Rapport de conjoncture 2014

CID 52 Environnements sociétés : du fondamental à l’opérationnel

Extrait de la déclaration adoptée par le Comité national de la recherche scientifique réuni en session plénière extraordinaire le 11 juin 2014

La recherche est indispensable au développement des connaissances, au dynamisme économique ainsi qu’à l’entretien de l’esprit critique et démocratique. La pérennité des emplois scientifiques est indispensable à la liberté et la fécondité de la recherche. Le Comité national de la recherche scientifique rassemble tous les personnels de la recherche publique (chercheurs, enseignants-chercheurs, ingénieurs et techniciens). Ses membres, réunis en session plénière extraordinaire, demandent de toute urgence un plan pluriannuel ambitieux pour l’emploi scientifique. Ils affirment que la réduction continue de l’emploi scientifique est le résultat de choix politiques et non une conséquence de la conjoncture économique.

L’emploi scientifique est l’investissement d’avenir par excellence
Conserver en l’état le budget de l’enseignement supérieur et de la recherche revient à prolonger son déclin. Stabiliser les effectifs ne suffirait pas non plus à redynamiser la recherche : il faut envoyer un signe fort aux jeunes qui intègrent aujourd’hui l’enseignement supérieur en leur donnant les moyens et l’envie de faire de la recherche. On ne peut pas sacrifier les milliers de jeunes sans statut qui font la recherche d’aujourd’hui. Il faut de toute urgence résorber la précarité. Cela suppose la création, sur plusieurs années, de plusieurs milliers de postes supplémentaires dans le service public ainsi qu’une vraie politique d’incitation à l’emploi des docteurs dans le secteur privé, notamment industriel.

Composition de la commission interdisciplinaire – CID

Christiane Weber (présidente de la CID) ; Pascal Jean Lopez (secrétaire scientifique) ; Stéphane Alfaro ; Fabienne Aujard ; Matthias Beekmann ; Pierre Cambon ; Wolfgang Cramer ; Catherine Debienne-Chouvy ; Didier Galop ; Patricia Gibert-Brunet ; Claude Grison ; Gérard Gruau ; Katell Guizien-Kessler ; Didier Jouffre ; Marie Lecomte-Tilouine ; Élisabeth Lojou ; Michel Magny ; Alain Marhic ; Catherine Pierre ; Alice Rouyer ; Sébastien Staerck.

Résumé

« Penser l’environnement de manière systémique et fonctionnelle ne s’apprend pas, ne s’impose pas, mais se construit » autour d’un objet, d’une émergence, d’une vision à partir d’une nécessité scientifique ou sociétale. Partant de ce postulat la CID52 s’est attachée à présenter les enjeux scientifiques qu’elle a identifiés avec les défis à relever et les faiblesses de la recherche dans ces domaines. Elle s’est attachée à souligner les éléments de structuration qui renforcent cette interdisciplinarité mais aussi les freins à l’épanouissement de ces approches.

Introduction

La CID 52 a repris la suite de la CID 45 dont elle partage les concepts fondamentaux. Cette continuité crée un contexte favorable à l’interdisciplinarité dont la CID 52 est un des outils de promotion et de réalisation.

Les objets dont la CID 52 s’empare ne peuvent être abordés, étudiés, modélisés et surtout partagés sur la base d’une seule discipline scientifique. « Penser l’environnement de manière systémique et fonctionnelle » ne s’apprend pas, ne s’impose pas, mais se construit autour d’un objet, d’une émergence, d’une vision à partir d’une nécessité scientifique ou sociétale.

Les systèmes environnementaux ainsi définis et partagés s’enrichissent des interactions multiples qu’ils entretiennent, interactions a priori spatialement délimitées, temporellement envisagées. A priori, car notre connaissance s’arrête, ou s’affaiblit, aux frontières des incertitudes que nous décelons : incertitude de la mesure (comment quantifier et estimer la valeur d’un service écosystémique non marchand ?) ; incertitude du modèle (que validons-nous : le modèle ou les résultats, et par rapport à quelle référence ?). Toujours est-il que ces systèmes sont pour la plupart localisés, leur étendue spatialisée, les dynamiques qui les traversent temporalisées. Ils s’identifient à des territoires, des paysages, des formes inscrites « ici et maintenant –hic et nunc » résultats de façonnages sur le long terme et prémices de devenir. Ces systèmes environnementaux recouvrent une variété extraordinaire de taille (du microscopique au global) et d’échelles fonctionnelles et temporelles que l’on retrouve dans les mots clé de la CID 52(1).

Des enjeux communs à plusieurs sections du CoNRS, mais aussi à plusieurs EPST sont identifiés comme les changements planétaires et l’érosion de la Biodiversité. Plus globalement, les questionnements se focalisent sur le devenir de la Nature, celle-ci pouvant être nourricière, transformée par des activités anthropiques ou redéfinie dans un cercle vertueux de recyclage ; ou encore, pouvant servir de réservoirs pour des pathogènes émergents et ainsi ébranler les équilibres fragiles constitués autour de relations Homme/Milieux. Ces dernières, prises dans leur complexité, fondent les stratégies déployées pour un développement durable. Ce concept, construction politique destinée à fédérer des logiques de développement économique, politique et écologique vers un objectif commun, opère des glissements concomitants avec les avancées sociétales, économiques, technologiques et scientifiques. Ces mots-clés ne sauraient rester figés. C’est dans le cours des choses qu’ils évoluent eux aussi, résultats des travaux des chercheurs soutenus par la CID 52 mais aussi des réflexions de prospective, de l’apparition de nouvelles connaissances, des émergences interdisciplinaires, sans oublier le rôle du jeu subtil existant entre enjeux scientifiques, disciplinaires et potentiel de recherche.

Le saut entrepris par la CID 52 au regard de la précédente CID 45 pour joindre le fondamental à l’opérationnel a marqué un tournant par la prise en compte des facettes variées de l’interdisciplinarité, facette disciplinaire posant comme acté le mariage des sciences dures et des sciences sociales, facette cognitive favorisant l’introduction des acteurs, de leurs savoirs et de leurs pratiques dans l’explicitation du fonctionnement des systèmes environnementaux étudiés.

Cette interdisciplinarité en marche au sein du CNRS à travers le travail des CID et de la mission pour l’interdisciplinarité mobilise une diversité croissante de dispositifs d’observation (systèmes d’observation sur le long terme, observatoires, sites d’étude, ecotron) ainsi que différents outils de structuration de la recherche comme les RTP(2) ou les GDR, et de formation comme les écoles thématiques.

(1) Mots-clé
– Changements planétaires (perturbations, évolution, conflits, adaptation, mitigation)
– Nature et Biodiversité : positionnement, protection et conservation
– Ressources naturelles : prospective et usages par les sociétés
– Environnement, santé et sociétés
– Stratégies de développement durable (innovations et ingénierie écologique, green sciences, chimie durable, éco-citoyenneté)
– Sciences de la complexité en écologie globale (éco-chimie, éco-physique, éco-info, éco-math.)
– Juridiction internationale, conflits environnementaux, conflits pour les ressources naturelles

(2) RTP Réseau Thématique prioritaire ;
GDR : Groupement de recherche

I. Les enjeux scientifiques

Parmi les enjeux identifiés par la CID 52 celui de la transdiciplinarité reste en suspens. La complexité des phénomènes étudiés nécessite des apports disciplinaires multiples et des efforts d’enrichissement des connaissances interdisciplinaires. Faut-il cependant aller jusqu’à susciter la transdisciplinarité et comment, sachant que les instances de formation fournissent un socle disciplinaire pour la plupart ? La CID 52 n’a pas encore répondu à ce point laissant ouverte la réflexion.

Le développement de l’OpenData s’accompagne d’une grande variété de modes de structuration et de diffusion de la donnée. Le CNRS se trouve lui aussi dans cette dynamique de constitution de bases de données et de création des métadonnées associées. L’enjeu de l’information, crucial dès lors que l’objet de recherche se veut complexe comme le sont les interactions entre Environnements et Sociétés, couvre plusieurs volets : celui de l’accès avec des enjeux forts de structuration et de diffusion ; celui de l’usage avec l’exigence de la recherche de données les plus efficaces possibles parmi une masse de données conséquentes de tout type (BIG DATA). Les différents Instituts du CNRS se doivent de promouvoir cet effort de collecte, de mise en forme et de diffusion de la donnée essentiel dans le contexte interdisciplinaire des recherches menées. Pour la CID 52, cela devrait se traduire par des créations de postes et des propositions de structuration de la recherche.

Le caractère dynamique des socio-systèmes environnementaux impose de considérer la dimension temporelle dans leur étude, à plusieurs échelles spatiales Cependant, si les trajectoires futures, prospectives, scénarii, etc., font l’objet de nombreuses recherches, beaucoup moins de travaux envisagent une vision rétrospective, un retour vers les décisions passées qui ont entraîné les réalisations actuelles, qui ont déterminé les contraintes ou les opportunités d’évolution dans lesquelles ces décisions ont été prises. Cette interrogation rétrospective apparaît peu. Peut-être faudrait-il plus l’ancrer dans les démarches qui tentent d’articuler dynamiques environnementales et dynamiques sociales.

Le maintien et le développement de structures de recherche du CNRS en Europe et à l’International sont un enjeu fort identifié par la CID 52. Les liens établis au travers des structures de recherche de tous ordres (UMI, LEA, GDRI(3) etc.) doivent être poursuivis et les modalités d’accès à de telles structures doivent être publicisées notamment envers les plus jeunes qui pourraient ainsi bénéficier d’une articulation directe avec les travaux de nos collègues étrangers.

La création de réseaux structurant la recherche liée à l’observation localisée sur le long terme comme les Zones Ateliers (ZA) ou les Observatoires Homme-Milieu (OHM) est un gain certain pour les recherches qui s’y développent. La comparaison des résultats et des approches, leur complémentarité, les dynamiques locales créées fournissent aux chercheurs des socles de connaissance interdisciplinaires mais aussi, pour les étudiants, un milieu de confrontation et de communication scientifique appréciable. De telles structures participent donc pleinement à l’épanouissement de l’inter-, voire de la transdisciplinarité.

Le dernier enjeu identifié par la CID 52 reste celui du recrutement. Bien entendu l’exigence d’excellence scientifique du candidat et de son projet reste de mise. Cependant il est important de souligner qu’une pluralité de formations à différents niveaux (doctorat, postdoctorat), et également une mobilité à l’international, apportent une capacité à étayer un dossier appréciable. La faiblesse des recrutements (dans l’ensemble des EPST) constitue un frein au renouvellement des idées et au développement des projets interdisciplinaires. Cet appauvrissement à un moment où la complexité des questionnements s’accroît est une situation contreproductive qui pèsera dans les recherches futures.

A. Changements planétaires

Les changements en cours à la surface de la planète sont souvent appréhendés comme une addition de phénomènes indépendants et aux causes multiples : la croissance démographique, le changement climatique, l’érosion de la biodiversité marine ou continentale, la dégradation des sols, l’usage intensif des ressources hydriques, la raréfaction des ressources énergétiques fossiles ou minérales, la pollution chimique de l’air et de l’eau, etc. Or ces phénomènes sont profondément reliés les uns aux autres en partie par le biais des enveloppes superficielles de la planète où ils se déroulent (air, eau, biosphère, sols…), mais surtout, et de plus en plus, du fait du développement des sociétés humaines et de l’accroissement de l’impact de ces sociétés sur toutes les composantes de l’environnement. En retour, les changements environnementaux induisent sur la société de nombreux impacts d’ordre alimentaire, sanitaire et migratoire, ainsi que des changements des modes de vie, paupérisation rurale, urbanisation, bidonvilles, instabilité politique, conflits. Ces changements environnementaux, ou changements globaux, sont désormais clairement perceptibles, aussi bien à grande que petite échelle.

La prise de conscience de ces changements a abouti à l’émergence de nombreux programmes de recherche et/ou de suivi de l’évolution des milieux qui ont, à l’origine, abordé ces questions de manière relativement disciplinaire. Par exemple, le GIEC (Groupe Intergouvernemental d’Experts sur le Climat), s’est attaché à évaluer essentiellement la connaissance scientifique sur le système climatique, ses changements, ses impacts et les stratégies d’adaptation et de mitigation. Le Millennium Ecosystem Assessment traitant de son côté des aspects liés à la vulnérabilité de la biodiversité, des écosystèmes et des services associés. Ces actions et leurs questionnements restent bien entendu d’une actualité pressante. Aujourd’hui, la nécessité est toutefois de favoriser une approche de recherche plus systémique, inter- et transdisciplinaire, impliquant tant les Sciences de la Vie et de la Terre (SVT) que les Sciences Humaines et Sociales (SHS). Il s’agit aussi de faire évoluer les conditions d’une interaction renforcée entre Science et Société, sur un champ de recherche que d’aucuns ont qualifié de « Science du Système Terre ». Ces deux évolutions nécessaires constituent la raison d’être et le champ d’action de la CID 52.

1. La recherche en France dans un contexte international

Dans un contexte de recherche très fortement structuré au niveau international (GIEC, Grands programmes, Future Earth) et au niveau national (Ministères, ONERC) voire régional avec la multiplication d’initiatives telles que OPCC, OREC, ORECCA, Observatoire National de la mer et du Climat etc., le CNRS joue un rôle essentiel sur les questions afférentes au changement global. En particulier, la volonté affichée par l’organisme et ses instituts de favoriser le développement d’approches systémiques constitue un soutien fort à l’importante communauté (multidisciplinaire et regroupées dans différentes sections) de ses personnels s’impliquant dans les domaines de recherche s’articulant autour du ternaire Observation, Retro-observation, Modélisation.

Un domaine essentiel à la conduite des recherches sur les changements globaux et dans lequel la recherche française est bien positionnée est celui des dispositifs d’observation long-terme. Les ZA constituent, par exemple, un vaste réseau inter-organismes de recherches interdisciplinaires sur l’environnement et les anthroposystèmes en relation avec la question du changement global. Au nombre actuel de 12, les ZA sont désormais membres du LTER(4) Europe et du ILTER pour l’international. Les SOERE (Systèmes d’Observation et d’Expérimentation au long-terme pour la Recherche en Environnement, au nombre d’une vingtaine, pilotés par l’agence multi-organisme ALLENVI, constituent aujourd’hui autant de stations à l’écoute du changement global, avec des implantions dans la plupart des grands biomes (océan, forêt, montagne, ville, littoral…). Enfin, les OHM, dispositifs consacrés à l’étude de socio-écosystèmes que l’homme a fortement impactés sur les plans écologique, économique et social et qu’un évènement majeur brutal vient transformer profondément, constituent la troisième pierre angulaire du dispositif français d’observatoires du changement global et de ses conséquences sur les écosystèmes et les sociétés humaines.

2.  Les grandes questions du moment

La recherche sur le changement global s’articule aujourd’hui autour de cinq grands défis : i) Observer/Discriminer : il s’agit d’améliorer l’observation des changements en cours et d’en hiérarchiser les déterminants ; une partie des enjeux ici est le développement et le maintien de plate-formes d’observation de l’environnement et de ses interactions avec les sociétés ; ii) Prévoir/Projeter : il s’agit principalement, ici, de construire des modèles de scénarii et d’impacts permettant d’anticiper les évolutions futures de l’environnement ; iii) Confiner/Limiter : il s’agit de déterminer comment anticiper, éviter et gérer les changements environnementaux pouvant conduire à des points de rupture ; iv) Répondre/Gouverner : il s’agit ici de déterminer les changements institutionnels, économiques et sociaux nécessaires à la mise en place de mesures efficaces en matière de développement durable ; enfin v) Innover/Transformer : il s’agit encourager l’innovation et les mécanismes d’évaluation dans les domaines métrologiques, technologiques, politiques et sociaux contribuant au développement durable.

Si l’observation des changements, la discrimination des déterminants et l’élaboration de scénarii futurs relève souvent des sections disciplinaires, une approche d’ensemble de ces défis, mettant l’accent sur l’interaction entre SVT et SHS, est au cœur des interrogations de la CID 52. Comment passer de l’observation et la description d’un changement à ses multiples impacts économiques, écologiques, sur la santé ? Comment passer de la description chiffrée d’un changement à sa perception par l’homme, par nos sociétés ? Comment passer de scénarii futurs d’évolution des systèmes considérant les sociétés comme des entités passives subissant les évolutions, à des scénarii plus affinés prenant en compte la dynamique de ces mêmes sociétés de trouver des réponses communes (ou non) aux problèmes environnementaux.

Avancer dans chacun des cinq défis listés plus haut pose aussi la question du passage de l’échelle globale à l’échelle locale. L’impact du changement climatique par exemple sur le cycle de l’eau (sècheresses, inondations…), sur la biodiversité, sur les rendements de l’agriculture, sur les canicules et leurs impacts sur la santé, seront différents suivant les régions, avec une population à chaque fois délimitée qui en fonction de son niveau social, de son mode d’organisation, etc., percevra les changements de manière différente et trouvera différents moyens de s’y adapter.

En marge, mais étroitement lié, se trouve la question de la détermination de systèmes de référence. Détecter les changements pour en prévoir les impacts passe par la comparaison avec des systèmes de référence. Dans ce domaine, la reconstitution des variations passées de l’environnement et de leurs impacts sur les écosystèmes et les sociétés humaines revêt une importance particulière. La Terre a en effet connu dans le passé, notamment lors du Quaternaire, des changements environnementaux rapides et d’amplitude très forte. Ces études rétrospectives sont un élément très important de la modélisation des changements globaux en cours et de la prédiction de leurs effets. Un enjeu clé est de déterminer l’impact des changements paléo-environnementaux et paléo-écologiques sur le développement des sociétés humaines et sur le rôle joué par ces changements sur les migrations, les adaptations morphologiques, culturelles et socio-économiques des populations, l’extinction de certaines lignées (néandertaliens), etc. Une autre question majeure concerne l’analyse des interactions entre comportements humains et cadre écologique avec l’enjeu de trouver le point d’équilibre en dépassant une vision trop fortement déterministe (l’évolution des sociétés n’est qu’une réponse adaptative aux changements environnementaux) ou, à l’inverse, trop fortement culturelle (rôle prépondérant des facteurs démographiques, sociétaux ou technologiques), c’est-à-dire en n’opposant pas « nature » et « culture ».

3.  Les faiblesses de la recherche française

Forte de ses observatoires travaillant sur le long-terme, de ses organismes, et de ses structures et groupes de recherche interdisciplinaires dans lesquels les différentes communautés traitant du changement global peuvent échanger et travailler ensemble (ALLENVI, CID 52, Grands chantiers interdisciplinaires – MISTRALS, ARCTIQUE, Labex OT-Med, etc.), la recherche française possède clairement des atouts très importants pour aborder ces différents défis. Restent néanmoins des points de faiblesse. L’un des plus importants est la difficulté du dialogue et des échanges entre disciplines, notamment entre les sciences de l’environnement, sensu-lato (géosciences, climatologie, écologie) d’un côté et les sciences dites de l’homme et de la société (SHS) que sont la sociologie, l’économie et les sciences juridiques, de l’autre. Malgré quelques points de rencontre (dont la CID 52, fait partie), les cloisonnements restent très forts, empêchant une réelle prise en compte des problèmes dans toutes leurs dimensions et complexités. Un bon exemple de ces cloisonnements est donné par les systèmes d’observation long-terme au sein desquels la place des SHS est souvent mineure, quand elle n’en est pas, dans la plupart des cas, totalement absente. Cette séparation se retrouve aussi dans le caractère très disciplinaire de l’offre de formation ainsi que dans l’organisation également très disciplinaire du système universitaire français. Enfin, se pose la question récurrente de l’évaluation des chercheurs qui pratiquent l’interdisciplinaire, et celle, plus globale, de la réduction des crédits alloués à la recherche publique, réduction particulièrement néfaste dans le cadre des études sur les effets du changement global ou des moyens lourds en observation doivent être mobilisés sur le long-terme.

 

B. Nature et biodiversité : positionnement, protection et conservation

La biodiversité est une question de civilisation que l’on peut qualifier d’universelle ou d’intemporelle. En effet, si les écologues et les biologistes peuvent logiquement apporter des éléments princeps pour quantifier et déterminer les aspects évolutifs et fonctionnels de la biodiversité, les SHS contribuent à analyser la place de la biodiversité dans les relations de l’humanité à cette fraction significative de la qualité et de la fonctionnalité de l’environnement. Les questions épistémologiques sont importantes et nécessitent une démarche appropriée de spécialistes pour les mettre en œuvre. Les sciences de la matière concourent objectivement à apporter une démarche rationnelle et méthodique pour explorer le signal spatial et temporel, l’amplitude des réponses entre biodiversité et les variables physiques et humaines interactives. Les sciences de l’ingénieur de leur côté sont sollicitées pour proposer des solutions stratégiques et des procédés technologiques pour réguler et maintenir la biodiversité pour ce qu’elle est, mais aussi pour ce qu’elle représente de services pour l’humanité.

1.  Les grandes interrogations de la société et leur prise en compte par la recherche française

En France, et au CNRS en particulier, la communauté scientifique travaillant sur les questions de la biodiversité est forte de sa production écrite, avec un important rayonnement international. Les champs de recherches couvrent tant l’évolution et l’organisation de la biodiversité, que la fonction de la biodiversité dans la qualité et la productivité des systèmes écologiques, en milieu terrestre et marin. Les approches mises en œuvre sont diverses, depuis la théorie et la modélisation, jusqu’aux nécessaires observations directes et expérimentations.

Les premières interrogations sur la biodiversité portent en premier lieu sur les mécanismes qui en sont à l’origine et qui agissent pour son maintien. Plusieurs hypothèses sont développées pour y répondre, et des expérimentations sont réalisées pour les tester, ainsi que pour en tirer des règles de gestion pratique (théorie de la spéciation, théorie neutre de la biodiversité, biologie de la conservation, dynamique des populations/espèces, interactions entre espèces). Ces champs d’investigation couvrent les recherches en écologie, évolution, phylogénie et paléontologie.

D’autres questions portent sur les conséquences que vont avoir les changements globaux sur la biodiversité, en particulier les invasions biologiques, destructions d’habitats, et changements climatiques. Ici, les recherches portent sur le fonctionnement des systèmes écologiques, avec notamment la relation importante entre diversité, productivité et résilience des écosystèmes terrestres et marins. Outre son importance fondamentale, les implications de ce champ sur l’agronomie et les pêches ainsi que sur l’aménagement écosystémique des espaces terrestres et maritimes sont importantes. Un champ particulier de plus en plus pertinent concerne la biodiversité en ville, les services rendus, son utilisation, ses risques (espèces nuisibles, ou utilisation anthropique d’une biodiversité introduite, potentiellement envahissante), sa perception par les citadins, les implications de cette perception sur la biodiversité elle-même, et son rôle dans le maintien de la connectivité des populations extra-urbaines.

D’autres champs de recherches portent sur la crise actuelle de la biodiversité, aussi appelée la « 6e extinction » : comment lutter contre la baisse rapide et drastique de la biodiversité connue ? Comment évolue la biodiversité non connue ? Cette question a redynamisé des explorations et inventaires de la biodiversité dans des « hotspots » réputés pristines ou peu explorés, notamment tropicaux. Une question fondamentale reste la définition du type de biodiversité qu’il convient a minima de préserver (structurelle et/ou fonctionnelle), et comment orienter les efforts pour que cette préservation soit la plus efficace possible (espèces clefs de voûte). Pour cela, il faut comprendre quelles sont les conséquences (biologiques, économiques, sociologiques) des pertes de biodiversité, sur les services écosystèmiques, en particulier en fonction du type de biodiversité. Ce domaine oblige à croiser les regards entre évolution, écologie, économie, philosophie, droit et sciences politiques.

Il convient également de réfléchir aux meilleures méthodes de préservation et à l’évaluation de leur efficacité. Ce champ de recherche concerne l’écologie mais aussi la sociologie et les sciences sociales, avec des questions du type : à quoi les citoyens sont-ils prêts à renoncer pour préserver la biodiversité, en particulier en termes de changements de comportement ? Quels arguments les touchent ? Comment équilibrer les services rendus (loisirs, alimentation, industrie) et les exigences de préservation, en particulier dans les hotspots de biodiversité comme les milieux tropicaux ?

Toutes ces questions impliquent de pouvoir quantifier la biodiversité et ses changements. Or, nous manquons encore d’indicateurs et de méthodes dans ce domaine. Il faut réfléchir à des outils de mesure pertinents (patrimoine génétique, traits physiologiques, morphologiques et fonctionnels) en complément des descripteurs taxonomiques utilisés classiquement pour s’assurer de la persistance des espèces. Ce domaine, bien qu’ancien, tarde à produire des indicateurs qui ne soient pas réservés qu’aux seuls scientifiques. La gestion durable des ressources naturelles et l’aménagement écosystémique nécessitent des stratégies et des outils faciles à appliquer techniquement et juridiquement.

Les aspects juridiques de la conservation de la biodiversité (réglementations aux échelles nationale, régionale et mondiale) sont également à explorer, en lien avec les notions du patrimoine culturel lié à la biodiversité, de services rendus par celle-ci, de sa valorisation économique et de sa propriété. On observe une évolution de la dichotomie entre conservation totale et exploitation vers des approches de gestion multi-usages, qui a conduit notamment à la définition de nouveaux outils réglementaires basés sur la concertation (e.g. Parc Naturel Marin, Aires Marines Protégées), impliquant la construction de méthodes d’évaluation de l’efficacité de ces nouvelles approches.

Il est enfin nécessaire d’explorer les liens entre biodiversité et agriculture/élevage, et notamment les impacts de l’agriculture et de l’élevage sur la biodiversité, le nécessaire maintien des ressources génétiques pour l’agriculture/élevage, et les pratiques à recommander pour le développement durable. En milieu tropical particulièrement, la pratique traditionnelle extensive, liée à des problèmes d’accessibilité aux ressources, subit une pression d’intensification mais également de substitution par des productions délocalisées (bio-carburants) qui posent des questions rentrant dans ce champ d’interrogation. Des questions délicates sur la création de biodiversité (OGM, introgression, etc.) se posent également, dont le traitement devra croiser les disciplines de l’écologie, de la sociologie, et du droit.

2.  Les faiblesses de la communauté française

Il existe un fort déséquilibre en terme de distribution spatiale des unités et des chercheurs/enseignant-chercheurs en écologie de la conservation, avec deux pôles majeurs, l’un en Ile de France, l’autre en Languedoc-Roussillon où la concentration s’amplifie. Ce déséquilibre se traduit mécaniquement par une concentration des formations de 2e et 3e cycle sur une nombre restreint d’universités. Cette concentration génère une érosion potentielle des capacités cognitives avec une focalisation sur des écosystèmes particuliers. Surtout, elle induit une hétérogénéité spatiale des capacités à retransmettre les avancées de la recherche dans le domaine de la biodiversité vers la société, vers les collectivités locales et vers les entreprises.

On observe également un faible investissement du CNRS dans l’évaluation de l’efficacité des politiques publiques de gestion et conservation de la biodiversité à l’instar d’autres EPST (IRD, CIRAD), alors qu’il est leader au niveau national dans le domaine de la recherche sur la biodiversité. Cela est particulièrement dommageable à l’heure où les collectivités locales et les entreprises doivent remplir des cahiers des charges précis dans ces domaines (DCSMM(5)), et se retrouvent le plus souvent sans appui adéquat des organismes de recherche.

 

C. Environnement, santé et sociétés

Les relations entre l’environnement, la santé et la société constituent une thématique forte de la CID 52, thématique qui devrait se renforcer au cours des années à venir en raison de l’importance de la crise environnementale (changement climatique, pollution, etc.) à laquelle doivent faire face nos sociétés et de ses impacts potentiels ou avérés sur la santé humaine. Cette thématique, à l’interface entre l’étude des écosystèmes et l’étude des sociétés, est interdisciplinaire par essence, et trouve particulièrement sa place au sein de la CID 52. Quatre aspects clés, propres à cette thématique sont évoqués ci-dessous.

1.  Maladies métaboliques, vieillissement

L’évolution a sélectionné des stratégies adaptatives physiologiques et comportementales permettant aux espèces vivantes de survivre au sein des environnements fluctuants. Dans le contexte des changements globaux, la survie dépendra des limites de plasticité de ces stratégies. Définir et caractériser les limites des réponses des fonctions biologiques à forte valeur adaptative est une nécessité pour avancer dans la compréhension des effets du changement global sur les espèces. Dans ce contexte, une contrainte majeure est la contrainte énergétique. Plus qu’un paramètre limitant en tant que tel, la régulation énergétique est maintenant reconnue comme un facteur impliqué dans certains dysfonctionnements de l’organisme, tels que certaines pathologies ou le vieillissement. À l’heure actuelle, les maladies métaboliques et les pathologies liées à l’âge sont des enjeux sociétaux majeurs du fait de l’augmentation croissante de leur apparition dans la population humaine. Les facteurs environnementaux peuvent contribuer au développement des maladies cardio-vasculaires, des cancers, et d’autres causes majeures de mortalité, mais peuvent aussi en permettre la prévention.

Comprendre comment les changements globaux modifient les facteurs de notre environnement et comprendre l’impact que cela peut avoir sur les paramètres de santé sont actuellement des objectifs majeurs de la recherche. Du fait de la complexité et de la pluralité des processus mis en jeu, une approche interdisciplinaire est indispensable. Elle devra se baser sur des approches transversales, de l’animal à l’homme, et de la molécule aux traits d’histoire de vie, et couvrira des champs disciplinaires issus des sciences biologiques, écologiques et humaines.

2.  Écologie des pathogènes et médecine Darwinienne

Les changements environnementaux d’origine anthropiques (changements climatiques, modification des paysages, invasions biologiques, etc.) entraînent des modifications rapides au sein des écosystèmes et des modifications des interactions de compétition et de coopération à l’échelle des populations ou des communautés. Une conséquence de ces bouleversements est l’érosion accélérée de la biodiversité, une seconde est l’émergence de pathogènes et des maladies infectieuses associées. Celles-ci peuvent être favorisées par la modification du transport des matières et des personnes, la migration contraintes ou souhaitées des populations ainsi que le morcellement des zones naturelles protégées ou la déforestation.

Comprendre comment les pathogènes s’adaptent aux nouveaux environnements et à quelle vitesse, sont des questions essentielles à la fois au niveau tant scientifique que sociétal. Par exemple, face à la perte de la biodiversité des hôtes, allons-nous observer des transferts d’espèces de pathogènes sur de nouvelles espèces hôtes ? Par ailleurs, les espèces hôtes possédant leur propre communauté commensale qui leur apporte les éléments indispensables à leur métabolisme : de quelle nature vont être les nouvelles interactions (compétition, coopération) entre ces communautés et les nouveaux pathogènes ? Quelles seront les nouvelles interactions phénotypes/génotypes ? La théorie de l’holobionte apparue depuis quelques années postule que la sélection naturelle n’agit pas sur les individus isolés mais sur l’ensemble hôte-microorganismes qui constituent une entité évolutivement indissociable. Répondre à ces questions peut se faire soit i) en se tournant vers le passé pour étudier l’histoire évolutive des pathogènes via des approches moléculaires (génomiques, métagénomiques) et de la modélisation, soit ii) lorsque cela est possible en recourant à des organismes permettant des études d’évolution expérimentale afin d’élucider les conditions de l’évolution de la virulence des pathogènes et de la résistance de leur hôte.

Par ailleurs, l’utilisation des approches écologiques et évolutives en santé humaine a vu l’essor depuis quelques années de la médecine évolutionniste. En effet, comme les animaux, l’homme a été façonné par son environnement pour maximiser sa reproduction, co-évoluant avec quantité de parasites. Les changements brutaux de l’environnement peuvent ainsi entraîner des inadaptations des individus à leur nouvel environnement, conduisant à des pathologies telles que les maladies auto-immunes ou les allergies. Là encore, le passé est une source précieuse de renseignements via des approches à l’interface de multiples disciplines telles que l’ethnobiologie, l’ethnopharmacologie, ou l’anthropologie, et mobilisant l’utilisation d’archives naturelles, couplées à des approches de parasitologie et de métagénomique.

3.  Polluants émergeants

Un autre domaine émergeant à l’interface santé, environnement et société est lié aux nouveaux polluants. Les nanocomposés, définis comme « des matériaux dont la taille ou la structure comporte au moins une dimension comprise entre 1 et 100 nanomètres environ », entrent dans cette catégorie. Du fait de leur très petite taille et de leur capacité à être disséminés dans l’environnement, ces matériaux sont susceptibles d’avoir des conséquences sur les populations directement impliquées dans leur fabrication, et sur les écosystèmes aquatiques et terrestres, conséquences qui restent à l’heure très mal connues.

Il est possible de distinguer trois principaux types de nanocomposés : (i) les nanoparticules (NP) métalliques, par exemple les NP d’argent (à la base de certains pesticides ou fongicides compte tenu de leurs propriétés antibactériennes) ou d’or, (ii) les NP d’oxyde métallique tel que les NP de TiO2 contenues dans des textiles, des peintures murales, des cosmétiques, (iii) les nanotubes de carbone utilisés notamment dans l’industrie automobile, aéronautique et textile.

Ces nanomatériaux ont été développés et mis sur le marché pour de nouvelles propriétés techniques, liées notamment à leur très grande surface spécifique (rapport surface/volume) qui leur confère des propriétés particulières, propriétés qui ne peuvent pas être déduites des connaissances scientifiques acquises sur les substances classiques. Il est important d’être conscient qu’en raison notamment de ces propriétés spécifiques liées à leur taille, les connaissances scientifiques sur les substances classiques ne sont pas directement transposables aux formes nanométriques.

Il s’avère donc indispensable de comprendre les mécanismes d’interaction et d’accumulation spécifiques de ces nanocomposés dans l’environnement, ainsi que leur transfert des sols vers plantes et les consommateurs, ou les mécanismes d’internalisation et de cytotoxicité qui leurs sont propres, dans une optique de déterminer l’impact de ces composés sur la santé humaine.

D’autres polluants émergeants concernant plus spécifiquement le milieu aquatique sont les résidus médicamenteux (molécule-mère, métabolites excrétés et métabolites environnementaux résultant de la transformation de résidus dans l’environnement) lesquels posent un véritable problème de santé publique, y compris à l’état de trace. Leur présence est avérée depuis quelques années dans les eaux de rejet et les boues des stations d’épuration (STEP), les procédés actuels de traitement, ne dégradant que partiellement les résidus médicamenteux comme c’est le cas pour d’autres micropolluants (Pesticides et PCB, par ex.). Concernant les médicaments et plus particulièrement les antibiotiques, il est important d’avoir à l’esprit que la plus grande partie des antibiotiques ingérés se retrouve dans les eaux usées puisque l’organisme (humain ou animal) n’en métabolise qu’une faible fraction (20 %). Ainsi, l’utilisation soutenue des antibiotiques dans le secteur de l’élevage industriel augmente grandement les risques de pollution de l’eau et des sols.

4.  Santé et société

La multiplication des réseaux de recherche interdisciplinaire santé-société n’a pas jusqu’à présent réussi à pallier le déficit de collaboration interdisciplinaire entre les sciences médicales (investigation clinique et soin), les sciences de l’environnement, les sciences du vivant, l’épidémiologie et les sciences humaines et sociales. Il demeure important de favoriser les profils croisés et les coopérations, en dépit du fossé qui sépare parfois les univers épistémiques et les modalités de production ou de validation des connaissances propres à chaque discipline. Les problématiques associant santé et environnement nous invite à une définition large de la notion « d’environnement », à la fois système d’éléments biotiques et abiotiques susceptibles d’interagir avec l’individu, cadre ou milieu de vie, contexte social et psycho-social, conditions d’existence, environnement organisationnel et sociétal. Ces articulations thématiques d’une grande diversité nous invitent à questionner la construction des référentiels de santé du point de vue biologique, anthropologique, sociologique, historique, philosophique, politique et juridique.

Une première orientation à mettre en exergue se focalise sur les interactions entre situation de santé, habitudes et conditions de vie, pratiques et représentations, individuelles et collectives. Elles concernent notamment les liens entre la santé, la nutrition et les pratiques alimentaires, les pratiques sportives, les conditions de travail tout au long de la vie, les expositions à risque en lien avec les milieux professionnel et domestique, les espaces de la vie quotidienne. Elles appellent à poursuivre les études sur les inégalités de santé, les effets de la précarité et de la pauvreté, ainsi que les études des liens entre image de soi, identité sociale, situations psycho-sociales et santé. L’introduction de la longue durée est une perspective ambitieuse et fructueuse dès lors qu’elle fait le lien entre des processus adaptatifs propres à l’organisme, la transformation des environnements de vie et l’évolution historique des organisations sociales.

Une seconde orientation porte sur les pratiques de soin et les pratiques de santé. Les progrès de la recherche biologique et médicale modifient notre représentation du vivant autant que la perception de notre humanité. Ces savoirs mettent à l’épreuve des repères qui fondent nos organisations sociales. Les recherches sur les cellules-souches, sur les mécanismes de la sénescence, sur la procréation assistée, les prothèses bioniques, en sont des exemples parmi d’autres, dès lors qu’elles bouleversent notre représentation de la personne humaine. Dans la pratique de soin, la question de la fin de vie (soins palliatifs, euthanasie), les greffes d’organes, le recours au profilage génétique personnel, etc., appellent un encadrement éthique. Il est aussi nécessaire de s’interroger sur le lien entre recherches et pratiques thérapeutiques et enjeux industriels. La question des relations entre monde médical et industriels du médicament s’alimente de la chronique judiciaire, mais sans doute faut-il également questionner les enjeux de la E-santé ou de la silver économie. Ceci explique pourquoi, la bioéthique, la démocratie médicale, l’implication de la société civile et plus largement la réflexivité critique se veulent les garants de l’ajustement entre approfondissement des connaissances, innovations thérapeutiques, rationalisation des soins et « progrès social ».

Les injonctions relatives à la réforme des systèmes de soin, à une rationalisation en vue d’une baisse des coûts ont favorisé le développement des études de sciences économiques et politiques sur cet objet. La construction des référentiels de santé publique, la production d’outils, d’indicateurs, les pratiques d’évaluation, mériteraient sans doute une réflexion comparative plus poussée. Dès lors que les politiques de santé publique s’appuient sur des instruments de gouvernement des conduites (la prévention, le remboursement différencié des soins) – il est intéressant de mieux comprendre l’impact de ces instruments sur les pratiques de santé. Ces pratiques se construisent également au contact d’autres relais d’information et l’accès à de nouveaux médias comme internet. Les représentations sociales de la santé, du bien-être, de la qualité de vie mais aussi des comportements à risques, des environnements sains et malsains ne sont pas nécessairement en conformité avec celles portées par le monde médical et elles sont loin d’être uniformes. Questionner la relation santé-environnement c’est aussi tenter de mieux cerner la manière avec laquelle les individus et les collectifs s’emparent de la question, mobilisent des ressources pour eux-mêmes ou se mobilisent collectivement.

 

D. Stratégies de développement durable (DD)

La notion de développement durable doit son succès à sa plasticité politique et éthique, à sa capacité à se décliner en interprétations variables, paradoxales, controversées, au gré des traditions politiques, des crédos économiques, des contextes culturels et sociétaux. En fédérant sous un même étendard, des ambitions de protection de l’environnement, de progrès économique et social, elle focalise l’attention sur les interactions entre ces champs, leur articulation, leurs (in)compatibilités. Elle est en outre indéniablement la conséquence d’une prise de conscience, celle d’une responsabilité collective quant au devenir de la planète, à l’évolution du climat, à l’érosion de la biodiversité, à l’amenuisement des ressources jusqu’alors indispensables à nos modes de vie. Tandis qu’elle invite à la coordination des échelles d’action, du local au global, elle contribue à introduire au cœur des représentations et pratiques de l’action politique, le principe d’incertitude et l’idée selon laquelle, pour reprendre l’expression de Michel Serre, « à la maîtrise du monde doit succéder, aujourd’hui la maîtrise de la maîtrise », notamment en raison de la puissance virtuellement destructrice de cette maîtrise sur notre propre écoumène.

L’analyse des stratégies de développement durable invite à cerner la variété, la variabilité ainsi que les modalités singulières de construction des problèmes publics afférents. Si la comparaison des contextes socioculturels peut constituer un axe d’analyse, il faut également être attentif aux inflexions interprétatives et éthiques qu’apportent l’évolution des savoirs, les progrès scientifiques et technologiques, mais aussi les connaissances profanes issues de l’expérience. Nourrir la réflexion sur le développement durable, invite au dépassement des frontières disciplinaires, épistémiques et cognitives, à la fois en vue de la compréhension des processus à l’œuvre (changements globaux, résilience, comportements sociaux, etc.) et en vue de la recherche de solutions opérationnelles à mettre en œuvre à court ou moyen termes (ingénierie écologique).

Il est également important de veiller à une meilleure compréhension de la réception sociale et culturelle des changements à l’œuvre et de ce qu’elle induit en termes de comportements individuels et collectifs, de mobilisations, de pratiques réactives/adaptatives. Enfin, les changements à l’œuvre induisent une modification des institutions, des systèmes de gouvernance, des formes de gouvernement des conduites, qui constituent des objets majeurs d’étude.

Actuellement, plusieurs cadres de réflexion structurent le champ politique du développement durable à l’échelle internationale et peuvent, fructueusement mobiliser et valoriser des orientations de recherche inter- et transdisciplinaires. Il s’agit de la transition énergétique, de la transition écologique, de l’écologie territoriale et le questionnement des formes nouvelles de régulation du développement durable.

Ainsi la notion de « développement durable », est sujette à des interprétations différentes et controversées. Les trois piliers du DD – Économie, Société, Environnement – doivent en théorie se développer en même temps. Or réussir des gains dans les 3 piliers dans un même espace-temps s’avère hors de portée pour la plupart des pays. En effet, comme le souligne Frerot(6) se préoccuper du DD c’est se soucier par avance, anticiper, opérer des arbitrages politiques afin à un moment donné, de favoriser une solution qui satisfasse au moins deux des 3 piliers en minimisant les effets négatifs sur le troisième. Le DD oblige ainsi à jouer avec des échelles spatiales et temporelles : du local au global, du moment présent aux générations futures ; tout comme il introduit une perception de l’espace-temps plus dense, plus riche, mêlant une connaissance descriptive et dynamique à une vision prospective. L’analyse des stratégies de développement durable nous invite à prendre en considération cette flexibilité et cette variété des interprétations et, en conséquence, les modalités variables de construction de problèmes publics, en fonction de contextes sociaux, politiques et culturels, de perceptions du monde et de conceptions éthiques différentes. Deux champs de réflexion, les énergies renouvelables et l’écologie des territoires, focalisent actuellement l’attention et émergent dans les projets proposés à la CID 52.

1.  Les énergies renouvelables

Les énergies tirées essentiellement des éléments (terre, eau, air, feu, soleil) sont renouvelables si elles sont effectivement renouvelées à l’échelle d’une vie humaine et si elles sont cohérentes avec un développement durable (rationalisation de la consommation par exemple). De nouvelles ressources énergétiques doivent être prises en considération. Le cas de la biomasse est un bon exemple où les biocarburants de 3e génération (bactéries, algues…) devraient remplacer les carburants issus de ressources vivrières. Dans ce cadre, les déchets industriels ou domestiques peuvent constituer une nouvelle ressource qu’il s’agit de valoriser dans le cadre d’une économie circulaire. Les énergies renouvelables offrent par ailleurs une large gamme de puissances installées, allant de la production individuelle à la production centralisée. Mais ces sources d’énergie présentent souvent une caractéristique commune, à savoir la variabilité – souvent non prévisible – de leur production. Le stockage de l’énergie est donc un enjeu majeur où la France joue un rôle moteur en développant des procédés innovants comme les biopiles à combustible. Ces domaines émergeants ne se développeront que dans un cadre interdisciplinaire associant sciences dures (chimistes, microbiologistes, génie des procédés…) sociologues, économistes et juristes.

2.  L’écologie des territoires

Sous des formes variées émerge la prise en compte d’une écologie des territoires, au sein des territoires et pour les territoires. Ces concepts émergeants ou tout au moins revisités (écologie urbaine, écologie des territoires etc.) affirment la prise de conscience d’une modification paradigmatique de la place de l’homme par rapport à la nature. De l’écosystème à l’anthroposystème, les relations évoluent, selon un gradient plus ou moins renforcé, pour faire plus de place aux interactions, aux boucles de rétroaction, aux processus de co-évolution etc. À des échelles spatiales différentes, ces concepts proposent une vision holistique, systémique de systèmes complexes liant société et nature, prenant en compte une meilleure connaissance des flux, de matières et d’énergies et d’espèces qui traversent un territoire dans le temps et l’espace et qui nouent des rapports complexes entre les éléments le constituant. Ces avancées rejaillissent sur divers travaux : (1) ceux portés sur les paysages, balançant entre patrimonialisation de la nature et préservation des habitats, et mise en valeur d’aménités ou d’opportunités économiques améliorant la qualité et le cadre de vie des habitants ; (2) ceux qui observent les relations dynamiques entre la nature (souvent au travers d’espèces rares ou à enjeux) et les organisations sociales ; (3) ceux développés sur la transition énergétique, pour laquelle une vision holistique est nécessaire pour appréhender les ouvertures possibles liées aux énergies renouvelables en fonction des formes d’inertie présentes sur les territoires ; (4) ceux, enfin, qui étudient les formes d’expertise nouvelles dans le cadre de prises de décision, compte tenu des incertitudes qui pèsent sur les possibilités de choix et d’action.

Les connaissances qui en résultent favorisent des formes de coopération innovantes entre divers acteurs, fondées sur l’équilibre, sur le partage, voire la définition de « common ». Ces formes de coopération remettent en question les rapports entre les acteurs (les sachants, les décideurs et les profanes) mais aussi entre la nature et ces derniers. La conception d’une écologie pour la société, nourricière, guérisseuse, multiple dans ses dénominations, imprégnée des, et imprégnant les cultures sociétales, fait évoluer le rapport de l’Homme et de la Nature. Ainsi, sous l’impulsion d’une écologie de, et au sein des territoires, se développent des travaux d’une écologie pour les territoires au travers de travaux sur les services écosystèmiques (ou les desservices) ou en ingénierie écologique par exemple.

Ces travaux trouvent un écho fort au sein de la CID 52 car ils relient les recherches fondamentales et les recherches opérationnelles, les sciences dures et les sciences humaines et sociales et les divers acteurs de ces avancées (scientifiques, acteurs locaux, ONG ou simple citoyen). Ils fonctionnent aussi parfois en lanceurs d’alerte ou veilleurs de situations à signaux faibles (protection de plantes et/ou de savoirs faire par exemple), posture délicate mais émergente associée à une implication de plus en plus grande de la recherche dans les enjeux sociétaux.

3.  Les faiblesses de la recherche française

Les travaux relevant des stratégies de développement durable identifiés et portés par la CID 52 illustrent une interaction de plus en plus forte avec les acteurs locaux (représentants de l’État, décideurs, groupes mobilisés, population…). Pourtant la visibilité de la recherche demande à être renforcée et soutenue dans des actions de valorisation et de diffusion qui ne découlent pas forcément des activités académiques. Les modalités de participation, de collaboration voire de co-construction sont encore peu développées contrairement à ce qui se passe à l’étranger. Ceci pose bien entendu la question de la prise en compte de ces activités, au même titre que les travaux académiques, dans l’évaluation des chercheurs et de la formation à celles-ci.

L’interdisciplinarité ne se décrétant pas, il y a aussi une nécessité de structuration de ce type de recherche et d’optimisation des formes d’interdisciplinarité : structures interdisciplinaires de recherche et d’enseignement, ateliers « think tank » interdisciplinaires et intercognitifs, voire laboratoire « ouvert à la société », sont autant de pistes à étudier pour favoriser ces formes d’échanges.

La « tubularité » des filières d’enseignement malgré un certain nombre de filières d’enseignement bi-diplôme, ne facilite pas le déploiement de l’interdisciplinarité nécessaire au développement des recherches sur, et pour le DD. Les parcours disciplinaires devraient au moins s’enrichir d’expériences de travaux interdisciplinaires pour favoriser une vision intégrative de la recherche.

 

E. Sciences de la complexité en écologie globale

En français, le mot « global » associé à « écologie » renvoie à la fois aux enjeux planétaires, perçus à des échelles très vastes mais aussi à la notion « d’intégration ». Ainsi, l’écologie globale, comme champ scientifique partagé, amène à penser l’environnement de manière systémique et fonctionnelle, en incluant les différentes échelles de temps et d’espace auxquelles les processus environnementaux s’opèrent. Dans le contexte de l’écologie globale, les évolutions bio-géo-chimiques et physiques des écosystèmes doivent donc se comprendre dans leurs interactions, et aussi en lien avec l’évolution des modèles économiques et des transformations sociétales qui les accompagnent. L’écologie globale conduit également à penser l’environnement de manière systémique et globale, afin d’aborder les questions dans toute leur complexité. Accepter et intégrer cette vision est un prérequis nécessaire pour identifier l’ensemble des paramètres à même de poser les bases d’une gestion durable des ressources naturelles. Les services que les systèmes écologiques fournissent aux sociétés sont devenus un outil pour formaliser l’approche.

1. Les attentes de la société

Agir pour le développement durable nécessite une vision globale et intégratrice de la complexité des contextes, de leur dynamique et de leur diversité. Les attentes de la société vis-à-vis de l’écologie globale peuvent être résumées de la façon suivante : comment subvenir, de manière satisfaisante, aux besoins de sept milliards d’êtres humains sur une planète, tout en respectant l’intégrité fonctionnelle des écosystèmes. Dit autrement, la société attend de l’écologie globale qu’elle apporte des outils de compréhension et de résolution des grands défis environnementaux qui la confronte et la menace dans sa cohésion, et parfois dans son existence même, et dont elle reconnaît de plus en plus la complexité (changement climatique, érosion de la biodiversité, urbanisation, modification des habitats, surpêche, etc.). Les attentes sont fortes en matière d’instruments de mesure et d’indicateurs permettant d’évaluer les performances des systèmes environnementaux et de leur durabilité. Même si des réserves existent au sein de la société concernant le risque de voir émerger une monétarisation des écosystèmes, celle-ci attend des scientifiques qu’ils l’aident à hiérarchiser la totalité des enjeux entre développement économique, cohésion sociale, préservation des ressources et espaces naturels, et sécurité des personnes et de leurs biens. Autrement dit, il est demandé à l’écologie globale qu’elle éclaire les politiques publiques en intégrant, de manière objective, les conflits d’usages, tout en considérant simultanément la complexité structurelle et fonctionnelle des socio-écosystèmes et celle des changements globaux qui les affectent.

2. Les défis à relever

Le premier défi posé par l’abord de la complexité en écologie globale est de construire une transdisciplinarité de l’approche autour de nouveaux concepts et outils d’application, et ce, en intégrant toutes les disciplines concernées, les enjeux environnementaux dépassant de loin les compétences d’une seule discipline. Au-delà des idées partagées par la communauté des scientifiques engagés pour réussir cette écologie globale, il est important de promouvoir le dialogue entre les disciplines et de clarifier l’objet commun. Les autres défis renvoient à la question de la complexité et aux difficultés que le traitement de cette question véhicule dans le champ de l’écologie globale.

Quatre défis principaux sont identifiés :

Le premier concerne la prise en compte de la diversité des dynamiques en jeu et du caractère non linéaire de certaines d’entre elles. Les dynamiques de population, de réseau trophique, de compétition, de mutualisme, d’accès aux ressources, dynamique des réseaux sociaux, d’allocation des usages des sols, dynamique du marché, des prix, des valeurs non-monétaires… sont souvent de nature très différentes, certaines se décrivant en temps discret (pas de temps mensuel, annuel…), d’autres en temps continu. Elles ne sont également pas toutes linéaires : mécanismes de saturation et effets de seuil, sont autant d’éléments participant à la non-linéarité de certaines de ces dynamiques.

Le deuxième défi concerne la gestion dans les modèles de la « spatialité » et du caractère multi-échelle des socio-écosystèmes. La « spatialité » des socio-écosystèmes est aujourd’hui considérée comme une caractéristique fondamentale et un élément clé de leur complexité. De nombreuses disciplines explorent ainsi l’influence des configurations spatiales et de la géométrie sur la dynamique et le fonctionnement des systèmes vivants (écologie du paysage, écotoxicologie du paysage, génétique du paysage, biogéographie…). Les processus spatiaux mêlent à la fois des relations locales, de proximité, de voisinage, et des interactions plus macroscopiques entre niveaux d’organisation. Ainsi, un enjeu actuel de l’écologie globale consiste à mobiliser des approches multi-échelles, du gène à l’écosystème et à la biosphère, capables de prendre en compte l’hétérogénéité spatiale des structures et des processus.

Un troisième défi transversal, commun aux socio-écosystèmes qui participe à leur complexité est l’incertitude. La compréhension et la quantification des mécanismes, l’aide à la décision pour l’environnement et le développement durable impliquent la prise en compte de l’incertitude, laquelle porte à la fois sur les états, les mécanismes, et les objectifs à atteindre.

Enfin le quatrième et dernier défi concerne l’apparition de propriétés émergentes, impliquent un saut qualitatif entre propriétés élémentaires et propriétés du système. L’apparition de propriétés émergentes est une caractéristique fondamentale et commune des systèmes complexes, qui se définit comme l’ensemble des propriétés pour lesquelles il est difficile de faire le lien entre les processus élémentaires (au niveau des unités de base, que seraient par exemple les espèces d’un écosystème dans le cas de l’écologie globale) et les propriétés émergentes du système d’étude (les réseaux d’interaction entre espèces au sein de l’écosystème pris dans son ensemble, par exemple). Cette situation n’est pas sans poser des problèmes épistémologiques : Comment se fait l’intégration des propriétés émergentes dans les modèles et peut-on relâcher la contrainte des propriétés élémentaires sur les modèles, et jusqu’à quel niveau ? Que teste-t-on lorsqu’on confronte un modèle aux données : l’ensemble du modèle, ou bien simplement les prédictions qu’il permet de faire quant aux outputs en termes de propriétés émergentes ?

3. La place de la recherche française

Il est clair que le CNRS, de par sa capacité à intégrer l’ensemble des domaines scientifiques, technologiques et sociétaux (mathématiques, physique, sciences et technologies de l’information et de la communication, physique nucléaire et des particules, sciences de la planète et de l’univers, chimie, sciences du vivant, sciences humaines et sociales, sciences de l’environnement et sciences de l’ingénierie), détient un rôle clé dans l’émergence en France d’un pôle d’excellence dans le domaine des sciences de la complexité en écologie globale. La promotion de l’interdisciplinarité étant dans ce cadre essentielle, il est également clair que le soutien apporté par le CNRS aux CID en général, et à la CID 52 en particulier, joue un rôle important pour favoriser cette émergence (voir aussi le rôle de la mission pour l’Interdisciplinarité).

Parmi les autres atouts de la recherche française, on signalera la participation active de la France au développement et la structuration de plates-formes d’observation et d’expérimentation (cf. Les structures de recherche)

Les prospectives organisées par l’INEE en écologie chimique (interface chimie-écologie) et génomique environnementale (interface biologie/écologie-informatique), ou les Réseaux Thématiques Pluridisciplinaires mis en place par le même INEE (RTP génomique environnementale) constituent également des éléments favorables au développement, en France, d’une recherche forte dans le domaine des Sciences de la complexité appliquées à l’écologie globale. Au plan des laboratoires, on note des initiatives prometteuses de regroupement de chercheurs de toutes disciplines (physique, géologie, biologie, chimie, mathématique, archéologie…) intéressés par une approche systémique des problématiques environnementales (réseau RISC-E (Recherches Interdisciplinaires sur les Systèmes Complexes en Environnement), la mise en place d’observatoires interdisciplinaires (l’Observatoire des Sciences de l’Univers de Rennes, Institut des Systèmes Complexes de Paris Île-de-France (ISC-PIF, Institut des Systèmes Complexes Lyon Rhône-Alpes). Ces réseaux régionaux pluri-disciplinaires se structurent au niveau national dans des GIS (ex. le Réseau National des Systèmes Complexes (RNSC). Depuis quelques années, le lien entre écologie globale et sciences sociales s’est également considérablement développé en France, en se focalisant sur les possibilités de quantifier la valeur économique des écosystèmes et de la biodiversité. Des réflexions autour des interactions entre écologie et mathématique ont également eu lieu, avec en arrière-plan la question de la constitution des cadres mathématiques théoriques, permettant l’exploration des phénomènes écologiques sur des échelles de temps et d’espace échappant à l’expérimentation.

Au-delà de ces atouts, des marges de manœuvre existent pour encore mieux répondre au grand défi de l’écologie globale. Plusieurs recommandations faisant écho à des faiblesses constatées peuvent être formulées :

i. renforcer les interactions du CNRS avec les acteurs publics et les autres organismes de recherche engagés dans la mise en œuvre du développement durable (ONEMA, Ministère de l’environnement, ONF, agences de l’eau, ADEME, Allenvi) ;

ii. travailler avec l’ANR et les acteurs de la recherche pour initier des projets interdisciplinaires ambitieux afin de répondre aux questions environnementales ;

iii. promouvoir des plate-formes interdisciplinaires sur une plus large palette de biomes (ville, littoraux, hautes latitudes…) afin de couvrir les principaux enjeux environnementaux ;

iv. améliorer la communication auprès des acteurs de l’environnement et du grand public via notamment internet et la transmission d’informations visuelles et pédagogiques (développement par exemple de serveurs cartographiques sur les OHM et les ZA ou de courtes vidéos explicatives des actions en cours).

 

(3) Unité mixte internationale ; Laboratoire Européen de recherche GDR International

(4) Long Term Ecological Research (US)
ILTER International LTER

(5) Directive cadre stratégie pour le milieu marin (DCSMM)

(6) Olivier Frerot, « Quelques réflexions sur le développement durable », Territoire en mouvement, Revue de géographie et aménagement [en ligne], 4/2006, mis en ligne le 15 décembre 2011. URL : http://tem.revues.org/477

II. Les structures de recherche

A. Des unités cœur d’instituts et des marges

Bien que la CID52 n’ait pas vocation à évaluer les laboratoires de recherche cependant elle suit ces derniers au gré des recrutements opérés. Les unités de recherche se détachent selon les disciplines et les sections d’appartenance. Si l’on considère les candidats de ces deux dernières années, trois instituts de rattachement sur les dix que compte le CNRS se détachent largement, à savoir l’InEE, l’InSHS et l’INSU. Ce focus induit un biais dans les laboratoires d’accueil, les mieux pourvus étant rattachés à l’INEE. La couverture thématique de la CID 52 étant largement plus étendue, une ouverture aux autres instituts, et donc un afflux de candidats d’origine plus diversifiée renforcerait l’effort d’interdisciplinarité de la CID 52.

B. Des structures dépendantes de soutien à long terme des RTP aux GDR : la structuration des communautés

Les structures pluridisciplinaires de recherche mises sur pied de manière incitative comme les RTP sont efficaces lors de la phase d’initialisation et de structuration de la recherche. Les développer devrait faciliter le démarrage d’activités de recherche concertées entre plusieurs unités, comme cela a été le cas pour le RTP Génomique Environnementale. Parmi les autres outils de structuration, les GDR, contribuent à structurer le milieu scientifique sur des thématiques émergentes pluridisciplinaires comme celles portant sur la « Plasticité Phénotypique » (PlasPhen), ou sur « L’écologie statistique ». Il faut cependant observer que ces GDR deviennent de plus en plus des espaces d’échange et de travail commun, plutôt que des lieux d’élaboration d’expériences et de production de connaissances, sensu-stricto, du fait de la diminution des ressources allouées et du très fort accroissement en parallèle du nombre d’unités participantes (24 et 79, respectivement, pour les deux GDR cités ici). Les actions menées vont de la formation, à la dissémination des résultats en passant par l’approfondissement de questions communes, avec comme sortie positive l’élaboration de réponses à des appels d’offre. Une autre caractéristique de l’évolution des GDR est l’interdisciplinarité des propositions, soit au sein d’une discipline évoluant fortement, soit à la marge de plusieurs disciplines. Ces différentes évolutions devront être prises en compte pour satisfaire la forme de gestion de telles structures initialement prévues pour initier et stimuler sur une période « courte » la recherche au sein d’une communauté scientifique. Une durée plus longue adaptée aux temps de la recherche sera peut-être à envisager.

C. Les structures d’observation et d’expérimentation communauté de lieu, de questionnement, d’outils

Les structures d’observations mise en place par les Instituts du CNRS (INEE, INSHS, INSU) représentent une opportunité de consolider les liens au sein d’une communauté sur la base de questionnements et d’approches partagés ou associés en écologie globale. Ces structures permettent dans le cadre d’un lieu ou d’un réseau de lieux, de formaliser un suivi à long terme, de développer une approche systémique, de comparer des approches et des résultats, d’établir des références, de calibrer et de valider des modèles, etc. elles sont de première importance pour plusieurs raisons : elles favorisent la réflexion longitudinale et la collecte d’informations ; elles permettent aussi de diffuser ces informations et en ce sens de consolider la place du CNRS en tant qu’acteur sociétal ; enfin elles fournissent la possibilité d’établir des évaluations a posteriori (retour d’expérience) ce qui paradoxalement est encore trop peu réalisé.

III. L’évaluation dans un cadre interdisciplinaire

A. Les jeunes chercheurs

L’évaluation post recrutement s’inscrit dans plusieurs moments forts du début de carrière : le choix de la section de rattachement, l’intégration dans le laboratoire d’accueil, et le suivi de la réalisation du projet de recherche ayant présidé au recrutement. Les jeunes chercheurs recrutés dans le cadre d’une CID n’ont pas toujours une idée claire en matière de section de rattachement. Le choix de celle-ci doit être réfléchi à l’aune à la fois des projets de recherche envisagés et des critères d’évaluation des sections possibles. La possibilité de présenter le dossier de suivi à une CID, en parallèle d’une section permet de faire valoir la continuité des activités et les avancées réalisées. La CID 52 suggère dans ce contexte de systématiser la double évaluation (CID52 et section) ou à défaut d’allonger le temps de réflexion pour le rattachement aux sections.

Un point auquel la CID 52 a été sensible est le temps requis par nos jeunes collègues pour réaliser leur recherche lorsqu’ils ont fait le choix d’un laboratoire ne relevant pas de leur section. Un temps plus long est souvent nécessaire pour favoriser l’émergence d’une recherche productive. De la même façon des moyens d’insertion (pour des besoins d’observation, d’expérimentation etc.) devraient pouvoir être mis à la disposition de ces jeunes chercheurs, afin de faciliter le lancement de leurs travaux et de reconnaître la prise de risque du choix fait. Ce risque peut avoir plusieurs formes : un isolement à combler d’une part ou de trop fortes sollicitations de travail pluridisciplinaire d’autre part.

B. Le suivi du chercheur

Le suivi des chercheurs recrutés en CID est réalisé par la section de rattachement et par une CID. Cependant un processus d’évaluation par une CID devrait aussi pouvoir se faire dans le cas d’un recrutement par une section, si le chercheur sollicite cette opportunité. Le processus ouvrant cette possibilité devrait pouvoir être défini et formalisé.

Conclusion

La CID52 couvre un périmètre au sein duquel l’interdisciplinarité est très forte. Elle est indispensable au sein de l’établissement pour faire face à la complexité croissante des questionnements reliant Environnement et Sociétés, et permettre à celui-ci de croiser les points de vue et les approches, de développer une vision systémique et intégrative et de mobiliser les moyens communs nécessaires au traitement des questions posées.

Si l’excellence scientifique est un critère essentiel des processus d’évaluation de la CID 52, elle tient à favoriser aussi l’originalité, la pratique des interactions entre domaines disciplinaires et l’intercognitivité avec les acteurs hors milieu scientifique. L’intercognitivité scientifique entre disciplines et entre acteurs, doit permettre de donner la pleine mesure de la richesse des candidatures.

La prise de risque est un élément incontournable de la recherche en interdisciplinarité. Cependant, des procédures de retour d’expérience nous semblent nécessaires pour évaluer les efforts déployés mais aussi les limites et les risques scientifiques du projet.

Un dernier point à signaler est l’âge des chercheurs recrutés lors des concours qui augmente d’année en année. Ceci est lié à la contraction de l’emploi scientifique induite par les dernières contractualisations. De plus, la prime à la promotion des chercheurs en place, moins coûteuse budgétairement, tend à réduire l’espace laissé au recrutement des plus jeunes.