujours très utiles. Enfin, l’utilisation des calculs atomistiques ab-initio pour paramétrer les processus de diffusion (phonon-phonon, électron-phonon, électron-défaut…) dans les méthodes mésoscopiques (formalisme semi-classique de Boltzmann, de Bloch-Boltzmann, équation maîtresse pour la matrice densité…) ouvre la possibilité de décrire et prédire les propriétés thermiques, électriques et thermoélectriques des matériaux sans aucun paramètre empirique.

Complémentaire à l’approche ab initio, le traitement d’hamiltoniens modèles décrivant la physique de basse énergie des systèmes fortement corrélés nécessite souvent une approche numérique. La complexité du problème à N corps quantique décrit par ces hamiltoniens fait qu’il n’existe aucune méthode de résolution générique et efficace.

Dans certains cas, il est nécessaire de traiter exactement les interactions entre particules, sans approximation. La technique de diagonalisation exacte est en pratique limitée par la croissance exponentielle de l’espace de Hilbert. Pour des systèmes 1D, la méthode du groupe de renormalisation de la matrice densité (DMRG) est alors particulièrement efficace. Des concepts provenant de l’information quantique (états produits de matrice) ont récemment permis des avancées considérables dans cette méthode (traitement de problèmes dépendant du temps, de la température). La généralisation de ces concepts (états produits de tenseurs) peut déjà permettre de s’affranchir de la limite 1D. Pour les problèmes de spins ou de bosons en interaction, les méthodes stochastiques (Monte Carlo Quantique) sont probablement les plus efficaces. Une difficulté fondamentale (« problème de signe ») les rend toutefois moins performantes pour les systèmes fermioniques au cœur des considérations de la section (modèle de Hubbard, magnétisme frustré). Une direction future consiste à essayer de minimiser le problème de signe pour les modèles les plus intéressants.

Dans d’autres cas (soit par absence d’alternatives, soit pour des interactions intermédiaires), des méthodes approximatives doivent être développées. Dans ce cadre, le champ moyen dynamique (DMFT) a permis des avancées considérables sur le problème de fermions en interaction, en particulier pour expliquer la transition de Mott. La DMFT transforme le problème originel en celui d’un modèle d’impureté quantique plongée dans un bain auto-cohérent. Le modèle effectif est alors résolu par un solver, généralement une des méthodes numériques évoquées plus haut. Récemment, le modèle effectif a été affiné en utilisant plusieurs impuretés quantiques (cluster-DMFT), et de nouveaux solvers numériques (notamment stochastiques) plus efficaces ont été développés. Ces avancées techniques ont permis de décrire en détail plusieurs caractéristiques du diagramme de phase des supraconducteurs à haute Tc, et aussi d’aborder l’étude de la dynamique des systèmes fortement corrélés, notamment hors équilibre. Elles sont appelées à se développer.

Des efforts importants seront encore nécessaires pour permettre à chacune des communautés ab initio, physique mésoscopique et corrélations fortes de s’enrichir mutuellement. Trop souvent, elles s’ignorent. À ce titre, des participations croisées aux réseaux nationaux ou internationaux revêtent une importance toute particulière pour faire émerger les approches hybrides où les résultats obtenus ab initio permettraient de guider le choix des paramètres introduits dans les hamiltoniens modèles.

En effet, la combinaison des techniques ab-initio avec celles des systèmes fortement corrélés, telles que (DFT ou GW) + DMFT (et ses extensions), est très prometteuse et a déjà permis, par exemple, une description détaillée de la structure électronique des supraconducteurs à haute Tc comme les pnictures à base de fer, et la transition de Mott dans plusieurs composés comme les vanadates. Parallèlement, les approches par Monte Carlo quantique ont été transférées aussi du domaine des modèles sur réseau aux applications directes sur les systèmes ab-initio, avec des premiers résultats remarquables, par exemple, dans la physique du fer, des pnictures, des cuprates et du cérium. Les méthodes hybrides et le Monte Carlo quantique appliqués aux systèmes réels bénéficient d’un développement technique rapide et de l’accès à des supercalculateurs de plus en plus performants, qui permettent d’attaquer des problèmes de plus en plus complexes.

En parallèle à toutes ces approches numériques, il est important de continuer à développer des approches phénoménologiques, essentielles pour nombre de thématiques centrales de la section (transport quantique et mésoscopique, effets de décohérence induits par des couplages électron-électron, électron-photon, électron-phonon…). En effet, si les techniques numériques et de simulation sont devenues incontournables en tant qu’approches ab initio pour déterminer la structure de nanosystèmes ou comme approches adaptées au transport (groupe de renormalisation numérique), elles ne permettent pas de résoudre tous les problèmes. Un exemple en est le transport au travers de nanostructures. Si l’approche sans interactions de Landauer a permis de comprendre une quantité importante de données expérimentales, un verrou persiste pour le transport en présence de corrélations électroniques fortes et/ou de couplages à d’autres degrés de liberté, donc de décohérence. La difficulté est de relier les états multi-particules corrélés et cohérents de la nanostructure avec les liquides de Fermi et la décohérence dans les électrodes pour en déduire le courant électronique, voire le bruit associé. De telles problématiques, qui ne sont pas accessibles directement aux simulations numériques, sont cependant pertinentes pour de nombreuses situations importantes de transport en dimensionnalité réduite comme par exemple en électronique moléculaire, dans le transport à travers des BQs (effet Kondo…), dans les fils quantiques (où des corrélations de type Luttinger deviennent importantes), pour les systèmes nano-électromécaniques, et en général lorsque l’on s’intéresse à la décohérence. Pour comprendre les mécanismes en jeu et surmonter les verrous conceptuels, il reste donc indispensable de développer des modèles phénoménologiques minimaux judicieusement choisis et de les étudier par une combinaison d’approches analytiques et numériques.

VI. TGIR et centrales technologiques

A. Très Grandes Infrastructures de Recherche

Les progrès scientifique ne se conçoivent pas sans des avancées instrumentales. Dans ce domaine, le rôle des Très Grandes Infrastructures de Recherche (TGIR) est primordial. Les TGIR sont à la fois des centres d’instrumentation de haute technicité au service de la communauté scientifique et des laboratoires de recherche propre. Nous présenterons dans cette section les apports et évolutions des TGIR et de l’instrumentation en se focalisant sur les sources de rayonnement synchrotron, les sources de neutrons, et les champs magnétiques intenses.

1. Sources de rayonnement synchrotron et sources de neutrons

Sources existantesLes sources synchrotron (SOLEIL, ESRF) et de neutrons (LLB-ORPHEE, ILL) sont très présentes dans les thématiques de recherche issues de la section 03. Les spécificités des sources synchrotron et de neutrons en termes de gamme d’énergie disponible (de l’infrarouge lointain aux rayons durs), d’intensité et de focalisation du faisceau, les propriétés de polarisation et de cohérence, en font néanmoins des outils incontournables pour certains champs d’étude comme la détermination de la structure électronique ou magnétique des matériaux ou la caractérisation des spectres d’excitations de basses énergies et de leur dispersion. On pourra citer dans ce contexte l’utilisation de la photoémission résolue en angle (ARPES), le dichroïsme magnétique, les techniques de diffusion X ou neutronique ou la spectroscopie infrarouge. D’autres part, les TGIR offrent une vue souvent multi-composantes que ce soit spectrale (électronique et magnétique) ou spatiale (état massif, état de surface, comportement à l’échelle nano). Cette approche multimodale devient nécessaire lorsqu’il s’agit de traiter de matériaux complexes qui comportent différents degrés de liberté parmi lesquels les multiférroïques ou les hétérostructures.

Vers les nouvelles sourcesLes sources de rayons X et de neutrons ont connu des évolutions technologiques majeures dont la tendance va s’accentuer dans les prochaines années. Les nouvelles sources synchrotrons permettront d’atteindre des brillances extrêmes et de réduire encore les durées d’impulsions ouvrant la voie à l’étude des phénomènes ultra-rapides comme le renversement de l’aimantation, les transitions de phases électroniques ou l’imagerie cohérente pompe-sonde. D’autre part, les nouvelles sources de neutrons pulsées promettent des gains de brillance substantiels et des impulsions plus longues, offrant de nombreuses possibilités pour l’étude des phénomènes complexes comme les excitations fractionnaires ou le comportement à proximité d’un point critique quantique. À ceci, il faut ajouter les progrès réalisés dans les détecteurs autour des techniques de temps de vol (TOF) que ce soit pour les mesures de diffusion de neutrons ou plus récemment d’ARPES avec l’avantage de pouvoir déterminer la structure de bande 2D d’un matériau en une seule acquisition.

Dans le domaine des rayons XLes lasers à électrons libres (FEL) dont le projet XFEL à Hambourg est le représentant européen, permettront d’atteindre des résolutions temporelles de l’ordre de 100 fs avec une fréquence de répétition très élevée (30 kHz pour le XFEL). À l’échelle nationale, le démonstrateur LUNEX5 vise une résolution fs voire sub-fs tout en maintenant une excellente stabilité temporelle entre impulsions. Les anneaux de stockage ne sont pas en reste grâce au développement d’une nouvelle maille magnétique permettant d’atteindre les limites de diffraction et un gain de brillance significatif.

2. Champs magnétiques intense

sLes champs intenses constituent la spécificité du LNCMI qui regroupe, sur les deux sites grenoblois et toulousain, l’ensemble des activités dans le domaine des champs statiques et pulsés. Outre la production de champs magnétiques intenses, le LNCMI poursuit le développement d’instrumentations spécifiques et leur mise à disposition pour la communauté scientifique. La création prochaine du laboratoire européen des champs magnétiques intenses (EMFL) avec des partenaires allemands et néerlandais devrait amplifier l’utilisation des champs intenses et l’interaction avec les autres TGIR.

De nombreux efforts sont actuellement entrepris pour améliorer la production de champs magnétiques statiques notamment via l’utilisation de matériaux cold spray, permettant d’optimiser les propriétés électriques et mécaniques. Un champ de 36 Tesla a ainsi pu être obtenu. Le projet de bobine hybride alliant technologie supraconductrice et résistive permettrait d’obtenir des champs magnétiques au delà des 40 Tesla. La spécificité du site toulousain réside dans la production de champ pulsé de durée relativement longue (quelques dizaines de ms) avec un champ maximal de 90 Tesla. On note sur ce site la montée en puissance de l’installation « MégaGauss », produisant actuellement des champs de 180 Tesla sur quelques micro-secondes et produisant ses premiers résultats originaux.

Des installations compactes et mobiles sont mises en place sur différents grands instruments (ESRF, ILL, LULI, XFEL à Hambourg) afin de produire sur ces différents sites des champs entre 30 et 40 Tesla, non accessibles avec les bobines supraconductrices traditionnelles. Récemment, ces installations ont notamment apporté des résultats originaux dans les domaines des fermions corrélés (transport électronique et RMN à haut champ pour explorer la physique des supraconducteurs non conventionnels), ainsi que pour les propriétés de transport et optiques des matériaux graphitiques comme le graphite ou le graphène.

3. Spectroscopie théorique

La masse de données récoltées sur les TGIR, notamment dans les domaines de la spectroscopie X, IR ou optique et les mesures pompe-sonde, s’accompagne d’une demande croissante de soutien théorique. Parallèlement au travail des équipes théoriques dans les laboratoires, nous soulignons ici l’initiative européenne ETSF (European Theoretical Spectroscopy Facility) qui regroupe, à l’image des TGIR synchrotrons ou sources de neutrons, différentes « lignes de lumière » théoriques. Chaque ligne, spécialisée dans un domaine théorique en rapport direct avec les expériences (optique, perte d’énergie, photoémission, spectroscopie X, etc.), s’appuie sur un réseau de compétences théoriques en France ou à l’étranger en lien avec les propriétés des états excités. Les champs d’études sont vastes, comme la physique à N-corps, l’optique non linéaire, les spectroscopies X avec de nombreuses implications dans les domaines des semiconducteurs, des matériaux fortement corrélés ou des structures de basse dimensionnalité.

B. Centrales technologiques

Les centrales de micro et nanotechnologies sont un support indispensable à la recherche. Depuis 2005, les grandes centrales se sont mises en réseau pour former le REseau NAtional des grandes centrales de TECHnologie, RENATECH. Le GIS RENATECH regroupe six UMR/UPR CNRS-Universités réparties sur le territoire national et fortement impliqués dans la recherche technologique (IEF Orsay, LPN Marcoussis, LAAS Toulouse, FEMTO-ST Besançon, TA Grenoble et IEMN Lille).

RENATECH représente une infrastructure de 7000 m2 de salles blanches et un parc d’équipements imposant. Des chercheurs et enseignants-chercheurs sont également impliqués dans le développement des procédés technologiques du réseau. Ce réseau a comme objectifs : i) de coordonner les ressources technologiques des six grandes centrales afin d’optimiser les investissements lourds nationaux et créer une infrastructure de recherche au meilleur niveau international, ii) de mettre ses plate-formes technologiques à la disposition de l’ensemble des laboratoires et des entreprises ayant des activités en micro- et nanotechnologies et de favoriser ainsi le développement des recherches dans ces domaines. Enfin le réseau favorise les échanges entre les personnels des centrales pour promouvoir l’excellence du savoir-faire et de l’expertise scientifique et technologique.

Dans les six grandes centrales technologiques, on retrouve à la fois des moyens de croissance de matériaux classiques (silicium, arséniures…), des moyens de structuration (lithographie électronique, laser, UV…), et de caractérisation structurale (TEM, diffraction X). Ainsi les grandes centrales offrent toutes les étapes nécessaires à la fabrication d’un dispositif, depuis le matériau jusqu’au montage sur une embase. Depuis quelques années, les centrales investissent également dans des technologies moins classiques et élargissent ainsi l’offre technologique : plusieurs centrales se sont par exemple dotées de bâtis de dépôt par Atomic Layer Deposition qui permet de déposer des matériaux de façon conforme, sur des structures à haut rapport de forme, et contrôlés au nanomètre. On peut citer aussi la croissance des nitrures, la croissance du graphène, la croissance de nanofils, qui viennent compléter l’offre classique de croissance des SC (silicium, InP, GaAs).

Le caractère structurant du réseau RENATECH permet de répondre aux demandes « exogènes » de la communauté de deux façons : soit en guichet, où la fabrication est totalement prise en charge par la centrale, soit en mode plus collaboratif où le chercheur demandeur est impliqué dans la fabrication et, aidé du personnel technique, participe activement à la technologie.

Les centrales de proximité ont un rôle complémentaire et néanmoins essentiel. Elles permettent aux chercheurs de laboratoires proches disposant souvent de moyens de croissance plus spécifiques, un accès rapide à une technologie moins complexe, ou de combiner plus facilement des techniques hybrides. On dénombre actuellement 9 centrales de proximité, réparties sur tout le territoire. Elles offrent environ 3 000 m2 de salle propre.

Au vu de leur coût de fonctionnement élevé, un soutien financier pérenne est absolument nécessaire pour assurer leur réactivité et les maintenir à la pointe de la technologie.

C. Instrumentation de laboratoire

Plusieurs avancés ont marqué ces dernières années l’instrumentation de laboratoire. L’arrivée à maturation des circuits programmables permet désormais le traitement de mesures en temps réel, comme le démontrent la manipulation des états quantiques ou la lecture de matrices de bolomètres. L’affirmation de la cryogénie sèche a permis le développement de nouvelles expériences aux très basses températures. Le développement de l’instrumentation de laboratoire est centrale pour de grandes collaborations internationales de la Mission Planck, Edelweiss, à Nika (un réseau de 350 bolomètres supraconducteurs installé au télescope de l’IRAM) comme européennes (MicroKelvin) et confère aux étudiants des méthodes de travail et des techniques de pointe ouvrant un grand nombre de possibilités pour la poursuite de leur carrière.

Conclusion

L’image qui se dégage de ce rapport est celle d’une activité scientifique très dynamique qui apporte une contribution importante au plus haut niveau international. Cependant, des problèmes apparaissent clairement dans la conjoncture actuelle. Le panorama du financement de la recherche en France a changé énormément ces 10 dernières années. L’apparition de l’ANR et des initiatives d’excellence (Idex, Labex…) a multiplié les appels d’offres et les possibilités de financement. Cela a contribué d’une façon importante à dynamiser certaines thématiques et, bien sûr, à financer la recherche, mais sur des crédits non récurrents et des projets souvent à cours termes. Les conséquences ont été l’augmentation du nombre de postes non statutaires (techniciens, doctorants et post-doctorants) quand, au même moment, les crédits et les postes permanents dans les universités et au CNRS ont sans cesse diminué. L’augmentation du nombre de chercheurs non-permanents dans les laboratoires et la réduction des opportunités d’embauche ainsi que l’accès limité d’embauche dans le secteur privé des chercheurs formés par les universités, engendrent de fortes déceptions pour des générations de jeunes, qui d’ores et déjà délaissent les carrières scientifiques. Il est clair qu’une nation comme la France a besoin d’une recherche fondamentale de haut niveau si elle veut maintenir sa place parmi les leaders culturels mondiaux. Il apparaît clairement qu’il est important de maintenir un niveau de recrutement supérieur au niveau actuel, pour permettre un renouvellement dans les institutions de recherche, et pour donner aux chercheurs la liberté de mener leurs propres recherches le plus tôt possible dans leur carrière, ce qui a permis dans le passé le développement d’idées originales.

Bien que le financement sur projets ait porté ses fruits, la réduction des fonds de l’ANR et son fléchage de plus en plus fort vers des thématiques appliquées est de plus en plus dommageable. Il est indispensable que les jeunes formés par la recherche aient des débouchés correspondants à leur niveau et à leurs attentes dans tous les secteurs économiques et non quasi-exclusivement dans le secteur académique.

Annexe

Signification des sigles et des abréviations.

0D : zéro dimension
1D : Unidimensionnel
2D : Bidimensionnel
3D : Tridimensionnel
AC : Alternating current
ANR : Agence Nationale de la Recherche
ARPES : Angle Resolved Photoemission Spectroscopy
BQ : boîtes quantiques
BSE : Bethe-Salpeter Equation
CMOS : Complementary Metal Oxide Semiconductor
CPU : Central Processing Unit
GPU : Graphic Processing Unit
DFTB : Density Functional Tight Binding
DMFT : Dynamical Mean Field Theory
DMI : Dzyaloshinskii-Moriya interaction
DMRG : Density Matrix Renormalization Group
ESRF : European Synchrotron Radiation Facility
ETSF : European Theoretical Spectroscopy Facility
FEL : Free Electron laser
FET : Field Effect Transistor
FFLO : Fulde-Ferrell-Larkin-Ovchinnikov
GIS : Groupement d’Intérêt Scientifique
FM : Frequency modulation
fs : femtoseconde
FTIR : Fourier Transform InfraRed
HTc : Haute Température critique
IEF : Institut d’Électronique Fondamentale
IEMN : Institut d’Électronique, de Microélectronique et de Nanotechnologie
ILL : Institut Laue Langevin
IRAM : Institut de Recherche et d’Applications des Méthodes de développement
IR : Infra Rouge
kHz : kilo hertz
LAAS : Laboratoire d’Analyse et d’Architecture des Systèmes
LDA : Local Density Approximation
LLB : Laboratoire Léon Brillouin
LPN : Laboratoire de Photonique et de Nanostructures
MBPF : Many-Body Perturbation TheoryMEMS
NEMS : Micro/Nano Electro Mechanical Systems
METSA : Réseau de Plateformes de Microscopie Électronique et Sonde Atomique
meV : milli-électron volt
ms : milliseconde
nm : nanomètre
NRG : Numerical Renormalization Group
NS : normal-supreconducteur
NV : Nitrure-Vacancy
OS : Ondes de Spin
PEEM : Photo-Emission Electron Microscopy
QMC : Quantum Monte Carlo
QPI : Quasiparticle inteferometry
Qubit : Quantum bit
RENATECH : REseau NAtional des grandes centrales de TECHnologie
RMN : Résonance Magnétique Nucléaire
RPE : Résonance Paramagnétique Électronique
SC : Semi-conducteurs
SMA : Second Moment Approximation
SOLEIL : Source Optimisée de Lumière d’Énergie Intermédiaire de Lure
STM : Scanning Tunneling Microscopy
STXM : Scanning Transmission X-ray Microscopy
Tc : Température critique
TDDFT : Time dependent Density Functional Theory
TEM : Transimission Electron Microscopy
THz : Tera Hz
TGIR : Très grandes Infrastructures de Recherche
TOF : Time of Flight
UMR : Unité Miste de Recherche
UPR : Unité Propre de Recherche
VLS : Vapor Liquid Solid
VMPS : Vacum Micro Plasma Spray
XFEL : Xray Free Electron Laser